Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 29

Date : le 13 août 2019

Numéro du dossier : T2149/2316

 

Entre :

Corey Willcott

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Freeway Transportation Inc.

l'intimée

Décision

Membre : Gabriel Gaudreault

 


Table des matières

I. Aperçu général de la plainte  1

II. Questions en litige  2

III. Le droit applicable  2

IV. Contexte à la plainte : qui sont Freeway et M. Willcott?  7

V. Analyse  10

A. Est-ce que M. Willcott a un ou des motif(s) de distinction illicite protégés par la LCDP  10

B. Est-ce que M. Willcott a subi un ou des effet(s) préjudiciable(s) (articles 7 et 14 LCDP), existe-t-il un lien avec un motif de distinction illicite et quel est la justification de Freeway (article 15 LCDP)  11

(i) Incidents impliquant M. Marshall  11

(a) Insultes racistes et menaces du 6 mars 2013  11

(b) Incidents quant à la rotation des congés forcés du 7 juin et des 25 et 27 octobre 2013  14

(c) Incidents sur l’incitation à la vente de drogue  14

(d) Conclusions quant aux incidents impliquant M. Marshall et possibles justifications de Freeway  15

(ii) Incident de l’antigel du 11 juin 2013  21

(iii) Licenciement en novembre 2013  22

(iv) Incident impliquant Mme McNab et harcèlement sexuel allégué  27

(v) Réintégration au travail en juin 2014 et exclusion du poste de conducteur de camion en raison de la déficience  30

(vi) Retour au travail, consommation de marijuana médicinale et exclusion du poste de conducteur de camion en octobre 2016  45

VI. Réparations  51

A. Discrimination en vertu des articles 7 et 14 LCDP impliquant M. Marshall  51

(i) Congés forcés  51

(ii) Harcèlement de M. Marshall  52

B. Discrimination en vertu de l’article 7 LCDP quant au licenciement  55

C. Discrimination en vertu de l’article 7 LCDP suivant la réintégration au travail 57

D. Remboursement des montants de prescription de marijuana médicinale  60

VII. Intérêts  61

VIII. La décision  62

 


I.  Aperçu général de la plainte

[1]  M. Corey Willcott est un conducteur de camion, travaillant pour la compagnie Freeway Transportation Inc. Cette compagnie opère ses affaires entre autres dans la grande région de Toronto. M. Willcott estime que son employeur ne lui a pas offert un environnement de travail exempt de harcèlement (alinéa 14(1)c) LCDP), harcèlement qui aurait été perpétré par le Directeur général de la compagnie, M. James Marshall. Il juge aussi que Freeway Transportation Inc. ne lui a pas offert un environnement exempt de harcèlement sexuel, qui aurait été perpétré par Mme Nicole McNab, une répartitrice, (l’alinéa 14(1)c) et le paragraphe 14(2) LCDP). De plus, il juge que son licenciement était discriminatoire (article 7(a) LCDP). Enfin, il estime avoir été défavorisé en cours d’emploi (article 7 LCDP) notamment en se voyant forcé de prendre des congés alors que cela n’était pas son tour, puis dans le cadre de sa réintégration au travail. Il croit par ailleurs que l’employeur n’a pas respecté son obligation d’accommodement.

[2]  M. Willcott allègue que les actes discriminatoires de l’employeur ont été commis en raison de son sexe, sa déficience, son origine nationale ou ethnique ainsi que sa race (paragraphe 3(1) LCDP). Il s’agit des raisons pour lesquelles il a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne contre Freeway Transportation Inc.

[3]  Pour ces actes discriminatoires, M. Willcott réclame une compensation monétaire (paragraphe 52(2) et (3) LCDP). Il réclame :

·  des dommages pour préjudice moral pour un total de 20 000 $ (alinéa 53(2)e) LCDP);

·  une indemnité spéciale pour actes délibérés ou inconsidérés, pour un total de 20 000 $ (paragraphe 53(3) LCDP);

·  des pertes de salaires et le remboursement du coût de médicaments (alinéa 53(2)c) LCDP);

[4]  Lors de l’audience, je n’ai entendu que deux témoins : le plaignant lui-même ainsi que Mme Crawford, représentante de la compagnie. Les parties ont déposé une preuve documentaire concise, soit deux cartables identifiés C-1 et R-1.

[5]  Je dois baser ma décision sur la preuve testimoniale et documentaire qui m’a été soumise à l’audience. Pour les motifs qui suivent, j’accorde en partie la plainte de M. Willcott (paragraphes 53(1) et 53(2) LCDP).

II.  Questions en litige

[6]  Les questions en litige sont les suivantes :

1)  Est-ce que M. Willcott a rencontré le fardeau de son dossier c’est-à-dire, a-t-il été en mesure de prouver les trois éléments suivants?

a.  M. Willcott a un ou plusieurs motifs de distinction illicite protégés par la LCDP.

b.  M. Willcott a subi un ou plusieurs effets préjudiciables (congédié, défavorisé en cour d’emploi, harcelé (article 7 et 14 LCDP).

c.  Un motif de distinction illicite (sexe, déficience, origine nationale ou ethnique, race) a été un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

2)  Si c'est le cas, est-ce que l’employeur a été en mesure de présenter une défense (article 15 LCDP) ou de limiter sa responsabilité (article 65 LCDP)?

3)  Si ce n'est pas le cas, quels sont les réparations que le Tribunal doit ordonner (paragraphe 53(2) LCDP)?

III.  Le droit applicable

[7]  L’objet de la LCDP est de garantir à tout individu la jouissance du droit à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesure visant la satisfaction de ses besoins, dans la mesure compatible avec ses devoirs et obligations au sein de la société, indépendamment de quelconques considérations fondées sur des motifs de distinction illicite (article 2 LCDP).

[8]  Dans l’adjudication des plaintes au Tribunal, il incombe au plaignant de rencontrer le fardeau de son dossier (traditionnellement appelé preuve prima facie de discrimination, voir par exemple Brunskill c. Société canadienne des postes [Brunskill], 2019 TCDP 22, aux par. 56 à 58). M. Willcott doit ainsi présenter une preuve suffisante, selon la balance des probabilités et jusqu’à preuve du contraire, de l’existence de discrimination. Pour reprendre les termes employés dans la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears [Simpsons-Sears], [1985] 2 RCS 536, au par. 28 :

[…] la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé. 

[9]  La Cour suprême du Canada a élaboré, dans la décision Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), [2012] RCS 61 [Moore], au par. 33, une analyse en trois étapes en matière de discrimination. M. Willcott doit ainsi démontrer :

(1)  qu’il a un motif de distinction illicite protégé par la LCDP (dans le cas en l’espèce, la déficience, origine nationale ou ethnique, la race ou le sexe, ou l’intersection entre plusieurs de ces motifs);

(2)  qu’il a subi un effet préjudiciable, c’est-à-dire qu’il été défavorisé en cours d’emploi ou harcelé en matière d’emploi, en application des articles 7 et 14 LCDP;

(3)  que le motif de distinction illicite (déficience, origine nationale ou ethnique, la race ou le sexe) a été un facteur dans l’effet préjudiciable subi;

[10]  Tel que rappelé dans la décision Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation) [Bombardier], [2015] RCS 789), la preuve présentée à l’audience doit être analysée selon la prépondérance des probabilités. Il n’est pas non plus nécessaire de démontrer que le motif de distinction illicite a été l’unique facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable qu’aurait subi le plaignant. Enfin, la preuve de discrimination directe n’est pas forcément nécessaire, tout comme la démonstration d’une intention de discrimination n’est pas obligatoire (Bombardier, aux paras. 40 et 41).

[11]  Il a été rappelé, à maintes reprises, que la discrimination n'est habituellement pas commise ouvertement ou avec intention. Le Tribunal doit ainsi analyser l’ensemble des circonstances de la plainte afin de déterminer s’il existe de subtiles odeurs de discrimination (voir Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada [Basi], 1988 CanLII 108 (TCDP)). La preuve circonstancielle peut aussi aider le Tribunal à tirer des inférences lorsque la preuve qui a été présentée au soutien des allégations rend ces inférences plus probables que les autres hypothèses ou inférences possibles (voir Basi, précité). Il faut néanmoins que la preuve circonstancielle présentée demeure tangiblement liée à la décision ou à la conduite reprochée de la partie intimée (Bombardier, précité, au par. 88).

[12]  Je suis d’avis que lorsque le Tribunal analyse la preuve afin de déterminer si une partie plaignante a rencontré le fardeau de son dossier, il doit nécessairement analyser la preuve dans son ensemble, ce qui peut inclure la preuve qui a été présentée par la partie intimée (Brunskill, précité, au par. 64). Le Tribunal pourrait ainsi conclure que la partie plaignante n’a pas rencontré son fardeau si la preuve qu’elle a présentée n’est pas suffisamment complète afin de démontrer l’existence de discrimination, et ce, jusqu’à preuve du contraire (Simpsons-Sears, au par. 28). Le Tribunal peut également rejeter la plainte si la partie intimée est en mesure de présenter une preuve qui, par exemple, réfute les allégations du plaignant, l’empêchant ainsi de rencontrer le fardeau de son dossier.

[13]  Au contraire, si la partie plaignante rencontre le fardeau de son dossier, la partie intimée a l’opportunité de se prévaloir de l’une des défenses prévues à l’article 15  LCDP  ou peut tenter de limiter sa responsabilité sous l’article 65 LCDP, lorsqu’applicable. Dans le cas en l’espèce, Freeway a invoqué la défense prévue à l’article 15 LCDP.

[14]  En matière de harcèlement, la LCDP n’offre pas de définition spécifique de ce qui constitue du harcèlement. Les guides et les principes élaborés par les tribunaux et les différentes cours de justice sont en conséquence fort utiles. En application de la LCDP, le harcèlement est défini généralement comme une conduite non-sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour la victime (Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, à la page 1284). Mon collègue Edward P. Lustig a résumé dans sa décision Alizadeh-Ebadi c. Manitoba Telecom Services Inc., 2017 TCDP 36, au par. 163, les différents éléments à analyser en matière de harcèlement :

i) la conduite doit être non sollicitée par la victime et liée à un motif de distinction illicite qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour la victime;

Morin, précitée.

ii) le harcèlement réside essentiellement dans la création d’un climat de travail hostile, qui porte atteinte à la dignité personnelle du plaignant;

Dawson c. Société canadienne des postes, 2008 TCDP 41 (« Dawson »).

iii) un seul incident peut, dans certains cas, suffire à créer un milieu de travail hostile; dans d’autres cas, il faut un élément de répétition ou de persistance. Par conséquent, la nature de la conduite doit être appréciée selon la règle des données inversement proportionnelles : plus graves sont la conduite et ses conséquences, moins la répétition de cette conduite sera nécessaire; à l'inverse, moins grave sera la conduite, plus elle devra avoir persisté;

Dawson, précitée.

iv) le harcèlement n’englobe pas les expressions qui sont grossières et offensantes, mais qui ne sont pas liées à une caractéristique particulière. Une conduite peut être offensante et être liée à une situation personnelle, mais sans être suffisamment répétitive ou grave pour constituer du harcèlement au sens de la LCDP;

Morin, précitée.

v) pour déterminer si la conduite est non sollicitée, on doit appliquer une norme objective fondée sur ce qu’une personne raisonnable percevrait du point de vue de la victime;

Hill, précitée.

vi) lorsqu’on apprécie le caractère raisonnable de la conduite reprochée, les limites normales de l’interaction sociale dans les circonstances constituent l’élément fondamental dont il faut tenir compte. Les facteurs plus précis suivants sont pertinents dans le cadre de cette appréciation : la nature de la conduite en cause, le milieu de travail, le type d'interaction personnelle entre les parties dans le passé, le fait que le harceleur est ou non en situation d’autorité par rapport au plaignant et l’existence d’une objection ou d’une plainte;

Hill, précitée.

vii) en vertu de l’article 65 de la LCDP, les actes ou omissions commis par un employé, dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l’application de la LCDP, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie. L’acte ou l’omission sera considéré comme ayant été commis par l’employeur, sauf si l’employeur n’a pas consenti à l’acte ou à l’omission faisant l’objet de la plainte et s’il a pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a essayé d’en atténuer ou d’en annuler les effets;

viii) l’employeur a l’obligation d’assurer un milieu de travail exempt de discrimination et de harcèlement et ce devoir de diligence raisonnable existe une fois qu’il prend conscience d’un acte qui, en raison de sa nature intrinsèquement offensante, humiliante ou dégradante, dégénérerait probablement en harcèlement s’il était répété par la suite;

Dawson, précitée.

ix) l’existence d’une politique de prévention du harcèlement ne suffit pas en ellemême pour dégager lemployeur de lobligation dagir avec une diligence raisonnable. Lemployeur a le devoir positif de prendre des mesures promptes et efficaces lorsquil prend conscience, ou qu’il aurait dû prendre conscience, d’une conduite dans le milieu de travail qui constitue du harcèlement raciste; pour se soustraire à sa responsabilité, l’employeur doit prendre des mesures raisonnables afin d’atténuer, autant qu’il le peut, le malaise qui règne dans le milieu de travail et de donner aux personnes intéressées l’assurance qu’il a la ferme volonté de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement raciste.

Hinds c. Canada, 1988 CarswellNat 993.

[Membre Lustig fait référence aux décisions suivantes : Morin c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 41 et Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9]

[15]  En matière de harcèlement sexuel, les actes ou la conduite qui sont reprochés doivent être de nature sexuelle (voir Franke, précité).

[16]  Enfin, le soussigné a également conclut, dans Duverger c. 2553-4330 Québec Inc.(Aéropro), 2019 TCDP 18, que lorsque le Tribunal analyse les allégations de harcèlement en matière d’emploi, la création d’un environnement de travail malsain ou empoisonné, n’est pas nécessairement un facteur à considérer. Cela dépendra des circonstances. Dans certains cas, la question est plutôt celle à savoir s’il existe un lien suffisant entre les allégations de harcèlement et le contexte d’emploi. Cette interprétation permet ainsi d’inclure sous l’égide de la LCDP, par exemple, des cas de harcèlement post-emploi.

[17]  C’est en gardant à l’esprit ces principes, et rappelé par notre Tribunal à de multiples reprises, que j’analyserai la plainte de M. Willcott (voir entre autres Morin c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 41, aux par. 245 et 246, Stanger c. Société canadienne des postes, 2017 TCDP 8, Siddoo c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502, 2015 TCDP 21, décision affirmée 2017 CF 678, Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2019 TCDP 18).

IV.  Contexte à la plainte : qui sont Freeway et M. Willcott?

[18]  Freeway Transportation Inc. est une compagnie de camionnage et de transport de frets dont le siège social se situe à Brampton (Ontario). Elle détient différents sites d’exploitation entre autres à Brampton, Cambridge et Hamilton. Elle n’a qu’un seul client, soit la compagnie ABF. ABF est une compagnie distincte de Freeway : elle détient son propre personnel, ses propres clients et ses propres équipements. Cette compagnie s’occupe des frets de ses clients, fournit les remorques et s’occupe de l’expédition et de la distribution des marchandises.

[19]  Quant à Freeway, son rôle est de fournir les camions afin d’y attacher les remorques de son unique client, ABF. Elle est également responsable de fournir les camionneurs détenant un permis valide. Elle s’occupe aussi de leur formation.

[20]  La relation entre les deux compagnies semble vitale puisque sans Freeway, ABF ne pourrait expédier et distribuer les marchandises car elle n’aurait pas de camion pour tirer ses remorques. À l’inverse, Freeway, sans ABF, n’aurait pas de remorques à attacher sur ses camions. Enfin, ABF agit aussi comme répartiteur pour Freeway.

[21]  Freeway est une compagnie de petite taille qui, au moment des incidents, employait environ 45 à 50 employés. Sur ce nombre d’employés, presque la totalité des employés était de la main-d’œuvre. Cela incluait des camionneurs, des mécaniciens et des employés sur les quais.

[22]  Comme Freeway n’a qu’ABF comme client, les tâches administratives ne nécessitent pas beaucoup d’employés. En 2013, seulement 2 employés avaient pour fonction de s’occuper de ce type de tâches, telles que la facturation et les créances à payer. Certains autres individus avaient des tâches plutôt organisationnelles ou de direction. On peut inclure par exemple le propriétaire de Freeway, Stewart Crawford et sa fille, Caitlyn Crawford.

[23]  M. Willcott est camionneur de profession. Il détient un permis lui permettant de conduire des semi-remorques. Par le passé, il a travaillé pour Freeway à trois différentes occasions comme camionneur. C’est seulement à partir du 27 mai 2011 qu’il a commencé à y travailler de façon régulière.

[24]  En octobre 2013, M. Willcott a été impliqué dans un accident impliquant son camion et une autre voiture. Cet accident s’est produit sur ses heures de travail. Malheureusement, l’accident lui a causé des blessures importantes au cou, à l’épaule et au bras gauche de son côté gauche.

[25]  Lors de l’audience, M. Willcott et la représentante de Freeway ont expliqué que la relation entre eux était initialement bonne. Mme Crawford a témoigné à l’effet que M. Willcott était, somme toute, un bon camionneur. Certaines difficultés sont toutefois apparues en 2012, notamment entre M. Willcott et certains autres individus dans le milieu de travail.

[26]  C’est au cours de l’année 2013 que la situation s’est détériorée, notamment en raison des différents incidents invoqués par M. Willcott et qui font partie de la présente plainte. Ces incidents impliquent entre autres M. James Marshall, directeur général de Freeway, et Mme Nicole McNab, répartitrice chez ABF.

[27]  Une autre partie de la plainte de M. Willcott concerne son congédiement de novembre 2013 ainsi que sa tentative de réintégration au travail en juin 2014. Cette réintégration était le résultat d’une sentence arbitrale de Mme Diane Gee, arbitre à qui avait été soumis le litige en vertu du Code canadien du travail. Lorsque M. Willcott a tenté de réintégrer le travail en juin 2014 à la suite de cette sentence, il en a été empêché pour deux raisons. Tout d’abord, il souffrait toujours des effets de son accident de camion de 2013, ce qu’il a dit à Freeway. Ce n’est qu’en octobre 2016 que M. Willcott a pu se soumettre à une évaluation médicale indépendante afin de confirmer qu’il était apte à reprendre le travail. Malgré ce rapport médical positif, c’est à ce moment que Freeway a appris que M. Willcott consommait de la marijuana médicinale afin de soulager ses douleurs. En réaction à cette information, Freeway a demandé à M. Willcott de fournir plus de renseignements à ce sujet avant de lui permettre de travailler. M. Willcott n’a donc pas pu recommencer à travailler. Il allègue que cela constitue de la discrimination basée sur la déficience.

[28]  Les parties ont rendu ma tâche difficile puisque la preuve repose uniquement sur la documentation déposée à l’audience ainsi que sur les témoignages de M. Willcott et Mme Crawford. Je n’ai pas pu bénéficier du témoignage de Mme McNab ou de M. Marshall puisqu’ils n’ont pas été appelés à témoigner à l’audience. Ces personnes auraient probablement pu m’éclairer sur certains aspects spécifiques du dossier. Enfin, un autre individu ayant été considérablement impliqué dans les différents incidents allégués, M. Jeff Felix, n’a pas non plus été assigné comme témoin. Son témoignage, comme les autres, aurait pu m’être utile.

[29]  Cela dit, d’emblée, Mme Crawford et M. Willcott ont été, à mon sens, honnêtes et francs dans leur témoignage. Tous les deux ont répondu aux questions succinctement, franchement, sans qu’il me soit possible de remettre en question leur crédibilité. Certains éléments dans leurs témoignages me sont apparus moins fiables, mais je rappelle que la crédibilité et la fiabilité sont deux choses différentes. En effet, un témoin peut témoigner avec crédibilité sur des faits qu’il croit véridiques, mais pour différentes raisons (par exemple le temps écoulé, la perte de mémoire, le stress et l’anxiété), certains renseignements peuvent ne pas être fiables.

V.  Analyse

A.  Est-ce que M. Willcott a un ou des motif(s) de distinction illicite protégés par la LCDP

[30]  Oui, M. Willcott a été en mesure de démontrer qu’il a des motifs de distinction illicite qui sont protégés par la LCDP. Ces motifs sont le sexe, la race, l’origine nationale ou ethnique ainsi que la déficience.  

[31]  M. Willcott est un homme et a exprimé être d’origine autochtone. Freeway n’a pas présenté de preuve permettant de réfuter ces éléments.

[32]  Il est également non contesté qu’en octobre 2013, le plaignant a subi un accident de la route, impliquant son camion et une autre voiture. Un répartiteur d’ABF avait des frets à faire livrer chez un client et a attitré M. Willcott à cette tâche. Une fois rendu chez le client, il fallait décharger les frets de la remorque. M. Willcott et le client ont constaté qu’il manquait un camion-pompe pour décharger les marchandises. La preuve révèle qu’il est normalement de la responsabilité du répartiteur de s’informer sur les besoins du client. Ainsi, le répartiteur peut s’assurer que le camionneur et le client ont tout l’équipement nécessaire pour décharger les marchandises.

[33]  Comme les frets n’ont pas pu être déchargés, M. Willcott a donc repris la route.  Malgré sa conduite prudente en raison de la remorque chargée de marchandises lourdes, une autre utilisatrice de la route a traversé une rue illégalement. M. Willcott a été forcé d’appuyer sur les freins. Les marchandises se sont mises à se déplacer, frappant de plein fouet le fond de la remorque. En raison de l’impact, un nerf dans le cou de M. Willcott s’est coincé. Ce nerf a été endommagé, lui causant des douleurs jusqu’au bout des doigts de la main gauche.

[34]  Malgré la douleur, le plaignant a continué de travailler après l’accident. Freeway lui a proposé de rencontrer un docteur, mais M. Willcott a refusé cette offre.

[35]  Au final, la preuve révèle que M. Willcott a consulté un médecin un peu plus tard puisqu’il a subi des tests médicaux approfondis. Un spécialiste a émis le diagnostic qu’un nerf s’est coincé dans son cou, ce qui entraine les douleurs chroniques dans son cou, son épaule gauche et son bras gauche jusqu’au bout des doigts. M. Willcott a affirmé qu’à l’époque, les douleurs nuisaient aussi à son sommeil.

[36]  Dans le cas en l’espèce, la blessure de M. Willcott et les douleurs chroniques occasionnées constituent une déficience au sens de la LCDP. La preuve est claire à ce sujet et démontre que la blessure de M. Willcott et les douleurs encourues lui ont causé des limitations fonctionnelles (article 25 LCDP; voir également Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311; Audet c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2005 TCDP 25, au par. 39; Temple c. Horizon International Distributors, 2017 TCDP 30, aux paragraphes 38 à 40).

B.  Est-ce que M. Willcott a subi un ou des effet(s) préjudiciable(s) (articles 7 et 14 LCDP), existe-t-il un lien avec un motif de distinction illicite et quel est la justification de Freeway (article 15 LCDP)

[37]  Je vais maintenant analyser les différentes allégations de M. Willcott afin de déterminer s’il a subi un effet préjudiciable sous l’article 7 ou 14 LCDP. Au même moment, je déterminerai si l’un des motifs de distinction illicite invoqué a été un facteur dans la manifestation de cet effet préjudiciable.

 

[38]  Enfin, j’analyserai si Freeway a été en mesure de fournir une justification à la conduite reprochée ou s’il a été en mesure de limiter sa responsabilité.

(i)  Incidents impliquant M. Marshall

(a)  Insultes racistes et menaces du 6 mars 2013

[39]  À l’audience, M. Willcott a expliqué que des incidents antérieurs à 2012 sont survenus dans le milieu de travail. Il est clair que cela ne fait pas partie de la plainte dont je suis saisi. Cela permet tout de même de mieux comprendre le contexte entourant le dossier. Il appert que depuis un certain moment, M. Willcott avait des difficultés relationnelles avec certaines personnes au travail, surtout avec M. Marshall.

[40]  Comme seuls les faits débutant en mars 2013 sont visés par la plainte, j’aborderai les allégations de M. Willcott à l’encontre de M. Marshall et de Freeway à partir de cette période.

[41]  Il est important de mentionner qu’au moment des allégations, la preuve révèle que M. Marshall était le directeur général chez Freeway. Il était donc non seulement impliqué dans les activités de la compagnie, mais il détenait également un rôle de supervision.

[42]  M. Willcott a témoigné que le 6 mars 2013, un incident est survenu entre lui et M. Marshall alors qu’il devait effectuer une livraison avec la remorque numéro 2022. Cette remorque présentait certaines défectuosités. M. Willcott a fait part des problèmes à M. Marshall. Cependant, d’autres livraisons devaient être effectuées avec cette même remorque, le même jour. M. Marshall a demandé à M. Willcott d’effectuer tout de même les livraisons avec la remorque 2022, ce que M. Willcott a refusé puisqu’il considérait que  cela n’était pas sécuritaire.

[43]  M. Marshall s’est fâché contre lui, a crié et lui a postillonné au visage. Il a aussi adopté une posture menaçante envers lui. C’est durant cette altercation qu’il a tenu des propos racistes à l’égard de M. Willcott en le qualifiant de [traduction] « sale indien ». Il a également exprimé le fait que personne ne se soucie de lui et de ceux de son genre. M. Marshall a renchéri sur le tout en mentionnant qu’il était inutile que M. Willcott se plaigne au propriétaire de la compagnie, M. Crawford, puisque lui aussi déteste les personnes de son genre. Enfin, M. Marshall a menacé M. Willcott  de diminuer ses heures de travail, voire même de s’assurer qu’il serait le premier à sortir de la compagnie.

[44]   M. Willcott affirme qu’il a rapporté à Freeway les problèmes qu’il rencontrait avec M. Marshall, mais il estime que la compagnie n’a pas agi comme elle le devait pour corriger la situation. Cette inaction de la part de Freeway a créé de la colère chez M. Willcott.

[45]  Mme Crawford a témoigné qu’elle n’avait eu aucune connaissance de cet incident et qu’elle a seulement appris ce qui s’était passé en lisant la plainte. Elle a affirmé que ni M. Willcott ni aucun autre employé n’avait rapporté cet événement. Après avoir lu la plainte, elle a enquêté sur la situation afin de comprendre ce qui aurait pu se produire avec la remorque. Elle a également questionné M. Marshall, qui a nié avoir fait de tels commentaires. Elle a aussi demandé à M. Felix s’il se souvenait de ce qui s’était passé, mais il a dit non.

[46]  La preuve révèle que Mme Crawford n’était pas sur place au moment de cet incident. Elle a spéculé à l’effet qu’il aurait dû y avoir d’autres employés sur les quais qui auraient pu potentiellement observer cette altercation. Il y aurait donc hypothétiquement des témoins de la scène. Comme Mme Crawford était absente, ce genre d’hypothèse n’est pas réellement utile pour le Tribunal.

[47]  Cela étant dit, Mme Crawford se souvient de certaines discussions qu’elle a eues avec M. Willcott. Ces discussions concernaient le milieu de travail, M. Marshall et le fait que M. Willcott trouvait injuste que ses heures de travail soient réduites. Elle a expliqué avoir déjà fait des vérifications dans les dossiers de la compagnie afin de comprendre ce qui se tramait. Elle a tenté de démontrer à M. Willcott qu’en réalité, ses heures n’avaient pas été réduites par M. Marshall.

[48]  Lors de son témoignage et à l’aide de documents déposés à l’audience, Mme Crawford a expliqué que les heures de travail de tous les employés ont diminué entre les années 2012 et 2013. S’appuyant sur ces données, elle a conclu que les heures de M. Willcott n’avaient pas été davantage réduites que celles des autres conducteurs.  

[49]  Elle se souvient également d’avoir rencontré M. Willcott au bureau afin de lui donner l’occasion de parler de ses inquiétudes. Elle a affirmé qu’il était agité et instable et qu’il n’a pas été en mesure de continuer la rencontre. Elle lui a aussi offert de rencontrer une tierce personne afin de lui porter assistance notamment s’il ne se sentait pas confortable avec d’autres personnes au travail. M. Willcott a décliné cette offre.

(b)  Incidents quant à la rotation des congés forcés du 7 juin et des 25 et 27 octobre 2013

[50]  M. Willcott a également parlé d’un autre incident impliquant encore M. Marshall qui aurait eu lieu le 7 juin 2013. Il a expliqué qu’il est dans la pratique de Freeway de faire une rotation au sein des camionneurs et de les forcer parfois à prendre un jour de congé.

[51]  M. Willcott s’est vu forcer de prendre un congé alors que cela n’était pas son tour dans la rotation. Il en a parlé avec M. Felix, qui a convenu que cela n’était effectivement pas son tour. Le 10 juin 2013, M. Willcott a aussi surpris une discussion entre M. Marshall et M. Felix lors de laquelle ils discutaient de cette situation. M. Felix a demandé à M. Marshall pourquoi M. Willcott s’était vu imposer un autre jour de congé alors que cela n’était pas son tour. M. Marshall lui a répondu qu’il voulait énerver M. Willcott.

[52]  M. Willcott a finalement décidé de parler de ce qu’il avait entendu avec M. Felix. M. Willcott a témoigné à l’audience que M. Felix comprenait très bien ce qui se tramait entre M. Marshall et lui, les problèmes relationnels et les abus de M. Marshall.

[53]  Dans la même veine, M. Willcott a également témoigné qu’il s’est vu forcer de prendre des jours de congés les 25 et 27 octobre 2013. Encore une fois, cela n’était pas son tour dans la rotation des camionneurs.

(c)  Incidents sur l’incitation à la vente de drogue

[54]  Le 12 septembre 2013, M. Willcott a surpris sur les lieux du travail une autre discussion entre M. Marshall et un autre travailleur. Lors de cette discussion, M. Marshall a mentionné son désir que M. Willcott soit renvoyé de la compagnie.

[55]  Ce même travailleur a, par la suite, envoyé un message texte à M. Willcott lui demandant s’il pouvait lui vendre de la drogue, ce qu’il a refusé de faire. Il l’a approché de nouveau alors que M. Willcott était dans son camion. Il lui a fait la même demande, que M. Willcott a encore une fois déclinée. M. Willcott a informé M. Felix de la situation et des manigances de cet individu et de M. Marshall. M. Félix lui a dit qu’il était d’accord quant au fait que la situation devait cesser et qu’il allait en parler avec Mme Crawford.

(d)  Conclusions quant aux incidents impliquant M. Marshall et possibles justifications de Freeway

[56]  Quant aux incidents impliquant M. Marshall, je dois déterminer, selon la balance des probabilités, si M. Willcott a été défavorisé en cours d’emploi et s’il a été harcelé en matière d’emploi. Est-ce que les allégations de M. Willcott, si je leur donne foi, sont complètes et suffisantes pour justifier un verdict en sa faveur, en l'absence d'une réplique de Freeway? Je suis d’avis que oui.

[57]  Une partie de la preuve de M. Willcott sur les gestes commis par M. Marshall n’a pas été contredite par l’intimée. Je n’ai pas non plus de raison de remettre en question le témoignage de M. Willcott sur ces incidents.

[58]  Quant à Mme Crawford, elle n’a pas pu témoigner sur la plupart des incidents allégués puisqu’elle n’en a pas eu personnellement connaissance. Elle s’est ainsi limitée à dire qu’elle n’en savait rien et qu’elle n’a pas été mise au courant de plusieurs incidents.

[59]  Aucune autre preuve n’a été présentée par Freeway pour réfuter les allégations de M. Willcott. Freeway n’a pas appelé le principal intéressé à témoigner, c’est-à-dire M. Marshall. M. Felix n’a pas non plus été appelé comme témoin alors qu’il aurait pu avoir des renseignements pertinents à soumettre au Tribunal. Je suis donc limité à la preuve qui m’a été présentée.

[60]  Je considère, selon la balance des probabilités, que les propos racistes du 6 mars 2013 ont été tenus par M. Marshall. Bien que Mme Crawford affirme avoir posé la question à M. Marshall, qui a nié avoir tenu ces propos, cela n’est pas suffisant pour réfuter le témoignage du principal intéressé, M. Willcott, puisqu’il était présent lors de cet incident.

[61]  Ainsi, je suis d’avis que M. Marshall a effectivement tenu des propos racistes à l’égard du plaignant lorsqu’il l’a traité de sale indien et qu’il lui a dit que cela ne servait à rien d’aller parler au propriétaire de Freeway puisque ce dernier n’aimait pas les gens de son genre non plus. Je considère que ces propos  faisaient nécessairement référence aux origines autochtones du plaignant. Je tiens aussi pour avérées les menaces faites par M. Marshall à M. Willcott concernant la diminution de ses heures de travail et son désir de le voir partir de l’entreprise. Je considère que tous ces propos ont été faits en lien avec les origines autochtones de M. Willcott.

[62]  Les termes qui ont été employés par M. Marshall (sale indien) sont provocants et racistes, tout comme l’emploi de l’expression [traduction] « ceux de ton genre ». Comment un Tribunal des droits de la personne peut-il demeurer insensible à ce genre de propos empreints de préjugés? Je ne peux pas non plus ignorer que ces mots ont été employés par le directeur général de la compagnie, membre de la haute direction.

[63]  Comme rappelé par la Cour suprême du Canada, les facteurs systématiques et historiques touchant les Premières Nations sont de connaissance d’office, et incluent le fait que les autochtones sont victimes de préjugés raciaux (voir R c. Williams, [1998] 1 RCS 1128, et cité dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Blais [Blais], 2007 QCTDP 11 (CanLII)).

[64]  Non seulement des termes empreints de préjugés raciaux ont été employés, mais les agissements de M. Marshall à la suite de cet incident s’inscrivent tout autant dans cet état d’esprit. La preuve révèle, selon la prépondérance des probabilités, que M. Marshall avait une dent contre M. Willcott. Leur relation n’était pas bonne et M. Marshall a utilisé sa position pour le désavantager.

[65]  Cela inclut l’événement du 7 juin 2013 lors duquel M. Willcott a été forcé de prendre un congé alors que cela n’était pas son tour dans la rotation des camionneurs. M. Marshall a affirmé à M. Felix que cela avait pour but d’irriter le plaignant. Je considère que ces d’agissements étaient planifiés et fourbes.

[66]  Le plaignant a également été forcé de prendre les 25 et 27 octobre 2013 de congé forcé alors que cela n’était également pas son tour dans la rotation. Je n’ai pas entendu aucune autre preuve permettant de réfuter ces allégations.

[67]  J’ajoute que la discussion qui a eu lieu entre M. Marshall et un autre individu afin de piéger M. Willcott afin qu’il lui vende de la drogue est aussi inacceptable. Cette preuve n’a pas non plus été contredite par l’intimée et je n’ai rien qui me permet de remettre en question le témoignage du plaignant.

[68]  Non seulement M. Willcott a-t-il été défavorisé en cours d’emploi par M. Marshall pour les incidents du 7 juin et du 25 et 27 octobre 2013, mais je conclus également que la conduite de M. Marshall, prise dans son ensemble, constitue du harcèlement en matière d’emploi au sens de la LCDP. La répétition et la persistance des agissements harcelants de M. Marshall ont été établies selon la prépondérance des probabilités. M. Willcott s’est senti persécuté, visé, ciblé au sein de la compagnie. Ses frustrations ont grandi, tout comme son sentiment d’injustice. Je suis convaincu qu’en raison des actes du directeur général, le milieu de travail est devenu hostile, malsain pour M. Willcott. Il a clairement subi un effet préjudiciable en raison des actes de cet homme, à cause de sa race et de son origine nationale ou ethnique.

[69]  Cela étant dit, il est difficile pour Freeway de présenter une justification quant aux agissements de M. Marshall, d’autant plus que ce dernier était dans la haute direction de la compagnie. Le fait que Mme Crawford n’ait pas été informée de la situation n’est pas, à mon avis, une justification.

[70]  Freeway a démontré qu’en mars 2013, elle a adopté une politique sur la prévention de la violence et du harcèlement en milieu de travail et qu’elle a offert à ses employés une formation sur ladite politique. Tant Mme Crawford que M. Willcott ont témoigné à cet effet, précisant que la formatrice était Mme Crawford elle-même. Cela tombe sous le sens considérant son rôle au sein de la compagnie en tant que coordonnatrice en santé et sécurité au travail et en matière de ressources humaines.

[71]  M. Willcott a expliqué qu’il a tenté, durant la formation, de porter à l’attention de Mme Crawford et le groupe certains problèmes qu’il avait remarqués au sein de la compagnie. Ces problèmes étaient ciblés et précis. Il a également profité de l’occasion afin de caractériser la formation de connerie. Mme Crawford est intervenue à ce moment, notamment en raison du langage inapproprié. De plus, comme il s’agissait d’une formation sur la violence, la prévention et le harcèlement, elle a considéré que cela n’était ni le bon moment ni le bon forum pour discuter de ce genre de situations spécifiques. Elle a informé M. Willcott que ses inquiétudes pourraient être discutées avec elle, en privé. Bien qu’agacé, M. Willcott a tout de même complété la formation avec succès. Cependant, il n’a pas demandé à parler avec Mme Crawford après la séance afin d’aborder ses inquiétudes.

[72]  Cela dit, lorsque je consulte la politique de Freeway sur la prévention de la violence et du harcèlement en milieu de travail, il est clair qu’un employé doit rapporter toute situation de violence et de harcèlement à la direction de Freeway. Certes, mais cette dénonciation par l’employé ne fait l’objet d’aucune balise précise dans la politique. La politique n’explique pas qui fait partie de la direction ou quels postes ou individus sont considérés comme faisant partie de la direction de la compagnie.

[73]  La politique ne précise pas non plus qui, au sein de la direction, est responsable de recevoir les renseignements des employés en matière de violence et de harcèlement en milieu de travail. Par exemple, si Freeway s’attend à ce que les employés se plaignent à Mme Crawford en tant que responsable des ressources humaines, la politique devrait peut-être préciser que les employés doivent déposer leur plainte auprès d’elle.

[74]  J’ajoute que la politique ne prévoit pas le cas où un employé serait harcelé par un membre de la direction. Il n’y a aucun canal clair pour l’employé dans ce type de situation. Puisque M. Marshall faisait partie de la direction, alors à qui devait s’adresser M. Willcott? La politique pourrait donc être clarifiée à cet effet afin de dire que l’employé doit alors se rapporter au responsable des ressources humaines.

[75]  Par ailleurs, M. Willcott a rapporté différents événements à M. Felix. L’intimée a tenté de mettre en preuve que M. Felix n’était pas un membre de la direction et que M. Willcott aurait plutôt dû rapporter les événements à Mme Crawford directement, comme il l’avait déjà fait par le passé.

[76]  Cela dit, il a été déposé en preuve une lettre envoyée le 29 octobre 2013 par M. Felix lui-même. Dans cette lettre, il a informé le plaignant qu’il était temporairement mis à pied considérant la diminution des activités de l’entreprise. Dans cette lettre, le titre de M. Felix était superviseur des opérations.

[77]  Il n’est pas clair pour moi si, entre mars et octobre 2013, M. Felix a changé de poste et s’est finalement retrouvé dans un poste de superviseur plus tard durant cette année. Freeway ne m’a fourni aucune explication à ce sujet. Je crois que dans les faits, M. Felix avait un rôle plus élevé que ce que Freeway a tenté de me démontrer à l’audience. Peut-être qu’il n’était pas le membre le plus haut gradé de la compagnie (contrairement à Mme Crawford, M. Marshall ou M. Crawford), mais il avait tout de même un rôle plus important que celui des camionneurs. J’ajoute que la lettre du 29 octobre 2013 s’inscrit dans la chronologie des événements faisant partie de la plainte. Il est ainsi plus probable que M. Felix ait été superviseur au moment où M. Willcott lui a divulgué les différents incidents.

[78]  Précisons également que M. Willcott a, à différentes reprises, manifesté ses inquiétudes à M. Felix, qui lui répondait qu’il allait discuter de la situation avec Mme Crawford. La preuve révèle également que lorsqu’il y a eu des problèmes dans la rotation des camionneurs et des jours de congés forcés, le plaignant en a, encore une fois, parlé avec M. Felix. Ce dernier a ensuite discuté personnellement de la situation avec M. Marshall. Encore une fois, cela renforce la preuve voulant que M. Felix avait un rôle plus important au sein de Freeway que ce que cette dernière a tenté de mettre en preuve.

[79]  Lorsque M. Felix informe M. Willcott qu’il allait parler des différentes situations avec Mme Crawford, j’estime que M. Willcott avait raison de croire que la situation allait être abordée et, potentiellement, réglée. Pourtant, Mme Crawford n’a jamais été mise au courant par M. Felix de ce qui se passait au sein de la compagnie. Enfin, si M. Felix n’était pas une personne-ressource qui pouvait recevoir le genre de renseignements, plaintes, incidents, que M. Willcott lui a confiés, il aurait très bien pu le référer aux bonnes personnes-ressources qui, elles, auraient pu recevoir ces plaintes.

[80]  M. Willcott a également déposé une lettre datée du 14 juillet 2016, qui a été rédigée par Mme Crawford. Cette lettre faisait suite au test de la route complété par M. Willcott, à la demande de Freeway. Lors de ce test, le formateur sélectionné par Freeway a rapporté que M. Willcott avait tenu des propos inadmissibles envers un groupe de conducteurs. M. Willcott a jugé que ses propos avaient mal été rapportés par le formateur à son employeur. Il a donc voulu déposer une plainte contre lui. C’est dans ce contexte que Mme Crawford l’a invité à déposer une plainte formelle auprès d’elle ou, alternativement, auprès du superviseur des opérations, qui était désormais M. Sylvain (et non M. Felix).

[81]  Je rappelle que c’est le rôle qu’avait M. Felix en 2013. Il y a donc une contradiction dans la preuve de Freeway à l’égard de qui est en mesure de recevoir les plaintes des employés. En fait, la preuve appuie plutôt la thèse voulant qu’un employé puisse à la fois déposer une plainte à Mme Crawford, mais aussi au superviseur des opérations. C’est exactement ce qu’a fait M. Willcott en dénonçant les incidents à M. Felix en 2013.

[82]  Généralement, l’équité exige qu’un employé informe son employeur des problèmes qui surviennent dans l’environnement de travail afin que ce dernier ait la possibilité de corriger la situation (Franke, précité, aux par. 47 à 50). Néanmoins, cette exigence existe lorsque l’employeur détient « […] un service du personnel ainsi qu’une politique générale et efficace en matière de harcèlement sexuel, y compris des mécanismes de redressement appropriés » (Franke, au par. 48). Ces principes élaborés dans Franke, malgré que le fait que ce dossier impliquait des allégations de harcèlement sexuel, demeurent pertinents devant notre Tribunal.

[83]  L’exigence dans Franke implique nécessairement une certaine forme de proportionnalité. Ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont dotées d’un service du personnel, tout comme ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont munies d’une politique générale en matière de harcèlement. De plus, la Cour précise que cette politique doit aussi être efficace. En conséquence, l’exigence de dénonciation par l’employé doit donc être pondérée au regard de ces  éléments.

[84]  Bien que Freeway se soit dotée d’une politique en matière de prévention de la violence et du harcèlement en milieu de travail, je suis d’avis que la politique n’est pas tout à fait efficace. Bien qu’une personne responsable en ressources humaines ait été mise en place, la politique manque certainement de précisions.

[85]  Outre la mention générale qu’un employé peut dénoncer un incident à la direction de Freeway, la politique n’est pas spécifique sur l'identité de la personne à qui un employé peut dénoncer de tels incidents. Si l’intention de Freeway, en date des événements en 2013, était que les incidents soient rapportés à la personne responsable des ressources humaines, en l’occurrence, Mme Crawford, cela aurait dû être clairement mentionné dans la politique. Si Freeway voulait au contraire donner de la flexibilité aux employés, cela devrait tout autant être indiqué.

[86]  La politique n’est pas aussi claire que le prétend Freeway. En conséquence, comme son efficacité est réduite, l’exigence de dénonciation par l’employé, tel qu’énoncé dans Franke, s’en retrouve également réduite. Comme mentionné précédemment, M. Willcott a tout de même dénoncé les incidents à M. Felix. Il avait toutes les raisons de croire que M. Felix allait faire les démarches pour que la situation soit corrigée. C’est spécifiquement ce que M. Felix faisait croire à M. Willcott.

[87]  Finalement, je rappelle que les actes ou omissions commis par un employé dans le cadre de son emploi sont réputés avoir été commis par l’employeur (paragraphe 65(1) LCDP). Les gestes commis par M. Marshall dans le cadre de son travail sont réputés avoir été commis par Freeway, engageant ainsi sa responsabilité. L’intimée n’a pas déposé de preuve permettant d’exclure sa responsabilité sous le paragraphe 65(2) LCDP.

[88]  Pour tous ces motifs, je conclus que M. Willcott a été sujet de discrimination, plus précisément d’un traitement défavorable en cours d’emploi (paragraphe 7(b) LCDP) et de harcèlement en matière d’emploi (paragraphe 14(1)c) LCDP), et ce, en raison de son origine nationale ou ethnique ainsi que sa race. Les mesures de réparation seront abordées dans la section VI de la présente décision.

(ii)  Incident de l’antigel du 11 juin 2013

[89]  Le 11 juin 2013, un autre incident survient. Lorsque M. Willcott a ouvert la porte de son camion alors qu’il était en livraison chez un client, il a remarqué que la poignée était recouverte d’une substance verdâtre. En raison de la couleur et de l’odeur, il savait que la substance était de l’antigel. Il s’agit d’une substance toxique. L’événement a été rapporté à Mme Crawford le 12 juin 2013.

[90]  La preuve révèle que Mme Crawford a enquêté sur les événements entourant l’antigel, ce qu’elle a écrit dans un rapport d’incident. Ce rapport a été déposé à l’audience. M. Willcott croyait que quelqu’un de Freeway l’avait suivi et qu’il avait mis cette substance sur sa poignée. Elle a fait un suivi avec lui afin de savoir si cette situation s’est reproduite ultérieurement, ce qui n’était pas le cas. Elle lui a demandé de lui faire un suivi si cela se reproduisait, mais cela ne s’est jamais reproduit. L’enquête s’est ainsi conclue.

[91]  Rien dans la preuve ne me permet de déterminer que c’est M. Marshall qui a orchestré cet incident. Rien dans la preuve ne me permet également de conclure, de quelconque façon, que cet événement constitue un traitement défavorable en cours d’emploi ou du harcèlement en matière d’emploi au sens de la LCDP. Je suis également satisfait que Freeway a agi promptement et correctement en lien avec cet incident.

[92]  Pour ces raisons, je conclus que M. Willcott n’a pas rencontré le fardeau de son dossier quant à cet aspect de la plainte.

(iii)  Licenciement en novembre 2013

[93]  En octobre 2013, je rappelle que M. Willcott a subi un accident avec son camion lui causant d’importantes blessures et douleurs. À la fin d’octobre 2013, M. Willcott a expliqué que Freeway a commencé à lui donner de moins en moins de travail. Ultimement, il a reçu une lettre le 29 octobre 2013 signée par M. Felix lui expliquant que pour des raisons économiques, la compagnie devait le mettre à pied temporairement. La lettre précisait qu’après une période de trois mois, Freeway allait réévaluer la situation. Il serait alors informé de son potentiel retour au travail ou de son licenciement définitif.

[94]  Le 28 novembre 2013, précisément 30 jours plus tard, M. Willcott a reçu une seconde lettre. Cette fois-ci, la lettre était signée par M. Marshall, directeur général de Freeway. Il s’agissait d’un avis de licenciement définitif. Les mêmes raisons étaient données, soit un manque de frets ainsi que le fait que la compagnie traversait une période difficile de l’année.

[95]  M. Willcott a contesté ce licenciement, le jugeant injustifié. C’est la raison pour laquelle un arbitre a été nommé sous le Code canadien du travail. L’arbitre, Mme Diane Gee, a rendu une sentence arbitrale le 18 juin 2014 dans laquelle elle ordonne la réintégration de M. Willcott dans son ancien poste. Elle a ordonné une compensation pour les pertes de salaires subies entre le 24 octobre 2013 et le 18 juin 2014. Enfin, elle a rendu une deuxième décision le 8 janvier 2015 concernant la compensation monétaire puisque les parties ne s’entendaient pas sur le montant des dommages. Après cette décision, M. Willcott a réintégré Freeway le 20 juin 2014.

[96]  La question du licenciement a été abordée par l’arbitre sous la loupe du Code canadien du travail. L’arbitre devait se demander si le licenciement était injustifié. Cette décision n’aborde donc aucun aspect relatif à la discrimination. Sous la LCDP, la question que je dois plutôt me poser est celle de savoir si le licenciement de M. Willcott était discriminatoire.

[97]   M. Willcott a été licencié par M. Marshall, en sa qualité de directeur général de Freeway, dans sa lettre du 28 novembre 2013. Ce n’est ni Mme Crawford, ni M.  Felix ou M. Crawford qui l’a licencié. Je juge qu’il existe, dans ce licenciement, de subtiles odeurs de discrimination. Selon la balance des probabilités, je considère que l’origine nationale ou ethnique ainsi que la race de M. Willcott ont constitué un facteur dans son licenciement.

[98]  L’événement du 6 mars 2013 devient particulièrement important puisque c’est à ce moment-là que M. Marshall a tenu des propos racistes envers M. Willcott. C’est lors de cette même altercation que M. Marshall l’a menacé de réduire ses heures et de s’organiser pour qu’il soit le premier à sortir de la compagnie. Dans les faits, c’est exactement ce qui s’est produit.

[99]  Il est difficile, suivant cet incident, de dissocier les propos racistes de M. Marshall de ses autres actions et de sa ligne de conduite, prise dans son  ensemble. Je ne peux pas non plus ignorer la discussion surprise par M. Willcott entre M. Marshall et M. Felix. Il lui disait agir ainsi dans le but d’énerver M. Willcott. Je vois certainement dans la chronologie des événements et la ligne de conduite de M. Marshall qu’il avait une dent contre M. Willcott.

[100]  Cela dit, comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans Bombardier, précité, au par. 64, une partie intimée a recours à 3 options lorsque le plaignant a rencontré son fardeau  : (1) présenter des éléments de preuve réfutant les allégations quant au fardeau du plaignant (voir Moore), (2) présenter une défense justifiant la discrimination (dans le cas de la LCDP, son article 15), et (3) présenter les deux.

[101]  Freeway a tenté de réfuter les allégations de M. Willcott en expliquant que son licenciement n’avait rien à voir avec sa race et son origine nationale ou ethnique. Plus précisément, Freeway a expliqué que M. Willcott avait été licencié en raison de la diminution des activités de l’entreprise, de son ancienneté et de son agressivité.

[102]  Selon Mme Crawford, M. Willcott a eu des comportements perturbateurs avant son licenciement. Mme Crawford a expliqué, entre autres, que M. Willcott avait quitté une rencontre avec elle de manière précipitée, qu’il était agité et réactif. Elle a également parlé du commentaire fait par M. Willcott durant la formation. M. Willcott aurait aussi tenu des propos menaçants envers M. Marshall. Cette preuve a déjà été explorée par l’arbitre, Mme Gee, qui n’a pas retenu cet argument. Au final, elle a déterminé que le congédiement était injustifié.

[103]  Je suis d’accord avec le fait que les comportements de M. Willcott étaient, dans un sens, agités. Mais comme M. Willcott l’a expliqué à l’audience, il était en colère puisque Freeway ne faisait rien pour gérer les différents incidents qui se produisaient au travail alors qu’il en avait averti le superviseur des opérations de Freeway. M. Willcott était aussi harcelé par le directeur général de Freeway et était traité défavorablement. Malgré cela, aucune action n’avait été prise pour corriger le tir au sein de la compagnie.

[104]  La preuve révèle que Mme Crawford a offert à M. Willcott de l’aide, notamment en le référant à un thérapeute. Je crois effectivement que cette offre était quelque chose de bien. Par contre, la prémisse de Freeway est à l’effet que c’est M. Willcott qui avait un problème de comportements et d’agressivité et non pas que quelque chose de grave se produisait dans son environnement de travail. Mme Crawford aurait également dû se questionner sur l’environnement de travail de l’entreprise qui était devenu hostile et malsain.

[105]  Quant aux diminutions des activités de Freeway, je suis d’avis que Mme Crawford a été en mesure d’établir qu’effectivement, les activités de la compagnie avaient diminué. Elle a mis en preuve qu’entre les années 2012 et 2013, une réduction généralisée des activités de la compagnie s’était fait ressentir. Cela a eu un effet sur les heures de travail des camionneurs, entrainant nécessairement une réduction de leur salaire.

[106]  Mme Crawford a déposé à l’audience un tableau représentant les heures de travail et les salaires de huit camionneurs, incluant M. Willcott (voir R-1, Onglet 10). Elle est l’auteur de ce document. Ce tableau se base sur les données contenues dans la liste de paie de chaque camionneur (voir R-1, Onglet 11). Elle a ainsi pu analyser les données de différents camionneurs comparables, soit des camionneurs travaillant à temps complet pour Freeway.

[107]  Suivant son analyse, elle a constaté que les heures des camionneurs avaient généralement diminué entre 2012 et 2013, mais que les heures de M. Willcott n’avaient pas été plus réduites que les autres camionneurs. Elle a expliqué qu’en 2012, le salaire de M. Willcott, comparativement à ses collègues, était l’un des plus élevés.

[108]  Cela dit, Freeway n’a pas tenté d’expliquer pourquoi M. Willcott a été licencié si précipitamment alors que la première lettre qui lui a été envoyée le 29 octobre 2013 donnait ouverture à une réévaluation avant ou dans les 3 mois suivants. Pourquoi prendre cette décision exactement 30 jours suivant la première lettre? La lettre de congédiement du 28 novembre 2013 mentionnait également que les effets personnels de M. Willcott lui seraient acheminés séparément. Il est surprenant que Freeway n’ait pas offert à M. Willcott de venir récupérer ses effets personnels lui-même. La lettre prévoit plutôt de lui faire parvenir ses effets séparément, ce qui m’apparait draconien.

[109]  Cela étant dit, Freeway a tenté de présenter un autre argument afin de justifier le licenciement de M. Willcott. Selon Freeway, c’est lui  qui était le camionneur avec le moins d’ancienneté. Par contre, M. Willcott a témoigné qu’il n’était pas le camionneur avec le moins d’ancienneté de la compagnie. Il a aussi dit avoir eu une discussion avec M. Felix pendant laquelle celui-ci lui aurait dit que trois autres camionneurs avaient aussi été licenciés : deux possédaient moins d’ancienneté que lui et un autre souffrait des problèmes de santé.

[110]  Il n’est pas clair pour moi si d’autres camionneurs ont été licenciés avant, au même moment ou après M. Willcott. Freeway, qui a invoqué la justification de l’ancienneté, n’a pas mis en preuve le fait que d’autres camionneurs avaient été licenciés, tout comme M. Willcott. Si tel est le cas, avait-il plus ou moins d’ancienneté? Ont-ils été licenciés pour d’autres raisons? Je n’ai accès à aucune preuve de la part de Freeway à cet effet.

[111]  Mme Crawford a également affirmé que M. Willcott était, somme toute, un bon camionneur. Enfin, elle a affirmé que selon ses calculs, malgré la diminution des activités et donc, des heures travaillées, M. Willcott s’en sortait tout de même bien pour l’année 2013. Ce qui est surprenant, c’est que Mme Crawford a également confirmé lors de son témoignage qu’il n’y avait pas, au sein de la compagnie, de règles strictes en matière d’ancienneté. Tout ce qui entoure ce justificatif d’ancienneté m’apparait donc imprécis et peu étayé.

[112]  Cela dit, il n’est pas nécessaire que la personne responsable de la conduite, de l’acte, ait fondé sa décision uniquement sur le motif de distinction illicite. Il suffit que cette décision ait été que partiellement fondée sur ce motif (Bombardier, précité, au par. 48). En regardant la preuve dans son ensemble, je ne suis pas convaincu que les seules raisons ayant poussé M. Marshall à congédier M. Willcott étaient la diminution des activités de l’entreprise, son agressivité croissante ou même son ancienneté, comme Freeway l'a allégué.

[113]  Il existe de subtiles odeurs de discrimination dans ce licenciement (Basi, précité). La chronologie des événements, leur temporalité, les différentes menaces de congédiement de M. Marshall, ses préjugés raciaux, ses agissements, ses tactiques ; tout cela doit être pris en compte dans la manière dont je dois analyser le licenciement de M. Willcott.

[114]  Je suis d’avis que Freeway n’a pas réussi à réfuter les allégations de M. Willcott et que conséquemment, selon la balance des probabilités, la décision de M. Marshall de licencier M. Willcott était partiellement fondée sur sa race et son origine nationale ou ethnique.

[115]  Pour ces motifs, je conclus que le plaignant a été discriminé en vertu de l’article 7(a) LCDP en raison de son origine nationale ou ethnique ainsi que sa race.

(iv)  Incident impliquant Mme McNab et harcèlement sexuel allégué

[116]  M. Willcott estime que Freeway ne lui a pas offert un environnement de travail exempt de harcèlement sexuel. Ce harcèlement sexuel aurait été commis par Mme McNab, employée et répartitrice chez ABF.

[117]  Freeway et ABF sont deux compagnies distinctes; Mme McNab n’est pas employée chez Freeway. Considérant son rôle de répartitrice, M. Willcott fait régulièrement affaire avec elle.

[118]  Dans un premier temps, le plaignant a témoigné à l’effet que Mme McNab pouvait blasphémer et être vulgaire, parfois, à son égard. Cela dit, je ne crois pas qu’il s’agit là des éléments les plus déterminants dans les circonstances. Des plaisanteries vulgaires, même de mauvais goûts, ne constituent généralement pas à eux seuls du harcèlement (voir Morin, précité, au par. 246). D’autres événements sont, à mon avis, plus centraux dans la plainte de M. Willcott.

[119]  M. Willcott a témoigné qu’un événement est survenu le 21 mai 2013. Alors que Mme McNab l’informait de sa prochaine livraison, elle a caressé son avant-bras avec ses ongles. Le plaignant a retiré son bras rapidement et lui a jeté un regard dégouté. Cette situation l’a rendu inconfortable. Le lendemain, Mme McNab lui a dit de ne plus jamais faire ce qu’il avait fait la veille, commentaire que M. Willcott a complètement ignoré.

[120]  Un autre événement s’est produit quelques jours plus tard, le 23 mai 2013. Mme McNab, alors qu’elle informait M. Willcott de sa prochaine livraison, lui a dit qu’ils devraient sortir et prendre un verre un de ces jours, ce qu’il a décliné. Il lui a également répondu qu’il ne fréquentait pas les gens avec qui il travaillait et a quitté a pièce. Il a parlé de la situation avec M. Felix, qui devait en parler avec Mme Crawford. M. Willcott ne peut cependant confirmer si M. Felix l’a effectivement fait.

[121]  M. Willcott a témoigné que quelques jours suivant ces événements, il a rencontré Mme Crawford ainsi que M. Felix afin de les informer des comportements de cette employée d’ABF. Suivant cette rencontre, M. Willcott a expliqué que M. Marshall l’a approché et lui a dit qu’il était un fauteur de troubles et a l’menacé de lui faire perdre son emploi.

[122]  Il a également témoigné qu’il aurait parlé de la situation avec M. Marshall et le propriétaire d’ABF, M. Lachapelle. Cela dit, M. Willcott a très peu développé sur le contenu de cette rencontre, ou la date à laquelle elle aurait eu lieu. En contre-interrogatoire, il a expliqué avoir rencontré ces individus en février 2013 et que lorsqu’il a soulevé le harcèlement sexuel de Mme McNab, M. Marshall l’aurait interrompu. Cela dit, le premier événement soulevé dans sa plainte quant aux allégations de harcèlement sexuel de la part de Mme McNab date plutôt du mois de mai 2013. Considérant l’incohérence dans l’enchaînement des événements, des dates, ainsi que du manque important de détails, je constate que le témoignage de M. Willcott n’est pas fiable quant à cet aspect.

[123]  M. Willcott a également témoigné d’un autre incident, celui du 16 juin 2013. Alors que Mme McNab allait l’informer de sa prochaine livraison, elle s’est mise devant lui, a mis sa main sur sa poitrine, qu’elle a glissée vers le bas. M. Willcott a repoussé Mme McNab et lui a demandé ce qu’elle faisait. Mme McNab aurait tenté de justifier ses gestes en disant qu’elle avait un syndrome médical donc M. Willcott ne peut nommer. Il a ensuite quitté la pièce. Il a témoigné à l’effet qu’il aurait informé Freeway de la situation, mais ne peut confirmer à qui et quand il en aurait parlé.

[124]  Mme Crawford a témoigné à l’effet qu’elle n’a pas été avisée d’aucun des événements soulevés par M. Willcott dans sa plainte. Elle a ajouté que Mme McNab était une employée qu’elle a caractérisée d’amicale. En conséquence, il est possible que cette camaraderie ait pu être perçue, par certaines personnes, comme du flirt.

[125]  Mme Crawford a expliqué que M. Willcott s’était déjà plaint à elle à propos d’autres événements impliquant Mme McNab notamment en janvier 2013. Mme Crawford lui avait demandé d’envoyer un courriel expliquant ce qui s’était produit, ce qu’il avait fait (voir Pièce R-1, Onglet 3). Une rencontre avait ainsi eu lieu entre ABF, Freeway et M. Willcott, afin de régler la situation.

[126]  Mme Crawford a ainsi mentionné qu’elle trouvait étrange que M. Willcott ne l’ait pas personnellement interpellée pour lui parler de ces autres événements. Elle n’avait pas de souvenir que M. Willcott se soit plaint d’autre chose contre Mme McNab ou qu’elle ait reçu d’autres plaintes contre cette employée d’ABF.

[127]  Cela étant dit, que Freeway ou ABF aient été mis au courant de ces incidents n’est pas à mon avis déterminant dans les circonstances. Avant même de traiter de la question de la dénonciation, je dois d’abord être convaincu que les gestes qui ont été posés constituent du harcèlement sexuel au sens de la LCDP.

[128]  À cet effet, je ne suis pas convaincu que les actions posées par Mme McNab constituent du harcèlement sexuel. Le harcèlement sexuel a été défini comme étant « une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi […] » pour la victime (voir Janzen, p. 1284). Les événements ne sont pas suffisamment persistants ou répétés, ou suffisamment graves pour constituer du harcèlement sexuel, tel que rappelé dans Morin, précité, au par. 246.

[129]  Je conçois que les gestes qui ont été posés par Mme McNab étaient importuns et non sollicités. M. Willcott a été clair à cet effet. Le fait d’avoir retiré son bras rapidement ainsi que son regard de dégoût lors du premier événement appuie l’idée que le geste était non désiré. Lors du deuxième événement, M. Willcott a repoussé Mme McNab et lui a fait comprendre que son geste n’était pas bienvenu. M. Willcott a également été clair qu’il ne voulait pas prendre un verre avec elle et qu’il ne sortait pas avec ses collègues de travail. Il s’agit des seuls événements mis en preuve par M. Willcott. À la suite de ses avertissements clairs, la preuve révèle qu’aucun autre acte n’a été commis.

[130]  Pour qu’il y ait du harcèlement sexuel, il faut retrouver un élément de répétition ou de persistance, ou un élément suffisamment grave pour créer un milieu de travail hostile. Ces événements doivent être analysés du point de vue d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances (voir Morin, précité, au par. 246).

[131]  Dans le cas en l’espèce, l’élément de répétition, de persistance ou même de gravité n’est pas présent. Se faire toucher le bras n’est pas en soi très grave. Par contre, se faire toucher le torse est à mon avis plus intrusif. Néanmoins, M. Willcott a été clair que le geste n’était pas bienvenu et Mme McNab n’a jamais reproduit ce geste.

[132]  Je comprends également l’inconfort de M. Willcott lorsqu’il s’est fait toucher le bras ou le torse. Il n’a pas non plus apprécié la demande pour aller prendre un verre. Loin de moi l’idée d’approuver le fait qu’une personne puisse toucher une autre personne sans son consentement. Cela dit, est-ce que cela constitue nécessairement du harcèlement sexuel au sens de la LCDP? Pas nécessairement. 

[133]  La preuve déposée à l’audience ne me permet pas non plus de conclure que ces gestes ont créé un milieu de travail hostile et malsain. M. Willcott a continué à travailler chez Freeway tout en faisant nécessairement affaire avec Mme McNab puisqu’elle était répartitrice. De plus, entre les événements de mai 2013, qui étaient ciblés dans le temps, aucun autre événement ne s’est reproduit avant son licenciement en novembre 2013 ni après sa réintégration en juin 2014.

[134]   Pour ces motifs, et selon la balance des probabilités, je conclus que M. Willcott n’a pas été en mesure de rencontrer le fardeau de son dossier quant aux allégations de harcèlement sexuel.

(v)  Réintégration au travail en juin 2014 et exclusion du poste de conducteur de camion en raison de la déficience

[135]  Comme mentionné précédemment, M. Willcott a réintégré le milieu de travail le 20 juin 2014, à la suite de la décision de l’arbitre, Diane Gee. La question est maintenant de déterminer s’il a été défavorablement traité en cours d’emploi après cette réintégration (article 7(b) LCDP).

[136]  M. Willcott, à la suite de son accident en octobre 2013, a subi des dommages nerveux lui causant des douleurs au cou, à l’épaule et au bras gauche. Lorsqu’il a réintégré le travail le 20 juin 2014, il a annoncé à Freeway qu’il n’était pas en mesure de reprendre le travail immédiatement en raison de cette blessure.

[137]  Mme Crawford a expliqué se souvenir que M. Willcott lui a décrit les douleurs qu’il vivait, notamment les engourdissements dans son bras gauche, son épaule et son cou. Il avait également des difficultés à tenir le volant du camion car les vibrations du poids lourd étaient désagréables.

[138]  C’est à ce moment que Mme Crawford et M. Willcott ont discuté des prochaines étapes à franchir avant un retour au travail, notamment afin d’obtenir plus de renseignements sur l’étendue et la nature de la blessure. Ils ont conclu qu’il était préférable pour lui de retourner voir son médecin traitant. Mme Crawford a demandé qu’un formulaire sur la détermination des capacités fonctionnelles soit rempli, un formulaire interne et administratif de Freeway. Elle a aussi proposé à M. Willcott de remplir une réclamation au Workplace Safety and Insurance Board (WSIB), ce qu’il a fait. La WSIB aurait pu lui donner accès à des services paramédicaux tels que la physiothérapie. Malheureusement, la demande a été rejetée le 11 juillet 2013. Évidemment, Freeway n’avait aucun contrôle sur cette décision.

[139]  Après cette discussion initiale où Mme Crawford a demandé à M. Willcott un formulaire médical, Mme Crawford se souvient qu’il l’a appelée pour lui annoncer que son docteur n’allait pas remplir le formulaire sur les capacités fonctionnelles. Il lui a également mentionné que les dommages étaient probablement permanents et qu’il était possible qu’il ne soit plus en mesure de conduire de camions.

[140]  Néanmoins, le 2 juillet 2014, M. Willcott a transmis à Mme Crawford une note médicale rédigée par Dr B. Pardis datée du 27 juin 2014. Sur cette note, il est écrit que M. Willcott a des tensions chroniques dans l’épaule gauche et précise que ce dernier  peut seulement soulever ou déplacer des objets d’au plus 15 livres avec la main gauche. Dr B. Pardis précise aussi qu’aucune restriction n’est présente pour la main droite.

[141]  Le 14 juillet 2014, Mme Crawford a informé M. Willcott qu’elle peut l’assister afin qu’il applique au programme d’assurance invalidité de longue durée de Freeway. Elle lui a également expliqué que lorsqu’il recevra une autorisation médicale claire, il sera en mesure de réintégrer activement son poste de camionneur. Elle lui a également demandé des renseignements médicaux supplémentaires qui pourraient être fournis par le docteur spécialiste qui avait diagnostiqué sa blessure ou son médecin traitant. Enfin, elle lui a transmis un relevé d’emploi devant être rempli.

[142]  Le 29 juillet 2014, M. Willcott a réécrit à Mme Crawford pour lui dire qu’il n’appliquerait pas au programme d’assurance invalidité de longue durée de la compagnie. Il lui a également dit qu’il ne comprenait pas pourquoi le relevé d’emploi qui lui avait été envoyé mentionnait que la blessure n’était pas reliée à l’emploi. Selon M. Willcott, la blessure était clairement reliée à l’emploi. Il a enfin affirmé qu’il était en mesure de travailler : il avait  tout simplement besoin d’avoir des tâches modifiées, tout en ne soulevant pas plus de 15 livres.

[143]  Mme Crawford a tout de même demandé plus de détails sur les blessures de M. Willcott. La note du Dr B. Pardis n’abordait pas clairement la gravité de la douleur et des conséquences de la blessure de M. Willcott. Mme Crawford a trouvé que la note était imprécise. Elle était d’avis que cela n’était pas suffisant et voulait s’assurer que M. Willcott était médicalement autorisé à reprendre son poste de camionneur.  

[144]  À la suite de la demande formulée, M. Willcott a fourni une seconde note médicale le 12 août 2014. Selon lui, il était en mesure d'activement retourner au travail. Cette note a été écrite par Dr Kachooie. Sur cette note, il était noté que le patient pouvait retourner à son travail régulier s’il respectait la restriction de ne pas soulever des charges de plus de 20 à 25 livres.

[145]  Mme Crawford a trouvé, encore une fois, que cette note médicale était très brève et n’abordait pas, encore une fois, tous les problèmes soulevés par M. Willcott en juin 2014 (engourdissements, problèmes avec les vibrations, etc.). Elle n’avait toujours pas reçu le formulaire sur les capacités fonctionnelles rempli par un médecin.

[146]  Quelques jours plus tard, le 15 août 2014, le Dr B. Pardis a produit une autre note médicale dans laquelle il écrivait que M. Willcott avait une radiculopathie cervicale chronique et ne pouvait lever plus de 20 libres.

[147]  Le même jour, Mme Crawford a écrit à M. Willcott. Dans sa correspondance, elle a fait un sommaire de ce qui s’était produit entre la réintégration de M. Willcott, le 20 juin 2014, et le 15 août 2014. Cette correspondance apporte un éclairage utile sur ce qui s’est déroulé pendant cette période. Cette correspondance fait, entre autres, état des discussions qu’ils ont eues ensemble, de la gravité des blessures et des prochaines étapes à franchir. Mme Crawford a aussi expliqué que M. Willcott ne pouvait pas reprendre son poste en raison du manque de renseignements médicaux fournis par les docteurs puisque les notes ne comportaient aucune information relative aux dommages nerveux de M. Willcott et des tensions dans son côté gauche. Elle a également affirmé que selon les explications de M. Willcott, elle était dans l’impression qu’il s’agissait d’une invalidité permanente.

[148]  Selon la preuve qui m’a été présentée, il est clair que dans les faits, malgré la réintégration de M. Willcott le 20 juin 2014, il ne pouvait pas reprendre son poste de camionneur en raison de sa blessure. Je considère que même si M. Willcott a lui-même fait part de la situation à Freeway, il a tout de même été exclu de son poste en raison de sa déficience. Cela est confirmé formellement dans le courriel de Mme Crawford du 15 août 2013, qui informe M. Willcott qu’il ne peut pas réintégrer son poste en raison du manque de renseignements médicaux précis.

[149]  L’exclusion d’un employé de son poste, par un employeur, peut constituer un traitement défavorable sous l’article 7(b) LCDP. C’est ce que le Tribunal a expliqué dans la décision Brunskill c. Société canadienne des postes [Brunskill], 2019 TCDP 22, alors qu’il a effectué une lecture conjonctive de l’alinéa 15(1)a) et du paragraphe 7(b) LCDP.  

[150]  Si cette exclusion du poste est liée à la déficience de l’employé, il n’en faut pas plus afin que le test de la décision Moore soit rencontré :

1)  le plaignant a un motif de distinction illicite protégé par la LCDP;

2)  il a subi un effet préjudiciable; et

3)  il existe un lien entre le motif et l’effet préjudiciable.

[151]  Attention : cela ne veut pas nécessairement dire que ce traitement défavorable est en soi discriminatoire. Pour qu’un traitement défavorable fondé sur un motif de distinction illicite soit discriminatoire, il faut qu’il y ait absence de justification (au sens des paragraphes 15(1) et 15(2) LCDP). C’est lorsqu’il y a absence de justification que le Tribunal peut, à la fin de l’analyse, déclarer qu’il y a eu discrimination.

[152]  Dans le cas en l’espèce, il ne m’en faut pas plus pour me convaincre que M. Willcott a rencontré le fardeau de son dossier. Il a effectivement été traité défavorablement en raison de sa déficience (paragraphe 7(b) LCDP). Si ce n’avait été de sa déficience, c’est-à-dire sa blessure causée par l’accident et les douleurs physiologiques afférentes, il aurait repris son poste de camionneur comme prévu.

[153]  Maintenant, je dois déterminer si Freeway a été en mesure de justifier l’exclusion de M. Willcott sous l’article 15 LCDP. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que Freeway n’a pas rempli son fardeau entre le 28 avril 2015 et le 1er février 2016.

[154]  La preuve révèle que M. Willcott a été réintégré au travail le 20 juin 2014, mais n’a pas activement repris son poste de camionneur en raison de sa blessure. Malgré les quelques démarches entreprises par M. Willcott afin de clarifier sa condition médicale, Freeway s’est retrouvé avec peu d’information médicale, voire même de l’information contradictoire, de la part de différents médecins. Freeway n’a pas non plus reçu, à sa demande, un formulaire rempli sur les capacités fonctionnelles de M. Willcott.

[155]  Je suis du même avis que Freeway, c’est-à-dire que les dommages décris par M. Willcott en juin 2014 soit les dommages au nerf, les engourdissements dans le bras, la main et les doigts, les difficultés à tenir le volant d’un camion, les désagréments causés par les vibrations, apparaissent importants et inquiétants.

[156]  Je suis également en accord avec Freeway qu’entre le mois d’octobre 2013, moment de l’accident, et juin 2014, moment de la réintégration, près de 8 mois se sont écoulés. La situation médicale de M. Willcott en juin n’est guère optimale. Freeway croyait sincèrement que sa blessure était très grave, sérieuse, voire potentiellement permanente, en se basant sur les affirmations de M. Willcott.

[157]  Je crois que Freeway était justifiée de demander de l’information médicale additionnelle. Un docteur aurait pu remplir le formulaire sur la détermination des capacités fonctionnelles permettant d’identifier clairement les besoins et les restrictions médicales de M. Willcott. Le formulaire prévoyait aussi un plan de réhabilitation et la date envisagée de rétablissement ou de suivi, le cas échéant. Malheureusement, ces détails médicaux n’ont pas été offerts à Freeway.

[158]  Pourtant, dans son courriel du 15 août 2014, Mme Crawford a écrit clairement qu’elle avait potentiellement du travail modifié pour M. Willcott. Ce dont elle avait besoin, c’était de plus de renseignements médicaux qui auraient été consignés, entre autres, le formulaire sur la détermination des capacités fonctionnelles. Elle a réitéré cette demande le 22 août.

[159]  J’ai entendu le débat entourant la question de ce formulaire sur la détermination des capacités fonctionnelles. Les parties ont tenté d’expliquer pourquoi elles considéraient que la situation médicale de M. Willcott était reliée au travail ou non. Je crois que la caractérisation de ce formulaire (relié ou non au travail) n’est pas déterminante en l’espèce. Ce que Freeway demandait, c’était entre autres d’obtenir suffisamment de renseignements médicaux afin de clarifier ses restrictions médicales contemporaines. Freeway avait aussi besoin de savoir si M. Willcott avait un plan de réhabilitation et la date envisagée de rétablissement. C’est tout. La caractérisation du formulaire n’apporte, à mon avis, rien de plus au débat.

[160]  Freeway a reçu une première note du Dr B. Pardis datée du 27 juin 2014. Cette note est brève et établie une restriction pour soulever des objets d’au plus 15 livres avec le bras gauche. Ensuite, une seconde note est fournie le 12 août 2014, écrite par Dr Kachooie. Cette note est encore plus brève que la note précédente et augmente la restriction à un maximum de 20 à 25 livres. Enfin, M. Willcott a transmis une dernière note médicale du Dr B. Pardis en date du 15 août 2014. Dans cette note, la restriction de soulever des objets est établie à 20 livres maximum.

[161]  Il est vrai qu’aucune des trois notes médicales n’a abordé la question de l’engourdissement dans le bras, des dommages au nerf, des difficultés à tenir le volant, de la sensibilité aux vibrations, etc. Ces notes ne précisent pas le plan de réhabilitation ni la date de rétablissement, s’il y en a une.

[162]  C’est ce manque de renseignements médicaux et les contradictions dans les notes qui poussent Freeway à demander une évaluation médicale indépendante, holistique, conduite par un médecin neutre. Le 14 octobre 2014, Mme Crawford demande cette évaluation afin qu’un médecin effectue un examen détaillé des capacités de M. Willcott, à la lumière de sa situation médicale particulière. Freeway avait également prévu de fournir la documentation nécessaire incluant la description du poste et une analyse des exigences physiques au médecin, et ce, pour que l’évaluation soit bien ciblée.

[163]  Je suis d’avis que les demandes de Freeway étaient tout à fait raisonnables dans le contexte de la plainte. Freeway a tenté de démontrer qu’un camionneur, comme M. Willcott, occupe un travail critique pour la sécurité et que cela doit être pris en considération dans l’analyse du paragraphe 15(2) LCDP et le critère de sécurité. Je suis effectivement en accord avec les représentations de Freeway à l’effet que les camionneurs qui opèrent de grands camions commerciaux entre autres sur les autoroutes occupent un travail comportant des risques importants. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de caractériser le poste de camionneur de M. Willcott comme étant critique pour la sécurité. Pour les fins de l’analyse de la contrainte excessive, il est suffisant de dire que le poste de camionneur en est un qui comporte de grands risques. Ces risques existent non seulement pour la sécurité du camionneur lui-même, mais aussi pour la sécurité des utilisateurs de la route et du public en général. 

[164]  Freeway a déposé à l’audience le Règlement de l’Ontario, 340/94 : Permis de conduire, en vertu de Code de la route, L.R.O. (1990), ch. H-8. Ce règlement prévoit que le détenteur d’un permis de conduire ne doit pas souffrir « […] d’un état ou d’un trouble nerveux ou d’un état ou d’une déficience mental, affectif ou physique qui aura vraisemblablement pour effet d’entraver de façon appréciable son aptitude à conduire avec prudence un véhicule automobile de la catégorie applicable » (alinéa 14(1)a) du règlement).

[165]  Le législateur provincial de l’Ontario a décidé de mettre en place des lignes directrices et des obligations pour les titulaires de permis de conduire en régissant un lien avec leur aptitude à conduire un véhicule moteur ainsi qu’avec la prudence requise. Ces normes n’ont pas été mises en place sans raison : la sécurité est un enjeu clair.

[166]  Je conçois tout à fait qu’après les renseignements médicaux révélés par M. Willcott, l’absence de précisions et de détails de la part des médecins, et les contradictions dans les notes médicales, Freeway avait des inquiétudes sur ses aptitudes réelles de conduire un véhicule moteur avec prudence, et ce, en raison de son état de santé. Mme Crawford a manifesté ses inquiétudes dans sa correspondance du 22 août 2014 que les dommages nerveux de M. Willcott pourraient compromettre sa sécurité et celle du public, et ce, s’il devait reprendre la route dans cet état. M. Willcott, en contre-interrogatoire, a également confirmé que la conduite d’un camion commercial peut être risquée et que le conducteur doit en tout temps être en état de conduire tant mentalement, émotionnellement que physiquement.

[167]  La notion de risque est un facteur qui doit être considéré dans l’analyse des mesures d’accommodements et de l’existence d’une contrainte excessive. Le critère de la sécurité prévu au paragraphe 15(2) LCDP tient  compte tant de l’importance du risque que de l’identité des personnes qui y sont exposées (voir Day c. Société canadienne des postes [Day], 2007 TCDP 43, au par. 58. Voir aussi Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights) (Grismer), [1999] 3 R.C.S. 868, au par. 30, Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Comm.) (1990), 12 C.H.R.R. D/417, au par. 62).

[168]  Considérant que la conduite d’un camion commercial comporte des risques importants, Freeway voulait s’assurer, non seulement pour la sécurité de M. Willcott, mais également pour la sécurité du public en général, que ce dernier était totalement apte à conduire.

[169]  À partir de ce moment, la responsabilité de Freeway était de récupérer et de rapatrier tous les documents médicaux de M. Willcott depuis l’accident d’octobre 2013. Plusieurs échanges ont eu lieu entre lui et Mme Crawford. Ces échanges concernaient entre autres le paiement des frais du médecin pour la collecte de ces documents, la recherche d’un institut qui pourrait faire l’évaluation médicale recherchée et la planification d’un rendez-vous avec M. Huggins en lien avec la gestion de la colère de M. Willcott. Ces différentes étapes ont nécessairement pris du temps. Certaines difficultés sont également survenues en décembre 2014 en lien avec une facture du docteur qui devait être payée par Freeway. Cette situation s’est réglée le 16 décembre 2014.

[170]  Après la période du temps des fêtes 2014-2015, le 6 janvier 2015, Mme Crawford a continué ses démarches afin d’avoir accès aux documents médicaux de M. Willcott. C’est également pendant cette période que les parties se sont retrouvées devant l’arbitre Mme Gee à nouveau pour déterminer les dommages payables à M. Willcott en raison de  son licenciement injustifié.

[171]  La preuve révèle que le 8 janvier 2015, la condition médicale de M. Willcott n’était guère mieux. C’est ce qu’a confirmé Mme Gee, dans sa décision. M. Willcott a confirmé, lors de cette audience, qu’il lui était impossible de retourner, à ce moment, à son poste de camionneur en raison de sa blessure. Il a également dit qu’il était d’accord avec les procédures entreprises par Freeway pour obtenir des clarifications quant à la nature et à l’étendue de ses limitations. Il a également confirmé à l’arbitre sa participation à une évaluation médicale indépendante.

[172]  La preuve appuie également le fait que M. Willcott était en processus de bénéficier des prestations d’assurance invalidité de longue durée. Ces prestations étaient offertes par la compagnie d’assurance de Freeway. Je rappelle que M. Willcott avait initialement décidé de ne pas en faire la demande. Pendant ce temps, puisque M. Willcott procédait à sa demande de prestations d’invalidité, Freeway a estimé qu’il n’était pas nécessaire, pour le moment, de poursuivre ses démarches afin d’avoir une évaluation médicale indépendante. Cela tombe sous le sens puisque pour bénéficier de prestations d’assurance invalidité de longue durée, M. Willcott ne devait pas travailler en raison de son invalidité.

[173]  Le 20 avril 2015, M. Willcott a informé Mme Crawford que les prestations d’assurance invalidité de longue durée lui ont été refusées. Freeway a expliqué lui avoir alors suggéré d’appliquer aux prestations d’invalidité du Gouvernement du Canada. Le 28 avril 2015, M. Willcott a informé Freeway qu’il ne se qualifiait pas pour ce type de prestations et qu’il n’appliquerait donc pas. 

[174]  Outre les procédures devant l’arbitre Gee et la demande d’assurance invalidité de longue durée, Mme Crawford a aussi témoigné à l’effet qu’après le mois de janvier 2015, les parties étaient également dans le processus d’enquête devant la Commission canadienne des droits de la personne.

[175]  Entre le 20 juin 2014 et le 20 avril 2015, je constate que la situation est bien gérée par les parties et évolue. Les parties m’ont déposé une preuve bien étoffée de la situation. Il y avait un plan établi entre Freeway et M. Willcott et ce plan a été confirmé dans la décision de l’arbitre, Mme Gee, du 8 janvier 2015. La situation n’est pas parfaite, je le conçois. Les différentes étapes à franchir prennent du temps. Cela dit, j’estime que Freeway a été proactive dans les démarches effectuées entre le 20 juin 2014 et le 20 avril 2015.

[176]  Par contre, après le 28 avril 2015, la preuve qui m’a été soumise par les parties est lacunaire, qu’elle soit testimoniale ou documentaire. La preuve reprend le 1er février 2016 alors que Mme Crawford a envoyé une correspondance à M. Willcott. Dans cette correspondance, elle a détaillé toutes les démarches entreprises depuis juin 2014. Elle confirme également avoir reçu le rapport de la Commission canadienne des droits de la personne. À la lumière de ce rapport, elle lui a demandé de lui fournir une mise à jour de sa situation médicale afin de les aider dans les discussions pour une reprise active du travail. Elle lui a demandé que son médecin remplisse un formulaire sur la détermination de ses capacités fonctionnelles et a confirmé que Freeway assumerait les coûts encourus par cette demande.

[177]  M. Willcott et Mme Crawford ont eu quelques échanges entre mars et juin 2016. Par exemple, le 9 mars 2016, M. Willcott a informé Mme Crawford que le formulaire sur la détermination de ses capacités fonctionnelles était en voie d’être rempli. Cela dit, dans un courriel du 29 avril 2016, il a expliqué à Freeway que son médecin, Dr B. Pardis, n’allait pas être au bureau pour quelques semaines.

[178]   Le 25 mai 2016, M. Willcott a confirmé à Mme Crawford qu’il attendait toujours le retour de son docteur afin qu’il remplisse les documents nécessaires menant à la reprise de son travail. Il a mentionné que son docteur devait être de retour durant la semaine. Entre temps, les parties organisaient également un test de la route pour M. Willcott et géraient des démarches administratives telles que la transmission de l’immatriculation d’utilisateur de véhicule utilitaire de M. Willcott.

[179]  Le 16 juin 2016, M. Willcott a transmis à Mme Crawford le formulaire sur la détermination des capacités fonctionnelles rempli par Dr B. Pardis comme demandé. Ce qui est étrange, c’est que deux versions de ce formulaire existent. Freeway m’a déposé un formulaire rempli et signé par Dr B. Pardis, qui est daté du 9 mars 2016. M. Willcott a également déposé un formulaire rempli et signé par le Dr B. Pardis, aussi daté du 9 mars 2016, mais contenant plus d’information et de détails. Selon lui, c’était cette version qu’il a transmise le 16 juin 2016.

[180]  Il appert que ces deux versions ne sont pas totalement différentes. En fait, la version de M. Willcott comprend les mêmes renseignements de base que la version de Freeway, mais elle contient de l’information médicale additionnelle. Il semble que le formulaire ait été modifié. Les nouveaux renseignements contiennent les annotations B.P. On dirait que les ajouts ont été parafés. Le nom du docteur, sur le formulaire, est Dr B. Pardis. Il semble logique que ses initiales soient B.P.. Enfin, la version plus étoffée a également été modifiée par M. Willcott dans le titre. De son aveu, c’est lui qui a barré le terme « non » dans « non relié » à l’emploi. Il nie avoir changé quoi que ce soit d’autre sur le formulaire.

[181]  Freeway a suggéré que c’était M. Willcott qui aurait changé le formulaire afin que sa version semble médicalement moins restrictive que la première. Je ne suis pas certain que la preuve appuie la thèse de Freeway. En toute franchise, il est difficile pour moi de déterminer qui a pu modifier le formulaire. Les ajouts avec les initiales B.P. me portent à croire que c’est Dr Pardis lui-même qui a ajouté ces renseignements. Je me demande même si Dr B. Pardis n’aurait pas rempli un premier formulaire le 9 mars 2016. Il se serait absenté du bureau comme expliqué par M. Willcott et aurait enfin peaufiné le formulaire à son retour. M. Willcott aurait ensuite transmis la version finale à Freeway le 16 juin 2016.

[182]  Cela étant dit, je ne crois pas que l’existence de deux formulaires différents soit fatale au dossier, ni pour Freeway ni pour M. Willcott. La preuve est que le 16 juin 2016, Freeway a finalement eu accès au formulaire qu’elle demandait depuis juin 2014.

[183]  Le 17 juin 2016, M. Willcott a passé une évaluation de conduite avec un évaluateur choisi par Freeway. Dans cette évaluation, l’évaluateur aurait rapporté que M. Willcott aurait tenu des propos inappropriés sur les conducteurs de nationalité indienne. Différents échanges ont eu lieu entre Mme Crawford et lui à ce sujet, produisant certains délais. Plus de détails sur cet événement ne sont pas nécessaires puisqu’ils ne sont pas pertinents au litige.

[184]  Cela dit, à la fin août 2016, Freeway a été en mesure de fixer un rendez-vous pour l’évaluation médicale indépendante de M. Willcott. Certains échanges ont eu lieu entre les parties, notamment sur le lieu de l’évaluation ainsi que sur les dates. Les premières dates prévues étaient le 14 ou le 15 septembre 2016. M. Willcott a confirmé être disponible.  Quelques jours plus tard, il a demandé à Mme Crawford s’il était possible d’aller passer l’évaluation au CBI Health Centre à Oshawa (Ontario). Mme Crawford l’a alors informé qu'elle verrait ce qu’elle pouvait faire.

[185]  Le 7 septembre 2016, elle l’a informé que les places disponibles à Whitby (Ontario) (tout à côté d’Oshawa) se limitaient aux 27 et 28 septembre 2016. M. Willcott a répondu le 8 septembre 2016 en lui disant qu’il devrait alors sélectionner les dates du 14 et du 15 septembre 2016 puisqu’il voulait retourner travailler le plus rapidement possible. Il a également assumé que le CBI Health Centre était celui de Brampton.

[186]  Le même jour, Mme Crawford lui mentionne que les heures de l’évaluation ont légèrement changé et qu’elle lui confirmera l’endroit exact du centre. Quelques jours plus tard, M. Willcott a demandé à Mme Crawford de confirmer l’endroit exact de l’évaluation. Le 15 septembre 2016, Mme Crawford lui répond que quelqu’un du bureau le contactera pour discuter des prochaines étapes. Finalement, l’examen n’a pas eu lieu.

[187]  Les parties n’ont pas réussi à expliquer clairement pourquoi cette tentative d’examen a échoué. Il semble qu’il y ait eu un malentendu quant à l’emplacement exact de l’évaluation. Je me demande aussi si Mme Crawford n’avait pas compris que M. Willcott avait accepté les dates du 14 et du 15 septembre 2016. Cela dit, il est clair que les parties ont rapidement remédié à la situation. Un nouveau rendez-vous a été fixé dans les jours suivants et les dates sélectionnées étaient les 4 et 5 octobre 2016. L’évaluation a eu lieu et le CBI Health Centre a produit un rapport daté du 11 octobre 2016.

[188]  Cela étant dit, avant de pouvoir déterminer si un employé peut être accommodé en relation avec sa déficience, l’employeur doit avoir un minimum d’information fiable et cohérente sur la situation médicale de son employé. Freeway devait connaître la condition médicale de M. Willcott afin de déterminer si celle-ci interférerait avec ses aptitudes physiques à conduire un véhicule commercial. Elle devait s’assurer que son employé respectait la réglementation et le Code de la route de l’Ontario (voir notamment Règlement de l’Ontario, 340/94 : Permis de conduire, en vertu de Code de la route, L.R.O. 1990, ch. H-8, article 14).

[189]  Dans le processus d’accommodement, la recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties, entre autres l’employé, l’employeur et parfois le syndicat. Il est reconnu que l’employé a aussi son rôle à jouer et a l’obligation de faciliter le processus d’accommodement (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud [Renaud], [1992] 2 R.C.S. 970). Dans le cas d’une déficience, la facilitation du processus d’accommodement commande à l’employé de se conformer aux demandes raisonnables de l’employeur. Ces demandes peuvent inclure la fourniture de renseignements médicaux nécessaires permettant de comprendre clairement les limites et les restrictions de l’employé. L’employeur qui possède suffisamment d’information est  en mesure de faire finalement une proposition d’accommodements qui respectent les besoins spécifiques de l’employé (Breast, Charles A. c. Whitefish Lake First Nation [Breast], 2010 TCDP 10, au par. 36; Roopnarine c. Banque de Montréal [Roopnarine], 2010 TCDP 5, au par. 64).

[190]  Freeway n’a malheureusement pas pu faire son évaluation des accommodements possibles qui auraient été raisonnables pour M. Willcott en raison du manque d’information médicale fournie par ce dernier et de l’incohérence dans les notes des médecins.

[191]  Freeway a certainement été proactive dans la gestion de cette situation dès le retour de M. Willcott en juin 2014 et les mois qui ont suivi. J’ajoute qu’à partir de janvier 2015, alors que la situation médicale de M. Willcott n’est guère mieux et qu’il était possible que les dommages soient permanents, Freeway lui a suggéré différentes démarches afin qu’il puisse bénéficier de différentes prestations d’invalidité, soit par leur assureur ou par le Gouvernement du Canada. Ce faisant, il n’y a donc pas eu de discrimination entre le 20 juin 2014 et le 28 avril 2015.

[192]  Cela étant dit, un problème se pose après le 28 avril 2015. Le 20 avril 2015, M. Willcott a envoyé un courriel à Mme Crawford l’informant que la compagnie d’assurance avait rejeté sa demande de prestation d’assurance invalidité de longue durée. Quelques jours plus tard, le 28 avril 2015, M. Willcott a informé Mme Crawford qu’il ne pouvait pas se qualifier aux prestations d’invalidité du Gouvernement du Canada non plus. À partir de cette date, je suis étonné qu’aucune preuve ne m'ait été offerte par Freeway afin de m’expliquer les prochaines étapes qu’elle entendait franchir dans le processus d’accommodement de M. Willcott.  

[193]  Plus de neuf mois se sont écoulés avant que le processus ne reprenne son cours. En effet, ce n’est qu’après la réception du rapport de la Commission canadienne des droits de la personne le 1er février 2016, que Mme Crawford décide d’écrire à M. Willcott pour lui demander une mise à jour de sa condition médicale. À partir de cette date, le processus reprend son cours. Ce processus a mené ultimement au rapport du CBI Health Centre du 11 octobre 2016.

[194]  J’ai du mal à comprendre pourquoi Freeway, à partir du 28 avril 2015, laisse le temps s’écouler sans poursuivre les démarches préalablement entreprises. Elle savait pourtant que la compagnie d’assurance avait rejeté la demande de prestation d’assurance invalidité de longue durée de M. Willcott et que ce dernier ne comptait pas appliquer aux prestations du Gouvernement du Canada. Freeway avait toujours été proactive jusqu’à ce moment-là. Pourquoi a-t-elle subitement arrêté ses démarches le 28 avril 2015 pour ne les reprendre qu’après la réception du rapport d’enquête de la Commission canadienne des droits de la personne le 1er février 2016?

[195]  Bien que Freeway était toujours en attente d’obtenir de plus amples renseignements médicaux sur la condition de M. Willcott, il était dans les plans que ce dernier soit évalué par un docteur neutre. M. Willcott était toujours un employé de la compagnie. Même si son état n’était guère mieux, Freeway avait toujours besoin de ses renseignements médicaux. Avec cette information, elle aurait été en mesure de déterminer si un accommodement était possible. Pourquoi alors mettre le processus en attente?

[196]  Je peux comprendre que lorsque M. Willcott était en processus afin d’obtenir des prestations d’invalidité de longue durée par l’assureur ou le Gouvernement, il était logique d’arrêter les procédures. Cela a du sens puisqu’il est impossible pour un employé de travailler et de bénéficier de ce genre de prestations en même temps.

[197]  Par contre, lorsque la demande a été rejetée par l’assureur, j’estime que l’intimée aurait dû reprendre les démarches qu’elle avait entreprises. Freeway ne m’a offert aucune raison pour laquelle autant de temps s’est écoulé sans que rien ne se produise entre le 28 avril 2015 et le 1er février 2016.

[198]  À cette étape-ci de l’analyse, le fardeau est sur les épaules de l’intimée, c’est-à-dire de l’employeur, de démontrer qu’elle a raisonnablement tenté d’accommoder ses employés, et ce, jusqu’à la contrainte excessive. C’était à Freeway d’expliquer et de démontrer au Tribunal les raisons pour lesquelles, après le 28 avril 2015, rien ne pouvait être entrepris. J’estime qu’elle n’a pas rempli ce fardeau, ne me laissant aucune autre option que de conclure qu’elle n’a pas rempli son fardeau de preuve en vertu de l’article 15 LCDP.

[199]  Cela dit, j’estime qu’en date du 1er février 2016, Freeway a de nouveau été proactive dans ses démarches, remplissant par le fait même le fardeau de sa preuve en vertu de l’article 15 LCDP. Je suis d’avis qu’un employeur peut corriger le tir pour l’avenir, ce que Freeway a fait en date du 1er février 2016 (Brunskill, précité, au par. 151).

[200]  Après le 1er février 2016, différentes étapes ont été franchies par les parties. Ces étapes prennent du temps. Certains délais ont été occasionnés pour différentes raisons, incluant le temps nécessaire pour M. Willcott d’obtenir un rendez-vous avec son médecin traitant, l’absence du médecin pendant un certain temps, les délais de transmission du formulaire sur les capacités fonctionnelles, un décès dans la famille de M. Willcott, les délais afin de fixer les rencontres avec CBI Health Centre, etc.

[201]  Je conçois que toutes ces étapes prennent du temps. Les parties ont donc agi, à mon avis, avec diligence et je ne peux accepter la thèse soumise par M. Willcott que Freeway devrait être responsable de ces délais. J’estime qu’au contraire, Freeway a été proactive dans le processus à partir du 1er février 2016.

[202]  En résumé, je conclus que M. Willcott n’a pas été discriminé par Freeway entre le 20 juin 2014 et le28 avril 2015. Après le 28 avril 2015, j’estime qu’il a été victime d’un acte discriminatoire  en vertu de l’alinéa 7(b) LCDP, et ce, jusqu’au 1er février 2016.

(vi)  Retour au travail, consommation de marijuana médicinale et exclusion du poste de conducteur de camion en octobre 2016

[203]  M. Willcott a été évalué par CBI Health Centre au début du mois d’octobre 2016 selon l’objectif d’évaluer ses capacités fonctionnelles en lien avec le poste de conducteur de camion. L’évaluation, datée du 11 octobre 2016, a été déposée à l’audience. Ni le dépôt du rapport ni ses conclusions n’ont été contestés à l’audience.  

[204]  Sans reprendre en détail le rapport, les professionnels ont conclu que M. Willcott avait les capacités fonctionnelles pour réintégrer son poste de conducteur de camion. Mme Crawford a aussi confirmé que le rapport était satisfaisant et que M. Willcott avait les capacités physiques requises pour reprendre son poste.

[205]  Néanmoins, M. Willcott n’a pas repris activement son poste de camionneur en octobre 2016. La preuve révèle que l’évaluation du CBI Health Centre a fait référence aux antécédents médicaux de M. Willcott. Il appert que M. Willcott consommait de la marijuana médicinale afin de gérer ses douleurs au cou, lorsque cela était nécessaire. Il est précisé que cette médication n’était pas nécessaire durant les heures de travail.

[206]  Mme Crawford a expliqué que bien que M. Willcott était apte à reprendre le travail, elle devait d’abord aborder la question de sa consommation de marijuana médicinale avec lui. Elle a ainsi expliqué vouloir obtenir l’opinion d’un médecin sur le sujet. L’objectif était de comprendre s’il était sécuritaire pour M. Willcott de consommer de la marijuana médicinale et de conduire un camion commercial. Elle voulait que Freeway, le médecin et M. Willcott travaillent de concert afin de s’assurer qu’il n’y avait pas de risque ni pour M. Willcott lui-même ni pour les autres utilisateurs de la route.  

[207]  À cette étape-ci, je dois déterminer si le plaignant a été traité défavorablement en cours d’emploi en raison d’un motif de distinction illicite (alinéa 7(b) LCDP) lorsque Freeway a refusé de le réintégrer à son poste à cause de sa consommation de marijuana médicinale. Cette consommation de marijuana médicinale était un traitement lui permettant de gérer ses douleurs au cou. Ses douleurs au cou ont été causées par son accident de camion d’octobre 2013. Ainsi, si cela n’avait pas été de sa déficience, M. Willcott n’aurait pas eu besoin de se faire prescrire de la marijuana médicinale. Conséquemment, il existe nécessairement un lien entre le traitement défavorable et sa déficience. Donc, je conclus que M. Willcott a rencontré le fardeau de son dossier (Moore, précité).

[208]  Cela étant dit, l’exclusion de son poste en raison de sa déficience ne constitue pas automatiquement de la discrimination. La discrimination existe lorsque l’employeur ne peut justifier sa décision. Est-ce que Freeway a été en mesure de fournir une justification au sens de l’article 15 LCDP?

[209]  L’exclusion d’un employé de son poste peut être justifiée si elle découle d’exigences professionnelles (alinéa 15(1)a) LCDP). Pour rencontrer son fardeau, Freeway doit démontrer que les mesures qui devaient être mises en place afin de répondre aux besoins de M. Willcott constituaient une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15(2) LCDP). Freeway m’a convaincu que pour des raisons de sécurité, l’exclusion de M. Willcott de son poste de conducteur de camion était justifiée.

[210]  En effet, il appert que Freeway n’était pas au courant que M. Willcott s’était vu prescrire de la marijuana médicinale. C’est en prenant connaissance du rapport du CBI Health Centre du 11 octobre 2016 qu’elle l’apprend. Bien que les professionnels du CBI Health Centre établissent que M. Willcott était apte à reprendre son poste de conducteur de camion, cette consommation a soulevé de nouvelles questions pour Freeway à propos des aptitudes de M. Willcott

[211]  Comme je l’ai déjà dit, la conduite d’un camion commercial comporte intrinsèquement des risques. Les camionneurs doivent opérer des véhicules à moteur longs, lourds et chargés de frets. Ils doivent aussi partager les voies publiques, telles que les autoroutes, avec tous les autres utilisateurs des voies publiques.

[212]  Selon la réglementation et le Code de la Route de l’Ontario (voir notamment Règlement de l’Ontario, 340/94 : Permis de conduire, en vertu de Code de la route, L.R.O. 1990, ch. H-8, article 14) déposée à l’audience par Freeway, il est obligatoire qu’un titulaire d’un permis de conduire soit en tout temps apte à conduire un véhicule. Il ne peut être accoutumé à l’alcool ou à la drogue si cela a vraisemblablement pour effet d’entraver de façon appréciable son aptitude à conduire avec prudence un véhicule. À la lumière de cette disposition, on comprend que l’enjeu du législateur ontarien est la sécurité. Dans l’analyse du Tribunal sur la contrainte excessive en matière de sécurité, l’importance du risque et l’identité des personnes qui y sont exposées sont des facteurs à prendre en considération (Day, précité, au par. 58).

[213]  M. Willcott a expliqué qu’il s’assurait de consommer sa marijuana médicinale en dehors des heures de travail, entre autres le soir en revenant du travail. Il a également affirmé s’assurer être apte à conduire le lendemain, estimant ne plus être sous l’effet de la marijuana médicinale lorsqu’il prenait le volant. M. Willcott a également résumé, dans ses propres mots, les différentes substances présentes dans la marijuana, par exemple le THC, ses effets, l’huile versus l’herbe, etc. Il a aussi déposé en preuve des documents du site de Santé Canada, notamment sur l’utilisation de ces types de drogues.

[214]  Aucune autre preuve médicale n’a été soumise par M. Willcott afin d’appuyer ses prétentions. Aucun expert ni médecin ou spécialiste n’a été appelé à l’audience afin d’expliquer plus précisément tout ce qui entoure la consommation de marijuana médicinale. Il est certain que j’aurais grandement bénéficié d’explications d’un expert sur ce type de médication, ses effets, sur le corps humain, les dosages, les recommandations, les risques liés à la consommation de drogue et la conduite automobile, etc.

[215]  Par exemple, dans la décision Salvatore Milazzo c. Autocas Connaisseur Inc, et al, 2003 TCDP 37, les membres Mactavish, Doucet et Deschamps ont bénéficié d’une preuve de deux médecins qui ont témoigné, entre autres, sur les tests positifs de drogue et les facteurs de risques selon une étude de la Société d’assurance automobile du Québec, ainsi que les risques d’accident associés à la consommation de cannabis. Je ne peux pas compter sur les conclusions de ces médecins puisque les dossiers sont fort différents. L’idée est que je n’ai pas pu bénéficier d’une telle expertise à l’audience. Tout ce que j’ai entendu, c’est le témoignage de M. Willcott m’affirmant, dans l'ensemble, qu’il s’assurait d’être en mesure de conduire malgré sa consommation de marijuana médicinale. Je suis d’avis que cette preuve n’est pas suffisante.

[216]  M. Willcott a aussi référé Freeway à différents liens internet afin qu’elle puisse se renseigner sur la consommation de marijuana médicinale. Il a également expliqué que son docteur, Dr B. Pardis, lui avait mentionné de suivre les règles prévues par Santé Canada. Freeway n’a pas trouvé ces explications convaincantes. Elle a demandé une confirmation médicale claire sur le fait qu’il était 100 % apte à conduire un camion commercial, et ce, tout en consommant de la marijuana médicinale afin de traiter ses douleurs.

[217]  Je comprends que la consultation d’un site internet tel que celui de Santé Canada peut être utile puisqu’il peut contenir des renseignements pertinents au lecteur. Cela dit, se fier uniquement sur le contenu de ce genre de site m'apparait hâtif et imprudent. Cela ne peut pas remplacer l’opinion d’un expert ou d’un médecin qui est en mesure de prescrire ce genre de médication. À cet effet, la page du site internet de Santé Canada qui a été déposée par M. Willcott indique bien que les effets peuvent durer jusqu’à six heures si la marijuana est fumée ou vaporisée. Par contre, cette information contient un astérisque qui indique que certains effets pourraient durer aussi longtemps que 24 heures. Cela ne vient que confirmer le fait que les renseignements sont à titre informatif et ne sont pas formels et absolus.

[218]  M. Willcott semble assumer que l’effet de la consommation de marijuana sur la conduite de véhicules lourds est une connaissance d’office du Tribunal. Pourtant, les faits qui sont du « domaine de la connaissance d’office [sont] ceux qui seront tenus pour connus des juges et n’auront donc pas à leur être présentés dans le respect des règles de preuve » (Danielle Pinard, « La notion traditionnelle de connaissance d’office des faits » (1997) 31 R.J.T. 87, p.96) Je considère que le Tribunal n’a pas de connaissance d’office à ce sujet. En effet, lorsque le Tribunal se demande s’il peut prendre connaissance d’office d’un certain « fait », il doit se demander :

[…] si une personne raisonnable ayant pris la peine de s’informer sur le sujet considérerait que ce « fait » échappe à toute contestation raisonnable quant à la fin à laquelle il sera invoqué, sans oublier que les exigences en matière de crédibilité et de fiabilité s’accroissent directement en fonction de la pertinence du « fait » pour le règlement de la question en litige.

R. c. Spence, [2005] 3 RCS 458, 2005 CSC 71, au par. 65.

[219]  Je suis d’avis qu’il est de connaissance d’office que l’alcool et la drogue peuvent affecter les facultés d’une personne (voir par exemple Pinto c. La ReineEYB 2006-101859, par. 31 (C.A.); R. c. LeblancEYB 2007-124042, par. 12 (C.S.), R. c. Ross, 2011 QCCM 263, par. 76). Mais tous les autres détails qu’a tenté de mettre en preuve M. Willcott, comme la différence entre les substances, leurs effets et leur durée, ne sont pas des faits qui sont connus d’office. M. Willcott a expliqué être apte à conduire s’il a consommé le soir et qu’il prend la route le lendemain comme à son habitude. Tout cela n’est pas aussi clair qu’il semble le prétendre. Plus le « fait » est pertinent au litige, ce qui est le cas en l’espèce, plus les exigences en matière de crédibilité et de fiabilité s’accroissent. M. Willcott est crédible, oui, mais les renseignements fournis manquent nettement de fiabilité. La preuve que m’a présentée M. Willcott est insuffisante.

[220]  Considérant la situation, je suis d’avis que la demande d’information additionnelle de Freeway était justifiée et que M. Willcott avait l’obligation de fournir les renseignements médicaux recherchés par la compagnie. Il est tout à fait justifié qu’un employeur demande de l’information additionnelle et spécifique s’il sait que son employé consomme de la marijuana médicinale et travaille dans un poste comportant des risques comme celui de camionneur. Le risque dans notre cas touche non seulement l’employé lui-même, mais aussi tous les autres utilisateurs de la route et le grand public. Tant que la demande de l’employeur est raisonnable, l’employé doit s’y plier ; cela fait partie de son devoir de collaboration dans le processus d’accommodement (Breast, précité, au par. 36; Roopnarine, précité, au par. 64; Renaud, précité). 

[221]  Je comprends tout à fait pourquoi Freeway, lorsqu’elle a pris connaissance de cette information, voulait s’assurer que M. Willcott était 100 % apte à conduire son camion. Freeway a tenté d’avoir accès à cette information dans les semaines qui ont suivi la production du rapport de CBI Health Centre. Par exemple, le 20 octobre 2016, Mme Crawford a demandé à M. Willcott de lui fournir plus de renseignements sur le médecin qui lui avait prescrit la marijuana médicinale afin qu’elle puisse recevoir l’information nécessaire à ce sujet. Mme Crawford a refait la même demande le 6 décembre 2016, expliquant à M. Willcott que Freeway devait s’assurer qu’il était apte à conduire malgré sa consommation. Mme Crawford était toujours dans l’attente de plus de détails médicaux. M. Willcott a alors informé Mme Crawford que son médecin traitant ne faisait plus de médecine familiale. Cela a complexifié la situation.

[222]  En février 2017, Mme Crawford a informé M. Willcott qu’elle avait identifié une clinique de santé, Rose Nursing Care Inc., qui pourrait prendre en charge M. Willcott et la portion sur la consommation de marijuana médicinale. M. Willcott n’a pas donné suite à l’offre de Mme Crawford, ce qui a donc mis fin aux démarches de Freeway.

[223]  L’employeur a été proactif afin que ce dernier élément soit réglé. Tout était en place pour que M. Willcott reprenne le travail, mais cette nouvelle information importante devait être traitée. Malheureusement, M. Willcott s’est retiré du processus et a cessé de collaborer, ce qui ne saurait être imputable à Freeway (Renaud, précité).

[224]  Pour ces motifs, je conclus que les événements entourant la consommation de marijuana médicale de M. Willcott ne constituent pas de la discrimination au sens de la LCDP.  

VI.  Réparations

[225]  Maintenant que j’ai déterminé de l’existence de certains actes discriminatoires spécifiques, il est nécessaire d’aborder la question des remèdes que le Tribunal peut ordonner (paragraphes 53(2)(3) et (4) LCDP).

A.  Discrimination en vertu des articles 7 et 14 LCDP impliquant M. Marshall

(i)  Congés forcés

[226]  J’ai déjà déterminé qu’il était discriminatoire de forcer M. Willcott à pendre 3 jours de congés alors que cela n’était pas son tour dans la rotation des camionneurs (le 7 juin, les 25 et 27 octobre 2013). Ces 3 jours de salaire sont compensables en vertu de l’alinéa 53(2)c) LCDP.

[227]  Les parties ne s’entendent pas sur le salaire annuel sur lequel je devrais me baser pour faire mes calculs. M. Willcott croit que l’année 2012 devrait être privilégiée. Freeway croit que l’année 2013 est plus représentative.

[228]  Mme Crawford a déposé des documents à l’audience détaillant les salaires de différents camionneurs, incluant M. Willcott (pièce R-1, Onglet 10s et 11). Pour arriver à ces calculs, elle a utilisé les transactions dans le système de paie, pour chaque camionneur. M. Willcott n’a pas contesté la fiabilité de ces documents et je n’ai aucune raison de remettre en question leur contenu. J’utiliserai donc les montants qui s’y retrouvent.

[229]  En 2012, M. Willcott a gagné 59 186,59 $. En 2013, considérant la baisse des activités de la compagnie, il a gagné 42 322,59 $ entre le 1er janvier 2013 et le 31 octobre 2013, soit pour une période de 321 jours de travail. Un calcul simple me permet de déterminer que M. Willcott, s’il avait travaillé toute l’année 2013 (période de 365 jours), aurait gagné un salaire de 48 123,82 $.

[230]  Je suis d’avis que la façon raisonnable de calculer le salaire de M. Willcott est de faire une moyenne entre l’année 2012 et l’année 2013. Il s’agit d’un montant intermédiaire entre une bonne année de travail (2012) et une année de travail plus difficile suivant le ralentissement des activités de Freeway (2013). Ainsi, je fixe le salaire fictif de M. Willcott à 53 655,21 $ par an. Je dois maintenant calculer le salaire journalier de ce dernier. Il travaillait à temps plein, 5 jours par semaine. Il y a 52 semaines par année ce qui me permet ainsi de conclure qu’il y a approximativement 260 jours de travail dans une année complète. En divisant 53 655,21 $ par 260 jours de travail, son salaire journalier fictif est de 206,37 $. Ainsi, pour les 3 jours de congés forcés qu’a dû prendre M. Willcott alors que cela n’était pas son tour dans la rotation, je le compenserai de 619,11 $.

[231]  J’ajoute que la preuve prépondérante semble démontrer que les gestes de M. Marshall étaient délibérés. Un geste délibéré signifie que l’acte discriminatoire et l’atteinte au droit de M. Willcott étaient intentionnels (Canada (Procureur général) c. Johnstone [Johnstone CF], 2013 CF 113 et Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) [Société de soutien à l’enfance], 2015 TCDP 14, au par. 21). En effet, la preuve révèle que M. Marshall voulait énerver M. Willcott; c’est ce qu’il a dit à M. Felix alors que celui a abordé la question des jours de congés forcés avec lui. M. Marshall savait que ce n’était pas le tour de M. Willcott. Il a délibérément pris la décision de le forcer à prendre un congé en raison des caractéristiques inhérentes de M. Willcott et de son antipathie à son égard.  

[232]  Dans ce contexte, j’accorderai une indemnité spéciale de 500 $ pour cet acte discriminatoire, en vertu du paragraphe 53(3) LCDP.

(ii)  Harcèlement de M. Marshall

[233]  En ce qui a trait au harcèlement commis par M. Marshall en cours d’emploi, j’estime que M. Willcott a le droit de recevoir une compensation pour préjudice moral et pour indemnité spéciale.

[234]  Les insultes qui ont été proférées par M. Marshall sont particulièrement honteuses, surtout considérant la discrimination historique vécue par les Premières Nations. M. Marshall a fait preuve d’un mépris total à l’égard du contexte autochtone en utilisant ces mots. Les facteurs systémiques et historiques touchant les Premières Nations sont de connaissance d’office pour le Tribunal, ce qui inclut le fait que les autochtones sont victimes de préjugés raciaux (Blais, précité). Je ne peux ignorer cette situation particulière qui afflige les Premières Nations et forcément, M. Willcott.

[235]  M. Willcott a été en mesure de démontrer que ces insultes raciales l’ont profondément blessé. Le Tribunal n’est pas obligé de recevoir une preuve médicale ou une preuve d’absentéisme au travail, pour ordonner des dommages pour préjudice moral. Le Tribunal s’appuie sur l’ensemble de la preuve déposée à l’audience incluant le témoignage de la partie plaignante lorsqu’il détermine si des dommages moraux doivent être ordonnés (voir Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Bell Canada, 2005 TCDP 9, aux par. 9 et 10).

[236]  M. Willcott  s’est senti humilié et personnellement interpellé par les insultes. Il les a vécu  comme une attaque contre sa personne, ses caractéristiques personnelles et ses racines culturelles. Sa dignité et son estime de soi ont été directement attaquées par M. Marshall (voir Polhill c. La Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34, aux par. 51 et 52). Je rappelle que ce dernier était le directeur général de Freeway.

[237]  La preuve révèle que les gestes et les propos de M. Marshall ont causé chez M. Willcott des frustrations importantes, qui ont grandi jour après jour. Cela a été confirmé tant par M. Willcott lui-même que par Mme Crawford lors de l’audience. M. Willcott a témoigné à l’effet qu’il sentait que Freeway ne faisait pas ce qu’elle avait à faire pour corriger la situation. Il a expliqué ne pas s’être senti soutenu par son employeur.

[238]  J’ai également en preuve que Freeway a offert à M. Willcott de l’aider afin de gérer ses frustrations. Mme Crawford a senti que M. Willcott avait des frustrations refoulées et qu’il devenait agité avec le temps. Elle lui a offert de l’aide, notamment celui d’un thérapeute. Pourtant, Freeway semble attribuer la responsabilité de la situation à M. Willcott uniquement. La relation tendue entre M. Willcott et M. Marshall n’est pas surprenante. C’est entre autres en raison de l’attitude, des propos et des gestes de M. Marshall que M. Willcott agissait ainsi. Il ne semble pourtant pas que l’attitude, les propos et les gestes de M. Marshall aient été remis en question.  

[239]  Je ne suis pas d’avis, comme le prétend Freeway, que M. Willcott n’a pas été en mesure de me démontrer qu’il a souffert de la situation. Cette souffrance existe et est définitivement palpable. Je conçois, cela dit, que cette souffrance ne justifie pas une compensation maximale de 20 000 $, tel que le permet l’alinéa 53(2)e) LCDP. J’ordonnerai ainsi une compensation de 2 000 $ pour préjudice moral.

[240]  Je juge également que les actes qui ont été commis par M. Marshall étaient délibérés et inconsidérés. M. Marshall était directeur général de Freeway. Il n’est pas nécessaire de s’éterniser sur le fait que ce genre d’insultes raciales est hautement répréhensible dans une société démocratique comme le Canada. Cela est d’autant plus vrai lorsque ces insultes raciales proviennent de la direction d’une compagnie.

[241]  Freeway s’est doté d’une politique afin de prévenir la violence et le harcèlement en milieu de travail. Afin d’être cohérent, le directeur général aurait dû s’en tenir à des standards élevés comme le commande la politique créée par sa propre direction.  

[242]  L’indemnisation spéciale doit répondre à l’objectif général de la LCDP, qui se veut préventive et réparatrice. La dissuasion et le découragement permettent entre autres d’atteindre cet objectif. Comme le Tribunal l’a écrit dans Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2019 TCDP 18, aux par. 305, 307 et 308 :

[305] Le Tribunal est tout à fait conscient que les lois sur les droits de la personne, incluant la LCDP, ne sont pas punitives ; elles se veulent plutôt réparatrices et préventives (voir Schrenk, précité, au para. 31). En fait, le caractère dissuasif du paragraphe 53(3) LCDP et son effet décourageant pour ceux qui se livrent ou voudraient se livrer à des actes discriminatoires de manière inconsidérée ou délibérée sont cohérents avec l’objectif préventif de la LCDP.

[…]

[307] Le soussigné estime que lorsque le Tribunal évalue l’indemnité spéciale nécessaire afin d’atteindre l’objectif dissuasif, décourageant et préventif du paragraphe 53(3) LCDP, il jouit d’une large discrétion. Il peut ainsi prendre en considération plusieurs facteurs qui peuvent différer selon les circonstances de chaque affaire. Par exemple, le Tribunal pourrait considérer la gravité et la nature de l’acte, ce qui a traditionnellement été une approche privilégiée. Il pourrait aussi tenir compte de la situation financière de la partie qui doit payer l’indemnité spéciale. Le Tribunal pourrait aussi prendre en considération les autres réparations qui ont déjà été accordées à la victime dans d’autres procédures si ces réparations ont également des objectifs de dissuasion, de découragement et de prévention. Cette liste n’est pas limitative. Il faut comprendre que ce qui est dissuasif pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre.

[308] Rappelons que la fonction préventive de la LCDP commande, entre autres, que le Tribunal envoie un message clair qu’il est non souhaitable que des comportements discriminatoires se répètent, autant pour l’auteur de l’acte que pour la société en général. Et lorsqu’un juge des faits souligne, par une indemnité spéciale, que l’acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré commis par une partie intimée est particulièrement déplorable, cela contribue à préserver l’efficacité du rôle préventif de la LCDP.

[243]  Dans le cas en l’espèce, j’estime que les insultes de M. Marshall, exprimant des préjugés raciaux envers les Premières Nations, sont hautement répréhensibles. Le message doit être clair que l’emploi de ce genre d’insultes doit être évité et découragé. J’estime qu’une indemnité spéciale d’une valeur de 2 000 $, quant à l’acte inconsidéré, est suffisante pour remplir ces objectifs en vertu du paragraphe 53(3) LCDP.

B.  Discrimination en vertu de l’article 7 LCDP quant au licenciement

[244]  La preuve révèle que M. Willcott a déjà été compensé pour les salaires perdus en raison de son licenciement. Cela est confirmé par la décision de l’arbitre Mme Gee du 8 janvier 2015. Cette compensation remet M. Willcott dans l’état où il aurait été, si le licenciement n’y avait pas eu lieu. Ce faisant, je ne peux le dédommager pour cet acte discriminatoire puisque cela constituerait de la double indemnisation et l’enrichirait indûment (voir Brunskill, précité, au par. 157 et Yaffa c. Air Canada, 2016 TCDP 4, au par. 29).

[245]  Cela dit, l’arbitre n’a pas ordonné d’indemnité spéciale ou de dommages pour préjudice moral au sens de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) LCDP. Considérant que le licenciement était aussi discriminatoire, M. Willcott peut recevoir compensation en vertu de la LCDP.

[246]  Comme expliqué dans les paragraphes précédents, M. Willcott a vécu beaucoup de frustrations en raison des événements impliquant M. Marshall, incluant son licenciement. Lorsqu’il a tenté d’en discuter avec M. Felix, il essayait de comprendre la situation. Il croyait sincèrement que M. Marshall l’avait congédié parce qu’il avait quelque chose contre lui.  

[247]  Il a également témoigné à l’effet qu’il n’a pas occupé d’emploi immédiatement après son licenciement. De ce fait, il a perdu son appartement et a été obligé d’entreprendre un processus de proposition du consommateur. M. Willcott a aussi expliqué avoir habité dans son camion en février 2014 pour finalement trouver refuge chez un ami.

[248]  Je ne peux ignorer ces événements. Il est clair pour moi que tout cela découle, entre autres, de son licenciement. Le Tribunal doit prendre cela en considération dans la détermination de la somme à accorder pour préjudice moral. M. Willcott a le droit d’être dédommagé pour ces souffrances.

[249]  Je suis, encore une fois, d’avis qu’il ne s’agit pas d’un cas qui commande des dommages pour le montant maximal de 20 000 $ prévu par la LCDP. Considérant les circonstances, je juge toutefois qu’un montant de 3 000 $ est raisonnable (alinéa 53(2)e) LCDP).

[250]  Quant à l’indemnité spéciale, je ne peux ignorer les événements qui se sont déroulés avant le licenciement de M. Willcott, notamment les insultes raciales et discriminatoires de M. Marshall.

[251]  La preuve révèle que M. Marshall avait décidément quelque chose contre M. Willcott, notamment en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique. M. Marshall a exprimé à différentes reprises qu’il s’assurerait que M. Willcott serait le premier à sortir de la compagnie. M. Marshall a également tenté, par différents moyens, d’énerver M. Willcott. Je ne peux ignorer ces éléments. Finalement, M. Marshall a obtenu ce qu’il voulait : M. Willcott a été le premier camionneur à être expulsé de la compagnie. 

[252]  Je conclus que le licenciement de M. Willcott par M. Marshal, directeur général de Freeway était délibéré. Il serait difficile d’en conclure autrement. J’accorderai à M. Willcott une indemnité spéciale de 2 000$ en vertu du paragraphe 53(4) LCDP.

C.  Discrimination en vertu de l’article 7 LCDP suivant la réintégration au travail

[253]  J’ai déjà déterminé qu’entre le 20 juin 2014 et le 28 avril 2015, Freeway s’était acquittée de ses obligations en vertu de la LCDP.

[254]  Cela dit, après le 28 avril 2015, et jusqu’au 1er février2016, Freeway n’a pas été en mesure de me convaincre qu’elle a rempli ses obligations en vertu de la LCDP. Ce faisant, M. Willcott est en droit de se voir compenser pour les salaires qu’il a perdus durant cette période.

[255]  Comme je l’ai exprimé précédemment, j’ai fixé le salaire annuel de M. Willcott à 53 655,21 $. Il s’agit d’une somme intermédiaire entre une bonne année de travail (2012) et une moins bonne année de travail (2013).

[256]  M. Willcott a déposé à l’audience tous ses relevés d’impôts du Gouvernement du Canada (relevés T4) de 2015 et 2016. Cela me permet ainsi de déterminer quels sont les revenus qu’il a gagnés pour ces deux années précisément. M. Willcott a travaillé pour différentes compagnies en 2015 et en 2016, ce qui me permet de conclure qu’il a tenté d’atténuer ses dommages (Premakumar c. Air Canada, 2002-02-04, D.T. 03/02, au par. 92; Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401; Canada (Procureur général) c. McAlpine, [1989] 3 C.F. 530).

[257]  De plus, il est reconnu que le Tribunal ne peut doublement indemniser une partie plaignante (voir Yaffa c. Air Canada, 2016 TCDP 4, au par. 29; Palm c. International Longshore and Warehouse Union, Local 500, 2011 TCDP 12, au par. 17). Par contre, je peux indemniser M. Willcott pour le salaire qu’il a perdu en raison de la discrimination. Cela est également cohérent avec l’alinéa 53(2)c) LCDP, qui prévoit que le membre instructeur peut « indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entrainées par l’acte discriminatoire ».

[258]  Entre le 28 avril 2015 et le 31 décembre 2015, M. Willcott peut être indemnisé pour 177 jours de travail. Entre le 1er janvier 2016 et le 1er février 2016, M. Willcott peut être indemnisé pour 22 jours de travail.

[259]  Afin que le calcul des pertes de salaire soit juste et raisonnable, je dois calculer les gains et revenus de M. Willcott pour chaque année (2015 et 2016). Ensuite, le manque à gagner des salaires qu’il aurait perçus, s’il n’y avait pas eu question de  discrimination, devra être payé par Freeway. Je rappelle que son salaire annuel intermédiaire et fictif a été établi à 53 655,21 $.

[260]  Ainsi, en 2015, M. Willcott a gagné les revenus suivants :

  • Trebor Personnel Inc.

  • 6 105,97 $

  • C&R Paving Inc.

  • 1 458,24 $

  • Witzke’s Greenhouses LTD

  • 8 382,46 $

  • Freeway Transportation Inc.

  • 3 302,67 $

[261]  Le total de ses revenus d’emploi en 2015 est 19 249, 34 $. Comme son salaire fictif est de 53 655,21 $, il y a donc un manque à gagner de 34 405,87 $. Il faut ainsi faire le prorata des salaires perdus pour 177 jours de travail, considérant qu’une année complète comprend approximativement 260 jours de travail. Les salaires perdus sont ainsi de 23 422,46$.

[262]  En 2016, M. Willcott a gagné les revenus suivants :

  • Witzke’s Greenhouses LTD

  • 11 413,20 $

  • Trebor Personnel Inc.

  • 344,08 $

  • Freeway Transportation Inc.

  • 2 171,32 $

[263]  Le total de ses revenus d’emploi en 2016 est 13 928,60 $. Comme son salaire fictif est de 53 655,21 $, il y a ainsi un manque à gagner de 39 726,61 $. Il faut, encore une fois, faire le prorata des salaires perdus pour 22 jours de travail en 2016, considérant qu’une année complète comprend approximativement 260 jours de travail. Les salaires perdus sont en conséquence de 3 361,48 $.

[264]  Selon la preuve déposée à l’audience, M. Willcott a perdu en salaire, pour la période s’échelonnant entre le 28 avril 2015 et le 1er février 2016, la somme totale de
26 783,94 $ qui doit lui être versé en application de l’alinéa 53(2)c) LCDP.

[265]  M. Willcott doit être entièrement remboursé pour les salaires qu’il a perdus en 2015 et en 2016. Par contre, il est important de mentionner que la preuve révèle que M. Willcott a bénéficié de prestations d’assurance-emploi en 2015 et en 2016. Ce sera à lui et à Freeway de veiller à se conformer à la Loi sur l’assurance-emploi [LAE], L.C. (1996), ch.23, notamment quant aux remboursements possibles des prestations d’assurance-emploi reçues par M. Willcott (voir par exemple articles 45 et 46 LAE).

[266]  En ce qui a trait à l’indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3) LCDP, je suis d’avis que rien dans la preuve n’appuie l’idée que Freeway ait agi délibérément ou de manière inconsidérée entre le 28 avril 2015 et le 1er février 2016.

[267]  En ce qui a trait au préjudice moral, je suis effectivement d’avis que M. Willcott a le droit de recevoir une compensation pour préjudice moral. Cela dit, la situation ne commande pas une réparation à la hauteur de 20 000 $ comme demandé par M. Willcott (alinéa 53(2)e) LCDP).

[268]  Lorsque je lis les courriels déposés à l’audience qui ont été envoyés par M. Willcott à Mme Crawford le 20 avril et le 28 avril 2015, il est clair que M. Willcott désirait retourner au travail. Il avait des difficultés à comprendre comment le processus pouvait prendre autant de temps. Il croyait sincèrement que Freeway prolongeait les délais indûment et injustement. C’est également ce qu’il a expliqué lors de son témoignage. Il sentait que la compagnie le traitait de manière différente, et il demandait que les divers abus à son endroit s’arrêtent. Il a également exprimé le stress que la situation lui causait. En avril 2015, il a réitéré cette souffrance et cette incompréhension, et il a exprimé son désir de reprendre son travail dans ses correspondances à Mme Crawford.

[269]  Je crois que la preuve qui m’a été soumise est suffisante pour déterminer que M. Willcott a souffert de la situation après sa réintégration en juin 2014. Il ne peut cependant pas être indemnisé qu’à partir du 28 avril 2015, moment où j’ai décidé de l’existence de la discrimination.

[270]  Rappelons-nous que la LCDP a pour objet l’épanouissement de l’individu. Cet individu peut se créer la vie qu’il est capable d’avoir et qu’il désire avoir (article 2 LCDP. Voir également Brunskill, précité, aux par. 96 et 97). M. Willcott a souffert de ne pas pouvoir se créer la vie qu’il désirait avoir et était capable d’avoir. Ce qu’il voulait, c’était retourner travailler pour Freeway, ce qui ne s’est pas produit.  

[271]  Dans les circonstances, j’accorderai pour cet acte discriminatoire une somme de 2 000$ en vertu de l’alinéa 53(2)e) LCDP.

D.  Remboursement des montants de prescription de marijuana médicinale

[272]  M. Willcott a demandé au Tribunal d’ordonner à Freeway de lui rembourser les montants de ses prescriptions de marijuana médicinale pour un montant total de 7967,45 $

[273]  M. Willcott n’a pas mis en preuve comment ces dommages découlaient des actes discriminatoires commis par Freeway. Le Tribunal peut accorder à la victime les droits, chances ou avantages dont l’acte discriminatoire l’a privé (alinéa 53(2)b) LCDP). Le Tribunal peut aussi indemniser la victime pour les dépenses entrainées par l’acte (alinéa 53(2)c) LCDP).

[274]  Que j’analyse la réclamation sous l’un ou l’autre de ces alinéas, rien dans la preuve ne me permet de conclure que le remboursement des prescriptions de marijuana médicinale de M. Willcott est de quelconque manière lié aux actes discriminatoires commis par Freeway.

[275]  M. Willcott était toujours considéré à l’emploi de Freeway et donc, pouvait bénéficier du régime de prestations de son employeur incluant les assurances. M. Willcott a déposé à l’audience le courriel de l’assureur de Freeway, MDM Insurance Services inc. Ce courriel indique que la marijuana médicinale n’est pas couverte par son plan d’assurance. C’est l’assureur, et non Freeway, qui a pris cette décision à la lumière du plan de M. Willcott. Ce faisant, cela n’a rien à voir avec la plainte en elle-même et les actes discriminatoires commis par Freeway.

[276]  Pour ces motifs, je rejette cette réclamation de M. Willcott.

VII.  Intérêts

[277]  Les intérêts avant jugement ne sont pas une catégorie distincte des dommages-intérêts qu’une partie plaignante peut réclamer. Les intérêts font partie de l’ensemble de la réclamation. Ce faisant, il n’est pas nécessaire de les réclamer expressément puisqu’‘ils découlent naturellement de la perte originale.

[278]  Les intérêts constituent un élément du processus d’indemnisation. L’objectif de l’adjudication des dommages vise à remettre la personne lésée dans la situation où elle aurait été, s’il n’y avait pas eu question du préjudice subi (voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. [Apotex], [2001] 1 CF 495, aux par. 120 et 121).

[279]  De plus, les intérêts :

[…] sur l’indemnité ont comme objectifs, entre autres, d’empêcher la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire de tirer profit des délais qui sont engendrés par le processus quasi judiciaire et surtout, de compenser équitablement la victime de l’acte discriminatoire pour le préjudice qu’elle a subi et par le fait même, du retard à être indemnisée.

(Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2019 TCDP 18, au par. 318. La même idée est exprimée dans Apotex, précité, au par. 122).

[280]  Le membre instructeur jouit d’une discrétion afin d’accorder des intérêts sur les dommages et les sommes accordées (voir Brunskill, précité, au par. 168). Le paragraphe 53(4) LCDP se lie comme suite :

Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

[Je mets l’emphase]

[281]  Le Tribunal s’est aussi doté de règles en matière de calcul des intérêts sur les dommages. À cet effet, la règle 9(12) des Règles de procédure (03-05-04) prévoit que :

9(12) À moins d’ordonnance contraire de la part du membre instructeur, tous les intérêts accordés conformément au paragraphe 53(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne doivent

  • a) être calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle);

  • b) courir de la date où l’acte discriminatoire s’est produit jusqu’à la date du versement de l’indemnité.

[282]  La conjonction du paragraphe 53(4) LCDP et de la règle 9(12) des Règles de procédure informent clairement les parties que lorsqu’elles procèdent devant le Tribunal, le membre instructeur a la discrétion pour ordonner des intérêts sur les indemnités. Elles sont également au courant de la manière dont il pourra calculer les intérêts et à compter de quelle date les intérêts courront, c’est-à-dire à la date où l’acte discriminatoire s’est produit, et ce, jusqu’à la date du versement de l’indemnité.

VIII.  La décision

[283]  Pour tous ces motifs, je conclus que la plainte de M. Willcott est partiellement fondée. En conséquence, j’ordonne à Freeway Transportation Inc. de verser à M. Corey Willcott les sommes suivantes.

[284]  Indemnisation pour pertes de salaires (alinéa 53(2)c) LCDP) :

1.  206,37 $, les intérêts courent en date du 7 juin 2013;

2.  206,37 $, les intérêts courent en date du 25 octobre 2013;

3.  206,37 $, les intérêts courent en date du 27 octobre 2013;

4.  26 783,94 $, les intérêts courent en date du 28 avril 2015;

[285]  Indemnisation pour préjudice moral (alinéa 53(2)e) LCDP) :

1.  2 000 $, les intérêts courent en date du 6 mars 2013;

2.  3 000 $, les intérêts courent en date du 28 novembre 2013;

3.  2 000 $, les intérêts courent en date du 28 avril 2015;

[286]  Indemnisation spéciale (paragraphe 53(3) LCDP) :

1.  500$, les intérêts courent en date du 27 octobre 2013;

2.  2 000$, les intérêts courent en date du 6 mars 2013;

3.  2 000$, les intérêts courent en date du 28 novembre 2013.

[287]  Tous les intérêts sont calculés à taux simple sur une base annuelle en se basant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle) (paragraphe 53(4) LCDP et de la Règle 9(12) Règles de procédures du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04).

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 13 août 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2149/2316

Intitulé de la cause : Corey Willcott c. Freeway Transportation Inc.

Date de la décision du tribunal : Le 13 août 2019

Date et lieu de l’audience : Novembre 19 – 23, 2018

Toronto (Ontario)

Comparutions :

Corey Willcott, pour lui même

Aucune comparution pour la Commission canadienne des droits de la personne

Joseph Morrison, pour l'intimée

 

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