Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 10

Date : le 1 mars 2019

Numéro du dossier : T2220/4217

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

T.P.

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Forces armées canadiennes

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Colleen Harrington

 



I.  Introduction

[1]  Le plaignant, qui a reçu un diagnostic de trouble d’apprentissage à l’enfance, a tenté à deux reprises de s’engager dans les Forces armées canadiennes (FAC). Chaque fois, il a passé le Test d’aptitude des Forces canadiennes (TAFC) obligatoire. En 2009, même s’il a obtenu une note peu élevée, il a pu passer à l’étape suivante du processus d’enrôlement, soit l’évaluation médicale. Par contre, son dossier de candidature a été fermé, car certains renseignements médicaux manquaient. Quand les renseignements manquants ont été fournis, le plaignant a été informé qu’il devrait présenter une nouvelle demande, ce qui supposait qu’il devait de nouveau passer le TAFC. Il semble que le processus d’enrôlement n’ait pas suivi son cours à ce moment-là.

[2]  En 2014, le plaignant a entrepris des démarches pour poser de nouveau sa candidature afin de se joindre aux FAC en passant une deuxième fois le TAFC. Cette fois-là, il n’a pas obtenu la note de passage exigée pour l’enrôlement dans les FAC. Le plaignant affirme que, après avoir passé le TAFC une deuxième fois en 2014, les FAC l’ont informé, d’une part, qu’il ne pouvait passer le TAFC une troisième fois que s’il fournissait la preuve qu’il avait fait du rattrapage scolaire et, d’autre part, qu’aucune forme de mesure d’adaptation ne serait prise pour lui permettre de passer le TAFC. Par conséquent, il a présenté une plainte en matière de droits de la personne dans laquelle il était allégué que les politiques et les pratiques d’embauche des FAC étaient discriminatoires, ce qui contrevient aux articles 10 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi).

[3]  Selon l’intimée, il n’y a pas suffisamment de preuve permettant d’établir que le plaignant avait informé les FAC de son trouble d’apprentissage ou qu’il avait demandé la prise de mesures d’adaptation avant de passer le TAFC, en 2009 ou en 2014. Subsidiairement, l’intimée affirme que le TAFC est une exigence professionnelle justifiée (EPJ).

[4]  La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) fait valoir que, comme la politique expresse des FAC durant toute la période liée à la plainte prévoyait qu’aucune mesure d’adaptation ne serait accordée ou envisagée relativement au TAFC, le plaignant n’aurait eu aucun intérêt à présenter une demande d’adaptation, puisque la législation sur les droits de la personne n’impose aucune obligation au plaignant de présenter une demande d’adaptation si la politique expresse de l’intimée prévoit qu’une telle demande serait refusée.

[5]  Dans le cadre du processus de gestion d’instance du Tribunal, les parties ont échangé les exposés des précisions et les listes de témoins, et ont transmis l’une à l’autre les documents en leur possession qui, à leur avis, pouvaient être pertinents aux questions que le Tribunal doit examiner et trancher. Après avoir reçu certains des documents médicaux du plaignant, dans lesquels figuraient des renseignements sur ses antécédents psychologiques, psychoéducatifs et psychiatriques, l’intimée a présenté une requête en divulgation pour l’obtention d’autres documents médicaux. Le plaignant s’oppose à la requête de divulgation, dont la portée selon lui est trop large. Par ailleurs, compte tenu du type de documents demandés, il a déposé la présente requête pour l’obtention d’une ordonnance de confidentialité.

[6]  L’intimée et la Commission consentent toutes deux à ce que les renseignements permettant d’identifier le plaignant demeurent confidentiels tout au long de l’instance. Toutefois, la Commission a proposé des conditions légèrement différentes pour l’ordonnance de confidentialité de celles demandées par le plaignant, en se fondant sur la récente décision du Tribunal M. X c. Chemin de fer Canadien Pacifique [1] . Le plaignant et l’intimée consentent aux conditions proposées par la Commission.

[7]  J’accepte d’accueillir la requête d’ordonnance de confidentialité présentée par le plaignant, bien que je sois d’avis que si j’acceptais d’ordonner toutes les conditions proposées par la Commission, je ne parviendrais pas à établir un juste équilibre entre le préjudice indu que la divulgation de ses renseignements médicaux personnels pourrait causer au plaignant et l’intérêt de la société que soit menée une enquête publique.

II.  Requête en confidentialité

[8]  Le plaignant m’a demandé de rendre ma décision à l’égard de la présente requête en confidentialité avant de rendre mes décisions sur les requêtes en divulgation déposées par l’intimée et la Commission, ce à quoi j’ai consenti. Le plaignant demande qu’on l’appelle [traduction] « T.P. dans toutes les autres requêtes, observations (écrites et orales), audiences, discussions, jugements et décisions au cours de la présente instance ». Il demande également qu’il soit interdit de publier ses [traduction] « renseignements personnels, notamment son nom, sa profession, sa date de naissance, son adresse domiciliaire, son adresse électronique, son numéro de téléphone et les noms des membres de sa famille (les "renseignements permettant l’identification") ».

[9]  À l’appui de cette requête, le plaignant indique qu’il a déjà divulgué à l’intimée certains documents qui précisent ce qui suit : il a reçu un diagnostic de trouble d’apprentissage lorsqu’il avait cinq ans; sa capacité intellectuelle se situe au bas de la moyenne scolaire; il a suivi un programme scolaire modifié et a bénéficié de ressources pour son apprentissage; il a souffert par le passé de problèmes psychiatriques. L’avis de requête du plaignant est accompagné de trois documents médicaux déjà divulgués à l’intimée, ainsi que de deux demandes de divulgation de renseignements médicaux supplémentaires présentées aux FAC par l’intimée au moment de la première demande d’enrôlement du plaignant, et remplies par un psychologue qui a traité ce dernier. Je constate que le plaignant est identifié par un nom de famille différent dans ces documents de celui utilisé dans la présente instance.

[10]  Le plaignant affirme qu’après avoir fourni à l’intimée les documents médicaux qu’il jugeait pertinents à sa plainte, l’intimée a présenté une requête visant à obtenir [traduction] « la production d’un très large éventail de documents relatifs à [son] état psychiatrique et psychologique ». Le plaignant affirme que les renseignements déjà fournis au cours de la présente instance, et qui sont demandés par l’intimée, sont de nature très personnelle, délicate et privée et sont liés à son sentiment d’identité et à sa dignité.

[11]  Bien qu’il soit conscient d’avoir mis son trouble d’apprentissage en cause par le dépôt de cette plainte et que l’audience du Tribunal sera publique, il dit ne pas avoir prévu l’examen des questions relatives à sa santé mentale. Il considère que les questions soulevées par sa plainte sont d’importance nationale, étant donné le rôle des FAC dans la protection des Canadiens et sa contribution à la paix et à la sécurité dans le monde; selon lui, sa plainte pourrait attirer l’attention des médias. Il souligne que les politiques et pratiques d’embauche des FAC ont récemment fait les manchettes nationales. En effet, le chef d’état-major de la Défense a lui-même déclaré que les FAC n’ont pas réussi à intégrer adéquatement les femmes et les membres des groupes minoritaires compte tenu du fait que les modèles de recrutement sont désuets.

[12]  Le plaignant se dit très préoccupé du fait que, si son identité devient publique dans le cadre de la présente instance, il sera [traduction] « victime de stigmatisation, tant sur le plan personnel que professionnel, en raison de la façon dont ses capacités cognitives et sa santé mentale sont perçues », et que cette stigmatisation pourrait nuire à ses perspectives d’emploi, son estime de soi et sa dignité. Il affirme n’avoir jamais révélé publiquement son trouble d’apprentissage ou ses antécédents psychiatriques ou psychologiques et que la décision de divulguer une déficience intellectuelle comme la sienne est [traduction] « une décision très personnelle dont les conséquences gênantes découlant de l’atteinte à la vie privée dépassent l’intérêt du public » de connaître son identité.

[13]  Conformément à la demande visant à anonymiser la plainte et à préserver la confidentialité de son identité, le plaignant demande que l’ordonnance exige l’expurgation des renseignements permettant son identification de tout document déposé auprès du Tribunal et propose que le Tribunal conserve un dossier contenant les documents expurgés comme son dossier public et un dossier distinct, scellé, contenant les documents non expurgés, auquel le public n’aurait pas accès.

[14]  La Commission propose des conditions légèrement différentes fondées sur la décision M. X, dans laquelle la membre du Tribunal a ordonné que l’ensemble du dossier du Tribunal demeure confidentiel, sous réserve de certaines exceptions limitées. Au final, les seuls documents que les parties ou le Tribunal pouvaient mettre à la disposition du public étaient des versions dépersonnalisées de la plainte, les exposés des précisions et les répliques, et la décision comme telle. La Commission propose une ordonnance semblable en l’espèce, car elle éviterait d’avoir à expurger plusieurs documents, imposant ainsi un fardeau administratif réduit aux parties et au greffe tout en respectant les intérêts du plaignant.

III.  Question

[15]  Dois-je accepter la requête en confidentialité du plaignant et les conditions de l’ordonnance proposées par la Commission?

IV.  Pouvoir conféré par la Loi

[16]  Le plaignant présente la requête sur le fondement de l’article 3 des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne et souligne que le paragraphe 52(1) de la Loi confère explicitement au Tribunal le pouvoir de rendre des ordonnances de confidentialité dans les circonstances appropriées :

Instruction en principe publique

52(1) L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas :

  […]

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique; […]

V.  Analyse

[17]  Toutes les parties conviennent que les renseignements permettant l’identification du plaignant devraient être anonymisés et que le dossier du Tribunal devrait demeurer confidentiel, comme le propose la Commission. Bien que j’accepte d’anonymiser la plainte, je suis d’avis que, puisque nous en sommes encore aux étapes préliminaires de la présente instance, je ne peux accepter une ordonnance de confidentialité aussi exhaustive tout en respectant l’exigence prévue par la Loi de veiller à ce que l’instruction soit publique.

[18]  Dans la décision M. X, le Tribunal devait composer avec une situation quelque peu différente. Bien que la membre ait rendu une ordonnance de confidentialité orale à l’égard de la preuve médicale concernant le plaignant et sa famille immédiate au cours de l’enquête sur la plainte, elle avait l’avantage de préciser les conditions de son ordonnance à la fin de l’instance, lorsque le dossier du Tribunal était essentiellement complet.

[19]  Bien que l’intimé dans la décision M. X ait convenu que la décision devait être anonymisée dans la mesure où elle ne contiendrait pas les noms du plaignant ou des membres de sa famille, il s’est opposé à la demande visant à anonymiser davantage la décision, en ne nommant pas les villes en cause ni un grand nombre de témoins. Le plaignant voulait également préserver la confidentialité des renseignements sur la déficience et le comportement autodestructeur de l’un de ses enfants; toutefois, la plainte avait été déposée en raison de la déficience et de la situation familiale, y compris les responsabilités parentales du plaignant envers un enfant adulte ayant une déficience. L’intimé a soutenu que le fait de ne pas mentionner la déficience et le comportement de l’enfant pourrait miner le mandat législatif du Tribunal d’agir équitablement et, par l’entremise de ses décisions publiques, de fournir à la société canadienne des lignes directrices sur ce qui constitue un acte discriminatoire. En ce qui concerne l’importance de veiller à ce que les instances devant le Tribunal demeurent publiques, la membre dans la décision M. X a conclu que : « Les affaires qui lui sont soumises ont non seulement pour but de faire en sorte que les allégations de discrimination d’une personne soient instruites et tranchées, mais aussi de sensibiliser le public canadien et de servir de précédents à d’éventuelles parties au sujet de questions liées aux droits de la personne à l’échelon fédéral et parfois aussi à l’échelon provincial [2]  ».

[20]  Toutefois, la membre du Tribunal ne voulait pas que sa décision ait une incidence négative sur l’enfant du plaignant, dont la situation était importante et pertinente dans le cadre de l’instruction, mais qui n’était ni plaignant ni témoin à l’audience et qui n’avait pas demandé de participer à l’instance. Il y avait des preuves que l’enfant était très vulnérable, qu’il avait été victime d’intimidation et qu’il s’était livré à « un comportement autodestructeur, voire suicidaire [3]  ». Selon la membre, il existait « un risque réel et marqué que la divulgation du nom d’un grand nombre des témoins et des personnes nommées dans la preuve documentaire, ainsi que la désignation des villes en cause dans la présente plainte, mèneraient raisonnablement à l’identification du plaignant et de sa famille », ce qui causerait un préjudice indu à ses enfants, chacun d’eux étant une [traduction] « personne concernée », de sorte que la nécessité d’éviter la divulgation de leurs noms l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique [4] . La membre n’a toutefois pas accepté d’anonymiser les éléments liés à la déficience de l’enfant et à ses répercussions physiques, cognitives et psychologiques, ce qui « réduirait à néant […] une partie importante » de sa décision et aurait une incidence négative sur sa « valeur jurisprudentielle et éducative [5]  ».

[21]  Étant donné que le Tribunal est un lieu qui relève du domaine public, les membres de la population ayant un intérêt dans une affaire particulière, y compris les médias, peuvent demander l’accès aux documents déposés par les parties à une plainte. Dans la décision M. X, la membre considérait que, même si les documents médicaux demeuraient confidentiels, le nom du plaignant pourrait figurer dans d’autres documents du dossier du Tribunal, ce qui nuirait à l’objet de l’ordonnance de confidentialité. Afin de protéger l’enfant du plaignant, elle a décidé de sceller le dossier du Tribunal, à l’exclusion de la décision anonymisée, de la plainte et des énoncés des précisions déposés par les parties, sans les listes de documents et de témoins.

[22]  Rappelons que, dans la décision M. X, la membre avait l’avantage de connaître le contenu exact du dossier du Tribunal et savait qu’aucun autre document, exception faite de sa décision, ne serait versé au dossier. En l’espèce, nous en sommes encore aux étapes préliminaires de l’instance; les parties attendent les résultats d’une évaluation psychoéducationnelle du plaignant, des requêtes en divulgation doivent encore être tranchées avant l’audience et il est possible que d’autres requêtes soient déposées jusqu’à l’audience.

[23]  Dans la présente affaire, le plaignant n’a pas demandé que la nature de son état de santé demeure confidentielle au cours de l’instance. Il ne s’oppose pas à ce que l’audience se déroule en public ou, nécessairement, à ce que ses renseignements médicaux pertinents soient rendus publics, étant donné qu’il a déposé une plainte concernant sa déficience. Il demande seulement que son identité soit dissimulée dans le cadre de l’instance, en raison de la nature des renseignements médicaux demandés par l’intimée et de la stigmatisation qu’il pourrait subir en raison de ses capacités cognitives et de sa santé mentale.

[24]  On peut difficilement nier que la maladie mentale, réelle ou perçue, continue d’être stigmatisée dans notre société, et je comprends les préoccupations du plaignant au sujet de la divulgation de tels renseignements médicaux. Ses préoccupations au sujet de l’impact de la divulgation publique de cette information sur son estime de soi et ses perspectives d’emploi futures sont légitimes.

[25]  Je souligne que, même si j’accepte d’ordonner la divulgation des documents demandés par l’intimée, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils deviendront une preuve à l’audience. Au cours de cette étape préliminaire, ces documents ne seront transmis qu’aux parties; ils ne font pas partie du dossier du Tribunal. La question de savoir quels documents ou quelles questions médicales sont pertinents n’a pas encore été tranchée et je ne vois aucune raison permettant de justifier que les renseignements médicaux du plaignant soient versés au dossier public pour l’instant. Le Tribunal est déjà en possession de certains des documents médicaux du plaignant joints à la requête en divulgation de l’intimée et à sa propre requête en vue d’obtenir des ordonnances de confidentialité et je conviens que, à cette étape préalable à l’instruction, tout document médical en la possession du Tribunal devrait demeurer confidentiel.

[26]  Toutefois, si j’accordais l’ordonnance proposée par la Commission, ce qui aurait pour effet de sceller l’ensemble du dossier du Tribunal, à l’exception de la plainte anonymisée, des exposés des précisions et des répliques, des jugements ou des décisions de la présente affaire, tous les éléments de preuve produits par les parties durant l’audience resteraient donc confidentiels. En tel cas, seraient visés non seulement les renseignements médicaux sur le plaignant, mais aussi d’autres preuves documentaires. Bien entendu, je peux faire référence aux éléments de preuve déposés par les parties dans ma décision, mais les membres du public qui cherchent à consulter les pièces déposées auprès du Tribunal au cours de l’instruction ne pourraient pas le faire.

[27]  L’ordonnance proposée par la Commission rendrait également confidentiels tous les documents relatifs à la requête préalable à l’audience, y compris l’avis de requête de la Commission du 9 novembre 2018 concernant la production de documents par l’intimée, même si aucune des parties n’a soulevé de questions de confidentialité relativement à cette requête. Pour l’heure, je ne peux pas accepter une ordonnance aussi générale ayant une incidence sur la nature publique de l’instruction.

[28]  Je conviens que les renseignements permettant l’identification du plaignant devraient être anonymisés tout au long de la présente instance, y compris à l’audience, et qu’il devrait être interdit de publier son identité. L’anonymisation de l’identité du plaignant ne limitera pas la capacité du public à comprendre la preuve ou les questions à trancher en l’espèce et ne portera pas atteinte au caractère équitable de la procédure du Tribunal ou à la valeur jurisprudentielle des décisions. Toutefois, il y a de fortes possibilités que le plaignant subisse une contrainte excessive si son identité est divulguée et si des renseignements concernant ses capacités cognitives et intellectuelles et son état psychiatrique antérieur sont rendus publics au cours de l’instance. Par conséquent, j’exigerai que toute preuve documentaire déposée auprès du Tribunal à l’audience, y compris le rapport de l’expert embauché par la Commission pour effectuer une évaluation psychoéducationnelle du plaignant, soit anonymisée en expurgeant les renseignements permettant d’identifier le plaignant. Si une partie souhaite faire valoir au cours de l’enquête que la preuve documentaire admise à l’audience devrait également demeurer confidentielle, que ce soit en scellant le dossier du Tribunal ou autrement, elle devra m’en faire part à ce moment-là.

[29]  Je reconnais que les conditions proposées par la Commission quant à l’ordonnance de confidentialité visent à éviter que les parties et le greffe du Tribunal aient à expurger de nombreux documents et, comme dans la décision M. X, le dossier du Tribunal contient de nombreux documents qui identifient le plaignant, tels que des résumés des conférences téléphoniques de gestion d’instance. Après examen des faits et des circonstances de l’affaire, j’ai décidé de modifier les conditions proposées par la Commission afin d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée du plaignant pour ce qui est de son état de santé, passé ou actuel, et l’exigence de la Loi voulant que l’instruction et le dossier du Tribunal demeurent publics. Tel que mentionné par le Tribunal dans Clegg c. Air Canada [6]  : « Le Tribunal a le pouvoir de prendre toute mesure nécessaire pour atteindre un équilibre approprié entre la confidentialité et l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique ».

VI.  Ordonnance

[30]  Par conséquent, je rends l’ordonnance qui suit :

En application de l’alinéa 52(1)c) de la Loi, certains aspects du dossier du Tribunal doivent demeurer confidentiels, comme suit :

  1. Le plaignant doit être désigné sous le nom de T.P. dans toutes les autres requêtes, observations (écrites et orales), audiences, discussions, décisions et tous les autres jugements dans le cadre de la présente instance
  2. Il est interdit de publier les renseignements personnels du plaignant, notamment son nom, sa profession, sa date de naissance, son adresse domiciliaire, son adresse électronique, son numéro de téléphone et les noms des membres de sa famille (les « renseignements permettant l’identification »).
  3. Le plaignant remettra une copie de sa plainte au greffe du Tribunal, à la Commission et à l’intimée, dans laquelle tout renseignement permettant l’identification sera anonymisé.
  4. Le plaignant, la Commission et l‘intimée déposeront et échangeront des copies de leurs énoncés des précisions et répliques (y compris les listes de témoins et les listes de documents), dans lesquels tout renseignement permettant l’identification sera anonymisé.
  5. Le plaignant, la Commission et le défendeur déposeront et échangeront des copies de leurs observations respectives concernant l’avis de requête de la Commission du 9 novembre 2018 (relativement à l’ébauche des DOAD de l’intimée sur les « troubles d’apprentissage »), dans lesquelles tout renseignement permettant l’identification sera anonymisé.
  6. La Commission et le défendeur doivent garder confidentiels tous les renseignements permettant l’identification.
  7. Les parties ne peuvent utiliser les documents produits dans le cadre de la présente instance qu’aux fins de celle-ci et ne doivent les divulguer à aucune personne ou entité extérieure.
  8. Le dossier préalable à l’instruction du Tribunal dans le cadre de la présente affaire doit demeurer confidentiel (c.-à-d. scellé), la seule exception étant que les documents suivants peuvent être mis à la disposition du public :
    1. La plainte anonymisée visée au paragraphe 3 ci-dessus.
    2. Les énoncés des précisions et/ou les répliques anonymisés visés au paragraphe 4 ci-dessus;
    3. Les observations anonymisées relativement à l’avis de requête du 9 novembre 2018 de la Commission visées au paragraphe 5 ci-dessus;
    4. Toute autre requête et toute autre réplique anonymisées préalables à l’enquête déposées par les parties et qui ne concernent pas les dossiers médicaux du plaignant;
    5. Tout jugement anonymisé du Tribunal qui pourrait être rendu dans le cadre de l’instance.
  9. The Tribunal refuse pour le moment d’ordonner que les documents déposés comme éléments de preuve durant l’instruction de la plainte (c.-à-d. l’audience) demeurent confidentiels, sauf pour s’assurer que les renseignements permettant l’identification du plaignant sont expurgés ou autrement anonymisés. Toute partie qui souhaite demander que la preuve documentaire soit scellée doit en faire la demande au cours de l’audience ou dans ses observations finales, et le Tribunal en tiendra compte dans sa décision écrite finale.
  10. L’interdiction de publier les renseignements permettant l’identification du plaignant demeure en vigueur pendant l’instruction de la plainte (c.-à-d. l’audience).

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 28 février 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2220/4217

Intitulé de la cause : T.P. c. Forces armées canadiennes

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 1 mars 2019

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Tom Beasley, pour le plaignant

Brian Smith , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Helen Park, pour l'intimée



[1] 2018 TCDP 11 (« M. X »)

[2] Ibid, par. 13.

[3] Ibid, par. 17.

[4] Ibid, par. 16-22.

[5] Ibid, par. 23.

[6] 2017 TCDP 27 au par. 47.

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