Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien
des droits de la personne

Référence : 2019 TCDP  27

Date : Le 26 juin 2019

Numéro du dossier : T1509/5510

Entre :

Pamela Egan

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence du revenu du Canada

l’intimée

- et -

Dre B

partie intéressée

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

 



I.  Contexte

[1]  La présente décision porte sur la demande d’ordonnance de confidentialité présentée par la Dre B relativement à sa requête en annulation d’une subpoena que lui a délivrée le Tribunal au sujet des dossiers médicaux de sa patiente, la plaignante, Mme Egan. J’ai statué sur la requête dans la décision Egan c. Canada (Agence du revenu), 2019 TCDP 8 (la décision de 2019).

II.  Historique de l’instance

[2]  Dans le cadre de sa requête en annulation d’une assignation, la Dre B demande, entre autres :

Une ordonnance de confidentialité quant à l’issue de la requête, en vertu de l’alinéa 52(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

[3]  La position de la Dre B en ce qui concerne sa demande d’ordonnance de confidentialité relative à la requête comprend les observations suivantes :

  • La Dre B fait remarquer qu’aux termes de l’alinéa 52(1)c) de la LCDP, le Tribunal peut prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu qu’il y a « un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées l’emporte sur l’intérêt qu’a la société [à ce que l’instruction soit publique] ».
  • La Dre B cite la décision Clegg c. Air Canada, 2017 TCDP 27, dans laquelle le Tribunal souligne qu’il faut trouver un juste équilibre entre la confidentialité et l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique (au paragraphe 47).
  • La Dre B mentionne également d’autres cas où le Tribunal a fait droit à des demandes d’ordonnance de confidentialité, Kelsh c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2015 TCDP 24 et Day v. Department of National Defence and Michael Hortie, 2003 CHRT 12.
  • La Dre B fait valoir qu’il existe un « risque sérieux » que la divulgation de toute information relative aux dossiers médicaux porte préjudice à Mme Egan. La Dre B soutient également que le simple fait que le Tribunal examine les dossiers médicaux constitue un risque sérieux pour la santé mentale et/ou psychologique de Mme Egan, notamment pour son traitement et son rétablissement. De plus, cet examen risque de détruire la relation psychothérapeutique entre Mme Egan et la Dre B, ainsi que la confiance de Mme Egan envers la Dre B en tant que son médecin traitant.

[4]  Les positions de Mme Egan et de l’ARC en ce qui concerne l’ordonnance de confidentialité demandée dans le cadre de la requête sont résumées comme suit au paragraphe 25 de la décision de 2019 :

[25] Dans la réponse qu’elle a soumise aux observations de la Dre B dans la présente requête, Mme Egan ne s’oppose pas à la demande d’ordonnance de confidentialité. L’ARC ne s’y oppose pas non plus sur le principe, mais elle fait valoir que ladite demande n’était pas suffisamment détaillée et se réserve le droit de présenter d’autres observations sur la nature de l’ordonnance de confidentialité requise. Cela dit, l’ARC accepte d’anonymiser les noms dans la décision de manière à protéger les renseignements de tierces parties. Dans les circonstances, comme les observations soumises par la Dre B en réponse ne mentionnaient pas la demande visant à obtenir des détails supplémentaires, et même si je souscris dans l’ensemble à la demande d’ordonnance de confidentialité, je conviens aussi qu’elle doit être plus détaillée.

[5]  Au paragraphe 73 de la décision de 2019, j’ordonne ce qui suit :

[73] La Dre B fournira des détails additionnels concernant sa demande d’ordonnance de confidentialité au titre de l’article 52 de la LCDP. La plaignante et l’intimée auront la possibilité de répondre, et la Dre B celle de présenter une réplique. Dans leurs observations, les parties devront notamment considérer la nature de l’ordonnance de confidentialité demandée, en abordant par exemple la question de savoir si elle s’appliquera à la décision, au dossier, aux deux, ou autrement; ainsi que celle de savoir si l’ordonnance de confidentialité devra s’appliquer à l’intégralité ou à une partie des documents (p. ex., anonymisation des documents, caviardage de renseignements). Dans l’intérim, aux termes de l’article 52 de la LCDP, j’ordonne aux parties de considérer que la présente décision, y compris tout document afférent déposé devant le Tribunal, est confidentielle jusqu’à décision à l’effet contraire, sous réserve des procédures de contrôle judiciaire pouvant être intentées au titre de la Loi sur les Cours fédérales.

[6]  Le 23 avril 2019, en réponse à l’ordonnance, la Dre B a demandé ce qui suit :

  • i) Que son nom et tout autre renseignement permettant de l’identifier soient anonymisés dans la décision du 21 février 2019 (p. ex. remplacés par la mention « la Dre B. »), si la décision est rendue publique. Comme le Tribunal l’a déjà mentionné, « l’ARC accepte d’anonymiser les noms dans la décision de manière à protéger les renseignements de tierces parties » (paragraphe 25).

  • ii) Que l’affidavit produit au sujet de la requête, y compris les pièces jointes, fasse l’objet dans son intégralité d’une ordonnance de confidentialité totale, dans la mesure où ces documents demeurent dans le dossier public du Tribunal. Ces documents mentionnent nommément la Dre B et contiennent des renseignements personnels sur la santé.

  • iii) Que toutes les observations écrites sur la requête, qui mentionnent toutes nommément la Dre B, et la preuve qu’elle a présentée à l’appui de la requête, y compris des renseignements personnels sur la santé, fassent aussi l’objet d’une ordonnance de confidentialité totale, dans la mesure où ces documents demeurent dans le dossier public du Tribunal.

  • iv) Que ses dossiers médicaux, demandés et communiqués au Tribunal, conformément à sa décision du 21 février 2019, fassent l’objet dans leur intégralité d’une ordonnance de confidentialité totale, dans la mesure où ces documents demeurent dans le dossier public du Tribunal, hormis en ce qui concerne l’accès ordonné aux parties par le Tribunal une fois le présent ajournement de l’affaire levé. À cet égard, l’ARC aura en fin de compte accès aux renseignements qu’elle cherche à obtenir dans les dossiers médicaux. De plus, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels sur la santé, L.O., 2004, chapitre 3, annexe A, les dossiers médicaux sont, par nature, constitués de renseignements personnels sur la santé qui doivent rester confidentiels. Par conséquent, aucun principe ne justifie qu’ils soient rendus publics dans le cadre du dossier du Tribunal dans cette affaire, même dans leur version expurgée.

III.  Résumé des observations de la Dre B

[7]  Dans les précisions qu’elle a fournies le 23 avril 2019, la Dre B explique que sa participation limitée à l’instance devant le Tribunal résulte de son obligation professionnelle, en qualité de médecin traitant, de limiter tout tort causé à sa patiente, Mme Egan, du fait de la production de ses dossiers médicaux.

[8]  Se retrouvant dans cette situation, la Dre B soutient qu’il est raisonnable que son nom et tout autre renseignement permettant de l’identifier soient anonymisés dans la décision, par exemple, en la désignant par la mention « la Dre B. ». Elle souligne que la décision de 2019 mentionne que « l’ARC accepte d’anonymiser les noms dans la décision de manière à protéger les renseignements de tierces parties ».

[9]  Elle demande, en outre, que son affidavit, les pièces justificatives et les observations écrites de toutes les parties fassent l’objet d’une ordonnance de confidentialité totale, afin de limiter le préjudice pour sa patiente.

[10]  Enfin, la Dre B demande que les dossiers médicaux qu’elle a communiqués au Tribunal fassent l’objet d’une ordonnance de confidentialité totale. La Dre B s’appuie également dans cette demande sur la Loi sur la protection des renseignements personnels sur la santé, aux termes de laquelle les renseignements personnels sur la santé doivent demeurer confidentiels.

IV.  Résumé de la réponse de l’intimée, l’ARC

[11]  Selon l’ARC, l’alinéa 52(1)c) de la LCDP reconnaît la nécessité de concilier l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique et le risque qu’une divulgation cause un préjudice injustifié aux personnes concernées (Amanda Day v. Canadian Human Rights Commission and Department of National Defence et. al, 2003 CHRT 12) (Day).

[12]  L’ARC fait remarquer que le principe de la publicité des débats est essentiel pour l’indépendance et l’impartialité de la justice. Ce principe, qualifié de « marque distinctive » d’une société démocratique, est indissociable de la liberté d’expression (A.B. (représentée par son tuteur à l’instance) c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46 (décision citée par l’ARC – voir également Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, au paragraphe 23)). D’après l’ARC, les juges et les arbitres ont conclu à maintes reprises que la présomption en faveur de la publicité des débats favorise la confiance du public dans l’intégrité de la justice et de son administration.

[13]  L’ARC souligne que le TCDP n’a pas de directive de pratique sur l’anonymisation de ses décisions, contrairement au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO), qui a la Directive de pratique sur l’anonymisation des décisions du TDPO. Aux termes de cette directive de pratique, des initiales seront utilisées dans deux cas à la place des noms pour protéger l’anonymat de personnes mentionnées dans les décisions du TDPO. Premièrement, le TDPO protégera l’identité des enfants âgés de moins de 18 ans, et celle d’autres participants lorsque cela est nécessaire pour protéger l’identité d’un enfant. Deuxièmement, le TDPO gardera anonyme le nom d’une partie ou d’un participant dans des circonstances exceptionnelles afin de protéger la confidentialité ou des renseignements personnels ou sensibles, s’il le juge approprié.

[14]  L’ARC rappelle trois arrêts du TDPO. Dans l’arrêt C.M. v. York Regional District School Board, 2009 HRTO 735, le TDPO déclare que la transparence de la justice est nécessaire pour que les actes des personnes chargées d’interpréter et d’appliquer la loi puissent faire l’objet d’un examen public. De plus, une accusation d’infraction au Code des droits de la personne de l’Ontario est grave et, en règle générale, les parties ne devraient pas pouvoir formuler ou défendre des allégations de manière anonyme, en étant assurées de ne pas être identifiées si elles ne sont pas jugées crédibles, si leurs allégations sont rejetées ou s’il est conclu qu’elles ont enfreint le Code.

[15]  Dans l’arrêt Mancebo-Munoz v. NCO Financial Services Inc., 2013 HRTO 974, le TDPO note que les requêtes relatives aux droits de la personne contiennent souvent des renseignements personnels et qu’il cherchera à savoir s'il existe [traduction] « des conditions exceptionnelles, des renseignements sensibles ou confidentiels qui requièrent l'anonymat » avant de rendre une telle ordonnance (paragraphe 6).

[16]  Enfin, l’ARC déclare qu’il incombe à la partie qui sollicite l’interdiction de publication de prouver qu’il existe un risque sérieux pour la régularité de la procédure à l’audience et/ou des conséquences préjudiciables pour la confidentialité. [traduction] « Le Tribunal doit être convaincu que les intérêts public et personnel se conjuguent afin de protéger la vie privée, et qu’ils l’emportent donc sur le principe de divulgation et l’opportunité d’un processus transparent en matière de droits de la personne » (Visic v. Elia Associate Professional Corporation, 2011 HRTO 1230, paragraphe 10).

[17]  L’ARC convient que les renseignements personnels sensibles sur la santé de Mme Egan devraient être protégés en vertu de l’alinéa 52(1)c) de la LCDP. Cependant, l’ARC s’oppose à la demande de la Dre B qui souhaite voir son nom anonymisé dans toute partie du dossier du Tribunal.

[18]  L’ARC soutient que la Dre B n’est pas vraiment une tierce partie à l’instance devant le Tribunal. Dans ses observations sur la requête sous-jacente, la Dre B déclare qu’il [traduction] « s’agit des droits et obligations de la Dre B en qualité de médecin traitant et de dépositaire des renseignements personnels sur la santé de Mme Egan » (souligné par l’ARC).

[19]  L’ARC souligne que, dans ses observations sur la requête sous-jacente en annulation d’une assignation, la Dre B n’indique pas qu’elle souhaite voir son propre nom anonymisé. En fait, elle y demande une ordonnance de confidentialité [traduction] « parce qu’il existe un ‘risque sérieux’ que la divulgation de toute information relative aux dossiers médicaux porte préjudice à Mme Egan » (mémoire de la Dre B, au paragraphe 41, souligné par l’ARC).

[20]  De l’avis de l’ARC, la Dre B ne présente pas de fondement à l’anonymisation de son propre nom. L’ARC fait valoir que la décision du Tribunal ne contient aucun renseignement privé ou sensible au sujet de la Dre B. Elle n’explique en rien pourquoi la divulgation de renseignements personnels ou autres lui causerait des difficultés excessives au point que la nécessité d’éviter la divulgation l’emporte sur l’intérêt de la société à ce que l'instruction soit publique, comme l’exige l’alinéa 52(1)c) de la LCDP.

[21]  Selon l’ARC, la seule raison d’anonymiser le nom de la Dre B serait de protéger sa réputation, ce qui ne présente aucun avantage pour Mme Egan. Par ailleurs, le nom de la Dre B ne devrait pas être anonymisé uniquement parce qu’une ordonnance de confidentialité est rendue au sujet de Mme Egan. L’ARC cite l’arrêt M.C. v. London School of Business, 2015 HRTO 635, où le TDPO protège l’anonymat du requérant en raison de renseignements très confidentiels au sujet de sa santé mentale, mais il n’anonymise pas le nom de l’intimée. Le TDPO déclare, au paragraphe 89, que les parties doivent être examinées séparément afin de déterminer s’il y a lieu d’anonymiser l’une ou l’autre.

[22]  Comme je l’ai déjà dit, l’ARC est d’accord pour qu’on utilise les initiales de Mme Egan et qu’on expurge tous les renseignements personnels concernant des tiers dans la décision, l’affidavit et les pièces justificatives de la Dre B relatives à la requête, les observations écrites des parties sur la requête et les dossiers médicaux de Mme Egan. Cependant, l’ARC demande que toute ordonnance de confidentialité [traduction] « prévoie de ne pas empêcher le Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance (TASPAAT) ou tout autre tribunal ou partie d’obtenir tout renseignement ou de se fonder sur tout renseignement qu’il pourrait obtenir autrement dans le cours normal de la procédure ». L’ARC estime qu’une ordonnance de confidentialité générale visant les dossiers médicaux de Mme Egan compromettra sa capacité de répondre à des allégations dans d’autres affaires.

V.  Réponse de la plaignante, Mme Egan

[23]  L’avocat de la plaignante a indiqué n’avoir aucune observation à présenter.

VI.  Résumé de la réponse de la Dre B

[24]  En réponse aux arguments de l’ARC au sujet du principe de la publicité des débats, la Dre B souligne quatre éléments.

[25]  Premièrement, elle rappelle que l’ARC a déjà accepté d’anonymiser des noms dans la décision du Tribunal et estime qu’on devrait l’empêcher de changer de position.

[26]  Deuxièmement, la Dre B se distingue des parties habituelles à une instance. Elle prétend, en fait, qu’elle est un [traduction] « tiers innocent » dans le différend qui sous-tend la requête. Sa participation n’était qu’à titre de partie intéressée, de manière expressément limitée, relativement à une [traduction] « question subsidiaire » qui n’est qu’une petite partie d’une instance principale bien plus vaste. Elle n’a aucun intérêt dans le résultat final de l’examen du Tribunal et elle y participe contre sa volonté et uniquement en raison de son obligation professionnelle de limiter le préjudice porté à sa patiente, Mme Egan. La décision de 2019 du Tribunal et les documents connexes précisent la nature et la portée du traitement de Mme Egan par la Dre B, et elle ne souhaite pas que son nom soit publiquement associé à ce traitement. Sa demande d’anonymisation ne vise pas pour elle à [traduction] « se réfugier dans l’anonymat » si ses [traduction] « allégations sont rejetées ».

[27]  Troisièmement, la Dre B prétend que l’anonymisation de son nom ne nuira pas au principe de la publicité des débats. Elle cite l’arrêt Endean c. Colombie-Britannique, 2016 CSC 42 (Endean), où la Cour suprême déclare que le principe de la publicité des débats « sert à protéger l’intérêt qu’a le public de connaître ce qui ressort des débats judiciaires »; cependant, ce principe « peut être limité lorsque des principes opposés sont en jeu ». La Dre B déclare que, s’il est fait droit à sa demande d’anonymat, la justice sera quand même rendue de manière transparente. L’issue de la requête et les motifs du Tribunal seront toujours connus et il ne sera en rien porté atteinte à la possibilité pour le public d’être informé au sujet des droits de la personne et de se familiariser avec les processus du Tribunal. Dire « la Dre B. » en parlant de la Dre B ne nuira à aucun de ces objectifs. La Dre B estime que le Tribunal est maître de sa propre procédure et qu’il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire dans ce cas pour faire droit à sa demande.

[28]  Quatrièmement, la Dre B fait remarquer que l’ARC invoque les pratiques du TDPO, mais précise que même le TDPO reconnaît que l’anonymat de personnes dans les décisions est laissé à la discrétion du décideur. La Dre B attire ensuite l’attention sur plusieurs décisions du TCDP où des parties ou des personnes sont anonymisées : N.A. c. 1416992 Ontario Ltd. et L.C., 2018 TCDP 33, au paragraphe 29, A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35, aux paragraphes 5 à 7, Kayreen Brickner c. la Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, au paragraphe 90, et Kelsh c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2015 TCDP 24, au paragraphe 46.

[29]  Enfin, la Dre B répond à l’exception proposée par l’ARC à la confidentialité des dossiers médicaux afin que l’Agence puisse les utiliser pour se défendre dans d’autres affaires.

[30]  La Dre B déclare que les dossiers médicaux ont été communiqués au Tribunal pour le motif précis énoncé dans l’assignation et que la Loi sur la protection des renseignements personnels sur la santé (LPRPS) de l’Ontario exige qu’ils demeurent confidentiels. La Dre B estime que la demande de l’ARC va au‑delà du processus de divulgation mis en place par le Tribunal dans des décisions antérieures et que l’ARC l’a formulée afin d’éviter de se conformer à la LPRPS et aux règles des autres tribunaux.

[31]  En outre, la Dre B soutient que la demande de l’ARC contrevient à la règle de l’engagement implicite en common law qu’elle décrit comme suit (en citant Tanner v. Clark, 2002 CanLII 62434, au paragraphe 17) :

[traduction]
[17] La règle de l’engagement implicite est une règle de common law. Elle prévoit d’imposer un engagement à une partie bénéficiant d’une divulgation. Celle‑ci ne doit pas utiliser la divulgation à une fin accessoire ou ultérieure à la résolution des questions de l’affaire dans laquelle la divulgation a lieu.

[32]  La Dre B cite Goodman v. Rossi, 1995 CanLII 1888 (ON CA) comme appuyant l’explication suivante du fondement de la règle de l’engagement implicite en common law :

[traduction]
La raison d’être première de l’imposition de l’engagement implicite est la protection de la vie privée. Une communication préalable est une atteinte au droit d’un particulier de garder pour lui ses propres documents, et la sauvegarde de ce droit est une affaire d’intérêt public. L’engagement a pour objet de protéger la confidentialité des documents de la partie, dans la mesure où cela cadre avec le bon déroulement de l’action. Il est généralement anormal qu’une partie contrainte par la loi de produire des documents pour l’objet d’une instance particulière s’expose au risque que l’autre partie se serve de ces documents à une fin autre que l’objet de l’instance judiciaire en question et, en particulier, qu’ils soient mis à la disposition de tiers qui pourraient les utiliser au détriment de la partie qui les a produits lors de l’enquête préalable. Une autre raison d’être est la promotion de la communication préalable intégrale, car en l’absence d’un tel engagement, la crainte d’une utilisation à des fins accessoires risque dans certains cas de décourager la communication préalable. Or, il ne faudrait pas, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, décourager la communication préalable honnête et entière.

[33]  La Dre B fait valoir que les règles de common law, y compris la règle de l’engagement implicite, s’appliquent au Tribunal sauf si elles ont été écartées par une mesure législative. En l’espèce, la règle de l’engagement implicite n’est pas abandonnée pour la simple raison que les dossiers médicaux ont été communiqués au Tribunal, et elle devrait interdire à l’ARC de solliciter une exception à toute ordonnance de confidentialité qui serait délivrée et d’utiliser les dossiers médicaux dans d’autres affaires. La Dre B soutient que la capacité de l’ARC de répondre à des allégations dans d’autres affaires ne concerne pas cette instance.

[34]  Si, toutefois, le Tribunal rend au sujet des dossiers médicaux une ordonnance de confidentialité comportant une exception autorisant l’Agence à les utiliser dans d’autres affaires, la Dre B demande que l’ARC soit tenue de présenter au Tribunal, avant chaque utilisation future éventuelle des dossiers médicaux, des observations auxquelles la plaignante et la Dre B pourront répondre.

VII.  Question à trancher

[35]  Doit‑on accéder aux demandes de la Dre B exposées au paragraphe 6 de cette décision?

VIII.  Alinéa 52(1)c) de la LCDP

 (1)  L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas,

c)  il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique

IX.  Analyse

[36]  Pour les motifs exposés ci‑après, je vais rendre des ordonnances faisant droit aux demandes énoncées aux paragraphes 6 (i), (ii) et (iii) de la présente décision, mais pas à la demande formulée au paragraphe 6 (iv). 

[37]  Les objectifs du principe de la publicité des débats sont très importants pour ce qui est d’établir l’indépendance et l’impartialité de la justice et de renforcer la confiance du public dans son intégrité. Cependant, la jurisprudence établit que, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré en vertu de l’alinéa 52(1)c) de la LCDP, il est nécessaire de concilier le souci public de transparence et d’ouverture et le droit à la vie privée, au cas par cas (voir Day et Endean, précités, et Canadian Newspapers Co. c. Canada (Procureur général)), 1988 CanLII 52 (CSC).

[38]  En ce qui concerne la demande d’anonymisation de son propre nom présentée par la Dre B, je suis d’avis que, dans la recherche d’un juste équilibre entre l’intérêt public à ce que l’instruction soit publique et la confidentialité souhaitée par la Dre B, qui ne veut pas voir son nom publiquement associé au traitement particulier dispensé à sa patiente, il n’est guère porté atteinte aux objectifs inhérents au principe de la publicité des débats en accédant à la demande de la Dre B énoncée au paragraphe 6 (i) de la présente décision, pour les motifs exposés dans les quatre dernières phrases du paragraphe 27 de la présente décision.

[39]  Pour ce qui est des demandes de la Dre B énoncées au paragraphe 6 (ii) et (iii) de la présente décision, je suis convaincu, à la lumière de la preuve qui m’a été présentée à cet égard, que Mme Egan subirait un préjudice indu si les détails de son état de santé et de son traitement étaient rendus publics, et il semble que les parties à cette requête ne contestent pas cette conclusion.

[40]  En ce qui a trait à la demande de la Dre B énoncée au paragraphe 6 (iv) de la présente décision, les dossiers médicaux sont certes en la possession du Tribunal, mais ils sont scellés et ne sont pas, à proprement parler, devant le Tribunal à cet instant, ce qui est très différent du cas où les parties essaieraient de les faire admettre en preuve. Par conséquent, il ne semble pas approprié d’envisager une ordonnance de confidentialité à ce stade. Si les dossiers médicaux sont communiqués à l’ARC à un moment donné, avec l’accord de la Dre B, ils seront alors soumis à la règle de l’engagement implicite. En attendant, cette demande est, à mon avis, prématurée.

X.  Ordonnances

[41]  Que le nom de la Dre B et tout autre renseignement la concernant permettant de l’identifier dans la décision de 2019 soient anonymisés en la désignant par « la Dre B. ».

[42]  Que l’affidavit relatif à la requête présenté par la Dre B, y compris les pièces justificatives, soit gardé intégralement confidentiel, dans la mesure où ces documents restent dans le dossier public du Tribunal.

[43]  Que toutes les observations écrites relatives à la requête soient gardées confidentielles, dans la mesure où ces documents restent dans le dossier public du Tribunal.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 26 juin 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1509/5510

Intitulé de la cause : Pamela Egan c. Agence du revenu du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 26 juin 2019

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

Observations écrites par :

David Yazbeck , pour la plaignante

Gillian Patterson et Nicole Walton, pour l’intimée

Glynnis P. Burt et Scott Robinson, pour la partie intéressée

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