Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 42

Date : le 9 octobre 2019

Numéro du dossier : T2101/1715

 

Entre :

Tracy Polhill

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Première Nation Keeseekoowenin

l'intimée

Décision

Membre : Gabriel Gaudreault

 


TABLE DES MATIÈRES

I. CONTEXTE DE LA PLAINTE  1

II. QUESTIONS EN LITIGE  2

III. REMARQUES PRÉLIMINAIRES  3

A. Intervention de Wes auprès de témoins de la Nation, Robyn et Myrna  3

(i) Les motifs de mon ordonnance  3

(ii) Les répercussions de l’intervention de Wes sur sa crédibilité et la fiabilité de son témoignage  7

B. Crédibilité des témoins  8

C. Ajouts de certains éléments par Tracy dans ses arguments finaux  9

IV. ANALYSE  10

A. Tracy a-t-elle un ou des motifs de distinction illicite protégés par la LCDP?  12

B. Tracy a-t-elle subi un ou plusieurs effets préjudiciables? et le ou les motifs de distinction illicite ont-ils été un facteur dans leur manifestation?  14

(i) Refus de services et traitement défavorable (article 5 LCDP)  14

(a) Assistance aux revenus : service généralement offert au public  22

(b) La création de la résolution du conseil de bande  23

(c) Interventions de Karen dans la fourniture de services auprès de la Nation et le dépôt de la plainte  30

(d) Dépôt de la plainte et rétablissement des prestations  37

(e) Différences de montant en juillet et août 2013 ainsi qu’en mai 2014  38

(ii) Traitement défavorable dans la fourniture de logement [alinéa 6b) LCDP] 39

(iii) Harcèlement (article 14 LCDP)  40

(a) Création d’un groupe haineux  40

(b) Commentaires de Karen sur Facebook  41

(iv) Représailles  43

(a) Commentaires faits par Jen Bone  43

(b) Faux compte Facebook au nom de Wesley Bone  44

(c) Incident impliquant les chevaux errants  46

(d) Appel anonyme à la BC Employment and Assistance Office de la Colombie-Britannique  47

(e) Faux courriels de Brian Sharpe  48

(f) Incidents impliquant la maison de Wes  49

(g) Incidents concernant le contrat de la coupe des foins  53

(v) Autre allégation : Frais funéraires  57

C. Justificatifs de la Nation ou limitation de sa responsabilité  59

V. DÉCISION  59

 


I.  CONTEXTE DE LA PLAINTE

[1]  Avant de résumer la plainte, je prends le temps de préciser que plusieurs individus nommés dans le dossier du Tribunal portent les mêmes noms de famille. Dans un souci de bonne compréhension des parties et des autres lecteurs, j’utiliserai respectueusement les prénoms de ces personnes afin de faciliter la lecture de la présente décision.

[2]  La plaignante, Tracy Polhill (Tracy), a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) en avril 2014 estimant avoir été discriminée et harcelée par la Première Nation Keeseekoowenin (la Nation), et ce, en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique.

[3]  Tracy s’identifie comme autochtone : ses origines émanent de la lignée ancestrale de sa mère. Malgré cela, elle n’est pas éligible à être enregistrée en vertu de la Loi sur les Indiens [Loi sur les Indiens], R.C.S., 1985, ch. I-5. Tracy est en couple avec Wes Bone (Wes), qui est aussi d’origine autochtone. Wes est membre de la Première Nation Keeseekoowenin et est enregistré en vertu de la Loi sur les Indiens.

[4]  Quant à sa plainte, Tracy allègue qu’elle s’est vue refuser des prestations d’assistance aux revenus par la Nation. Elle estime également avoir été traitée différemment dans la fourniture de ce service [alinéas 5a) et b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCDP »)]. Elle allègue également avoir été sujette à des représailles après le dépôt de sa plainte en avril 2014. Elle allègue différents actes de représailles, incluant des commentaires faits par Jen Bone (Jen), la création d’un faux compte Facebook au nom de Wes, l’incident entourant les chevaux errants, l’appel anonyme à la BC Employment and Assistance Office de la Colombie-Britannique, les faux courriels de Brian Sharpe, les incidents concernant la maison de Wes et les incidents entourant la coupe des foins.

[5]  Tracy estime également avoir été défavorisée dans la fourniture de logement [alinéa 6b) LCDP] en étant obligée de quitter la communauté et, par le fait même, la maison de son partenaire Wes. Enfin, elle allègue avoir été harcelée par la Nation après la publication des commentaires grossiers écrits par Karen Bone (Karen) sur Facebook et de la création d’un groupe haineux qui, selon elle, sont attribuables aux actions/inactions de la Nation elle-même.

[6]  Tracy a ajouté certaines pratiques discriminatoires ne faisant pas partie ni de la plainte initiale ni de la plainte amendée. J’aborderai certaines de ces pratiques dans mes remarques préliminaires (Partie III) ainsi que dans la section intitulée « Autres allégations : frais funéraires » (Partie IV, titre B, sous-titre [v]).

[7]  Tracy estime que tous ces actes discriminatoires sont, selon elle, fondés sur sa race (perception qu’elle est blanche, pour reprendre ses propres termes) ainsi que sur son origine nationale ou ethnique (le fait qu’elle n’est pas membre de la Nation).

[8]  La Nation, quant à elle, est une bande au sens de la Loi sur les Indiens. Elle est située dans la province du Manitoba et est constituée de trois parcelles de terre soit Keeseekoowenin 61, Clear Lake 61A et Bottle Lake 61B. La Nation n’assume pas le contrôle de sa propre liste de membres. Ce faisant, c’est Services aux Autochtones Canada qui voient à l’administrer et les règles d’éligibilité sont ainsi prévues dans la Loi sur les Indiens. 

[9]  La Nation est administrée par un conseil de bande, élu par les membres de la Nation en application de la Loi sur les Indiens. Le conseil est constitué d’un chef et de quatre ou cinq conseillers. Les élections ont lieu tous les deux ans, et les termes du chef et des conseillers prennent fin au mois d’avril, des années impaires.

[10]  Entre avril 2013 et avril 2015, c’était M. James Plewak (chef James) qui était le chef de la bande. À tout autre moment pertinent dans la présente plainte, à l’exception d’avril 2013 à avril 2015, c’était M. Norman Bone (chef Norman) qui était alors le chef de la bande.

[11]  Pour les motifs qui suivent, et selon la prépondérance de la preuve qui m’a été présentée à l’audience, je conclus que la plainte de Tracy est non fondée, et ce, dans son entièreté.

II.  QUESTIONS EN LITIGE

[12]  Les questions en litige sont les suivantes :

1)  Est-ce que Tracy a rencontré le fardeau de son dossier, c’est-à-dire, a-t-elle été en mesure de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, les trois éléments suivants :

a.  Tracy a un (ou plusieurs motifs) de distinction illicite protégé(s) par la LCDP (race, origine nationale ou ethnique);

b.  Tracy a subi un ou plusieurs effets préjudiciables (privée ou défavorisée dans la fourniture de services, défavorisée dans la fourniture de logement, harcelée et a été sujette de représailles (articles 5, alinéa 6(b), article 14 et paragraphe 14.1 LCDP);

c.  Un (ou plusieurs motifs) de distinction illicite a (ou ont) été un facteur (ou des facteurs) dans la manifestation de l’effet préjudiciable;

2)  Si Tracy a rencontré le fardeau de son dossier, la Nation a-t-elle été en mesure de présenter une défense ou justification (l’article 15 LCDP) ou a-t-elle été capable de limiter sa responsabilité? (article 65 LCDP);

3)  Si ce n’est pas le cas, quels sont les mesures de réparation que le Tribunal doit ordonner (paragraphe 53(2) LCDP) ?

III.  REMARQUES PRÉLIMINAIRES

A.  Intervention de Wes auprès de témoins de la Nation, Robyn et Myrna

(i)  Les motifs de mon ordonnance

[13]  Le contre-interrogatoire de Wes par Me Boudreau, représentant de la Nation, devait commencer lors du deuxième jour d’audience. Lorsque Me Boudreau s’est présenté afin de débuter le contre-interrogatoire, il s’est adressé au Tribunal afin de partager ce qu’il a qualifié de « faits troublants ». Il a expliqué qu’il venait tout juste d’apprendre que Wes avait demandé à sa sœur Myrna Seaton (Myrna) d’intervenir auprès d’un témoin de la Nation afin de la dissuader de témoigner.

[14]  Selon Me Boudreau, Wes aurait appelé Myrna la soirée précédente. Il lui aurait demandé d’entrer en contact avec Robyn Nabess (Robyn), une conseillère du conseil de bande, pour lui dire que si elle venait témoigner, Wes s’assurerait que son mari, le directeur de l’école secondaire Sioux Valley, perdrait son emploi.

[15]  Myrna aurait refusé d’obtempérer aux demandes de son frère et, effrayée, aurait décidé d’appeler le chef Norman et Me Boudreau afin de leur faire part de la conversation qu’elle avait eue avec son frère.

[16]  Me Boudreau a alors suggéré que j’entende Myrna immédiatement qui était joignable par téléphone. Selon lui, le geste posé par Wes était non seulement punissable sous le régime des articles 59 et 60 LCDP, mais pouvait aussi mener à une accusation d’outrage au Tribunal. Me Boudreau a ajouté que cela devait aussi avoir des répercussions majeures sur le témoignage de Wes, celui-ci devait alors être complètement écarté par le membre instructeur.

[17]  À la lumière de ces faits nouveaux, j’ai demandé aux parties ce qu’elles suggéraient afin de résoudre la situation.

[18]  Me Smith, l’avocat de la Commission, a affirmé qu’il s’agissait d’une question très sérieuse. Selon lui, le Tribunal n’avait toutefois pas la compétence d’utiliser les articles 59 et 60 LCDP puisque ces articles créent une infraction criminelle et que seul le Procureur général du Canada est en mesure de porter de telles accusations. Il a aussi invité le Tribunal à consulter la décision Temple c. Horizon International Distributors, 2017 TCDP 30, où le Tribunal avait complètement rejeté le témoignage d’un témoin qui aurait été payé par la plaignante.

[19]  Tracy et son représentant, M. Wappo Piesew, se sont opposés à ce que Myrna soit appelée comme témoin. Ils ont suggéré de simplement continuer l’audience avec le contre-interrogatoire de Wes, quitte à lui poser des questions quant aux nouvelles allégations d’intimidation.

[20]  Afin d’obtenir des réponses plus étoffées, j’ai ordonné la tenue d’une pause d’une dizaine de minutes afin de permettre aux parties de réfléchir à leur position quant à ces faits, disons-le, hors du commun.

[21]  Lors du retour de la pause, j’ai reconnu que le Tribunal n’avait pas la compétence pour utiliser les mécanismes prévus aux articles 59 et 60 LCDP afin de faire cesser ou de punir l’intimidation. J’avais également pris le temps de lire la décision dans Temple et j’ai demandé une nouvelle fois aux parties de me faire part de leur opinion sur la marche à suivre.

[22]  Les parties se sont positionnées sur la question de l’outrage au Tribunal. Selon Me Boudreau, le Tribunal avait la compétence d’émettre une telle ordonnance, alors que Me Smith croyait qu’il s’agissait d’un pouvoir réservé à la Cour fédérale. Malgré ce désaccord, les parties se sont entendues quant aux démarches qui devaient être prises et ont permis à Me Boudreau de questionner Wes à propos des allégations d’intimidation.

[23]  Le contre-interrogatoire a donc brièvement repris, où Wes a admis avoir appelé sa sœur la veille, mais a nié lui avoir demandé d’intimider Robyn. Le contre-interrogatoire a ensuite été suspendu de nouveau.

[24]  Selon Me Boudreau, il était impératif que Myrna soit interrogée via téléphone dans les plus brefs délais, et ce, avant que le contre-interrogatoire de Wes ne continue. Me Smith et Tracy se sont opposés à cette suggestion. Plutôt, ils ont suggéré que le contre-interrogatoire de Wes soit terminé le lendemain et que Myrna soit assignée à comparaître comme n’importe quel autre témoin à un moment ultérieur. Devant cette impasse, j’ai décidé de prendre une nouvelle pause.

[25]  Au retour de la pause, j’ai tranché et j’ai lu l’ordonnance suivante :

Après avoir entendu les arguments de toutes les parties, je décide de ce qui suit :

Je décide que le contre-interrogatoire de M. Bone sera continué demain matin à 9 :00 ;

Si l’intimée veut contester la crédibilité du témoin, elle aura l’occasion de le faire ;

La plaignante aura aussi l’occasion de se pencher sur la crédibilité du témoin pendant son réinterrogatoire, si elle décide d’en mener un ;

J’autorise également la Commission à se pencher sur la crédibilité du témoin pendant son réinterrogatoire, si elle décide d’en mener un ;

J’autorise l’intimée à appeler Mme Myrna comme témoin dans la présentation de sa preuve ;

Dans les circonstances, l’intimée n’a pas à déposer auprès du Tribunal le résumé du témoignage anticipé de Mme Myrna ;

Si l’intimée a des inquiétudes quant à la préservation de la preuve qui sera présentée par Mme Myrna, son avocat peut lui faire signer une déclaration sous serment au moment et à l’endroit qui lui convient ;

Les motifs de cette ordonnance seront inclus dans ma décision sur le fond de l’affaire. 

[26]  La lecture de l’ordonnance a mis fin à la deuxième journée d’audience. Le lendemain matin, je me suis adressé aux parties pour clarifier la suite des choses. J’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire, dans le contexte et à cette étape-là, de déterminer si le Tribunal avait la compétence de rendre une ordonnance pour outrage.

[27]  J’ai toutefois tenu à préciser que cela ne m’empêcherait en rien d’évaluer la crédibilité de Wes à la lumière de ce que j’allais entendre à propos des allégations d’intimidation.

[28]  Malgré tout, j’ai permis aux parties de déposer une requête portant sur la question d’outrage si elles souhaitaient le faire. Je leur ai indiqué qu’elles devraient aborder les questions qui suivent : 1) Quelle est la compétence qu’a le Tribunal pour rendre une ordonnance d’outrage au Tribunal?; 2) Quels sont les arguments pouvant soutenir leur position et 3) Quelles sont les réparations recherchés. Je leur ai aussi suggéré d’aborder la décision Tipple c. Canada (PG), 2012 CAF 158 dans leurs soumissions écrites, le cas échéant.

[29]  Ultimement, le Tribunal n’a reçu aucune requête portant sur la question d’outrage. Ainsi, la question n’a donc pas à être tranchée.

(ii)  Les répercussions de l’intervention de Wes sur sa crédibilité et la fiabilité de son témoignage

[30]  Enfin, je dois déterminer si l’intervention de Wes auprès de Myrna et de Robyn affecte sa crédibilité et la fiabilité de son témoignage, dans son ensemble. La Nation a demandé d’écarter l’entièreté de son témoignage en raison de cette intervention.

[31]  Je crois effectivement qu’il y a eu ingérence de la part de Wes auprès de Myrna et de Robyn, témoins de la Nation. J’estime que, selon la prépondérance de la preuve, il existe une cohérence entre les actions de Wes, qui visaient à décourager Robyn de témoigner.

[32]  D’abord, la Nation a annoncé lors du premier jour d’audience qu’elle désirait appeler un nouveau témoin, soit Robyn, la nièce de Wes. Après avoir entendu les parties à cet effet, j’ai accepté de l’ajouter parmi la liste de témoins de l’intimée.

[33]  Robyn a expliqué pendant son témoignage que c’est cette même journée que Wes a tenté d’entrer en contact avec elle, notamment par le biais de Jeremy Bone (Jeremy), le fils de Wes. Jeremy s’est présenté devant elle avec un bout de papier sur lequel il y avait un numéro de téléphone qui lui permettrait d’entrer en contact avec Wes et Tracy. Robyn a refusé de les appeler.

[34]  Puisque cette tentative de contact a échoué, il m’apparait cohérent que Wes ait ensuite décidé de trouver un moyen indirect d’entrer en contact avec Robyn. Wes a effectivement avoué, durant son contre-interrogatoire, avoir contacté Myrna afin de discuter du fait que Robyn allait être appelé comme témoin par la Nation.

[35]  Wes a cependant nié avoir tenté d’intimider les deux femmes. Comme je l’ai déjà affirmé précédemment, je ne peux pas me pencher sur la question de l’intimidation sous l’article 59 et 60 LCDP. Cette prérogative est clairement dévolue au Procureur général du Canada (voir paragraphe 60(4) LCDP). Néanmoins, il m’apparait évident que Wes a sérieusement interféré avec ces témoins et, par le fait même, a perturbé la conduite de l’audience. Je reconnais aussi que les agissements de Wes ont créé, tant chez Myrna que chez Robyn, une appréhension à venir témoigner à l’audience.

[36]  L’Honorable Sébastien Grammond de la Cour fédérale a tout récemment rappelé que la crédibilité d’un témoin comporte deux aspects principaux, soit (1) la véracité et (2) la fiabilité. La véracité fait référence à la capacité du témoin à être honnête. Quant à la fiabilité, elle fait plutôt référence au fait que le témoin soit capable de donner un compte rendu exact des faits qui sont importants au litige (voir Magonza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, au par. 17).

[37]  Dans notre dossier, malgré l’intervention déplorable de la part de Wes auprès de Myrna et Robyn, est-ce que je dois conclure que cela affecte l’entièreté de son témoignage? Je ne crois pas, non.

[38]  Je n’ai pas l’impression que Wes avait envisagé que cette intervention allait l’amener à être questionner sur le sujet, devant le Tribunal. Comme je donne foi, sur la prépondérance des probabilités, aux témoignages de Myrna et de Robin à l’effet qu’elles aient subi cette pression, je ne peux retenir l’entière version des faits donnée par Wes. Il semble qu’il ait manqué de jugement en contactant Myrna et en tentant d’influencer le témoignage de Robyn. Néanmoins, il s’agit d’un événement isolé.

[39]  Bien que cela ait ébranlé le processus du Tribunal, rien d’autre dans la preuve ne me permet de conclure que Wes n’aurait pas été honnête pour les autres portions de son témoignage. 

B.  Crédibilité des témoins

[40]  Je dois aborder la question de la crédibilité des témoins puisque je dois avouer avoir entendu des attaques directes et indirectes sur le caractère de pratiquement chaque individu qui a été nommé dans les procédures, tant dans la preuve de la Nation que dans celle de Tracy.

[41]  Tant Tracy que la Nation ont tenté de discréditer les témoins de l’un ou de l’autre, en utilisant leur caractère ou leurs agissements à l’extérieur des procédures du Tribunal. En ayant égard à ces comportements, je ne peux écrire dans cette décision toutes les énormités que j’ai pu entendre. Celles-ci incluent tant des allégations au sujet de problèmes de santé mentale que des accusations de corruption.

[42]  Je crois que les témoins qui ont témoigné devant moi ont été crédibles. Je crois toutefois que la fiabilité de certains témoignages, comme nous le verrons plus tard, n’a pas toujours été au rendez-vous.

[43]  Cela dit, j’aborderai ponctuellement la question de la fiabilité des témoins dans ma décision, si nécessaire.

C.  Ajouts de certains éléments par Tracy dans ses arguments finaux

[44]  Je n’ai pas l’intention de m’attarder longuement quant à cet aspect. La Nation, avec raison, a manifesté le fait que Tracy, dans ses arguments finaux, a ajouté des éléments de  preuve et des arguments qui n’avaient pas été soulevés dans la plainte initiale, ni dans la plainte amendée, ni dans son exposé des faits. La Nation a aussi ajouté que je n’avais pas non plus entendu de preuve quant à ces éléments.

[45]  J’entends la Nation et je suis effectivement d’accord que des ajouts ont été faits, lorsque je lis les arguments finaux de Tracy.

[46]  J’ai exposé au début de l’audience, dans mon discours d’ouverture, les différents aspects qui sont en jeu dans la plainte d’origine ainsi que dans la plainte amendée de Tracy. Je rappelle que j’ai déjà accordé un élargissement de la plainte dans ma décision Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34.

[47]  J’ai affirmé de nouveau aux parties les pratiques discriminatoires qui sont alléguées par Tracy et la Commission. Les parties ont pu alors concentrer leur preuve sur ces aspects bien précis, permettant ainsi de faciliter et d’accélérer l’audience.

[48]  J’ai donné l’occasion aux parties de soumettre leurs observations sur les pratiques alléguées que j’ai énoncées. Personne n’a commenté ni demandé d’ajout ou de retrait de certaines pratiques alléguées. Les parties ont aussi été invitées à donner leurs observations, encore une fois, dans leurs arguments finaux. À mon avis, les parties ont abordé chacun des aspects que j’avais énumérés en début d’audience.

[49]  Toutefois, les arguments finaux n’ont pas pour objectif d’ajouter de la nouvelle preuve qui n’a pas été présentée à l’audience. Il s’agit plutôt de la dernière occasion pour les parties d’expliquer les faits qui, selon elles, ont été prouvés à l’audience et la raison pourquoi ils l’ont été. Les faits présentés doivent appuyer la théorie de la cause de chaque partie. Plus précisément, ils doivent démontrer l’existence, ou non de discrimination ainsi que les réparations recherchées ou contestées. Les parties peuvent aussi citer différentes lois ou jurisprudences à l’appui de leurs observations.

[50]  J’estime que les parties ont eu l’occasion de présenter toute leur preuve lors de l’audience. Pour ces motifs, je vais ignorer les arguments et les éléments additionnels soumis par Tracy qui ne font pas partie de la plainte d’origine, ni de la plainte amendée et des exposés des précisions, et pour lesquels aucune preuve n’a été soumise à l’audience.

IV.  ANALYSE

[51]  Le but de la LCDP est de garantir à tout individu la jouissance du droit à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesure visant la satisfaction de ses besoins, dans la mesure compatible avec ses devoirs et obligations au sein de la société, indépendamment de quelconques considérations fondées sur des motifs de distinction illicite (article 2 LCDP).

[52]  Il est bien établi qu’en matière de discrimination, il revient à la partie plaignante de présenter une preuve suffisamment complète afin de remplir le fardeau de son dossier (traditionnellement appelé preuve prima facie de discrimination, voir mes commentaires dans Brunskill c. Société canadienne des postes [Brunskill], 2019 TCDP 22, aux par. 56 à 58).

[53]  Tracy doit donc présenter une preuve suffisamment complète, selon la prépondérance de la preuve et jusqu’à preuve du contraire, de l’existence de discrimination.

[…] la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé. 

(Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears [Simpsons-Sears], [1985] 2 RCS 536, au par. 28)

[54]  Trois éléments doivent être prouvés :

(1)  Tracy a un ou des motifs de distinction illicite protégés par la LCDP;

(2)  Tracy a subi un effet préjudiciable;

(3)  le ou les motifs de distinction illicite ont été un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

(Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), [2012] RCS 61, au par. 33 et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation) [Bombardier], [2015] RCS 789; Simpsons-Sears, précité, au par 28).

[55]  La preuve présentée doit être analysée selon la prépondérance des probabilités. Le motif de distinction illicite n’a pas à être l’unique facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. La preuve directe de discrimination n’est pas non plus nécessaire, tout comme la démonstration de l’intention de discriminer quelqu’un (Bombardier, aux par. 40 et 41).

[56]  À maintes reprises, le Tribunal a affirmé que la discrimination n'est habituellement pas commise ouvertement ou avec intention. Il est ainsi nécessaire pour le Tribunal d’analyser l’ensemble des circonstances de la plainte afin de déterminer s’il existe de subtiles odeurs de discrimination (voir Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada [Basi], 1988 CanLII 108 [TCDP]).

[57]  La preuve circonstancielle peut aider le Tribunal à tirer des inférences lorsque la preuve qui a été présentée au soutien des allégations rend ces inférences plus probables que les hypothèses ou autres inférences possibles (voir Basi, précité). Il faut néanmoins que la preuve circonstancielle présentée demeure tangiblement liée à la décision ou à la conduite reprochée de la partie intimée (Bombardier, précité, au par. 88).

[58]  J’ai déjà rappelé à plusieurs reprises être d’avis que lorsque le Tribunal analyse la preuve afin de déterminer si une partie plaignante a rencontré le fardeau qui lui incombe, il doit analyser la preuve dans son ensemble, ce qui peut inclure des éléments de preuve qui ont été présentés par la partie intimée (Brunskill, précité, au par. 64).

[59]  En termes clairs, pour qu’une partie plaignante rencontre son fardeau de preuve, elle doit prouver selon la prépondérance des probabilités (1) qu’elle a un motif de distinction illicite, (2) qu’elle a subi un effet préjudiciable et (3) qu’il y a un lien entre cet effet et le motif de distinction. Or, a partie intimée peut présenter, le cas échéant, des éléments de preuve afin de réfuter ces 3 éléments.

[60]  Le Tribunal pourrait conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la partie plaignante a ou n’a pas présenté une preuve suffisamment complète quant à ces 3 éléments. Si la preuve n’est pas complète et suffisante, la plainte est rejetée.

[61]  Au contraire, si le Tribunal conclut que la preuve est suffisamment complète, le fardeau appartient maintenant à la partie intimée. Elle peut présenter une justification à sa décision ou conduite, tel que le prévoit l’article 15 LCDP. La partie plaignante, quant à elle, peut tenter de démontrer que la justification de la partie intimée n’est, en fait, qu’un simple prétexte. Encore une fois, le Tribunal évaluera ces éléments selon la prépondérance des probabilités. C’est à la suite de toute cette analyse que le Tribunal peut déterminer de l’existence, ou non, de discrimination.

[62]  Enfin, la partie intimée pourrait limiter sa responsabilité, dans les cas applicables, en vertu de l’article 65 LCDP.

[63]  C’est sous cette analyse que j’aborderai les éléments de preuve présentée à l’audience.

A.  Tracy a-t-elle un ou des motifs de distinction illicite protégés par la LCDP?

[64]  Je n’ai pas l’intention de m’attarder longuement aux motifs de distinction illicite qui, à mon avis, sont particulièrement clairs. Les motifs de distinction illicite invoqués par Tracy sont l’origine nationale ou ethnique (non-membre de la Nation) et la race (perception d’être blanche) (article 3 LCDP).

[65]  Sans reprendre l’entièreté des représentations de la Nation, cette dernière a invoqué dans ses arguments finaux que le fait d’être membre ou non d’une communauté autochtone, ainsi que le fait d’avoir ou non le statut d’indien au sens de la Loi sur les Indiens, n’est pas lié au motif de distinction illicite de l’origine nationale. Cela dit, cet argument ne vise que la question de l’origine nationale : elle n’aborde aucunement la question de l’origine ethnique.

[66]  Bien que l’argumentaire de la Nation soit intéressant, je pense néanmoins qu’il n’est pas nécessaire de complexifier davantage le dossier. Tracy s’identifie comme autochtone, ayant des ancêtres Anishnaabe. Malgré cela, elle n’a pas de statut sous la Loi sur les Indiens. Elle n’est pas non plus native de la communauté de Keeseekoowenin. Cela fait en sorte que Tracy ne peut pas, et n’est pas, membre de la Nation. C’est pourquoi je suis d’avis que c’est plutôt l’origine ethnique dont il est question dans le cas en l’espèce.

[67]  Quant au motif de la race, Tracy a expliqué que c’est la perception qu’ont les autres individus de la communauté à son égard qui est pertinent dans le cas en l’espèce. Ils ne connaissent pas ses ancêtres Anishnaabe et la perçoivent comme blanche, pour reprendre ses mots.

[68]  Il est reconnu que la LCDP interdit la discrimination basée sur l’appartenance perçue à un groupe protégé (voir Warman c. Kyburz, 2003 TCDP 18, au par. 52. Voir également Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville)Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665; Rail Canada Inc. c. Canada (Commission des droits de la personne.) (no 2) (1999), 33 C.H.R.R. D/127 (TCDP).

[69]  Ainsi, non seulement Tracy estime être perçue comme blanche, mais elle n’est pas non plus membre de la Nation : ces deux éléments font en sorte qu’elle est perçue comme une étrangère à la Nation. Elle a donc démontré avec succès avoir ces deux motifs de distinctions illicites, tels que protégés par la LCDP.

B.  Tracy a-t-elle subi un ou plusieurs effets préjudiciables? et le ou les motifs de distinction illicite ont-ils été un facteur dans leur manifestation?

[70]  Tracy allègue avoir subis de nombreux effets préjudiciables aux mains de la Nation, et ce, parce qu’elle y était perçue comme blanche ou non membre de la Nation. J’analyserai ses cinq allégations afin de déterminer si elle a rencontré son fardeau de la preuve.

(i)  Refus de services et traitement défavorable (article 5 LCDP) 

[71]  La première allégation de Tracy concerne les problèmes qu’elle a rencontrés lorsqu’elle a tenté d’obtenir des prestations d’assistance aux revenus auprès de la communauté. Comme l’a soutenu la Commission tout au long de son implication dans la plainte de Tracy, je considère également qu’il s’agit là du cœur du litige devant le Tribunal. Il s’agit d’une allégation complexe, qui fait entrer en jeu de nombreux faits. Tracy considère en effet que le refus de services découle de différents traitements défavorables commis par la Nation. Avant d’analyser chacun de ces traitements, je considère qu’une mise en contexte s’impose et c’est la raison pourquoi j’offre ici un bref résumé des faits qui ont été présentés devant moi.

[72]  Tracy a décidé de s’installer au Manitoba en 2004. Elle avait déjà des relations avec la communauté et ses membres avant le début de sa relation avec Wes en 2012. Elle avait créé des liens avec différentes personnes vivant dans la communauté, entre autres Linda, la sœur de Wes et leur mère Rachel.

[73]  Vers l’an 2009, la fille de Tracy et son beau-frère ont décidé d’acheter une ferme adjacente à la communauté Keeseekoowenin. C’est à cet endroit que Tracy vit lorsqu’elle n’est pas dans la communauté Keeseekoowenin.

[74]  La preuve révèle également qu’en 2010, Tracy offrait des services d’aide et de soins à certains membres de la communauté. Elle offrait des soins notamment à Rachel, la mère de Wes. Elle a également offert des soins à un autre membre de la communauté, Marvin Blackbird, ayant de graves problèmes de santé. Afin de lui offrir des soins plus intensifs, elle a cohabité avec cet individu pendant un certain moment. La preuve révèle cependant que Tracy, bien qu’elle était intéressée à prodiguer des soins personnels, n’avait pas encore obtenu son diplôme en la matière, diplôme qu’elle a reçu en mars 2011.

[75]  Ses implications et les soins prodigués par Tracy à Rachel lui causeront certains problèmes avec la Nation. En effet, en juillet 2010, une altercation a eu lieu entre Tracy et une infirmière du centre de santé Keeseekoowenin, Mme Jung. La mésentente était en lien avec le plan de traitements proposé par Mme Jung concernant Rachel et les inquiétudes de Tracy quant à ce plan. Tracy a dénoncé la situation à la Nation et a déposé une plainte à l’ordre des infirmières contre Mme Jung, plainte qui a été rejetée.

[76]  La Nation a été mise au courant de l’incident et des perturbations que cela a causées tant au bureau du conseil de bande qu’au centre de santé. L’information était parvenue au conseil de différentes sources. De toute évidence, la Nation a décidé d’intervenir et de faire parvenir une lettre à Tracy à la fin de juillet 2010 afin d’aborder l’incident. Le conseil de bande était inquiet pour la sécurité et la santé de son personnel et de ses membres. Le conseil de bande a informé Tracy qu’il allait se réunir afin de discuter de la situation et que sans explication sérieuse de sa part, il pourrait limiter ses implications dans la communauté ou encore la retirer entièrement de la Nation. Le conseil l’a invité à s’expliquer, ce qu’elle a fait par écrit. À la suite de cet incident et des explications de Tracy, le conseil n’a pas jugé nécessaire d’intervenir davantage.

[77]  Cet incident est important puisqu’il refera surface et aura une influence sur l’adoption d’une résolution du conseil de bande en janvier 2013 contre Tracy. J’y reviendrai sous peu.

[78]  Cela étant précisé, Tracy et Wes ont débuté leur relation en étant d’abord des amis. Avec le temps, ils ont décidé de former un couple, ce qui s’officialisa au printemps 2012. Wes est membre de la Nation et détient une maison dans la communauté Keeseekoowenin. Tracy a commencé à passer plus de temps dans la communauté notamment pour être avec Wes. Évidemment, elle habitait chez lui.  

[79]  En juin 2013, Tracy a déménagé définitivement dans la maison de Wes. Elle a décidé de déposer une demande auprès de la Nation afin de bénéficier du programme d’assistance aux revenus. C’est là que ses problèmes ont débuté.  

[80]  La Nation offre différents services à ses membres. Ces services sont administrés par différents agents et responsables qui détiennent leur propre portfolio, et ce, selon les tâches qui leur sont attitrées. Certains autres employés ont des rôles de personnel-cadre, ce qui les rattachent plutôt à la gouvernance et à l’administration de la Nation.

[81]  Toujours dans la même veine, il est pertinent de mentionner que la province du Manitoba et le Gouvernement du Canada offrent des programmes d’assistance aux revenus. J’ai entendu une vaste preuve quant à ces programmes et j’estime qu’il n’est pas pertinent de reprendre en détail tout ce qui a été présenté à l’audience.

[82]  Il suffit de comprendre que l’admissibilité à un ou l’autre des programmes dépend de différents critères et facteurs. Le gouvernement manitobain est responsable de  l’administration et du financement de son propre programme d’assistance aux revenus. Les individus qui habitent en dehors d’une communauté autochtone ou ceux qui habitent à l’intérieur d’une communauté autochtone et qui font une demande comme prestataire principal sans avoir le statut « d’indien » au sens de la Loi sur les Indiens, pourraient recevoir des prestations d’assistance aux revenus de la province.

[83]  Le Gouvernement du Canada administre aussi un programme d’assistance aux revenus. Si un individu est considéré comme un « indien» au sens de la Loi sur les Indiens et habite ordinairement sur une communauté autochtone, il pourrait être éligible à recevoir de telles prestations fédérales. Les personnes qui sont à sa charge, qu’elles aient ou non le statut d’« indien », sont aussi admissibles à recevoir ces prestations.

[84]  Évidemment, les programmes d’assistance aux revenus sont des ressources de dernier recours. Outre les critères précédents, l’admissibilité à ces programmes est aussi fondée sur la situation spécifique de chaque demandeur qui doit démontrer que sans ces prestations, ses besoins de base ne sauraient être minimalement comblés. Lorsque les responsables du programme reçoivent une demande, ils vérifient les renseignements fournis par le demandeur afin de valider leur admissibilité. Les renseignements peuvent inclure le lieu de résidence, les avoirs et les revenus. Les responsables peuvent aussi demander de l’information additionnelle lorsque des précisions s’imposent.

[85]  Cela dit, Tracy, par le biais de son partenaire Wes, a été en mesure de déposer une demande au programme d’assistances aux revenus administré par le gouvernement du Canada. Ce programme, rappelons-le, est géré par la Nation. Comme Tracy était une personne à la charge d’un individu enregistré comme « indien » au sens de la Loi sur les Indiens et qui habitait ordinairement sur la communauté de Keeseekoowenin, il lui était donc possible de déposer une demande à la Nation. La demande a effectivement été acceptée par les responsables du programme et Tracy a pu bénéficier, en tant que personne à la charge de Wes, de prestations fédérales d’assistance aux revenus pendant une certaine période de l’année 2013.

[86]  En septembre 2013, les bénéfices de Tracy ont soudainement pris fin. Les responsables du programme ont été mis au courant de l’existence d’une résolution du conseil de bande qui avait été adoptée quelques mois auparavant soit le 23 janvier 2013. L’adoption de la résolution par le conseil de bande est critique dans le présent dossier. Il est important de s’y attarder.

[87]  Une résolution du conseil de bande datant du 23 janvier 2013 interdisait à Tracy d’entrer sur la réserve ou de communiquer avec un membre de la Nation. Tracy n’a pas été personnellement convoquée par le conseil de bande avant la création de la résolution et elle n’a pas été invitée à présenter ses observations. Tracy n’a pas non plus été informée de l’existence de la résolution après la création. Entre le mois de janvier 2013 et septembre 2013, cette résolution a donc été dormante au sein du conseil de bande.

[88]  Ce n’est qu’au début du mois de septembre 2013 que Tracy a mis la main sur une copie de la résolution du conseil de bande la concernant. Il appert que Wes a entendu parler de cette résolution alors qu’il était dans un bar à Sandy Lake. Une de ses connaissances lui aurait mentionné que des membres de la communauté, Karen Bone (Karen) et Dianne Blackbird (Dianne), brandissaient et vantaient cette résolution bannissant Tracy de la communauté.

[89]  Est-ce que Karen et Dianne avaient vraiment avec elles une copie de la résolution, qu’elles exposaient et clamaient dans les lieux publics? La preuve est mince à cet effet et généralement fondée sur du ouï-dire. De toute manière, je ne crois pas que cela soit déterminant. De toute évidence, Wes a été mis au courant de son existence. Il s’est donc rendu avec Tracy au bureau du conseil de bande afin d’en récupérer une copie. C’est à ce moment-là que Tracy a appris qu’elle ne pouvait plus entrer dans la communauté, ni communiquer avec ses membres.

[90]  Immédiatement, Tracy et Wes se sont rendus au bureau de la Gendarmerie Royale du Canada, à Elphinstone. Un agent leur a confirmé que la résolution ne pouvait pas être exécutée par la Gendarmerie. Il a également confirmé qu’un individu de la Nation était venu, quelques mois auparavant, demander à la Gendarmerie de signifier la résolution à Tracy en personne. La Gendarmerie avait refusé cette demande.

[91]  Tracy a qualifié cette résolution comme étant le plus grand châtiment que la Nation pouvait lui affliger. Elle a ainsi décidé de quitter la communauté. Elle est retournée habiter dans la maison de sa fille, tout juste à côté de la communauté Keeseekoowenin. Elle a déposé une demande d’assistance aux revenus à la province du Manitoba, demande qui a été acceptée. Ses prestations ont donc repris entre septembre 2013 et février 2014, mais par le biais de la province.

[92]  En février 2014, Tracy a écrit une lettre au conseil de bande lui demandant d’annuler la résolution. La preuve révèle que le chef James se souvient de cette lettre et se rappelle avoir discuté de la situation avec les autres conseillers. À l’époque, il avait été porté à son attention que l’existence de la résolution avait un lien, entre autres, avec l’incident de 2010 lors duquel Tracy avait suggéré à des anciens de ne pas suivre les avis médicaux de leur médecin. Il avait également été informé que la résolution n’était pas exécutable, puisqu’elle était invalide.

[93]  Chef James a continué son témoignage en expliquant que la secrétaire exécutive, qui était Karen à ce moment, avait eu la tâche de réécrire à Tracy afin de l’informer que la résolution était invalide. Cette lettre a effectivement été écrite le 19 février 2014. Elle informait Tracy que sa lettre avait fait l’objet de discussion par le conseil de bande. Il y était également écrit que Tracy n’avait pas suivi la résolution et que cela ne l’avait pas empêché d’entrer dans la communauté. Enfin, elle mentionnait que la résolution ne l’empêchait pas de solliciter un emploi dans la Nation si elle le désirait.

[94]  Il est incontestable que cette lettre, rédigée par Karen, est courte et peu détaillée. Elle ne précise pas que la résolution est inexécutable, voire invalide. Elle n’aborde pas la question concernant la résidence ni la possibilité d’appliquer au programme d’assistance aux revenus. Chef James a confirmé que la lettre ne correspondait pas à ses directives et qu’elle était mal rédigée. Il est aussi évident que Tracy n’a pas non plus compris le contenu de la lettre puisque quelques jours plus tard, elle a envoyé de nouveau une lettre au conseil de bande afin d’aborder encore l’existence de la résolution.

[95]  En mars 2014, Tracy est retournée vivre dans la communauté. Il appert qu’un appel a été effectué à la province du Manitoba en lien avec ses prestations d’assistance aux revenus. L’information qui aurait été fournie était à l’effet que Tracy habitait officiellement dans la communauté à nouveau. Il m’est impossible d’identifier la personne qui aurait appelé la province du Manitoba, avec la preuve fournie à l’audience. Au final, la preuve révèle que Tracy avait informé la province de son déménagement de toute façon, ce qui a mis fin à ses prestations provinciales à la fin de février 2014.

[96]  Après son retour, en mars et avril 2014, elle a donc effectué des démarches auprès de Dolorès Blackbird (Dolores), la responsable du programme d’assistances aux revenus, afin d’appliquer à nouveau au programme fédéral d’assistance aux revenus. Elle a également abordé l’existence de cette résolution du conseil de bande. Tracy et Dolores ont alors tenté de régler la situation. Dolores a été directe à l’effet qu’elle ne pouvait rétablir les prestations de Tracy sans avoir de directives de la part du conseil. Tracy, de son côté, désirait avoir une lettre de la part de la Nation disant qu’elle n’aurait pas droit aux prestations. Avec cette lettre, elle aurait pu réappliquer au programme provincial. Somme toute, la preuve démontre que des efforts étaient déployés afin de régler l’impasse.

[97]  Le 14 avril 2014, Tracy s’est présentée au bureau de la Nation. C’est à ce moment qu’une altercation a eu lieu entre elle et la secrétaire exécutive de la Nation, Karen. La preuve quant à cet événement est contradictoire. J’ai entendu quatre témoins me racontant cet événement, Tracy, Karen, Dolores et Wes, et les quatre versions ne sont pas similaires en tout point. Selon la preuve prépondérante, je retiens la version suivante des faits.

[98]  Tracy désirait avoir un suivi de la situation auprès de Dolores entre autres quant à la lettre qu’elle avait demandée. Elle s’est présentée au bureau de Dolores afin de discuter avec elle. Il appert que le bureau de Karen était tout à côté du bureau de Dolores. Celle-ci lui aurait dit de s’adresser à Karen. Tracy aurait répondu qu’elle n’était pas très ouverte à discuter avec Karen puisque cette dernière ne l’aimait pas. Karen aurait entendu ce commentaire et aurait demandé la raison pour laquelle elle disait une telle chose puisqu’elles ne se connaissent même pas. Tracy s’est ensuite déplacée dans le bureau de Karen et c’est à ce moment que l’altercation a eu lieu.

[99]  Selon Tracy, Karen lui aurait proféré des insultes racistes, notamment en lien avec la perception qu’elle était d’origine « blanche ». Elle lui aurait demandé vulgairement de quitter son bureau. Wes aurait entendu Karen dire à Tracy qu’elle n’était pas membre de la communauté et qu’elle n’avait pas le droit de recevoir de services. Quant à Karen, elle nie avoir proféré des insultes racistes à Tracy. Elle a reconnu lui avoir demandé sèchement de quitter son bureau et a dit que la situation l’avait particulièrement secouée.

[100]  Enfin, Dolores a plutôt confirmé que Tracy et Karen avaient toutes les deux levé le ton. Elle n’a pas entendu Karen prononcer d’insultes racistes, mais a confirmé que les deux femmes étaient frustrées et contrariées. Elle a confirmé que ce n’était pas la première fois qu’elle était témoin de ce type de réaction et qu’il n’était pas rare que des clients fassent part de leurs frustrations. Elle a expliqué comprendre les motifs pour lesquels Tracy était à ce moment-là fâchée en raison de ses difficultés à recevoir des prestations. Elle a finalement précisé que Karen avait été aussi très ébranlée par l’incident.

[101]  J’estime que le témoignage de Dolores, qui n’est ni personnellement ni émotionnellement impliquée dans la situation, était particulièrement crédible. Son témoignage était empreint de calme et de retenue. Dolores n’a pas été visée ni impliquée dans cette altercation entre Karen et Tracy. Il faut ajouter qu’elle était aussi présente lors de cet incident et était en mesure d’entendre ce qui se disait. Considérant sa distanciation et son recul ainsi que son absence d’intérêts dans la cause, j’estime qu’il s’agit de la version la plus probable des événements.

[102]  Cela étant dit, l’incident ne s’arrête pas là. À la suite de cette altercation, Karen est retournée chez elle, toujours fâchée et secouée de la situation. Dans un moment d’impulsivité, elle a affiché sur Facebook une publication offensante dans laquelle elle mentionnait ce qui suit :

« OMG!!!! Some f*#& white trash are restarded[sic], especially ones that think they can live on reserve and get what ever they fucken want… ooh I’m so fucken pissed off … some bitch has a fucken nerve plus demand for services on reserve ».

« [Traduction] OMD!!! Certains c*#& de déchets Blancs sont retardés, surtout quand ils pensent qu’ils peuvent vivre sur la réserve et obtenir tout ce qu’ils veulent tabarnac… ooh je suis crissement frustré… certaines chiennes ont le crisse de culot en plus de demander des services sur la réserve ».

[103]  Karen a confirmé qu’il y avait une erreur dans sa publication : le terme « restarted » aurait dû être « retarded » [Traduction] « retardée ».

[104]  Cela dit, cette publication a engendré d’autres publications de la part de différentes personnes incluant des membres de la Nation. Quelqu’un a demandé à qui Karen faisait référence, ce à quoi elle a répondu The same ol retarded one lol  [Traduction] « la même femme vieille et retardée lol». Une personne a ensuite répondu qu’en nommant la « retardée », elle savait exactement de qui Karen parlait.

[105]  Cela ne s’arrête pas là. Karen a poursuivi et a ajouté Lol stupid fucken stalking bitch and it’s too bad some people are so gullible to believe the bull shit that comes out of her mouth [Traduction] « Lol l’harcelante crisse de chienne, et c’est décevant voir que des gens sont naïfs à tel point pour croire les conneries qui sortent de sa bouche ». Une dernière personne a répondu à ce commentaire en disant qu’elle savait aussi de qui Karen parlait puisqu’il n’y a qu’une seule folle comme elle. Rapidement, ces publications et commentaires ont été portés à l’attention de Tracy, ce qui l’a particulièrement affectée.

[106]  Après cet incident et ayant toujours en tête l’existence de la résolution du conseil et les difficultés à recevoir des prestations, Tracy et Wes ont tenté de contacter le chef James en avril 2014 afin de discuter et de régler  la situation. Ils se sont déplacés à Winnipeg, sachant que chef James était généralement dans cette ville. Ils ont aussi tenté de l’appeler et de lui envoyer des messages textes. Sans succès. Tracy a alors décidé de déposer sa plainte à la Commission.

[107]  Il n’est pas clair si une copie de la plainte a été donnée au conseil de bande. Selon Tracy, elle aurait donné une copie à Dolores, qui en aurait fait une copie. Dolores ne se souvient pas d’avoir vu la plainte et croit avoir eu connaissance de la plainte lorsque l’enquêteur de la Commission l’a contactée pour discuter de la situation. Au final, cela n’est pas, à mon avis, déterminant en l’espèce.

[108]  Au final, les prestations de Tracy ont été réinstaurées en date du 1er mai 2014.

(a)  Assistance aux revenus : service généralement offert au public

[109]  Il n’est pas contesté par les parties que le programme d’assistance aux revenus qui est géré par la Nation est un service généralement offert au public au sens de l’article 5 LCDP.

[110]  Dans une récente décision, le Tribunal a résumé les guides en matière de service généralement offert au public de la façon suivante :

[30] Selon le libellé de cet article, les plaignantes doivent démontrer que les actes reprochés s’inscrivent dans la fourniture de services destinés au public. Le premier volet de l’analyse requiert que l’on définisse le sens du mot « service » en fonction des faits portés à la connaissance du Tribunal (Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 RCS 571, 1996 CanLII 231 (CSC), le juge La Forest, par. 68 [Gould]). En d’autres termes, quel est l’« avantage » ou l’« aide » offert (Watkin c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 170, par. 31 [Watkin]; et, Gould, le juge La Forest, par. 55). Pour trancher cette question, « [i]l faut tenir compte des actes précis à l’origine de l’allégation de discrimination pour pouvoir déterminer s’il s’agit de “services” » (Watkin, par. 33). À cet égard, il peut être utile de se demander si l’avantage ou l’aide en question constitue la nature essentielle de l’activité (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Pankiw, 2010 CF 555, par. 42).

[31] À l’étape suivante, il faut déterminer si le service crée une relation publique entre le fournisseur du service et son utilisateur. Le fait que des mesures soient prises par un organisme public pour le bien du public n’est pas déterminant. En fait, aucun facteur n’est à lui seul déterminant. Pour déterminer si un service s’inscrit dans le cadre d’une « relation publique », le Tribunal doit examiner tous les facteurs pertinents en fonction du contexte (voir Gould, du juge La Forest, par. 68; Watkin, par. 32 et 33). Pour tirer cette conclusion, le Tribunal doit définir le « public » auquel est offert le service. La définition du public est d’ordre relationnel et non quantitatif. Autrement dit, il n’est pas nécessaire que les clients à qui le service est offert constituent l’ensemble du public. Ils peuvent constituer un segment très important ou très restreint du « public » (University of British Columbia c. Berg, [1993] 2 RCS 353, p. 374 à 388; Gould, le juge La Forest, par. 68). Une relation publique est créée dès lors que le fournisseur de services offre un « service » au « public » en question (Gould, le juge La Forest, par. 55).

(voir Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, aux par. 30 et 31).

[111]  Le Tribunal a également déjà reconnu qu’une Première Nation fournissait un service généralement offert au public lorsqu’elle administre et gère le programme d’assistance aux revenus autrement offert par le gouvernement fédéral (voir MacNutt c. Conseil de la Bande indienne de Shubenacadie, D.T. 14/95, 11 octobre 1995).

[112]  Je suis donc d’avis qu’effectivement, la Nation offre un service au sens de l’article 5 LCDP lorsqu’elle administre le programme d’assistance aux revenus.

(b)  La création de la résolution du conseil de bande

[113]  Comme mentionné précédemment, les événements entourant la création de la résolution du conseil de bande sont importants, puisque c’est la résolution qui a été utilisée pour mettre un terme à l’assistance aux revenus de Tracy. Si la résolution est en elle-même discriminatoire, son utilisation afin d’arrêter les prestations serait, par le fait même, discriminatoire.

[114]  La preuve révèle que l’instigatrice de la résolution par le conseil de bande est Dianne. Avant de débuter sa relation avec Tracy, Wes était en couple avec Dianne, qui est aussi membre de la Nation. La relation entre Tracy, Wes et Dianne est particulièrement tendue voire hautement toxique. À l’audience, j’ai entendu une myriade d’allégations, d’accusations, d’interprétations de mots et de gestes, qui auraient été commises par ces trois personnes. Plusieurs éléments de leur témoignage étaient basés sur des perceptions, des hypothèses et des suppositions.

[115]  En toute franchise, je ne peux transcrire dans ma décision tout ce qui a pu être dit par les uns contre les autres. J’ai entendu de la preuve sur des relations triangulaires et extraconjugales, des dépendances au jeu, à l’alcool et la drogue, des allégations d’actes criminels, de vol, de harcèlement, de violence, d’abus, de vandalisme, de traque, et j’en passe.

[116]  J’ajoute que le ouï-dire, bien qu’il soit admissible devant le Tribunal [alinéa 50(3)c) LCDP], était particulièrement omniprésent dans les renseignements qui m’ont été donnés tant par les uns que les autres, ce qui complexifie sérieusement ma tâche.

[117]  Je ne crois pas qu’il soit déterminant pour moi de départager tout ce qui est vrai, de tout ce qui est faux, puisqu’une grande masse d’information déposée à l’audience n’est pas pertinente ou déterminante au litige.

[118]  De toute évidence, la relation entre Tracy, Wes et Dianne est particulièrement tendue, toxique et clairement amère. Cela les a menés, tous les trois, à interpréter les mots, les gestes, les actions des autres avec un degré de sensibilité inévitablement accru. Cela les a également conduits à nécessairement exagérer ce qui aurait pu être dit ou fait. Chacun a sa propre interprétation de la situation. Chacun croit sincèrement que c’est l’autre qui était harcelant.

[119]  En lien avec la création de la résolution, c’est Dianne qui a communiqué avec Barry Bone (Barry), un conseiller siégeant au conseil de bande. Elle l’a, entre autres, informé que Tracy la harcelait, la traquait, qu’elle l’appelait chez elle et au bureau. Elle lui a également mentionné que Tracy demandait aux autres membres de la communauté si Wes était encore avec elle et qu’elle aurait jeté des clous dans son entrée de maison. Dianne a même contacté la Gendarmerie pour dénoncer la situation, mais elle se serait fait répondre qu’elle pourrait elle-même être accusée de harcèlement contre Tracy. Bref, Dianne était fatiguée de la situation, voulait s’assurer de la sécurité de ses petits-enfants et voulait que le conseil s’en mêle. Barry a alors décidé d’en parler avec le conseil de bande et le chef.

[120]  Barry, quant à lui, m’a expliqué ne pas réellement se souvenir de tous les détails de sa conversation avec Dianne. Il se souvient par contre que Dianne l’ait approché afin de lui parler du harcèlement de Tracy et du fait qu’elle la surveillait. Il se souvient aussi que Dianne lui ait dit que Tracy l’accusait d’avoir une liaison amoureuse avec Wes, que cette dernière venait chez elle le soir et qu’elle ne se sentait pas en sécurité. Dianne a ainsi sollicité son aide.

[121]  Il va sans dire qu’une résolution a été adoptée le 23 janvier 2013, empêchant Tracy d’entrer dans la communauté et de communiquer avec ses membres. Il est vrai que les explications pour une telle décision ne sont pas réellement détaillées dans la résolution. J’ai pu bénéficier du dépôt de cette résolution. Il est effectivement écrit que le conseil de bande et le chef doivent moralement et légalement protéger les citoyens vivant dans les limites de la communauté. La résolution prévoit également que si des personnes viennent dans la communauté et sont un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, le conseil de bande et le chef doivent agir conformément au principe de la protection des citoyens à l’égard de ces personnes et de la protection de ces personnes à l’égard de tous les citoyens. Cette résolution a été signée par quatre conseillers, Marjorie Blackbird, Barry Bone, Yolanda Williams et Arnold Bone, ainsi que par le chef, Norman Bone.

[122]  Bien que la preuve révèle que généralement, les rencontres, discussions et décisions du conseil de bande sont consignées à l’aide de procès-verbaux qui sont ensuite conservés, aucun procès-verbal de la rencontre du 23 janvier 2013 qui a mené à l’adoption de la résolution n’a été déposé à l’audience.

[123]  La Commission estime que cela ouvre la porte à ce que je tire des inférences voulant que la Nation aurait omis de divulguer ces documents ou les auraient détruits puisqu’ils étaient défavorables à sa position. Divers témoins, par exemple le chef Norman Bone et Karen, ont affirmé que normalement, les rencontres du conseil sont consignées dans des procès-verbaux. Cela dit, la Nation a admis qu’il existe de sérieuses faiblesses au sein de sa propre administration. Le processus du Tribunal a soulevé des failles dans la tenue des registres. Néanmoins, la Nation estime avoir divulgué tout ce qu’elle avait en sa possession et conteste l’inférence faite par la Commission.

[124]  Je rappelle que l’inférence s’inscrit inextricablement dans le processus d’appréciation des faits, réalisé par le juge des faits. La décision de juger et de tirer des inférences relève de son pouvoir discrétionnaire. Cela dit, les inférences sont tirées à la lumière de la preuve, évaluée dans son ensemble. Ici, je n’ai aucune preuve que la Nation aurait délibérément détruit ou omis de divulguer des registres. Ce faisant, je ne peux tirer une telle inférence, comme me le demande la Commission.

[125]  Tracy a également soulevé des problèmes quant à la forme de la résolution, incluant sa numération, sa référence et son enregistrement à Services aux Autochtones Canada. Selon elle, la résolution n’était pas valide, notamment en raison des manquements à la procédure. Je ne crois pas que cela soit déterminant dans les circonstances puisque la résolution, valide ou non, sous le bon format ou non, a été adoptée et utilisée pour arrêter les prestations versées à Tracy. C’est sous cette loupe qu’il faut considérer cette portion de la plainte.

[126]  Cela dit, je dois déterminer si la création de la résolution du conseil de bande était fondée sur des considérations discriminatoires. La résolution, utilisée dans l’optique d’arrêter les versements de prestation, se révélerait, par le fait même, à être fondée sur des considérations discriminatoires.

[127]  Je tiens tout d’abord à souligner qu’il faut assurément faire la part des choses entre les motifs qui ont ou auraient poussé Dianne à demander l’intervention du conseil de bande et les actions du conseil de bande lui-même dans l’adoption de la résolution.

[128]  La partie défenderesse dans la plainte est la Nation elle-même. La Nation agit via son conseil de bande et son chef, qui prennent les décisions pour la Nation. Dianne n’est pas personnellement nommée dans la plainte déposée devant le Tribunal.

[129]  Ainsi, je dois regarder si la Nation a commis un acte discriminatoire au sens de la LCDP, et non pas si Dianne a commis un tel acte. La question est donc la suivante : Est-ce que la Nation a nié ou traité défavorablement Tracy dans la fourniture de services, soit le programme d’assistance aux revenus, en se fondant sur un ou des motifs de distinction illicite? Je ne crois pas, non.

[130]  Dianne n’est pas une conseillère du conseil de bande. Elle n’a aucun pouvoir décisionnel sur la Nation. Elle est simplement un membre qui a contacté un conseiller afin de lui manifester ses inquiétudes. Même si je donnais foi à la thèse voulant que Dianne désirait que Tracy soit bannie de la Nation, et ce, en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique, je ne crois pas que cela ait des répercussions sur la décision prise par le conseil de bande.

[131]  Est-ce que le fait que Dianne ait donné des renseignements au conseiller Barry et, par le fait même, au conseil, change vraiment quelque chose à la situation? Je ne crois pas, et ce, que ces renseignements aient été vrais ou faux. Que Dianne ait eue des considérations discriminatoires, intentionnelles ou malveillantes, j’estime que cela n’a pas d’importance.

[132]  Dianne a rapporté de l’information au conseil de bande concernant Tracy et ses présumés agissements dangereux. Rien dans la preuve ne me permet de conclure que le conseiller Barry et ainsi, le conseil, aient été mis au courant que Dianne ait pu avoir des considérations discriminatoires dans son intervention. Rien dans la preuve ne me permet de conclure que les conseillers et le chef ont adopté la résolution en raison de la race ou de l’origine nationale ou ethnique de Tracy.

[133]  Il est vrai que le conseil a finalement adopté la résolution, sans trop se poser de questions. Il n’a pas demandé à Tracy de présenter sa version des faits. Que le conseil ait agi avec justesse et équité, ou qu’il ait pris une décision allant à l’encontre de ses pratiques ou de ses politiques n’est pas déterminant dans les circonstances. Si le conseil de bande avait refusé d’entendre Tracy en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique, la situation serait encore différente. Selon la preuve présentée, rien ne me permet de conclure que c’est le cas.

[134]  Toutefois, sans m’immiscer dans les procédures du conseil de bande, et en vous rappelant que le Tribunal n’est pas un organe de révision des décisions d’un conseil de bande, je suis effectivement d’accord que d’importantes questions d’équité procédurale se posent. Cela dit, que le conseil ait pris une bonne ou une mauvaise décision, aussi équitable ou inéquitable soit-elle, cela ne veut pas dire que la décision était, en elle-même, discriminatoire.

[135]  Ici, le conseil s’est fondé sur des renseignements d’un membre de la communauté. Lorsque le conseiller Barry et le chef Norman ont témoigné à l’audience, ils ont expliqué pourquoi la résolution a été adoptée. Ils ont affirmé que cela n’avait rien à voir avec la race ou l’origine nationale ou ethnique de Tracy. La résolution a été adoptée parce qu’un membre de la communauté, Dianne, affirmait être harcelée par Tracy. De plus, l’événement entourant l’altercation avec l’infirmière Jung avait aussi refait surface, le conseil de bande se souvenant des actions qui avaient été posées par Tracy et de l’avertissement majeur qui lui avait été envoyé à l’époque. Au final, l’objectif était de protéger les citoyens vivant au sein de la communauté.

[136]  Je suis effectivement d’accord que la décision d’empêcher Tracy d’entrer dans la communauté et de communiquer avec les membres de la communauté était peut-être excessive. Le conseiller Barry a expliqué, avec du recul, que cette décision n’était pas enviable et qu’elle n’était peut-être pas la meilleure décision prise par le conseil et son chef.

[137]  La preuve révèle également que ce genre d’action de la part du conseil de bande, soit de bannir ou empêcher un individu d’entrer dans la communauté, est normalement utilisé qu’en ultime nécessité et dans les situations les plus graves. Cela dit, je n’ai pas à décider si la résolution était une bonne décision ou non, aussi extrême pouvait-elle être.

[138]  J’ai également entendu de la preuve sur le fait que la résolution n’était pas valide puisque le format n’était pas régulier. On m’a aussi soumis que la résolution n’était pas exécutable et donc, était sans effet. Je ne crois pas que ces éléments soient déterminants en l’espèce.

[139]  Le point central, c’est que la résolution, valide ou non, exécutable ou non, a été utilisée afin d’arrêter les prestations de Tracy.

[140]  Tracy a aussi soutenu que le conseiller Barry et le chef Norman étaient amis avec Dianne. Barry a expliqué qu’il n’est pas un ami proche de Dianne et que le chef Norman la connait puisqu’elle est mariée avec Dwayne Blackbird. Est-ce que cela, en soi, les a influencés à adopter la résolution? Cette question n’est pas pertinente. La question que je dois me poser est plutôt celle à savoir si la résolution était fondée sur des considérations discriminatoires. Que certains individus aient été amis, ou pas, de près ou de loin, n’a que peu d’importance.

[141]  Ajoutons que la communauté Keeseekoowenin n’est pas une grande communauté (500 membres sur la communauté et entre 600 et 700 membres hors communauté). Il va de soi que les personnes côtoyant la communauté peuvent, tôt ou tard, devenir des amis ou des connaissances.  

[142]  Somme toute, j’estime que la trame des faits importants du dossier est claire : c’est la résolution qui a créé un arrêt du versement des prestations en septembre 2013. Tracy a quitté la communauté lorsqu’elle a pris connaissance de la résolution adoptée contre elle et lorsque ses prestations fédérales ont été arrêtées. Entre le 1er septembre 2013 et le 28 février 2014, en habitant à l’extérieur de la communauté, elle a pu bénéficier des prestations provinciales. 

[143]  Enfin, en mars et avril 2014, il est aussi clair que Tracy n’a pas reçu de prestations d’assistance aux revenus. C’est la même résolution qui est utilisée alors que Tracy est revenue vivre dans la communauté et a demandé, à nouveau, des prestations via le programme d’assistance aux revenus. Ce n’est pas sans raison qu’elle a tenté de faire annuler la résolution auprès du conseil de bande. Dolores, l’agente du programme, a aussi essayé d’avoir des clarifications auprès du conseil quant à l’existence de cette résolution et le versement de prestations. 

[144]  L’arrêt des prestations, en septembre 2013 et de nouveau en mars et avril 2014 constituent effectivement des effets préjudiciables au sens de l’article 5 LCDP. Il faut cependant que ces effets préjudiciables soient liés à un motif de distinction illicite.

[145]  Selon la prépondérance des probabilités, la preuve déposée par la Commission et Tracy ne démontre pas que la résolution du conseil de bande, l’outil causant l’arrêt des prestations, était basée sur des considérations discriminatoires.

(c)  Les interventions de Karen dans la fourniture de services auprès de la Nation et le dépôt de la plainte

[146]  L’autre aspect de la plainte de Tracy concerne le fait qu’elle aurait été traitée défavorablement dans la fourniture de service. Selon Tracy et la Commission, l’intervention de Karen qui, rappelons-le, était secrétaire exécutive de la Nation, aurait affecté la fourniture de services par la Nation. Ce traitement défavorable serait fondé sur la race ou l’origine nationale ou ethnique de Tracy. Les interventions de Karen se situeraient à deux niveaux.

[147]  Dans un premier temps, la Commission déduit que c’est Karen qui aurait donné à la responsable du programme d’assistance aux revenus une copie de la résolution du conseil de bande en septembre 2013, ce qui a eu pour conséquences de mettre un terme aux prestations. Selon la Commission, Karen aurait agi de la sorte pour des motifs discriminatoires.

[148]  La preuve révèle que Dolores, la responsable depuis plus de 35 ans du programme d’assistances aux revenus, n’était pas au bureau durant cette période. Elle était en vacances et en congé de maladie. Elle a expliqué que Muriel Twigg (Muriel) avait pris le relai lors de son absence et que sa belle-fille Dina Blackbird (Dina), qui travaillait pour le département du logement, avait donné du soutien à Muriel lorsque nécessaire.

[149]  Selon Dolores, Dina lui aurait dit que c’est Karen qui leur aurait transmis, à elle et à Muriel, la résolution du conseil de bande. Cela dit, Dolores n’était pas présente lorsque cela s’est produit. Muriel, quant à elle, a témoigné à l’effet que c’est Dolores qui lui aurait parlé de l’existence de la résolution en septembre 2013. Lorsqu’il lui a été demandé si ce n’était pas plutôt Karen qui lui avait donné la résolution, Muriel a dit qu’elle ne se souvenait  pas de cela.

[150]  Quant à Karen, elle a confirmé qu’elle était employée par le conseil de bande en septembre 2013. Elle a expliqué qu’elle n’était pas au courant que Tracy n’avait pas reçu sa prestation d’assistance aux revenus de septembre 2013. Lorsqu’il lui a été demandé si elle pouvait identifier la personne qui aurait donné la résolution à Dina, elle a affirmé qu’elle n’en savait rien. Lorsqu’il lui a été proposé que c’était elle qui en avait donné copie à Dina, elle a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas.

[151]  La preuve révèle que Karen était la secrétaire exécutive du conseil de bande en septembre 2013 lorsque la résolution a été portée à l’attention des responsables du programme d’assistance aux revenus. Une des fonctions de la secrétaire exécutive est de conserver les cartables contenant les procès-verbaux et les résolutions du conseil. Les résolutions et procès-verbaux ne sont accessibles qu’aux conseillers, au chef et à la secrétaire exécutive.

[152]  Selon la Commission, je devrais, selon la prépondérance des probabilités, décider que c’est Karen qui aurait donné la résolution aux responsables du programme, et ce, en se fondant sur son rôle au sein du conseil en 2013, le témoignage de Dolores, ainsi que le fait que Karen a publié, en avril 2014, les commentaires vulgaires qui font référence à Tracy qui demande des services au sein de la communauté.

[153]  En toute franchise, ce que la Commission me demande de décider, selon la prépondérance des probabilités, est un peu tiré par les cheveux. Dolores n’était pas présente lorsque le département gérant le programme d’assistance aux revenus a été mis au courant de la résolution. Dolores a témoigné que c’est Dina qui lui aurait dit que Karen était celle qui aurait donné la résolution, ce qui constitue du ouï-dire. Le ouï-dire, bien qu’admissible dans nos procédures, a également des limites. Ici, rien ne peut appuyer les souvenirs de Dolores ni les supposés dires de Dina. Malheureusement, Dina n’a pas été appelée comme témoin, ne pouvant alors appuyer les souvenirs de Dolores. Muriel, quant à elle, croit que c’est Dolores qui lui aurait parlé de la résolution du conseil. Dolores était absente du bureau, ce qui soulève encore plus de questionnements. Karen, enfin, ne se souvient pas d’avoir donné la résolution aux agents du programme.

[154]  Les témoins témoignent sur des événements qui se sont produits en septembre 2013, soit 5 ans avant l’audience du Tribunal. La mémoire a ses limites et les renseignements fournis par les témoins ne me permettent pas de conclure avec fermeté de ce qui s’est produit ni de la façon dont les agents du programme ont été mis au courant de la résolution.

[155]  C’est à Tracy et à la Commission de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que Karen était celle qui a transmis la résolution au département du programme d’assistance aux revenus, et ce, pour des considérations discriminatoires. Je ne suis pas d’avis qu’ils se sont déchargés de leur fardeau, et la prépondérance des probabilités ne milite pas en la faveur des conclusions de faits que la Commission me demande de tirer.

[156]  Ce faisant, je ne peux conclure que c’est Karen, pour des raisons discriminatoires, qui aurait transmis la résolution aux agents.

[157]  Dans un deuxième temps, la Commission estime que l’altercation entre Tracy et Karen le 14 mars 2014, ainsi que la publication de Karen sur Facebook dans laquelle elle fait référence à la race et à l’origine nationale ou ethnique de Tracy, auraient empoisonné l’environnement entourant la fourniture des services, ce qui constitue une atteinte à l’article 5 LCDP. De plus, la Commission estime que je devrais également prendre en considération le fait que Karen était secrétaire exécutive à l’époque, ce qui est un poste-cadre important au sein de la Nation.

[158]  Karen n’a pas nié avoir publié les commentaires vulgaires sur Facebook. Elle a témoigné à l’effet qu’elle était très fâchée de son altercation avec Tracy et qu’elle n’avait jamais subi d’attaque comme celle du 14 mars 2014 auparavant. Le soir venu, elle a donc déversé ses frustrations sur son compte Facebook.

[159]  Les commentaires de Karen sont méchants et vulgaires. Je déplore fermement ce genre de publications faites sur Facebook. Karen, bien que fâchée, aurait dû faire preuve de retenue. Facebook est un environnement public et il est désolant que des individus déversent leurs ressentiments et leur colère sur un tel média.

[160]  Je suis effectivement d’avis que la preuve est claire à l’effet que les commentaires ont été faits. Bien que la publication de Karen n’identifie pas spécifiquement Tracy, la chronologie des événements, le timing entre l’altercation et le moment où les commentaires ont été publiés, le contenu des commentaires incluant une référence aux services, les propos dérangeant concernant sa race perçue et son origine nationale ou ethnique, tout cela milite en la faveur que Karen faisait effectivement référence à Tracy et à ses démarches afin d’obtenir des services de la part de la Nation.

[161]  Cela dit, est-ce que les commentaires constituent de la discrimination à l’encontre de Tracy en application de l’article 5 LCDP, en ce qu’ils auraient empoisonné l’environnement entourant la fourniture de service? Je ne suis pas de cet avis.

[162]  Comme le plaide la Commission, je suis prêt à accepter que des actes ou des conduites répétés ou persistants ou un seul acte grave puissent créer un environnement de service hostile ou empoisonné. Si cela est lié à un motif de distinction illicite, cela pourrait être jugé discriminatoire en application de l’article 5 LCDP.

[163]  Les principes entourant la notion d’environnement hostile ou empoisonné sont généralement utilisés dans le domaine de l’emploi. Cela dit, la jurisprudence semble reconnaitre que ces principes s’appliquent tout autant dans la fourniture de service (voir par exemple City of Toronto v. Josephs, 2018 ONSC 67 (CanLII), aux par. 28 à 30; Davidson v. Cummer Avenue United Church, 2017 HRTO 1000 (CanLII), au par. 79; George v. 1735475 Ontario Limited, 2017 HRTO 761 (CanLII), au par. 54; Brar and others v. B.C. Veterinary Medical Association and Osborne, 2015 BCHRT 151 (CanLII), au par. 741).

[164]  Dans le présent cas, j’estime que le rôle de Karen n’est pas aussi important dans la fourniture de services que la Commission et Tracy tentent de le démontrer. La preuve révèle que bien que Karen soit secrétaire exécutive de la Nation et qu’elle relève directement du conseil et du chef, elle ne possède, dans les faits, aucun pouvoir sur les agents qui gèrent le programme d’assistance aux revenus. Par ailleurs, elle n’exerce pas plus de pouvoir sur le conseil de bande et le chef. Elle n’a pas non plus de pouvoir décisionnel au sein de la Nation. Ainsi, elle n’a aucun rôle, ni aucun pouvoir, ni aucune influence, sur la fourniture de services et plus spécifiquement, sur le programme d’assistance aux revenus.

[165]  Je ne suis pas non plus d’avis que les interventions de Karen aient, à elles-seules, pu créer un environnement de services hostiles ou empoisonnés.

[166]  Quant au conseil et au chef, ce sont eux qui signent les ententes de contributions et qui visent à recevoir les fonds afin de gérer le programme. Dolores a aussi été claire à l’effet que le conseil et le chef n’interfèrent pas avec ses décisions. Elle a pour directives de suivre les politiques et le manuel mis en place. Chef James a également expliqué que le conseil et le chef ne s’immiscent pas dans les décisions des agents du programme d’assistance aux revenus.

[167]  Cela dit, Dolores a témoigné que certains clients qui ne sont pas satisfaits avec les décisions se sont déjà plaints au conseil de bande et au chef. Néanmoins, elle juge que le conseil et le chef respectent la prise de décisions et ne s’y interfèrent pas.

[168]  Elle a aussi expliqué que Services aux Autochtones Canada est très stricte dans l’application des politiques. Les fonds pour le programme d’assistance aux revenus sont très limités et tout doit être fait correctement. S’il y a des versements en trop et qui ne sont pas justifiés, la Nation devrait rembourser ces sommes, ce qui créerait des difficultés.

[169]  Dolores a affirmé que le chef James était aussi très strict dans l’application des procédures et politiques de la Nation, incluant celles du programme d’assistance aux revenus. Ce faisant, elle voulait s’assurer que tout était en règle. Malgré l’altercation et ce qui s’est tramé sur Facebook, Dolores a continué à offrir les services à Tracy, et ce, sans interruption. Elle avait connaissance de l’existence de la résolution. Une solution devait être envisagée. Dolores a expliqué qu’elle avait besoin de l’assistance et des clarifications du conseil de bande et du chef afin de continuer ses démarches. Dolores a également été claire et non équivoque à l’effet qu’elle n’avait pas eu connaissance des publications de Karen en mars et avril 2014.

[170]  J’ai déjà déterminé que la résolution du conseil n’était pas discriminatoire. Malheureusement, la résolution était toujours existante, bien qu’elle fût invalide. La preuve ne révèle pas que Dolores était également au courant que la résolution était considérée comme inapplicable par le conseil et le chef. Au final, elle a été en mesure d’amener le problème à l’attention du conseil. Une rencontre a eu lieu le 18 avril 2014. Un procès-verbal a été préparé pour cette discussion.

[171]  Dans le procès-verbal, on y lit que Tracy demande des prestations d’assistance aux revenus et qu’elle demande une lettre confirmant qu’elle ne peut recevoir de telles prestations. La résolution fait l’objet de discussions, incluant les raisons pour lesquelles elle a été adoptée, soit en raison des comportements harcelants de Tracy envers une employée. Des discussions ont également eu lieu quant au fait qu’elle détenait une maison ou une ferme et qu’elle serait au nom de sa fille. On lit également certaines discussions sur le fait qu’elle pourrait être déclarée comme chef de ménage, mais qu’un chef de ménage devrait être un membre de la Nation. Il fut également discuté que la Nation n’a pas l’obligation de déclarer quelqu’un chef de ménage.

[172]  Ensuite, on lit que le conseil et le chef ont discuté d’octroyer des prestations à Tracy en tant que couple, et qu’ils se sont demandés si la Nation pourrait être remboursée. Des options ont été proposées, comme celle de lui donner des prestations via Wes ou celle de lui donner des prestations comme étant seule, tout en réclamant le tout à la province. Ils ont également mentionné qu’une lettre devrait être écrite et indiquer que Tracy vit dans la communauté avec Wes.

[173]  Il est également écrit que si la résolution avait été mieux rédigée « she may no apply for welfare » [Traduction] « elle n’aurait probablement pas pu demander des prestations ». Quant à cet aspect, personne n’a été en mesure de confirmer exactement ce que cela voulait dire. Il est écrit que la situation est sérieuse et qu’une opinion juridique sera envisagée.

[174]  Chef James a expliqué se souvenir que l’éligibilité de Tracy afin de recevoir des prestations d’assistance aux revenus avait fait l’objet de discussions au conseil. Il se souvenait que le Conseil s’était demandé si elle était propriétaire d’une maison ou d’une ferme à l’extérieur de la communauté et si elle recevait des prestations ou si elle avait d’autres formes de revenu. Chef James a expliqué que des audits avaient lieu au sein de la Nation durant cette période et qu’il devait s’assurer que tout était en règle, respectait les critères ainsi que les dossiers étaient complets et que tous les documents s’y retrouvaient.

[175]  Il a de plus expliqué que chaque dossier du programme d’assistance aux revenus faisait l’objet de révision et que s’il y avait des sommes versées en trop, la Nation était responsable de les rembourser. Selon lui, cette année-là, la Nation avait environ 80 000 $ en recouvrement.

[176]  Chef James a témoigné que le département s’occupant du programme d’assistance aux revenus avait des craintes de faire des erreurs durant cette période. Lorsqu’il y avait des doutes, les agents sollicitaient alors le conseil de bande. Cela dit, il a expliqué que normalement, le conseil de bande ne se mêle pas de ces décisions-là.

[177]  Il a confirmé que la décision a été prise par le conseil de bande de rétablir les prestations de Tracy. Aucune opinion juridique n’a été demandée. Selon le conseil, Tracy était admissible au programme via Wes. Cela a également été confirmé par Dolores qui a été mise au courant de la décision du conseil et qui a rétabli ses prestations le 1er mai 2014.

[178]  Je ne vois pas comment l’environnement entourant la fourniture de service pourrait être considéré comme empoisonné. La preuve n’est pas suffisante afin de déterminer que les commentaires Facebook de Karen ont créé un environnement toxique. Dolores a continué ses démarches comme prévu en sollicitant le conseil de bande. La preuve ne révèle pas non plus que le conseil de bande était au courant de l’altercation entre Tracy et Karen ni de l’existence des commentaires sur Facebook.

[179]  Karen n’avait rien à voir avec l’administration du programme. Dolores a démontré qu’elle était en contrôle de la situation et qu’elle avait entrepris toutes les démarches nécessaires pour que la situation soit clarifiée avec le conseil et le chef.

[180]  Le conseil s’est penché sur la question de l’éligibilité de Tracy au programme d’assistance aux revenus et a discuté de la situation de fond en comble afin de s’assurer que tout était en règle. Le procès-verbal du 18 avril 2014 ne soulève pas, à mon avis, de considérations discriminatoires. Je rappelle encore que j’ai conclu que la résolution n’était pas discriminatoire.

[181]  Le témoignage de Chef James m’apparait cohérent, non seulement avec le procès-verbal, mais aussi avec le témoignage de Dolores. Je n’ai aucune raison de remettre leur crédibilité en question.

[182]  C’était à la Commission et à Tracy de me démontrer que les commentaires de Karen sur Facebook ont effectivement empoisonné l’environnement de services et ont créé un effet préjudiciable. Non seulement n’ont-ils pas été en mesure de rencontrer leur fardeau, mais j’estime que Dolores et le conseil ont agi promptement afin que la situation soit réglée. Ces démarches prennent du temps, et à la suite de la rencontre du 18 avril 2014, les prestations ont été rétablies.

[183]  Pour tous ces motifs, je conclus que Karen n’a pas interféré dans la fourniture de services et je rejette cette portion de la plainte.

(d)  Dépôt de la plainte et rétablissement des prestations

[184]  Enfin, Tracy estime que le rétablissement de ses prestations est dû au dépôt de sa plainte contre la Nation.

[185]  Je n’ai pas l’intention de m’attarder longuement sur cet aspect. Dolores a expliqué que le 18 avril 2014, elle a reçu la décision du conseil de bande et du chef décidant que les prestations de Tracy devaient être rétablies, en tant que dépendante de Wes.

[186]  Les prestations ont débuté le 1er mai 2014, soit quelques jours après le dépôt de la plainte de Tracy à la Commission. Tracy a affirmé avoir donné une copie de sa plainte à Dolores une fois déposée, au bureau du conseil de bande. Dolores ne se souvient pas d’avoir reçu une copie de la plainte. La preuve n’appuie pas non plus la thèse de Tracy voulant que la Nation ait reçu une copie de sa plainte et que c’est ce qui aurait précipité le rétablissement de ses prestations.

[187]  La preuve révèle plutôt que le conseil et le chef se sont penchés sur la question des prestations de Tracy le 18 avril 2014, ce qui a été consigné dans un procès-verbal. Une décision a été rendue, décidant qu’elle avait droit de bénéficier de ces prestations.

[188]  Il appert ainsi que la décision de rétablir les prestations a été prise avant le dépôt de la plainte de Tracy. Cela est cohérent avec les témoignages de Dolores et de Chef James, ainsi qu’avec le procès-verbal. Il n’y a rien dans la preuve qui me permettrait de conclure que la Nation a commis un quelconque acte discriminatoire.

[189]  Somme toute, j’ajoute même que Dolores, lors de son témoignage, a fait preuve de candeur et de sincérité en mentionnant que c’était peut-être elle qui avait fait une erreur. Elle a mentionné qu’elle aurait peut-être dû rétablir les prestations de Tracy lorsque la décision a été prise par le conseil, soit le 18 avril 2014. Bien que j’apprécie la sincérité de ce témoin, je suis d’avis que cela n’a rien à voir avec un quelconque acte discriminatoire commis par la Nation.

(e)  Différences de montant en juillet et août 2013 ainsi qu’en mai 2014

[190]  J’ai déjà expliqué que Tracy avait bénéficié de prestations en juillet et août 2013, mais que les prestations ont été arrêtées en septembre 2013 lorsque la résolution a refait surface, créant des questionnements quant à l’éligibilité de Tracy.

[191]  Cela dit, les sommes qui ont été attribuées en juillet et août 2013 étaient de 220 $ par mois. Dolores a expliqué qu’il y a une différence dans le montant attribué lorsqu’une personne est considérée chef de ménage (220 $ par mois) ou si elle est considérée comme un dépendant (175 $ par mois additionnel au chef de ménage).

[192]  Tracy avait été initialement approuvée au programme d’assistance aux revenus via la Nation pour une somme de 220 $ par mois. Considérant ce montant, il semble qu’elle ait été considérée comme chef de ménage. La preuve est claire que Tracy n’a pourtant jamais été chef de ménage sur la Nation. La preuve n’est pas suffisante afin de m’expliquer pourquoi il en a été ainsi.

[193]  Et lorsque les prestations ont été rétablies en mai 2014, Tracy a été considérée comme une personne dépendante de Wes. Donc, les prestations de Wes ont été bonifiées de 175 $. Il recevait donc 220 $ comme chef de ménage et 175 $ de plus pour Tracy, pour un total de 395 $. Cela est clairement reflété dans les historiques de demande et de versements de Wes et Tracy, qui ont été déposés à l’audience.

[194]  Même si je ne suis pas, encore une fois, convaincu que ces éléments font partie de la plainte de Tracy, je suis d’avis que la preuve n’est pas suffisante pour conclure que la diminution de prestations accordées à Tracy constituait une pratique discriminatoire par la Nation. Je suis plutôt d’avis que la différence de montant est simplement attribuable au fait qu’en 2013, elle semblait être reconnue comme chef de ménage et qu’en 2014, elle a été reconnue un dépendant de Wes.

(ii)  Traitement défavorable dans la fourniture de logement [alinéa 6b) LCDP]

[195]  Il est discriminatoire de défavoriser un individu dans la fourniture de logement en raison d’un motif de distinction illicite protégé par la LCDP (alinéa 6b) LCDP).

[196]  Tracy a expliqué au Tribunal qu’en raison de l’adoption de la résolution par le  conseil de bande, de la pression qu’elle vivait dans la communauté, et du harcèlement qu’elle y subissait, elle n’a eu d’autre choix que de quitter la communauté et de s’établir à nouveau dans la maison de sa fille. Ce faisant, elle aurait été traitée défavorablement dans la fourniture de logement, puisqu’elle a dû quitter la maison de Wes, son partenaire.

[197]  Wes, étant membre de la Nation, possède une résidence dans la communauté. La preuve révèle que Tracy ne possède pas de maison dans la communauté et ce faisant, elle habitait avec Wes dans sa maison, notamment durant l’été 2013.

[198]  C’est lorsque les prestations de Tracy ont arrêté en septembre 2013 qu’elle a quitté la communauté et qu’elle a appliqué au programme provincial d’assistance aux revenus. En s’établissant à l’extérieure de la communauté, elle a pu bénéficier des prestations provinciales.

[199]  Je suis d’accord avec la Commission que le départ de Tracy de la communauté semble être plutôt un effet, une conséquence de l’arrêt de ses prestations et donc, se rattache davantage à l’article 5 LCDP. Bien qu’elle ait mentionné vivre des moments difficiles, entre autres, en raison de la pression de certains membres de la communauté et du harcèlement allégués, l’arrêt des prestations semble effectivement avoir été le point culminant, qui a précipité son départ. Cela est également cohérent avec le fait qu’elle a immédiatement appliqué au programme d’assistance aux revenus provincial, une fois sa résidence établie chez sa fille.

[200]  En conséquence, il est plutôt difficile de rattacher son départ de la maison de Wes avec un quelconque traitement défavorable dans la fourniture de logement, au sens de l’alinéa 6b) LCDP. 

[201]  À la rigueur, même si j’acceptais que la Nation, indirectement, fournisse à Tracy un logement via Wes, encore faut-il que le traitement défavorable soit lié à un motif de distinction illicite. Or, dans le cas présent, le départ de Tracy est dû à l’arrêt de ses prestations et cet arrêt d’indemnisation existe à cause de la résolution du conseil. Et j’ai répété, à de nombreuses reprises dans la présente décision, que la résolution n’est pas fondée sur des motifs discriminatoires.

[202]  Ainsi, le potentiel traitement défavorable que Tracy aurait subi par la Nation en matière de logement ne serait pas, en lui-même, discriminatoire.

[203]  Le fardeau revenait à Tracy de démontrer qu’elle a été traitée défavorablement dans la fourniture d’un logement en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique, ce qu’elle n’a pas été en mesure de rencontrer.

(iii)  Harcèlement (article 14 LCDP)

(a)  Création d’un groupe haineux

[204]  Tracy a également témoigné à l’effet qu’elle estime qu’un groupe haineux s’est développé au sein de la communauté et la visait directement, et ce, notamment en raison des agissements ou de l’inaction de la Nation. Ce groupe haineux inclurait entre autres Dianne, Karen et Shirley Cochrane.

[205]  En toute franchise, bien que l’on puisse dire qu’il existait des tensions au sein de la communauté et que Tracy ait fait, par exemple, l’objet de commentaires virulents sur Facebook, je ne crois pas que la preuve soit suffisante afin de déterminer que la Nation ou l’un de ses agents aient été la source du harcèlement dénoncé par Tracy.

[206]  Le dispositif concernant la propagande haineuse a été retiré de la LCDP en 2013. La seule avenue possible afin d’évaluer cet argument en matière de groupe haineux est l’article 14 LCDP, qui protège contre le harcèlement.

[207]  Néanmoins, encore faut-il que le harcèlement soit lié à la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyen d’hébergement, soit lié à  la fourniture de locaux commerciaux ou de logements ou soit en matière d’emploi (voir les alinéas 14a), b) et c) LCDP).

[208]  Ici, Tracy n’a pas été en mesure de rattacher la formation du groupe haineux à un quelconque paragraphe de l’article 14 LCDP. Sans minimiser le fait qu’elle ait pu se sentir visée ou ciblée par certains individus dans la communauté, peut-être à raison ou à tort, ce que je n’ai pas à déterminer, je rappelle que la LCDP n’a pas le mandat de protéger les personnes faisant l’objet de harcèlement dans son sens général.

[209]  Le harcèlement doit d’abord être fondé sur un motif de distinction illicite protégé par la LCDP (paragraphe 14(1) LCDP). Il doit, par ailleurs, être lié à la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyen d’hébergement, être lié à la fourniture de locaux commerciaux ou de logements ou être en matière d’emploi (voir alinéas 14a), b) et c) LCDP), ce qui n’a pas été démontré dans le cas en l’espèce.

[210]  Pour ces motifs, je rejette cette portion de la plainte.

(b)  Commentaires de Karen sur Facebook

[211]  Tracy a tenté de mettre en preuve que les commentaires de Karen publiés sur Facebook en mars 2014 constituent du harcèlement au sens de l’article 14 LCDP.

[212]  Je suis d’accord que les termes qui ont été employés par Karen sont particulièrement choquants et qu’une personne devrait se retenir de publier ce genre de commentaires sur Facebook. Je considère également, comme je l’ai déjà mentionné, que les commentaires font référence à la demande de service de Tracy. Cela dit, est-ce que les commentaires à eux seuls constituent du harcèlement au sens de la LCDP? Je ne suis pas de cet avis.

[213]  Cela dit, je rappelle que le harcèlement n’est pas défini dans la LCDP. Par contre, la jurisprudence est constante sur les différents éléments qui doivent être présents afin que des actions constituent du harcèlement.

[214]  Le harcèlement est généralement défini comme une conduite non sollicitée ou importune, liée à un motif de distinction illicite et qui a des conséquences néfastes sur la victime. Une plaisanterie vulgaire, grossière ou de mauvais goût, à elle seule, ne constituera généralement pas du harcèlement. Il doit y avoir une certaine forme de persistance ou de répétition dans la conduite reprochée. Néanmoins, un seul incident sérieux ou grave pourrait être suffisant (voir par exemple Stanger c. Société canadienne des postes, 2017 TCDP 8, aux par. 19 à 22).

[215]  J’ai déjà affirmé que je déplore le fait que Karen ait publié ces propos grossiers sur un média public. Toutefois, il faut plus que cela pour que je puisse déterminer que cela constitue du harcèlement en application de la LCDP.

[216]  Sans diminuer la force des mots employés et les sentiments qu’a pu vivre Tracy lorsqu’elle a lu les commentaires, je ne crois pas qu’à eux seuls ils sont suffisamment graves pour constituer du harcèlement. La preuve ne démontre pas non plus que les gestes aient été répétés ou persistants.

[217]  Je n’ai pas d’avantages de preuves à l’effet que les commentaires de Karen s’inscrivaient dans une suite d’évènements suffisamment graves ou persistants qui pourraient constituer du harcèlement en vertu de l’article 14 LCDP.

[218]  Pour ces motifs, je rejette cette portion de la plainte.

(iv)  Représailles

[219]  En matière de représailles, ce n’est pas le motif de distinction illicite qui est la base de la plainte, mais bien le dépôt de la plainte elle-même (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) 2015 TCDP 14, aux paragraphes 4 et 5). Ce faisant, le plaignant doit démontrer :

1)  qu’il a déposé une plainte antérieure;

2)  qu’il a subi un effet préjudiciable;

3)  et que le dépôt de la plainte a été un facteur dans la manifestation de cet effet préjudiciable.

[220]  Tracy estime avoir été sujette à des représailles de la part de la Nation ou de ses agents, ce que ces derniers nient fermement.

[221]  Il n’est pas contesté par la Nation que Tracy a déposé une plainte à la Commission. La Nation admet également que des actes de représailles commis à l’encontre d’une tierce personne à la plainte (par exemple Wes ou la fille de Tracy) pourraient être considérés comme des actes de représailles contre la partie plaignante elle-même.

[222]  Cela dit, j’aborderai chaque acte de représailles allégué individuellement. De plus, il n’a pas été contesté que tous les événements en question sont survenus après le dépôt de la plainte de Tracy en avril 2014.

(a)  Commentaires faits par Jen Bone

[223]  Jen Bone (Jen) est la fille du chef Norman. Jen et Wes ont eu des discussions, sur Facebook, à propos d’affaires concernant la communauté. Tracy a expliqué que Jen voulait installer un tipi au 61A Clear Lake et Wes s’était offert à l’aider.

[224]  Selon le témoignage de Wes, la discussion entre lui et Jen aurait pour origine une mésentente entre son père, le chef Norman, et Wes concernant des locations de terrain.

[225]  Peu importe d’où la discussion est née, lors de la discussion qui a dégénéré, Jen a appelé Wes un weenug. Selon Tracy, lorsqu’une femme traite un homme de weenug, il s’agit d’une insulte. Ce terme fait référence aux parties génitales masculines. Selon Wes, Jen ne comprenait pas la teneur du mot qu’elle employait.

[226]  Pour chef Norman, il s’agit effectivement d’un mot qui peut être vu comme une insulte. Cela dit, il a expliqué que les jeunes qui utilisent ce terme ont perdu de vue son sens véritable. Sans reprendre la référence aux parties génitales masculines, le terme weenug peut être également employé dans le sens de ne fais pas le con ou ne sois pas idiot.

[227]  Tracy estime que cela constitue un acte de représailles par Jen, en réponse à sa plainte déposée en avril 2014. Je conclus que la preuve n’est pas suffisante pour conclure que cet incident est d’une quelconque manière lié à la plainte déposée par Tracy.

[228]  Selon elle, cet incident est survenu en 2016 puisque cela s’est déroulé lorsque son fils est malheureusement décédé. Cet incident a été commis près de deux ans, et même plus, après le dépôt de la plainte de Tracy en avril 2014. Il n’y a pas non de plus d’éléments qui me permettent de conclure que Jen aurait agi en réponse à la plainte déposée, qu’elle aurait été au courant de l’existence de la plainte ou que le chef Norman aurait quelque chose à voir dans cet incident.

[229]  Je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que cela constitue un acte de représailles au sens de la LCDP. Pour ces raisons, je rejette cette portion de sa plainte.

(b)  Faux compte Facebook au nom de Wesley Bone

[230]  Tracy a témoigné à l’effet qu’un faux compte Facebook a été créé au nom de son partenaire, Wes Bone, en octobre 2016. J’ai pu bénéficier de quelques images du compte. Ce faux compte contient des renseignements qui ne sont pas nécessairement glorieux à l’égard  d’une personne. Par exemple, le profil de ce Wes Bone contient une image de revolver et de bouteilles d’alcool.

[231]  Tracy estime que c’est la Nation ou l’un de ses agents qui aurait créé ce faux compte, et ce, dans le but de nuire à Wes et, par le fait même, lui nuire aussi à elle. Elle croit qu’il s’agit d’un acte de représailles en réponse au dépôt de sa plainte. Plus spécifiquement, elle estime que c’est Jen, la fille du chef Norman, qui aurait créé ce faux profil.

[232]  Elle a également expliqué que le faux compte a été créé en octobre 2016, soit au même moment où Wes a eu son altercation avec Jen Bone sur Facebook. Le contenu du compte, la temporalité et les attaques font croire à Tracy qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence.

[233]  Je considère que la preuve qui a été déposée à l’audience par Tracy n’est pas suffisante afin de démontrer que c’est la Nation ou l’un de ses agents qui a créé ce compte Facebook, et ce, en réponse à sa plainte. Rien ne permet de créer une corrélation entre le faux compte et la Nation, et ce, d’aucune manière.

[234]  Il a été impossible pour Tracy et Wes de démontrer la provenance de ce faux compte Facebook. Personne ne sait qui a créé le compte. L’individu, qu’il soit vrai ou non, est inconnu.

[235]  Bien que le compte indique que ce Wesley Bone habite à La Prairie, Manitoba, et qu’il est né à Winnipeg, cette preuve en elle-même n’est pas suffisante pour le rattacher à la Nation ou l’un de ses agents.

[236]  Enfin, Tracy a également indiqué que la plupart des amis Facebook de ce Wesley Bone sont des individus provenant de la communauté de Sandy Bay, Saskatchewan, communauté natale de la mère de Jen, la fille de chef Norman. Cela ne permet pas non plus de lier la Nation ou l’un de ses agents, voire Jen, à la création de ce compte Facebook.

[237]  Je rappelle également qu’en matière de représailles, il faut que le dépôt de la plainte ait été un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable, ce qui n’a pas non plus été démontré.

[238]  Pour ces raisons, je rejette cette portion de la plainte.

(c)  Incident impliquant les chevaux errants

[239]  Lorsque le Tribunal s’est déplacé pour une tentative d’audience le 17 avril 2017 à Elphinstone, un incident est survenu impliquant possiblement les chevaux de Tracy.

[240]  Chef Norman et Tracy sont tous deux propriétaires de chevaux. Leurs chevaux sont captifs dans les mêmes alentours. Lorsque chef Norman s’est présenté à l’audience en matinée, il avait préalablement été informé que des chevaux s’étaient échappés de leur enclos et erraient près de la communauté.

[241]  Il avait ainsi préalablement vérifié qu’il ne s’agissait pas de ses propres chevaux qui se seraient enfuis. Il a ensuite expliqué avoir cru que les chevaux pouvaient possiblement être ceux de Tracy. Il a ainsi transmis l’information à Tracy au début de l’audience.

[242]  Tracy a expliqué que cette information l’a rendue préoccupée alors qu’elle devait, au même moment, débuter l’audience avec le Tribunal. Durant la matinée, un agent de la Gendarmerie royale s’est aussi présenté au lieu de l’audience afin de rencontrer Tracy. Il lui a mentionné que ses chevaux allaient être saisis s’ils n’étaient pas déplacés. Tracy s’est alors entendue avec l’agent pour relocaliser ses chevaux dans un délai de 24 heures.

[243]  Il appert que la terre où les chevaux de Tracy étaient captifs a été vendue par son propriétaire, sans qu’il l’avertisse. C’est la raison pour laquelle les chevaux devaient être relocalisés.

[244]  Tracy a allégué qu’elle croit qu’à deux reprises, le chef Norman aurait tenté de vendre ses chevaux pour leur viande, à son insu. Chef Norman a confirmé avoir déjà vendu quatorze de ses propres chevaux, à lui, pour la viande. Toutefois, il a nié avoir tenté de vendre ou d’avoir vendu des chevaux appartenant à Tracy.

[245]  Malgré les différents témoins que j’ai entendus sur ces allégations entre autres Tracy, Wes et Chef Norman, je ne suis pas capable de tirer de conclusion de faits sur ces événements. Par ailleurs, je ne vois pas en quoi cela est pertinent au présent litige et en quoi cela pourrait constituer des représailles en lien avec les événements des chevaux errant d’avril 2017.

[246]  C’est à Tracy que revient le fardeau de présenter une preuve suffisamment complète permettant de démontrer que des représailles ont été commises par la Nation ou l’un de ses représentants. Bien que Tracy ait déposé une plainte antérieurement, encore faut-il que la plainte ait été un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable ayant été commis par la Nation ou un de ses agents.

[247]  Je suis d’accord avec la Nation que la preuve est insuffisante afin de conclure à l’existence de représailles. Chef Norman a été informé de l’errance des chevaux et a tout simplement transmis l’information à Tracy afin qu’elle fasse ses propres vérifications. Il est impossible de conclure que ce qu’a fait le chef Norman constitue des représailles au sens de la LCDP, et ce, malgré le stress que cela ait pu causer à Tracy au début de l’audience.

[248]  La situation entourant la vente de la terre et de la présence de la Gendarmerie royale à l’audience n’est pas non plus attribuable à la Nation ou à un de ses agents. Rien dans la preuve ne me permet de conclure que la Nation, en réponse à la plainte déposée par Tracy, est intervenue dans cet incident.

[249]  Pour ces raisons et selon la prépondérance des probabilités, je rejette cette portion de la plainte de Tracy.

(d)  Appel anonyme à la BC Employment and Assistance Office de la Colombie-Britannique

[250]  Tracy a une fille qui se prénomme Trina. Trina habite en Colombie-Britannique et je comprends qu’elle est atteinte d’une déficience. Elle bénéficie de prestations d’invalidité du Employment and Assistance Office de la Colombie-Britannique en raison de sa condition.

[251]  Tracy a témoigné à l’effet qu’à la suite de la première tentative d’audience en avril 2017, un appel a été logé à ce bureau. Des renseignements auraient été transmis à l’effet que Trina aurait effectué une vente de propriété pour une somme de 300 000 $. Ses prestations ont donc été suspendues jusqu’à ce qu’elle puisse fournir des justificatifs. Trina a été en mesure de déposer les documents nécessaires afin que ses prestations soient rétablies.

[252]  Tracy a expliqué que Trina ne peut pas vivre de trop grands stress en raison de sa condition médicale. Elle croit que c’est quelqu’un de la Nation qui a appelé le bureau, en représailles du dépôt de sa plainte : aucun autre individu, autre que quelqu’un de la Nation, n’aurait intérêt à appeler le Employment and Assistance Office de la Colombie-Britannique pour perturber sa fille.

[253]  Je reconnais que la situation est effectivement triste. Je reconnais également le stress que cela a pu causer à Trina et Tracy. Cela dit, la preuve qui a été déposée à l’audience ne permet pas de démontrer que c’est la Nation ou l’un de ses agents qui a joint le Employment and Assistance Office de la Colombie-Britannique.

[254]  Tracy n’a pas été en mesure d’identifier la personne qui a téléphoné à ce bureau. Même si l’appel a été logé après l’audience, cela n’est pas suffisant pour démontrer que c’est la Nation ou l’un de ses agents qui en est l’auteur. Tracy a également expliqué que sa fille n’a aucun ennemi. Avec égard, cela n’est pas un argument convaincant en l’espèce.

[255]  De plus, en matière de représailles, il faut que le dépôt de la plainte ait été un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable, ce qui n’a pas été prouvé non plus.

[256]  Pour ces motifs, je rejette cette portion de la plainte.

(e)  Faux courriels de Brian Sharpe

[257]  Un inconnu du nom de Brian Sharpe a communiqué avec Wes par courriel au début du mois de mai 2017. Il a expliqué être un doctorant désirant effectuer sa thèse sur les Premières Nations de l’ouest du Manitoba.

[258]  Ni Wes ni Tracy ne connaissent cet individu et ils ne comprennent pas comment cette personne a pu entrer en contact directement avec eux. Cela dit, Wes et M. Sharpe ont échangé une série de courriels durant le mois de mai et juin 2017.

[259]  Tracy et Wes ont tous les deux témoigné que rapidement, la conversation est devenue étrange. M. Sharpe détenait de l’information particulièrement personnelle sur Tracy et Wes. Ces derniers ont considéré que ces courriels étaient devenus intimidants et qu’ils constituaient des représailles de la Nation ou de l’un de ses agents.

[260]  Il n’est pas nécessaire que je reprenne l’entièreté des communications. Cela dit, Tracy estime que M. Sharpe a été utilisé comme ruse pour déguiser l’identité de la Nation ou de l’un de ses agents visant à intimider son conjoint et elle. Tracy croit également qu’il s’agit là d’un acte de représailles de la part de la Nation ou de l’un de ses agents.

[261]  Il n’y a rien dans la preuve permettant de conclure que cet individu, M. Sharpe, est d’une quelconque manière lié à la Nation ou à l’un de ses agents. M. Sharpe est  un inconnu qui n’a jamais été identifié. Tracy et Wes n’ont jamais été en mesure de le rencontrer en personne. La provenance des courriels n’a pas été établie.

[262]  Tracy a tenté de mettre en preuve que la temporalité des courriels, soit le fait qu’ils aient débuté quelques semaines après la première tentative d’audience en avril 2017, rend plus probable la thèse voulant qu’il s’agisse d’un acte de représailles de la Nation. Elle a également ajouté que ce Brian Sharpe avait accès à de l’information privilégiée, connaissait le Chef Norman, les fermes entourant la communauté, etc.

[263]  Elle a également expliqué que la Nation avait déjà fait affaire avec une compagnie pour préparer ses rapports financiers dont le nom comportait le mot « Sharpe ». Selon elle, il pourrait donc y avoir un lien entre M. Sharpe, cette compagnie et la Nation.

[264]  Tracy a également avoué qu’elle n’avait pas d’autres preuves permettant de lier M. Sharpe à la Nation ou à l’un de ses agents.

[265]  Encore une fois, la preuve présentée par Tracy quant à cet incident est extrêmement mince. La prépondérance des probabilités ne milite pas en la faveur que M. Sharpe ait été lié d’une quelconque manière à la Nation ou à l’un de ses agents ou qu’il aurait pu envoyer ces courriels en réponse à la plainte déposée par Tracy.

[266]  Pour ces motifs, je rejette également cette portion de la plainte.

(f)  Incidents impliquant la maison de Wes

[267]  Tracy a tenté de mettre en preuve que Wes, son partenaire et témoin, a fait l’objet de représailles de la part de la Nation en raison du dépôt de sa plainte. Elle estime que la Nation a intentionnellement omis de réparer la maison de Wes, qui avait été endommagée par une inondation dans le sous-sol et avait des problèmes de moisissures. Elle estime que la Nation ne leur offrait pas d’autres services comme le pompage de la fosse septique ou le ramassage des ordures alors que les autres résidents recevaient ces services. Elle a également expliqué que l’électricité leur a été coupée.

[268]  La preuve qui a été présentée par Tracy est insuffisante et ne rencontre pas le fardeau nécessaire afin de conclure à l’existence de représailles. Tracy n’a pas été en mesure de démontrer le lien entre les allégations qu’elle croit être des actes de représailles de la part de la Nation et le dépôt de sa plainte en avril 2014.

[269]  La preuve révèle que les demandes de réparations pour des maisons dans la communauté doivent être effectuées au département du logement de la Nation.

[270]  Wes a expliqué qu’il estime que les réparations sur les maisons sont, au final, la décision du conseil de bande et du chef. Il a ajouté que selon lui, il faut avoir un lien avec le chef et le conseil afin que sa maison soit réparée. Je suis d’accord avec la Nation que ces éléments n’ont pas été prouvés à l’audience. Cela sous-entendrait, d’une certaine façon, que la Nation favorise des individus selon les liens qu’ils peuvent avoir avec ledit conseil et le chef.

[271]  La preuve révèle également qu’un courriel a été envoyé au West Region Tribunal Council, par Tracy et Wes, affirmant que la Nation viole les droits des personnes vivant sur sa communauté en matière de logement.

[272]  Alvin Bone (Alvin), qui est le responsable du département du logement de la Nation, est venu témoigner à l’audience. Il a expliqué que le West Region Tribunal Council n’a rien à voir avec les réparations sur les maisons, mais qu’elle apporte un soutien à la communauté en la matière. C’est le département du logement de la Nation qui s’occupe des réparations.

[273]  Wes a expliqué avoir remarqué que plusieurs maisons ayant des problèmes de moisissures avaient été réparées, mais pas la sienne. Il aurait informé Alvin de ces problèmes touchant sa maison, ce que ce dernier nie. Alvin a expliqué qu’en 2014, la communauté a été affectée par des pluies torrentielles, occasionnant des débordements dans les maisons. Les personnes ayant été touchées l’ont contacté. Il a entrepris des démarches pour réparer 22 maisons, ce qui a été terminé en 2015. Selon lui, Wes ne lui a jamais fait une demande à ce sujet. Si la demande avait été faite, elle aurait été réparée comme les autres.

[274]  J’ai également entendu Wes témoigner à l’effet que sa fosse septique refoulait dans la maison. Il a expliqué s’être rendu, sur son heure de dîner, à la maison de la personne conduisant le camion pour pomper les fosses septiques. Il aurait également écrit à ce même individu sur son mur Facebook.

[275]  Alvin a expliqué qu’il est de la responsabilité des personnes ayant des maisons d’appeler le département afin que la fosse soit vidée. La procédure est d’appeler au bureau du conseil de bande et de faire une demande formelle. Les employés se rendent ensuite à la maison pour vider la fosse.

[276]  Selon Alvin, le seul moyen d’avoir une fosse qui déborde est lorsque les résidents de la maison continuent d’utiliser de l’eau alors que la fosse est déjà pleine.

[277]  Cela étant dit, tant Wes qu’Alvin ont confirmé que des réparations ont été faites dans la maison de Wes en 2015. Par contre, Wes estime que les réparations étaient inadéquates et insuffisantes.

[278]  Alvin a plutôt mentionné que les réparations sont faites par des contracteurs, généralement issus de la communauté et possédant de l’expérience en travaux de charpenterie. Il se souvient que Jeremy Bone était la personne qui a effectué les réparations dans la maison. Il a ajouté qu’il vérifie les travaux qui sont faits par les contracteurs. Si les travaux ne sont pas satisfaisants, il ne rémunère pas, en conséquence, les contracteurs. Alvin a enfin ajouté qu’il n’a pas reçu de suivi de Wes ou Tracy quant à leur plainte ou leur insatisfaction des travaux effectués.

[279]  J’ai également entendu la preuve sur un rapport qui aurait été demandé par Wes et Tracy et effectué par un inspecteur externe de la communauté. Est-ce que ce rapport m’aide à déterminer de l’existence de discrimination par la Nation? Non.

[280]  Je suis sensible au fait que la maison est encore en mauvais état. Selon Tracy, la maison est actuellement inhabitable en raison de la qualité de l’air et des réparations à faire.

[281]  Cela dit, je dois me demander si la Nation a commis des actes de représailles envers Wes en raison du dépôt de la plainte de Tracy, en omettant de réparer la maison. Rien dans la preuve ne me permet de rattacher quoi que ce soit au dépôt de la plainte de Tracy. Je rappelle qu’il doit exister un lien entre le dépôt de la plainte et les actes de la Nation. Tracy n’a pas été en mesure de démontrer ce lien.

[282]  De plus, j’ai entendu de la preuve quant au fait que l’électricité aurait été coupée dans la maison de Wes et que cela constituerait un acte de représailles de la Nation en raison de la plainte déposée par Tracy.

[283]  La preuve révèle que lorsqu’une personne est bénéficiaire de prestations d’assistance aux revenus et détient une maison, c’est ce programme qui paie également l’électricité de cette maison.

[284]  Bien que le moment où l’électricité aurait été coupée ne soit pas clair pour moi, la preuve révèle que lorsque cela se serait produit, Wes et Tracy n’habitaient plus dans la maison sur la communauté. Ils auraient également été bénéficiaires de prestations de la province, comme ils ne résidaient plus dans les limites de la communauté. Ce faisant, l’électricité ne serait plus payée via le programme d’assistance aux revenus de la communauté.

[285]  Enfin, Tracy a expliqué que la maison de Wes a été enlevée de la liste des maisons de la Nation pouvant bénéficier de services, incluant le ramassage des ordures et le pompage de la fosse septique. Elle croit que le retrait du nom de Wes a été fait après le dépôt de sa plainte à la Commission. Aucune preuve suffisante n’a été présentée à cet effet.

[286]  Encore une fois, cet incident n’a pas été énoncé dans la plainte initiale de Tracy. Même si je considère que cela était inclus dans la portée de la plainte, il est clair pour moi que la preuve présentée par Tracy est insuffisante pour conclure qu’il s’agit là d’un acte de représailles de la Nation en réponse à sa plainte déposée à la Commission en avril 2014.

(g)  Incidents concernant le contrat de la coupe des foins

[287]  Tracy estime que la Nation a commis des actes de représailles en intervenant dans un contrat qu’elle et Wes auraient conclu avec la municipalité de Harrison Park quant à la coupe de leur foin. Cette coupe était nécessaire pour qu’ils puissent utiliser leur tente de sudation et pour minimiser les risques d’incendie.

[288]  Durant l’été 2016, Wes et Tracy ont approché la municipalité de Harrison Park, qui est adjacente à la communauté Keeseekoowenin et de ses autres territoires, soit Clear Lake 61A et Bottle Lake. Ils ont demandé à la municipalité de prendre en charge la coupe de leur foin.

[289]  Tracy a expliqué qu’elle et Wes avaient une entente avec Chad, chef de l’administration de la municipalité d’Harrison Park, afin que leur foin soit coupé. La somme négociée était de 90 $ de l’heure et le temps estimé de la coupe était de deux heures. Selon elle, chef Norman est intervenu dans la relation contractuelle entre eux et Chad. Elle estime qu’il s’en est mêlé en représailles au dépôt de sa plainte contre la Nation.

[290]  Chad a été appelé comme témoin à l’audience. Il a effectivement confirmé que la municipalité avait été approchée par Wes et Tracy afin de couper leur foin dans Clear Lake 61A. Il a confirmé que l’entente était de 90 $ par heure et que la municipalité fournissait l’équipement.

[291]  Chad a ensuite expliqué qu’il était entré en contact avec la Nation afin de discuter d’autres sujets. Il se souvient qu’une autre personne de la municipalité, M. Reeve Ewashko, était aussi présent. Il se souvient d’avoir rencontré le conseiller Barry et le chef Norman.

[292]  À la fin de leur rencontre, Chad a expliqué avoir abordé la situation de la coupe des foins avec eux. Il a expliqué qu’il se questionnait quant à la faisabilité d’une telle entente. Chef Norman lui a alors mentionné qu’il ne pouvait pas couper le foin comme prévu avec Wes et Tracy. Chad a ajouté qu’il désirait en parler avec la Nation afin d’avoir sa permission de couper le foin sur ses terres. Il s’agissait, selon lui, de bonne courtoisie, considérant que les terres n’étaient pas celles de la municipalité. Il ne se souvient cependant pas d’avoir eu des discussions quant à savoir qui paierait les dépenses pour les coupes. Selon Tracy, il était clair que c’était elle et Wes qui allaient assumer les coûts.

[293]  Le 6 avril 2018, Chad a préparé une lettre pour Wes et Tracy. Dans cette lettre, il faisait état des discussions ayant eu lieu entre sa municipalité ainsi que le chef et le conseil. Il explique leur avoir demandé de la faisabilité d’un tel contrat, les démarches à suivre, etc. Chef Norman l’a informé que ce genre de demande, considérant qu’il s’agit de terres de la Nation, devait transiger par le conseil de bande.

[294]  Chad a mentionné que Wes et Tracy ont refait la même demande en 2018. Cela dit, ce n’est pas lui qui a abordé la question avec la Nation, mais bien M. Ewashko. Selon ses souvenirs, la municipalité n’a pas eu l’autorisation pour couper le foin à Clear Lake 61A.

[295]  Une chaine de courriels a été déposée, à l’audience, concernant cette autre demande. Il appert que Chad et sa municipalité se sentaient coincés dans un problème de compétence territoriale. Plus précisément, je comprends qu’il y avait un problème entre le chef de la Nation, chef Norman, et Wes, qui se dit être le chef héréditaire du territoire du Traité 2.

[296]  Sans vouloir faire preuve d’irrespect à l’égard des traditions ancestrales de Wes, Tracy et des autres personnes impliquées dans le présent dossier, cette bataille de compétence territoriale entre le chef élu en vertu de la Loi sur les Indiens et le chef héréditaire du territoire du Traité 2 n’est pas, à mon avis, pertinente au litige.

[297]  Tant Wes, que Tracy et la Nation, m’ont fait part de leurs observations et de leurs opinions sur le sujet. J’ai entendu, de long en large, de la preuve sur cette guerre entre les chefs. L’avocat de la Nation a passé beaucoup de temps dans ses soumissions finales sur le sujet.

[298]  Je n’ai pas l’intention de m’immiscer dans ces querelles de compétence territoriale. Je crois que cela n’est pas pertinent au litige et que je n’ai pas besoin de m’attarder plus longuement à cet aspect.

[299]  Je reconnais qu’il y a eu une querelle entre Wes et le Chef Norman à propos du rôle de chef, où chacun croit avoir compétence sur la terre. Cela dit, Chad a été clair dans la chaine de courriel qu’il ne voulait pas se mêler à ces disputes de pouvoir. Il a clairement dit qu’à défaut de pouvoir déterminer qui a la compétence sur les terres, il s’en remet au chef et au conseil élu en vertu de la Loi sur les Indiens.

[300]  Dans la même correspondance, il confirme que M. Ewashko a discuté avec le chef Norman. Ce dernier a répété qu’il ne voulait pas que la municipalité d’Harrison Park coupe les foins sur ses terres. Chef Norman a également demandé que Wes contacte le conseil de bande afin que le travail soit effectué par la Nation à la place. Chef Norman aurait aussi confirmé à M. Ewashko que certaines coupes auraient été effectuées dans cette région.

[301]  Quant au chef Norman, il a expliqué que la Nation était responsable de couper les foins, d’entretenir les plages et les autres endroits sur ses territoires. La Nation est celle qui paie pour ces services et qui embauche les individus qui effectuent le travail. Quant aux personnes vivant sur les terres de la communauté et qui possèdent des maisons, c’est à eux de tondre leur propre pelouse. Il existe toutefois des exceptions pour les personnes ayant des déficiences ou les personnes âgées, par exemple.

[302]  Chef Norman a témoigné qu’il n’avait, auparavant, jamais été abordé par une autre municipalité qui offrait de couper les foins sur ses terres. En ce qui concerne la demande de Tracy et Wes, chef Norman a simplement exprimé que le territoire tombait sous la compétence de la Nation et que les travaux devaient donc être organisés par elle. Par ailleurs, il a ajouté que la Nation ne va pas couper les foins sur les territoires de la Municipalité.

[303]  Chef Norman a expliqué à Chad que Wes devait contacter le conseil de bande pour gérer la situation. Selon lui, Wes ne les a pas joints, comme proposé. Chef Norman a ajouté que si le conseil et lui-même avaient approuvé que la municipalité d’Harrison Park coupe les foins sur ses terres, la Municipalité aurait ensuite facturé à la Nation les frais des services rendus.

[304]  Chef Norman a aussi expliqué que lorsque la Nation fait affaire avec d’autres municipalités et que des services sont rendus, ils fonctionnent avec des ententes de services.

[305]  En contre-interrogatoire de la Commission, chef Norman a affirmé que s’il avait été clair que Wes et Tracy allait payer les services de coupe de foin à la municipalité d’Harrison Park, une telle entente aurait pu être acceptée.

[306]  Je crois que la preuve est claire. Il semble qu’un problème de communication se soit produit entre Wes, Tracy, la municipalité d’Harrison Park, et le chef et conseil.

[307]  Je ne crois pas que les refus et les interventions de la Nation étaient des actes de représailles dans les circonstances. Cela n'a rien à voir avec la plainte qu’a déposée Tracy en avril 2014. La situation aurait dû être clarifiée et il est difficile de comprendre comment les parties n’ont pas pu trouver une solution efficace à ce problème. Les tensions entre Wes, Tracy et la Nation ont fait en sorte que les différents acteurs n’étaient pas en mesure de parler le même langage et de se comprendre.

[308]  Ces tensions palpables sont confirmées par Chad qui, de son propre aveu, se sentait entre l’arbre et l’écorce, c’est-à-dire qu’il se sentait coincé entre les tensions d’un chef héréditaire et d’un chef élu.

[309]  Tracy a expliqué que la tente de sudation était importante pour elle et Wes, notamment en raison de leur besoin spirituel. Je suis tout à fait sensible aux besoins spirituels de chacun et je comprends que cette situation ait pu importuner Tracy et Wes. Néanmoins, comme je l’ai mentionné précédemment, il doit exister un lien entre le dépôt d’une plainte et les actes commis afin que ceux-ci constituent des représailles en application de l’article 14.1 LCDP.

[310]  Encore une fois, c’était à Tracy de démontrer que les interventions de la Nation dans les ententes entre Wes, elle et la municipalité d’Harrison Park, tout comme ses refus d’approuver la coupe faite par une autre municipalité, étaient de quelconque manière liés à sa plainte déposée à la Commission en avril 2014. Tracy n’a pas été en mesure de se décharger de ce fardeau.

[311]  Je rejette ainsi cet aspect de la plainte.

(v)  Autre allégation : Frais funéraires

[312]  Tracy estime que la Nation l’a discriminée en ne lui donnant pas accès à une compensation spéciale pour des frais de déplacement lui permettant d’assister aux funérailles de son fils en octobre 2016 (article 5a) LCDP).

[313]  Ces renseignements ont été inclus dans son exposé des faits amendés du 24 juillet 2017. Le 26 octobre 2017, j’ai rendu une ordonnance élargissant certains aspects de la plainte de Tracy (voir Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34). Cela dit, le non-paiement des frais funéraires n’a jamais été inclus dans cette décision.

[314]  J’avais également permis aux parties d’amender leurs exposés des faits afin de délimiter les faits qui allaient être présentés à l’audience. Toutes les parties ont amendé leurs exposés en conséquence. Cela dit, Tracy a ajouté un aspect qui n’était pas prévu dans ma décision, soit la question des frais funéraires.

[315]  La Nation estime que cet aspect n’a pas été inclus dans la plainte. Même si, effectivement, je ne suis pas convaincu que cet aspect ait été ajouté à la plainte, je ne suis pas plus convaincu que cet événement, selon la prépondérance des probabilités, constitue ou aurait constitué de la discrimination.

[316]  Barb Sage, qui est une agente travaillant pour le programme d’Aide à l’emploi et au revenu du Manitoba, a témoigné que selon le programme provincial, une somme maximale de 250 $ aurait pu être allouée à Tracy pour son transport. Ce montant aurait été en extra du montant de base alloué pour l’assistance aux revenus.

[317]  Comme Tracy tombait sous l’égide de la Nation, c’est à la Nation qu’elle devait faire cette demande de dépenses spéciales. La Nation lui a plutôt alloué une avance de 300 $ pour son déplacement. Cette avance aurait ensuite été déduite de ses prestations régulières d’assistance aux revenus, jusqu’à plein remboursement.

[318]  Dolores a expliqué dans son témoignage que les dépenses spéciales font partie d’un budget bien spécifique. Ce budget est très limité et si la Nation le dépasse, Services aux Autochtones Canada ne remboursent pas la différence. Elle est consciente que la Nation manque de ressource.

[319]  Je comprends, dans le témoignage de Dolores, que plus de services devraient être donnés aux gens vivant sur la communauté. Par contre, les sommes que reçoit la Nation sont très limitées.

[320]  Si la Nation dépasse son budget pour des dépenses spéciales, elles ne seront pas remboursées par le gouvernement fédéral. Les fonds pour les dépenses spéciales sont en conséquence réservés aux cas urgents, par exemple, pour les soins aux nouveau-nés et pour l’achat d’électroménagers et de meubles, incluant des lits, pour les quelques 160 maisons de la communauté. Dolores a également expliqué que la Nation, dans son historique, n’a pas octroyé de frais de déplacement comme dépenses spéciales, en raison du manque de fonds.

[321]  Cela dit, une avance a effectivement été faite à Tracy, pour une somme de 300 $. Selon Tracy, la décision de lui donner une avance de 300 $ en lui demandant de la  rembourser par la suite via ses prestations mensuelles ne lui permettait pas d’assister aux funérailles de son fils. Elle n’a donc pas accepté l’avance.

[322]  Je suis sensible aux sentiments de Tracy quant au fait qu’elle n’ait pu assister aux funérailles de son fils. Je ne peux pas imaginer la gamme d’émotions qu’elle a pu vivre lorsqu’elle a finalement dû se faire à l’idée qu’elle n’y assisterait pas. Il est impossible de rester insensible à cette situation.

[323]  Cela dit, rien dans la preuve ne me permet de conclure que la Nation a discriminé Tracy dans la fourniture d’un service, et ce, en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique. La preuve n’appuie pas non plus le fait que cela constituerait un acte de représailles puisque le lien avec le dépôt de la plainte n’a pas non plus été démontré. Dolores a tout simplement expliqué les raisons de sa décision, qui n’ont rien à voir avec un motif de distinction illicite ou le dépôt de la plainte.

[324]  Pour ces motifs, et sans être convaincu que cela était, de toute manière, inclus dans la plainte, je conclus que Tracy n’a pas rencontré son fardeau.

C.  Justifications de la Nation ou limitation de sa responsabilité

[325]  Comme j’ai rejeté tous les aspects de la plainte de Tracy puisque je considère que ni elle ni la Commission n’ont été en mesure de rencontrer leur fardeau, il est inutile pour moi de me pencher sur les justificatifs de la Nation (notamment en vertu de l’alinéa 15(1)g) et du paragraphe 15(2) LCDP) ou sur la limitation de sa responsabilité pour les actes de ses employés (en application de l’article 65 LCDP).

V.  Décision

[326]  La plainte de Tracy est rejetée dans son entièreté.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 9 octobre 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2101/1715

Intitulé de la cause : Tracy Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin

Date de la décision du tribunal : Le 9 octobre 2019

Date et lieu de l’audience : le 17-21 et 24-28 septembre 2018

Brandon, Manitoba

Comparutions :

Tracy Polhill, pour elle même

Brian Smith , pour la Commission canadienne des droits de la personne

J.R. Norman Boudreau, pour l'intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.