Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 13

Date : le 17 avril 2019

Numéro du dossier : T2239/6117

Entre :

Paul Campbell

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Banque Canadienne Impériale de Commerce

l'intimée

Décision

Membre : Colleen Harrington

 


Table des matières

I. Introduction du présent cas  1

II. Questions en litige  2

III. Contexte de la plainte  3

A. Paul Campbell  3

B. La CIBC  4

C. L’emploi de Paul Campbell à la CIBC  5

D. Les faits ayant mené à l’évaluation neuropsychologique  9

E. L’évaluation neuropsychologique  11

F. Les rapports d’évaluation en matière de mesures d’adaptation  13

(i) Le rapport du 17 juillet 2012  13

(ii) Le rapport du 22 octobre 2012  16

(iii) Le rapport du 28 novembre 2012  17

G. Le rendement de M. Campbell après les rapports d’évaluation en matière des mesures d’adaptation  19

H. Les faits ayant mené à la cessation de l’emploi  21

I. La cessation d’emploi  25

IV. Analyse  27

A. Puis‑je m’appuyer sur les principes de droit du travail, et quel poids, le cas échéant, devrais‑je attribuer à la preuve se rapportant au rendement de M. Campbell pendant toute la durée de son emploi à la CIBC?  27

B. M. Campbell a‑t‑il prouvé selon la prépondérance des probabilités que la CIBC avait fait preuve de discrimination à son égard?  37

(i) Le cadre juridique  37

(a) Le premier volet : discrimination prima facie  38

(b) Le deuxième volet 2 : justification de la conduite discriminatoire alléguée  40

(ii) La cessation d’emploi discriminatoire au titre de l’alinéa 7a) de la Loi 41

(a) La position de M. Campbell  41

(b) La position de la CIBC  42

(c) Les allégations de nouveaux éléments de preuve  43

(iii) Analyse relative à l’alinéa 7a)  44

(a) La preuve médicale que ses remarques non professionnelles étaient liées à sa déficience  45

(b) L’inconduite grave était persistante tout au long de son emploi et ne se rapportait pas à une déficience, mais représentait simplement sa façon préférée de fonctionner.  47

(c) La prise en compte exprès de sa déficience dans la décision de mettre fin à son emploi  54

(d) La cessation d’emploi a eu lieu durant la période d’adaptation  57

(e) Conclusion – alinéa 7a) de la Loi  58

(iv) La discrimination au titre de l’alinéa 7b) de la Loi  60

(a) Analyse relative à l’alinéa 7b)  61

(b) Conclusion – alinéa 7b) de la Loi  64

V. Conclusion  64

 


I.  Introduction du présent cas

[1]  En janvier 2014, après avoir travaillé près de 13 ans à la CIBC, à titre de représentant des services bancaires personnels (RSBP), au centre d’appels de Fredericton, Paul Campbell a reçu une lettre l’informant de la fin de son emploi en raison de problèmes de rendement persistants. Avant de mettre fin à son emploi, la CIBC a tenté de déterminer si ses problèmes de rendement, qui étaient plus prononcés depuis le début de 2010, étaient liés à une déficience. On savait, dans le milieu de travail, qu’avant d’être employé à la CIBC, M. Campbell avait eu un accident d’automobile qui lui avait laissé de graves séquelles, y compris des lésions cérébrales. M. Campbell parlait ouvertement de son accident et de son rétablissement subséquent, car, naturellement, il était fier de tout ce qu’il avait accompli depuis lors.

[2]  En 2012, la CIBC a organisé une évaluation neuropsychologique de M. Campbell afin de mieux déterminer s’il avait une déficience qui pourrait faire l’objet de mesures d’adaptation. Dans son rapport, le neuropsychologue a déclaré que M. Campbell avait [traduction] « des difficultés neurocognitives légères à modérées », avec certains troubles de mémoire, d’attention et de fonctionnement exécutif. Il a conclu que les résultats des tests indiquaient un déficit cognitif sans autre indication (SAI) [1] , et a déclaré que les déficiences de M. Campbell n’étaient pas suffisamment graves pour répondre aux critères d’un trouble plus sévère.

[3]  Le neuropsychologue a recommandé des traitements d’ergothérapie, un soutien psychologique et une psychothérapie. À la réception de ce rapport, la CIBC a recruté un ergothérapeute chargé de travailler avec M. Campbell pour faire en sorte qu’il reçoive les mesures d’adaptation lui permettant de réussir dans son travail.

[4]  Le moment de la cessation d’emploi de M. Campbell en lien avec le processus d’adaptation est contesté. D’après lui, il faisait encore l’objet de mesures d’adaptation quand la CIBC a décidé de mettre fin à son emploi, rendant discriminatoire la cessation d’emploi. La CIBC affirme qu’elle a mis fin à l’emploi de M. Campbell pour des raisons d’affaires légitimes et que celles-ci sont non discriminatoires lorsqu’il s’agit d’une inconduite grave. La CIBC ajoute qu’elle avait, de toute manière, épuisé toutes les mesures d’adaptation recommandées pendant une période raisonnable. Selon la CIBC, comme M. Campbell n’a pas coopéré aux efforts d’adaptation raisonnables, elle a satisfait à son obligation d’adaptation à son égard.

[5]  Pour les motifs exposés dans la présente décision, je ne suis pas d’accord pour dire que M. Campbell a fait l’objet de discrimination durant son emploi ni pour dire que la cessation de son emploi était discriminatoire. Par conséquent, je rejette sa plainte.

II.  Questions en litige

[6]  Certaines questions de preuve et de droit se sont posées durant l’audience et lors des observations finales des parties. Pour arriver à ma décision, j’ai examiné les questions suivantes :

  • i) Puis‑je m’appuyer sur les principes de droit du travail, et quel poids, le cas échéant, devrais‑je attribuer à la preuve se rapportant au rendement de M. Campbell pendant toute la durée de son emploi à CIBC?

  • ii) M. Campbell a‑t‑il établi une preuve prima facie de discrimination? Le cas échéant, la CIBC a‑t‑elle justifié la discrimination au moyen d’une défense aux termes de l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi)? Pour répondre à ces questions, j’ai pris en compte les deux aspects suivants qui ont été soulevés dans les observations finales écrites des parties :

  1. Suis‑je d’avis que M. Campbell a présenté dans ses observations en réplique de nouveaux éléments de preuve concernant sa déficience et, le cas échéant, dois‑je écarter ces allégations?

  2. Dois‑je tirer une conclusion défavorable de la façon dont la CIBC a présenté sa preuve, notamment sa décision de ne pas assigner d’autres témoins? Si je conclus à l’existence d’une discrimination prima facie, dois‑je tirer une conclusion défavorable de la décision de la CIBC de clore sa preuve après avoir divulgué sa politique d’adaptation du milieu de travail? Le cas échéant, cela empêche‑t‑il la CIBC de présenter une défense contre la plainte?

III.  Contexte de la plainte

A.  Paul Campbell

[7]  En décembre 1987, M. Campbell a eu un grave accident d’automobile qui l’a plongé dans un coma pendant 51 jours. Il a subi, entre autres, une fracture de la colonne vertébrale, un poumon collabé et un traumatisme cérébral. Au moment de l’accident, il avait 19 ans et espérait devenir joueur de hockey professionnel. Dans son témoignage, M. Campbell a déclaré que, après l’accident, il avait dû réapprendre à marcher, à parler et à attacher ses chaussures. Il affirme que l’accident n’a pas diminué sa capacité d’apprendre, mais qu’il apprend maintenant autrement qu’il le faisait avant l’accident.

[8]  Le 20 février 2001, après être retourné à l’université et avoir obtenu un grade et un diplôme, et après de nombreuses années à travailler en tant qu’enseignant suppléant et à exercer divers autres emplois, il a reçu de la CIBC l’offre d’un poste d’associé du Service à la clientèle, de niveau 4, aux Services financiers le Choix du Président (SFCP), à compter du 2 mars 2001. À un moment donné, durant son emploi, son poste a changé de titre pour devenir représentant des services bancaires personnels (RSBP), bien que les fonctions fondamentales du poste soient demeurées les mêmes. Il dit avoir cessé d’être enseignant suppléant, car, étant père de deux jeunes enfants, il avait besoin d’un emploi régulier avec des avantages sociaux, et il ne lui avait pas été possible d’obtenir un poste d’enseignant à temps plein.

[9]  M. Campbell est fier, à juste titre, de son rétablissement après l’accident et de ce qu’il a accompli depuis lors. Il est conférencier motivateur et a écrit un livre sur son rétablissement. D’après lui, son accident était chose connue dans le milieu de travail, car il avait été un joueur de hockey bien connu dans une petite ville des Maritimes et son histoire avait été rapportée dans les médias. Il dit que son cousin travaillait aux ressources humaines de la CIBC, et c’est ainsi qu’il a appris l’existence du poste. Par ailleurs, il se souvient d’avoir parlé de son accident durant son entrevue d’emploi. J’admets donc que M. Campbell était à l’aise de parler de son accident et de son rétablissement avec ses collègues et ses clients téléphoniques.

[10]  M. Campbell reconnaît qu’il n’a pas demandé de mesures d’adaptation quand il a commencé à travailler à la CIBC, parce qu’il ne pensait pas avoir une déficience nécessitant de telles mesures. Dans son témoignage, il a déclaré que, ayant travaillé si fort pour surmonter les obstacles après son accident, il n’admettait pas avoir une déficience qui pouvait nuire à son rendement au travail, et ce, jusqu’au moment où il a reçu le rapport de M. Turgeon en juin 2012.

B.  La CIBC

[11]  Selon ses observations soumises après l’audience, [traduction] « la CIBC est une institution de pointe dans le domaine financier, qui offre des produits et services financiers aux clients ». Le centre d’appels de Fredericton, où M. Campbell travaillait, desservait tant la CIBC que les Services financiers le Choix du Président (SFCP) durant la période d’emploi de M. Campbell. La banque ne fournit plus les services bancaires des SFCP, mais elle fournit maintenant des services pour Simplii Financial, une [traduction] « banque numérique ».

[12]  Pendant toute la durée d’emploi de M. Campbell, le centre d’appels de Fredericton recevait les appels [traduction] « d’arrivée », c’est‑à‑dire que les RSBP répondaient aux appels des clients demandant de l’aide pour les services bancaires en ligne, les commandes de chèque, les demandes de produits et l’expédition de traites et de virements télégraphiques. Les représentants pouvaient aussi répondre à des questions générales concernant les services bancaires. Dans son témoignage, M. Bona a déclaré que M. Campbell était un RSBP faisant partie de la [traduction] « file proactive », c’est‑à‑dire qu’il vendait aussi proactivement des produits de la banque, notamment des financements, des refinancements et des hypothèques.

[13]  Dans leur témoignage respectif, M. Bona et Mme Savage ont tous deux déclaré que, depuis le passage des SFCP à Simplii Financial, les représentants n’avaient plus d’activités de vente. Ils conviennent tous deux que le travail au centre d’appels est dorénavant plus complexe qu’il l’était quand M. Campbell y travaillait, en raison de la législation sur le recyclage de l’argent et des règles connexes qui sont entrées en vigueur, et en raison de changements aux exigences relatives aux hypothèques.

[14]  Le centre d’appels de Fredericton fait partie des nombreux lieux de travail de la banque dans le pays, et Mme Savage a déclaré dans son témoignage qu’il y avait des experts en la matière à Toronto et à Montréal à qui l’on pouvait demander de l’aide et des conseils concernant les relations avec les employés, les mesures d’adaptation du lieu de travail et les politiques de la CIBC. Mme Savage a déclaré que l’équipe d’adaptation du lieu de travail à Toronto est experte dans le domaine de l’adaptation d’employés ayant des déficiences. Elle a déclaré que Rhoda Lee, la gestionnaire du Programme d’adaptation du lieu de travail avec qui elle avait travaillé sur le dossier de M. Campbell, est maintenant la directrice de l’Adaptation du lieu de travail œuvrant pour la CIBC à Toronto. Bien que, en sa qualité de consultante en ressources humaines au centre d’appels de Fredericton, Mme Savage ait été au courant du processus d’adaptation de M. Campbell et ait offert un soutien à l’équipe d’adaptation du lieu de travail, il est manifeste que les experts du domaine de l’adaptation du lieu de travail et des relations avec les employés ont activement participé aux décisions se rapportant à l’adaptation de M. Campbell et à la cessation de son emploi.

C.  L’emploi de Paul Campbell à la CIBC

[15]  Selon une description de 2010 du poste de RSBP à la CIBC, les employés de la banque [traduction] « […] visent l’excellence dans la prestation de services à la clientèle, de solutions portant sur les produits et de conseils fondés sur la relation […] ». D’après la description de poste, un RSBP doit respecter toutes les politiques, les processus et les normes de la banque, de même que son code de conduite, et il doit lire [traduction] « tous les énoncés de divulgation dans l’outil de soutien aux agents (OSA) ».

[16]  M. Bona a décrit l’OSA comme étant la [traduction] « bible » des RSBP, car il contient tous les renseignements dont ils ont besoin pour accomplir leur travail avec efficacité et professionnalisme. L’OSA se trouve sur le bureau de l’ordinateur d’un RSBP pour que celui-ci puisse s’y reporter facilement quand il parle aux clients au téléphone. M. Bona a déclaré dans son témoignage que les renseignements figurant dans l’OSA sont mis à jour régulièrement et que tout changement important est communiqué aux employés au moyen des [traduction] « nouvelles du jour » dans l’OSA, ou par courriel.

[17]  L’OSA énonce les étapes que les RSBP doivent suivre pour valider l’identité des clients avant de parler de leurs renseignements financiers confidentiels au téléphone [2] . L’OSA contient aussi des [traduction] « énoncés de divulgation » que les RSBP doivent lire mot à mot aux clients avant de fournir le service, de même que des [traduction] « avis » contenant des renseignements à communiquer aux clients, qui peuvent être lus mot à mot ou paraphrasés. M. Bona et Mme Savage ont tous deux témoigné de l’importance d’utiliser l’OSA et de suivre toutes les exigences qui y sont énoncées, afin de réduire les risques en matière de droit et de réputation pour la banque.

[18]  M. Campbell a déclaré dans son témoignage qu’il était au courant de ces exigences durant son emploi à la CIBC. L’offre d’emploi qu’il a reçue et qu’il a signée le 20 février 2001 énonce ce qui suit :

[traduction]

L’emploi à la CIBC diffère des autres emplois en raison de la nature unique du secteur bancaire et de la façon dont il est perçu par ses clients et la collectivité en général. Cette relation d’emploi est fondée sur un degré très élevé de confiance entre la banque et ses employés. Ce degré de confiance doit être maintenu, car il est un élément fondamental de la relation d’emploi. Les employés de la banque doivent non seulement être honnêtes et irréprochables, mais aussi être perçus comme tels par ses clients et la collectivité, et leur conduite doit en tout temps refléter ce degré de confiance.

[19]  M. Bona est devenu le chef d’équipe de M. Campbell pour la file proactive en 2007. En sa qualité de chef d’équipe, M. Bona avait la responsabilité d’encadrer les RSBP de son équipe, de répondre aux questions, de prendre les appels des clients difficiles, d’assurer la gestion du rendement et des présences ainsi que d’assumer des fonctions administratives. M. Bona a déclaré dans son témoignage que M. Campbell avait déjà un dossier de gestion du rendement quand il est devenu son chef d’équipe. Il a déclaré que M. Campbell occupait beaucoup plus de son temps que les autres RSBP de son équipe, car il passait un temps considérable à encadrer M. Campbell individuellement pour l’aider à améliorer ses compétences en service à la clientèle et ses résultats d’évaluation d’employé. À l’audience, la CIBC a déposé plus de 300 pages de notes sur l’encadrement de M. Campbell entre septembre 2008 et octobre 2013. M. Campbell s’est opposé à ce que la banque présente des éléments de preuve concernant son rendement en raison de la nature de la cessation de son emploi. Je traiterai de l’objection et du poids approprié de cette preuve à la section « Analyse » plus loin.

[20]  La CIBC a aussi présenté en preuve des copies des évaluations trimestrielles de M. Campbell, appelées évaluations de [traduction] « gestion et [de] mesure du rendement » ou [traduction] « cartes de pointage [3]  ». M. Bona a déclaré dans son témoignage que les paramètres en fonction desquels les employés étaient mesurés avaient changé en 2009. Auparavant, M. Campbell obtenait généralement des cotes satisfaisantes dans ses cartes de pointage, lorsque cinq sur sept étaient considérées comme des résultats satisfaisants. Les cartes de pointage précédant 2009 qui ont été présentées démontrent que M. Campbell recevait dans l’ensemble des cotes de quatre à six et sa cote de vente était toujours plus élevée que sa cote de qualité de l’appel. M. Bona a déclaré que, avant le changement en 2009, M. Campbell pouvait obtenir des cotes de passage rien qu’avec ses ventes d’hypothèques, mais, à partir du moment où un accent plus prononcé a été mis sur la qualité du service plutôt que sur les ventes, son rendement a commencé à diminuer.

[21]  En 2009, les cartes de pointage sont passées des cotes numériques aux cotes suivantes : [traduction] « A dépassé les attentes (ADA) »; [traduction] « A répondu aux attentes (ARA) »; [traduction] « N’a pas répondu aux attentes (NPR) ». Dans leur témoignage, M. Bona et Mme Savage ont déclaré qu’après ce changement, si les RSBP ne répondaient pas aux attentes pour les critères de qualité de l’appel et d’exactitude dans une carte de pointage trimestrielle, ils ne répondaient pas aux attentes globales pour ce trimestre, même s’ils avaient répondu aux attentes dans les autres catégories, y compris les ventes. Mme Savage a déclaré dans son témoignage que les critères de qualité de l’appel et d’exactitude étaient devenus des [traduction] « mesures déterminantes », parce qu’ils représentaient les mesures clés qui atténuaient les risques pour la banque; par conséquent, si un RSBP ne répondait pas à ces critères déterminants, il ne satisfaisait pas aux exigences de la banque.

[22]  M. Bona a déclaré dans son témoignage qu’il arrivait régulièrement que M. Campbell ne réponde pas à l’exigence de qualité de l’appel, parce qu’il refusait constamment d’utiliser l’OSA, et qu’il avait souvent un langage non professionnel ou des conversations non professionnelles avec les clients. Selon lui, M. Campbell omettait régulièrement de valider correctement les clients ou de leur communiquer les [traduction] « énoncés de divulgation et avis ».

[23]  Les cotes trimestrielles des employés étaient compilées à la fin de l’exercice, et ils recevaient une cote finale pour l’année. Les cotes finales de M. Campbell pour les exercices 2007 et 2008 étaient de cinq sur dix. Les exercices 2009, 2010 et 2011 étaient NPR. Quant à l’exercice 2012, sa cote finale était [traduction] « Indéterminée », malgré le fait qu’il avait reçu la cote NPR pour les trois premiers trimestres de l’exercice. Bien qu’il n’ait pas répondu au critère de qualité de l’appel pour le dernier trimestre de 2012, la cote qu’on lui a donnée a été [traduction] « Indéterminée » pour ce trimestre, parce que la CIBC mettait encore en œuvre son plan d’adaptation, et sa cote finale pour 2012 faisait aussi état du fait qu’il faisait l’objet de mesures d’adaptation. Pour l’exercice 2013, sa cote finale a été NPR, bien que les cartes de pointage pour les trois premiers trimestres de l’année avaient une cote [traduction] « Indéterminée », parce qu’il continuait à faire l’objet de mesures d’adaptation durant cette période. Là encore, cependant, il n’a pas satisfait aux exigences pour les critères de qualité de l’appel ou d’exactitude dans l’un ou l’autre de ces trois premiers trimestres de 2013.

[24]  La preuve documentaire établit clairement que M. Campbell avait des problèmes de rendement pour lesquels il a été soumis à des mesures disciplinaires ou a été encadré durant la majeure partie de son emploi à la CIBC, commençant par une lettre d’avertissement en 2004 pour n’avoir pas utilisé l’OSA et avoir fourni un service non professionnel qui avait donné lieu à deux plaintes de clients. J’accepte ainsi le fait que la banque a commencé à s’inquiéter davantage des problèmes de M. Campbell au travail à un moment donné en 2010.

D.  Les faits ayant mené à l’évaluation neuropsychologique

[25]  Le 21 mai 2010, M. Campbell a reçu une lettre disciplinaire pour avoir utilisé un langage non professionnel durant un appel, au cours duquel il avait commenté la source potentielle de revenu d’une cliente, lui demandant si elle avait quelque chose qui poussait dans son jardin qu’elle aimerait déclarer. Il lui avait aussi donné son adresse de courriel personnelle au cas où elle voudrait rester en contact avec lui. Dans la lettre disciplinaire, M. Bona déclare ce qui suit : [traduction] « Il n’est jamais approprié de donner son adresse de courriel personnelle à des clients […]. Vous devez faire attention aux conversations que vous avez avec nos clients, car vous avez exposé l’entreprise à d’éventuels risques en matière de droit et de réputation ». La lettre constituait un avertissement formel voulant que, en l’absence d’amélioration immédiate et soutenue de son rendement, d’autres mesures disciplinaires soient prises. Durant l’audience, on lui a demandé s’il pensait que c’était approprié de donner à une cliente son adresse de courriel personnelle. M. Campbell a initialement répondu qu’il ne voyait pas de problème à cet effet, car, en réalité, il avait donné à la cliente une fausse adresse. Pressé davantage de questions, il a fini par admettre qu’il [traduction] « avait commis une erreur avec celle‑là ».

[26]  En janvier 2012, M. Campbell a donné à une autre cliente son adresse de courriel personnelle lors d’un appel téléphonique au cours duquel il a parlé de toute une gamme de sujets personnels. L’employée de la banque qui a revu l’appel pour en évaluer la qualité l’a décrit comme étant [traduction] « un mini-fiasco ». Quand, à l’audience, on l’a interrogé au sujet de cet appel, M. Campbell a dit que, avec le recul, ce n’était probablement pas approprié, mais il a justifié son comportement en disant qu’il n’avait pas [traduction] « de mauvaises intentions ». Il a dit initialement qu’il ne flirtait pas avec la cliente, qu’il tentait plutôt d’établir un rapport avec elle, mais pressé de questions, il a admis qu’il flirtait avec elle et que c’était inapproprié.

[27]  Des éléments de preuve indiquent que M. Campbell était conscient du fait que son comportement au téléphone n’était pas toujours approprié, puisque, au milieu de 2010 et au début de 2011, ses propres commentaires sur ses cartes de pointage mentionnaient qu’il devait être plus professionnel, dire moins de [traduction] « bêtises » et employer moins d’argot, utiliser un langage approprié et se servir de l’OSA au lieu de compter sur sa mémoire.

[28]  Le 30 août 2010, la consultante principale des Ressources humaines du centre d’appels de Fredericton, Anne Fitzpatrick, a envoyé un courriel à la consultante principale, Relations avec les employés, Politique et Gouvernance de la CIBC à Toronto, déclarant qu’elle avait rencontré d’autres gestionnaires à Fredericton pour parler [traduction] « du cas de Paul ». Elle demandait s’ils pouvaient demander au dirigeant médical de la banque, le DBrown, de déterminer si M. Campbell pouvait avoir besoin de mesures d’adaptation. On a demandé à Mme Fitzpatrick de transcrire certains des appels préoccupants de M. Campbell, afin d’identifier ses divers comportements, et on lui a dit qu’il fallait poser des questions précises au DBrown concernant les capacités de communication de M. Campbell en relation avec les lésions cérébrales qu’il alléguait avoir subies. Dans un courriel adressé au DBrown, le 25 novembre 2010, Mme Fitzpatrick a dit que M. Campbell [traduction] « a[vait] eu un grave traumatisme crânien avant d’entrer chez nous. Il a[vait] eu des problèmes tout au long de son emploi; cependant, ils semblent s’être aggravés au cours des six à huit derniers mois. Paul a de la difficulté à comprendre que les conversations qu’il a avec nos clients ne sont pas appropriées, malgré le fait qu’on lui en a parlé de façon répétée ».

[29]  Mme Fitzpatrick a informé le DBrown que M. Campbell [traduction] « a[vait] été assujetti à des mesures de gestion pour un certain nombre de problèmes au cours des cinq ou six dernières années », y compris de ne pas valider l’identité des clients avant de les aider, faire un mauvais suivi des ventes et [traduction] « ne pas satisfaire aux paramètres d’évaluation des appels (p. ex., la gestion du temps requis pour clore un appel, le temps mort et le temps d’attente) ». Elle a dit qu’il avait été assujetti à deux plans d’amélioration du rendement,  et que l’un d’eux était en place depuis juin 2010. Elle a envoyé au DBrown un résumé de certains des appels téléphoniques préoccupants de M. Campbell, précisant que [traduction] « comme nous sommes conscients du fait qu’il a subi des lésions cérébrales, nous cherchons à savoir de quelles mesures d’adaptation il pourrait avoir besoin, le cas échéant ». Avec ces renseignements, Mme Fitzpatrick a transmis au DBrown, avec copie à M. Bona, un courriel inquiétant de M. Campbell, daté du 3 septembre 2010, qui mentionnait ceci : [traduction] « ils m’ont demandé si je voulais un congé, mais j’ai demandé s’il y avait un danger – ils ont éliminé la possibilité d’AVC ou de caillot de sang – ils ont organisé pour moi une évalution nieurologique à un moment donné au courx du prochain mois – parce que j’avais été paraliéysé à cause de l’accident – ils pensent que ce pourrait être des nerrfes qui meurent ou repoussent […] qui sait » [sic] (tel qu’il a été rédigé).

[30]  Plus d’un an plus tard, en octobre 2011, M. Bona a eu une conversation avec M. Campbell concernant la possibilité d’une évaluation neuropsychologique. Les instructions communiquées à M. Bona par ses supérieurs à la CIBC, en préparation de la conversation, mentionnent que le DBrown avait parlé au médecin de M. Campbell, qui a indiqué qu’une telle évaluation serait utile pour déterminer ses capacités dans le milieu de travail, de même que les mesures d’adaptation éventuelles qui seraient requises pour l’aider à réussir à bien faire son travail. M. Campbell a accepté de se soumettre à l’évaluation.

E.  L’évaluation neuropsychologique

[31]  Finalement, M. Campbell a été évalué par un neuropsychologue, M. Yves Turgeon, qui a procédé à son évaluation les 18 et 19 avril 2012 à Moncton, au Nouveau-Brunswick, et a présenté son rapport le 14 juin 2012. Dans la section [traduction] « Sommaire et remarques » de son rapport, il note que M. Campbell était assujetti à une évaluation psychologique [traduction] « afin de mieux comprendre la portée de ses capacités cognitives et son fonctionnement psychologique concernant sa capacité de fonctionner dans son emploi de conseil en matière de crédit ». Dans la section [traduction] « Observations sur le comportement », M. Turgeon note que, [traduction] « [s]ubjectivement, M. Campbell semble avoir un certain degré de déficience sur les plans de l’attention et de la concentration, de la régulation de son impulsivité, de sa mémoire et de son élocution ».

[32]  M. Turgeon note que la capacité de compréhension verbale de M. Campbell est considérablement supérieure à sa capacité de raisonnement perceptuel, ce qui signifie qu’il réussit mieux les tâches de nature verbale par opposition aux tâches et occupations [traduction] « pratiques », et que, dans son travail, il pourrait mieux réussir à vendre qu’à [traduction] « gérer des dossiers minutieusement ». M. Turgeon fait observer qu’il [traduction] « fonctionnerait bien dans un contexte de routine, où les attentes en matière de rendement sont claires et où il peut apprendre à son propre rythme ».

[33]  M. Turgeon conclut que, comme le rendement organisationnel de M. Campbell est variable, il [traduction] « serait capable d’atteindre et de maintenir des niveaux attendus de rendement cognitif, sauf dans des situations ou des environnements précis de travail ».

[34]  En ce qui concerne l’apprentissage et la mémoire, M. Turgeon affirme que, selon le résultat des tests de M. Campbell, celui‑ci a [traduction] « des difficultés cliniquement importantes sur le plan de la mémoire à court terme, de la mémoire à long terme ainsi que de l’organisation de la mémoire ».

[35]  Dans la section « Recommandations », M. Turgeon affirme que M. Campbell présente globalement un trouble cognitif léger, avec une déficience modérée dans des domaines cognitifs très précis seulement. Il déclare qu’il devrait pouvoir fonctionner dans tous les aspects quotidiens de la vie, y compris au travail, quoique les tâches plus exigeantes se rapportant à sa dysfonction lui seront plus difficiles. M. Turgeon recommande une ergothérapie ainsi qu’un soutien psychologique pour l’aider à optimiser les bienfaits des mesures d’adaptation qui lui sont offertes, comme les interventions de routine pour [traduction] « atténuer la déficience prospective de mémoire au travail », comme l’utilisation d’un agenda ou d’autres aides externes à la mémoire.

[36]  M. Turgeon affirme qu’il faudrait d’abord s’attaquer à l’impulsivité comportementale de M. Campbell, durant la mise en place de stratégies d’ergothérapie précises. Il déclare aussi qu’il faut aider M. Campbell [traduction] « à prendre conscience qu’il n’est pas aussi efficace qu’il pense l’être, au moins pas dans tout ce qu’il fait », et recommande [traduction] « une psychothérapie pour aider à gérer les émotions et les traumatismes de M. Campbell, dans l’espoir de l’amener à accepter sa déficience et à continuer de tirer le meilleur parti de ce qu’il possède […] Il a besoin qu’on l’aide à développer une perspective plus réaliste de ses propres forces et faiblesses ». M. Turgeon conclut en déclarant qu’il aiderait volontiers à orienter l’intervention ergothérapeutique avec M. Campbell.

F.  Les rapports d’évaluation en matière de mesures d’adaptation

[37]  Après la réception du rapport de M. Turgeon, la banque a communiqué avec une ergothérapeute, Fran Robinson de la firme Proactive Therapy Services, qui est venue sur les lieux de travail et qui a rencontré M. Bona et M. Campbell. Elle a produit trois rapports d’évaluation concernant des mesures d’adaptation, en date du 17 juillet, du 22 octobre et du 28 novembre 2012.

(i)  Le rapport du 17 juillet 2012

[38]  Dans son premier rapport, Mme Robinson note que, bien que M. Campbell ait encore un quota de vente à atteindre, le fait que la CIBC a changé la façon dont elle évalue le rendement sur le plan des ventes pour inclure dorénavant la qualité de l’appel et la longueur de l’appel (qui peuvent avoir une incidence sur le nombre d’appels pris par jour), conjugués à l’exigence de respect des procédures et règlements, a eu pour résultat que M. Campbell a plus de difficultés qu’avant, car il ne respecte pas tous les critères de la banque. Selon Mme Robinson, il y a un plus grand écart dans la longueur des appels de M. Campbell que ce qui est acceptable : certains appels durent jusqu’à 50 minutes. Elle déclare aussi que, si un employé ne respecte pas toutes les dernières exigences de la banque, comme lire l’OSA, il est plus susceptible de commettre des erreurs importantes dans son travail.

[39]  Mme Robinson a examiné le rapport de M. Turgeon à propos de M. Campbell et elle note que ce dernier et M. Bona conviennent que les tâches administratives de base lui sont difficiles et que sa mémoire au travail cause un problème. Par exemple, sans prendre des notes écrites, il tente d’accomplir toutes les tâches pendant qu’il est au téléphone avec un client. M. Campbell convient qu’il était parfois trop bavard et trop impulsif. Selon Mme Robinson, M. Campbell ne suit peut-être pas le protocole au téléphone, du fait qu’il ne vérifie pas tous les jours ses courriels et les messages adressés à tous les employés.

[40]  Elle a repéré un certain nombre d’obstacles dans le travail et a présenté plusieurs recommandations pour les éliminer. Par exemple, pour réduire le bruit ambiant du bureau et permettre à M. Campbell d’améliorer sa concentration, elle recommande qu’on lui fournisse un casque d’écoute qui couvre les deux oreilles.

[41]  Elle affirme que M. Campbell doit vérifier la durée de ses appels tout au long de la journée comme méthode d’auto-évaluation et d’autorégulation de son comportement, puis avoir des rétroactions régulières sur la longueur de ses appels durant ses réunions toutes les deux semaines avec M. Bona, au cours desquelles il recevra des rappels réguliers. Elle déclare que M. Bona est aussi censé fournir à M. Campbell une rétroaction plus conséquente au cours de ces réunions toutes les deux semaines pour veiller à ce que M. Campbell parle de façon adéquate à ses clients et suive les bonnes procédures. Elle déclare que [traduction] « avec une telle rétroaction régulière, M. Campbell sera plus apte à modifier son comportement ».

[42]  De plus, Mme Robinson recommande que M. Bona ou le pair aidant de M. Campbell lui répètent la procédure de validation du client, car c’est une tâche qui lui pose des difficultés. Elle dit qu’une répétition régulière de la procédure l’aidera à l’apprendre.

[43]  Elle recommande l’utilisation de notes autocollantes ou d’un autre système sur son ordinateur pour l’aider à se rappeler d’utiliser l’OSA, au lieu de compter sur sa mémoire, et il serait utile aussi qu’il ait à portée de main une liste de contrôle l’aidant à découvrir les principales préoccupations des clients, puis à traiter leurs problèmes.

[44]  De plus, elle recommande l’utilisation d’un bloc-notes et d’un stylo pour qu’il note des points comme le nom du client et la raison de l’appel tandis qu’il est au téléphone avec le client, au lieu de tenter de se souvenir de ces détails. Enfin, Mme Robinson recommande que M. Turgeon parle directement à M. Campbell au sujet des détails de son évaluation, ainsi qu’à l’employeur au sujet de l’évaluation et des recommandations. Elle précise que sa participation et son intervention périodiques contribueraient au suivi pour formuler des recommandations.

[45]  En contre-interrogatoire, M. Campbell a soit admis que toutes ces recommandations avaient été mises en œuvre, soit déclaré qu’il ne se souvenait pas si elles l’avaient réellement été. Son impression était que M. Bona n’avait pas fait les vérifications régulières auprès de lui pour lui donner une rétroaction, ou que la rétroaction n’était pas utile, mais ne constituait que de simples critiques. La preuve tant documentaire qu’orale présentée par la CIBC démontre que toutes les recommandations qu’elle pouvait mettre en œuvre avaient été suivies. En plus de nombreux registres d’encadrement remplis par M. Bona indiquant qu’il avait respecté ses obligations, il y avait deux listes de contrôle des mesures d’adaptation dressées par Mme Rhoda Lee et M. Bona en vue de s’assurer que le rapport d’évaluation de Mme Robinson était suivi. Les listes de contrôle comprennent les dates des séances de suivi de M. Bona auprès de M. Campbell, ainsi que la teneur de la discussion. Comme M. Campbell ne se souvenait pas si toutes les recommandations avaient été suivies, il ne pouvait nier qu’elles l’avaient été; ainsi donc, j’accepte la preuve de la banque démontrant sa conformité avec le rapport d’évaluation, puisque celle-ci n’est pas contestée.

[46]  Dans le registre d’encadrement, un mois après le premier rapport de Mme Robinson, M. Bona mentionne qu’il avait parlé à M. Campbell à propos d’autres mesures qui pourraient l’aider durant ses appels afin d’éviter les erreurs et lui permettre de mener à bien des appels avec un minimum d’aide. M. Bona indique que l’intention était de [traduction] « revenir à la case départ et [de] progresser à partir de là ». Les mesures mises en place étaient de retirer entièrement l’activité de vente, et de s’assurer qu’il fait bien la validation, qu’il lit les énoncés de divulgation et qu’il suit la procédure durant ses appels pour faire en sorte que les risques et l’impact sur le client soient minimisés. M. Bona note aussi dans le registre d’encadrement que M. Campbell coupe la communication au téléphone avec les clients lorsque leur demande est plus compliquée, bien que, durant l’audience, M. Campbell ait déclaré que les coupures de communication n’étaient pas délibérées. M. Bona note qu’il cherchait à obtenir de M. Campbell l’engagement d’arrêter de poser des questions à ses collègues sur la procédure et de trouver les réponses lui-même en utilisant activement l’OSA. Selon le registre d’encadrement, toutes ces mesures sont [traduction] « des demandes obligatoires de l’entreprise et celles-ci sont conçues pour aider Paul à acquérir de l’assurance et de l’autonomie lors de ses appels ».

(ii)  Le rapport du 22 octobre 2012

[47]  Le deuxième rapport d’évaluation de Mme Robinson a suivi une autre visite sur les lieux de travail le 4 octobre 2012. Dans ce rapport, elle note qu’elle a aussi parlé avec M. Turgeon le 22 octobre au sujet de son évaluation et de ses constatations.

[48]  Elle affirme que M. Bona lui a signalé que la qualité des appels de M. Campbell s’était améliorée à 100 % après l’application des stratégies recommandées.

[49]  Elle note que M. Campbell avait reçu l’instruction de ne pas entreprendre de ventes, à moins qu’un client ne l’ait demandé ou qu’il soit évident que c’est dans ce sens que la conversation devrait se diriger. M. Bona a signalé que M. Campbell suivait cette restriction la plupart du temps, jusqu’aux derniers jours précédents au cours desquels il a commencé à entreprendre de plus en plus de ventes avec chaque appel. M. Bona s’inquiétait qu’il ne suivait pas les directives et qu’il revenait à ses anciennes habitudes d’appels longs et inappropriés avec les clients.

[50]  Mme Robinson note que M. Campbell utilisait le casque binaural, suivait la procédure de l’OSA et vérifiait ses courriels, et qu’il reconnaissait maintenant qu’il avait quelques problèmes de mémoire et tentait d’éliminer certaines des remarques impulsives qu’il faisait auparavant.

[51]  Dans son rapport, elle recommande qu’il continue d’utiliser les stratégies mises en place depuis juillet, y compris utiliser un bloc-notes pour prendre des notes durant les appels et remplir sa liste de contrôle. M. Bona devait travailler avec M. Campbell pour arriver à une stratégie de vente réactive, plutôt que de viser une vente à chaque appel, et il devait faire un suivi lors de réunions de revue hebdomadaires. Elle propose que, après que M. Campbell aura adopté une stratégie de vente réactive pendant deux ou trois mois, une autre réunion de revue soit tenue avec elle pour veiller à ce qu’il continue de respecter les stratégies qui ont été mises en place et qu’il ne soit pas revenu à ses anciennes habitudes.

[52]  Mme Robinson note que, dans sa conversation avec M. Turgeon, celui‑ci a dit qu’il estimait que la banque devrait retirer les pressions sur l’aspect commission de ses ventes pour qu’il puisse se concentrer davantage sur la qualité de ses ventes.

[53]  Une semaine après le deuxième rapport de Mme Robinson, le registre d’encadrement de M. Campbell par M. Bona indique que la banque avait réintroduit les ventes en lui permettant de vendre de façon réactive quand il voit ou entend une occasion, mais qu’on avait noté de moins bons résultats sur le plan de la qualité depuis lors, ainsi qu’une augmentation du nombre de questions qu’il posait à M. Bona et à ses pairs. M. Bona affirme que M. Campbell régresse sur certains aspects du plan d’adaptation puisqu’il est distrait quand il vend. En contre-interrogatoire, M. Campbell a affirmé qu’il était distrait, parce que son frère était mourant; cependant, deux mois plus tard, M. Campbell avait reçu une cote de 100 % pour le critère de qualité d’appel, en dépit de l’état terminal de son frère.

[54]  Le registre d’encadrement du 5 novembre 2012 indique que la qualité des appels de M. Campbell continue d’être faible en raison d’erreurs de procédure qu’une consultation de l’OSA aurait facilement pu éviter. Par exemple, il avait omis de lire certains énoncés de divulgation, de valider un client correctement et de conseiller un client que les SFCP offraient des fonds communs de placement. M. Bona note que M. Campbell continue de converser avec les clients sur des sujets non liés au travail quand son temps pourrait être mieux utilisé à discuter des besoins financiers du client. Ce dernier doit s’assurer que la demande initiale du client est traitée avant de poser des questions exploratoires.

(iii)  Le rapport du 28 novembre 2012

[55]  Dans son troisième et dernier rapport d’évaluation, Mme Robinson déclare avoir été informée par M. Bona que, depuis que M. Campbell avait commencé à intégrer de nouveau un élément de vente dans son travail, son rendement avait commencé à se détériorer, et qu’il avait recommencé à avoir des conversations inappropriées avec les clients.

[56]  Elle précise que M. Campbell atteignait sa cible de 70 % pour la qualité de l’appel avant la réintroduction des ventes, quand son rendement a chuté de nouveau. Elle note que la qualité de l’appel est un reflet de l’utilisation de l’OSA pour suivre les protocoles et répondre aux questions des clients.

[57]  Mme Robinson dit qu’il y a eu des discussions concernant les cibles que les RSBP devaient atteindre et la question de savoir s’il serait raisonnable de réduire le seuil des cibles de M. Campbell, compte tenu des obstacles auxquels il était confronté. M. Bona estimait que le seuil de la cible relative à la qualité ne pouvait descendre à moins de 70 %, et Mme Robinson en a convenu aussi, puisque la qualité était une cible extrêmement importante. Cependant, M. Bona pensait qu’on pouvait maintenir le seuil des cibles de productivité et de vente à un niveau inférieure à la norme comme mesure d’adaptation, puisque ces deux domaines étaient bas pour M. Campbell depuis un certain temps déjà. Il ne pouvait pas préciser jusqu’à quel point le seuil des cibles pouvait être baissé en raison de la situation de M. Campbell, mais Mme Robinson convenait que ces deux cibles devaient être réduites. M. Bona et Mme Savage ont tous deux déclaré dans leur témoignage, et M. Campbell était d’accord avec eux, que ces cibles avaient été rajustées, en fin de compte, à titre de mesure d’adaptation.

[58]  Il est mentionné dans le rapport que M. Campbell posait encore, à ses collègues, des questions auxquels il pouvait trouver la réponse lui-même dans l’OSA, ce que certains de ses collègues trouvaient distrayant. M. Campbell était censé mettre en attente le client pour chercher lui-même l’information dans l’OSA, mais il estimait que mettre un client en attente pour chercher un renseignement nuisait à sa capacité d’établir une relation avec le client.

[59]  Mme Robinson conclut en disant que les stratégies mises en œuvre pour M. Campbell, si elles sont suivies, l’aideront à réussir dans son travail. Ni elle, ni M. Bona, ni M. Campbell ne pouvaient trouver d’autres stratégies qui pourraient lui servir de rappels pour effectuer son travail de manière plus efficace. Elle déclare : [traduction] « Nous lui avons présenté les faits se rapportant à son rendement au travail et l’avons prévenu qu’il devait améliorer la qualité de son rendement pour atteindre la norme minimale, et que ceci était plus important qu’établir une relation  avec les clients. »

[60]  M. Bona a accepté de continuer ses réunions avec M. Campbell toutes les deux semaines, et M. Campbell a accepté de poursuivre la stratégie de vente réactive, quoique M. Bona ait craint que, comme par le passé, M. Campbell revienne à ses anciennes habitudes, faisant baisser de nouveau sa qualité.

G.  Le rendement de M. Campbell après les rapports d’évaluation en matière des mesures d’adaptation

[61]  Bien que M. Campbell ait semblé avoir atteint la cible de qualité pendant deux mois après le dernier rapport de Mme Robinson, le 22 janvier 2013, M. Bona a noté dans le registre d’encadrement qu’un certain nombre d’anciennes habitudes de M. Campbell semblaient se pointer, quoiqu’il soit demeuré positif et encourageant à l’égard de M. Campbell.

[62]  Le 26 avril 2013, M. Bona a informé M. Campbell que, comme il avait été recommandé de rajuster certaines de ses cibles dans le cadre du plan d’adaptation, la CIBC avait décidé que, à compter du 1er mai 2013, certaines de ses cibles de gestion et de mesure du rendement seraient rajustées. En particulier, ses cibles portant sur les prêts seraient réduites, ainsi que l’exigence qu’il traite un certain nombre d’appels par heure (appelée [traduction] « Nombre réel d’appels à l’heure ou NRAH »). La lettre précise en outre que les autres cibles, comme l’exactitude et la qualité de l’appel, ne seraient pas rajustées. Toutefois, il devait toujours atteindre au moins le seuil de 70 % pour la qualité de l’appel.

[63]  En juin 2013, la banque a dressé une liste des points préoccupants dans les appels de M. Campbell du 1er octobre 2012 au 25 mai 2013. La liste comprend des éléments comme : manquer d’assurance ou une apparence de confusion lorsqu’il donnait de l’information à un client, donner une mauvaise information, omettre de mettre à jour des renseignements importants au sujet des clients, ne pas traiter adéquatement des plaintes de clients, couper la communication avec des clients alors que ceux‑ci parlaient encore, ne pas valider correctement l’identité des clients et ne pas écouter des clients, ce qui les amenait à devoir se répéter à de nombreuses reprises.

[64]  Il y a aussi un avertissement oral documenté. Il est signé par M. Bona et M. Campbell en date du 25 juin 2013 confirmant leur discussion à la vue [traduction] « du comportement en lieu de travail et des actes à éviter » de M. Campbell, y compris des problèmes tels que M. Campbell offrant un avantage injuste à un membre de l’équipe, passant fréquemment trop de temps à des conversations non liées au travail avec des clients, devant se faire dire trois fois en deux semaines qu’il ne pouvait plus manger à son bureau et devant se faire reprendre à plusieurs reprises au sujet de l’utilisation de son téléphone cellulaire à son bureau, ce pour quoi il avait reçu un avertissement environ un an auparavant. Selon ce document, si le rendement de M. Campbell s’améliorait, ils continueraient l’encadrement et la rétroaction qui avaient cours, et, si son rendement insatisfaisant persistait, l’employeur lui enverrait une lettre d’avertissement initiale.

[65]  En juillet 2013, Mme Savage a reçu un courriel de la gestionnaire du centre d’appels, Michelle Lockhart, accompagné des résultats de M. Campbell pour le premier trimestre de l’exercice, qui faisait état des cibles modifiées concernant les prêts et les appels par heure. Il y était décrit qu’en dépit de la modification du seuil des cibles, M. Campbell ne répondait pas aux attentes. Mme Lockhart a affirmé ce qui suit : [traduction] « Je crois qu’en raison de la situation de ses frères [sic], il a été distrait, mais je voulais simplement vous en mettre au courant. »

[66]  Entre le 6 juillet et le 3 septembre 2013, M. Campbell a été autorisé à prendre un congé de soignant pour passer du temps avec son frère. Le 9 septembre 2013, peu après le retour au travail de M. Campbell, Mme Lockhart a envoyé un courriel à M. Bona affirmant qu’elle avait besoin de son aide pour recueillir certains renseignements qui les aideraient à déterminer les étapes suivantes. L’information a été envoyée à Mme Lee, la gestionnaire du Programme d’adaptation du lieu de travail, à Toronto.

[67]  En réponse à sa demande, M. Bona a fourni des renseignements sur les cibles de M. Campbell entre janvier 2012 et septembre 2013, ainsi que les dates auxquelles il avait encadré M. Campbell et ce qui avait été discuté : essentiellement des problèmes avec la qualité et l’exactitude durant l’appel, en raison d’un manque de professionnalisme ou du fait de ne pas donner la bonne information à un client, de ne pas valider correctement le client ou de ne pas utiliser l’OSA. Il note que, bien que M. Campbell soit capable d’atteindre les cibles de qualité de l’appel, et le fait à l’occasion, [traduction] « le problème est que faire cela lui demande tant de concentration que ses autres chiffres baissent. S’il s’occupe des autres chiffres, sa cote pour la qualité (le NRAH et/ou les ventes) chute ». Dans un courriel de suivi fournissant des renseignements plus précis, M. Bona déclare que, en moyenne, M. Campbell gère 300 appels par mois dont à peu près 14 sont surveillés.

[68]  La preuve documentaire de la banque démontre que, en septembre 2013, M. Campbell a commis plusieurs erreurs en fournissant des services aux clients et, dans son témoignage, il a déclaré que son frère était très malade à ce moment‑là et que cela occupait son attention.

H.  Les faits ayant mené à la cessation de l’emploi

[69]  Le 1er octobre 2013, M. Campbell a fait un commentaire à un client au téléphone concernant la lenteur de son ordinateur. Il a décrit son ordinateur comme étant irritable et capricieux le matin, disant [traduction] « ce doit être une femme ou quelque chose ». Le client s’est plaint à la banque au sujet de cette remarque manifestement inappropriée et sexiste. Dans un courriel à Mme Savage et à M. Bona le 3 octobre 2013, au sujet de cet appel, Mme Lockhart signale que les remarques de M. Campbell ont été portées à l’attention de Mme Lee et que la CIBC s’inquiète quotidiennement de ses risques en matière de réputation et de droit que causent les commentaires de M. Campbell, ses erreurs, sa validation et son omission des énoncés de divulgation. Elle signale qu’elle a reçu une rétroaction des autres employés du centre d’appels qui se disent frustrés d’avoir à prendre ses [traduction] « appels transmis à un échelon supérieur » depuis son retour au travail.

[70]  À ce moment‑là, M. Campbell avait déjà eu deux lettres versées à son dossier personnel pour conduite non professionnelle se rapportant à des remarques inappropriées envers des clients, entre le 21 mai 2010 et le 8 février 2012. En contre‑interrogatoire, on lui a demandé s’il pensait que sa remarque au client comparant son ordinateur à une femme était professionnelle, et si sa remarque était contraire au code de conduite de la CIBC. M. Campbell a répondu qu’il n’y avait pas pensé, que c’était une blague, puis il a dit qu’il ne la trouvait pas drôle aujourd’hui, pas plus qu’elle ne l’était en 2013. Il a ajouté : [traduction] « mais mon frère était mourant ».

[71]  Les 8 et 9 octobre 2013, un problème est survenu lors d’une tentative par M. Campbell de refinancer une hypothèque pour une cliente après avoir été informé par son responsable des ventes qu’il ne pouvait pas le faire. M. Campbell n’a pas écouté la cliente, lui a demandé à plusieurs reprises les mêmes renseignements et l’a appelée plusieurs fois en dépit du fait qu’elle lui avait dit qu’elle ne pouvait pas parler avant le lendemain matin. Il a gonflé la valeur de la maison de sa cliente, contrairement à la valeur qu’elle avait elle‑même clairement déclarée. Il lui a posé des questions inappropriées et a dit, au sujet de lui‑même, des commentaires qui étaient inappropriés. La cliente a ensuite rappelé et parlé à un autre RSBP, lui demandant si M. Campbell était même qualifié pour répondre à des questions relatives aux hypothèques. Le responsable des ventes a communiqué ce qui suit à Mme Lockhart : [traduction] « Je sais que nous sommes bien conscients des problèmes concernant Paul, mais je crois que nous commençons vraiment à nous exposer à des risques quant aux GRLR [4] . »

[72]  La responsable de la qualité, qui a revu les appels entre M. Campbell et la cliente, a exprimé que la demande de refinancement de l’hypothèque n’aurait jamais dû être soumise pour plusieurs raisons, et qu’elle s’inquiétait des nombres que M. Campbell avait utilisés sur le plan de la valeur de la maison et du revenu de la cliente. Elle a affirmé ceci, dans un courriel à Mme Lockhart : [traduction] « Paul était éparpillé, il a demandé à plusieurs reprises les mêmes renseignements et il ne semblait même pas se souvenir des détails de la demande lorsqu’il a rappelé la cliente pour l’informer du refus. Je suis tout à fait d’accord avec les remarques [du responsable des ventes] quant au risque auquel nous nous exposons. Cette série d’appels ne diffère en rien des autres appels de Paul que j’ai surveillés […] la différence étant que cette cliente s’est plainte. Je suis tout à fait disposée à communiquer avec la cliente, mais je ne suis pas vraiment sûre de la manière de lui présenter des excuses au sujet de l’expérience qu’elle a vécue. »

[73]  La CIBC a déposé en preuve un courriel que M. Bona a adressé à Mme Savage et Mme Lockhart, en date du 25 octobre 2013, indiquant qu’il avait parlé à M. Campbell au sujet de cet appel. M. Bona affirme avoir demandé à M. Campbell la raison pour laquelle il continuait à pousser le refinancement de l’hypothèque, alors qu’on lui avait dit que ce n’était pas possible, et il a répondu à M. Bona qu’il [traduction] « voulait simplement aider réellement la cliente ». M. Bona a laissé entendre à M. Campbell que, en continuant à appeler la cliente et à lui poser des questions sur la valeur de sa maison, [traduction] « il tentait plus probablement de s’aider lui-même plutôt que la cliente », pour améliorer ses chiffres de vente. En contre‑interrogatoire, M. Campbell a déclaré qu’il ne se souvenait pas de cet appel, ni d’en avoir parlé avec M. Bona.

[74]  Hélas, le 15 novembre 2013, le frère de M. Campbell est décédé, et celui‑ci a été absent du travail pendant environ une semaine. Peu après son retour, le 27 novembre 2013, M. Bona, Mme Savage et Mme Lockhart ont rencontré M. Campbell au sujet de son rendement. La carte de pointage de M. Campbell pour le quatrième trimestre, du 1er août au 31 octobre 2013, indiquait qu’il n’avait pas répondu aux attentes pour les critères de l’exactitude et de la qualité de l’appel, les deux cibles qui n’avaient pas été ajustées dans le cadre de son plan d’adaptation, bien qu’il ait atteint les cibles rajustées pour les prêts et le NRAH. Sa carte de pointage cumulative depuis le début de l’exercice, pour la période du 1er octobre 2012 au 31 octobre 2013, indiquait aussi qu’il n’avait pas répondu aux attentes pour tout l’exercice, car, bien qu’il ait satisfait aux autres paramètres, il n’avait pas atteint les cibles d’exactitude et de qualité de l’appel. Au cours de la réunion, le 27 novembre 2013, M. Campbell a signé ces deux cartes de pointage et, selon M. Bona, ils ont parlé avec M. Campbell du fait que les choses n’allaient pas bien pour lui et qu’ils voulaient l’aider à trouver un autre emploi à la CIBC avant la fin du mois de janvier 2014.

[75]  M. Campbell dit qu’il ne se souvient pas qu’ils lui aient dit avoir des doutes quant à la poursuite de son rôle au centre d’appels et, qu’ils ne lui ont pas offert un autre emploi à la CIBC. Selon lui, M. Bona lui a dit : [traduction] « Tu es parti », ce qui est, cependant, contesté par M. Bona et Mme Savage. M. Campbell convient bel et bien qu’ils lui ont accordé un certain temps en dehors du travail téléphonique pour trouver un nouvel emploi et l’ont orienté vers la page « myCareer » dans l’intranet de la banque pour l’aider à sa recherche d’emploi, quoiqu’il ait affirmé qu’il n’avait pas réussi à ouvrir une session. M. Bona et Mme Savage ont déclaré dans leur témoignage lui avoir dit que, s’il ne pouvait trouver un emploi au sein de la CIBC, ils lui fourniraient des ressources lui permettant de trouver un emploi à l’externe. Ils lui ont aussi recommandé de s’adresser au Programme d’aide aux employés. M. Campbell déclare ne pas pouvoir se souvenir de cela, parce que son frère venait juste de mourir, mais il dit qu’il se souvient de leur avoir demandé une lettre confirmant qu’il faisait objet d’une mise à pied, mais qu’ils la lui ont refusée. Mme Savage a déclaré qu’il avait demandé une lettre disant qu’il recevrait une indemnité de départ, mais que la banque ne pouvait convenir de lui donner une telle lettre, parce qu’il n’avait pas mis fin à son emploi à ce moment‑là. Aucune décision n’avait donc été prise au sujet d’une indemnité de départ.

[76]  Lorsqu’on lui a demandé s’il avait postulé pour d’autres emplois à la CIBC après cette réunion, M. Campbell a demandé la raison pourquoi ils l’auraient engagé quand ils venaient juste de le congédier. M. Campbell a effectivement rencontré un conseiller d’orientation de carrière dont les services avaient été retenus par la banque en janvier 2014.

[77]  Le 2 janvier 2014, Mme Savage a préparé un examen du cas concernant M. Campbell. Elle a déclaré dans son témoignage que ce document était à l’intention de la direction pour appuyer l’offre d’une indemnité de départ à M. Campbell. Selon l’examen du cas, il avait fallu gérer le cas de M. Campbell pour son rendement et sa conduite non professionnelle tout au long de son emploi à la CIBC, y compris six lettres d’avertissement pour rendement, deux lettres d’avertissement pour conduite non professionnelle auprès de clients, une lettre pour usage inacceptable d’un téléphone cellulaire détaillant aussi  le placement en programme d’amélioration du rendement trois fois tout au long de son emploi. Elle note qu’il avait reçu la cote de rendement [traduction] « Ne répond pas aux attentes » ou [traduction] « Indéterminée » pendant les six années précédentes. Elle mentionne dans l’examen du cas qu’il avait subi de graves lésions cérébrales lors d’un accident d’automobile avant son entrée à la CIBC, et elle décrit les efforts d’adaptation et le fait que M. Campbell n’a pas participé pleinement à ces efforts. L’examen du cas conclut que, en raison de préoccupations constantes au sujet de son effet sur la réputation de la banque, il ne convenait plus au poste qu’il occupait.

I.  La cessation d’emploi

[78]  Le 15 janvier 2014, M. Campbell a reçu une lettre de cessation d’emploi de la CIBC disant : [traduction] « Comme à la suite de nos discussions régulières, nous continuons d’éprouver de sérieuses préoccupations quant à votre rendement. Par conséquent, la présente lettre confirme que votre emploi à la CIBC prendra fin le 12 février 2014. » La lettre précise qu’il continuera d’être payé pendant quatre semaines au cours desquelles il pourra chercher un emploi, qu’il recevra une indemnité de départ de 36 semaines de paie tenant lieu de préavis et que la CIBC continuera de lui offrir un soutien de placement externe pendant deux autres mois pour qu’il trouve un autre emploi. On lui offrait également une allocation de formation pour les programmes de recyclage. Ces programmes sont admissibles d’un montant maximal de 2 500 $ avec lequel il pourrait se prévaloir pendant un maximum de 12 mois.

[79]  Lorsqu’on a demandé à Mme Savage comment la CIBC pouvait générer une cote pour M. Campbell les troisième et quatrième trimestres de l’exercice 2013 (du 1er mai au 31 octobre 2013), alors qu’il était en congé de soignant pendant une grande partie de cette période, elle a répondu qu’il avait travaillé au moins 150 heures au téléphone pendant chacun de ces trimestres, ce qui est le nombre minimal d’heures que la banque exige dans tous ses centres d’appels pour coter le rendement d’un employé.

[80]  Mme Savage a aussi déclaré dans son témoignage que la dernière mesure d’adaptation mise en œuvre pour M. Campbell était le rajustement des cibles, qui a commencé au début du troisième trimestre de l’exercice 2013 (1er mai 2013). Elle a précisé que la CIBC a pour pratique d’accorder aux employés des cibles de rendement qui sont rajustées durant un trimestre entier au cours duquel elle établit la cote [traduction] « Indéterminée », afin de leur donner le temps de s’ajuster aux nouvelles cibles. Ensuite, elle applique les cotes établies le trimestre suivant. Par conséquent, pour le troisième trimestre de M. Campbell, du 1er mai au 31 juillet 2013, il avait reçu la cote [traduction] « Indéterminée », parce qu’il s’ajustait à ses nouvelles cibles. Ensuite, le quatrième trimestre du 1er août au 31 octobre 2013, la CIBC s’attendait à ce qu’il réponde aux attentes. Cependant, dans son cas, en octobre 2013, malgré toutes les mesures d’adaptation instituées pour lui, y compris les cibles rajustées, il a encore eu deux appels qui ont donné lieu à des plaintes de clients, et son comportement au cours de ces appels constituait une inconduite grave du point de vue de la banque. La CIBC était d’avis qu’il ne pouvait pas répondre aux attentes pour le quatrième trimestre, compte tenu de ces deux appels.

[81]  Quand on lui a demandé ce qu’il avait entrepris au cours des quatre semaines après la suite de la lettre de cessation d’emploi, M. Campbell a dit qu’il avait travaillé avec son conseiller d’orientation professionnelle, avait cherché un emploi dans le secteur banquier, puis s’était appuyé sur son grade d’enseignant pour redevenir enseignant suppléant, parce qu’il avait besoin de travail. Il ne se souvenait pas s’il avait postulé pour d’autres emplois que l’enseignement en suppléance et il a déclaré qu’il n’avait pas postulé pour un emploi dans le secteur banquier en raison de son expérience à la CIBC.

[82]  Cependant, il a dit qu’il voulait récupérer son emploi à la CIBC, parce qu’il était [traduction] « génial » dans ce qu’il faisait. Lorsqu’on lui a demandé, en contre‑interrogatoire, comment il s’en tirerait dans le rôle de RSBP maintenant que celui‑ci était axé exclusivement sur le service au client, et non pas sur les ventes, laissant entendre que c’était sur ce plan que se situait sa faiblesse, il a répondu ceci : [traduction] « J’étais génial après m’être remis de la mort de mon frère. J’ai dépassé les attentes [dans ma dernière carte de pointage]. » La carte de pointage dont M. Campbell parle, qu’il a présentée en preuve à l’audience, indique qu’elle porte sur le premier trimestre de l’exercice 2013, durant le 1er novembre au 8 décembre, quoiqu’il doive s’agir en réalité de l’exercice 2014 puisque c’est la période à laquelle il fait allusion, et l’exercice 2013 s’est terminé le 31 octobre 2013. À l’encontre de toutes les autres cartes de pointage présentées en preuve par les parties durant l’audience, cette carte de pointage n’est ni signée ni datée. La CIBC n’a pas pu trouver cette carte de pointage dans ses propres dossiers. À la demande de l’avocat de M. Campbell, après le témoignage de Mme Savage, la CIBC a fourni le nombre d’heures de travail de M. Campbell au téléphone en novembre et décembre 2013, ainsi qu’en janvier 2014, pour un total de 118,9 heures pour ces trois mois. Cela étant, il n’avait pas travaillé le nombre minimal de 150 heures requis par la CIBC pour recevoir une cote trimestrielle.

[83]  Lorsqu’on lui a demandé pourquoi M. Campbell n’avait pas fait l’objet d’une cessation d’emploi « motivée », Mme Savage a déclaré dans son témoignage qu’au lieu de reprendre le processus de discipline progressive, la CIBC voulait adopter une démarche qui appuierait davantage M. Campbell et qui l’aiderait à faire la transition vers un autre emploi.  C’était la raison pour laquelle on lui avait offert une indemnité de départ ainsi que du temps et de l’aide pour sa recherche d’emploi.

IV.  Analyse

[84]  Dans la présente section, j’examinerai et trancherai chacune des questions énoncées plus haut.

A.  Puis‑je m’appuyer sur les principes de droit du travail, et quel poids, le cas échéant, devrais‑je attribuer à la preuve se rapportant au rendement de M. Campbell pendant toute la durée de son emploi à la CIBC?

[85]  Dans le cadre de la preuve qu’elle a présentée à l’audience, la CIBC a déposé plus de 300 pages de notes d’encadrement pour M. Campbell pour la période allant de septembre 2008 à octobre 2013. M. Campbell s’est opposé à la tentative par la CIBC de produire une preuve se rapportant à son comportement dans le milieu de travail, surtout avant 2010, faisant valoir que, comme il n’avait pas fait l’objet d’une cessation d’emploi « motivée », son rendement était sans pertinence au titre des principes fédéraux de droit du travail. J’ai accepté d’admettre la preuve de la CIBC concernant le rendement de M. Campbell tout au long de sa période d’emploi, et j’ai précisé que je lui attribuerais le poids approprié dans ma décision. Pour ce faire, je dois traiter de l’argument selon lequel les principes de droit du travail sont pertinents dans le cas de la présente plainte.

[86]  M. Campbell soutient que les employeurs assujettis à la réglementation fédérale doivent alléguer un « motif valable » ou ils ne peuvent mettre fin à une relation d’emploi. Les principes de droit du travail sur lesquels M. Campbell s’appuie, reposent sur une loi fédérale : le Code canadien du travail (le CCT). J’ai été informée que M. Campbell avait déposé une plainte sous le régime du CCT en même temps qu’il avait déposé sa plainte en matière de droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), mais que l’audition de la plainte au titre du CCT avait été suspendue à la demande de la CIBC, en attendant le résultat de la plainte en matière de droits de la personne. Une copie de la décision de l’arbitre Peter Seheult, datée du 5 mai 2015, est jointe aux observations en réplique de M. Campbell. Cette décision a été rendue pendant que la plainte en matière de droits de la personne était encore à l’étude par la Commission.

[87]  Selon la décision de l’arbitre Seheult, comme M. Campbell n’était pas un employé syndiqué, sa plainte était déposée en vertu de l’article 240 du CCT, qui permet à toute personne employée depuis au moins 12 mois de déposer une plainte si elle « se croit injustement congédiée ». Le paragraphe 241(1) permet à la personne congédiée de demander par écrit les motifs du congédiement. Si la plainte ne peut être réglée, un arbitre peut être nommé pour entendre et trancher la plainte et décider si le congédiement était injuste [5] . L’alinéa 242(3.1)b) du CCT prévoit que l’arbitre ne pourra procéder à l’instruction de la plainte si le CCT ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

[88]  Selon la décision de l’arbitre Seheult, la CIBC a soulevé une objection préliminaire selon laquelle celui-cil n’aurait pas compétence de trancher la plainte aux termes de l’alinéa 242(3.1)b) du CCT. Il est clair d’après la décision que cette disposition du CCT est semblable aux alinéas 41(1)a) et b) [6] ainsi que 44(2)a) et b) [7] de la Loi canadienne sur les droits de la personne, des dispositions qui visent à empêcher le gaspillage des ressources administratives ou quasi judiciaires en évitant la multiplicité des instances découlant d’une même situation factuelle. L’arbitre Seheult a décidé qu’il n’avait pas compétence d’instruire la plainte tant que celle‑ci était encore devant la Commission. Il a convenu de suspendre l’instruction au titre du CCT tant que la Commission ne lui a pas renvoyé l’affaire au titre de la disposition applicable de la Loi. Le 4 octobre 2017, la Commission a demandé au Tribunal d’instruire la plainte. Je n’ai reçu aucun autre renseignement concernant la plainte au titre du CCT.

[89]  Bien que M. Campbell semble convenir que la compétence appropriée – pour déterminer si son congédiement était « injuste » au titre du CCT – est un arbitre nommé conformément à cette loi, il persiste à faire valoir que la CIBC ne peut s’appuyer sur son rendement au travail pour se défendre contre sa plainte en matière de droits de la personne. M. Campbell affirme que la CIBC tente d’articuler la présente cause sur la question de savoir si un employé bénéficiant de mesures d’adaptation peut être congédié pour cause d’inconduite ou de piètre rendement. Mais, il ajoute que cela est [traduction] « sans aucune pertinence », parce que la CIBC n’a pas mis fin à l’emploi de M. Campbell pour des motifs de rendement ou d’inconduite. Il fait valoir que je ne devrais accorder aucun poids au contenu des dossiers de gestion du rendement précédent 2010, conformément aux [traduction] « principes de droit du travail [qui] sont fondamentalement importants en l’espèce ». Il se fonde sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée [8] , affirmant que cela [traduction] « appuie la proposition selon laquelle la cessation d’emploi de [M. Campbell] par la CIBC, sans motif, sous réserve d’un préavis raisonnable (qu’elle n’a pas fourni) va à l’encontre » du CCT.

[90]  M. Campbell fait valoir que je devrais appliquer la règle de la common law en matière de conclusion défavorable à la façon dont la CIBC tente de prouver sa cause, de sorte que la banque ne puisse se défendre contre la plainte. Dans ses observations en réplique, M. Campbell affirme que la stratégie de la CIBC est [traduction] « abusive », parce qu’elle [traduction] « favorise la cessation d’emploi sans motif valable », en contravention du CCT, et parce que la CIBC [traduction] « a refusé qu’une décision soit rendue sur la question du motif valable, au titre d’une violation du Code canadien du travail, jusqu’à ce que la question des allégations de discrimination ait été tranchée ». M. Campbell fait valoir [traduction] « [qu’]avancer des moyens de défense insoutenables est digne de mention et mérite une sanction ».

[91]  Selon la CIBC, qu’elle décide d’alléguer un motif de congédiement ou non [traduction] « est sans aucune pertinence pour la présente instance au titre de la » Loi canadienne sur les droits de la personne. Je suis d’accord. Les tribunaux administratifs créés par une loi, comme le Tribunal canadien des droits de la personne, ne possèdent aucune compétence inhérente [9] . Comme tous les tribunaux administratifs, il est le produit d’une loi qui lui confère sa compétence, loi créant le régime fédéral des plaintes en matière de droit de la personne. Le CCT, pour sa part, établit un système auquel les employés non syndiqués du secteur fédéral peuvent recourir pour se plaindre s’ils estiment qu’ils ont été injustement congédiés. Cependant, si un arbitre nommé au titre du CCT peut appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, je suis d’avis que le Tribunal canadien des droits de la personne ne peut appliquer le CCT de façon similaire.

[92]  L’arbitre Seheult se reporte à l’applicabilité de la Loi canadienne sur les droits de la personne à certaines plaintes sous le régime du CCT, citant la décision de la Cour fédérale dans MacFarlane c. Day & Ross Inc. (Day & Ross) [10] . Dans cette affaire, le juge Mainville déclare que la compétence d’un arbitre nommé en vertu du paragraphe 242(1) du CCT est « accessoire » à celle de la Commission canadienne des droits de la personne et du Tribunal. Ainsi, si la Commission décide de renvoyer une plainte à un arbitre nommé au titre du CCT, étant convaincu que la plainte pourrait plus avantageusement être instruite dans ce contexte, « l’arbitre désigné en vertu du Code canadien du travail pourrait connaître des allégations relatives aux droits de la personne dans la mesure où elles se rapportent au congédiement injuste qu’il a été chargé de juger par suite de sa désignation comme arbitre [11]  ». Le juge Mainville poursuit en disant :

[76] Aux termes de l’alinéa 242(3)a) du Code canadien du travail, l’arbitre « décide si le congédiement était injuste ». Le congédiement effectué en violation des droits de la personne d’un employé est manifestement « injuste » au sens de cette disposition du Code, et je n’arrive pas à comprendre pourquoi un arbitre ne pourrait parvenir à cette conclusion. De toute évidence, la décision de l’arbitre en pareil cas est effectuée en vertu des dispositions applicables du Code canadien du travail, et les mesures de réparation que l’arbitre peut ordonner sont celles que prévoit le Code et non celles qui sont prévues par une autre loi comme la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutefois, le concept de « congédiement injuste » n’a pas pour effet d’exclure toute prise en considération des motifs du congédiement qui reposent sur des violations des droits de la personne lorsque l’arbitre est régulièrement saisi en vertu de l’alinéa 41(1)b) ou de l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[N
on souligné dans l'original.]

[93]  Le juge Mainville poursuit sa conclusion qu’un arbitre a compétence pour statuer sur un grief découlant d’une violation des lois ayant trait aux droits de la personne, même si ces droits contredisent une convention collective [12] . En effet, ce principe devrait s’appliquer « avec encore plus de force dans les cas où […] il n’y a pas de convention collective qui empêche l’application du droit garanti par la loi de ne pas être congédié pour des motifs de distinction illicite [13]  ». Il conclut ainsi :

[82] À mon avis, ce n’est pas parce qu’on ne trouve pas, dans le Code canadien du travail, de disposition conférant expressément à l’arbitre le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les lois relatives aux droits de la personne ou toute autre loi que l’arbitre n’a pas ce pouvoir. Ce pouvoir lui est implicitement conféré à l’alinéa 242(3)a) du Code canadien du travail, qui lui donne le pouvoir de décider si le congédiement est « injuste » et qui l’habilite à rendre une décision ayant force obligatoire sur la question.

[94]  Il est important de noter que le CCT établit deux types de décideurs : les tribunaux spécialisés, qui examinent les plaintes des employés assujettis à une convention collective, et les arbitres spéciaux, qui examinent les plaintes des employés non syndiqués. Dans l’arrêt Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, la Cour d’appel fédérale a déclaré :

[…] [L]orsque le Parlement a créé, que ce soit dans le Code canadien du travail ou ailleurs, des tribunaux spécialisés chargés d'examiner certains aspects des relations de travail, il ne saurait avoir conféré une compétence concurrente permettant aux arbitres spéciaux d'examiner la même question. À mon avis, la procédure prévue à la partie III aux fins du dépôt des plaintes de congédiement injuste par des employés non syndiqués et de l'audition de ces plaintes par un arbitre devrait être considérée comme une procédure résiduelle visant à offrir une réparation dans les cas où ce recours n'est pas disponible autrement. Il me semble que c'est là le sens clair de l'alinéa 242(3.1)b) [14] .

 

[95]  Le Tribunal canadien des droits de la personne est un des « tribunaux spécialisés » établis par le Parlement.

[96]  Je ne peux accepter l’affirmation par M. Campbell que la stratégie de la CIBC dans le cadre de ce litige a été abusive pour lui, du fait qu’elle a [traduction] « refusé » de régler d’abord la plainte au titre du CCT. La CIBC a adopté une position par rapport à la plainte au titre du CCT, comme elle avait le droit de le faire, et l’arbitre Seheult a décidé qu’il n’avait seulement compétence pour examiner la plainte que si la Commission la lui renvoyait. Dans la décision Day & Ross, le juge Mainville conclut que les plaintes portant sur des actes discriminatoires qui pourraient être entendues par un arbitre sous le régime du CCT doivent être déposées auprès de la Commission des droits de la personne, et l’affaire ne peut procéder au titre du CCT que si la Commission en décide ainsi, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi [15] . Il cite avec approbation la Cour d’appel fédérale qui déclare au paragraphe 18 de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Boutilier [16]  :

Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne constituent d'importants pouvoirs discrétionnaires dans la gamme des mécanismes mis à la disposition de la Commission pour lui permettre d'assumer son rôle dans le traitement d'une plainte et, dans les cas appropriés, d'obliger le plaignant à épuiser les procédures de règlement des griefs. Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) indiquent également que le législateur a expressément envisagé la possibilité que des conflits ou des chevauchements se produisent entre des procédures de règlement des griefs prescrites par différentes lois, comme celle qui est prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et les procédures et pouvoirs législatifs prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne concernant le traitement des plaintes au sujet d'actes discriminatoires. En cas de conflit ou de chevauchement, donc, le législateur a choisi d'autoriser la Commission, aux termes des alinéas 44(1)a) et 44(2)a), à déterminer si la question devrait être réglée comme un grief en vertu de l'autre loi comme la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou en tant que plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, la capacité de la Commission de prendre une telle décision va de pair avec son rôle crucial dans la gestion et le traitement des plaintes portant sur des actes discriminatoires.

[97]  Dans la décision Day & Ross, le juge Mainville considère ces raisons impérieuses et déclare qu’il faudrait les « étendre à l’interprétation de l’interaction entre l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail et les alinéas 41(1)b) et 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne [17]  ».

[98]  Je refuse de tirer une conclusion défavorable en lien avec la prétention de M. Campbell, selon laquelle la CIBC a insisté pour que la présente affaire soit entendue dans le cadre du système des droits de la personne, par opposition au régime du CCT. Le CCT et la jurisprudence citée en référence dans la décision de l’arbitre Seheult établissent clairement que c’est à la Commission de décider si la tribune appropriée pour l’examen d’une plainte particulière est un tribunal spécialisé en matière de droit de la personne ou une [traduction] « procédure résiduelle » destinée aux employés non syndiqués auxquels ne s’offre aucun autre mécanisme de plainte.

[99]  La Cour suprême du Canada a examiné et confirmé la compétence d’autres tribunaux administratifs d’examiner et d’appliquer les lois sur les droits de la personne. Dans l’arrêt Charette [18] , la Cour a fait remarquer que le fait de permettre à de nombreux intervenants administratifs d’appliquer les lois sur les droits de la personne encourageait une culture générale de respect des droits de la personne dans le système administratif. Elle conclut que le Tribunal de l’aide sociale de l’Ontario avait compétence pour prendre en considération le Code des droits de la personne de l’Ontario dans le cadre de son rôle décisionnel. De plus, la Cour suprême a déclaré que « la caractéristique la plus importante du Code pour les besoins du présent pourvoi est qu’il s’agit d’une loi fondamentale, quasi constitutionnelle […] », à laquelle il faut donner « une interprétation libérale et téléologique, dans le but de protéger largement les droits des personnes visées […] [19]  ». Comme la Charte canadienne des droits et libertés et les lois sur les droits de la personne, il doit « être reconnu comme une loi pour le peuple […] [20]  ».

[100]  Si la capacité des tribunaux administratifs d’examiner et d’appliquer les lois sur les droits de la personne dans le contexte de leurs rôles décisionnels est bien établie, la réciproque n’est pas vraie. Il ne m’a été conféré aucun pouvoir de déclarer que la capacité d’appliquer le CCT et les principes de droit du travail a été conférée de la même façon au Tribunal canadien des droits de la personne.

[101]  Bien que cela ne se rapportait pas directement à l’affaire qu’il examinait, le juge Mainville a déclaré ce qui suit dans la décision Day & Ross : « […] il est vrai que la charge de la preuve incombe à différentes personnes selon que la plainte est examinée en vertu du Code canadien du travail ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et qu’il puisse être plus ardu de plaider certains principes du droit du travail lorsque l’instance est introduite sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne – une question sur laquelle je ne me prononce pas […] [21]  ». Dans Bouvier c. Métro Express [22] , le Tribunal a déclaré :

Pour ce qui est de l'application du Code canadien du travail, il semble bien que nous n'ayons pas compétence à cet égard. Le mandat d'un tribunal des droits de la personne découle de la combinaison de plusieurs dispositions de la LCDP. Ainsi, les art. 49 et 50 précisent qu'un tribunal est chargé d'examiner la plainte qui lui est présentée par la Commission des droits de la personne. Une telle plainte doit quant à elle, si on s'en rapporte aux art. 4 et 39, porter sur un « acte discriminatoire », c'est‑à‑dire sur l'un ou l'autre des actes décrits aux art. 5 à 14 de la Loi. En d'autres termes, le mandat d'un tribunal des droits est d'appliquer sa loi habilitante. Il n'a aucune compétence en ce qui concerne l'application du Code canadien du travail […]

[102]  Je ne suis pas d’accord avec M. Campbell pour dire que je ne devrais accorder aucun poids à la preuve présentée par la CIBC à l’appui de sa défense, simplement parce qu’il prétend que la cessation de son emploi était illicite au titre du CCT. Or, cette preuve voulait établir que la cessation d’emploi de M. Campbell n’était pas discriminatoire. Je dois déterminer si la CIBC a contrevenu à la Loi canadienne sur les droits de la personne, et non pas au Code canadien du travail. M. Campbell a le fardeau d’établir une preuve prima facie de discrimination, et la CIBC a le droit de répondre à cette plainte en réfutant les allégations de discrimination faites par M. Campbell.

[103]  Dans son exposé introductif, l’avocat de M. Campbell a déclaré que le rendement de son client a été régulier tout au long de son emploi à la CIBC. La CIBC a le droit de présenter une preuve pour contester cela. Aussi, en l’espèce, M. Campbell allègue que la cessation de son emploi était discriminatoire, parce qu’il faisait encore l’objet de mesures d’adaptation et parce que les comportements pour lesquels il a été congédié sont liés à sa déficience. La CIBC fait valoir que, pour déterminer s’il y a eu discrimination dans le milieu de travail, le Tribunal doit prendre en compte le contexte global de la relation d’emploi. La CIBC affirme qu’il est important que le Tribunal soit conscient de tout ce qu’elle a fait dès le premier jour pour tenter de maintenir une relation d’emploi avec M. Campbell. Elle affirme que, bien qu’il n’ait pas fait l’objet d’un congédiement « motivé », la lettre de cessation d’emploi fait mention de problèmes de rendement graves et continus, et qu’elle a donc le droit de présenter la preuve de ces problèmes de rendement. La CIBC maintient que je dois déterminer quels problèmes de rendement, le cas échéant, se rapportaient à la déficience de M. Campbell, et quelle était simplement la façon dont il préférait agir. Elle fait valoir que M. Campbell a fait l’objet de mesures disciplinaires pour certains problèmes de rendement dès 2004, et que ces mêmes problèmes ont persisté jusqu’en 2013, quand la CIBC l’a rencontré en novembre pour l’informer qu’elle tenterait de l’aider à trouver un autre emploi.

[104]  L’avocat de M. Campbell a mentionné dans son exposé introductif que le rendement de son client avait été régulier tout au long de son emploi. En ce qui concerne la preuve de son rendement avant 2010, en fin de compte, cela n’a pas eu une importance capitale dans son argumentation, pas plus que dans la réponse de la CIBC à la plainte. Ainsi, j’attribue très peu de poids à toute preuve se rapportant à un mauvais rendement de M. Campbell avant 2010. J’accorde cette décision seulement dans le but de reconnaître l’existence de certains problèmes de rendement se rapportant à des remarques non professionnelles et à l’omission d’utiliser l’OSA avant la mise en œuvre du processus d’adaptation.

[105]  Je ne suis pas d’avis que le CCT et les principes de droit du travail écartent le droit de la CIBC de présenter une défense légitime sous le régime de la Loi. Je ne suis pas aussi d’avis que la défense de la CIBC contre la plainte est [traduction] « abusive » ou mérite une sanction. La preuve relative au rendement de M. Campbell au travail est pertinente pour la réponse de la CIBC à la plainte en matière des droits de la personne. Par conséquent, j’ai décidé d’accorder toute sa valeur à la preuve relative au rendement de M. Campbell de 2010 jusqu’à la cessation de son emploi en 2014, y compris les notes d’encadrement et les autres éléments de preuve documentaire et orale.

B.  M. Campbell a‑t‑il prouvé selon la prépondérance des probabilités que la CIBC avait fait preuve de discrimination à son égard?

(i)  Le cadre juridique

[106]  Dans sa plainte en matière de droits de la personne, M. Campbell allègue une discrimination en lien avec son emploi, fondée sur sa déficience, en contravention du paragraphe 3 et des alinéas 7a) et 7b) de la Loi.

[107]  Il est bien établi que le Tribunal, comme tous les autres tribunaux en matière de droits de la personne au Canada, doit appliquer une analyse à deux volets pour connaître les plaintes de discrimination dans l’emploi.

(a)  Le premier volet : discrimination prima facie

[108]  Tout d’abord, le plaignant doit établir ce que la Cour suprême du Canada désigne comme étant une « preuve prima facie » de discrimination [23] . Bien que l’expression « prima facie » ne soit pas utilisée dans la Loi, cette dernière établit, aux articles 3 et 7, les éléments que le plaignant doit présenter afin de démontrer qu’il a fait l’objet de discrimination dans l’emploi [24] .

[109]  Pour que le Tribunal juge qu’un plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, ce dernier doit démontrer :

  • 1) qu’il possède une caractéristique protégée par la Loi contre la discrimination;

  • 2) qu’il a subi un effet préjudiciable au sens de l’article 7 de la Loi;

  • 3) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable [25] .

[110]  Pour répondre au troisième critère, le plaignant doit démontrer un lien entre les deux premiers éléments, c’est‑à‑dire le motif de distinction illicite et l’effet préjudiciable. Le Tribunal a déclaré :

Il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un « lien de causalité », car les agissements de l’intimé peuvent s’expliquer par diverses raisons. Autrement dit, il n’est pas nécessaire que le motif de distinction illicite soit l’unique mobile des agissements reprochés pour que la plainte soit accueillie. Il suffit que le motif de distinction illicite soit l’un des facteurs ayant contribué aux agissements reprochés [26] .

[111]  La Cour suprême a déclaré que « [l]e point de savoir si une caractéristique protégée est, ou non, un facteur de l’effet préjudiciable dépend des faits et doit être évalué au cas par cas » [27] .

[112]  Le plaignant doit établir cette preuve prima facie selon la prépondérance des probabilités [28] , ce qui signifie que le Tribunal doit déterminer que, selon toute vraisemblance, les faits ont été effectivement ceux décrits par le plaignant [29] . La preuve de l’intention discriminatoire de l’intimée n’est pas requise pour démontrer l’existence d’une discrimination prima facie [30] .

[113]  Le Tribunal peut prendre en compte tous les éléments de preuve dont il dispose pour déterminer s’il y a eu discrimination prima facie [31] . Cela comprend forcément la preuve de l’intimé qui, comme l’a confirmé la Cour suprême dans Bombardier, peut présenter en réponse à une plainte de discrimination soit des éléments de preuve réfutant l’allégation, soit une défense justifiant la discrimination (c’est–à–dire une défense prévue par la loi, comme l’exigence professionnelle justifiée [EPJ]), ou les deux [32] .

[114]  L’intimé peut réfuter les allégations de discrimination prima facie en de nombreuses façons. Par exemple, il peut présenter une preuve réfutant l’allégation que le plaignant possède une caractéristique protégée au titre de la Loi, ou que celui-ci a subi un effet préjudiciable. De plus, il peut offrir une explication de la conduite que le plaignant qualifie de discriminatoire pour nier le lien allégué entre le motif de distinction illicite et l’effet préjudiciable. Lorsqu’un intimé réfute l’allégation de discrimination, il doit fournir une explication raisonnable qui ne peut être un « prétexte » – ou une excuse – pour dissimuler l’acte discriminatoire [33] .

(b)  Le deuxième volet 2 : justification de la conduite discriminatoire alléguée

[115]  Le Tribunal n’entreprend le deuxième volet – de l’analyse à deux volets – que si le plaignant établit une preuve prima facie qu’il y a eu discrimination. Une fois cette preuve prima facie établie, le fardeau de la preuve passe à l’intimé qui doit « […] justifier sa décision ou sa conduite en invoquant les exemptions prévues par la loi sur les droits de la personne applicables ou celles développées par la jurisprudence [34]  ». Par exemple, un employeur qui invoque la défense de l’EPJ au titre de l’article 15 de la Loi [35] devra démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a pris toutes les mesures d’adaptation de l’employé qu’il pouvait prendre sans qu’il résulte une contrainte excessive. Si l’intimé ne peut justifier la conduite discriminatoire, il sera conclu qu’il y a eu discrimination.

(ii)  La cessation d’emploi discriminatoire au titre de l’alinéa 7a) de la Loi

[116]  Selon l’alinéa 7a) de la Loi, « [c]onstitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : […] de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu […] ».

(a)  La position de M. Campbell

[117]  M. Campbell dit que certains faits sont non contestés et appuient une conclusion de discrimination prima facie, y compris le fait que la CIBC croyait que son rendement était lié à une déficience, ce qui est appuyé par une preuve médicale. Dans ses observations en réplique, M. Campbell dit que l’enquête médicale entreprise par la CIBC pour l’évaluer [traduction] « a confirmé que [ses] remarques spontanées inappropriées étaient liées à une déficience et qu’elles étaient non délibérées ».

[118]  Après avoir procédé à une enquête pour déterminer s’il fallait lui fournir des mesures d’adaptation, il dit que, la CIBC a mis en œuvre [traduction] « certaines stratégies d’adaptation dégagées par ses experts médicaux ». Puis, la Banque a mis fin à son emploi durant une période d’adaptation.

[119]  Il dit qu’il a été mis fin à son emploi [traduction] « en raison, particulièrement, de sa déficience ».Il le déclare puisque ses lésions cérébrales et son adaptation dans le milieu de travail étaient mentionnées dans l’examen du cas de la CIBC, daté du 2 janvier 2014, préparé avant sa lettre de cessation d'emploi du 15 janvier 2014.

[120]  M. Campbell fait valoir que la discrimination prima facie est établie, lorsqu’il y a un lien entre le rendement et la déficience, comme dans le cas présent, et que l’employé est congédié.

(b)  La position de la CIBC

[121]  La CIBC fait valoir que M. Campbell ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver la discrimination prima facie. Elle affirme qu’elle a mis fin à son emploi pour des raisons d’affaires légitimes non discriminatoires à la suite d’une inconduite grave. La CIBC soutient que la preuve ne démontre pas que sa déficience était un facteur dans la cessation de son emploi.

[122]  La CIBC dit que l’emploi de M. Campbell a évolué au fil du temps. L’accent était initialement mis sur la vente et il excellait dans ce domaine. Quoique, durant son parcours à la CIBC, la Banque a remanié le tir en faisant de la qualité du service auprès des clients une priorité. Elle a changé la façon dont le rendement des employés était évalué, et M. Campbell a eu beaucoup de difficulté à répondre à l’exigence de [traduction] « qualité ». Au fur et à mesure que cette dernière prenait de l’importance, le comportement de M. Campbell au travail devenait de plus en plus problématique.

[123]  La CIBC soutient que, bien que M. Campbell ait eu des problèmes de rendement nécessitant des mesures disciplinaires et une gestion tout au long de son emploi, ses problèmes se sont aggravés de façon marquée en 2010. Ainsi, la CIBC a lancé un processus d’enquête pour déterminer s’il avait une déficience qui influençait son rendement au travail, et a exercé tout en son pouvoir pour établir des mesures d’adaptation. La CIBC affirme qu’elle a suivi un processus détaillé pour essayer de maintenir l’emploi de M. Campbell, mais après un certain nombre d’années, elle a dû mettre fin à la relation d’emploi en raison des risques en matière de réputation, de finances et de droit qu’il posait pour la banque.

[124]  La CIBC dit que c’est au Tribunal que revient la responsabilité de décider quels aspects de la conduite problématique de M. Campbell au travail se rapportaient à sa déficience, s’ils existent. Elle a pour position que les comportements problématiques décelés dans les appels auprès des clients ne se rapportent pas à sa déficience, mais représentent simplement la façon dont il préfère travailler. Elle déclare que ces mêmes comportements se sont manifestés tout au long de son emploi. Elle ajoute qu’en dépit du fait qu’elle aurait pu mettre fin à son emploi quand ses plans de gestion du rendement ont été adoptés, elle estimait qu’il était capable de s’améliorer et d’accomplir le travail conformément aux exigences s’il choisissait de le faire. Cependant, il est toujours revenu à la façon de fonctionner qu’il préférait.

[125]  La CIBC dit que deux clients se sont plaints du comportement et des remarques de M. Campbell au téléphone, en octobre 2013, après plus d’une année et demie écoulée dans son plan d’adaptation – en plus de nombreuses années de gestion du rendement pour les mêmes problèmes. La CIBC affirme que c’est cette inconduite grave de la part de M. Campbell qui a provoqué sa décision d’entreprendre un processus pour l’aider à trouver un autre emploi.

[126]  La CIBC fait valoir que, si je conclus que la conduite qui a donné lieu à la cessation de son emploi n’était pas liée à sa déficience, mais représentait simplement la façon dont il préférait fonctionner, je ne peux conclure que la cessation de son emploi était discriminatoire et contraire à la Loi.

(c)  Les allégations de nouveaux éléments de preuve

[127]  En réponse aux observations en réplique de M. Campbell, la CIBC a soulevé une objection à ce qu’elle a qualifié de [traduction] « nouvelles allégations, non soulevées dans les observations du plaignant postérieures à l’audience », ni dans l’exposé introductif ou dans la preuve présentée durant l’audience. Plus précisément, la CIBC s’oppose à l’affirmation par M. Campbell que sa déficience est à l’origine de [traduction] « remarques spontanées inappropriées » qui ne sont [traduction] « pas délibérées ». La CIBC dit que c’est une nouvelle allégation significative et que les conséquences d’une déficience sont au cœur de toute cause dans laquelle la discrimination fondée sur la déficience est alléguée. La CIBC dit que c’est inapproprié pour M. Campbell de soulever cette allégation dans ses observations en réplique, car elle n’a pas eu l’occasion d’y répondre ou de produire une preuve à l’audience pour réfuter l’allégation.

[128]  En réponse à cette allégation de nouveaux éléments de preuve, M. Campbell dit que les énoncés dans sa réplique sont en réponse à la position de la CIBC. Cette position avance que ses remarques inappropriées aux clients étaient tout simplement la façon dont il préférait fonctionner. Il dit que la CIBC s’inquiétait de ses remarques auprès des clients, qui sont la preuve de [traduction] « l’impulsivité comportementale » décrite par M. Turgeon. Selon lui, la CIBC soupçonnait que sa conduite [traduction] « n’était pas volontaire ni délibérée », ce qui explique la raison pour laquelle elle a lancé une enquête médicale, et non pas, comme celle qu’allègue la CIBC. Il appuie son argument sur le fait  qu’il avait informé ses superviseurs en septembre 2010 qu’il consultait des médecins au sujet de certains problèmes de santé. J’ai mentionné que je n’avais plus besoin d’autres arguments des parties au sujet de cette objection aux [traduction] « nouveaux éléments de preuve », et que j’examinerais les allégations dans ma décision.

(iii)  Analyse relative à l’alinéa 7a)

[129]  En fonction du cadre juridique établi ci‑dessus, je dois d’abord décider si M. Campbell a établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’alinéa 7a) de la Loi. Je ne peux pas déterminer à ce stade si les efforts d’adaptation de la CIBC suffisaient à constituer une défense aux termes de l’article 15 de la Loi, car faire cela serait prématuré en l’absence d’une conclusion de discrimination prima facie. Cependant, je ne peux déterminer si la déficience de M. Campbell était un facteur dans la décision de mettre fin à son emploi sans examiner certains aspects du processus d’adaptation. Mon analyse du processus d’adaptation à ce stade a pour seul objet de fournir un contexte quant au rendement de M. Campbell au travail et à la décision de la CIBC de le congédier.

[130]  En l’espèce, pour établir une preuve prima facie de discrimination, M. Campbell doit prouver que, selon la prépondérance des probabilités :

  • 1) il a une déficience;

  • 2) la CIBC a mis fin à son emploi;

  • 3) sa déficience était un facteur dans la décision de mettre fin à son emploi.

[131]  La CIBC ne conteste pas le fait que M. Campbell a une déficience et qu’il a été mis fin à son emploi. Je dois déterminer si la déficience de M. Campbell était un facteur dans la décision de la CIBC de mettre fin à son emploi, la rendant discriminatoire à première vue.

[132]  M. Campbell appuie de trois assertions principales son argument selon lequel il a fait l’objet d’une discrimination prima facie. Tout d’abord, il dit que la preuve médicale présentée durant l’enquête concernant sa plainte appuie son assertion selon laquelle son rendement était lié à sa déficience. En particulier, son assertion repose sur le fait que sa déficience l’a amené à faire des remarques spontanées inappropriées comme celles qu’il a faites dans les appels auprès des clients et qui ont mené, en fin de compte, à la cessation de son emploi. Selon sa deuxième assertion, sa déficience a été spécifiquement prise en compte dans la décision de mettre fin à son emploi. Il explique du fait que ses lésions cérébrales et son processus d’adaptation ont été mentionnés dans l’examen du cas établi avant sa lettre de cessation d’emploi. Troisièmement, il affirme que la cessation de son emploi ayant eu lieu durant le processus d’adaptation sous-entend que la décision de mettre fin à l’emploi était discriminatoire à première vue.

[133]  La CIBC fait valoir qu’il a été mis fin à son emploi en raison d’une inconduite grave qui a persisté durant une grande partie de sa période d’emploi à la CIBC, y compris durant le processus d’adaptation. Elle ajoute qu’il n’y avait pas de lien entre son comportement au travail et une déficience.

[134]  Je vais examiner chacun de ces arguments ci‑dessous.

(a)  La preuve médicale que ses remarques non professionnelles étaient liées à sa déficience

[135]  La CIBC allègue que M. Campbell a présenté un nouvel élément de preuve dans ses observations en réplique en déclarant que ses [traduction] « remarques spontanées non délibérées » étaient liées à sa déficience. Je vois cela, non pas comme une allégation par M. Campbell d’un nouveau sujet de déficience dans la réplique, mais plutôt comme la qualification de la preuve figurant dans le rapport de M. Turgeon, d’une façon qui ne peut être appuyée. Je ne souscris pas à l’idée de radier cet aspect des observations en réplique comme le demande la CIBC. D’ailleurs, je ne souscris pas non plus à la proposition de M. Campbell selon laquelle la preuve appuie une conclusion que, selon toute vraisemblance, ses remarques inappropriées au travail étaient liées à sa déficience.

[136]  M. Campbell laisse entendre que, M. Turgeon ayant conclu que son [traduction] « impulsivité comportementale devrait être la première chose à gérer dans le cadre de stratégies d’ergothérapie précises », cela signifie que ses remarques inappropriées aux clients découlent de sa déficience. En cherchant dans le rapport de M. Turgeon des mentions de l’impulsivité, je note qu’il a utilisé le [traduction] « Test de Conners sur le rendement continu, une évaluation numérisée de la capacité d’attention […] [qui] mesure le temps de réaction, la cohérence du temps de réaction, la modulation des réactions impulsives et la vigilance (attention soutenue) dans la détection de cibles clignotantes sur un écran d’ordinateur ». M. Turgeon conclut [traduction] « [qu’]il y avait suffisamment de signes d’impulsivité durant l’évaluation actuelle, et, comme M. Campbell a signalé des antécédents de symptômes du trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité durant l’enfance, il est probable qu’il continue de répondre aux critères du TDAH, principalement hyperactif-impulsif à l’heure actuelle, en plus de légers troubles cognitifs ». Il a aussi indiqué que [traduction] « M. Campbell ne présentait aucun des marqueurs principaux de l’impulsivité, étant donné que le nombre de ses erreurs de persévération ainsi que la combinaison de ses erreurs d’action et de son temps de réaction sont dans les limites normales ».

[137]  Aucune des deux parties n’a cité comme témoin M. Turgeon, ni d’autres experts en médecine ou neuropsychologie. Le Tribunal n’est pas expert en la matière, donc, en l’absence d’autres explications sur la façon dont les résultats de M. Turgeon se rapportent aux comportements problématiques précis de M. Campbell au travail, le rapport à lui seul n’est pas très utile en dehors des sections [traduction] « Sommaire et remarques » et « Recommandations ». Ces sections résument les résultats de tests et constituent la base d’un travail avec un ergothérapeute pour établir des mesures d’adaptation du lieu de travail.

[138]  Ainsi, je ne peux souscrire à l’affirmation de M. Campbell selon laquelle ce qu’il qualifie de [traduction] « remarques spontanées non délibérées » envers les clients est lié à sa déficience ou en constitue les conséquences. On ne m’a présenté aucune preuve qu’il s’agissait que M. Turgeon évaluait en termes d’impulsivité, et je ne suis pas disposée à accepter que le rapport appuie une telle constatation sans le témoignage de M. Turgeon. Comme M. Campbell a choisi de s’appuyer sur cet argument, il lui incombait de veiller à la production de la preuve nécessaire à l’audience pour prouver son allégation.

[139]  À la fin de l’audience, je n’avais comme preuve médicale de la déficience de M. Campbell que son propre témoignage et le rapport de M. Turgeon. Les éléments de preuve présentés par M. Campbell au sujet de sa déficience n’appuient pas la proposition selon laquelle ses remarques inappropriées aux clients se rapportaient à sa déficience. Son argument portant que ses remarques étaient [traduction] « non délibérées » et [traduction] « spontanées » serait plus logique s’il acceptait le fait que ses remarques étaient inappropriées et s’il regrettait de les avoir prononcées. Mais, tant les notes d’encadrement écrit par M. Bona que le propre témoignage de M. Campbell indiquent que celui–ci ne voyait vraiment rien de mal à avoir ce genre de conversations non professionnelles avec les clients. En effet,  cela représentait pour lui une façon d’établir un rapport en étant drôle ou en flirtant, ou encore en parlant de lui-même afin de vendre des produits financiers. Il a aussi déclaré dans son témoignage qu’il n’avait aucune mauvaise intention en tenant de telles conversations avec ses clients, et il a aussi laissé entendre que la maladie de son frère était en quelque sorte responsable de son comportement.

[140]  Son argument voulant que son comportement non professionnel était lié à sa déficience est en outre contredit par le témoignage tant de M. Bona que de M. Campbell, alors qu’il a été déclaré qu’il était capable de faire preuve de professionnalisme quand il le voulait, mais qu’il revenait toujours à sa façon préférée de fonctionner pour établir un rapport avec les clients.

(b)  L’inconduite grave était persistante tout au long de son emploi et ne se rapportait pas à une déficience, mais représentait simplement sa façon préférée de fonctionner.

[141]  Les allégations de la CIBC quant à l’inconduite de M. Campbell au travail ne se limitent pas à ses conversations non professionnelles avec des clients. Son refus constant d’utiliser l’OSA était en grande partie à l’origine de son inconduite au travail. Plutôt que d’utiliser l’OSA, il demandait à ses collègues comment accomplir certaines tâches. Cela causait du désagrément chez ses collègues qui trouvaient qu’il les dérangeait et s’appuyait sur eux pour faire son travail. En outre, il omettait souvent de valider l’identité des clients et de lire les énoncés de divulgation que la banque était légalement tenue de fournir aux clients au téléphone.

[142]  Des éléments de preuve montrent que, avant l’évaluation neuropsychologique et le processus d’adaptation, M. Campbell a reçu un encadrement sur l’utilisation de l’OSA dans le but de s’assurer qu’il suive les politiques et procédures de la CIBC. Cependant, il continuait à fonctionner comme il l’avait toujours fait, même après avoir reçu des années d’encadrement de la part de ses superviseurs et un plan d’adaptation visant à faire en sorte qu’il puisse bien faire son travail en dépit de sa déficience. Les notes d’encadrement, tout comme les témoignages de M. Bona et de M. Campbell même, démontrent que son rendement s’améliorait et il arrivait quelquefois à atteindre les cibles de qualité, lorsque M. Campbell utilisait l’OSA. Mais, il est toujours revenu à ses méthodes de vente préférées.

[143]  Comme il a été mentionné, M. Campbell s’est aussi fait dire à maintes reprises d’être plus professionnel dans ses conversations avec les clients, de s’abstenir de parler de sa vie personnelle ou de donner aux clients ses coordonnées personnelles. Interrogé au sujet du langage non professionnel de M. Campbell avec les clients, M. Bona a dit que M. Campbell était trop personnel ou familier avec eux, et disait [traduction] « des choses qu’on ne s’attendrait pas à entendre quand on appelle sa banque ». En octobre 2013, après de nombreuses années d’encadrement au sujet du professionnalisme, il faisait encore des remarques inappropriées durant ses appels, y compris de dire à un client que, comme son ordinateur était capricieux le matin, [traduction] « ce [devait] être une femme ». Ce client s’est plaint à la CIBC au sujet des remarques de M. Campbell et ce n’était pas la première fois que la CIBC recevait des plaintes ou une rétroaction négative au sujet de son comportement durant des appels avec les clients.

[144]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, je ne suis pas convaincue que les remarques non professionnelles de M. Campbell étaient liées à sa déficience. Je ne suis pas d’accord, non plus, pour dire que les autres comportements problématiques de M. Campbell au travail se rapportaient à sa déficience. M. Turgeon a déclaré que, en dépit d’une légère déficience cognitive, M. Campbell était capable de fonctionner au travail, surtout avec l’aide des soutiens ergonomiques et psychologiques recommandés. La preuve démontre que la CIBC a fait son devoir en ce qui concerne la mise en œuvre de stratégies d’adaptation établies avec Mme Robinson. Je conclus que sa déficience ne l’empêchait pas de se conformer aux stratégies d’adaptation, mais plutôt qu’il choisissait constamment de ne pas les suivre, parce qu’il estimait qu’elles nuisaient à sa capacité de vendre des produits financiers.

[145]  M. Campbell n’a pas déclaré dans son témoignage qu’il était incapable d’apprendre de nouvelles choses après son accident d’automobile, bien qu’il ait dit qu’il apprenait différemment maintenant. Il n’a rien dit de plus à ce sujet. Son témoignage faisait plutôt état du fait qu’il était, naturellement, très fier de sa capacité d’accomplir et d’apprendre après avoir souffert de lésions cérébrales. Par exemple, il est retourné à l’université et a obtenu un baccalauréat en éducation et un diplôme d’études avancées de premier cycle. Il a déclaré qu’il avait travaillé en tant qu’enseignant suppléant pendant de nombreuses années, et continuait de le faire. De plus, il a affirmé avoir écrit un livre et avoir été conférencier motivateur, et qu’il avait été accepté à un programme de sciences infirmières duquel il avait pris un congé autorisé pour finir d’écrire son livre.

[146]  Il a aussi convenu qu’il était capable de suivre les instructions de ses superviseurs à la CIBC et que, lorsqu’il le faisait, il pouvait atteindre les cibles de qualité et d’exactitude dans ses évaluations toutes les deux semaines. Lorsqu’il choisissait d’utiliser l’OSA et de suivre les conseils de ses superviseurs, il réussissait dans son travail. Cependant, la preuve révèle qu’il n’utilisait pas régulièrement l’OSA ni ne suivait les politiques et procédures de la CIBC. Par exemple, il n’utilisait pas régulièrement crayon et papier pour noter les renseignements essentiels, comme le nom des clients, dans l’optique de ne pas leur demander le même renseignement à plusieurs reprises. Bien qu’il ait initialement dit dans son témoignage qu’il n’était pas autorisé à utiliser crayon et papier à son poste de travail, il a admis en fin de compte qu’il était autorisé à le faire, et M. Bona et Mme Savage ont précisé dans leurs témoignages que les RSBP étaient autorisés à utiliser crayon et papier à condition de ne pas laisser traîner des renseignements confidentiels sur leur bureau.

[147]  La preuve révèle aussi que M. Campbell n’aimait pas mettre les clients en attente pour trouver dans l’OSA la réponse à leurs questions ou des instructions sur la façon d’exécuter certaines demandes, parce que cela intervenait dans ses efforts d’établir un rapport avec eux. Il a déclaré dans son témoignage qu’il était censé vendre des hypothèques, mais qu’il ne pouvait pas améliorer à la fois le nombre d’appels par heure et la qualité de ses appels si la CIBC voulait qu’il continue à vendre des hypothèques. Cela démontre son obstination à faire son travail comme il l’a toujours fait, même lorsqu’on lui demandait de diminuer les ventes et de s’attacher à améliorer son approche en suivant les stratégies d’adaptation recommandées.

[148]  Dans son témoignage, M. Campbell a dit que la banque avait fait beaucoup d’argent grâce à ses ventes, et qu’il en avait été félicité à plusieurs reprises. Bien que j’accepte la véracité de ceci, à un moment donné durant son emploi à la CIBC, la banque a mis moins d’accent sur les ventes et un plus grand accent sur la qualité du service à la clientèle, et M. Campbell a choisi de continuer à faire son travail comme il l’avait toujours fait.

[149]  La preuve présentée durant l’audience révèle que la CIBC s’est efforcée de faire en sorte que le plan d’adaptation recommandé par M. Turgeon et Mme Robinson soit mis en œuvre. La banque a surveillé ses mesures d’adaptation et vérifié qu’elles étaient suivies. M. Bona rencontrait M. Campbell régulièrement et, bien que M. Campbell ait pu sentir que M. Bona critiquait son travail, les notes de ce dernier révélaient que, selon les recommandations, il rencontrait M. Campbell pour mettre en œuvre les stratégies d’adaptation. Les notes d’encadrement de M. Bona témoignent de la patience et de la persévérance qu’il démontrait pour aider M. Campbell à réussir dans son travail. M. Bona exprimait de l’encouragement et continuait à encadrer M. Campbell pour lui montrer comment utiliser l’OSA, la raison pour laquelle c’était important, et comment faire preuve de professionnalisme dans les conversations avec les clients. Il avait une attitude positive et encourageante quand le rendement de M. Campbell était bon parce qu’il avait suivi la procédure et avait maintenu une attitude professionnelle. Certains éléments de preuve démontrent que les efforts de M. Bona étaient, en fait, appréciés par M. Campbell à l’époque. En effet, M. Bona l’a proposé comme candidat à un prix d’excellence en raison des efforts qu’il consacrait dans le but d’appuyer ses mesures d’adaptation dans le milieu de travail.

[150]  En contre-interrogatoire, lorsqu’on a interrogé M. Campbell au sujet de l’encadrement considérable qu’il avait reçu pour son travail, tout au long de son emploi, il a répondu que la définition de la folie c’était de faire la même chose à répétition, malgré l’absence de résultats. Bien que je ne puisse qu’imaginer à quel point ce devrait être frustrant pour M. Bona de répéter sans arrêt les mêmes conseils à M. Campbell, il s’acquittait simplement de son obligation, en tant que chef d’équipe, tant à l’égard des clients de la banque, pour veiller à la qualité du service par les RSBP, qu’envers M. Campbell, pour l’aider à bien travailler avant et pendant le processus d’adaptation.

[151]  Si M. Campbell était d’avis que la plupart des stratégies d’adaptation recommandées n’avaient pas été mises en œuvre, la preuve n’appuie tout simplement pas cet avis. Là encore, je n’évalue pas le processus d’adaptation lui-même, mais je fais remarquer que la preuve appuie la conclusion selon laquelle la CIBC a suivi les recommandations de Mme Robinson en matière d’adaptation, dans la mesure où cela était possible. M. Campbell avait, pour sa part, l’obligation de coopérer dans le processus d’adaptation, mais la preuve démontre qu’il s’est obstiné à faire son travail de la manière qu’il préférait.

[152]  Dans son dernier rapport d’évaluation en matière de mesures d’adaptation en novembre 2012, Mme Robinson déclare n’avoir plus d’autres mesures d’adaptation à recommander. Elle note que, en dépit de toutes les mesures d’adaptation mises en œuvre, M. Campbell avait de la difficulté sur le plan de la productivité et du rendement. Elle déclare qu’il lui avait dit ne pas aimer mettre les clients en attente pour chercher des renseignements dans l’OSA, comme il lui était recommandé de faire, parce que cela nuisait à sa capacité d’établir un rapport avec les clients. Cela révèle sa préférence de faire les choses à sa façon plutôt que de suivre les recommandations en matière d’adaptation. Mme Robinson était d’avis que, si M. Campbell suivait les recommandations, il réussirait dans son travail. Elle lui a dit que ses cotes de qualité devaient s’améliorer, ce qui était plus important qu’établir un rapport avec les clients.

[153]  De même, aucune preuve n’appuyait l’hypothèse que les choses changeraient si on lui accordait encore plus de temps dans le cadre du plan d’adaptation, car il continuait à démontrer les mêmes comportements problématiques qu’il avait générés tout au long de son emploi. Comme je l’ai mentionné à la rubrique intitulée « Le contexte » de la présente décision, M. Campbell a présenté en preuve une carte de pointage démontrant qu’il avait dépassé les attentes durant le premier trimestre de l’exercice 2014, soit du 1er novembre au 8 décembre 2013. M. Campbell fait valoir que cette carte de pointage démontre que, malgré le décès de son frère en novembre 2013 et le stress que la maladie de son frère lui avait causé, au moment de la cessation de son emploi, il dépassait les attentes et que cela était la preuve qu’il aurait continué à réussir dans son travail s’il n’avait pas été congédié. Même en acceptant que cette carte de pointage ait été établie par un gestionnaire de la CIBC, je ne suis pas d’accord avec M. Campbell pour accorder que c’est une preuve concluante qu’il remporterait un succès continu dans son travail.

[154]  La preuve à l’audience a démontré que, à l’occasion, M. Campbell réagissait positivement à l’encadrement soutenu et aux recommandations de M. Bona et que, lorsqu’il le faisait, en utilisant l’OSA et faisant preuve du professionnalisme requis, il était capable de répondre aux attentes de la banque en matière de qualité et à satisfaire aux autres mesures de rendement. Tout cela a été le cas tant avant que durant la période stressante de la maladie terminale de son frère. Cependant, ces pointes de succès étaient toujours courtes, et il revenait inévitablement à ses anciennes habitudes dans son travail, en n’utilisant pas l’OSA et en appliquant son propre style d’établissement de rapport avec les clients afin de leur vendre des produits financiers.

[155]  La CIBC avait effectivement appliqué certaines des mesures d’adaptation recommandées avant l’évaluation et le rapport sur les mesures d’adaptation – par exemple, un encadrement individuel sur le professionnalisme, et une formation et un rappel de l’utilisation de l’OSA. Malgré les nombreux efforts de la CIBC pendant de nombreuses années pour aider M. Campbell à réussir dans son travail, il s’est obstiné à faire les choses à sa façon.

[156]  Le 9 octobre 2013, près d’un an après le dernier rapport de Mme Robinson relatif à l’évaluation des mesures d’adaptation, M. Bona a envoyé un courriel à la direction :

[traduction]


D’après les appels de Paul qui ont été surveillés, son comportement au téléphone met à risque les SFCP tous les jours. Lorsqu’il prend l’appel d’un client, Paul a avoué ne pas être en mesure de reconnaître, si un client a déjà été validé (cet aspect lui a déjà été présenté en encadrement à plusieurs reprises), ce qui met à risque tant les SFCP que le client. En dépit de multiples séances d’encadrement, il continue de faire des remarques non professionnelles aux clients […]. Paul omet constamment de confirmer le nom du client, de lire les énoncés et/ou de remplir les registres de contact. Il fournit constamment de faux renseignements, ce qui a un impact négatif sur l’expérience du client. Ses conversations manquent de structure et sont souvent éparpillées, les mêmes éléments étant inutilement répétés tout au long de l’appel. Par exemple, il confirme le nom du client à plusieurs reprises; ce type de comportement n’incite pas la confiance au client, mène à de la provocation, etc. Il communique fréquemment avec le service d’information lorsqu’ il devrait avoir été capable de traiter l’appel lui-même. En résumé, bien que Paul ait une attitude incroyablement positive et soit amical à l’excès, son incapacité à traiter efficacement les appels pose tous les jours des risques pour les SFCP et nos clients.

[157]  En octobre 2013, la CIBC a reçu deux plaintes concernant des appels de M. Campbell, comme cela a déjà été mentionné. Après des années d’une telle conduite par M. Campbell, et des efforts considérables en matière d’évaluation et d’adaptation qui n’ont produit aucune amélioration quant à son rendement au travail, la CIBC a décidé qu’elle ne pouvait plus tolérer les risques qu’il posait pour la banque.

[158]  Après avoir cherché à déterminer si les problèmes de M. Campbell au travail pouvaient être liés à une déficience, puis avoir mis en œuvre une stratégie d’adaptation pendant environ un an et demi, la CIBC, confrontée au fait que M. Campbell persistait dans sa façon préférée de faire son travail, était justifiée dans sa décision de passer à d’autres options, y compris retirer M. Campbell du service téléphonique. Tout à son honneur, la CIBC n’a pas immédiatement mis fin à l’emploi de M. Campbell, mais lui a offert la possibilité de mener une recherche d’emploi, soit à l’interne, soit à l’externe, tout en étant rémunéré et en utilisant les outils de recherche d’emploi offerts par la banque. La preuve démontre que M. Campbell n’a pas utilisé ces ressources de façon significative. Bien qu’il ait déclaré dans son témoignage qu’on lui avait annoncé en novembre 2013 qu’il était congédié, il est évident qu’il a continué de travailler au centre d’appels jusqu’au 15 janvier 2014, et que les ressources de recherche d’emploi lui ont été accessibles pendant de nombreuses semaines après la cessation de son emploi également. Au lieu d’utiliser ces ressources, il est retourné à l’enseignement en suppléance, ce qui était sa prérogative.

[159]  Je suis d’accord avec la CIBC pour dire que la preuve dans son ensemble appuie l’assertion de la CIBC que l’inconduite de M. Campbell au travail existait avant le processus d’adaptation et s’est maintenue tout au long de ce processus. Je conviens que, au lieu de suivre soigneusement le plan d’adaptation avec le plein appui de la CIBC, de M. Turgeon et de Mme Robinson, il estimait que sa méthode d’établir un rapport pour vendre des produits financiers – même quand il n’était pas censé le faire activement – était plus efficace que d’utiliser l’OSA et de maintenir une attitude professionnelle avec les clients de la CIBC.

[160]  Je conclus que sa conduite au travail et le fait qu’il ne coopérait pas au processus d’adaptation n’étaient pas liés à sa déficience, mais étaient plutôt le résultat de son obstination à faire son travail comme il l’entendait.

(c)  La prise en compte exprès de sa déficience dans la décision de mettre fin à son emploi

[161]  M. Campbell soutient que, comme ses lésions cérébrales et son adaptation étaient mentionnées dans l’examen du cas établi avant sa lettre de cessation d’emploi, sa déficience était forcément un facteur dans la décision de mettre fin à son emploi. Je ne souscris pas à ce raisonnement.

[162]  Mme Savage a déclaré dans son témoignage qu’elle avait préparé l’examen du cas pour étayer la décision de la CIBC d’offrir à M. Campbell une indemnité de départ. En effet, la mention [traduction] « Indemnité de départ – Cessation d’emploi » figure au haut du document pour décrire le [traduction] « Type de dossier » examiné. Ce document, daté du 2 janvier 2014, est un résumé des problèmes constants de M. Campbell au travail et des efforts de la CIBC de lui offrir des mesures d’adaptation, comme le tout est décrit dans la rubrique intitulée « Le contexte » de la présente décision. La mention de l’accident d’automobile de M. Campbell et de ses lésions cérébrales dans le document explique la raison pour laquelle le dossier a été [traduction] « envoyé au médecin attitré de la CIBC dans le but de faire l’objet d’une consultation en octobre 2010 ». L’examen du cas résume ensuite les types de stratégies d’adaptation qui ont été mises en place pour M. Campbell, notant cependant que [traduction] « bon nombre des stratégies ne pouvaient être utiles que si Paul y participait et les mettait toujours en œuvre », mais qu’il [traduction] « a[vait] continué d’avoir des difficultés à mettre en œuvre les stratégies et, par conséquent, a[vait] continué d’avoir des problèmes au niveau de son rendement, de la validation et de ses conversations professionnelles avec les clients ». L’examen du cas conclut en précisant que la CIBC ne considère plus que M. Campbell [traduction] « convient bien au poste » et qu’elle est grandement préoccupée par le niveau de la qualité du service qu’il offre à la clientèle, ainsi que par [traduction] « l’impact considérable sur la satisfaction des clients et la réputation de la CIBC ».

[163]  La lettre de cessation d'emploi datée du 15 janvier 2014 établit que l’emploi de M. Campbell à la CIBC cesserait à compter du 12 février 2014 en raison de [traduction] « sérieuses préoccupations quant à [son] rendement ». Elle fournit aussi des renseignements concernant l’indemnité de départ et d’autres avantages sociaux.

[164]  J’accepte l’explication de Mme Savage selon laquelle elle aurait préparé l’examen du cas en vue d’étayer la décision de verser à M. Campbell une indemnité de départ à la cessation de son emploi. La preuve présentée par la CIBC établit clairement que toutes les décisions concernant M. Campbell ont été prises et documentées avec soin et que diverses décisions ont été approuvées de concert avec des experts en la matière, hors du centre d’appels de Fredericton. Par exemple, lorsqu’il est devenu évident que M. Campbell continuait d’avoir des difficultés en matière de professionnalisme après plusieurs mois de mesures d’adaptation et, dans son interaction avec les clients, il commettait encore des erreurs qui auraient pu être évitées par une consultation de l’OSA. Ces renseignements ont été envoyés à la gestionnaire du Programme d’adaptation du lieu de travail, Mme Lee, dont la participation a été constante tout au long du processus d’adaptation.

[165]  J’accepte également le témoignage de Mme Savage selon lequel la CIBC aimait bien M. Campbell, se souciait de son avenir et voulait l’aider à trouver un autre emploi. La description selon laquelle M. Campbell ne [traduction] « convenait » plus au poste de RSBP est bien appuyée par la preuve, et cette conclusion a été tirée après un examen médical exhaustif ainsi qu’un processus d’adaptation intense au bout desquels M. Campbell faisait encore preuve de la même inconduite qu’il avait depuis des années. La CIBC se souciait, naturellement, de sa réputation et de l’effet porté sur ses clients.

[166]  Je ne souscris pas au raisonnement voulant que le simple fait que le processus d’adaptation de M. Campbell ait été mentionné dans l’examen du cas signifie que la déficience était un facteur dans la décision de mettre fin à son emploi. Mme Savage présentait dans l’examen du cas des renseignements à l’appui d’une décision qui nécessitait un historique détaillé de l’emploi de M. Campbell à la CIBC. Les antécédents professionnels de M. Campbell ne pouvaient pas être décrits sans une mention de son processus d’adaptation, celui‑ci ayant été une portion considérable de son emploi depuis un certain temps.

[167]  La mention des lésions cérébrales de M. Campbell comme raison pour laquelle le médecin de la société a été consulté ne signifie pas non plus que la déficience était un facteur dans la décision de cessation d’emploi. Cet aspect a été mentionné pour décrire la raison pour laquelle le processus d’adaptation avait été entrepris.

[168]  Le renvoi aux lésions cérébrales de M. Campbell, à l’évaluation neuropsychologique et au processus d’adaptation ne constitue pas de la discrimination prima facie, puisqu’ il n’y a pas de preuve que ces facteurs ont eu un rôle dans la décision de mettre fin à son emploi. En fait, l’examen du cas révèle plutôt qu’en dépit des stratégies d’adaptation mises en place, il avait de la difficulté à les mettre en œuvre. Cela ne veut pas dire qu’il avait de la difficulté à les mettre en œuvre en raison de sa déficience ni que la preuve appuie une telle assertion. Pour que le plan d’adaptation puisse être pleinement mis en œuvre, il devait participer aux stratégies d’adaptation. J’ai conclu que son manque de coopération dans ces stratégies mises en place pour l’aider à réussir dans son travail n’était pas lié à sa déficience, mais était plutôt le résultat de sa décision de maintenir sa propre façon de faire son travail.

[169]  M. Campbell m’a demandé de tirer une conclusion défavorable de la décision de la CIBC de ne pas faire témoigner Mme Lockhart. M. Campbell laisse entendre que, comme c’est elle qui a pris la décision de mettre fin à son emploi, en ne la citant pas comme témoin, la CIBC a empêché le Tribunal d’entendre la seule personne qui aurait pu témoigner des véritables raisons sous‑tendant la cessation de son emploi. La CIBC a appelé Mme Savage à témoigner au sujet des personnes qui avaient participé au processus d’adaptation et à la décision de mettre fin à l’emploi de M. Campbell. Mme Savage avait un rôle central dans la détermination de ce qu’il fallait faire à la suite du comportement inapproprié de M. Campbell lors d’appels en octobre 2013, et elle a déclaré dans son témoignage qu’elle appuyait tant les gestionnaires du centre d’appels de Fredericton que les experts de Toronto en la matière qui ont été impliqués dans le cas de M. Campbell depuis 2010, y compris ceux du service des Relations avec les employés. Le témoignage de Mme Savage démontre clairement que Mme Lockhart n’était pas la seule décideuse.

[170]  Je suis convaincue que les témoignages de Mme Savage et de M. Bona, ainsi que la preuve documentaire exhaustive présentée durant l’audience, m’ont présenté un tableau très clair des véritables raisons pour lesquelles il a été mis fin à l’emploi de M. Campbell, et je ne suis pas d’avis que ces raisons constituent une discrimination prima facie. Je conviens avec la CIBC qu’elle n’était pas tenue de faire témoigner chacun des employés ayant participé au processus pluriannuel d’adaptation de M. Campbell, étant donné que cela serait contraire à l’exigence de la Loi que l’instance soit informelle et rapide. La CIBC n’était pas tenue de présenter des éléments de preuve pour corroborer les allégations de M. Campbell, mais plutôt d’étayer sa propre réponse à la plainte, ce qu’elle a fait. Ainsi donc, je refuse la demande de M. Campbell de tirer une inférence défavorable à cet égard.

(d)  La cessation d’emploi a eu lieu durant la période d’adaptation

[171]  M. Campbell fait valoir que, étant donné qu’il faisait toujours l’objet de mesures d’adaptation de la CIBC quand il a été mis fin à son emploi, la cessation d’emploi est forcément lié à sa déficience.

[172]  La CIBC conteste le fait qu’il était encore dans le processus d’adaptation quand la décision de mettre fin à son emploi a été prise. Mme Savage a déclaré dans son témoignage que M. Campbell avait travaillé au moins 150 des heures requises au téléphone au troisième ainsi qu’au quatrième trimestre de l’exercice 2013 pour être admissible à une évaluation du rendement, même s’il avait été en congé de soignant pendant plusieurs semaines au cours de cette période. Son témoignage n’a pas été contesté ni contredit. Elle a déclaré que, après qu’on a accordé à M. Campbell deux trimestres pleins au cours desquels la dernière recommandation en matière d’adaptation pour les objectifs révisés était en vigueur, la CIBC n’avait toujours pas noté une amélioration dans son rendement au travail. Comme la banque continuait à être exposée à ce qu’elle considérait être des risques considérables en matière de droit et de réputation, en raison de son comportement au travail, elle a décidé de mettre fin à son emploi. Je considère que l’explication de la CIBC est raisonnable, et je ne souscris pas au raisonnement selon lequel la proximité temporelle du processus d’adaptation et de la cessation d’emploi de M. Campbell mène à une conclusion de discrimination prima facie.

[173]  Je ne conviens pas non plus que le simple fait qu’il est mis fin à l’emploi d’une personne qui est affecté par une déficience constitue une preuve prima facie de discrimination. La Loi prévoit clairement qu’il doit y avoir un lien entre la déficience et la cessation d’emploi pour qu’il y ait discrimination prima facie. Lorsque le Tribunal conclut que la cessation d’emploi a été motivée par des raisons d’affaires légitimes, comme une inconduite constante qui nuit à la réputation de l’employeur, dans ce cas « […] la simple existence d’une [déficience] n’établit pas qu’il y a discrimination prima facie [36]  ».

(e)  Conclusion – alinéa 7a) de la Loi

[174]  Selon la jurisprudence, bien qu’il ne soit pas nécessaire que la déficience soit le seul motif de la cessation d’emploi, cela suffit à satisfaire au critère de preuve prima facie si elle constituait un facteur qui a mené à la cessation d’emploi. Je dois déterminer ici si la CIBC a présenté une explication raisonnable, ne constituant pas un prétexte, pour la cessation d’emploi.

[175]  Il est facile de contempler les faits et de critiquer les actes en rétrospective, comme l’a mentionné le président du Tribunal, dans la décision Moffat :

[45] S’il n’y a pas de preuves qu’elles ont été influencées directement ou indirectement par un motif de distinction, il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer après coup les décisions d’affaires d’une entreprise, qu’il est sans doute facile de critiquer avec le recul. Il appartient au Tribunal d’examiner tous les facteurs ayant mené à la décision reprochée. Ce faisant, le Tribunal se demandera si l’explication fournie à l’appui de la décision était raisonnable dans les circonstances, mais seulement dans la mesure nécessaire pour déterminer si cette explication ne constituait pas simplement un prétexte (voir Morin c. Canada, 2005 TCDP 41 (CanLII), par. 219; Durrer c. CIBC, 2007 TCDP 6 (CanLII), par. 63, conf. pour d’autres motifs par 2008 CAF 384) [37] .

[176]  Rien dans la preuve médicale ou dans les témoignages ne m’a amenée à conclure que la déficience de M. Campbell, telle que décrite par M. Turgeon, ou par M. Campbell même, était à l’origine des comportements problématiques constants qui ont fini par conduire à la cessation de son emploi. Rien ne prouvait non plus que la déficience de M. Campbell le rendait incapable de se conformer aux stratégies d’adaptation recommandées pour l’aider à faire son travail de façon acceptable. Ces stratégies mettent de l’avant le professionnalisme avec les clients, et l’utilisation de l’OSA afin de se conformer aux politiques et aux procédures. La preuve médicale n’établit pas qu’il ne pouvait réussir dans son travail à la CIBC à cause de sa déficience. En fait, M. Turgeon et Mme Robinson étaient tous deux d’avis que, s’il suivait les recommandations en matière d’adaptation, il était capable de bien faire son travail. M. Bona et M. Campbell même ont indiqué qu’il était capable d’avoir une attitude professionnelle et d’utiliser l’OSA quand il choisissait de le faire.

[177]  En l’espèce, en examinant la décision de la CIBC de mettre fin à l’emploi de M. Campbell dans le contexte de la relation d’emploi tout entière, je ne peux conclure que sa déficience était un facteur dans la décision d’y mettre fin.

[178]  Je conviens plutôt qu’il a été mis fin à son emploi pour des raisons d’affaires légitimes à la suite d’une inconduite et d’un piètre rendement qui se sont répétés tout au long de son emploi. Je conclus que M. Campbell n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que sa conduite répréhensible et son piètre rendement au travail, ou son omission de suivre les recommandations en matière d’adaptation étaient liés à sa déficience. Il n’y existe aucune « subtile odeur de discrimination » dans la décision de la CIBC de mettre fin à l’emploi de M. Campbell. Je considère que son explication de la décision d’y mettre fin n’est pas un prétexte de discrimination.

[179]  Ayant conclu que la CIBC n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard de M. Campbell pour le motif de distinction illicite fondé sur la déficience en mettant fin à son emploi, je rejette sa plainte au titre de l’alinéa 7a) de la Loi.

(iv)  La discrimination au titre de l’alinéa 7b) de la Loi

[180]  L’alinéa 7b) prévoit que « [c]onstitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : […] de le défavoriser en cours d’emploi ». Les observations finales de M. Campbell ne traitent pas directement de la discrimination fondée sur l’alinéa 7b), quoiqu’il y ait eu une brève référence à la rubrique [traduction] « Autres problèmes – Discrimination par la suite d’un effet préjudiciable », où il est mentionné que, tout au long de l’audience, se sont révélés de nombreux points qui confirmaient la piètre exécution de l’obligation d’adaptation, notamment i) qu’un employé de la CIBC avait fait à un client une remarque concernant les lésions cérébrales de M. Campbell; ii) que d’autres employés estimaient être punis en devant s’asseoir à côté de M. Campbell; iii) que M. Campbell n’était plus autorisé à manger à son bureau, car il y laissait un désordre, malgré le fait qu’on l’avait autorisé à arriver plus tôt au travail et à y manger son petit-déjeuner. Il est aussi question de [traduction] « l’étude de cas » de la CIBC selon laquelle le poste de M. Campbell ne lui [traduction] « convenait » plus.

(a)  Analyse relative à l’alinéa 7b)

[181]  Là encore, je dois déterminer si M. Campbell a établi une preuve prima facie de discrimination, cette fois au sens de l'alinéa 7b) de la LCDP, avant de passer à la prise en compte de tout moyen de défense prévu par la Loi.

[182]  J’examinerai chacune de ces allégations et je déterminerai si la CIBC a défavorisé M. Campbell, et si sa déficience a été un facteur dans ce traitement.

[183]  Il y a des éléments de preuve selon lesquels, en juin 2010, un autre employé du centre d’appels a pris l’appel d’une cliente qui avait parlé à M. Campbell plusieurs jours plus tôt au sujet d’une erreur que la cliente avait faite et qui n’avait pas encore été corrigée. La cliente a décrit son appel avec M. Campbell comme étant [traduction] « un peu bizarre ». L’employé de la CIBC a répondu [traduction] « À vrai dire, il a subi des lésions cérébrales à un moment donné […] Je comprends ce que vous dites ». Il semble que M. Campbell n’a pas été informé à ce moment‑là du fait que son collègue avait fait cette remarque à la cliente.

[184]  Il est fait mention de cette remarque de son collègue dans les courriels de la CIBC portant sur la question de déterminer si M. Campbell avait une déficience qui nécessite des mesures d’adaptation. Je ne suis pas d’accord pour dire qu’une remarque faite par un collègue à une cliente, même si elle révèle un renseignement de nature personnelle au sujet de M. Campbell, constitue une différence de traitement défavorable de la part de la CIBC. En examinant les exigences relatives à une « différence de traitement défavorable » en vertu de la Loi, la Cour d’appel fédérale a convenu que le fait d’établir « qu’il y ait eu différenciation » fondée sur un motif de distinction illicite aux termes de la Loi (dans ce cas, la religion) n’établit pas en soi qu’il y a eu discrimination [38] . La Cour a déclaré ceci : « Pour que la différence de traitement soit discriminatoire, un élément supplémentaire, que le juge a correctement décrit comme préjudiciable, dommageable ou mauvais, doit être présent. » [39] .

[185]  Il appert de la preuve documentaire que le collègue a dit cela pour expliquer les remarques inappropriées de M. Campbell à la cliente la semaine précédente, et que la cliente a accepté le fait que c’était une explication raisonnable de son comportement. Je ne suis pas d’avis que le partage de cette information au sujet de ses lésions cérébrales, quoique manifestement inapproprié, soit « préjudiciable, dommageable ou mauvais », surtout puisque M. Campbell avait lui-même l’habitude de divulguer ce renseignement à des clients.

[186]  Quoi qu’il en soit, la remarque du collègue au sujet de M. Campbell a été signalée à la direction de la CIBC, et cet incident a fait partie de la discussion au cours de laquelle il était question de déterminer si M. Campbell pouvait avoir une déficience nécessitant des mesures d’adaptation.

[187]  Je ne suis pas d’avis que la remarque du collègue de M. Campbell établit une discrimination prima facie au titre de l’alinéa 7b) de la Loi.

[188]  Quant à l’allégation selon laquelle les autres employés se sentaient punis s’ils devaient s’asseoir à côté de M. Campbell, parce qu’il les dérangeait et leur posait des questions dont il aurait dû trouver les réponses lui-même dans l’OSA, je suis d’avis également que cela n’entraîne pas une conclusion de discrimination. Là encore, il ne semble pas que M. Campbell était au courant de ces plaintes de la part de ses collègues durant son emploi à la CIBC ni que ces remarques en elles-mêmes ont mené à un traitement défavorable de M. Campbell. Je ne suis pas d’avis non plus qu’il y a un lien entre le comportement de M. Campbell, dont ses collègues se plaignaient, et sa déficience.

[189]  Je ne suis pas d’avis que ces plaintes indiquent une intolérance au plan d’adaptation de M. Campbell, ou une entrave à ce dernier. La preuve démontre que M. Campbell n’aimait pas mettre ses clients en attente pour trouver la réponse à leurs questions, parce qu’il estimait que cela entravait sa capacité d’établir un rapport avec eux. Il posait donc la question à ses collègues. Cependant, un des objectifs du plan d’adaptation était de faire en sorte que M. Campbell apprivoise l’OSA et l’utilise.

[190]  Je ne suis pas d’avis que les plaintes des collègues, lesquels avançaient être dérangés par les questions dont M. Campbell aurait dû trouver réponse lui-même, constituent une différence de traitement défavorable de la part de la CIBC en ce qui concerne sa déficience.

[191]  Quant à l’allégation concernant l’interdiction de manger à son bureau, il est vrai que M. Campbell avait reçu la permission d’arriver plus tôt et de manger son petit-déjeuner au travail afin de pouvoir lire ses courriels avant de commencer à prendre des appels, car il trouvait que c’était trop distrayant de lire des courriels entre les appels. Cependant, avec une telle permission, on pouvait s’attendre à ce qu’il nettoie son bureau après y avoir mangé, car il n’était pas le seul employé à utiliser ce poste de travail. Rien dans la preuve fournie n’indiquait que la déficience de M. Campbell l’empêchait de nettoyer par la suite.

[192]  La preuve que les collègues de M. Campbell n’aimaient pas travailler avec lui à cause de comportements en milieu de travail non liés à sa déficience ne prouve pas, selon la prépondérance des probabilités, qu’il faisait l’objet d’une différence de traitement défavorable se rapportant à sa déficience.

[193]  Enfin, en ce qui concerne la mention suivante dans l’examen du cas : [traduction] « la société considère que M. Campbell ne convient plus au poste, et nous sommes grandement préoccupés par le niveau de service à la clientèle [qu’il] offre aux clients », j’ai déjà parlé plus haut de cette remarque, dans mon analyse relative à l’alinéa 7a) de la Loi. Je souligne qu’il n’est pas écrit ni sous-entendu dans l’examen du cas que son poste ne lui convient plus en raison de sa déficience. Compte tenu de la conclusion de la CIBC que son rendement de travail ne s’était pas amélioré en dépit des efforts considérables déployés par la banque, il est juste de dire que M. Campbell ne convenait plus à son poste. Je ne suis pas d’accord d’établir que cette remarque démontre une discrimination fondée sur sa déficience.

(b)  Conclusion – alinéa 7b) de la Loi

[194]  Je ne suis pas d’avis que les actes ou remarques ci‑dessus faites par les collègues de M. Campbell permettent de conclure que la CIBC a défavorisé M. Campbell en raison de sa déficience. Ainsi, je conclus que M. Campbell n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination et, par conséquent, je rejette sa plainte au titre de l’alinéa 7b) de la Loi.

V.  Conclusion

[195]  Je suis d’avis que la preuve ne fournit pas un fondement raisonnable pour dire que la décision de la CIBC de mettre fin à l’emploi de M. Campbell a été influencée par sa déficience, ou y était liée. La CIBC a présenté des raisons crédibles pour la cessation d’emploi que je ne considère pas être un prétexte de discrimination.

[196]  Je conclus que M. Campbell n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination en fonction des alinéas 7a) ou b) de la Loi. Je rejette donc sa plainte dans son intégralité.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 17 avril 2019

La version française de la décision du Membre


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2239/6117

Intitulé de la cause : Paul Campbell c. Banque Canadienne Impériale de Commerce

Date de la décision du tribunal : Le 17 avril 2019

Date et lieu de l’audience : du 30 avril au 4 mai 2018

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

Comparutions :

Dominic Caron et Dan Leger, pour le plaignant

Aucune comparution pour la Commission canadienne des droits de la personne

Grant Machum et Killian McParland, pour l'intimée



[1] Le rapport de M. Turgeon mentionne que le déficit cognitif (SAI) [traduction] « est une catégorie de déficiences caractérisées par un dysfonctionnement cognitif présumé être causé par les effets physiologiques directs d’un état pathologique général, mais qui ne répondent pas à la définition d’état confusionnel aigu, de démence ou de trouble amnésique ».

[2] Tous les témoins ont aussi déclaré dans leur témoignage du fait que les appels des clients pouvaient [traduction] « entrer validés », ce qui signifie que le client avait déjà confirmé son identité en suivant un message‑guide enregistré, avant de parler à un RSBP.

[3] Dans la présente décision, j’appellerai ces deux formulaires d’évaluation des employés [traduction] « carte de pointage », puisque c’est l’expression que M. Campbell et M. Bona ont tous deux utilisée.

[4] Je comprends que cela signifie les risques, pour la banque, en matière de droit et de réputation.

[5] Paragraphes 241(3) ainsi que 242(1) et (3) du CCT.

[6] 41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

[7] 44 (2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

[8] [2016] A.C.S. no 29.

[9] Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), [2006] 1 RCS 513, 2006 CSC 14 (CanLII) (Tranchemontagne), au paragraphe 16.

[10] [2011] 4 R.C.F. 117

[11] Voir note précédente au paragraphe 74.

[12] Principe établi par la Cour suprême du Canada dans Parry Sound (District), Conseil d'administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42 (CanLII).

[13] Day & Ross, précitée, note 10, au paragraphe 79.

[14] 1995 CanLII 3515 (CAF), [1995] 3 C.F. 354 (C.A.), au paragraphe 40.

[15] Day & Ross, précitée, note 10, aux paragraphes 73 et 74.

[16] [2000] 3 C.F. 27, 1999 CanLII 9397 (CAF), le juge Linden citant avec approbation et confirmant la décision de la juge McGillis de la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Boutilier, 1998 CanLII 9111 (CF), [1999] 1 C.F. 459; (1998), 154 F.T.R. 40 (1re inst.); infirmant Boutilier et le Conseil du Trésor (Ressources naturelles), [1997] C.R.T.F.P. 54 (QL).

[17] Day & Ross, précitée, note 10, au paragraphe 70.

[18] Québec (Procureur général) c. Québec (Tribunal des droits de la personne), [2004] 2 RCS 223, 2004 CSC 40 (CanLII) (Charrette), au paragraphe 28.

[19] Tranchemontagne, précité, note 9, au paragraphe 33.

[20] Voir note précédente au paragraphe 33.

[21] Day & Ross, précitée, note 10, au paragraphe 60.

[22] 1992 CanLII 1429 (TCDP), [1992] D.C.D.P. no 8, au paragraphe 37.

[23] Voir, par exemple, Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (O’Malley); Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S 360, (Moore); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), [2015] 2 R.C.S. 789, 2015 CSC 39 (Bombardier); Stewart c. Elk Valley Coal Corp., [2017] 1 R.C.S. 591, 2017 CSC 30 (Elk Valley).

[24] Loi canadienne sur les droits de la personne :

 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[25] Moore, précité, note 23, au paragraphe 33; Elk Valley, précité, note 23, au paragraphe 24.

[26] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 (CanLII), au paragraphe 25.

[27] Elk Valley, précité, note 23, au paragraphe 39.

[28] Bombardier, précité, note 23, au paragraphe 65.

[29] Voir Croteau c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 TCDP 16 (CanLII), où le Tribunal a décrit la norme civile de la prépondérance des probabilités ainsi : « Selon cette norme, on peut conclure à la discrimination lorsque la preuve rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible […] » (au paragraphe 41).

[30] Elk Valley, précité, note 23, au paragraphe 24; Bombardier, précité, note 23, au paragraphe 40.

[31] Elk Valley,voir note précédente, aux paragraphes 26, 32, 35 et 43; Bombardier, ibid., aux paragraphes 64, 67 et 81; Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23, aux paragraphes 58 et 61.

[32] Bombardier, ibid., au paragraphe 64.

[33] Moffat c. Davey Cartage Co. (1973) Ltd., 2015 TCDP 5 (CanLII) (Moffat), au paragraphe 38.

[34] Bombardier, précité, note 23, au paragraphe 37.

[35] Selon l’alinéa 15(1)a) et le paragraphe 15(2) de la Loi :

15(1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées; […]

15(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées […] s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[36] Stewart, précité, note 23, au paragraphe 122.

[37] Précitée, note 33.

[38] Tahmourpour c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 192, au paragraphe 12.

[39] Voir note précédente.

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