Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP  8

Date : 21 février 2019

No de dossier : T1509/5510

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Pamela Egan

plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Agence du revenu du Canada

intimée

- et -

Dre B

partie intéressée

 

Décision sur requête

 

Membre instructeur : Edward P. Lustig

 



[1]  La présente décision concerne la requête présentée par la Dre B, l’éventuelle partie intéressée (Dre B), pour obtenir les redressements suivants :

  1. Une ordonnance lui accordant en l’espèce et aux fins limitées de la présente requête le statut de partie intéressée, au titre de l’article 8 des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne;
  2. Une ordonnance de confidentialité quant à l’issue de la requête, au titre de l’alinéa 52(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP);
  3. Une ordonnance annulant dans sa totalité la « sommation à comparaître comme témoin devant le Tribunal canadien des droits de la personne », datée du 11 mai 2018, et lui ayant été délivrée (l’assignation).

I.  CONTEXTE

[2]  La Dre B est une psychiatre autorisée exerçant en Ontario. Depuis 1992, elle est la psychiatre traitante de Mme Egan avec qui elle entretient encore une relation médecin-patiente.

[3]  Le 21 mai 2003, Mme Egan a déposé contre son employeur, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), une plainte relative aux droits de la personne alléguant que l’employeur avait fait preuve, à son égard, de discrimination en ne prenant pas de mesures adaptées à sa déficience visuelle et à la douleur chronique dont elle souffrait, en contravention des articles 7 et 14 de la LCDP. Un résumé succinct des faits se rapportant à la présente plainte peut être consulté dans la décision Egan c. Canada (Agence du revenu), 2017 TCDP 33, aux paragraphes 5 à 13 (la décision de 2017).

[4]  Dans la décision de 2017, j’ai conclu que les documents médicaux qui, à la suite des appels déposés par Mme Egan relativement à une blessure subie lors d’un accident de travail en 2009, se trouvant dans les dossiers de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la CSPAAT) et du Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (le TASPAAT) étaient potentiellement pertinents à la présente instance et j’ai ordonné leur production. J’ai fondé ma décision sur les critères servant à statuer sur les demandes de divulgation, énoncés au paragraphe 40 de cette décision. Aux paragraphes 40, 41, 42, 44, 45, 47 et 48, j’ai déclaré ce qui suit :

[40]  Comme il a été mentionné précédemment, la jurisprudence servant à statuer sur les demandes de divulgation se fonde habituellement sur les critères suivants :

  • Aux termes de l’article 50(1) de la Loi, les parties à une instance du Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de présenter leur preuve.

  • À cette fin, chaque partie a besoin, notamment, que les documents potentiellement pertinents qui se trouvent en la possession ou sous la garde de la partie adverse lui soient divulgués avant l’instruction de l’affaire.

  • Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation des documents permet à chacune des parties de connaître la preuve qu’elle doit réfuter et, ainsi, de se préparer adéquatement pour l’audience.

  • Pour cette raison, s’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, questions ou formes de redressement demandées par les parties dans l’affaire, le document doit être divulgué aux termes des alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles.

  • La partie qui sollicite la divulgation doit démontrer qu’il existe un lien et qu’il s’agit de documents probants et potentiellement pertinents à l’égard d’une question soulevée à l’audience, ce qui ne constitue pas une norme particulièrement élevée.

  • La demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche ». Les documents doivent être décrits de manière suffisamment précise.

  • La divulgation de documents potentiellement pertinents ne signifie pas qu’ils seront admis en preuve à l’audience ou qu’on leur accordera une importance significative dans le processus décisionnel.

[41]  La plaignante a invoqué l’accident de travail qu’elle avait subi en 2009 dans son allégation selon laquelle ledit accident serait la conséquence directe de l’omission de l’intimée de prendre des mesures d’accommodement et qu’il faudrait en tenir compte pour les questions de responsabilité et de mesures de redressement soulevées en l’espèce. La plaignante tente, au moyen du processus de la CSPAAT et du TASPAAT, de faire reconnaître qu’elle souffre de douleurs chroniques, de dépression, d’anxiété et du syndrome de stress post‑traumatique, du fait que l’intimée n’a pas pris de mesures d’accommodement. N’eût été le processus de la CSPAAT et du TASPAAT au terme duquel elle a reçu les dossiers de ces organismes, l’intimée n’aurait pas été au courant de certains éléments de la situation de la plaignante, lesquels sont potentiellement pertinents en l’espèce, notamment la question de savoir si le fait que l’intimée ignorait l’existence de certains problèmes de santé a eu pour effet de retarder la prise de mesures d’accommodement.

[42]  Le Tribunal est d’avis que l’intimée a décrit les documents en litige de manière suffisamment détaillée aux paragraphes 12, 13 et 14 des observations qu’elle a présentées en réplique afin d’établir le lien nécessaire et de s’acquitter du fardeau qui lui incombait de prouver que les documents sont potentiellement pertinents à l’égard des questions de responsabilité et de mesures de redressement soulevées en l’espèce. Par conséquent, l’équité procédurale exige l’utilisation des documents en litige afin que l’intimée ait une occasion équitable de présenter sa preuve.

[44]  Ensuite, le Tribunal estime que la mesure dans laquelle la plaignante avait besoin de mesures d’accommodement en raison de sa déficience visuelle est directement en cause et est essentielle au règlement efficace de la présente affaire. Le Tribunal souligne l’affirmation de la plaignante selon laquelle ses dossiers médicaux s’étendent sur des dizaines d’années. C’est possible, mais l’intimée a précisé avoir besoin des dossiers médicaux établis depuis la fin de l’an 2000. Le Tribunal conclut que cette demande de divulgation est potentiellement pertinente en ce qui concerne l’argumentation avancée par l’intimée et selon laquelle la plaignante aurait refusé de lui fournir suffisamment de renseignements sur ses limites, de sorte qu’elle n’a pas pu offrir à la plaignante des mesures d’accommodement au moment opportun. On ne peut donc pas affirmer que la demande équivaut à une « partie de pêche » ou qu’elle n’est pas suffisamment détaillée.

[45]  Enfin, le Tribunal est d’avis que le droit à la vie privée de la plaignante en ce qui a trait aux documents médicaux n’interdit pas la divulgation en l’espèce.

[…]

[47]   Il est bien établi en droit que la partie qui s’oppose à la divulgation des documents a le fardeau de démontrer qu’ils devraient être confidentiels (R. c. National Post, 2010 CSC 16 (CanLII), au paragraphe 60, [2010] 1 S.C.R. 477; voir aussi R. c. Gruenke, 1991 CanLII 40 (CSC), [1991] 3 RCS 263, à la page 293). Après avoir attentivement examiné les observations de la plaignante, le Tribunal conclut qu’elles ne font aucunement mention de la question. Par conséquent, la plaignante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve. Quoi qu’il en soit, le Tribunal conclut qu’en plaçant les mesures d’accommodement relatives à sa déficience visuelle au cœur de la plainte, la plaignante a renoncé au droit à la vie privée qu’elle avait à l’égard des documents médicaux, puisqu’ils se rapportent au diagnostic, au pronostic et aux mesures d’accommodement qui devraient être prises à son retour au travail relativement à sa déficience (Guay, au paragraphe 45; Rai, au paragraphe 30; Palm v. International Longshore and Warehouse Union, Local 500, Richard Wilkinson and Cliff Willicome, 2013 CHRT 19 (CanLII), aux paragraphes 44‑45).

[48]  De plus, le Tribunal rejette les observations de la plaignante selon lesquelles une telle ordonnance de divulgation outrepasse les limites des dispositions de la LPRPS. Même si le Tribunal devait supposer, sans pour autant conclure, que la LPRPS s’applique aux organismes fédéraux comme lui, cette loi n’entrave pas le pouvoir d’un tribunal administratif d’exiger la production d’un document [voir l’article 9(2)]. Ainsi, il est évident que l’ordonnance de divulgation du Tribunal n’outrepasse pas les limites des dispositions de la LPRPS.

[5]  Les 7 et 25 avril 2018, j’ai fourni des directives concernant la délivrance des assignations que sollicitait l’ARC pour obtenir les dossiers médicaux de divers médecins praticiens ayant examiné ou traité Mme Egan durant la période pertinente à la présente plainte.

[6]  Dans la directive du 7 avril 2018, j’ai déterminé que l’ARC avait établi et précisé de manière satisfaisante qu’elle avait besoin de certains des documents demandés pour pouvoir répondre équitablement aux allégations avancées par Mme Egan. En particulier, j’ai été convaincu que les documents suivants qui se trouvaient en la possession des professionnels de la santé traitant Mme Egan, dont la Dre B, étaient potentiellement pertinents à l’instruction et devaient être produits :

[traduction]
Les documents contenant des renseignements sur les affections médicales que la plaignante a soulevées au cours de la présente instruction. À savoir :

(i) les affections médicales à l’égard desquelles la plaignante allègue que l’intimée devait prendre des mesures d’accommodement et/ou

(ii) les affections médicales qui ont été causées ou aggravées par le défaut allégué de l’intimée de convenablement mettre en place les mesures d’accommodement requises (collectivement désignés comme les dossiers médicaux).

[7]  J’ai aussi mis en place, dans la même directive, des mesures de protection en réponse aux préoccupations soulevées par Mme Egan relativement à sa santé et à sa vie privée. S’agissant, par exemple, de l’assignation visant la Dre B, j’ai fait droit à la demande de dossiers médicaux de l’ARC, mais j’ai limité le début de la période visée au 31 décembre 2000 plutôt qu’à la date du premier traitement (1992), comme le demandait l’ARC :

[traduction]
Une assignation enjoignant à la Dre B, psychiatre, de produire l’ensemble des rapports, documents et notes cliniques concernant son traitement de Pamela Egan pour trouble de stress post-traumatique, dépression et syndrome de douleur chronique depuis le 31 décembre 2000. (Le membre instructeur Lustig a estimé que cette date était plus appropriée que celle du premier traitement parce qu’elle est cohérente avec la décision qu’il a rendue dans
Egan c Canada (Agence du Revenu), 2017 TCDP 33, au paragraphe 3).

[8]  Pour dissiper encore davantage les préoccupations de Mme Egan, j’ai établi des modalités de production aux termes desquelles les professionnels de la santé, dont la Dre B, devaient en premier lieu produire simultanément, à mon intention et à celle de Mme Egan exclusivement, une copie non caviardée des dossiers médicaux.

[9]  Compte tenu de la nécessité de protéger le bien-être physique et mental de Mme Egan, ces modalités prévoyaient ensuite une évaluation visant à déterminer quels renseignements contenus dans les dossiers médicaux produits devaient être caviardés avant d’être divulgués à l’ARC. Mme Egan pouvait, par l’entremise de son avocat, soulever ses objections éventuelles quant à la production des dossiers médicaux et proposer des caviardages au besoin, et l’ARC pouvait de son côté s’opposer aux caviardages proposés. Mme Egan avait alors la possibilité de soumettre une réplique et je devais ensuite statuer de manière définitive sur la question.

[10]  Pour mieux protéger la vie privée de Mme Egan en regard à ses affaires conjugales, j’ai enjoint, le 25 avril 2018, à M. Walters, l’un des autres professionnels de la santé, de caviarder les parties de son dossier relatives aux propos qu’avaient tenus Mme Egan, son époux ou lui-même durant leurs séances de consultation matrimoniale [traduction] « à l’exception des extraits des notes cliniques, des documents ou des rapports traitant des causes ayant rendu la consultation matrimoniale nécessaire. »

[11]  Dans une lettre datée du 17 mai 2018, la Dre B s’est vu signifier l’assignation datée du 11 mai précédent lui enjoignant de produire les documents énumérés à l’annexe A :

[traduction]
Produire, dès que possible et au plus tard 30 jours après la réception de la présente assignation, les copies non caviardées des dossiers médicaux suivants, à l’intention simultanée et exclusive de la plaignante (Mme Egan, a/s de son avocat, David Yazbeck (Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP, 220, avenue Laurier Ouest, bureau 1600, Ottawa (ON)  K1P 5Z9) et du Tribunal canadien des droits de la personne (a/s du membre instructeur Edward P. Lustig (TCDP, 160, rue Elgin, 11étage, Ottawa (ON)  K1A 1J4) :

1. L’ensemble des rapports, documents et notes cliniques concernant le traitement de Pamela Egan pour trouble de stress post-traumatique, dépression et syndrome de douleur chronique, depuis le 31 décembre 2000.

[12]  En juin et juillet 2018, l’avocat de Mme Egan a demandé par écrit au Tribunal de modifier les directives et assignations délivrées aux médecins praticiens de manière à ce que les renseignements personnels d’individus autres que Mme Egan soient caviardés; il demandait aussi si l’assignation délivrée à la Dre B (et possiblement aux autres médecins praticiens) devait être modifiée ou annulée, compte tenu de la lettre qu’avait reçue M. Yazbeck de Mme Burt, avocate de la Dre B, concernant l’état de santé de Mme Egan et sa capacité à continuer de participer à l’instance.

[13]  S’agissant de la dernière demande mentionnée au paragraphe précédent, j’ai informé les parties, dans une lettre du Tribunal datée du 5 juillet 2018, qu’elle ne devait, selon moi, être examinée par le Tribunal que si la Dre B (ou tout autre médecin praticien ayant reçu une assignation) lui soumettait une demande en bonne et due forme, le Tribunal n’ayant été contacté ni par la Dre B ni par aucun autre médecin praticien à ce sujet. La lettre ajoutait aussi qu’il serait plus opportun et plus pratique de joindre les demandes, en ce sens, que souhaiteraient présenter d’autres médecins praticiens ayant reçu une assignation.

[14]  Dans une décision datée du 17 octobre 2018, Egan c Canada (Agence du revenu) 2018 TCDP 29 (la décision de 2018), j’ai enjoint aux médecins praticiens, dont la Dre B, de caviarder les noms et adresses de tierces parties des notes, documents et rapports qu’ils avaient été assignés à produire, et de les transmettre sans délai avant le 16 novembre 2018 à l’avocat de Mme Egan et au Tribunal. Aux paragraphes 26, 27 et 28, j’ai déclaré ce qui suit :

[26]  J’estime que l’équité procédurale exige que l’intimée ait la possibilité de répondre adéquatement aux allégations de la plaignante, à savoir qu’elle a causé ou aggravé les troubles psychotraumatiques de la plaignante, dont le syndrome de stress post-traumatique, la dépression et la douleur chronique et que, par conséquent, elle est responsable des dommages. Dans la mesure où des notes cliniques, des documents et des rapports concernant la plaignante renferment des renseignements de tiers et font l’objet d’une citation à comparaître conformément aux directives actuelles du Tribunal, j’estime que, selon toute probabilité, ces renseignements sont liés à l’état de santé de la plaignante, puisqu’il ne semblerait y avoir aucune autre raison de les inclure dans des notes, des documents ou des rapports concernant la plaignante. Or, ces renseignements, qui ne sont pas connus de l’intimée, pourraient permettre d’attribuer la cause des troubles psychotraumatiques allégués par la plaignante à des parties autres que l’intimée, ce qui serait vraisemblablement pertinent en l’espèce.

[27]  La question de savoir si les renseignements de tiers sont effectivement pertinents en l’espèce doit aussi être tranchée par le Tribunal conformément à la procédure qu’il a adoptée dans ses directives, laquelle est conforme à la procédure établie dans la décision Guay, citée par les deux parties. À mon avis, cette procédure assure aux parties une protection adéquate, raisonnable et équitable en ce qui a trait aux questions de vie privée, d’une part, tout en permettant d’être en mesure de répondre équitablement aux allégations, d’autre part. Ainsi, seul l’avocat de la plaignante et le Tribunal pourront examiner d’abord les documents non expurgés pour déterminer s’il y a lieu de proposer l’expurgation de renseignements non pertinents. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’intimée pourra contester les expurgations proposées, en se fondant sur une description générale des expurgations fournie par le Tribunal, sans toutefois examiner les renseignements. En définitive, si les parties ne parviennent pas à régler la question, le Tribunal décidera si, compte tenu de la pertinence des renseignements pour la présente instance, les expurgations proposées sont appropriées. Cela dit, le Tribunal est d’accord pour que les médecins expurgent le nom et l’adresse des tiers figurant dans les notes, documents et rapports qui font l’objet d’une citation à comparaître et qui n’ont pas encore été remis à l’avocat de la plaignante et au Tribunal.

[28]  De plus, afin de mieux protéger le droit à la vie privée lorsque les circonstances le justifient, les parties peuvent également s’adresser au Tribunal en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité à l’égard des renseignements produits et communiqués dans la présente affaire.

[15]  Dans la décision de 2018, j’ai également ajourné l’audience pour une durée de six mois en raison des problèmes de santé de Mme Egan, attestés dans les lettres de la Dre B et du DLeggett, son médecin de famille, sans toutefois suspendre l’ensemble des procédures comme elle l’avait demandé.

[16]  Le 29 octobre 2018, la Dre B a fourni au Tribunal l’avis de requête ayant donné lieu à la présente décision. Le Tribunal n’a reçu aucune autre demande d’annulation des assignations délivrées aux autres médecins praticiens.

[17]  Selon la Dre B, Mme Egan souffre notamment d’un trouble de stress post‑traumatique (TSPT) et de dépression majeure.

[18]  Toujours selon elle, la psychothérapie est le seul traitement efficace qu’elle peut employer avec Mme Egan. La Dre B a eu et continue d’avoir de sérieuses inquiétudes d’ordre médical quant aux facteurs de stress subis par Mme Egan suite à l’instruction de la présente affaire devant le Tribunal.

[19]  En tant que psychiatre traitante Mme Egan, la Dre B estime que la production, la divulgation, la présentation et/ou la publication de ses dossiers médicaux entraîneront un risque grave pour sa santé mentale et/ou émotionnelle, en particulier pour son traitement et son rétablissement. Elle s’oppose à la moindre production ou divulgation des dossiers médicaux de Mme Egan parce qu’elle estime que celle‑ci en subira probablement un préjudice.

[20]  Plus précisément, la Dre B estime que la production et/ou la divulgation des dossiers médicaux de Mme Egan causeront probablement à cette dernière les graves préjudices suivants :

  1. Elles aggraveront le TSPT et la dépression majeure dont souffre Mme Egan;
  2. Elles détruiront la relation psychothérapeutique entre Mme Egan et la Dre B, laquelle est nécessaire au traitement actuel de Mme Egan et à son rétablissement, et en particulier à la psychothérapie qui s’impose pour traiter le TSPT et la dépression majeure dont elle souffre;
  3. Elles détruiront la confiance que Mme Egan a accordée à la Dre B en tant que médecin traitante.

[21]  De l’avis de la Dre B, la simple possibilité que les dossiers médicaux puissent être produits a déjà aggravé le TSPT et la dépression majeure dont souffre Mme Egan, et a nui à son traitement. En particulier, Mme Egan a cessé d’évoquer les questions pertinentes quant à son état et à son traitement, et est devenue très méfiante lorsque la Dre B prend des notes. Par ailleurs, elle a de la difficulté à se rendre à ses rendez‑vous médicaux parce qu’elle craint que les dossiers ne soient produits. La Dre B estime que cela est contre-productif au traitement de Mme Egan, et pose un danger pour son traitement et son rétablissement. Toujours selon elle, la production réelle des dossiers médicaux ne fera qu’aggraver les choses, d’une manière qui nuira à son traitement et à son rétablissement.

[22]  La Dre B estime que si la production des dossiers médicaux était ordonnée, elle continuerait de nourrir de graves inquiétudes pour la sécurité personnelle de Mme Egan, notamment en ce qui a trait au risque de suicide.

II.  QUESTIONS À TRANCHER

[23]  Les questions à trancher dans le cadre de la présente requête sont les suivantes :

  1. La Dre B devrait-elle se voir accorder le statut de partie intéressée aux fins limitées de la présente requête?
  2. Une ordonnance de confidentialité devrait-elle être délivrée quant à l’issue de la présente requête?
  3. L’assignation devrait-elle être annulée?

III.  POSITION DES PARTIES SUR L’OCTROI DU STATUT DE PARTIE INTÉRESSÉE À LA Dre B

[24]  Dans les réponses qu’elles ont soumises aux observations de la Dre B dans la présente requête, Mme Egan et l’ARC ne s’opposent pas à sa demande de statut de partie intéressée. Dans les circonstances, je ne vois aucune raison de refuser la demande que la Dre B a présentée pour obtenir le statut de partie intéressée aux fins limitées de la présente requête et je rendrai l’ordonnance requise.

IV.  POSITION DES PARTIES SUR L’ORDONNANCE DE CONFIDENTIALITÉ

[25]  Dans la réponse qu’elle a soumise aux observations de la Dre B dans la présente requête, Mme Egan ne s’oppose pas à la demande d’ordonnance de confidentialité. L’ARC ne s’y oppose pas non plus sur le principe, mais fait valoir que ladite demande n’était pas suffisamment détaillée et elle se réserve le droit de présenter d’autres observations sur la nature de l’ordonnance de confidentialité requise. Cela étant dit, l’ARC accepte d’anonymiser les noms dans la décision de manière à protéger les renseignements de tierces parties. Dans les circonstances, comme les observations soumises par la Dre B en réponse ne mentionnaient pas la demande visant à obtenir des détails supplémentaires, et même si je souscris dans l’ensemble à la demande d’ordonnance de confidentialité, je conviens aussi qu’elle doit être plus détaillée.

V.  POSITION DES PARTIES QUANT À LA QUESTION DE SAVOIR SI L’ASSIGNATION DEVRAIT ÊTRE ANNULÉE

[26]  Le reste de la présente décision traitera donc, jusqu’au paragraphe 72, de la question de savoir si l’assignation devrait être annulée.

(i)  Requêtes initiales de la Dre B

[27]  Les arguments de la Dre B sur la question renvoient au concept de privilège en common law ainsi qu’à la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (LPRPS) et à la Loi sur la Santé mentale de l’Ontario.

[28]  La Dre B invoque l’arrêt McInerney c. McDonald, 1992 CanLII 57 (CSC) (McInerney) pour faire valoir que les dossiers médicaux lui appartiennent et qu’il peut être justifié pour un médecin de ne pas divulguer les dossiers médicaux d’un patient lorsque cette divulgation risque d’être préjudiciable au patient ou à une tierce partie. Elle ajoute que la décision Wong c. Grant Mitchell Law Corp., 2015 MBQB 88, reconnaît l’existence d’un « privilège thérapeutique » (au paragraphe 175), fondé sur l’arrêt McInerney de la Cour suprême.

[29]  Comme je l’ai déjà souligné, la Dre B soutient que la production des dossiers médicaux causera probablement un préjudice grave à Mme Egan, et que la simple possibilité de leur production a déjà aggravé son état de santé. La Dre B souligne que cette preuve n’a pas été contestée.

[30]  La Dre B cite également l’alinéa 52(10)(e)(i) de la LPRPS qui prévoit une exception au principe voulant que tout particulier ait le droit d’avoir accès à un dossier de renseignements personnels sur la santé le concernant et dont un dépositaire de renseignements sur la santé a la garde ou le contrôle, s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’en permettre l’accès « risque de nuire grandement au traitement ou au rétablissement du particulier ou de causer des blessures graves au particulier ou à une autre personne ».

[31]  La Dre B reconnaît que l’alinéa 41(1)d) de la même Loi l’autorise à divulguer les renseignements personnels sur la santé concernant un particulier en vue de se conformer « à une assignation délivrée, à une ordonnance rendue ou à une exigence semblable imposée dans une instance par une personne qui a compétence pour ordonner la production de renseignements ». Elle soutient toutefois que cette disposition est simplement permissive et qu’il faut accorder la priorité à la préoccupation explicite liée au risque de préjudice.

[32]  La Dre B soutient aussi que la Loi sur la Santé mentale de l’Ontario, qui s’applique aux personnes se trouvant sous le contrôle d’établissements psychiatriques, reconnaît la portée du risque de préjudice que causerait au patient la production de renseignements personnels sur la santé. Aux termes de la Loi sur la Santé mentale, un médecin peut déclarer par écrit que la divulgation de renseignements personnels sur la santé risque de nuire au traitement ou au rétablissement du patient, après quoi une audience confidentielle est tenue pour statuer sur la question. La divulgation, la transmission ou l’examen du dossier n’est ordonné que s’il est établi que cette mesure est « essentielle dans l’intérêt de la justice » (paragraphe 35(7)).

[33]  En plus de son argument lié au privilège thérapeutique, la Dre B fait valoir que les dossiers médicaux doivent être protégés au titre d’« un privilège fondé sur les circonstances de chaque cas ». Elle invoque ainsi la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt M. (A) c. Ryan, (1997) 1 RCS 157 (« Ryan »), qui examinait un tel privilège relativement à des dossiers médicaux dont la production était demandée dans une action civile.

[34]  Dans l’arrêt Ryan, la Cour suprême a souligné que dans le cas du privilège fondé sur les circonstances particulières de chaque cas, les communications ne sont privilégiées que dans la mesure où la partie s’opposant à leur divulgation établit qu’elles devraient l’être suivant le test utilitaire à quatre volets élaboré par Wigmore :

  1. La communication doit avoir été transmise confidentiellement.
  2. Le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise.
  3. Les rapports doivent être des rapports qui, dans l’intérêt public, devraient être « entretenus assidûment ».
  4. Finalement, si toutes ces conditions sont remplies, le Tribunal doit décider si l’intérêt qu’il y a à soustraire les communications à la divulgation l’emportent sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige.

[35]  La Dre B affirme que les trois premiers critères de Wigmore sont remplis. Les dossiers médicaux ont été élaborés dans un cadre confidentiel essentiel à la relation thérapeutique et de confiance psychiatre-patient « entretenu[e] assidûment » depuis plus de 25 ans entre la Dre B et Mme Egan.

[36]  En ce qui concerne le quatrième critère Wigmore, la Dre B cite le paragraphe 29 de l’arrêt Ryan :

(29)  La quatrième condition veut que l’intérêt qu’il y a à soustraire les communications à la divulgation l’emportent sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige. Cela exige d’abord une évaluation de l’intérêt qu’il y a à soustraire les communications à la divulgation. Il y a notamment le préjudice causé à l’appelante relativement à ses rapports avec le Dr Parfitt et à son traitement futur. Il y a aussi l’effet qu’une conclusion à l’absence de privilège aurait sur la capacité d’autres personnes souffrant de traumatismes semblables d’obtenir le traitement nécessaire et sur celle des psychiatres de fournir ce traitement. L’intérêt qu’il y a à s’abstenir de divulguer doit comprendre tout effet sur la société du défaut de la part de certaines personnes d’obtenir un traitement qui leur rende la santé et leur place comme membre utile de la société. Finalement, l’intérêt qu’il y a à soustraire à la divulgation doit comprendre le droit à la vie privée de la personne qui revendique le privilège et les inégalités que risque de perpétuer l’absence de protection.

[37]  La Dre B soutient que l’issue du quatrième critère Wigmore dépendra de l’ensemble des circonstances de chaque affaire. En l’espèce, elle soutient que l’intérêt à soustraire les dossiers médicaux à la divulgation comprennent notamment : l’atteinte à la relation qu’elle entretient actuellement avec Mme Egan; son traitement futur de Mme Egan; la santé de Mme Egan; l’effet éventuel d’une conclusion d’absence de privilège, y compris sur d’autres personnes qui cherchent à obtenir un traitement psychiatrique ainsi que sur la capacité des psychiatres à fournir un traitement; l’intérêt de la société à s’assurer que les individus soient en mesure d’obtenir un traitement; et la protection de la vie privée de Mme Egan, y compris la valeur de cette considération au titre de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[38]  La Dre B reprend essentiellement ses arguments précédents voulant que Mme Egan subira un préjudice si les dossiers médicaux devaient être produits, et que la simple possibilité qu’ils le soient l’a d’ailleurs déjà affectée. La Dre B affirme que si les dossiers médicaux étaient produits, elle pourrait se retrouver dans l’impossibilité de traiter Mme Egan, ce qui compromettrait le rétablissement de cette dernière. Elle ajoute qu’une production partielle ne mitigerait pas ce risque.

[39]  La Dre B reconnaît que, dans l’arrêt Ryan, la Cour suprême a ordonné la divulgation, mais elle établit une distinction entre la présente instruction et cet arrêt qui portait, souligne-t-elle, sur un recours en dommages-intérêts pour agression sexuelle, plutôt que sur une plainte relative aux droits de la personne. La Dre B affirme aussi que dans le cas de Mme Egan, d’autres professionnels de la santé pourraient produire des documents susceptibles d’aider le Tribunal, si bien que les dossiers médicaux qu’elle pourrait produire ne seraient pas nécessaires. Enfin, elle avance que des éléments de preuve établissent que Mme Egan a déjà subi un traumatisme causé par la production non consensuelle de dossiers médicaux, alors que, dans l’arrêt Ryan, il n’y avait aucune preuve de traumatisme antérieur semblable.

[40]  La Dre B conclut que dans l’ensemble des circonstances précises de la présente affaire, la pondération des intérêts des parties milite en faveur de la protection des dossiers médicaux dans l’intérêt de la santé de Mme Egan.

(ii)  Observations de Mme Egan

[41]  Mme Egan n’a fourni que de brèves observations sous la forme d’une lettre de son avocat, et aucun argument juridique.

[42]  S’agissant des questions de fond soulevées dans la requête — à savoir la demande qu’a présentée la Dre B pour obtenir une ordonnance annulant l’assignation — la position de Mme Egan consiste à dire que l’assignation devrait être annulée [traduction] « pour le moment », compte tenu de son état médical actuel. Cependant, elle ajoute que cela ne devrait pas empêcher les parties de réclamer la production et/ou d’introduire des éléments de preuve visés par l’assignation à une date ultérieure.

(iii)  Observations de l’ARC

[43]  L’ARC prend acte de l’argument que la Dre B invoque en citant l’arrêt McInerney et selon lequel les dossiers médicaux de Mme Egan lui appartiennent. L’ARC fait remarquer que cet arrêt a été cité dans un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, Ontario (Commission des droits de la personne) c. Dofasco Inc., 2001 CanLII 2554 (CA ONT) (« Dofasco ») pour faire valoir que la plaignante avait un droit général d’accès à ses dossiers médicaux, ce qui est [traduction] « conforme au principe commun applicable dans les instances civiles et selon lequel une partie a le contrôle de ses dossiers médicaux et l’obligation de les produire » (Dofasco, au paragraphe 50).

[44]  L’ARC soutient que la Dre B a incorrectement invoqué la LPRPS et la Loi sur la Santé mentale de l’Ontario.

[45]  L’ARC souligne qu’aux termes de l’alinéa 41(1)(d) de la LPRPS, les dépositaires de renseignements sur la santé peuvent divulguer des renseignements personnels sur la santé concernant un particulier en vue de se conformer « à une assignation délivrée, à une ordonnance rendue ou à une exigence semblable ». Par ailleurs, l’alinéa 9(2)(d) de la même Loi prévoit que « [l]a présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte […] au pouvoir d’un tribunal judiciaire ou administratif de contraindre un témoin à témoigner ou d’exiger la production d’un document ».

[46]  S’agissant de la Loi sur la Santé mentale, l’ARC fait valoir qu’elle s’applique aux établissements psychiatriques, dont il est n’est pas question dans la présente affaire.

[47]  L’ARC convient avec la Dre B que les dossiers médicaux remplissent les trois premiers éléments du test de Wigmore, tel qu’il a été adopté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ryan.

[48]  Cependant, elle fait valoir que la Dre B ne s’acquitte pas de son fardeau à l’égard du quatrième volet du test, c’est‑à‑dire que les intérêts qu’il y a à soustraire les communications de Mme Egan à la divulgation ne l’emportent pas sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige.

[49]  L’ARC réitère ses arguments précédents portant que les renseignements sont extrêmement pertinents, étant donné que Mme Egan réclame des dommages-intérêts substantiels en faisant valoir des affections dont elle la rend responsable. Par ailleurs, les dossiers d’autres professionnels de la santé n’aideront pas le Tribunal autant que ceux de la Dre B, étant donné que celle‑ci est la principale psychiatre traitant Mme Egan et qu’elle est donc en mesure de fournir des dossiers particulièrement exhaustifs en regard des affections psychiatriques dont souffre la plaignante.

[50]  Bien que le Tribunal reconnaisse que les parties ont un droit à la vie privée et à la confidentialité à l’égard de leurs dossiers médicaux, l’ARC affirme que ce droit est limité lorsqu’une partie met sa santé en cause devant le Tribunal. L’ARC invoque les décisions Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada) 2004 TCDP 34 (« Guay »), Palm c. I.L.W.U., Local 500, 2012 TCDP 11 (« Palm ») et MacEachern c. Service correctionnel du Canada, 2014 TCDP 31. Elle invoque également la décision rendue par le Tribunal dans la décision McAvinn c. Straight Crossing Bridge Ltd., 2001 CanLII 38296 (TCDP) (« McAvinn »), qui cite Hay c. University of Alberta et autre, 1990 CanLII 2619 (AB QB) : [traduction] « [L]e droit à la confidentialité est alors éclipsé par le droit du défendeur de connaître les motifs et la portée de la plainte dont il fait l’objet » (McAvinn, au paragraphe 5).

[51]  L’ARC conclut son argumentation en affirmant que le cadre et les mesures de protection mis en place par le Tribunal dans ses directives des 7 et 25 avril et du 17 octobre suffisent à protéger la vie privée de Mme Egan et des tierces parties tout en lui accordant en même temps un accès suffisant aux renseignements potentiellement pertinents dont elle a besoin.

(iv)  Observations présentées par la Dre B en réponse

[52]  La Dre B précise que sa requête ne vise pas les droits de Mme Egan à la vie privée, mais plutôt ses propres droits et obligations professionnels étant donné que la production de renseignements médicaux pourrait, à son avis, causer un grave préjudice à sa patiente. Même si l’ARC estime que les ordonnances du Tribunal permettent d’atteindre « le juste équilibre », la Dre B affirme qu’il ne peut y avoir de juste équilibre lorsque la production de dossiers médicaux occasionnera un préjudice à la patiente. La seule mesure de réparation qui permettra de dissiper ses préoccupations à cet égard est une annulation complète de l’assignation.

[53]  La Dre B écarte la jurisprudence invoquée par l’ARC, en particulier la décision Guay, au motif qu’il n’existait dans ces affaires aucun risque de préjudice grave pour les patients/plaignants et que ceux qui s’opposaient à la divulgation étaient les plaignants eux-mêmes, et non le médecin traitant.

[54]  La Dre B se réfère au processus en trois étapes décrit au paragraphe 10 de la décision Palm :

[10]  Pour décider s’il convient de communiquer des documents ou non, le Tribunal a établi un processus en trois étapes : 1) déterminer si les renseignements sont d’une « pertinence possible », c’est‑à‑dire que la partie qui demande la production des renseignements ou des documents doit démontrer qu’il existe un lien entre les renseignements ou les documents demandés et les questions en litige; 2) sans examiner les documents, déterminer s’il existe une raison impérieuse de préserver le caractère confidentiel de ces derniers; 3) si le Tribunal n’est pas en mesure de régler la question sans examiner les documents, il doit dans ce cas les examiner et décider s’il y a lieu de les produire (voir Day c. Canada (Ministère de la Défense nationale), (6 décembre 2002), T627/1501 et T628/1601, décision sur requête no 3, au paragraphe 7 (TCDP); et Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34 (CanLII), au paragraphe 44 [Guay]).

[55]  La Dre B affirme que dans toutes les affaires invoquées par l’ARC, le Tribunal a seulement considéré la première étape et qu’il a fait la même chose en l’espèce dans la décision de 2018. Maintenant que le Tribunal dispose de la preuve de la Dre B selon laquelle le fait même de lancer le processus de divulgation risque de causer un grave préjudice à Mme Egan, ce risque, poursuit-elle, est une « raison impérieuse » au titre de la deuxième étape du critère Palm de ne pas ordonner la production.

[56]  La Dre B reprend son argument voulant qu’il existe un « privilège thérapeutique » à l’égard des dossiers médicaux ainsi qu’un « privilège fondé sur les circonstances de chaque cas » en common law.

[57]  Soulignant que l’ARC invoque Dofasco, la Dre B estime toutefois que cette décision doit être écartée. Dofasco ne concernait pas de tierce partie s’opposant à la divulgation (attendu que seules les parties avaient reçu ordre de divulguer des renseignements), pas plus qu’elle n’envisageait les exceptions énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McInerney sur les circonstances dans lesquelles un médecin peut refuser à un patient l’accès à ses dossiers médicaux.

[58]  S’agissant de la LPRPS de l’Ontario et de la Loi sur la Santé mentale de l’Ontario, la Dre B n’affirme pas que ces lois devraient avoir une influence déterminante quant à l’issue de la requête, mais estime plutôt qu’elles signalent la reconnaissance par la législature ontarienne de la réalité médicale du « privilège thérapeutique ». La Dre B cite d’ailleurs l’alinéa 9(2)(b) de la LPRPS, qui énonce : « La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte […] à tout privilège juridique, y compris le privilège du secret professionnel de l’avocat […]. »

[59]  S’agissant du quatrième volet du test de Wigmore, la Dre B affirme que l’observation de l’ARC selon laquelle [traduction] « les intérêts qu’il y a à soustraire les communications de la plaignante à la divulgation ne l’emportent pas sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige » n’a aucun fondement probatoire. L’ARC n’a pas consulté les dossiers médicaux et n’est donc pas en mesure d’en évaluer l’utilité. Par ailleurs, le Tribunal doit considérer avec gravité la preuve de la Dre B en ce qui touche le risque de préjudice que posent pour Mme Egan la production et la divulgation des dossiers médicaux.

[60]  La Dre B répète que sa preuve n’est pas contestée, et elle a une connaissance directe de l’état mental de Mme Egan et du préjudice qu’elle pourrait subir si les dossiers médicaux étaient produits. Le Tribunal devrait se fonder sur la preuve médicale non contestée, et les préoccupations liées au préjudice conséquent doivent avoir priorité sur tout le reste.

[61]  La Dre B fait valoir qu’il serait injuste vis-à-vis d’elle, ou inadéquat d’un point de vue procédural, d’annuler temporairement ou de manière limitée l’assignation, car cela créerait un « état de changement constant » qui serait contraire à la bonne administration de la justice et au principe de finalité.

VI.  ANALYSE

[62]  Pour les motifs qui suivent, je n’annulerai pas l’assignation, attendu que j’ai déjà déterminé dans la directive du 7 avril 2018, telle qu’elle est mentionnée au paragraphe 6 précédent, que l’ARC a établi et précisé de manière satisfaisante que la production des dossiers médicaux visés par l’assignation était nécessaire pour qu’elle puisse répondre équitablement aux allégations avancées par Mme Egan contre elle, et je me suis dit convaincu que les documents en question étaient potentiellement pertinents à la présente instance. Cette conclusion est conforme à mes décisions de 2017 et de 2018, telles qu’elles sont citées respectivement aux paragraphes 4 et 14 précédents, en ce qui touche la nécessité de se montrer équitable envers l’ARC en lui donnant la possibilité d’obtenir des documents potentiellement pertinents, de manière à ce qu’elle connaisse les arguments contre lesquels elle doit se défendre et répondre aux allégations de Mme Egan selon lesquelles elle n’a pas pris de mesures adaptées à sa déficience et que les actes qu’elle a posés ont en fait aggravé ses affections médicales, lui causant ainsi des dommages substantiels.

[63]  Les observations de la Dre B ne m’ont pas convaincu que je devais confronter l’ARC à ces allégations sans qu’elle puisse avoir une possibilité équitable d’y répondre en obtenant les dossiers médicaux potentiellement pertinents visés par l’assignation, dans le cadre du processus que j’ai déjà établi. Par exemple, si les dossiers médicaux faisant l’objet de l’assignation révélaient que des causes autres que celles attribuables aux actions prétendument discriminatoires de l’ARC ont contribué au préjudice causé à la santé de Mme Egan, ou qu’il existait des mesures potentiellement adaptées à ses problèmes de santé qui n’ont toutefois pas été communiquées à l’ARC de manière à ce qu’elle puisse agir de manière opportune, cela pourrait avoir un impact sur l’issue de la présente affaire à l’égard de la responsabilité et des mesures de réparation. À ce titre, s’agissant de l’analyse fondée sur les circonstances de chaque cas préconisée par la Dre B à l’égard du quatrième volet du test de Wigmore, je suis convaincu que la soustraction des dossiers médicaux visés par l’assignation à la divulgation ne l’emporte pas sur l’intérêt qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige. Les dossiers médicaux en question devraient, à mon avis, être produits par souci d’équité envers l’ARC et pour lui permettre de connaître les arguments contre lesquels elle doit se défendre étant donné que Mme Egan a mis sa santé au centre de cette affaire (voir Guay, Palm and McAvinn).

[64]  J’estime, à titre de principe général, qu’il est fondamentalement injuste d’intenter un litige contre une personne en lui réclamant des dommages-intérêts pour des préjudices personnels qu’elle aurait prétendument causés, sans divulguer ni produire à son intention des documents médicaux potentiellement pertinents se rapportant aux allégations, en prétextant que la divulgation et la production des documents seraient préjudiciables à la santé de celui qui intente l’action. Les auteurs de telles demandes ne peuvent tout simplement pas tout avoir. Soit ils donnent suite à leurs demandes et divulguent à l’autre partie les documents potentiellement pertinents, soit ils ne doivent pas être autorisés à aller de l’avant sans les avoir divulgués. Autrement, même dans des affaires telles que celle‑ci où la divulgation et la production de documents médicaux potentiellement pertinents soulèvent des préoccupations médicales de bonne foi touchant à la santé et à la sécurité de la plaignante, il pourrait devenir impossible, ou à tout le moins très difficile, d’établir une défense si l’instruction de l’affaire se poursuit sans que les documents en question ne soient produits.

[65]  Je suis conscient que dans la présente requête, c’est la Dre B et non Mme Egan qui s’oppose à la production des dossiers médicaux visés par l’assignation, parce qu’elle estime qu’une telle production exposerait la vie de sa patiente à un grave danger et qu’il est de sa responsabilité d’éviter un tel risque; mais l’injustice que subirait l’intimée si les dossiers médicaux n’étaient pas produits et que Mme Egan était autorisée à poursuivre sa plainte est la même que celle qui surviendrait si c’était cette dernière qui s’opposait à la production.

[66]  À mon avis, la principale décision citée par la Dre B pour faire valoir le privilège thérapeutique peut être écartée. Contrairement à la présente affaire, la plaignante dans l’arrêt McInerney voulait avoir accès à ses propres dossiers médicaux qui se trouvaient en la possession de son médecin. À ce titre, « […] [l’intérêt] qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige » suivant le quatrième volet Wigmore, mentionné au paragraphe 29 de l’arrêt Ryan et cité par la Dre B, n’était pas invoqué pour pondérer les droits d’une partie intimée de connaître les arguments avancés contre elle relativement à des dommages prétendument causés à la santé d’une plaignante.

[67]  Par ailleurs, pour les motifs fournis par l’ARC et mentionnés au paragraphe 45 précédent ainsi qu’au paragraphe 48 de la décision de 2017 reproduit au paragraphe 4 de la présente, je ne crois pas que la LPRPS soit un obstacle à la divulgation, compte tenu de l’assignation. Je ne crois pas non plus que la Loi sur la Santé mentale soit pertinente à la présente affaire, attendu qu’elle s’applique aux établissements psychiatriques dont il n’est pas question en l’espèce.

[68]  De ce que je saisis de la position de la Dre B, la vie de Mme Egan serait gravement mise en danger si les dossiers médicaux visés par l’assignation étaient produits, compte tenu de son état de santé actuel. La preuve de la Dre B à cet égard est incontestée. Il s’ensuit que n’eût été cette menace à sa vie due à son état de santé, la Dre B n’aurait pas intenté la présente requête et ne s’opposerait pas à l’assignation. Par ailleurs, si l’état de santé de Mme Egan s’améliorait au point où les préoccupations de la Dre B liées à la production des dossiers médicaux en question venaient à disparaître, cette dernière n’aurait plus de raison de s’opposer à leur production.

[69]  À ce titre, il ne s’agit pas pour moi de trouver un équilibre entre la nécessité de produire les documents afin de protéger le droit de l’intimée de se défendre équitablement contre les allégations et celle de ne pas produire les documents afin de protéger la vie de Mme Egan (qui est, bien entendu, d’une importance capitale pour moi). Il s’agit plutôt, selon moi, de pondérer la protection du droit de l’intimée à l’équité et la protection de la vie de Mme Egan.

[70]  Par conséquent, même si je m’apprête à rendre une ordonnance de production des dossiers médicaux visés par l’assignation prévoyant qu’ils seront, pour le moment, conservés jusqu’à ce qu’ils s’avèrent nécessaires et utiles en l’espèce, je suis également conscient des préoccupations exprimées par la Dre B pour ce qui touche la santé et la sécurité de Mme Egan ainsi que ses obligations professionnelles à cet égard. À cette fin, je vais tenter encore une fois de mettre en place un autre processus équitable pour l’ARC, Mme Egan et la Dre B en pondérant leurs intérêts d’une manière que je juge raisonnable dans les circonstances, comme je l’explique plus bas.

[71]  La Dre B produira les copies des dossiers médicaux visés par l’assignation dans les 60 jours de la date de la présente décision, mais les scellera elle‑même et les transmettra ensuite immédiatement au Tribunal, et à personne d’autre. Le Tribunal conservera les dossiers médicaux scellés que personne d’autre que la Dre B n’aura consultés, et ce, jusqu’à ce qu’elle informe le Tribunal et les parties que l’ouverture des dossiers médicaux et leur production à mon intention et à celle des parties selon des modalités conformes au processus que j’ai déjà décrit dans la directive et ma décision n’exposeront, selon elle, la santé de Mme Egan à aucun risque. Entre-temps, la présente affaire ne pourra pas aller de l’avant tant que les dossiers médicaux visés par l’assignation ne seront pas ouverts et ainsi produits, à moins que l’ARC et Mme Egan consentent à ce que l’affaire, ou une partie de l’affaire se poursuive sans que les dossiers médicaux en question ne soient ouverts ni produits.

VII.  ORDONNANCES

[72]  La Dre B se voit accorder le statut de partie intéressée aux fins limitées de la présente requête.

[73]  La Dre B fournira des détails additionnels concernant sa demande d’ordonnance de confidentialité au titre de l’article 52 de la LCDP. La plaignante et l’intimée auront la possibilité de répondre, et la Dre B celle de présenter une réplique. Dans leurs observations, les parties devront notamment considérer la nature de l’ordonnance de confidentialité demandée, en abordant par exemple la question de savoir si elle s’appliquera à la décision, au dossier, aux deux, ou autrement; ainsi que celle de savoir si l’ordonnance de confidentialité devra s’appliquer à l’intégralité ou à une partie des documents (p. ex., anonymisation des documents, caviardage de renseignements). Dans l’intérim, aux termes de l’article 52 de la LCDP, j’ordonne aux parties de considérer que la présente décision, y compris tout document afférent déposé devant le Tribunal, est confidentielle jusqu’à décision à l’effet contraire, sous réserve des procédures de contrôle judiciaire pouvant être intentées au titre de la Loi sur les Cours fédérales.

[74]  La Dre B produira les copies des dossiers médicaux visés par l’assignation à l’intention du Tribunal dans les 60 jours de la date de la présente décision, en respectant les exigences suivantes :

  • La Dre B enverra au Tribunal les copies des dossiers médicaux visés par l’assignation dans une double enveloppe, en scellant l’enveloppe interne à sa satisfaction et en inscrivant le numéro de dossier du Tribunal (« T1509/5510 »), ainsi que la mention [traduction] « Confidentiel : Ne pas ouvrir sauf sur ordre d’Edward P. Lustig, membre instructeur ».
  • Les dossiers médicaux scellés visés par l’assignation seront conservés par le greffe du Tribunal dans un meuble-classeur verrouillé, à l’écart des autres dossiers du Tribunal.
  • Pour éviter tout risque de destruction des dossiers médicaux visés par l’assignation pouvant découler de circonstances échappant au contrôle du Tribunal, par exemple en cas de feu ou de désastre naturel, la Dre B gardera en sa possession, jusqu’à directive contraire du Tribunal, les dossiers médicaux originaux qu’elle lui aura fournis.

[75]  L’instance demeure ajournée jusqu’à ce que la Dre B informe les parties et moi-même qu’à son avis, l’ouverture et la production à mon intention et à celle des parties des dossiers médicaux visés par l’assignation n’exposeront Mme Egan à aucun danger, auquel cas lesdits dossiers seront ainsi ouverts et produits, conformément au processus que j’ai déjà décrit dans ma directive et ma décision, à moins que la plaignante et l’intimée ne consentent toutes les deux à ce que l’affaire, ou une partie de l’affaire, se poursuive sans que les dossiers médicaux visés par l’assignation ne soient ouverts ni produits.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre instructeur

Ottawa (Ontario)

21 février 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1509/5510

Intitulé de la cause : Pamela Egan c. Agence du revenu du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : 21 février 2019

Requête jugée sur dossier sans la comparution des parties

Représentations écrites par :

David Yazbeck , pour la plaignante

Gillian Patterson, Laura Tausky et Nicole Walton, pour l’intimée

Glynnis P. Burt et Scott Robinson , pour la partie intéressée

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