Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence : 2018 TCDP 33

Date : 19 décembre 2018

Dossiers nos : T2106/2215 et T2107/2315

Entre :

N.A.

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

1416992 Ontario Ltd. et L.C.

les intimés

Décision

Membre : J. Dena Bryan

 



I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une décision portant sur deux plaintes réunies, toutes deux datées du 4 juin 2014. La première plainte a été déposée par la plaignante contre son ancien collègue, le particulier intimé. La seconde plainte a été déposée contre son ancien employeur, la société intimée 1416992 Ontario Ltd, exploitée sous le nom d’ATL Logistics. Les allégations découlent de la période d’emploi de la plaignante, soit du 3 octobre 2011 au 25 janvier 2012.  

[2]  Selon la plainte, le particulier intimé et la société intimée ont agi de manière discriminatoire à l’endroit de la plaignante pour des motifs fondés sur le sexe pendant que celle-ci travaillait comme commis de bureau pour la société intimée. La plaignante dit avoir été victime d’une série d’actes de harcèlement sexuel de la part du particulier intimé, y compris des demandes et des commentaires importuns à caractère sexuel, que la plaignante a perçus comme intimidants, injurieux et offensants. 

[3]  La plaignante allègue qu’elle a informé la directrice de bureau de la société intimée de la conduite offensante du particulier intimé à son égard. La plaignante allègue également qu’elle a informé l’épouse du propriétaire de la société intimée de la conduite offensante du particulier intimé à son égard. La plaignante allègue qu’à la suite de ses plaintes concernant la conduite offensante du particulier intimé à son égard, la société intimée n’a pas fait enquête sur sa plainte ni mis fin au comportement offensant du particulier intimé. La plaignante allègue que la société intimée a réduit ses heures de travail et modifié ses fonctions.

[4]  Le 25 janvier 2016, le propriétaire de la société intimée a tenu une réunion à son bureau, à laquelle ont participé la plaignante, le particulier intimé et d’autres collègues. La plaignante allègue que le propriétaire de la société intimée l’a confrontée de façon inappropriée au sujet de sa plainte contre le particulier intimé, qu’il a agi avec colère et agressivité envers elle, ce qui l’a fait se sentir gênée, humiliée et effrayée. La plaignante allègue qu’elle a fui le lieu de travail après la réunion et qu’elle a attendu des nouvelles de la société intimée pour savoir si elle pouvait retourner au travail dans le bâtiment de bureaux principal plutôt que de travailler seule avec le particulier intimé dans le bâtiment de répartition.

[5]  Le 25 août 2015, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la LCDP), la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé au président du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) de désigner un membre pour instruire la plainte.

[6]  La plaignante a déposé un exposé des précisions contenant les détails de sa plainte. La Commission a déposé un exposé des précisions contenant les détails de la plainte. La société intimée a déposé un exposé des précisions pour répondre à la plainte et énoncer les détails de sa défense. La plaignante a déposé une réplique à l’exposé des précisions de la société intimée. 

[7]  Me Warsame a représenté la Commission tout au long de la procédure. La société intimée a participé à la procédure, quoique de façon sporadique, et était représentée par un avocat à certaines conférences de gestion de l’instance. Immédiatement avant et pendant l’audience, la société intimée était représentée par le fils du propriétaire. La plaignante s’est représentée elle-même tout au long de la procédure.

[8]  Le particulier intimé, bien qu’on lui en ait donné l’occasion, n’a pas produit d’exposé des précisions ou de documents et n’a pas déposé de réponse à la plainte ni aux exposés des précisions déposés par les autres parties. À certains moments, les coordonnées du particulier intimé n’étaient pas à la disposition du greffe. 

[9]  Compte tenu de la participation irrégulière et peu fréquente du particulier intimé aux téléconférences de gestion de l’instance, celui-ci a été informé avant le début de l’audience que s’il ne fournissait pas de documents lors du processus habituel de divulgation préalable à l’audience, ne préparait pas de liste de témoins ou n’indiquait pas s’il comptait participer à l’audience en appelant des témoins ou en contre-interrogeant des témoins, sa participation pourrait se limiter à être un témoin et à présenter des observations finales. Le particulier intimé n’a pas déposé de documents ni donné un avis de son intention de convoquer des témoins et de contre-interroger des témoins. 

[10]  La société intimée a appelé le particulier intimé à témoigner le 27 juillet 2016. Le particulier intimé a assisté à l’audience un certain nombre de jours, arrivant après le début de l’audience, s’assoyant au fond de la salle et repartant avant la fin des témoignages de la journée. À une occasion, il est arrivé au beau milieu du contre-interrogatoire d’un témoin et a indiqué qu’il aimerait le contre-interroger. Comme il n’avait pas assisté à l’interrogatoire principal ni au contre-interrogatoire du témoin et qu’il n’avait pas avisé le Tribunal de son intention d’assister à l’audience et de participer ce jour-là, le Tribunal a informé le particulier intimé que sa demande de contre-interrogatoire ne pouvait être acceptée à court préavis et qu’elle retarderait ou prolongerait de façon excessive le témoignage du témoin. Le particulier intimé a informé le Tribunal qu’il avait l’intention de présenter des observations finales le dernier jour de l’audience, mais il ne s’est pas présenté.

[11]  L’audience a duré cinq jours et s’est déroulée à Brampton, en Ontario, du 25 au 29 juillet 2016. En tout, neuf témoins ont été entendus. 

[12]  Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal a conclu que les plaintes portées contre le particulier intimé et la société intimée, pour des motifs de harcèlement sexuel en tant qu’acte discriminatoire au sens de l’article 14 de la LCDP, sont fondées.

II.  Questions préliminaires

Demande d’exclusion de témoins

[13]  Dans les échanges de courriels préalables à l’audience, la société intimée a demandé l’exclusion des témoins. La Commission et la plaignante ne s’y sont pas opposées et cette demande a donc été acceptée.

[14]  Dans le contexte de la discussion concernant l’exclusion des témoins, le Tribunal a informé les parties que les membres du public non identifiés ne seraient pas autorisés à entrer dans la salle d’audience sans préavis, et toutes les parties ont accepté cette façon de faire.

Demande d’ordonnance de confidentialité

[15]  Lors d’une téléconférence de gestion de l’instance tenue juste avant l’audience, la plaignante s’est dite préoccupée par le fait que les décisions du Tribunal sont publiées sur le site Web du Tribunal et sur CanLII, et que ses enfants et d’autres personnes pourraient consulter la décision et lire les détails explicites de ce que le particulier intimé lui aurait dit. La plaignante a demandé que la décision publiée ne fasse pas mention de son nom au complet.

[16]  Au début de l’audience, la requête de la plaignante en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité a été abordée en tant que question préliminaire. La société intimée n’avait pas d’objection et a fait sa propre demande pour que la mention de sa dénomination commerciale, ATL Logistics, ne figure pas dans l’en-tête puisqu’elle avait vendu les actifs de la société et que les acquéreurs utilisaient la dénomination commerciale ATL Logistics. La société intimée a conservé la société à numéro pour agir à titre d’intimée dans la présente plainte. Le propriétaire de la société intimée a également demandé que ses initiales soient utilisées. Au cours de l’audience, le fils du propriétaire a également demandé que ses initiales soient utilisées. 

[17]  La plaignante ne s’est pas opposée à la demande de la société intimée de retirer la dénomination commerciale « ATL Logistics » de l’en-tête et d’utiliser les initiales du propriétaire de la société intimée.

[18]  La Commission ne s’est pas opposée à la demande de la plaignante d’utiliser ses initiales ni à la demande de la société intimée de retirer la dénomination commerciale « ATL Logistics » de l’en-tête et d’utiliser les initiales du propriétaire de la société intimée. 

[19]  Le particulier intimé n’était pas présent au début de l’audience, mais il est arrivé avant la présentation des exposés préliminaires et a assisté à la discussion concernant l’ordonnance de confidentialité. Il n’avait aucune objection aux demandes des parties d’utiliser leurs initiales et a confirmé qu’il aimerait que ses initiales soient également utilisées. La plaignante, la Commission et la société intimée ne se sont pas opposées à la demande du particulier intimé.

[20]  À l’audience, j’ai accueilli la demande d’ordonnance de confidentialité des parties. Voici les motifs de cette décision.

[21]  L’article 52 de la LCDP prévoit que l’instruction d’un dossier devant le Tribunal devrait être publique, mais il prévoit aussi que le Tribunal peut, dans des circonstances bien précises, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu’il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de l’instruction. Ces circonstances bien précises sont définies au paragraphe 52(1) de la LCDP.

[22]  Selon l’alinéa 52(1)c) de la LCDP, le Tribunal peut prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu qu’il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres, de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.  

[23]  La Commission prend également note de la décision A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35, qui confirme le pouvoir des tribunaux d’utiliser les initiales pour assurer la confidentialité en l’espèce. Dans Eazy Express Inc., la Commission a demandé au Tribunal d’identifier la plaignante, un témoin et deux autres personnes qui n’ont pas témoigné, de préférence par des initiales autres que les leurs. Selon la Commission, les questions personnelles, qui ne traitaient pas de discrimination, abordées au cours de l’audience causeraient un préjudice injustifié aux intéressés si les faits en cause étaient rendus publics. L’intimée s’est opposée à la demande de la Commission.

[24]  Le Tribunal était d’accord pour dire que certaines des questions personnelles qui ont été abordées à l’audience pourraient éventuellement nuire à la plaignante et à un autre témoin si elles étaient divulguées. Le Tribunal a décidé d’anonymiser la décision en utilisant des initiales pour identifier la plaignante et l’un des témoins.

[25]  Enfin, la Commission prend note de la décision Wall c. University of Waterloo (1995), 27 CHRR D/44 (Comm. d’enq. de l’Ont.). Le particulier intimé dans cette affaire a demandé une ordonnance de non-publication des éléments de preuve qui le concernaient. Il était un représentant élu et ne voulait pas que les allégations aient une [traduction] « incidence indue sur sa réputation publique ». En premier lieu, le Tribunal a rendu une ordonnance interdisant la publication du nom du particulier intimé en attendant la publication de la décision.

[26]  Par la suite, la Commission a demandé une ordonnance interdisant la publication du nom de la plaignante, et l’université intimée a également demandé une ordonnance interdisant la publication de son nom, soutenant qu’il serait injuste d’imposer une ordonnance de non-publication pour une seule partie et que l’ordonnance devrait être accordée à toutes les parties qui l’ont demandée. Le Tribunal a rendu une ordonnance interdisant la publication des noms des parties jusqu’à ce que la décision soit rendue parce que toutes les parties l’avaient demandée. Le Tribunal a examiné la jurisprudence et les lois provinciales concernant les audiences à huis clos et les ordonnances de non-publication.

[27]  Dans la décision Guzman c. T, [1997] BCCHRD No 1, 27 CHRR D/349, le Tribunal a cité le principe juridique selon lequel les tribunaux sont maîtres de leur propre procédure et de leurs propres processus, y compris la publication de renseignements d’identification (paragraphes 9 et 10).

[28]  En l’espèce, aucune des parties n’a demandé une audience à huis clos ou une interdiction de publication, de sorte qu’il n’y a aucune incidence sur l’intérêt public à l’égard des audiences sur les droits de la personne. La plaignante a demandé que ses initiales soient utilisées parce que les détails de ce qu’elle prétend que l’intimé lui a dit et fait n’avaient pas été communiqués à ses jeunes filles, et parce qu’elle ne voulait pas qu’elles ou d’autres membres de sa famille et amis lisent les détails en ligne. Les autres parties n’ont pas soulevé d’objection et ont aussi demandé l’utilisation des initiales dans la décision publique pour protéger leur identité.

[29]  Compte tenu de l’accord des parties sur la question de la confidentialité et conformément à l’alinéa 52(1)c) de la LCDP, je suis persuadée que la divulgation publique des documents particulièrement délicats pourrait causer un préjudice indu à la plaignante, au particulier intimé et à la société intimée. J’estime donc qu’il convient d’assurer la confidentialité des parties, comme demandé. En conséquence, le particulier intimé est ci­après désigné par ses initiales « L.C. ». Le propriétaire de la société intimée est ci­après désigné le « propriétaire ». Le fils du propriétaire est ci-après désigné par les initiales « A.S. ». La société intimée sera désignée comme telle tout au long du document et le nom de la société à numéro sera utilisé dans l’intitulé. La plaignante est ci-après désignée par les initiales « N.A. ».  

[30]  Après avoir accueilli la demande de confidentialité initiale des parties, le Tribunal a décidé, de sa propre initiative, que tous les documents déposés en preuve faisant référence aux parties susmentionnées devraient également être caviardés en conséquence pour donner suite à la demande de confidentialité initiale des parties.

III.  Cadre juridique

[31]  La plainte est présentée en vertu de deux articles de la LCDP, soit les articles 7 et 14. Suivant l’alinéa 7a) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu. Suivant l’alinéa 14(1)c) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d’emploi. Le paragraphe 14(2) de la LCDP prévoit expressément que le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

A.   Preuve prima facie de harcèlement sexuel

[32]  Il incombe à la plaignante d’établir une preuve prima facie de harcèlement sexuel. Pour établir une preuve prima facie de harcèlement sexuel au titre de l’article 14 de la LCDP, la plaignante doit établir que le particulier intimé l’a harcelée sexuellement sur le lieu de travail ou dans le cadre de son emploi.

[33]  Une preuve prima facie de discrimination est « […] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), au paragraphe 28, ci-après « Simpsons-Sears »).

[34]  Le degré de preuve requis pour établir une preuve prima facie de discrimination a été abordé dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 RCS 789 (ci-après « Bombardier »), dans le contexte de la Charte québécoise des droits et libertés. La Cour a confirmé que le plaignant devait satisfaire à la norme de preuve selon la prépondérance des probabilités, et que le renvoi à une preuve prima facie ne signifiait pas un fardeau de preuve moins lourd : 

[65] En conséquence, l’utilisation de l’expression « discrimination prima facie » ne doit pas être assimilée à un allègement de l’obligation du demandeur de convaincre le tribunal selon la norme de la prépondérance des probabilités, laquelle continue toujours de lui incomber. Le passage de l’arrêt O’Malley cité plus haut appuie d’ailleurs cette conclusion. La Cour y affirme qu’il faut une preuve « complète et suffisante », soit une preuve qui correspond au degré de preuve requis en droit civil. Sauf exception prévue par la loi, il n’existe en droit québécois qu’un seul degré de preuve en matière civile, la prépondérance des probabilités : art. 2804 du Code civil du Québec; voir aussi Banque Canadienne Nationale c. Mastracchio, 1961 CanLII 88 (SCC), [1962] R.C.S. 53, p. 57; Rousseau c. Bennett, 1955 CanLII 84 (SCC), [1956] R.C.S. 89, p. 92-93; Parent c. Lapointe, 1952 CanLII 1 (SCC), [1952] 1 R.C.S. 376, p. 380 […]

[35]  Lorsqu’un plaignant établit une preuve prima facie de discrimination, il a droit à un redressement en l’absence de justification de la part de l’employeur (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208; Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 18).  

[36]  Dans l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, à la page 1284, la Cour a décrit le harcèlement sexuel de la manière suivante : 

Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j’estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement. C’est un abus de pouvoir, comme l’a souligné l’arbitre Shime dans la décision Bell v. Ladas, précitée, et comme cela a été largement reconnu par d’autres arbitres et commentateurs. Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain. 

[37]  Dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées) et Franke, 1999 CanLII 18902 (CF), [1999] 3 CF 653, la Cour a conclu que, pour qu’une allégation de harcèlement sexuel soit confirmée, les points qui suivent doivent être établis :

  1. les actes qui constituent le fondement de la plainte doivent être importuns, ou devraient être jugés importuns par une personne raisonnable;
  2. la conduite doit être de nature sexuelle;
  3. normalement, le harcèlement sexuel exige un degré de persistance ou de gravité de la conduite, mais, dans certaines circonstances, un seul incident peut être suffisamment grave pour créer un milieu de travail empoisonné ou hostile;
  4. lorsque le harcèlement sexuel a lieu dans un milieu de travail et que l’employeur a un service du personnel et une politique anti-harcèlement sexuel efficace, la victime de harcèlement doit aviser l’employeur de la présumée conduite offensante.

À la page 662, la Cour a ainsi décrit les éléments d’une conduite « non sollicitée » :

[…]

Afin de déterminer si la conduite est importune, le tribunal tient compte de la réaction de la plaignante au moment où l’événement en question s’est produit et détermine si celle-ci a expressément démontré, par son comportement, que la conduite était importune. Si la preuve montre que la plaignante a bien accueilli la conduite, la plainte sera rejetée.

[…]

Le degré de difficulté dépend du genre d’activité en cause : normalement, des avances sexuelles pressantes entraîneront rapidement un refus. Des sollicitations plus subtiles ou des insinuations « verbales » peuvent être ignorées et partant être simplement endurées par la plaignante.

Il n’est donc pas nécessaire de déterminer si un refus verbal a été exprimé dans tous les cas. Néanmoins, la plaignante doit établir, par exemple au moyen de son langage corporel ou en omettant à maintes reprises de répondre aux commentaires suggestifs, qu’elle a de quelque façon signalé à l’auteur du harcèlement que sa conduite était importune. Je ne me prononcerai pas sur les circonstances restreintes qui peuvent obliger l’employé à endurer une conduite répréhensible, comme la crainte de perdre son emploi. En pareil cas, la norme à appliquer en vue d’apprécier la conduite est celle de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances.

À la page 662, la Cour a décrit les éléments de « nature sexuelle » :

[…]

Le harcèlement sexuel est une pratique de nature sexuelle qui compromet l’emploi d’un individu, a des effets négatifs sur l’exécution de son travail ou porte atteinte à sa dignité personnelle.

[…]

Le harcèlement sexuel peut se manifester tant sur le plan physique que psychologique. Ses formes les moins graves comprennent les insinuations verbales et les marques d’affection importunes. Le harcèlement sexuel peut cependant prendre la forme d’un comportement extrême comme la tentative de viol ou le viol. Physiquement, il peut s’agir d’étreintes, d’attouchements, de frôlements, de pincements ou de regards concupiscents. Psychologiquement, le harcèlement peut comporter des invitations continuelles à des rapports physiques intimes qui prennent d’abord la forme de sous-entendus et peuvent aller jusqu’aux demandes explicites de rendez-vous et de faveurs sexuelles.

[…]

Les tracasseries d’ordre sexuel, soit le second genre de harcèlement sexuel, découlent d’une conduite liée au sexe qui est hostile, intimidante ou offensante pour l’employé, mais qui n’a néanmoins aucun lien direct avec un avantage professionnel ou un préjudice tangibles. Cette conduite ennuyeuse crée plutôt un milieu de travail gênant et oblige en fait le travailleur à endurer cette ambiance comme condition de travail.  

Le second sous-groupe englobe toutes les autres conduites de nature sexuelle qui rabaissent ou humilient la personne visée et créent ainsi un milieu de travail offensant. Cela comprend les sarcasmes de nature sexuelle, les commentaires et gestes obscènes ou provocants et les contacts physiques offensants sur le plan sexuel.

[38]  La Cour a déclaré que la décision du tribunal quant à savoir si la conduite alléguée est « de nature sexuelle », « harcelante » ou « ennuyeuse » devrait être fondée sur les faits propres à l’affaire, compte tenu du critère de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances, et éviter les stéréotypes fondés sur le sexe au sujet de ce qui constitue une conduite sociale acceptable ou courante dans un lieu de travail dominé par un sexe.

[39]  En ce qui concerne la « persistance ou la gravité de la conduite », la Cour a déclaré, à la page 665 :

[…] un acte de harcèlement exige la présence d’un élément de persistance ou de répétition, même si […] un seul incident suffit peut-être pour créer un milieu de travail hostile.

[…] certaines formes de harcèlement sexuel, comme les agressions physiques, peuvent être suffisamment graves pour constituer en tant que telles du harcèlement sexuel. À cause de leur gravité, pareils incidents créeraient immédiatement un milieu de travail empoisonné […] une plaisanterie vulgaire d’ordre sexuel, bien qu’elle soit de mauvais goût, ne suffit généralement pas pour constituer du harcèlement sexuel et créerait rarement un milieu de travail défavorable.

Je souscris au critère de la proportionnalité que M. Drapeau a proposé dans l’ouvrage intitulé : Le harcèlement sexuel au travail :

[…] plus la conduite est grave et ses conséquences manifestes, moins la répétition sera exigée; à l’inverse, moins la conduite est grave et ses conséquences manifestes, plus la persistance devra être démontrée.

Ici encore, en déterminant si la conduite est suffisamment grave ou persistante pour empoisonner le milieu de travail, le juge des faits appliquera la norme objective de la « personne raisonnable » dans le contexte de l’affaire.

[40]  En ce qui concerne la « notification de l’employeur », la Cour a déclaré, aux pages 665 et 666 :

Dans l’arrêt Janzen, la Cour suprême n’a pas tenu compte de cet élément, mais je crois que l’équité exige que l’employé avise, si possible, l’employeur de la présumée conduite offensante.

[…] pour que les politiques sur le harcèlement sexuel soient efficaces, l’employé devrait à mon avis informer l’employeur des problèmes qui se posent, afin de donner à celui-ci la possibilité de remédier à la situation.

[…]

La politique relative au harcèlement sexuel vise à assurer un milieu de travail sain; par conséquent, plus des mesures seront prises rapidement en vue d’éliminer les actes de harcèlement, moins il sera probable que pareils actes nuisent au milieu de travail.

[41]  Ensemble, l’arrêt Janzen et la décision Franke définissent les éléments du harcèlement sexuel qui doivent être abordés dans la preuve de la plaignante pour établir une preuve prima facie de discrimination. Si la plaignante établit une preuve prima facie de discrimination, il incombe alors aux intimés d’établir selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y a pas eu harcèlement sexuel. En d’autres termes, ils doivent jeter le doute sur la fiabilité ou la crédibilité de la plaignante. 

[42]  En vertu de l’article 65 de la LCDP, l’employeur est réputé responsable du harcèlement sexuel à l’endroit de ses employés, à moins qu’il puisse être établi, conformément au paragraphe (2), que le harcèlement sexuel a eu lieu sans le consentement de l’employeur et que ce dernier a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher que l’acte ou l’omission ait lieu, ou, s’il a eu lieu malgré les mesures prises par l’employeur, que celui-ci a tenté d’atténuer ou d’annuler les effets néfastes du harcèlement sexuel sur l’employé.

[43]  L’article 65 de la LCDP est ainsi libellé :

65(1)  Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l’application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie.

(2)  La personne, l’organisme ou l’association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s’il établit que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets.

(Non souligné dans l’original.)

[44]  En vertu de cette disposition, l’employeur est responsable du harcèlement en milieu de travail dans le cas où celuici est fondé sur un ou plusieurs motifs illicites énumérés à l’article 3 de la LCDP, à moins qu’il puisse satisfaire aux critères de la défense fondée sur la diligence raisonnable énoncés au paragraphe 65(2) de la LCDP.

[45]  S’il y a eu harcèlement sexuel, il incombe à la société intimée d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le harcèlement sexuel a eu lieu sans son consentement et qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher que l’acte ou l’omission ne soit commis ou, s’il a été commis, qu’elle a pris des mesures pour tenter d’atténuer ou d’annuler les effets néfastes du harcèlement sexuel sur l’employé, conformément au paragraphe 65(2) de la LCDP. 

[46]  Dans l’arrêt Robichaud c Canada (Conseil du Trésor) (1987) 2 RCS 84, le juge La Forest a précisé, à la page 92, que la LCDP, tout comme la disposition sur la responsabilité de l’employeur :   

[…] ne vise pas à déterminer la faute ni à punir une conduite. Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer.

À la page 94, le juge poursuit :

[…] si la Loi s’intéresse aux effets de la discrimination plutôt qu’à ses causes (ou motifs qui la sous­tendent), force est de reconnaître que seul l’employeur peut remédier à des effets peu souhaitables; seul l’employeur est en mesure de fournir le redressement le plus important, celui d’un milieu de travail sain.

[47]  Dans la décision Hinds c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) (1988), 10 C.H.R.R. D/5683 (TCDP), au paragraphe 41611, le Tribunal a déclaré ce qui suit en appliquant le paragraphe 48(6) de la LCDP [le paragraphe 65(2) alors en vigueur] : 

Bien que la LCDP n’exige pas que l’employeur maintienne un milieu de travail irréprochable, elle demande toutefois qu’il prenne des mesures promptes et efficaces lorsqu’il sait, ou qu’il devrait savoir, que la conduite de certains employés dans le milieu de travail constitue du harcèlement raciste […] Pour se soustraire a la responsabilité, l’employeur doit prendre des mesures raisonnables pour atténuer, autant qu’il le peut, le malaise qui règne dans le milieu de travail et pour donner aux personnes intéressées l’assurance qu’il a la ferme volonté de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement raciste. La réaction appropriée est donc à la fois prompte et efficace et sa force doit être fonction des circonstances du harcèlement, dans chaque cas.

[48]  Ce devoir d’atténuation comprend un examen des mesures prises par une société intimée pour enquêter, tirer des conclusions et imposer un mécanisme de règlement. Dans la décision Sutton c. Jarvis Ryan Associates, et al., 2010 HRTO 2421, aux paragraphes 130 à 133, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a statué sur l’obligation de la société intimée d’enquêter sur une plainte de discrimination ou de harcèlement :

[traduction]

Il est bien établi dans la jurisprudence du Tribunal qu’un employeur peut être tenu responsable de la façon dont il répond à une plainte de discrimination. 

[49]  Le raisonnement qui sous-tend le devoir d’enquêter sur une plainte de discrimination est de veiller à ce que les droits en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code) soient efficaces. Ainsi qu’il est précisé dans la décision Laskowska c. Marineland of Canada Inc., 2005 HRTO 30 (CanLII) (« Laskowska »), au paragraphe 53 :  

[traduction]

Ce serait faire de la protection en vertu du paragraphe 5(1) visant à permettre un milieu de travail exempt de discrimination vide de sens si un employeur pouvait rester les bras croisés quand une plainte de discrimination a été faite et ne pas avoir à mener une enquête. Si tel était le cas, comment pourrait-il déterminer si un acte discriminatoire a été commis ou déterminer l’existence d’un milieu de travail empoisonné? Le devoir d’enquêter est un « moyen » qui permet à l’employeur de s’assurer qu’il atteint les « objectifs » dictés par le Code visant à offrir un environnement exempt de discrimination et à fournir à ses employés un environnement de travail sécuritaire.

[50]  La jurisprudence du Tribunal a établi que le devoir d’enquêter de l’employeur est soumis à la norme du caractère raisonnable, non pas à celles de l’exactitude ou de la perfection. Dans la décision Laskowska, le Tribunal a énoncé ainsi le critère pertinent dont doit tenir compte l’employeur dans son devoir d’enquêter : 

 [traduction]

  1. Après la plainte : la gravité de l’incident, la rapidité d’intervention, la prise en charge de son employé, l’enquête et la mesure prise : Après qu’une plainte interne a été formulée, l’employeur a-t-il traité le dossier sérieusement? A-t-il réglé la question rapidement et avec doigté? A-t-il mené une enquête et agi de manière raisonnable?
  2. Règlement de la plainte (y compris fournir au plaignant un environnement de travail sain) et communication : L’employeur a-t-il proposé une solution raisonnable dans les circonstances? Si le plaignant a choisi de retourner au travail, l’employeur pouvait-il lui assurer un environnement de travail sain, exempt de discrimination? A-t-il communiqué ses conclusions et interventions au plaignant?

[51]  Dans la décision Laskowska, le Tribunal a aussi déclaré ce qui suit au paragraphe 60 :

  [traduction]

Bien que les trois éléments ci-dessus soient de nature générale, leur application doit conserver une certaine souplesse pour tenir compte des faits propres à chaque cas. La norme est celle du caractère raisonnable, non pas celles de la décision correcte ou de la perfection. Il y aurait eu plusieurs options – toutes des mesures raisonnables – auxquelles aurait pu recourir l’employeur. Ce dernier n’est pas tenu de satisfaire à chacun des éléments dans tous les cas afin d’être considéré comme ayant agi de façon raisonnable, bien que ce serait l’exception plutôt que la norme. Il faut regarder chaque élément individuellement, puis dans l’ensemble avant de porter un jugement à savoir si l’employeur a agi de manière raisonnable.

IV.  Preuve présentée à l’audience

[52]  N.A. a décrit les actes et les commentaires que L.C. aurait dirigés contre elle et qu’elle a trouvés offensants. N.A. travaillait seule dans le bâtiment de répartition avec L.C., de sorte qu’il n’y avait aucun témoin du comportement offensant de L.C. à son égard. Elle a décrit les mesures qu’elle a prises pour traiter directement avec L.C., de même que les discussions qu’elle a eues avec sa superviseure et l’épouse du propriétaire. N.A. a déclaré que le comportement offensant de L.C. n’a pas cessé. La société intimée a réduit ses heures de travail et lui a demandé d’accomplir différentes tâches qu’elle trouvait difficiles et humiliantes, par exemple, nettoyer la salle de bain et aider le mécanicien dans le parc à camions.

[53]  Suivant les conseils du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, N.A. a écrit une lettre au propriétaire, qu’elle a remise à Mme Dinner le 25 janvier 2012 pour que cette dernière la remette au propriétaire. Le propriétaire a convoqué une réunion de groupe. N.A. a affirmé que le propriétaire l’a confrontée avec colère et agressivité au sujet de sa plainte à l’endroit de L.C. en présence de L.C. et d’autres collègues, ce qui l’a fait se sentir effrayée, humiliée et honteuse. N.A. a quitté les lieux après cette réunion et n’est pas revenue. N.A. a affirmé qu’elle espérait que la société intimée communique avec elle et accepte de déménager son bureau dans le bâtiment de bureaux principal. La société intimée n’a pas communiqué avec N.A. après la réunion au sujet de sa plainte à l’endroit du particulier intimé ni de sa demande de déménager son poste de travail dans le bâtiment de bureaux principal. Après quelques semaines sans aucune communication entre N.A. et la société intimée, cette dernière a produit un relevé d’emploi indiquant que N.A. avait quitté son emploi puisqu’elle n’était pas revenue depuis le 25 janvier 2012. 

[54]  N.A. et la Commission ont appelé Mme Janette Dinner, directrice de bureau de la société intimée et superviseure immédiate de N.A., à témoigner au sujet de la façon dont N.A. a signalé la conduite offensante et de la réaction de la société intimée. Mme Dinner a également raconté sa propre expérience au sujet du comportement de L.C. à son égard, qu’elle a trouvé offensant et qui a eu lieu en privé et sans témoins.

[55]  L.C., le particulier intimé, a été appelé à témoigner par la société intimée et a nié tous les commentaires et comportements à caractère sexuel allégués par N.A. et Mme Dinner. L.C. a laissé entendre que N.A. et Mme Dinner mentaient et que leurs fausses allégations étaient motivées par l’argent et/ou des préjugés raciaux à son égard.

[56]  La société intimée a cru L.C. lorsqu’il a nié avoir eu un comportement offensant et tenu des propos offensants à l’endroit de N.A. et de Mme Dinner. La société intimée a laissé entendre que N.A. mentait et était motivée par l’argent. La société intimée a laissé entendre que le témoignage de Mme Dinner était faux et qu’elle aidait indûment N.A. La société intimée a laissé entendre que la motivation de Mme Dinner était fondée sur un préjugé racial envers L.C. et qu’elle en voulait personnellement à la société intimée.

[57]  À titre subsidiaire, la société intimée a fait valoir que même si L.C. s’est comporté envers N.A. de la manière alléguée, la façon dont N.A. s’habille et partage des détails personnels intimes au travail aurait pu constituer une invitation ou un consentement au comportement de L.C. La société intimée a également reproché à Mme Dinner de ne pas avoir réglé la situation plus tôt, de ne pas avoir offert un milieu de travail exempt de harcèlement et de ne pas avoir avisé le propriétaire de la nature de la plainte de N.A. et de la façon de répondre à la plainte. En plus de L.C., la société intimée a fait comparaître cinq témoins.

[58]  Le 25 janvier 2012 a été le dernier jour de travail de N.A. Le 8 février 2012, la société intimée a produit un relevé d’emploi indiquant qu’elle avait démissionné étant donné qu’elle avait quitté son emploi. N.A. nie avoir démissionné et prétend qu’elle a fait l’objet d’un congédiement déguisé le 25 janvier 2012 ou après cette date.

[59]  Compte tenu du fait qu’il n’y a pas eu de témoins de la conduite alléguée de L.C. à l’égard de N.A. et de Mme Dinner, et que la preuve était contradictoire quant à la façon dont N.A. a signalé la conduite offensante, si elle l’a signalée, et quant à la connaissance de la plainte par la société intimée et à sa réponse, le cas échéant, le Tribunal doit évaluer la déposition orale de tous les témoins, évaluer leur fiabilité et leur crédibilité et tirer des conclusions de fait en se fondant sur les évaluations de la crédibilité.

[60]  En ce qui concerne l’évaluation de la fiabilité et de la crédibilité des témoins, le Tribunal a examiné la décision Faryna c. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.), qui porte sur la crédibilité et la fiabilité des témoins. Le juge O’Halloran a déclaré, à la p. 357 :

[traduction]

On ne peut évaluer la crédibilité d’un témoin intéressé, en particulier dans les cas de témoignages contradictoires, en se fondant exclusivement sur le point de savoir si son comportement personnel inspire la conviction qu’il dit la vérité. Il faut soumettre la version qu’il propose des faits à un examen raisonnable de sa compatibilité avec les probabilités afférentes à la situation considérée. Bref, le critère de véracité qu’on doit appliquer à la version du témoin dans un tel cas est sa conformité à la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée estimerait d’emblée raisonnable dans le lieu et la situation en question […]

1.  N.A. (la plaignante)

[61]  Après avoir été femme au foyer pendant 15 ans, N.A. a accepté un poste à temps partiel dans un café situé dans une station-service Petro-Canada près de chez elle. La société intimée était une entreprise de camionnage exerçant ses activités à proximité, de même qu’une cliente régulière de la station-service Petro-Canada. Lorsque la station­service Petro-Canada a été vendue, le propriétaire de la société intimée a offert à N.A. une entrevue d’emploi avec sa directrice de bureau, Mme Janette Dinner.

[62]  Mme Dinner a parlé à N.A. du poste d’adjointe de bureau, un emploi du lundi au vendredi, toute la journée jusqu’à 16 h ou 16 h 30. Un emploi à temps plein intéressait N.A., mais elle voulait être disponible lorsque ses enfants quitteraient l’école. N.A. a expliqué à Mme Dinner qu’elle devrait partir à 15 h 30 ou 15 h 45 chaque jour et Mme Dinner lui a dit que cela ne posait pas problème. N.A. a déclaré que Mme Dinner lui a dit qu’à la fin de sa période probatoire, son salaire horaire serait révisé et passerait probablement à 14,50 $ et que des avantages sociaux seraient envisagés. 

[63]  N.A. s’est vu offrir le poste à compter du 3 octobre 2011. L’offre d’emploi est marquée comme la pièce HR1, onglet 3, et confirme que N.A. devait rendre compte à Mme Dinner, qu’elle serait payée 12,50 $ l’heure pour la période probatoire de trois mois et qu’elle devait donner un préavis de deux semaines si elle démissionnait. L’offre mentionne [traduction] « une pause-repas non payée de 30 minutes est offerte si vous travaillez 5 heures ou plus ».

[64]  L’offre ne confirme pas ses heures de travail en ce qui concerne l’heure de début et de fin ou la durée d’une journée de travail. N.A. a déclaré qu’au départ, ses heures normales de travail étaient de 8 h 30 à 15 h 30, du lundi au vendredi.  

[65]  À la page 1 de la pièce marquée HR1, onglet 4, se trouve une photographie de deux bâtiments mobiles situés l’un à côté de l’autre, de sorte que les coins des bâtiments sont perpendiculaires l’un à l’autre. Dans le plus petit bâtiment, ci-après désigné le « bâtiment de répartition », N.A. travaillait aux côtés de L.C., le particulier intimé, qui occupait le poste de répartiteur (pièce HR1, onglet 4, pages 4 et 5). Les photographies montrent que le bureau de N.A. était très proche de celui de L.C. Les chauffeurs, le personnel, les candidats à l’emploi et d’autres personnes entraient fréquemment dans ce bâtiment pour utiliser les toilettes (pièce HR1, onglet 4, page 5) et/ou pour traiter avec L.C. ou N.A.

[66]  Dans le bâtiment plus grand, ci-après désigné le « bâtiment de bureaux principal », Mme Dinner et Mme Bushra Mohammed, l’épouse du propriétaire, avaient des bureaux adjacents (pièce HR-1, onglet 4, page 2) et le propriétaire de la société intimée avait un bureau à l’autre extrémité (pièce HR-1, onglet 4, page 3). 

[67]  Les premières fonctions de N.A. étaient des tâches de réception de base, comme répondre au téléphone et accueillir les visiteurs dans le bâtiment de répartition. Elle a graduellement reçu de la formation donnée par le propriétaire, son épouse et Mme Dinner, pour lui permettre d’assurer la répartition pendant de brèves périodes en l’absence de L.C., de faire une présélection des candidats à l’emploi, de monter des dossiers pour chaque chauffeur, de payer les factures Visa du propriétaire, de faire des appels de sollicitation auprès d’entreprises pour de la publicité sur les camions et de s’occuper de la paie. 

(i)  Conduite de L.C.

[68]  N.A. a déclaré que lorsqu’elle avait commencé à travailler le 3 octobre 2011, L.C. était amical et élogieux, lui disant qu’elle était jolie. Les commentaires, l’attitude et le comportement de L.C. se sont rapidement intensifiés pour devenir offensants, dégradants, humiliants et intimidants pour N.A., et elle a donné les exemples suivants :

(ii)  Réaction de N.A.

[69]  N.A. a déclaré qu’elle n’était pas offensée par les commentaires formulés par L.C. durant sa première semaine de travail, selon lesquels elle était jolie. Elle les considérait comme un compliment, et elle ne pensait pas qu’il la draguait.

[70]  N.A. a déclaré que lorsque L.C. avait commencé à lui demander de sortir avec lui, elle s’était rendu compte qu’il la draguait, ce qui la rendait très mal à l’aise. Elle a déclaré qu’au début, elle lui disait « non » ou lui demandait « d’arrêter » calmement et poliment. En réaction, son comportement s’est intensifié pour devenir offensant et agressif, ce que N.A. a trouvé intimidant, profondément embarrassant et humiliant parce que ses commentaires étaient tellement sexuellement explicites et menaçants. Il a formulé des commentaires plus modérés devant d’autres membres du personnel. N.A. affirme qu’elle était tellement embarrassée et à court de mots qu’elle baissait habituellement la tête et ignorait L.C. N.A. a décrit la façon dont la conduite de L.C. envers elle la dégoûtait et l’indignait, et elle ne savait pas quoi dire ou faire pour que L.C. arrête. N.A. a déclaré que L.C. se plaignait qu’elle n’était pas disposée à discuter de sexe comme l’était Cassandra, donc L.C. savait que N.A. ne voulait pas entendre le discours sexuellement explicite de L.C.

[71]  N.A. a affirmé que le comportement de L.C. à son égard faisait en sorte qu’il était difficile pour elle de venir travailler parce qu’elle savait qu’elle allait se retrouver seule avec lui la majeure partie de la journée au bureau de répartition. Bien qu’il n’ait reçu aucun encouragement ni aucune réponse de la part de N.A. aux propositions sexuelles, aux insinuations et aux invitations à avoir des rapports sexuels, L.C. serait devenu plus obscène et agressif au point de laisser entendre une agression sexuelle ou une strangulation. N.A. a affirmé avoir trouvé inquiétant le commentaire sur la strangulation.

[72]  N.A. a déclaré que L.C. lui avait dit un jour qu’il avait déjà travaillé comme répartiteur dans un centre d’appareils ménagers et qu’une femme s’était plainte qu’il la harcelait. L.C. a affirmé que son employeur avait réglé la plainte à l’amiable, de sorte qu’il n’y avait probablement aucun dossier à ce sujet. N.A. a déclaré qu’elle croyait que L.C. savait que son comportement était offensant et préjudiciable en raison de la plainte précédente. N.A. a déclaré qu’elle avait déposé sa plainte afin que L.C. ne puisse pas s’en tirer à nouveau.

[73]  N.A. a déclaré que la conduite de L.C. à son égard la faisait se sentir mal dans sa peau; elle se sentait rabaissée. Toute cette situation l’a profondément bouleversée et a eu d’importantes répercussions sur elle. Les enfants de N.A. ont constaté de quelle façon elle en a été atteinte, mais elle ne pouvait pas s’ouvrir à eux et leur dire ce qui s’était passé. Il lui a fallu du temps pour retrouver son équilibre.

(iii)  Rapport à l’employeur et réaction de l’employeur

[74]  N.A. a affirmé avoir hésité au début à se plaindre du comportement de L.C. parce qu’elle était en période de probation et qu’elle avait peur de risquer son emploi en se plaignant de lui. Elle a d’abord essayé de l’éviter, de lui dire non ou d’arrêter ou de l’ignorer. L.C. ne s’est pas arrêté, il a plutôt persisté et son comportement s’est intensifié.

[75]  N.A. a parlé pour la première fois à Mme Dinner du comportement de L.C. à son égard à la mi-novembre 2011. Elle a dit à Mme Dinner que L.C. lui demandait avec insistance de sortir avec lui et qu’il n’acceptait pas un « non » comme réponse. Elle était timide à l’idée de lui donner des détails explicites, mais elle faisait assez confiance à Mme Dinner à ce moment-là pour lui dire que L.C. lui faisait des avances. Mme Dinner a répondu que L.C. l’avait invitée à sortir avec lui à plusieurs reprises et elle a suggéré à N.A. de simplement l’ignorer.

[76]  N.A. a affirmé que lorsqu’elle avait soulevé la question auprès de Mme Dinner, elle souhaitait que celle-ci lui offre de déménager son bureau dans le bâtiment de bureaux principal pour ne pas avoir à être seule avec L.C. dans le bâtiment de répartition. Mais Mme Dinner a fait fi de ses préoccupations et la conversation n’est pas allée plus loin. Mme Dinner n’a pas dit à N.A. qu’elle allait faire quoi que ce soit d’autre et le comportement de L.C. n’a pas changé. 

[77]  N.A. a affirmé avoir travaillé tard le vendredi 13 janvier 2012, et que tout le monde était parti sauf Mme Mohammed, l’épouse du propriétaire. N.A. s’est plainte que L.C. lui parlait toujours de sexe. Mme Mohammed a gloussé et dit que les hommes sont tous les mêmes et elle a continué à faire son travail.

[78]  Le lundi 16 janvier 2012, Mme Dinner a dit à N.A. que ses heures de travail avaient été réduites et qu’à compter de ce moment, elle ne travaillerait que le lundi et le jeudi. Le propriétaire a également rencontré N.A. le 16 janvier pour lui dire qu’il était mécontent des erreurs commises dans son travail. Quand N.A. lui a demandé de quelles erreurs il était question, il a indiqué des erreurs mineures de ponctuation. Le propriétaire a dit à N.A. qu’elle serait désormais responsable de nettoyer les toilettes et d’aider le mécanicien dans la cour. N.A. a déclaré que le propriétaire était contrarié, agressif et emporté et que les erreurs dont il lui a fait part étaient mineures et sans importance.

[79]  Dans la semaine précédant le 16 janvier, le propriétaire a montré à N.A. la tenue de livres qu’il voulait qu’elle fasse pour son compte Visa et a demandé que ça soit fait chaque mercredi. Cependant, les heures de N.A. ont été réduites le lundi et elle ne travaillait pas le mercredi 18 janvier. 

[80]  Lorsque N.A. s’est présentée au travail le jeudi 19 janvier, le propriétaire était très en colère contre elle parce qu’elle n’avait pas fait la comptabilité de son compte Visa la veille. Elle l’a décrit comme étant fâché et agressif envers elle. Le propriétaire lui a ordonné de sortir dans la cour et d’aider le mécanicien et les chauffeurs. N.A. a déclaré qu’il faisait froid ce jour-là et qu’elle n’était pas habillée convenablement pour travailler dehors et conduire les camions, mais elle a fait ce qu’on lui a dit.

[81]  N.A. a déclaré qu’après le 16 janvier, elle n’avait pas été autorisée à effectuer ses anciennes tâches, comme répondre au téléphone ou utiliser son ordinateur. On lui a confié de toutes nouvelles tâches, qui n’étaient pas des tâches d’adjointe de bureau, comme nettoyer les toilettes et travailler à l’extérieur dans la cour, déplacer les camions, préparer les camions et aider le mécanicien, tâches pour lesquelles elle n’était pas habillée convenablement ou qu’elle avait de la difficulté à faire.

[82]  N.A. a déclaré que, peu avant le 19 janvier, elle avait consulté le Tribunal ou la Commission des droits de la personne de l’Ontario au sujet du comportement de L.C. à son égard, et qu’on lui avait conseillé de préparer une brève lettre à son employeur pour se plaindre de L.C. À la fin de la journée du 19 janvier, N.A. a dit à Mme Dinner comment elle se sentait à propos du comportement de L.C. à son endroit et qu’elle allait lui remettre une lettre à son retour au travail, le lundi 23 janvier. 

[83]  N.A. a déclaré que Mme Dinner l’avait appelée le 20 janvier pour lui dire que ses heures de travail avaient encore été réduites, soit à un quart de travail de trois heures les mercredis. Le prochain quart de travail de N.A. était prévu pour le mercredi 25 janvier 2012.

[84]  N.A. est arrivée au travail le 25 janvier avec deux copies de la lettre qu’elle avait préparée suivant les conseils d’un employé du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario pour se plaindre de L.C. : l’une à l’intention du propriétaire et l’autre pour Mme Dinner. Mme Dinner a dit à N.A. de laisser la copie pour le propriétaire sur son bureau. Mme Dinner a dit à N.A. que c’était au propriétaire de décider de déménager son bureau ou son poste de travail loin de celui de L.C. et qu’elle ne pouvait pas prendre cette décision. N.A. a déclaré que Mme Dinner lui avait suggéré de chercher un autre emploi, mais N.A. voulait voir si le propriétaire allait accepter sa demande de déménager dans le bâtiment de bureaux principal loin de L.C. Mme Dinner a dit à N.A. de s’asseoir à ses côtés au bureau de Mme Mohammed pour attendre que le propriétaire arrive, et Mme Dinner lui a donné du travail à faire. N.A. a vu Mme Dinner numériser une copie de sa lettre et l’envoyer par courriel au propriétaire.

[85]  La lettre de N.A., portant le numéro de pièce HR1, onglet 7, se lit comme suit :

[traduction]

Le 25 janvier 2012

Janette, conformément à notre conversation du jeudi 19 janvier 2012, je ne me sens pas à l’aise de travailler avec [L.C.]. Récemment, il a pris des photos de moi avec son téléphone cellulaire et je lui ai demandé de les supprimer. Je n’aime pas qu’il me présente comme une « célibataire solitaire » aux hommes qui entrent dans notre bureau. Y compris Victor de Super Deck Transportation, Steve, le gars chargé de remplir notre réservoir d’eau et les étrangers qui entrent à la recherche de places de stationnement. Il m’a mise mal à l’aise et j’ai eu honte. La plupart du temps, je quitte le travail bouleversée. Je demande des excuses à [L.C.] et j’aimerais travailler dans un bureau distinct, loin de lui.

Je vous remercie d’avance.

[N.A.]

c.c. [propriétaire de la société intimée, S.A.S] 

[86]  La pièce porte la signature de N.A. ainsi que la note et la signature de Mme Dinner accusant réception de la lettre le 25 janvier 2012. 

[87]  N.A. a déclaré que le propriétaire était arrivé à 10 h 10 et qu’il avait claqué la porte derrière lui. Mme Dinner lui a demandé s’il avait reçu la lettre et il a répondu « oui ». N.A. a dit qu’il était contrarié et agressif. Il s’est rendu à l’écran de télévision de L.C. dans l’autre bâtiment et a appuyé sur « enregistrer ». Le propriétaire soupirait, était très agité et contrarié. Les genoux de N.A. tremblaient. Il a éteint l’enregistreur et a commencé à faire les cent pas.

[88]  Le mécanicien, M. Mustafa Hussein, est entré dans le bureau principal et le propriétaire l’a emmené au bout du couloir dans son bureau et a claqué la porte. N.A. a déclaré qu’elle comprend un peu l’arabe et qu’elle croyait avoir entendu le propriétaire crier et hurler en arabe. Elle croit avoir entendu le propriétaire dire à M. Hussein qu’il allait tenir une réunion et que M. Hussein devait lui obéir et faire ce que le propriétaire lui avait dit de faire. Après une dizaine de minutes, N.A. a vu M. Hussein sortir du bureau du propriétaire et quitter le bâtiment principal la tête basse.

[89]  N.A. a vu le propriétaire et Mme Dinner entrer dans la cuisine et claquer la porte derrière eux. N.A. ne pouvait pas entendre ce qu’ils disaient alors elle s’est concentrée sur son travail. L’épouse du propriétaire, Mme Mohammed, est arrivée et était, comme d’habitude, amicale et joyeuse.  

[90]  Le propriétaire est sorti de la cuisine et a emmené son épouse dans son bureau. N.A. a entendu d’autres cris du bureau du propriétaire. Le propriétaire est sorti de son bureau et a dit à N.A. qu’il convoquait une réunion de tout le personnel dans son bureau. 

[91]  Le propriétaire a rassemblé des chaises dans son bureau et N.A. s’est assise dans son bureau en attendant que le reste du personnel les rejoigne. N.A. a déclaré que le propriétaire a commencé à crier après elle en lui demandant pourquoi elle avait attendu si longtemps pour lui parler du comportement de L.C. Il a demandé à N.A. si elle voulait le voir se transformer en lion et si elle voulait voir jusqu’où ses griffes pouvaient aller dans son dos.

[92]  Les membres du personnel qui les ont rejoints étaient Mme Dinner, Mme Mohammed, Mustafa et L.C. Au moment où ils sont tous entrés dans le bureau, N.A. pleurait et le propriétaire a regardé N.A. et lui a dit devant les autres qu’il se fichait bien qu’elle pleure du sang, que c’était son royaume et qu’elle devait respecter ses règles. N.A. a dit que le propriétaire criait à ce moment-là, et que ses veines saillaient de son cou et de sa tête.

[93]  Le propriétaire a demandé un document à N.A. et l’a accusée de l’avoir volé. N.A. a dit qu’elle ne comprenait pas de quel document le propriétaire parlait. Le propriétaire a parlé d’appeler la police, mais ne l’a pas fait. N.A. a déclaré que le propriétaire regardait autour et sous sa chaise à la recherche de son sac à main. Le propriétaire a dit qu’il voulait ses clés de voiture pour qu’elle ne puisse pas quitter les lieux. N.A. a affirmé lui avoir dit que son sac à main était près de son bureau, mais qu’il ne voulait pas la laisser sortir du bureau pour le récupérer.  

[94]  N.A. a déclaré que la seule discussion au sujet de sa plainte a eu lieu lorsque le propriétaire lui a dit de regarder autour d’elle, que c’était un environnement masculin et que si ça ne lui plaisait pas, elle devrait aller ailleurs.  

[95]  N.A. a dit qu’elle ne l’avait jamais vu comme ça auparavant et qu’elle avait peur. Elle ne croyait pas que le propriétaire les laisserait partir si elle le voulait. N.A. a dit qu’elle est restée silencieuse et qu’elle tremblait. Elle a dit que tout le monde était aussi demeuré silencieux.  

[96]  N.A. a déclaré que la réunion avait duré environ 20 minutes et qu’elle avait pris fin lorsque Mme Dinner avait ouvert la porte du bureau et que quelqu’un avait posé la main sur le dos de N.A. pour la faire sortir. Mme Dinner lui a dit de prendre une grande respiration, de rentrer chez elle et de se reposer. 

[97]  N.A. a déclaré que la rencontre l’avait profondément bouleversée, qu’elle avait l’impression d’avoir reçu une brique et qu’elle ne pouvait pas penser clairement. Elle a dit s’être sentie verbalement agressée par le propriétaire et dévastée. N.A. s’est rendue en voiture dans un stationnement où elle a pleuré, se sentant honteuse, même à l’idée d’affronter ses enfants. Après s’être ressaisie, elle a pris des notes de ses souvenirs des événements de la journée.

[98]  N.A. a désigné ses notes comme étant la pièce HR1, onglet 5. D’après ses notes, le propriétaire lui a dit pendant la réunion qu’elle n’était pas capable de faire son travail et il a mentionné la feuille de calcul qu’elle avait préparée où elle avait abrégé JUL (July) au lieu de l’écrire en indiquant le mois suivi d’un tiret, puis l’année, par exemple, July-12. Ses notes indiquent que le propriétaire, lors de la réunion, a dit à N.A. qu’il ne pouvait pas acquiescer à sa demande, qu’il n’avait qu’un seul bureau pour elle et que celui-ci se trouvait à côté de celui de L.C. N.A. a déclaré que le propriétaire avait également affirmé que les deux bureaux dans le bureau principal étaient pour Mme Dinner et Mme Mohammed, et qu’il n’accepterait pas sa demande de transférer son bureau dans le bâtiment principal.

[99]  Les notes de N.A. font référence aux commentaires du propriétaire sur le fait de se transformer en lion et de griffer profondément son dos et selon lesquels ses affaires étaient son royaume, il était le roi et ils devaient lui obéir; il l’accusait de voler et, si elle n’aimait pas la situation, elle devait aller ailleurs. Les notes de N.A. font également allusion aux réunions que le propriétaire a tenues avec M. Hussein (environ 15 minutes), Mme Dinner (environ une demi-heure) et son épouse le 25 janvier, à son arrivée et avant la réunion de groupe.

[100]  Dans ses notes et son témoignage, N.A. a expliqué avoir attendu pour déposer sa plainte parce qu’elle était en période de probation et ne voulait pas perdre son emploi en raison de sa plainte. Elle pensait que ses deux premiers efforts pour discuter du comportement de L.C. à son égard avec Mme Dinner et Mme Mohammed mèneraient à une discussion sur la possibilité de déplacer son bureau dans le bâtiment principal afin qu’elle n’ait pas à travailler seule aux côtés de L.C. dans le bâtiment de répartition.

[101]  N.A. a déclaré qu’en écrivant la lettre le 25 janvier 2012, son but était de déménager dans le bâtiment principal; elle avait besoin de l’emploi et ne voulait pas le perdre. N.A. a déclaré qu’elle ne croyait pas qu’elle mettait son emploi en jeu en faisant la demande ou que le propriétaire réagirait comme il l’a fait.

[102]  N.A. a déclaré que Mme Dinner l’avait appelée à quelques reprises dans la soirée du 25 janvier pour lui demander si elle allait bien. N.A. pensait qu’elle aurait des nouvelles de Mme Dinner, de Mme Mohammed ou du propriétaire pour confirmer qu’ils étaient en mesure de déplacer son bureau dans le bâtiment principal. N.A. n’a pas eu de nouvelles de personne de l’entreprise après le 25 janvier 2012. N.A. a déclaré qu’elle avait trop peur de se rendre au bureau ou d’appeler.

[103]  N.A. a dit qu’après la réunion du 25 janvier 2012, elle avait peur pour sa sécurité. Après s’être plainte de L.C., elle ne voulait pas travailler à ses côtés. N.A. a affirmé qu’elle n’avait aucune idée des fonctions, le cas échéant, qu’elle pouvait occuper étant donné la réduction du nombre d’heures de travail à trois par semaine et le changement des tâches, passant de tâches de bureau à l’entretien et à la préparation, la réparation et la conduite de camions.

[104]  N.A. a désigné la pièce HR1, onglet 10, comme étant une lettre datée du 8 février 2012 de Mme Dinner, accompagnée d’un relevé d’emploi. Dans la lettre, Mme Dinner a indiqué que N.A. ne s’était pas présentée au travail le 1er février 2012 et qu’elle n’avait pas appelé. Mme Dinner fait référence à une conversation avec N.A. après le 1er février 2012 au cours de laquelle N.A. a indiqué qu’elle se présenterait au travail le 8 février 2012, mais elle ne s’est pas présentée et n’a pas non plus appelé. La lettre confirme que, dans le relevé d’emploi, le code E désigne la raison pour laquelle N.A. ne travaillait plus pour la société intimée depuis le 8 février 2012, ce qui a rendu N.A. non admissible aux prestations d’assurance-emploi.

[105]  N.A. a déclaré que le relevé d’emploi, désigné comme étant la pièce HR1, onglet 10, indique que sa première journée de travail était le 9 janvier 2012, ce qui est inexact parce qu’elle a travaillé pour la société intimée à compter du 3 octobre 2011. Un relevé d’emploi antérieur désigné comme étant la pièce HR1, onglet 9, daté du 1er janvier 2012, indique que son premier jour de travail était le 3 octobre 2011 et que son dernier jour rémunéré était le 23 décembre 2011, la dernière période de paie se terminant le 31 décembre 2011. Le motif de la délivrance du relevé d’emploi était le code A, ce qui signifie un manque de travail.

[106]  N.A. pense avoir reçu le relevé d’emploi antérieur environ une semaine avant le relevé d’emploi daté du 8 février 2012. Elle ne se souvient pas qu’on lui ait dit qu’elle ou un autre employé avait été mis à pied pendant le congé de Noël, en 2011-2012, ni à aucun moment pendant son emploi, ni qu’il y avait un manque de travail. N.A. constate que les deux relevés d’emploi désignés en tant que pièces HR1, onglet 9 (22237420), et HR1, onglet 10 (22237421), sont numérotés séquentiellement de sorte qu’aucun relevé d’emploi n’a été délivré à d’autres employés entre le 1er janvier 2012 et le 8 février 2012.

[107]  N.A. nie avoir eu l’intention de quitter son emploi entre le 25 janvier 2012 et le 8 février 2012. Elle a dit qu’elle avait besoin de cet emploi et qu’elle attendait avec impatience une augmentation du salaire horaire et des avantages sociaux. N.A. s’est reportée à sa demande de congé annuel pour la semaine du 13 au 21 mars 2012, présentée le 9 janvier 2012 (HR1, onglet 6) comme preuve qu’elle n’avait pas l’intention de quitter son emploi.

[108]  N.A. a confirmé dans son témoignage n’avoir jamais vu la politique sur le harcèlement de la société intimée, désignée comme la pièce HR1, onglet 8.

[109]  N.A. a déclaré qu’à sa connaissance, la société intimée n’avait jamais pris de mesures disciplinaires contre L.C. et n’avait jamais considéré son comportement offensant, et que la société intimée avait continué à employer L.C. comme répartiteur, jusqu’à récemment. À son avis, le propriétaire avait besoin de L.C. comme répartiteur et la voie la plus facile pour lui était donc de mettre N.A. à pied plutôt que d’affronter L.C. ou d’acquiescer à la demande de N.A. de déménager dans le bâtiment de bureaux principal.

[110]  N.A. a signé et préparé elle-même les plaintes déposées contre les intimés devant la Commission le 22 mai 2014 (voir la pièce HR1, onglet 2). N.A. a expliqué que le retard dans le dépôt de la plainte découle du fait qu’elle a d’abord déposé sa plainte devant la Commission ontarienne des droits de la personne et que ce n’est qu’après des mois de procédure qu’on lui a dit que sa plainte devait être déposée devant la Commission.

(iv)  La perte de salaire

[111]  N.A. n’a pas été en mesure de trouver un emploi à temps plein en 2012 après avoir quitté la société intimée. Pièce C1 : 3 emplois à temps partiel 1) 2 684,79 $; 2) 5 017,65 $; 3) 2 130,28 $ = 9 832,72 $ + 5 659,00 $ au titre de l’assurance-emploi (ne comprend pas le revenu provenant de la société intimée qui s’élevait à 910,78 $ pour janvier 2012).

[112]  N.A. a trouvé un autre emploi à temps partiel en 2013; elle a donc occupé 4 emplois à temps partiel, dont 3 étaient des postes syndiqués : 1) 5 978,90 $; 2) 2 327,10 $; 3) 914,12 $; et 4) 412,24 $ = 9 632,36 $.

[113]  Le revenu de N.A. provenant des 4 emplois, en 2014, s’est élevé à 23 332,68 $ et, en 2015, le revenu de N.A. provenant des 4 emplois s’est élevé à 22 901,54 $.

[114]  N.A. a déclaré qu’elle fait de son mieux pour travailler et gagner un revenu, et qu’elle ressentait une pression financière avec trois enfants et des factures à payer. Elle a cherché un emploi à temps plein, mais pour l’instant, tout ce qu’elle a pu trouver, c’est quatre emplois à temps partiel. Les trois postes syndiqués lui permettront d’augmenter graduellement ses heures et son salaire horaire, mais ils ne deviendront jamais des postes à temps plein.

[115]  N.A. travaillait entre 35 et 38 heures par semaine pour la société intimée. Elle s’est reportée à la pièce HR1, onglet 16, un calcul en ligne des retenues salariales et du revenu généré par l’Agence du revenu du Canada, préparé par Mme Dinner et joint à son chèque de paie. La pièce HR1, onglets 17 à 23, sont les talons de paie qu’elle a reçus pendant qu’elle travaillait pour la société intimée, mais aucun d’entre eux ne confirme les heures travaillées, le taux horaire ou les retenues; seuls la période de paie et le salaire net sont indiqués.

[116]  Les documents de paie de la société intimée, désignés comme la pièce R1, onglet B, indiquaient ses heures bimensuelles (payées les 7e et 22e jours de chaque mois), le taux horaire, les retenues et le salaire net. Voici une reconstitution des renseignements figurant sur les documents désignés comme étant la pièce R1, onglet B :

Période de paie

Heures

Taux

Brut

Impôts

RPC

Assurance-emploi

Retenues totales

Paie nette

du 1er au 15 oct. 2011

62,50

12,50 $

781,25

55,94

31,45

13,91

101,30

679,95

du 16 au 31 oct. 2011

73,00

12,50 $

912,50

85,24

37,95

16,24

139,43

773,07

du 1er au 15 nov. 2011

76,25

12,50 $

953,13

95,27

39,96

16,97

152,20

800,93

du 16 au 30 nov. 2011

62,75

12,50 $

784,38

56,52

31,61

13,96

102,09

682,29

du 1er au 15 déc. 2011

73,00

12,50 $

912,50

85,24

37,95

16,24

139,43

773,07

du 16 au 31 déc. 2011

43,50

12,50 $

739,30

42,65

29,38

13,53

  85,56

653,74

[117]  Le Tribunal constate que les documents de 2012 sont difficiles à lire et que les calculs semblent un peu erronés, plus particulièrement qu’il est difficile d’établir le taux horaire et que, d’après la rémunération brute et les heures travaillées, celui-ci semble être supérieur à 12,50 $ l’heure. Toutefois, ce qui suit se trouve à la page 2 de la pièce R1, onglet B :

Période de paie

Heures

Taux

Brut

Impôts

RPC

Assurance-emploi

Retenues totales

Paie nette

*** Lorsque vous préparez son indemnité de congé annuel pour 2012, retirez 14 heures, 175 $, car cela s’ajoute à cette paie pour Noël et le lendemain de Noël.

du 1er au 15 janv. 2012 – du 1er au 15 oct. 2011

53,50

12,50 $

675,75

27,78

26,63

12,37

66,38

609,37

du 16 au 31 janv. 2012

16,00

12,50 $

235,03

-

4,42

4,30

8,72

226,31

[118]  N.A. a déclaré que, contrairement au relevé d’emploi daté du 1er janvier 2012, pièce HR1, onglet 9, elle n’avait pas été mise à pied entre le 23 décembre 2011 et le 9 janvier 2012. En outre, les documents de la société intimée en pièce R1, onglet B ci-dessus indiquent qu’elle a travaillé entre le 16 décembre 2011 et le 15 janvier. Le Tribunal constate que le nombre total d’heures pour lesquelles elle a été rémunérée au cours de cette période s’élève à 97, mais que 14 d’entre elles étaient des congés payés pour Noël et le lendemain de Noël, comme l’indique la note en pièce R1, onglet B. 

[119]  Le Tribunal constate qu’à première vue, l’hypothèse suggérée par la pièce R1, onglet B, où ces heures de congé ont été payées à N.A., est que la société intimée considérait que sa journée de travail normale était de 7 heures. Étant donné qu’à cette époque, N.A. travaillait du lundi au vendredi, elle travaillait normalement 35 heures par semaine à la fin décembre 2011 et au début janvier 2012.

[120]  En pièce C-1, N.A. a calculé son revenu annuel perdu en supposant qu’elle aurait travaillé 40 heures par semaine, à 14,50 $ l’heure, pour un revenu total de 30 160 $. N.A. a ensuite déduit son revenu actuel d’emploi et de l’assurance-emploi et a établi son revenu perdu de la manière suivante :  

  • 1. 2012 13 757,50 $

  • 2. 201320 527,64 $

  • 3. 2014 6 827,32 $

  • 4. 20157 258,46 $

[121]  En ce qui concerne le préjudice moral, N.A. n’a pas chiffré le montant qu’elle demande. N.A. a expliqué qu’en tant que profane n’ayant aucune expérience en la matière, elle ne connaît pas le montant approprié à réclamer.

[122]  N.A. a déclaré avoir éprouvé beaucoup de douleur et de souffrances émotionnelles. Elle s’est sentie humiliée par les intimés. Le processus de traitement des plaintes lui a demandé beaucoup de temps, notamment pour assister aux séances du Tribunal et de médiation, en plus des frais de transport et de stationnement, et ce, en vain, puisque le Tribunal de l’Ontario lui a finalement demandé de passer par la Commission. N.A. s’occupe de sa plainte depuis maintenant quatre ans. N.A. a déclaré qu’elle croyait que les intimés n’ont pas été suffisamment honnêtes ou n’ont pas agi de bonne foi au cours de ces quatre années. Elle pense qu’ils percevaient le processus comme un jeu. Le fait que sa plainte soit publique est quelque chose qu’elle aimerait régler pour le bien de ses filles. N.A. pense que les intimés se sont moqués d’elle.

[123]  N.A. a parlé au propriétaire et lui a dit qu’il ne devrait jamais traiter quiconque, surtout les femmes, comme elle a été traitée. Elle a dit s’être sentie humiliée et traitée comme une miette sous sa chaussure. N.A. lui a dit qu’il avait tort de la faire travailler aux côtés de L.C., qui voulait avoir des rapports sexuels avec elle. N.A. a affirmé qu’elle était là pour travailler, et non pour avoir des relations sexuelles avec L.C.

[124]  Au cours du contre-interrogatoire mené par A.S., N.A. a reconnu qu’elle n’a pas travaillé plus de 40 heures au cours d’une même semaine au cours de son emploi à la société intimée.

[125]  N.A. a nié avoir parlé à L.C. d’une manière sexuellement explicite ou s’être livrée à des plaisanteries sexuelles avec L.C ou l’avoir dragué. N.A. a nié s’être assise sur les genoux de L.C. Elle a confirmé avoir parfois dit à L.C. de cesser son comportement offensant et d’autres fois l’avoir ignoré et évité. 

[126]  Interrogée par A.S. à savoir pourquoi elle n’avait pas discuté du comportement offensant de L.C. avec le propriétaire avant le 25 janvier 2012, N.A. a expliqué qu’elle se sentait plus à l’aise de discuter de la nature du comportement avec les femmes, Mme Dinner, sa superviseure, et Mme Mohammed, la femme du propriétaire.

[127]  N.A. a également affirmé qu’avant le 16 janvier 2012, elle n’avait pas vu le propriétaire de la société intimée au travail ni eu d’interaction avec lui, en partie parce qu’il ne se trouvait pas souvent au bureau principal et que N.A. passait la majeure partie de ses heures de travail dans le bureau de répartition.  

[128]  N.A. a reconnu avoir discuté pour la première fois du comportement offensant de L.C. avec Mme Dinner en novembre 2011, discussion au cours de laquelle Mme Dinner a également dit : [traduction] « À quoi vous attendez-vous?... il [L.C.] est noir. »  

[129]  N.A. a eu l’occasion de lire les courriels de L.C., datés des 3 et 4 avril 2013, envoyés au parajuriste de la société intimée, dans lesquels il a formulé sa réponse à la plainte de N.A. à son sujet, désignés comme étant la pièce R1, onglet C. A.S. a interrogé N.A. au sujet des affirmations de L.C. dans les courriels. N.A. a nié avoir fait des appels personnels pendant la journée, alors qu’elle travaillait pour la société intimée. Elle a nié avoir appelé ou texté L.C. en dehors des heures de bureau. N.A. a nié avoir parlé à L.C. d’un petit ami, de son époux ou d’un homme qui l’intéressait ou de quoi que ce soit de nature personnelle, sexuelle ou intime, comme le prétend L.C. dans ses courriels. N.A. a affirmé qu’elle n’avait pas la vie sociale décrite dans les courriels de L.C. parce que ses trois enfants la tenaient très occupée les soirs et les fins de semaine. Elle a dit qu’elle n’avait même pas eu de rendez-vous galant depuis sept ans. 

[130]  Il est devenu clair au cours du contre-interrogatoire de N.A. mené par A.S. que le dossier que le propriétaire de la société intimée demandait à N.A. de produire lors de la réunion du bureau du 25 janvier 2012 était la copie signée de son acceptation de l’offre d’emploi (pièce HR1, onglet 3). N.A. a dit qu’elle avait oublié de la retourner à Mme Dinner en octobre 2011.

[131]  Pendant son contre-interrogatoire mené par A.S., N.A. a reconnu avoir omis deux feuillets T-4 dans le calcul de son revenu en 2012 qui figure en pièce C1. Les deux feuillets T-4 ont été marqués comme les pièces V1 et V2 dans le recueil de documents de la société intimée. L’un correspond à un montant de 98 $ provenant de Zuchter Creative Caterers Inc., et l’autre à un montant de 366,48 $ provenant de Balnet Management Group Inc. faisant affaire sous le nom de West. N.A. a expliqué qu’elle les avait oubliés par erreur et a nié les avoir intentionnellement exclus de son calcul pour induire le Tribunal en erreur.

[132]  Bien que L.C. n’ait pas suivi la directive préalable à l’audience lui permettant de participer pleinement à l’audience, les parties ne se sont pas opposées à ce que L.C. ait la possibilité de contre-interroger N.A. Le Tribunal a confirmé que L.C. ne devait pas demander l’adresse de N.A. puisqu’elle ne voulait pas qu’elle soit divulguée, et lui a aussi enjoint de ne pas agir de manière agressive ou belliqueuse avec le témoin.

[133]  N.A. a convenu avec L.C. que lorsqu’il lui a demandé quel genre d’homme l’intéressait, elle lui a répondu que les hommes italiens l’attiraient. N.A. a reconnu l’avoir appelé de la ligne fixe du bureau le jour où elle assurait la répartition alors qu’il était absent. N.A. a insisté sur le fait qu’elle n’a jamais appelé L.C. à aucun autre moment, avec son téléphone personnel non plus. N.A. a nié s’être assise sur les genoux de L.C. ou l’avoir appelé ou texté depuis son téléphone cellulaire.

[134]  Le Tribunal a posé des questions pour clarifier la façon dont les heures travaillées par N.A. variaient. N.A. a expliqué qu’elle partait normalement à 15 h 30, mais que si elle avait du travail à terminer, elle restait jusqu’à 16 h 30 pour le terminer ou selon les directives de Mme Dinner. Elle était toujours à la maison à 17 h. Elle travaillait pendant la pause-repas et ne quittait pas les lieux, de sorte qu’elle n’a jamais subi une retenue sur son salaire pour une pause-repas.  

[135]  N.A. a confirmé qu’elle n’avait aucune idée de ce que seraient les avantages sociaux après sa période probatoire, à l’exception d’une paie de vacances de 4 %. N.A. a estimé qu’elle subissait encore un préjudice financier parce qu’elle devait occuper quatre emplois à temps partiel à différents endroits pour gagner le revenu qu’elle aurait gagné dans l’entreprise de la société intimée si elle avait continué à travailler 35 heures par semaine à 14,50 $ l’heure, plus la paie de vacances.

2.  Janette Dinner

[136]  L’interrogatoire principal de Mme Dinner, mené par l’avocate de la Commission, et son contre-interrogatoire, mené par N.A. et le fils du propriétaire, A.S., ont eu lieu le 26 juillet 2016. Mme Dinner a été rappelée comme témoin le 27 juillet 2016 relativement au logiciel installé sur l’ordinateur de répartition, puis de nouveau par téléphone le 29 juillet 2016, pour réfuter la preuve présentée par le propriétaire le 28 juillet 2016. 

[137]  Mme Dinner a été embauchée par la société intimée à titre de directrice de bureau. Elle a occupé cet emploi du 20 septembre 2010 au 16 mars 2012. 

[138]  Mme Dinner a déclaré que sur papier, les employés relevaient d’elle, mais qu’elle n’avait pas le pouvoir de prendre des décisions, notamment en matière de discipline, d’embauche, de congédiement, etc. Mme Dinner avisait le propriétaire de toutes les questions soulevées par les employés, le propriétaire tranchait toutes les questions et demandait souvent à Mme Dinner de communiquer la décision ou la réponse à l’employé. Mme Dinner a confirmé que le propriétaire était le superviseur de L.C., et que Mme Dinner était la superviseure de N.A. de sorte que Mme Dinner devait transmettre toute plainte concernant L.C. à son superviseur, le propriétaire. 

[139]  Mme Dinner a confirmé avoir rédigé l’offre d’emploi désignée comme la pièce HR1, onglet 3. Mme Dinner a confirmé que N.A. a été embauchée comme employée à temps plein et qu’habituellement, après la période probatoire de trois mois, le salaire horaire et les avantages sociaux sont revus, mais elle ne s’est pas souvenue si N.A. avait été informée de ce que serait son salaire horaire à la fin de la période probatoire. 

[140]  Mme Dinner a expliqué que la déduction d’une demi-heure de paie pour la pause­repas était une exigence légale, celle d’offrir aux employés une demi-heure de pause par cinq heures de travail. Au début, N.A. ne prenait pas de pause-repas et partait une demi­heure plus tôt pour être à la maison afin de s’occuper de ses enfants après l’école. Ultérieurement, le propriétaire a exprimé son désaccord avec l’arrangement et a insisté pour que N.A. prenne une pause-repas de 30 minutes, pour laquelle elle n’était pas payée.

[141]  Mme Dinner a décrit les tâches de N.A. comme étant celles de faire des appels de sollicitation à froid pour l’affichage de publicité sur le côté des camions, de dresser des listes, de faire du classement et de préparer des factures simples. Mme Dinner a affirmé que N.A. s’acquittait de ses tâches de façon satisfaisante. 

[142]  Mme Dinner s’est souvenue qu’environ un mois après que N.A. a commencé à travailler pour la société intimée, N.A. lui a confié que L.C. lui disait des choses déplacées. Mme Dinner a demandé à N.A. si elle voulait qu’elle en parle à L.C. ou au propriétaire, et N.A. a répondu qu’elle ne voulait pas que Mme Dinner fasse quoi que ce soit pour le moment et qu’elle lui faisait juste part de la situation. Mme Dinner a décidé de parler au propriétaire de la plainte de N.A. au sujet de L.C. de toute façon, pour l’avertir de la situation. Le propriétaire a dit à Mme Dinner qu’il parlerait à L.C.

[143]  Mme Dinner a confirmé avoir eu trois conversations avec N.A. concernant le comportement offensant de L.C. à son endroit : en novembre 2011, le 19 janvier 2012 et le 25 janvier 2012. Mme Dinner a confirmé que N.A. a décrit de manière explicite ce que L.C. lui a dit lors de leurs discussions antérieures au 25 janvier 2012.

[144]  Mme Dinner a déclaré avoir aussi raconté à Mme Mohammed les propos tenus par L.C. à l’endroit de N.A., rapportés et jugés offensants par N.A. Mme Mohammed a dit à Mme Dinner que si N.A. portait une jupe et un chemisier décolleté, alors elle méritait d’être appelée comme L.C. la désignait. Mme Dinner a affirmé avoir dit à Mme Mohammed qu’elle ne pouvait pas dire cela au sujet de N.A. Elle a expliqué à Mme Mohammed que même si une femme se promenait nue, un homme n’avait pas le droit de se comporter envers elle comme il était allégué que L.C. s’était comporté envers N.A. Mme Dinner a affirmé qu’elle pensait que Mme Mohammed ne comprendrait tout simplement jamais cette situation en raison de ses convictions culturelles. 

[145]  Mme Dinner a déclaré que lorsque N.A. s’était plainte auprès d’elle du comportement de L.C. à son égard, elle avait averti L.C. de surveiller ce qu’il disait à N.A., car il en subirait les conséquences défavorables s’il n’arrêtait pas. Mme Dinner a déclaré que L.C. lui avait répondu que trois autres femmes s’étaient plaintes de son comportement et que rien ne s’était passé.

[146]  Mme Dinner s’est souvenue qu’après son embauche en septembre 2011, L.C. lui a dit qu’alors qu’il travaillait dans un entrepôt d’appareils ménagers, une employée s’était plainte de son comportement envers elle et il avait été congédié (voir la décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario – pièce HR1, onglet 27).

[147]  Mme Dinner a confirmé qu’elle n’a pas été témoin du comportement offensant présumé de L.C. envers N.A. Ayant déjà entendu des commentaires semblables de L.C. à son endroit, il n’y avait aucun doute dans son esprit que L.C. avait commis les actes allégués par N.A. Par exemple, Mme Dinner a affirmé que L.C. lui avait dit qu’il aimerait lui arracher sa jupe et lui faire l’amour oral, mais en utilisant un langage très vulgaire et sexuellement explicite. Elle a déclaré que L.C. lui avait dit cela à quelques reprises et qu’elle lui avait fait savoir qu’elle en informerait le propriétaire et son épouse s’il continuait. L.C. a répondu en disant qu’il plaisantait. L.C. a tenu des propos offensants à Mme Dinner alors qu’il n’y avait personne autour, de sorte que le fait qu’il n’y avait aucun témoin du comportement présumé de L.C. n’a pas amené Mme Dinner à douter des allégations de N.A.

[148]  Mme Dinner a déclaré avoir tenté de discuter avec le propriétaire au sujet du comportement offensant de L.C. à son endroit, mais que c’était difficile parce qu’il voulait qu’elle répète ce que L.C. lui avait dit, ce qui était gênant. Mme Dinner a plutôt raconté à l’épouse du propriétaire, Mme Mohammed, ce que L.C. lui avait dit et lui a demandé d’expliquer à son mari ce que les commentaires de L.C. signifiaient. Mme Mohammed a conseillé à Mme Dinner d’ignorer L.C. et de laisser à son mari le soin de s’occuper de L.C. Mme Mohammed a dit qu’elle en parlerait à son mari.

[149]  Mme Dinner s’est souvenue avoir dit elle-même au propriétaire que L.C. l’avait elle aussi offensée, mais elle n’est pas certaine de savoir si c’était avant ou après la réunion du 25 janvier 2012.

[150]  Mme Dinner a déclaré n’avoir pas eu beaucoup d’interactions avec L.C. par la suite parce que son travail ne l’obligeait pas à traiter avec lui. Elle a évité de se rendre au bâtiment de répartition quand L.C. travaillait. Si elle devait entrer dans le bâtiment de répartition, elle y entrait avant que L.C. n’arrive au travail, ou attendait de voir L.C. sortir pour fumer une cigarette ou se rendre dans la cour avant d’entrer dans le bâtiment de répartition.

[151]  L.C. ne lui a pas fait d’autres commentaires offensants jusqu’à son dernier jour de travail, quand il lui a dit que puisqu’elle n’était plus sa directrice, il pouvait l’emmener derrière et la baiser.

[152]  En ce qui concerne le relevé d’emploi, marqué comme étant la pièce HR1, onglet 9, Mme Dinner a déclaré qu’elle l’avait préparé et signé. Mme Dinner a affirmé que le propriétaire lui avait donné des directives concernant la préparation des relevés d’emploi. Elle n’a pas pu expliquer pourquoi le relevé d’emploi était daté du 1er janvier ni pourquoi elle avait indiqué le 9 janvier 2012 comme date de rappel prévue, et elle ne pouvait non plus indiquer si N.A. avait effectivement travaillé entre le 1er janvier 2012 et le 9 janvier 2012. Mme Dinner a confirmé qu’aucun autre employé n’avait reçu un relevé d’emploi à ce moment-là.  

[153]  Mme Dinner a déclaré qu’elle se souvenait que le propriétaire lui avait demandé, à un moment donné, de préparer un relevé d’emploi pour mettre à pied N.A. afin qu’elle puisse obtenir des prestations d’assurance-emploi plutôt que de congédier N.A. Elle a affirmé que la décision du propriétaire de mettre à pied N.A. était liée aux plaintes de N.A. concernant le comportement de L.C. Elle a déclaré que le propriétaire espérait que si N.A. pouvait obtenir des prestations d’assurance-emploi, elle ne reviendrait pas lui demander autre chose. Il n’était pas clair qu’il s’agisse du relevé d’emploi désigné comme la pièce HR1, onglet 9.

[154]  Mme Dinner a confirmé avoir eu une rencontre avec le propriétaire avant le lundi 19 janvier, et puisqu’elle ne travaillait pas les fins de semaine, elle pense que la rencontre a probablement eu lieu en fin d’après-midi le vendredi 13 janvier. Le propriétaire était contrarié par le conflit entre N.A. et L.C., et il a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi N.A. et L.C. n’arrivaient pas à s’entendre et à simplement faire leur travail. Mme Dinner a dit au propriétaire qu’elle croyait que la plainte de N.A. était fondée. Le propriétaire n’a jamais dit qu’il ne croyait pas N.A. En réponse, le propriétaire a affirmé qu’il était si difficile d’obtenir un répartiteur et qu’il avait besoin d’un répartiteur pour poursuivre ses activités, alors qu’il pouvait toujours trouver une autre personne pour s’acquitter des tâches administratives.

[155]  Le propriétaire a décidé de réduire les heures de N.A. à 2 ou 3 jours par semaine, dans l’espoir qu’elle parte et trouve un autre emploi afin qu’il n’ait pas à se demander comment gérer son cas ou celui de L.C. Le 19 janvier 2012, le propriétaire a demandé à Mme Dinner de dire à N.A. que ses heures étaient réduites, et aucun relevé d’emploi ni aucune lettre n’a été préparé. Mme Dinner a confirmé qu’aucun autre employé n’a vu ses heures réduites au cours de la période où N.A. travaillait pour la société intimée.

[156]  Des semaines avant la réunion du 25 janvier, Mme Dinner a expliqué au propriétaire que si le comportement de L.C. continuait, la situation allait se retourner contre lui et lui causer des ennuis. Après la réunion du 25 janvier, elle a de nouveau dit au propriétaire que le comportement de L.C. allait lui causer des ennuis s’il ne le renvoyait pas.

[157]  Mme Dinner a déclaré que le seul problème porté à son attention par le propriétaire concernant le rendement au travail de N.A. était le fait que N.A. n’arrivait pas à répondre à la demande en matière de facturation. Mme Dinner a expliqué qu’il y avait beaucoup de facturation et qu’elle en faisait tous les jours pour se tenir à jour. Mme Dinner a déclaré que si N.A. ne travaillait pas tous les jours, la facturation s’accumulait pendant ses jours de congé. Mme Dinner ne s’est souvenue d’aucun incident où N.A. n’a pas remis à un chauffeur un dossier contenant les documents requis pour un itinéraire, de sorte que le chauffeur aurait été retenu à la pesée jusqu’à ce qu’on lui remette le dossier.   

[158]  Lors du contre-interrogatoire mené par A.S., Mme Dinner a confirmé que la période de probation de L.C. avait été prolongée parce qu’il avait envoyé un camion au mauvais endroit, et qu’elle avait signé la lettre disciplinaire à l’intention de L.C. Elle a toutefois précisé l’avoir préparée à la demande du propriétaire. Mme Dinner a reconnu qu’elle avait recommandé au propriétaire le congédiement de Cassandra pour mauvais rendement au travail et que le propriétaire l’avait laissée prendre cette décision. 

[159]  Mme Dinner a confirmé qu’elle-même, Mme Mohammed et le propriétaire avaient accès aux classeurs. N.A. n’avait accès aux classeurs que si on lui demandait de sortir un dossier. Les dossiers des chauffeurs contenaient beaucoup de renseignements qu’ils devaient tenir à jour. Les dossiers des employés qui n’étaient pas des chauffeurs contenaient leur curriculum vitae, leur lettre d’emploi et tous les documents administratifs ajoutés pendant leur emploi. Mme Dinner a déclaré qu’à sa connaissance, il ne manquait que la lettre d’emploi au dossier de N.A.

[160]  Mme Dinner a affirmé n’avoir jamais vu N.A. être envoyée dans la cour pour conduire ou déplacer les camions. Elle a convenu que N.A. n’était pas qualifiée pour conduire ou déplacer les camions. Si M. Hussein avait besoin d’aide pour faire un diagnostic, il lui arrivait de voir N.A. dépêchée sur les lieux pour l’aider. Mme Dinner est allée aider M. Hussein relativement aux diagnostics et à l’ordinateur parce qu’il ne possédait pas les compétences informatiques nécessaires. Elle a convenu que M. Hussein avait parfois besoin de quelqu’un pour appuyer sur une pédale de frein afin de tester les feux de freinage ou pour allumer un feu de signalisation.

[161]  Mme Dinner a reconnu que le propriétaire était agressif envers son épouse, mais qu’elle ne l’avait jamais vu la maltraiter. Mme Dinner a déclaré qu’une fois, Mme Mohammed s’était absentée du travail pendant une semaine; elle l’avait appelée pour lui demander pourquoi et Mme Mohammed lui avait répondu que son mari l’avait giflée lors d’une dispute.

[162]  Mme Dinner a confirmé avoir rencontré des conseillers du gouvernement fédéral après que N.A. a commencé à travailler pour la société intimée en octobre 2011, et que la formation portait notamment sur le harcèlement sexuel. Elle a affirmé avoir compris la responsabilité de l’employeur de prendre des mesures si une plainte est déposée. Elle a compris comment ces mesures devaient être mises en œuvre et c’est pourquoi elle a demandé à N.A. d’écrire une lettre pour pouvoir la remettre au propriétaire. 

[163]  Mme Dinner a indiqué qu’elle n’était pas au courant de la disposition législative portant sur les représailles. Elle n’a pas parlé de représailles avec le propriétaire, elle lui a juste dit que s’il ne renvoyait pas L.C., quelque chose de grave allait se produire.

[164]  Mme Dinner a affirmé qu’elle savait que la réunion du 25 janvier était une erreur sachant que la plainte devait rester confidentielle et qu’elle ne devait pas être divulguée aux autres employés. Le propriétaire aurait dû rencontrer N.A. en privé pour s’assurer qu’il comprenait sa plainte. Le propriétaire était en colère et agressif envers N.A., la mettant sur la sellette et la blâmant pour la situation. Mme Dinner a dit qu’elle ne l’avait jamais vu aussi en colère.

[165]  Au cours du contre-interrogatoire effectué par N.A., Mme Dinner a reconnu que le propriétaire criait et était agressif lorsqu’il était en colère. Elle a convenu que la colère et l’agressivité du propriétaire lors de la réunion du 25 janvier 2012 avaient fait en sorte que tout le monde avait l’impression de ne pas pouvoir partir.   

[166]  Mme Dinner a affirmé qu’après la réunion du 25 janvier 2012, elle avait dit à Mme Mohammed et au propriétaire qu’ils devraient congédier L.C. Elle leur a également dit que L.C. n’aurait pas dû recevoir une augmentation ou des avantages sociaux avant la fin de sa période de probation, compte tenu des allégations formulées contre lui. Mme Dinner a indiqué qu’elle refusait de faire sa paie. Le propriétaire et son épouse ont hésité, se sont excusés et ont indiqué combien il était difficile de trouver un répartiteur et que L.C. était prêt à travailler en contrepartie d’un faible revenu.

[167]  Mme Dinner a reconnu qu’elle ne se sentait pas appréciée par le propriétaire. Elle a assuré les activités de l’entreprise 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pendant que la famille effectuait un voyage en Turquie, puis, quand elle a demandé une augmentation de salaire en 2012, le propriétaire la lui a refusée en disant que s’il la payait davantage, elle ne travaillerait pas aussi fort. Mme Dinner a affirmé avoir démissionné à la suite du refus du propriétaire de suivre sa recommandation de congédier L.C.

[168]  Mme Dinner a indiqué qu’en remettant son préavis, le propriétaire et son épouse lui ont dit que si elle restait, elle pourrait congédier L.C. si elle le voulait. Mme Dinner leur a dit qu’il était trop tard, qu’elle avait perdu confiance en eux. Elle leur a donné un préavis de six semaines quelques semaines après la réunion du 25 janvier 2012, et le 16 mars 2012 a été son dernier jour de travail.

[169]  Mme Dinner a reconnu avoir dit à Mme Mohammed que si jamais ils congédiaient L.C., elle reviendrait les aider parce que le problème qui la préoccupait ne concernait pas elle ou le propriétaire, mais plutôt L.C. et leur refus de s’occuper de son cas.

Le 27 juillet 2016, Mme Dinner a été rappelée concernant l’installation du logiciel K9 sur l’ordinateur de répartition.

[170]  Mme Dinner a expliqué que quelques semaines après l’embauche de L.C., le propriétaire était contrarié lorsque l’un d’eux consultait Facebook ou les médias sociaux; il voulait donc pouvoir bloquer ces sites. Elle a fait une recherche sur Google et a trouvé le logiciel K9 à télécharger.

[171]  Alors que L.C. était absent du travail, Mme Dinner et le propriétaire ont examiné l’historique de navigation de l’ordinateur que L.C. utilisait, afin de sélectionner les sites à bloquer avec le logiciel K9. L’historique de navigation comprenait Facebook, MSN, U-Porn et des sites de nouvelles conventionnels. Le propriétaire était contrarié par l’historique de navigation et il voulait que tout soit bloqué.

[172]  Mme Dinner a confirmé avoir installé le logiciel K9 sur l’ordinateur de répartition de L.C. et posséder le mot de passe. Mme Dinner a expliqué qu’en raison du blocage de la plupart des sites Internet par le logiciel, L.C. avait du mal à utiliser Google Maps. C’est alors qu’A.S., le fils du propriétaire, est intervenu pour résoudre ce problème. A.S. a aussi installé le logiciel K9 sur l’ordinateur de Mme Dinner et a changé le mot de passe. 

[173]  A.S. a demandé à Mme Dinner si elle et le propriétaire avaient discuté de l’éventualité de congédier L.C. après avoir vu l’historique de navigation sur son ordinateur. Mme Dinner a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas. Elle se souvenait qu’il était très difficile de trouver un répartiteur et que le propriétaire voulait régler les problèmes, mais garder le répartiteur en poste.

[174]  Mme Dinner a convenu qu’il lui incombait d’afficher le poste de répartiteur et d’embaucher un répartiteur. L.C. était le seul candidat à l’époque. Le salaire hebdomadaire était indiqué dans l’offre d’emploi et L.C. était le seul candidat.   

[175]  Me Warsame lui a demandé si le propriétaire avait dit quelque chose lorsqu’elle avait cliqué sur le site Web U-Porn. Mme Dinner a affirmé qu’il y avait eu un moment gênant quand elle avait cliqué sur la page Web, puis qu’elle l’avait fermée et ni elle ni le propriétaire n’avaient dit mot. 

[176]  L.C. a demandé à Mme Dinner si elle pouvait dire combien de visites avaient été faites sur le site Web U-Porn. Mme Dinner a répondu dit qu’elle ne le savait pas. L.C. a laissé entendre que d’autres personnes utilisaient l’ordinateur de répartition. Mme Dinner a dit qu’elle n’avait jamais vu quelqu’un d’autre à son ordinateur, dont l’accès était protégé par un mot de passe.

 

 

Mme Dinner a été rappelée le 29 juillet 2016 par téléphone en réponse au témoignage du propriétaire du 28 juillet, selon lequel il n’était pas au courant de la nature sexuelle du comportement de L.C. envers N.A. avant la réunion du 25 janvier 2012.

[177]  Mme Dinner a affirmé que, dans le mois qui avait suivi l’embauche de N.A., elle avait parlé au propriétaire et à son épouse au sujet de la plainte que lui avait communiquée N.A. afin de les mettre au courant :

[traduction]

« Alors je leur ai expliqué de quoi il s’agissait, puis [le propriétaire] m’a demandé de mieux l’expliquer parce que j’avais utilisé les termes que [L.C.] avait utilisés. Donc, il n’avait pas compris de quoi il s’agissait. J’ai alors dit que j’étais un peu mal à l’aise d’expliquer au propriétaire de quoi il s’agissait. Alors je l’ai expliqué à Bushra alors que [le propriétaire] se tenait là et je lui ai même montré du doigt. Elle lui a ensuite expliqué et puis il s’est énervé. C’est à ce moment-là que [le propriétaire] m’a dit d’accord, je ferais mieux d’en parler avec lui. »

[178]  Mme Dinner a affirmé que lorsque N.A. était venue la voir une deuxième fois en janvier pour se plaindre du comportement de L.C. à son égard, elle était allée voir le propriétaire et son épouse pour leur dire que N.A. s’était encore plainte du comportement de L.C. parce que celui-ci persistait. Mme Dinner a affirmé avoir demandé au propriétaire s’il avait parlé à L.C., et il a répondu qu’il l’avait fait et qu’il lui parlerait à nouveau. Mme Dinner a confirmé que le propriétaire lui avait dit avoir parlé à deux reprises à L.C. de son comportement envers N.A. que celle-ci trouvait offensant. Elle a confirmé qu’elle n’était pas présente lorsque le propriétaire a eu ces discussions avec L.C., alors elle ne sait pas ce qui s’est dit. 

[179]  Me Warsame a demandé à Mme Dinner si elle avait fourni une explication à Mme Mohammed parce que cette dernière parle mieux anglais que le propriétaire. Mme Dinner a expliqué qu’elle se sentait tout simplement plus à l’aise de parler à Mme Mohammed de ce que L.C. disait et faisait à N.A. Le propriétaire était présent tout au long de la conversation et Mme Dinner a confirmé sa conviction selon laquelle le propriétaire comprenait la signification des commentaires de L.C. 

[180]  A.S. a demandé à Mme Dinner si elle avait expliqué les conséquences des actes de L.C. Mme Dinner a répondu avoir dit à maintes reprises au propriétaire et à son épouse que les actes commis par L.C. étaient répréhensibles et que son comportement allait leur causer des ennuis s’ils ne faisaient rien pour qu’il cesse ou s’ils ne le renvoyaient pas. Mme Dinner a confirmé l’avoir dit au propriétaire et à son épouse avant et après la réunion du 25 janvier 2012.

[181]  A.S. a interrogé Mme Dinner au sujet de la formation sur le harcèlement sexuel qu’elle avait reçue des représentants du gouvernement fédéral. Mme Dinner s’est souvenue qu’ils sont venus sur les lieux de travail juste avant qu’elle ne donne son préavis. La politique sur le harcèlement affichée dans les bureaux a été obtenue du site Web du gouvernement peu après qu’elle a commencé à travailler pour la société intimée en septembre 2011. Dans son emploi précédent au sein d’une grande entreprise, elle travaillait dans le domaine de la comptabilité, et non dans celui des ressources humaines, de sorte qu’elle connaissait de manière générale les politiques sur le harcèlement, mais n’avait aucune formation ou expérience en matière de harcèlement.

[182]  Dans sa lettre de démission, Mme Dinner a fait mention des problèmes concernant N.A., L.C. et elle-même. Mme Mohammed voulait lui en parler et elles se sont rencontrées au Tim Hortons. Mme Mohammed a demandé à Mme Dinner si elle reviendrait s’ils congédiaient L.C. Mme Dinner a répondu non, parce que L.C. était toujours dans l’entreprise et qu’elle ne voulait être impliquée d’aucune façon dans les problèmes qu’il allait causer à l’entreprise. 

[183]  Mme Dinner a convenu avec A.S. que le propriétaire et son épouse allaient regretter son absence de l’entreprise, mais, à son avis, ils accordaient plus de valeur à un répartiteur qu’à elle et à N.A. Mme Dinner a aussi dit que Mme Mohammed pouvait s’acquitter de plusieurs de ses tâches.

[184]  Mme Dinner a laissé sa lettre de démission sur le bureau du propriétaire après avoir parlé à Mme Mohammed. Le jour ouvrable suivant, ils en ont discuté. Ils lui ont dit de ne pas s’inquiéter, qu’ils allaient trouver une solution. Pas une seule fois au cours de cette réunion ils n'ont parlé de congédier L.C.

[185]  Mme Dinner a affirmé que plus tard, le jour où elle partait en vacances, Mme Mohammed l’a appelée et l’a suppliée de revenir travailler pour l’entreprise en lui promettant que tout irait bien et qu’ils trouveraient une solution. Mme Dinner lui a répondu qu’elle ne pouvait pas revenir parce que L.C. était toujours là et qu’elle ne voulait plus avoir affaire à lui.

[186]  Interrogée par A.S. au sujet d’autres conversations avec Mme Mohammed après son départ de l’entreprise, Mme Dinner a reconnu que Mme Mohamed était venue chez elle des mois après son départ. Mme Mohammed lui a confié qu’ils n’aimaient pas sa remplaçante et qu’ils voulaient qu’elle revienne en lui promettant de renvoyer L.C. Mme Dinner a affirmé s’être également rendue au bureau un jour où le propriétaire n’était pas là pour parler à Mme Mohammed. 

[187]  A.S. a demandé à Mme Dinner si elle avait déjà proposé à Mme Mohammed de revenir dans l’entreprise même si L.C. était là, parce qu’elle pensait pouvoir être en mesure de traiter avec ce dernier. Mme Dinner a affirmé n’être pas certaine d’avoir tenu ces propos à Mme Mohammed. 

[188]  A.S. a contesté le point de vue de Mme Dinner selon lequel L.C. était avantagé dans l’entreprise puisqu’elle l’a sanctionné pour un courriel. Mme Dinner a répondu qu’elle avait pris des mesures disciplinaires contre L.C. au nom du propriétaire, et que jamais elle n’avait rédigé de document sans que le propriétaire ne le demande ou ne l’ordonne. Elle a donné un exemple : quand L.C. et N.A. ont demandé des vacances, elle s’est adressée au propriétaire aux fins d’approbation.

[189]  A.S. a lu des extraits de messages échangés entre N.A. et Mme Dinner au sujet de la plainte de N.A. en matière de droits de la personne contre la société intimée. A.S. a laissé entendre à Mme Dinner qu’elle avait aidé N.A. en lui fournissant des preuves et des renseignements, tout en maintenant une amitié avec Mme Mohammed, afin de nuire à Mme Mohammed et au propriétaire. Mme Dinner a reconnu qu’elle pensait que le propriétaire et son épouse avaient pris la mauvaise décision de ne pas congédier L.C. lorsqu’elle leur avait demandé de le faire et avant de démissionner.  

 

 

 

 

Les témoins de la société intimée

3.  Mahir (Mark) Marson

[190]  M. Marson était propriétaire et exploitant de la station‑service Petro‑Canada située à Vaughn, en Ontario, dans laquelle se trouvait le café appelé Neighbours Café. M. Marson a employé N.A. à temps partiel au café.

[191]  M. Marson a témoigné que son établissement Petro‑Canada fournissait le carburant diesel des camions de la société intimée. Le propriétaire se rendait à la station‑service de M. Marson chaque jour pour payer les achats de carburant de ses chauffeurs. M. Marson a témoigné que la société intimée était l’un de ses principaux clients et qu’il croit que son personnel le savait et reconnaissait le propriétaire de la société intimée lorsqu’il entrait dans l’établissement pour payer les achats de carburant.

[192]  M. Marson a témoigné qu’il n’avait pas eu beaucoup de conversations avec N.A. lorsqu’elle était à son emploi. A.S. lui a demandé ce que N.A. avait dit aux autres personnes de son entreprise, selon ce qu’ils lui avaient rapporté, mais le Tribunal a rappelé à A.S. la règle du ouï‑dire. M. Marson a confirmé que c’est son neveu, qu’il n’a pas nommé, qui lui a rapporté ce qu’il savait des conversations de N.A. avec d’autres membres de son entreprise et qu’il n’a pas entendu les commentaires lui‑même. Malgré l’explication et la mise en garde concernant le ouï‑dire, M. Marson a témoigné que son neveu lui avait dit que N.A. avait dit qu’elle cherchait un homme riche pour ne plus avoir à travailler. 

[193]  Lorsque M. Marson a appris que le propriétaire avait l’intention d’embaucher N.A, M. Marson a dit au propriétaire que, vers la fin de sa période d’emploi, le rendement de N.A. n’était pas optimal. Il a averti le propriétaire qu’il avait entendu dire qu’elle cherchait un homme riche et lui a dit de bien surveiller son éthique de travail. 

[194]  Au cours du contre‑interrogatoire effectué par N.A., M. Marson a reconnu qu’il ne disposait d’aucun renseignement précis lui confirmant que N.A. connaissait le propriétaire ou son entreprise pendant qu’elle travaillait pour M. Marson. M. Marson a reconnu qu’il supposait que tous ses employés savaient qui était le propriétaire, parce qu’il se rendait dans l’établissement chaque jour pour payer le carburant, acheter de la nourriture et du café.

[195]  M. Marson a convenu avec N.A. qu’elle travaillait parfois au guichet de service à l’auto situé à l’arrière du magasin, où se trouvait une caisse enregistreuse distincte et d’où il n’était pas possible de voir les pompes de diesel. M. Marson a convenu qu’un secteur du commerce et une caisse enregistreuse distincte servaient aux ventes d’essence de l’établissement Petro‑Canada et que le propriétaire se rendait dans ce secteur pour examiner et régler ses achats de carburant. M. Marson a convenu avec N.A. que N.A. ne travaillait ni dans le secteur ni aux caisses enregistreuses qui servaient à la vente d’essence de l’établissement Petro‑Canada. 

[196]  M. Marson ne se souvenait plus combien d’heures par semaine N.A. travaillait au Café et se souvenait seulement qu’elle travaillait à temps partiel. N.A. a laissé entendre à M. Marson qu’elle avait travaillé pour lui deux ou trois fois par semaine pendant huit mois tout au plus. M. Marson ne se souvenait pas si la durée de son emploi ou son horaire était différent de ce que N.A. a indiqué.

[197]  M. Marson a convenu avec N.A. qu’elle n’a pas quitté son emploi. Le bail de M. Marson pour les locaux de son entreprise arrivait à échéance, et il allait déménager son commerce à l’aéroport. Il a offert à tous ses employés, y compris à N.A., un poste à l’aéroport. Il a reconnu que N.A. a refusé cette offre parce que l’aéroport était trop éloigné pour qu’elle y travaille. M. Marson a reconnu qu’il se préoccupait de tous ses employés et qu’il a recommandé à d’autres employeurs ceux qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas travailler pour lui au nouvel emplacement; par exemple, Patricia a été recommandée au propriétaire de la société intimée, qui l’a embauchée à titre d’aide ménagère. N.A. a été recommandée à l’entreprise de camionnage de la société intimée.

[198]  Me Warsame a demandé à M. Marson de dessiner un plan de l’établissement Petro‑Canada tel qu’il était aménagé quand N.A. travaillait pour lui. Ce plan constitue la pièce A1.

[199]  N.A. a déclaré en contre‑preuve qu’elle avait travaillé pendant environ huit mois pour M. Marson, soit beaucoup plus qu’une période de probation de trois mois. Elle estimait qu’elle était une bonne employée. M. Marson se trompait sur sa situation; par exemple, elle avait trois enfants, et non deux, elle n’était pas séparée lorsqu’elle a commencé à travailler pour lui et n’est pas divorcée.

[200]  N.A. a expliqué qu’il y avait un vaste terrain entre le Neighbours Café et l’entreprise de la société intimée et qu’elle ne pouvait donc pas voir la plupart des activités de l’entreprise par la fenêtre de son guichet de service à l’auto. Elle ne remarquait que les clients qui venaient à son guichet pour acheter du café. Elle ne portait pas attention aux clients du lave‑auto, des pompes à essence ou des autres comptoirs de service du commerce. 

[201]  En ce qui concerne L.C., N.A. a déclaré qu’elle avait cru initialement que L.C. cesserait de lui faire des commentaires offensants si elle lui disait que ses commentaires étaient dégoûtants et lui demandait d’arrêter, de manière à ce qu’il craigne qu’elle porte plainte contre lui. Toutefois, il n’a pas cessé ses commentaires, et elle s’est donc adressée à Mme Dinner parce qu’elle lui faisait confiance. La fois suivante, elle s’est entretenue avec Mme Mohammed parce qu’elle était gentille et ouverte et parce qu’elle croyait qu’il serait beaucoup plus facile de s’adresser à elle qu’à son époux, le propriétaire. N.A. ne se souvient pas d’avoir planifié une discussion avec Mme Mohammed le 13 janvier au sujet de L.C., mais elle croit qu’elle lui a probablement parlé parce que L.C. lui avait adressé un commentaire offensant ce jour‑là, et elle ne se souvient pas d’avoir vu Mme Dinner au bureau le jour en question.

4.  Mustafa Hussein

[202]  Un interprète officiel a servi au témoignage de M. Hussein. M. Hussein travaillait pour la société intimée en même temps que N.A. M. Hussein était principalement mécanicien, mais s’acquittait d’autres tâches que lui confiait le propriétaire, par exemple des travaux de plomberie, d’électricité et de charpenterie.

[203]  M. Hussein a déclaré que N.A. l’avait déjà aidé à vérifier les feux de freinage d’un camion. Il se souvient d’avoir remplacé la courroie d’entraînement du véhicule de N.A. et peut‑être un filtre à air, mais il n’est pas certain dans le cas du filtre à air.

[204]  M. Hussein a déclaré que le propriétaire avait tenu la réunion du 25 janvier 2012 dans son bureau, qui était petit, et que le propriétaire est demeuré debout pendant toute la réunion. Selon M. Hussein, il est lui aussi demeuré debout dans l’embrasure de la porte. Mme Mohammed et N.A. ont assisté à la réunion. Il ne se souvient pas si la porte était fermée; en fait, il se souvient d’être demeuré tout près de la porte, qui était ouverte, pendant toute la réunion. M. Hussein a affirmé que le propriétaire criait après N.A. et que N.A. a pleuré. M. Hussein ne comprenait pas tout ce qui était dit parce que les discussions se tenaient en anglais et qu’il ne maîtrise pas bien l’anglais. M. Hussein a déclaré qu’il était très mal à l’aise d’être présent parce qu’il se sentait gêné pour N.A. et qu’il voulait seulement partir.

[205]  Après la réunion, M. Hussein a demandé au propriétaire pour quelle raison il traitait N.A., une femme, de cette façon. Le propriétaire lui a dit qu’il ne savait pas de quoi il parlait et que c’est exactement ainsi qu’il faut traiter les gens comme elle. Lorsqu’il a été invité à dire ce que le propriétaire entendait par [traduction] « les gens comme elle », M. Hussein a répondu qu’il ne le savait pas.

[206]  A.S. a demandé à M. Hussein s’il lui était déjà arrivé d’entrer dans le bureau de répartition et de voir N.A. assise sur les genoux de L.C. M. Hussein a répondu en se plaignant qu’avant l’audience, le propriétaire avait communiqué avec lui parce qu’il voulait qu’ils donnent les mêmes réponses aux questions du juge et que L.C. avait communiqué avec lui pour dire que N.A. l’avait nommé relativement à cette affaire. M. Hussein était mécontent et a déclaré qu’il s’était senti intimidé par les appels du propriétaire et de L.C. M. Hussein a déclaré que N.A. lui avait également laissé un message pour lui demander de l’aide, mais qu’il n’avait pas répondu. Il a déclaré qu’il ne s’est pas senti intimidé par son message.

[207]  M. Hussein a affirmé qu’il se souvient d’être entré dans le bureau de répartition et d’avoir vu N.A. assise près de L.C., devant l’ordinateur de L.C. M. Hussein a convenu qu’il avait demandé à L.C. si N.A. était assise sur sa jambe lorsqu’il l’a vue assise à ses côtés, et L.C. avait confirmé que c’était le cas. M. Hussein a par la suite dit au propriétaire qu’il avait vu N.A. assise sur la jambe de L.C., mais il n’a fait que transmettre ce que L.C. lui avait dit. M. Hussein affirme qu’il ne sait pas réellement si N.A. était assise sur la jambe de L.C. ou non. 

[208]  M. Hussein affirme qu’il touchait un salaire, mais qu’il devait effectuer de longues heures la fin de semaine et les jours fériés. Le propriétaire a dit que seuls les Canadiens bénéficiaient d’un congé payé les jours fériés. Il a demandé à être rémunéré selon un taux horaire, et le propriétaire a refusé et lui a dit de quitter son emploi. Lorsqu’il s’est blessé, il l’a présenté à l’hôpital comme un ami, et non comme un employé, et le propriétaire a annulé ses prestations de maladie sans préavis.

[209]  M. Hussein a déclaré s’être plaint à Mme Mohammed de la façon dont son époux, le propriétaire, le traitait, mais ne croyait pas qu’elle avait du pouvoir sur le propriétaire et ne lui a donc pas reproché les gestes de son époux. 

[210]  M. Hussein a déclaré que certains chauffeurs lui ont fait part de problèmes qu’ils avaient avec le propriétaire, et lorsqu’il a mentionné cette situation au propriétaire et à son épouse, le propriétaire a réduit les heures de travail de ces chauffeurs.

[211]  M. Hussein est originaire du même pays et a le même bagage culturel que le propriétaire et a déclaré que le propriétaire savait qu’il ne faut pas traiter une femme comme il a traité N.A. pendant la réunion du 25 janvier 2012. Il a déclaré qu’il faut prendre soin des femmes et qu’il avait été stupéfait de la façon dont le propriétaire avait traité N.A.

5.  L.C. (le particulier intimé)

[212]  L.C. a convenu avec A.S. qu’il avait averti N.A. à de nombreuses reprises au sujet de son rendement au travail parce qu’elle passait beaucoup de temps à envoyer des messages texte avec son téléphone pendant qu’elle était au travail. L.C. a déclaré qu’il avait appris les détails de la vie personnelle de N.A. parce qu’elle parlait ouvertement de sa vie personnelle.

[213]  A.S. a posé à L.C. les questions suggestives suivantes au sujet de l’éthique de travail de N.A., du temps qu’elle consacrait à ses problèmes personnels pendant les heures de travail, etc. :

[traduction]

A.S. :  « En ce qui concerne l’éthique de travail de [N.A.] et son emploi du temps à l’entreprise, avez-vous remarqué qu’elle faisait des choses qui ne faisaient pas partie de son travail pendant les heures de travail? »

L.C. :  « Oh, absolument, et je lui en ai parlé à quelques occasions; pendant sa première semaine de travail, elle a passé la plus grande partie de son temps à chercher un manteau pour sa fille aux États‑Unis. Par conséquent, au lieu de faire les appels téléphoniques qu’elle devait faire, j’imagine qu’elle faisait des ventes ou de la publicité à cette époque. »

L.C.  « Elle faisait des appels pour trouver ce manteau, un manteau en duvet d’oie en particulier d’une valeur de 500 $ pour sa fille, et c’est ce qu’elle faisait – c’est essentiellement ce qu’elle a fait pendant sa première semaine au bureau. »

A.S. :  « Pendant ses pauses? »

L.C. :  « Je suis convaincu que c’était pendant ses heures de travail parce que, parfois, elle venait dîner, mais ne mangeait pas et passait son temps au téléphone. Mais la plupart du temps, lorsqu’elle le faisait en dehors de la période de dîner, soit tôt le matin, elle disait essentiellement que c’était parce qu’elle n’avait pas de travail à faire. »

[214]  A.S. a posé à L.C. les questions suggestives suivantes sur son affirmation selon laquelle N.A. s’était assise sur ses genoux :

[traduction]

L.C. :  « Un jour, N.A. m’a demandé de l’aider avec une feuille de calcul. Elle est venue à mon bureau, et, pour quelque raison, elle a décidé de se laisser tomber sur mes genoux. À ce moment […] »

A.S. :  « Sur vos genoux ou votre jambe? »

L.C. :  « Sur mes jambes, à la hauteur des genoux, de sorte que ses fesses se trouvaient essentiellement sur ma jambe. Mustafa est entré et nous a demandé ce qui se passait, et elle s’est alors levée. Ça n’a duré que quelques secondes, mais Mustafa est entré à ce moment; c’est surprenant, comme il l’a témoigné, qu’il n’a --- qu’il n’ait rien vu. »

A.S. :  « Avez‑vous fait part de cette situation [au propriétaire] à ce moment ou avez‑vous simplement laissé passer l’incident? »

L.C. :  « J’ai laissé passer l’incident, mais tout d’abord j’étais offensé par ce qui s’était passé. Je ne peux préciser la date, mais je peux dire que c’était près de la mi‑novembre, au moins, et je dirais que c’est arrivé alors qu’elle occupait son emploi depuis au moins deux mois. »

[215]  A.S. a interrogé L.C. sur la situation où un chauffeur était demeuré coincé à un poste de pesée à London, en Ontario, sans le dossier dont il avait besoin pour poursuivre la livraison de sa marchandise et que quelqu’un avait dû conduire deux heures pour remettre le dossier au chauffeur. L.C. a déclaré que le dossier était demeuré sur le bureau de N.A. et que c’est N.A. qui devait remettre les dossiers au chauffeur.

[216]  L.C. a témoigné que Mme Dinner était sa supérieure et qu’elle rédigeait les notes de service et les lettres au nom de l’entreprise. L.C. a confirmé la suggestion d’A.S. selon laquelle Mme Dinner n’aurait pas permis qu’une plainte ou une réserve concernant son rendement ou son comportement ne se traduise pas par une réprimande écrite et que, la plupart du temps, il relevait de Mme Dinner, et non du propriétaire.

[217]  Me Warsame a fait référence à l’offre d’emploi de L.C. (pièce HR1, onglet 24), qui précise qu’il relèvera directement du propriétaire, et L.C. a répondu que dans 9 cas sur 10, le propriétaire était occupé ou absent alors que Mme Dinner était au bureau tous les jours et qu’en fin de compte, il relevait de Mme Dinner.

[218]  L.C. a nié avoir dit quoi que ce soit d’offensant à Janette Dinner et a dit que s’il l’avait fait, elle l’aurait congédié immédiatement : [traduction] « […] Pensez‑y, elle m’a donné un avertissement simplement pour m’être trompé dans l’envoi d’un stupide courriel – vous croyez qu’elle aurait toléré que je lui parle de cette manière? »

[219]  L.C. a nié que Mme Dinner ait déjà discuté avec lui d’une plainte que N.A. aurait formulée sur son comportement ou que le propriétaire ait déjà discuté avec lui de plaintes formulées par N.A. à son sujet avant que la plainte soit reçue par la poste. 

[220]  L.C. a déclaré qu’il croyait que N.A. cherchait un autre emploi pendant qu’elle travaillait pour la société intimée. Il a déclaré qu’elle s’était absentée à une occasion pour assister à une réunion liée à son admission à l’école de police. Il a déclaré que N.A. l’avait appelé sur son téléphone cellulaire pour lui dire qu’elle allait arriver en retard au bureau parce que sa réunion avait duré plus longtemps que prévu. 

[221]  L.C. a affirmé que N.A. l’avait appelé plus d’une fois sur son téléphone cellulaire personnel après les heures de travail pour discuter de sujets qui n’avaient pas de lien avec le travail. L.C. a affirmé que N.A. se plaignait de Mme Dinner. L.C. a déclaré que lui et N.A. n’avaient pas de problèmes entre eux jusqu’à ce que les heures de N.A. soient réduites. Lorsque ses heures de travail ont été réduites, elle a cessé de lui parler.

[222]  L.C. a déclaré qu’il nettoyait la salle de toilettes des hommes du bureau de répartition. Il a convenu avec A.S. que certains problèmes surgissaient l’hiver, par exemple des camions qui restaient coincés, des camions qui ne démarraient pas en raison du froid extrême, des conduites d’air qui gelaient, des freins qui fonctionnaient mal en raison du froid. Il a convenu avec A.S. que le propriétaire répondait aux appels des chauffeurs en dehors des heures normales de travail, qu’il devait parfois remplacer un chauffeur qui ne pouvait pas se rendre au travail et qu’il aidait M. Hussein dans le garage.

[223]  L.C. a nié avoir reçu de l’argent des chauffeurs pour leur avoir donné les meilleurs chargements ou avoir déjà demandé à un chauffeur de lui apporter du café. Parfois, les chauffeurs l’appelaient pendant qu’ils revenaient à la cour et lui proposaient de lui apporter un café. L.C. a nié avoir visionné de la pornographie au travail.

[224]  L.C. a déclaré que lorsque la société intimée a vendu l’entreprise, il a commencé à travailler pour le nouveau propriétaire. Il a témoigné qu’il a cessé de travailler pour le nouvel employeur en janvier 2016 parce que l’entreprise faisait des chèques sans provision.

[225]  Le Tribunal a donné à L.C. l’occasion de lire la plainte de N.A. et d’ajouter des éléments à son témoignage avant de subir son contre‑interrogatoire. Après avoir lu la plainte, L.C. a déclaré :

[traduction]

« D’accord. Eh bien, ces allégations sont des inventions. Ces allégations ont été créées de toutes pièces lorsque ses heures ont été réduites. Elle a indiqué qu’elle avait parlé à Janette à ce sujet, mais elle croyait que je devais avoir dit [au propriétaire] qu’elle ne travaillait pas. Je lui ai expliqué que je n’avais pas besoin de le faire, qu’il y a une caméra et qu’il pouvait voir ce qu’elle faisait chaque jour dans le bureau. Elle a refusé de le croire, mais c’est pour cette raison que ces allégations ont été inventées. Je ne lui ai jamais rien dit de nature sexuelle, et les seules fois où nous avons eu des conversations de nature sexuelle, c’est lorsqu’elle me parlait de ses escapades avec son ancien petit ami, de ce qu’elle devait faire, qu’elle était amoureuse de cet homme, qu’ils avaient des relations sexuelles, qu’il ne l’appelait plus, et qu’elle se demandait quoi faire. Je lui ai dit ce que je pensais, j’ai dit d’accord, passe à autre chose. Qu’est-ce que tu en penses, ça a l’air de te préoccuper. Elle me disait ces choses ouvertement. À de nombreuses occasions, elle m’a demandé le nom d’un homme qui venait d’entrer dans le bureau parce que je ne l’ai jamais présentée à personne, c’est un autre fait qu’elle a avancé. Elle se présentait elle‑même aux hommes, voulait savoir ce qu’ils valaient, combien d’argent ils avaient et quel était leur métier, quel type de véhicule ils conduisaient, parce qu’elle n’entrait que dans certains véhicules.

En ce qui concerne les pizzas pochettes, je me suis toujours demandé pourquoi quelqu’un me regarderait manger; les pizzas pochettes étaient un repas très abordable pour moi à ce moment; les pizzas pochettes sont chaudes lorsqu’elles sortent du micro‑ondes, et je ne faisais que souffler dans les pizzas pour qu’elles refroidissent. Elle déclare que j’utilisais ma langue et que je faisais les choses qu’elle a alléguées.

En ce qui concerne l’allégation selon laquelle je l’aurais présentée comme une femme célibataire et seule, c’est également incorrect. Elle se présentait elle‑même, elle a mentionné un homme appelé Victor; j’étais au téléphone, comme toujours, et ils se parlaient alors que j’étais entre eux. Je suis assis ici, la porte est là, et elle se trouvait là. J’étais au téléphone, je n’ai pas été en mesure de parler à cet homme à ce moment. Il a demandé “qui êtes‑vous?”, et elle s’est présentée. Il est passé devant mon bureau, s’est assis avec elle et a commencé à discuter avec elle, mais elle affirme maintenant que je l’ai présentée. Le livreur d’eau, Steve, s’est présenté à ma porte un jour, et j’imagine que c’était pendant sa première semaine de travail, et il a dit “oh, c’est qui la nouvelle?” et, de nouveau, le téléphone a sonné, j’ai répondu tout de suite parce que c’est mon travail, et encore une fois, ils ont discuté [inaudible] le livreur d’eau, etc., je ne l’ai jamais présentée à qui que ce soit. 

En ce qui concerne son explication sur des parties de son corps, premièrement, c’est très vulgaire, c’est dégoûtant, je n’ai jamais rien dit sur des parties de son corps.

Quant à l’affirmation selon laquelle je l’aurais invitée à sortir, la dernière fois que je suis allé dans une boîte de nuit ou sorti, j’avais 19 ans et, si j’allais quelque part, je devrais y aller avec mon épouse. Donc, je ne l’ai pas invitée à un rendez-vous ni à une rencontre. La seule fois où nous avons parlé d’aller quelque part, c’est lorsqu’elle, et Janette était là également, elle a dit peut‑être que nous, peut‑être, c’est bien le mot qu’elle a utilisé, peut‑être que nous pourrions porter des vêtements chics un jour et aller quelque part. Personne n’a mentionné d’endroit, personne n’a mentionné le Sugar Daddies, personne n’a mentionné de boîte de nuit, il a simplement été question de sortir. Elle a indiqué qu’elle allait devoir conduire parce qu’à cette époque, j’avais une petite Yaris, je ne sais pas ce que Janette avait comme véhicule, mais elle avait sa magnifique BMW, et elle ne se déplaçait qu’en véhicule de luxe. »

[226]  Le Tribunal a demandé à L.C. pourquoi, selon lui, N.A. aurait forgé ces allégations, et il a répondu ce qui suit :

[traduction]

« Ses heures ont été réduites. Elle est arrivée le 16 et [m’a] dit, tu as dit quelque chose [au propriétaire]. J’ai répondu que je n’avais rien dit [au propriétaire] sur son éthique de travail. Donc, elle était entièrement libre de faire ce qu’elle devait faire sans que personne ne soit derrière elle pour la surveiller. Toutefois, elle affirmait constamment qu’elle n’avait pas de travail. Elle croyait donc que j’avais dit [au propriétaire] qu’elle passait son temps à envoyer des messages texte et à faire d’autres choses sans lien avec son travail, alors que [le propriétaire] n’avait pas à me le demander, et je n’avais pas à le lui dire parce qu’il y avait une caméra au‑dessus de son bureau et qu’elle se cachait dans le coin, où elle était hors de la portée de la caméra, pour envoyer ses messages texte. [Le propriétaire] ne pouvait pas la voir à la caméra quand elle était à cet endroit, et c’est là qu’elle passait la plus grande partie de son temps quand elle se trouvait dans notre bureau. Nous n’avions même pas le temps d’avoir des conversations parce que je suis constamment au téléphone, vous avez entendu parler de Loadlink, si vous n’appelez pas sur‑le‑champ, vous manquez votre occasion, vous n’obtenez pas ce chargement parce que 20 personnes passent avant vous. Je me concentrais toujours là‑dessus. »

[227]  Le Tribunal a demandé à L.C. ce qu’il croyait que N.A. avait à gagner en faisant ces allégations. L.C. a répondu :

[traduction]

« Je crois que c’était pour des raisons financières. Elle voulait aller le plus loin possible pour voir ce qu’elle allait pouvoir obtenir. Elle croyait qu’elle allait recevoir une forme d’indemnité parce qu’elle avait fait des allégations. Ensuite, bien sûr, ils ne l’ont pas congédiée parce que, vous savez, elle était la bonne employée. »

[228]  Le Tribunal a demandé à L.C. à quel moment il avait appris que N.A. alléguait qu’il la harcelait sexuellement, et il a répondu ce qui suit :

[traduction]

« Je ne l’ai appris que lorsque nous avons reçu les allégations par courrier, j’ai reçu une copie, qui a été envoyée [à la société intimée], je crois. Après son départ de l’entreprise. Nous nous parlions tous les jours à l’exception de la journée du 16 janvier, lorsqu’elle est arrivée un lundi, et j’imagine que c’est environ à ce moment que ses heures ont été réduites parce qu’elle est entrée en trombe ce matin‑là, je ne l’oublierai jamais, et elle m’a dit tu as parléˮ. J’ai répondu que je n’avais rien dit, comme je vous l’ai dit, je n’avais pas parlé. Autrement, nous nous parlions tous les jours, nous nous disions bonjour, bon après‑midi, et quand elle avait besoin d’aide, je lui donnais un coup de main, et rien de tout ça n’a été soulevé jusqu’à ce que ses heures soient réduites et que je devienne soudainement le méchant, selon ce qu’elle dit. »

[229]  Au cours de son contre‑interrogatoire mené par Me Warsame, L.C. a nié avoir eu quelque conflit ou problème que ce soit avec N.A. jusqu’à ce qu’elle entre en trombe dans le bureau de répartition un lundi de janvier 2012 parce que ses heures avaient été réduites et qu’elle déclare que c’était sa faute. Il a déclaré : 

[traduction]

« Les seules conversations de nature sexuelle que nous avons eues portaient sur elle et ses relations intimes et ses escapades de la fin de semaine. Eh bien, elle a, nous avons eu quelques conversations sur un autre emploi à temps partiel qu’elle occupait dans, je crois que c’était une sorte de salle de mariage locale, et elle me disait que les hommes n’avaient d’yeux que pour elle et elle me disait le montant des pourboires qu’elle recevait, ce genre de choses. Et je lui ai demandé ce qu’elle faisait, si elle était certaine de savoir ce qu’elle faisait. Elle m’a répondu oh oui, ils sont très gentils, vous savez, elle disait qu’ils voulaient tous l’épouser et l’amener dans leur pays, et c’est en gros le genre de conversations que nous avions. »

[230]  Lorsque Me Warsame l’a interrogé sur la fois où N.A. s’est assise sur ses genoux, L.C. a témoigné que N.A. s’était assise sur ses [traduction] « […] genoux, en fait, je ne peux pas me souvenir, sur ma jambe, le haut de la jambe, et non le bas de la jambe, la partie du haut ».

L.C. a déclaré :

[traduction]

« Oui, tout à fait. Une fois de plus, elle avait besoin d’aide, elle [inaudible] avait été mère au foyer pendant de nombreuses années et n’avait pas beaucoup d’expérience du travail de bureau, je ne suis pas certain de ce qu’elle faisait auparavant. Elle demandait donc de l’aide pour être en mesure de faire son travail, elle n’arrivait pas à ouvrir des choses simples comme des feuilles de calcul et des choses comme ça. En fait, ce jour‑là, elle a demandé de l’aide, mais je n’étais pas en mesure de me rendre à son bureau, elle est donc venue à mon bureau, et sans avertissement, elle s’est laissée tomber sur ma jambe. Elle s’est littéralement assise sur ma jambe. C’est à ce moment que [M. Hussein] a ouvert la porte, est entré et a demandé ce qui se passait et qu’elle s’est levée. Il a fermé la porte, et elle a dit Rien [M. Hussein], ha, ha, haˮ, parce qu’à ce moment, je n’ai pas perçu l’incident comme j’aurais dû le faire, parce que c’était grave, et que si j’avais su à quoi ça allait mener, je me serais dépêché d’aller voir [le propriétaire] pour lui dire voici ce qui s’est passé, pouvez‑vous aller chercher l’enregistrement vidéo pour que j’en aie une copie? Tout ce qui se passe dans le bureau est enregistré, donc au moment où c’est arrivé, comme je l’ai dit, j’ai pris l’incident personnellement, j’étais offensé, mais je n’ai jamais pensé à aller voir [le propriétaire] pour lui dire de visionner la vidéo, pour qu’il voie qu’elle s’était assise sur ma jambe, au cas où il se passerait quelque chose. Maintenant que je suis ici, c’est ce que j’aurais dû faire, nous aurions une preuve, nous aurions l’enregistrement vidéo pour le tribunal, et tout le monde verrait qu’ils ont menti tous les deux. Il y a eu un incident pendant lequel elle s’est assise sur ma jambe. Il n’y avait rien, peut‑être qu’il n’y avait rien de sexuel dans le geste et qu’elle s’est simplement assise – et elle souriait, et Mustafa est entré et elle souriait, mais il a témoigné qu’il ne l’a pas vue. »

[231]  L.C. a nié avoir dit à N.A. qu’elle était jolie ou l’avoir présentée comme une [traduction] « belle fille », l’avoir invitée à sortir ou avoir demandé si lui et Mustafa pouvaient aller chez elle. L.C. a déclaré que N.A. n’était pas [traduction] « une belle fille, en passant ». Il a nié avoir déjà dit à N.A. qu’elle allait être seule et misérable – selon ce qu’elle lui disait, elle rencontrait beaucoup d’hommes et avait beaucoup de rendez‑vous. Il a nié s’être vanté de ses performances sexuelles. Il a nié avoir dit à N.A. qu’il s’ennuyait d’elle ou qu’il avait fait un rêve. L.C. a déclaré que s’il s’était léché les lèvres, c’était probablement parce qu’elles étaient sèches. L.C. a déclaré qu’il utilisait l’appareil photo de son téléphone pour prendre des photos d’écrans de Google Maps afin de les envoyer par messagerie texte aux chauffeurs qui demandaient leur chemin, et non pour prendre des photos de N.A. L.C. a déclaré que les allégations de N.A. sont des mensonges. Il a nié lui avoir posé des questions sur ses seins et lui avoir demandé si son sexe était bien étroit. Il a nié avoir dit qu’il lui tiendrait les hanches et la pénétrerait par-derrière. Il a nié avoir dit qu’il l’étranglerait et a affirmé que c’était une menace et que s’il avait vraiment prononcé ces mots, elle aurait appelé la police.

[232]  L.C. a reconnu qu’il mange régulièrement des pizzas pochettes au dîner. Il souffle dessus pour les faire refroidir et a nié avoir fait des bruits suggestifs ou des mouvements de langue suggestifs sur ses pizzas pochettes.

[233]  L.C. a déclaré qu’il croit que c’est Mme Dinner qui l’a appelé pour qu’il assiste à la réunion du 25 janvier 2012 et qu’elle ne lui avait pas dit sur quoi allait porter la réunion. Il a confirmé que lui, le propriétaire, Bushra Mohammed (l’épouse du propriétaire), Janette, N.A. et Mustafa Hussein étaient présents. L.C. a déclaré que la porte du bureau n’était pas fermée parce que si elle l’avait été, il aurait eu trop chaud et aurait demandé que la porte reste ouverte. L.C. a déclaré qu’il s’est assis dans une chaise posée contre le mur. L.C. affirme qu’il n’a jamais fait de remarques de nature sexuelle à N.A.

[234]  L.C. a déclaré se souvenir que le propriétaire ait dit [traduction] « nous semblons avoir un problème ou quelques problèmes ». La réunion a d’abord porté sur un dossier disparu. L.C. a expliqué qu’il était parfois difficile de comprendre ce que le propriétaire disait. L.C. a déclaré qu’il croyait que le propriétaire avait dit [traduction] « nous sommes une petite entreprise, et si nous avons des problèmes, nous devrions pouvoir en parler entre nous ». N.A. a commencé à pleurer, et L.C. a déclaré qu’il ne savait pas pourquoi elle pleurait. L.C. a nié que qui que ce soit ait haussé le ton. L.C. a déclaré que Mme Dinner avait ouvert la porte du bureau pour que N.A. puisse sortir.

[235]  L.C. a déclaré que la question de savoir si le propriétaire criait est une question d’interprétation. Son ton était élevé et il était probablement mécontent. Il se souvient que le propriétaire a demandé à N.A. pour quelle raison elle n’avait rien dit auparavant au sujet des remarques de nature sexuelle qu’il lui aurait adressées. L.C. croit que le propriétaire lui a demandé de répondre et qu’il a nié avoir eu une conversation de nature sexuelle avec N.A. L.C. a déclaré qu’après le départ de N.A., il n’y a pas eu d’autres échanges avec le propriétaire ou avec Mme Dinner sur les plaintes formulées contre lui.

[236]  Me Warsame a invité L.C. à consulter la plainte de N.A. (pièce HR1, onglet 2) et lui a demandé si toutes les allégations sont des mensonges, et il a répondu [traduction] « absolument – sans aucune exception ».

[237]  Me Warsame a interrogé L.C. au sujet de la plainte dont il a fait l’objet alors qu’il travaillait pour Appliance Canada (voir la pièce HR1, onglet 27, de la décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario). L.C. a confirmé qu’il avait travaillé comme gérant de la logistique à Appliance Canada et que la plaignante, Tamara Kennedy, avait été son employée pendant environ trois mois. L.C. a reconnu que Tamara Kennedy avait porté plainte contre lui pour harcèlement sexuel en affirmant qu’il lui avait fait des avances sexuelles qu’elle avait rejetées. L.C. a confirmé qu’il a été congédié par Appliance Canada, mais affirme que c’est parce que l’entreprise a été achetée par Meubles Léon et que tous les gérants ont été congédiés.

[238]  L.C. a nié avoir harcelé sexuellement Mme Kennedy et a déclaré que son allégation était fausse. Il a déclaré qu’elle avait une mauvaise attitude. L.C. a déclaré que N.A. et Tamara Kennedy mentaient toutes les deux à son sujet et a indiqué qu’elles avaient fait ces fausses allégations pour obtenir de l’argent. 

[239]  L.C. a donné l’exemple d’une autre femme qui avait déposé une plainte en matière de droits de la personne et qui réclamait des dommages‑intérêts de 300 000 $ pour son entreprise de toilettage de chiens. L.C. devait rencontrer la femme pour une entrevue, et lorsqu’elle est arrivée en béquilles, il lui a offert de tenir la rencontre au rez‑de‑chaussée. La femme a déclaré qu’elle ne pouvait pas accepter l’emploi parce que le travail nécessitait qu’elle travaille au deuxième étage. L.C. a déclaré que l’entreprise lui a donné 3 000 $ pour régler la plainte. L.C. a déclaré qu’il croit que ces personnes inventent des histoires d’abus et de harcèlement pour gagner de l’argent facilement.

[240]  L.C. a reconnu que la politique en matière de harcèlement était affichée à l’extérieur de son bureau dans les locaux de la société intimée et que le propriétaire et Mme Dinner lui avaient dit de la lire. Il a reconnu qu’il avait lu et signé des politiques sur le harcèlement sexuel dans le cadre de ses emplois précédents, qu’il avait suivi des cours à Appliance Canada et qu’il sait ce qu’est le harcèlement sexuel. Me Warsame a demandé à L.C. ce qu’il avait appris de ces cours, et il a répondu : [traduction] « Qu’il ne faut rien dire de gentil à une femme. [...] Il ne faut rien dire en fait. Il ne faut pas dire à une femme qu’elle est belle, il ne faut rien dire sur le corps d’une femme, j’ai appris beaucoup de choses de ces cours. »

[241]  Le Tribunal a demandé à L.C. ce qu’il pensait des plaintes de Mme Dinner au sujet de son comportement envers elle, et il a déclaré : [traduction] « Ici aussi, c’est un plan tracé d’avance qu’elles ont. » Le Tribunal a demandé à L.C. s’il croyait que Mme Dinner mentait, et il a répondu : [traduction] « Absolument, parce que si vous occupez un poste de gestionnaire et que vous permettez à qui que ce soit de vous parler de quelque façon que ce soit, et de plus, à quel moment cette conversation a‑t‑elle eu lieu, à quel moment ai‑je fait ces remarques à Janette? »

[242]  Le Tribunal a demandé à L.C. ce qui pourrait pousser Mme Dinner à mentir à son sujet, et il a répondu qu’il ne le savait pas. Pour appuyer sa théorie selon laquelle elle mentait, il a affirmé ce qui suit : 

[traduction]

« Elle connaissait bien la loi. Si je lui ai fait des remarques de nature sexuelle, elle n’avait aucune raison de ne pas me congédier immédiatement. La preuve montre qu’elle m’a donné un avertissement pour avoir envoyé un courriel au mauvais client. Examinons les faits. Si vous donnez un avertissement à quelqu’un pour une petite erreur comme celle‑là, comment pouvez‑vous tolérer que cette personne s’adresse à vous d’une manière qui est importune et qui manque de professionnalisme? »

6.  Vivek Sharma

[243]  M. Sharma est propriétaire et exploitant de Superdeck et louait de l’espace appartenant à la société intimée. Il est connu sous le nom de « Vic », et non de « Victor ». M. Sharma a confirmé qu’il n’avait jamais invité N.A. à sortir et, lorsque les passages de la plainte de N.A. portant sur « Victor » ont été lus à M. Sharma, il a confirmé qu’il ne s’agissait pas de lui. N.A. a demandé à M. Sharma s’il la reconnaissait, et il a répondu par la négative. N.A. a déclaré qu’elle ne l’avait jamais vu auparavant

7.  S.A.S, le propriétaire

[244]  Le propriétaire a expliqué que l’exploitation de son entreprise lui demandait beaucoup de temps et d’attention. Il a expliqué qu’il était à la recherche d’une assistante qu’il allait pouvoir former pour qu’elle puisse s’occuper de l’exploitation de l’entreprise de façon autonome et que c’est ce qu’il attendait de N.A. lorsqu’il l’a embauchée.

[245]  Me Warsame a demandé au propriétaire s’il avait embauché N.A. à temps plein ou à temps partiel. Le propriétaire a répondu qu’il voulait embaucher N.A. pour un contrat d’un an. Mme Dinner avait dit quelque chose qui l’avait fait changer d’avis. Il affirme que N.A. avait accepté le poste à deux conditions : 1) elle prenait ses vacances en mars; 2) elle pouvait aller travailler pour la police sans avoir à donner deux semaines de préavis si elle partait. Le propriétaire a déclaré qu’il avait l’impression que N.A. n’allait pas travailler pour lui pendant plus de six mois.

[246]  Le propriétaire a déclaré qu’il croyait que N.A. était organisée et intelligente parce qu’elle paraissait intelligente et avait une apparence soignée. Le propriétaire a témoigné qu’au cours de ses quelques premières semaines de travail, N.A. était parfaite – plus que parfaite, même.

[247]  Après l’avoir embauchée, il a été déçu par son rendement au travail. Elle n’effectuait pas les heures qu’il souhaitait qu’elle fasse et elle n’était pas minutieuse. Il affirme qu’il l’a vue parler avec Janette pendant qu’elle travaillait et craignait qu’elle ne porte pas attention à son travail et qu’elle commette des erreurs. Le propriétaire a commencé à être insatisfait du rendement au travail de N.A., par exemple, des pages des dossiers des chauffeurs étaient mal classées ou mal étiquetées, et les permis de conduire des chauffeurs étaient mal classés. N.A. a prétexté qu’elle était pressée ou qu’elle avait reçu un appel de sa fille. Le propriétaire a nié avoir déjà demandé à N.A. de conduire un camion, de travailler dans le garage ou de nettoyer les toilettes.

[248]  Contre-interrogé par N.A., le propriétaire a déclaré qu’il ne se souvenait pas à quel moment il avait appris à N.A. à classer ses relevés Visa. N.A. lui a indiqué que c’était peut-être en décembre et que le relevé suivant allait être le relevé de janvier, mais qu’elle a quitté l’entreprise avant l’arrivée du relevé de janvier. 

[249]  Le propriétaire a donné une explication décousue et difficile à comprendre sur un constat d’infraction et une amende élevée qu’il avait reçus en raison d’une erreur commise par N.A. Le propriétaire n’a pas précisé la date de cette erreur et n’a fourni aucun document concernant cette erreur. Le propriétaire a déclaré que le chauffeur de camion se trouvait avec L.C. dans le bureau de répartition pour discuter de son itinéraire. Le propriétaire a donné les documents du chauffeur à N.A. et lui a dit de les remettre au chauffeur dans le bureau de répartition. N.A. a laissé les documents sur son bureau, ne les a pas remis au chauffeur, et le chauffeur a quitté les lieux sans les documents requis. Le propriétaire a déclaré qu’il a visionné la vidéo de surveillance du bureau de répartition et qu’il a vu N.A. laisser le dossier sur son bureau sans le donner au chauffeur.

[250]  Le chauffeur est arrivé au poste de pesée de camions de London, en Ontario, sans les documents requis pour le chargement ou le camion. Le chauffeur a attendu quatre heures que les documents lui soient livrés et, lorsqu’il a reçu les documents, le chauffeur avait accumulé 12 heures de travail et ne pouvait pas se rendre à sa destination avant le lendemain. L’entreprise a donc dû payer une amende considérable et payer une chambre d’hôtel pour le chauffeur, et le chauffeur a dû revenir sans chargement.

[251]  Le propriétaire a témoigné qu’il avait entendu N.A. parler à Mme Dinner et à Mme Mohammed au sujet de l’achat d’un manteau Canada Goose en guise de cadeau de Noël pour sa fille en 2011 et qu’il était mécontent que N.A. effectue des achats personnels pendant ses heures de travail.

[252]  Le propriétaire s’est plaint que N.A. partage des détails personnels et intimes sur sa vie, par exemple, qu’elle a fait un voyage et que son ex-époux l’a suivie et a dormi dans sa chambre d’hôtel. Le propriétaire a déclaré que lorsque N.A. partageait des renseignements personnels avec ses collègues, il croyait qu’elle disait [traduction] « Je suis ouverte à tout ».

[253]  Le propriétaire a déclaré qu’avant Noël 2012, il n’y avait pas de problèmes entre N.A. et L.C. Ils ont eu un repas de Noël très agréable et ont échangé des cadeaux – tout le monde était heureux. Au retour de Noël, ils se disputaient et se détestaient.

[254]  Le propriétaire a reconnu avoir réduit les heures de travail de N.A. avant le 25 janvier 2012 pour les raisons suivantes : 1) l’entreprise était en basse saison; 2) N.A. avait commis des erreurs, et le propriétaire devait revoir la situation et décider quel type de travail N.A. pouvait faire et 3) N.A. avait demandé à ce que son bureau soit déplacé hors du bâtiment de répartition – il n’y avait pas d’espace dans le bâtiment principal, et il n’était pas possible de déplacer son bureau, fabriqué en panneaux de particules, sans l’endommager. Le propriétaire a témoigné qu’il ne voulait pas mettre N.A. à pied parce qu’il n’arrivait pas à trouver quelqu’un qui pourrait la remplacer. 

[255]  Le Tribunal a demandé au propriétaire pour quelle raison il avait diminué les heures de travail de N.A., et il a répondu que c’était parce qu’elle avait demandé à travailler dans un autre bâtiment. Le propriétaire a déclaré qu’il n’était pas au courant de la plainte de N.A. au sujet de L.C. lorsqu’il a réduit les heures de travail de N.A. Le propriétaire a insisté pour dire qu’il avait réduit les heures de N.A. après Noël parce qu’il n’y avait pas de travail pour elle.

[256]  Au sujet de la réunion du 25 janvier 2012, il a déclaré qu’il ne se souvenait pas clairement de ce qui s’était passé. Habituellement, il commence sa journée de travail vers 6 h 30, il parle au téléphone et fait des courses, et il arrive au bureau vers 10 h ou 10 h 30. Il s’est souvenu d’avoir discuté avec Mme Dinner dès son arrivée au bureau, probablement dans la cuisine, pour lui demander ce qu’il devait faire.

[257]  Le propriétaire a déclaré initialement que Mme Dinner ne lui avait pas dit quel était le problème entre N.A. et L.C. et qu’elle lui avait dit qu’il fallait tenir une réunion avec tout le monde. Lorsqu’il a été interrogé avec insistance par A.S., le propriétaire est demeuré vague sur ce que Mme Dinner lui avait dit au sujet des allégations de N.A. sur les gestes de L.C. et a déclaré : [traduction] « Je ne me souviens pas qu’elle m’ait dit qu’il s’agissait d’allégations de nature sexuelle. Mais elle m’a peut‑être dit que N.A. avait un problème avec L.C. » A.S. a ensuite laissé entendre à son père que Mme Dinner ne lui avait pas expliqué la situation avant la réunion et que lorsque la réunion a commencé, elle n’a pas tenté d’intervenir ou de l’interrompre, et le propriétaire s’est dit d’accord avec son fils.

[258]  Le propriétaire a déclaré que le 25 janvier 2012, il croyait que la plainte portait sur le fait que N.A. et L.C. se parlaient et que N.A. ne l’acceptait pas. Même après la réunion du 25 janvier 2012, il croyait que L.C. avait fait des blagues offensantes à N.A. et que ces blagues lui avaient déplu. Il a déclaré qu’il n’a jamais su précisément en quoi consiste le harcèlement sexuel. Le propriétaire a déclaré qu’il croyait ne pas avoir besoin de le savoir puisque Mme Dinner s’occupait des plaintes de cette nature.

[259]  Le propriétaire a déclaré que c’est Mme Dinner qui a eu l’idée de tenir la réunion du 25 janvier 2012 et qu’il croyait qu’il devait demander une preuve du comportement faisant l’objet de la plainte. Le propriétaire a déclaré que N.A. ne lui a pas donné l’occasion de comprendre ce qu’elle voulait dire. 

[260]  Le propriétaire a tenu la réunion du 25 janvier 2012 dans son bureau, une pièce d’environ 10 pi x 10 pi (3 m x 3 m). Le propriétaire a déclaré que son épouse, Mme Mohammed, s’est assise dans sa chaise, derrière son bureau, et qu’il était debout derrière elle. Mme Dinner, L.C. et N.A. étaient assis dans cet ordre dans des chaises posées le long du mur. N.A. était la plus près de la porte, qui était ouverte parce qu’il n’était pas possible de la fermer en raison des trois chaises posées le long du mur. M. Hussein était debout, et la porte se trouvait derrière lui. 

[261]  Le propriétaire a déclaré qu’il a ouvert la réunion en disant que tout le monde était là pour travailler fort et gagner sa vie, et non pour se disputer ni pour faire des choses personnelles. Il a demandé à N.A. si elle était d’accord, et N.A. a répondu en lui demandant pourquoi il lui parlait à elle. Le propriétaire s’est tourné vers L.C. et lui a demandé [traduction] « est‑il vrai que vous vous êtes dit des choses inappropriées? », et L.C. a répondu par la négative. Le propriétaire a demandé à N.A. si elle avait une preuve, par exemple une photo ou un message, et elle a répondu qu’elle n’en avait pas. Le propriétaire a demandé à N.A. pourquoi elle avait attendu trois mois avant de soulever le problème, et elle a répondu que c’était parce qu’elle avait peur de perdre son emploi. 

[262]  Le propriétaire a reconnu avoir dit [traduction] « c’est mon royaume » et que lorsqu’il a interrogé N.A. sur des documents qui auraient dû se trouver dans son dossier, il a dit [traduction] « Si nous appelons la police, allez‑vous pouvoir nous dire où est ce dossier? » N.A. a répondu qu’elle l’avait placé dans un livre et l’avait oublié.

[263]  Le propriétaire a reconnu avoir hurlé et crié pendant la réunion. Il a expliqué qu’il crie lorsqu’il parle, que sa famille le lui a déjà dit, mais que s’il ne crie pas, il ne se sent pas bien et a mal à la poitrine. 

[264]  Le propriétaire a nié avoir dit à N.A. qu’elle était congédiée ou qu’elle ne devait plus se présenter au travail. Il a déclaré que Mme Dinner lui a dit qu’elle avait appelé N.A. et que N.A. serait probablement au travail le lendemain. 

[265]  Me Warsame a demandé au propriétaire s’il avait demandé à Mme Dinner d’appeler N.A., et il a répondu qu’il laissait Mme Dinner s’en occuper. Me Warsame a demandé pourquoi le relevé d’emploi indique que N.A. a quitté son emploi. Le propriétaire a affirmé que Mme Dinner lui avait dit que N.A. ne s’était pas présentée au travail. Le propriétaire a nié qu’il aurait congédié N.A. si elle avait tenté de revenir au travail.

[266]  Le propriétaire a témoigné que Janette était chargée de s’occuper de N.A. Mme Dinner a suivi la formation sur le harcèlement sexuel, et il ne voulait pas la payer pour qu’elle lui enseigne ce qu’elle avait appris. Le propriétaire a expliqué que Mme Dinner était essentielle à son entreprise. Il a déclaré [traduction] « […] Janette est très intelligente, a une bonne mémoire, l’aide lorsqu’il doit traduire quelque chose en anglais et lui permet d’économiser ».

[267]  En réponse à la question de son fils, qui demandait pour quelle raison Mme Dinner avait quitté son emploi, le propriétaire a donné une longue explication selon laquelle elle touchait d’abord un salaire de 600 $ par semaine, puis de 750 $ par semaine avant la fin de la première année. Après un an, elle a demandé 1 000 $ par semaine. Il a répondu qu’il n’avait pas les moyens de lui offrir ce salaire et lui avait proposé de lui verser un salaire de 850 $ par semaine, de lui fournir un véhicule, de payer ses assurances et de réduire son loyer. Il lui a demandé de ne pas ménager ses efforts au travail parce qu’il n’acceptait pas de lui verser un salaire hebdomadaire de 1 000 $. Après un certain temps, elle a quitté son emploi. Bushra l’a rencontrée dans un Tim Hortons pour lui demander pour quelle raison elle était partie, et Mme Dinner a pleuré. 

[268]  Le propriétaire a parlé de Tiago, le répartiteur qui avait précédé L.C. Lorsque Tiago est parti, le propriétaire n’avait plus d’aide et était extrêmement occupé. Mme Dinner a embauché L.C. et a dit au propriétaire que le seul problème de L.C. est qu’il est noir. Le propriétaire a déclaré qu’il croyait que Mme Dinner avait tort de parler ainsi parce que personne ne choisit la couleur de sa peau.

[269]  Le propriétaire a témoigné sur une plainte antérieure formulée par Bonnie, une répartitrice, au sujet d’Iftar, un chauffeur. Bonnie s’est plainte à Mme Dinner, et Mme Dinner a dit au propriétaire qu’il y avait un problème. Le propriétaire a témoigné qu’il ne comprenait pas réellement en quoi consiste le harcèlement et qu’il ne le comprend toujours pas. Il a déclaré que Mme Dinner a expliqué qu’Iftar s’était trop approché de Bonnie, créant un malaise chez cette dernière. Le propriétaire a déclaré que Mme Dinner s’occupait de tout et a renvoyé Iftar chez lui en procédant de manière adéquate.

[270]  Le propriétaire a reconnu que L.C. fait beaucoup de bruits (« mmm ») et qu’il fait claquer ses lèvres et se lèche les lèvres en mangeant, en disant que la nourriture est bonne. Il n’a jamais rien vu de sexuel dans ce comportement et croyait seulement qu’il tentait d’alléger l’atmosphère ou peut‑être de se montrer amical.

[271]  Le propriétaire a reconnu qu’il était possible que les allégations de N.A. et de Mme Dinner concernant le comportement de L.C. envers elles soient vraies. 

[272]  A.S. a interrogé son père sur la fois où Mme Dinner vérifiait l’historique de navigation de l’ordinateur de L.C. Le propriétaire a déclaré qu’il n’était pas aux côtés de Mme Dinner lorsqu’elle avait fait cette vérification et qu’il n’avait jamais vu l’historique de navigation de L.C.

[273]  Le propriétaire a confirmé qu’il n’a jamais été mis au courant de la plainte précédente déposée contre L.C. alors que ce dernier travaillait pour Appliance Canada. Mme Dinner lui a révélé l’existence de cette plainte après la réunion du 25 janvier, peut‑être aux alentours de mars 2012, environ une semaine avant qu’elle parte.

[274]  Le propriétaire a déclaré que lorsque Mme Dinner avait quitté son emploi, elle avait déclaré qu’elle n’était plus heureuse au travail en raison de la réunion du 25 janvier 2012 avec N.A. et L.C. et de la façon dont sa demande d’augmentation de salaire avait été accueillie. Le propriétaire a déclaré qu’il avait dit à Mme Dinner que si elle avait un problème avec L.C., elle n’avait qu’à le lui dire pour qu’il congédie L.C., mais qu’elle allait alors devoir s’occuper des tâches de répartition.

[275]  Le propriétaire a déclaré qu’il croyait que les problèmes sur lesquels N.A. et L.C. se disputaient allaient être réglés et qu’ils allaient redevenir amis, comme les chauffeurs de camion qui se disputent parfois. À titre d’exemple, le propriétaire a expliqué que s’il va chez Canadian Tire pour une vidange d’huile et qu’il est insatisfait du service, il demande à parler au directeur et règle le problème immédiatement, devant tout le monde. Il n’arrive pas à comprendre pour quelle raison N.A. n’a pas réglé ses problèmes de cette façon. 

[276]  Le propriétaire a nommé d’autres employées, soit Cassandra, Tamara, Maria et Amanda, qui ont également travaillé avec L.C., mais qui ne se sont pas plaintes de lui. Maria s’est plainte que L.C. était grossier, mais pas qu’il la harcelait.

[277]  En ce qui concerne l’avertissement de Mme Dinner selon lequel L.C. prenait de l’argent des chauffeurs, le propriétaire s’est d’abord adressé à L.C. et aux chauffeurs, et L.C. a été surveillé par la suite, ce qui n’a pas permis de le voir demander de l’argent aux chauffeurs. 

[278]  En ce qui concerne les plaintes de M. Hussein formulées contre lui, le propriétaire a donné sa version de l’accident et de la façon dont il l’a traité. Le propriétaire a déclaré que M. Hussein le blâme injustement pour ses problèmes. 

[279]  Le propriétaire a expliqué que lorsque son entreprise a été expropriée en raison de la construction de l’autoroute, il était trop coûteux de déménager son entreprise et de louer un autre terrain et qu’il a donc vendu l’entreprise.

[280]  Me Warsame a demandé au propriétaire à quel moment il a su que N.A. se plaignait que L.C. lui adressait des remarques sexuelles inappropriées. Le propriétaire a répondu que c’était après le départ de N.A., lorsqu’il a reçu une lettre du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario faisant référence à des pizzas pochettes et à des langues. 

[281]  Me Warsame a demandé au propriétaire ce qu’il avait fait après avoir reçu la plainte en matière de droits de la personne et après avoir pris connaissance des détails de la plainte. Le propriétaire a déclaré que lui, son épouse et leur parajuriste avaient rencontré L.C. pour déterminer si les allégations étaient véridiques ou non. L.C. a nié les allégations. L.C. a déclaré qu’il y avait eu des échanges entre lui et N.A. Le propriétaire a déclaré qu’il ne le croyait pas à 100 %, mais qu’il ne l’avait pas qualifié de menteur. Ils ont cru que N.A. voulait obtenir de l’argent.

[282]  A.S. a demandé à son père s’il croyait que Mme Dinner collaborait avec N.A. dans cette affaire. Le propriétaire a répondu qu’il ne comprenait pas le mot « collaborer », mais qu’en effet, il croyait qu’elles travaillaient ensemble, bien que personne ne le lui ait dit. A.S. a laissé entendre à son père que N.A. et Mme Dinner mentaient, et le propriétaire a déclaré qu’il était d’accord avec lui. 

[283]  Le propriétaire a affirmé que les messages échangés entre N.A. et Janette Dinner l’amènent à penser que la plainte est fondée sur le racisme. Le propriétaire a déclaré que le témoignage de N.A. selon lequel il embauchait des immigrants pour pouvoir profiter d’eux et selon lequel il maltraitait son personnel, son épouse, etc. ressemble à des attaques personnelles qui ont pour but de lui soutirer de l’argent.

[284]  A.S. a laissé entendre à son père que la parole d’une plaignante a plus de poids que la parole de l’homme visé par la plainte. A.S. a également indiqué que le racisme est en cause et a donné des exemples de commentaires de N.A. qui, selon lui, sont irrespectueux envers son père. Par exemple, son père ne parle pas bien l’anglais, il vivait dans un quartier qu’elle a qualifié d’européen, et, parmi le personnel du Neighbours Café, N.A. ne se souvenait que de la fille anglaise qui étudiait en médecine, et non de ses collègues immigrants.

[285]  Le propriétaire a déclaré qu’il n’existe pas de [traduction] « langue islamique ». L’islam est une religion, et non une langue. L’arabe iraquien et l’arabe égyptien sont des langues très différentes, et l’arabe qu’ils parlent est très caractéristique de leur région de l’Irak, et quelqu’un qui ne vient pas de leur région de l’Irak ne comprendrait presque rien à ce qu’ils disent même si la personne comprend « l’arabe ». A.S. a indiqué que N.A. a fait un commentaire [traduction] « islamophobe » lorsqu’elle a dit qu’ils parlaient une [traduction] « langue islamique ».

[286]  Me Warsame a demandé au propriétaire pour quelle raison aucune mesure disciplinaire n’avait été prise contre L.C. Le propriétaire a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve sur papier que L.C. avait été visé par des mesures disciplinaires ou puni, mais qu’il l’était tous les jours. La prime de fin d’année de L.C. a été réduite en raison des problèmes le concernant. Il est aussi possible qu’il n’ait pas touché la prime mensuelle en raison du problème. Mme Dinner lui a suggéré de prolonger sa période de probation de trois mois, et le propriétaire a accepté cette suggestion. Le propriétaire a déclaré que s’il avait dit à L.C. de demeurer chez lui et de ne pas se présenter au travail, son entreprise en aurait souffert.

8.  A.S., le fils du propriétaire

[287]  A.S. était étudiant à l’université, vivait à Ottawa et passait les congés universitaires chez ses parents à Scarborough. Selon lui, c’est pendant le congé universitaire de Noël de 2011 jusqu’au début de 2012 que son père lui a demandé d’examiner les ordinateurs du bureau.

[288]  A.S. a déclaré qu’il avait remarqué le logiciel de blocage sur l’ordinateur de répartition de L.C. et avait dit à son père qu’il ne pouvait pas corriger le problème des ordinateurs si le logiciel de blocage était activé. Alors qu’il discutait avec son père de l’installation du logiciel K9 dans les ordinateurs du bureau, le propriétaire a indiqué qu’il voulait que le logiciel K9 se trouve sur tous les ordinateurs parce que N.A., que le propriétaire appelait [traduction] « cette chienne », était toujours sur Facebook pendant les heures de travail. 

[289]  A.S. a déclaré qu’il avait reproché à son père d’avoir utilisé ces mots. A.S. a installé le logiciel K9 sur tous les ordinateurs et a modifié le mot de passe de l’ordinateur de L.C. parce que tout le monde le connaissait. 

[290]  A.S. a également déposé en preuve 26 pages de messages texte échangés entre sa mère, Bushra Mohammed et Mme Dinner (pièce R1, onglet AM).

V.  Crédibilité et conclusions de fait

[291]  Le Tribunal conclut que les témoignages de la plaignante et de Mme Dinner ont traité des éléments de harcèlement sexuel définis dans les décisions Janzen et Franke et que la plaignante a établi une preuve prima facie de harcèlement sexuel de la part du particulier intimé, conformément à la décision Bombardier. 

[292]  Le Tribunal conclut que les témoignages de la plaignante et de Mme Dinner ont établi une preuve prima facie selon laquelle la société intimée n’a pas donné suite rapidement et adéquatement au signalement selon lequel la plaignante était victime de harcèlement sexuel de la part du particulier intimé. En particulier, la société intimée n’a pas pris de mesures pour mettre fin au harcèlement sexuel afin que la plaignante se sente en sécurité dans son milieu de travail. 

[293]  En raison de la manière dont la société intimée a traité la plainte, la plaignante a souffert d’un traumatisme émotionnel et a été humiliée davantage. Ses heures de travail ont été réduites, et elle a fini par perdre son emploi. Le particulier intimé est demeuré à l’emploi de la société intimée.

[294]  Le Tribunal conclut également que les témoignages de la plaignante et de Mme Dinner ont établi une preuve prima facie que la société intimée, en congédiant la plaignante, a fait preuve de discrimination à son endroit en raison de son sexe.

[295]  Il incombe alors au particulier intimé de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas eu de harcèlement sexuel. L’argument principal de la société intimée est également qu’il n’y a pas eu de harcèlement sexuel. Les intimés doivent prouver que, selon la prépondérance des probabilités, compte tenu des témoignages de tous les témoins, le témoignage des intimés est plus crédible que celui de la plaignante et de Mme Dinner.

[296]  S’il y a eu harcèlement sexuel, la société intimée doit prouver, selon la prépondérance des probabilités et aux termes de l’article 65 de la LCDP, que le harcèlement sexuel a eu lieu sans son consentement et qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’acte ou l’omission ou, s’il a eu lieu malgré les mesures prises par l’employeur, que l’employeur a tenté d’atténuer ou d’annuler les effets néfastes du harcèlement sexuel sur l’employée.

[297]  En ce qui concerne l’évaluation de la fiabilité et de la crédibilité des témoins, le Tribunal a examiné la décision Faryna c. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.), qui porte sur la crédibilité et la fiabilité des témoins.

[298]  Le Tribunal fait remarquer que le comportement des témoins n’est que l’un des facteurs dont il faut tenir compte dans le contexte de l’ensemble de leur témoignage. Il faut aussi tenir compte de la cohérence avec leurs gestes et leurs déclarations antérieures, de la probabilité que leurs déclarations soient exactes ou véridiques et de la comparaison avec les autres éléments de preuve présentés. Un témoin peut être crédible, mais peu fiable en raison de sa mémoire, de sa connaissance directe ou de sa perception sensorielle. Un témoin peut également donner intentionnellement et sciemment des éléments de preuve faux ou incomplets pour se protéger ou protéger d’autres personnes de conséquences négatives.

[299]  Les intimés ont soutenu que la plaignante et Mme Dinner ont toutes les deux menti. Ils ont laissé entendre que la plaignante souhaitait en fait exercer des représailles à l’endroit de L.C. parce qu’elle croyait qu’il avait dit au propriétaire qu’elle s’occupait de problèmes personnels pendant les heures de travail et pour obtenir facilement et rapidement un règlement en argent. La société intimée a laissé entendre que la plaignante était également motivée par un préjugé racial envers le particulier intimé et par un préjugé culturel et religieux envers le propriétaire de la société intimée.

[300]  Les intimés n’ont pas laissé entendre que Mme Dinner avait des motivations financières puisqu’elle ne leur a réclamé aucune somme d’argent. Le particulier intimé a laissé entendre que c’est parce qu’il est noir que Mme Dinner avait menti en disant qu’il l’avait harcelée sexuellement, opinion partagée par la société intimée. La société intimée a laissé entendre que Mme Dinner collaborait avec la plaignante et l’aidait en livrant un faux témoignage parce qu’elle en voulait au propriétaire et à son épouse.

[301]  J’ai évalué la preuve de la plaignante en tenant compte des affirmations des intimés selon lesquelles la plaignante mentait et était motivée par le racisme et l’argent.

[302]  La description de la plaignante des commentaires et du comportement de nature sexuelle dont elle prétend avoir été victime de la part du particulier intimé était précise et détaillée, et la plainte initiale qu’elle a déposée en 2012 au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario est cohérente avec le témoignage qu’elle a fait en juillet 2016. Elle a témoigné de façon sincère et émotive en juillet 2016, ce qui concorde avec son allégation selon laquelle elle a été harcelée sexuellement. Le contenu de sa preuve était détaillé et cohérent pendant son interrogatoire principal et son contre‑interrogatoire et était cohérent avec les déclarations qu’elle a faites en 2012. 

[303]  La plaignante a affirmé à de nombreuses reprises pendant l’audience qu’elle poursuivait sa plainte pour que les intimés n’agissent pas de la même manière envers une autre femme. La plaignante est employée à un taux horaire. Elle n’est pas payée pour le temps qu’elle a consacré au traitement de sa plainte devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario ou le Tribunal. Elle comprend qu’il y a des limites aux montants qui peuvent être accordés en vertu de la LCDP. Elle sait également que la société intimée a vendu son entreprise et que le particulier intimé semble avoir des moyens modestes et qu’elle pourrait donc avoir de la difficulté à toucher le montant adjugé, mais elle a tout de même persisté.

[304]  Le Tribunal conclut que le témoignage de la plaignante était véridique et exact en ce qui concerne les principaux faits examinés. Elle a pu commettre des erreurs concernant certains détails secondaires en raison de l’attention qu’elle portait à l’époque au harcèlement sexuel allégué et en raison du temps qui s’est écoulé depuis les événements en question, mais les inexactitudes concernant des détails secondaires n’amènent pas le Tribunal à remettre en question les éléments de preuve qu’elle a présentés concernant les principales questions en litige.

[305]  Le particulier intimé a nié catégoriquement avoir prononcé les paroles et posé les gestes allégués par la plaignante. Personne n’a été témoin de la conduite alléguée. Le Tribunal s’est penché sur la question de savoir s’il était possible que le particulier intimé ait simplement oublié les commentaires qu’il avait faits ou le comportement qu’il avait eu ou s’il ne comprenait tout simplement pas que ces commentaires et ce comportement étaient de nature sexuelle et que la plaignante les jugeait importuns. 

[306]  Le particulier intimé a très clairement abordé les allégations détaillées et les a entièrement niées; il est donc impossible que la plaignante et le particulier intimé disent tous les deux la vérité. 

[307]  Le Tribunal juge que le témoignage du particulier intimé était décousu et incohérent. Bien qu’il ait nié avoir prononcé les remarques et posé les gestes en question, il a dénigré l’éthique de travail de la plaignante et l’a accusée de se chercher un petit ami ou époux riche pendant les heures de travail. Il a suggéré qu’elle partageait trop de détails de sa vie personnelle et qu’elle avait choisi de s’asseoir sur ses genoux. Il n’a pas précisé s’il laisse entendre que la plaignante s’adonnait à des plaisanteries sexuelles ou l’invitait à faire des plaisanteries sexuelles ou s’il soulève des doutes sur sa moralité. Le particulier intimé n’était pas sincère ni crédible.

[308]  Mme Dinner a témoigné qu’elle a également été l’objet de remarques sexuelles de la part du particulier intimé alors que personne d’autre n’était présent et qu’elle avait jugé que ces remarques étaient très offensantes. Mme Dinner était sincère et a présenté un témoignage détaillé et cohérent. Elle n’est pas partie à la présente plainte et ne réclame aucun montant aux intimés. Le Tribunal conclut que Mme Dinner était tout à fait crédible, qu’elle n’avait aucun préjugé ni aucune raison de mentir.

[309]  En ce qui concerne la question de savoir si le particulier intimé a harcelé sexuellement la plaignante, le Tribunal conclut que tout doute soulevé par le particulier intimé selon lequel la plaignante aurait menti a été dissipé lorsque Mme Dinner a confirmé que le particulier intimé lui a également adressé des commentaires de nature sexuelle offensants et qu’elle lui avait dit que ces commentaires étaient importuns.

[310]  Le particulier intimé a prononcé ces paroles et a posé ces gestes alors que personne d’autre n’était présent, son comportement envers la plaignante a empiré lorsque celle‑ci lui a demandé de cesser et qu’elle s’est plainte à Mme Dinner, au propriétaire et à son épouse, et le particulier intimé n’a mis fin à son comportement envers Mme Dinner que lorsqu’il a craint qu’elle se plaigne au propriétaire, et il a recommencé lors du dernier jour de travail de Mme Dinner : ces faits indiquent au Tribunal que le particulier intimé savait très bien que ses commentaires et son comportement étaient importuns et offensants. Le particulier intimé s’est comporté comme s’il voulait savoir jusqu’où il pouvait aller sans subir de conséquences. Ses derniers commentaires à la plaignante selon lesquels il pouvait l’étrangler constituaient une menace de violence. Ses dernières remarques adressées à Mme Dinner lors de sa dernière journée, selon lesquelles il pouvait l’amener à l’arrière pour avoir des relations sexuelles avec elle, constituaient également une menace d’agression sexuelle.

[311]  La plaignante n’affirme pas avoir été victime de harcèlement sexuel de la part du propriétaire. Sa plainte contre la société intimée porte sur le fait que la société a omis de prendre des mesures conformément à l’article 65 de la LCDP, ce qui l’a exposée à plus de remarques offensantes et au comportement menaçant du particulier intimé à son endroit, et sur le fait qu’elle a perdu son emploi et été victime d’un préjudice moral. 

[312]  Comme c’est généralement le cas, la plaignante n’est pas au courant des mesures que la société intimée prenait en coulisse pour traiter sa plainte de harcèlement sexuel. Toutefois, Mme Dinner l’est. 

[313]  Le propriétaire de la société intimée a témoigné qu’il ne comprenait pas en quoi consiste le harcèlement sexuel, qu’il a embauché Mme Dinner pour gérer ces questions et qu’il comprend maintenant qu’il est responsable en dernier ressort des plaintes de harcèlement sexuel. Il a aussi déclaré que Mme Dinner ne lui a pas donné l’information et les conseils dont il avait besoin pour bien gérer la situation. 

[314]  Le propriétaire a témoigné qu’il ne comprenait pas pour quelle raison la plaignante ne pouvait pas simplement régler le problème directement avec le particulier intimé, qu’ils s’entendaient bien avant Noël et qu’ils se sont disputés après Noël sans qu’il sache pourquoi. Le propriétaire a témoigné qu’il ne comprenait pas pourquoi le conflit entre eux ne s’était pas simplement dissipé. Le propriétaire a témoigné que la plaignante avait laissé croire qu’elle était ouverte à tout en partageant des détails de sa vie personnelle. Mme Dinner a témoigné que l’épouse du propriétaire avait dit que la tenue vestimentaire de la plaignante avait invité les remarques et les gestes offensants de nature sexuelle du particulier intimé.

[315]  Mme Dinner a déclaré très clairement qu’elle avait informé le propriétaire et son épouse à au moins trois occasions avant la réunion du 25 janvier 2012 de la nature des accusations de la plaignante contre le particulier intimé, y compris qu’il s’agissait de gestes offensants et importuns de nature sexuelle.

[316]  En s’appuyant sur le témoignage précité, le Tribunal conclut que le propriétaire de la société intimée, au mieux, a ignoré volontairement le harcèlement sexuel du particulier intimé à l’endroit de la plaignante et, au pire, a fait des déclarations mensongères sur ce qu’il savait et comprenait avant la réunion du 25 janvier 2012.

[317]  Le Tribunal conclut que le propriétaire de la société intimée était au courant de l’allégation de harcèlement sexuel de la plaignante à la mi‑novembre 2011, qu’il avait eu l’occasion de mener une enquête adéquate et qu’il aurait pu permettre à la plaignante de travailler dans le bâtiment de bureaux principal pour qu’elle n’ait plus à travailler seule avec le particulier intimé dans le bâtiment de répartition, ou encore congédier le particulier intimé. En décembre 2011 ou avant, le propriétaire semblait ne pas aimer la plaignante et semblait lui en vouloir lorsqu’il l’a qualifiée de [traduction] « chienne ».

[318]  Entre la mi‑novembre 2011 et la mi‑janvier 2012, lorsque la plaignante a déclaré à l’épouse du propriétaire que le particulier intimé la harcelait toujours, rien ne démontre que le propriétaire ait pris des mesures pour enquêter ou pour offrir un milieu de travail exempt de harcèlement. 

[319]  Lorsque la plaignante a effectué sa deuxième déclaration à l’épouse de la propriétaire, le propriétaire a eu l’occasion d’enquêter et d’offrir un milieu de travail exempt de harcèlement, et rien ne démontre qu’il l’ait fait non plus. Le propriétaire a réagi en demandant à Mme Dinner de réduire les heures de travail de la plaignante en espérant que la plaignante quitte son emploi et demande des prestations d’assurance‑emploi.

[320]  Le propriétaire a affirmé avoir réduit les heures de travail de la plaignante à la mi‑janvier 2012 parce qu’elle s’occupait de choses personnelles pendant ses heures de travail, qu’elle avait commis des erreurs et qu’elle n’avait pas une bonne éthique de travail. Aucun document n’a été présenté pour corroborer les affirmations du propriétaire à ce sujet. Mme Dinner a témoigné que la plaignante effectuait son travail de façon satisfaisante et que le propriétaire lui reprochait seulement de ne pas être à jour en ce qui concerne la facturation.

[321]  La plaignante a ensuite consulté le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario et a écrit une lettre qu’elle a remise à Mme Dinner le 25 janvier 2012. Le propriétaire de la société intimée a réagi en se fâchant et en convoquant une réunion de groupe pendant laquelle la plaignante a dû s’asseoir à côté du particulier intimé et pendant laquelle il a crié après la plaignante de façon agressive et colérique au sujet de sa plainte. Mme Dinner et M. Hussein ont tous les deux témoigné que le propriétaire avait très mal traité la plaignante pendant cette réunion. La plaignante a témoigné qu’elle avait éprouvé de la honte à cette réunion et qu’elle avait eu peur du propriétaire.

[322]  Le propriétaire et Mme Dinner ont témoigné qu’il était très difficile de trouver un répartiteur prêt à travailler au salaire offert par le propriétaire. Mme Dinner a témoigné que, même après le 25 janvier 2012, le propriétaire avait refusé d’offrir un milieu de travail exempt de harcèlement aux employées en congédiant le particulier intimé. Mme Dinner croyait que c’était parce que le propriétaire avait plus d’estime pour l’homme qui faisait le travail de répartiteur que pour les femmes qui s’acquittaient d’autres tâches. 

[323]  Le témoignage précité sur la chronologie des événements révèle au Tribunal que le propriétaire de la société intimée était mécontent et en voulait à la plaignante d’avoir formulé une plainte contre le particulier intimé parce que le propriétaire ne voulait pas congédier le particulier intimé.

[324]  En s’appuyant sur les éléments de preuve sur la façon dont le propriétaire a désigné la plaignante, sur ce qui lui a été dit et sur la façon dont il a abordé la question, le Tribunal conclut que le propriétaire de la société intimée a refusé de reconnaître ou d’accepter la responsabilité d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement à la plaignante. Le Tribunal conclut par conséquent que, conformément à l’article 65 de la LCDP, le harcèlement sexuel de la plaignante par le particulier intimé est réputé avoir été commis par la société intimée, et, par conséquent, la société intimée est également responsable des actes discriminatoires du particulier intimé.

VI.  Conclusion

[325]  En ce qui concerne la plainte aux termes de l’article 14 contre le particulier intimé, le Tribunal conclut que la plainte est fondée. Le Tribunal accepte la description de la conduite donnée par la plaignante. Le Tribunal conclut que le particulier intimé a sciemment et intentionnellement intensifié sa conduite même si la plaignante lui avait dit que son comportement était importun et qu’elle l’avait signalé au propriétaire. Le particulier intimé a agi en exploiteur et en prédateur envers la plaignante. Le 25 janvier 2012, la conduite du particulier envers la plaignante était devenue menaçante. Le Tribunal conclut que le harcèlement sexuel de la plaignante aux mains du particulier intimé était grave et très proche de la violence sexuelle pure et simple. 

[326]  En ce qui concerne la plainte aux termes de l’article 14 contre la société intimée, le Tribunal conclut que la société intimée n’a pas établi que le harcèlement sexuel a eu lieu sans son consentement ni qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher que l’acte ou l’omission ait lieu. La société intimée a été informée de l’allégation de harcèlement sexuel de la plaignante et a eu l’occasion d’enquêter adéquatement et soit de déménager le bureau de la plaignante dans le bâtiment de bureaux principal pour qu’elle n’ait plus à travailler seule avec le particulier intimé dans le bâtiment de répartition, soit de congédier le particulier intimé. La société intimée a été invitée à de nombreuses reprises à congédier le particulier intimé et a simplement refusé de le faire ou d’assurer à ses employés un milieu de travail sécuritaire et exempt de harcèlement. Par conséquent, aux termes de l’article 65 de la LCDP, le harcèlement sexuel de la plaignante commis par le particulier intimé est réputé avoir été commis par la société intimée, et la société intimée est donc également responsable des actes discriminatoires du particulier intimé.

[327]  À titre subsidiaire, le Tribunal conclut que la plainte de discrimination fondée sur le sexe déposée contre la société intimée aux termes de l’alinéa 7a) de la LCDP est fondée.

[328]  À la lumière des éléments de preuve dont il dispose, le Tribunal conclut qu’il y a clairement un lien entre le harcèlement sexuel et le motif illicite (le sexe). Il est également clair qu’il y a un lien entre le harcèlement sexuel et la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi de la plaignante. 

[329]  Comme je l’ai déjà indiqué, lorsque la plaignante s’est adressée pour la deuxième fois à l’épouse du propriétaire, le propriétaire a réagi en demandant à Mme Dinner de réduire les heures de travail de la plaignante, en espérant que la plaignante quitte son emploi et demande des prestations d’assurance‑emploi.

[330]  Le propriétaire et Mme Dinner ont également témoigné qu’il était très difficile de trouver un répartiteur prêt à travailler au salaire offert par le propriétaire. Mme Dinner a témoigné que, même après la réunion du 25 janvier 2012, le propriétaire de la société intimée a refusé d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement aux employées en congédiant le particulier intimé. Mme Dinner croyait que c’était parce que le propriétaire avait plus d’estime pour l’homme qui faisait le travail de répartiteur que pour les femmes qui s’acquittaient d’autres tâches. Le témoignage précité sur la chronologie des événements révèle au Tribunal que le propriétaire de la société intimée était mécontent et en voulait à la plaignante d’avoir formulé une plainte contre le particulier intimé parce que le propriétaire ne voulait pas congédier le particulier intimé. Le Tribunal conclut par conséquent que le sexe de la plaignante a contribué à la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi de la plaignante.

VII.  Réparation

[331]  Ayant conclu que l’intimé a harcelé sexuellement la plaignante et qu’aux termes de l’article 65 de la LCDP, le harcèlement sexuel de la plaignante par le particulier intimé est réputé avoir été commis par la société intimée, je dois maintenant déterminer la réparation qui s’impose, le cas échéant. Les pouvoirs du Tribunal à cet égard sont énoncés à l’article 53 de la LCDP, qui permet d’imposer des mesures destinées à prévenir des actes semblables et à indemniser la victime. L’indemnisation vise à remettre la victime dans la position où elle aurait été, n’eût été l’acte discriminatoire à l’origine de l’obligation de l’indemniser. Seule la partie de la perte qui est raisonnablement prévisible peut être recouvrée. (Voir Canada (Procureur général) c. Green (2000), 38 C.H.R.R. D/1, au paragraphe 142 (C.F., 1re inst.).


 

A.  Indemnité pour perte de salaire

[332]  La plaignante demande une indemnité pour la perte de salaire qu’elle a subie en raison de la fin de son contrat de travail (alinéa 53(2)c) de la LCDP).

[333]  En calculant la perte de salaire de la plaignante, le Tribunal constate que le revenu bihebdomadaire moyen de la plaignante jusqu’au 15 décembre 2011 était de 868,75 $, en fonction d’une moyenne de 69,5 heures à un taux horaire de 12,50 $. Après décembre 2011, la preuve indique que ses heures de travail et son revenu ont été réduits en raison de sa plainte. En fonction de son revenu hebdomadaire moyen jusqu’au mois de décembre 2011, la plaignante aurait touché un revenu annuel de 22 600 $, ce qui tient compte uniquement du salaire qu’elle recevait de la société intimée. La plaignante touchait d’autres revenus provenant d’emplois qu’elle exerçait la fin de semaine dans le domaine des services de traiteur et de la tenue d’événements. En s’appuyant sur les feuillets T4 produits pour ces emplois de fin de semaine, le Tribunal estime qu’elle gagnait au moins 3 000 $ par année en travaillant la fin de semaine en plus de son emploi de jour à la société intimée, ce qui représente un revenu total de 25 600 $.

[334]  En fonction de la pièce C1 et du témoignage, la perte de salaire de la plaignante est calculée comme suit :

2012 :  Elle a gagné 10 297,20 $ en exerçant d’autres emplois à temps partiel. Ce montant ne tient pas compte du montant de 910,78 $ qui lui a été versé par la société intimée en janvier 2012 ni de ses prestations d’assurance‑emploi. Sa perte de salaire en 2012 est de 25 600 $ - 10 297,20 $ = 15 302,80 $.

2013 :  Elle a gagné 9 632,36 $ en 2013. Sa perte de salaire en 2013 est de 25 600 $ - 9 632,36 $ = 15 967,64 $.

2014 :  Elle a gagné 23 332,68 $ en 2014. Sa perte de salaire en 2014 est de 25 600 $ - 23 332,68 $ = 2 267,32 $.

2015 :  Elle a gagné 22 901,54 $ en 2015. Sa perte de salaire en 2015 est de 25 600 $ - 22 901,54 $ = 2 698,46 $.

[335]  Le Tribunal conclut que la perte de salaire de la plaignante jusqu’à la fin de 2015 s’élève à 36 236,22 $ en tout.

[336]  Bien que ce soit la société intimée qui ait mis fin à l’emploi de la plaignante, la Commission demande au Tribunal d’ordonner que le particulier intimé et la société intimée soient responsables conjointement et individuellement de payer à la plaignante une indemnité pour la perte de salaire.

[337]  Cette conclusion soulève la question suivante : bien que le particulier intimé n’ait pas participé directement à la décision de la société intimée de mettre fin au contrat de la plaignante, le congédiement de la plaignante peut‑il néanmoins être indirectement lié à sa conduite discriminatoire?

[338]  Le Tribunal souligne qu’une question similaire a été posée dans Nkwazi c. Service correctionnel du Canada, 2001 D.T. 1/01, au paragraphe 234. Dans cette affaire, la plaignante, qui prétendait que sa superviseure l’avait harcelée, s’était plainte à la direction, qui avait réagi en exerçant des représailles à l’endroit de la plaignante et en ne renouvelant pas son contrat d’employée occasionnelle. Le Tribunal en est venu à la conclusion suivante :

L’indemnisation en matière de droits de la personne vise à remettre la victime dans la position où elle aurait été si le tort ne s’était pas produit, sous réserve des principes de la prévisibilité des dommages et de l’atténuation des pertes. En l’espèce, je suis convaincue qu’il existe un lien de cause à effet entre les actes discriminatoires originaux et la perte par Mme Nkwazi de son emploi : si Mme Neufeld n’avait pas traité Mme Nkwazi de façon discriminatoire, celle-ci ne serait pas plainte à son sujet à la direction du CPR et il n’y aurait pas eu de représailles. Autrement dit, les dommages qui résultent du non-renouvellement du contrat d’employée occasionnelle de Mme Nkwazi découlent du fait que Mme Neufeld a contrevenu à la Loi, et peuvent être examinés dans l’optique de la réparation.

[339]  Le Tribunal retient également la décision Woiden c. Lynn, 2002 CanLII 8171 (TCDP), dans laquelle le Tribunal a déclaré ce qui suit concernant les pouvoirs du Tribunal d’ordonner à l’employeur et au particulier intimé de verser un montant au titre de la perte de salaire :

 

[118L’alinéa 53(2)c) de la Loi prévoit que si un membre du Tribunal conclut qu’une plainte est fondée, il peut prononcer une ordonnance contre la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire et inclure dans l’ordonnance l’obligation pour cette personne d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire et de dépenses entraînées par l’acte discriminatoire. Cette disposition ne précise pas que ce type de redressement peut être utilisé uniquement contre l’employeur. L’objet des dispositions de la Loi relatives à l’indemnité consiste à dédommager la victime de l’acte discriminatoire. Je ne vois pas pourquoi l’auteur de la pratique discriminatoire ne devrait pas être tenu d’indemniser une victime de la perte réelle subie en conséquence directe de cet acte lorsque le résultat serait, de fait, de dédommager la victime.

[340]  En l’espèce, le Tribunal est convaincu qu’il y a un lien de cause à effet entre les actes discriminatoires initiaux du particulier intimé et la perte d’emploi de la plaignante : si le particulier intimé n’avait pas harcelé sexuellement la plaignante, la plaignante ne s’en serait pas plainte à la société intimée, et elle n’aurait pas été congédiée.

[341]  Il est vrai que la société intimée a fait preuve de négligence dans sa gestion de cette affaire et, en dernier ressort, a omis d’assurer aux autres employés un milieu de travail sécuritaire et exempt de harcèlement. Toutefois, le particulier intimé a menti à son employeur lorsqu’il a nié tout incident de harcèlement sexuel. Si le particulier intimé avait dit la vérité sur les événements, il est peu probable que la société intimée aurait agi comme elle l’a fait et choisi de congédier la plaignante au lieu de mettre fin à l’emploi du particulier intimé.

[342]  Essentiellement, les dommages qui découlent de la cessation d’emploi de la plaignante sont attribuables au fait que le particulier intimé a contrevenu à la LCDP et peuvent être examinés dans l’optique de la réparation. Conformément à l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, je conclus que le particulier intimé a également l’obligation d’indemniser la plaignante victime de la perte réelle qu’elle a subie directement en raison de l’acte discriminatoire du particulier intimé, et que seule cette indemnisation pourra dédommager la victime.

[343]  Par conséquent, je conclus que la perte de salaire subie par la plaignante en raison de la décision de la société intimée de mettre fin à son emploi est liée à la conduite discriminatoire du particulier intimé.

[344]  Compte tenu de ce qui précède, la plaignante a droit à des dommages‑intérêts de la part du particulier intimé et de la société intimée pour la perte de salaire qu’elle a subie. Le particulier intimé et la société intimée partagent à parts égales (50 % chacun) la responsabilité de la perte de salaire de la plaignante, qui s’élève à 36 236,22 $ (donc 18 118,18 $ chacun). Par conséquent, le Tribunal ordonne à la société intimée et au particulier intimé de verser à la plaignante une indemnité pour perte de salaire de 18 118,18 $ chacun.

B.  Indemnité pour préjudice moral

[345]  L’alinéa 53(2)e) de la LCDP prévoit qu’il est possible d’ordonner à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert d’un préjudice moral découlant de l’acte discriminatoire. En l’espèce, la Commission demande qu’il soit ordonné à l’intimé et à la société intimée de payer une indemnité pour préjudice moral.

[346]  Le Tribunal conclut que le harcèlement sexuel du particulier intimé à l’endroit de la plaignante était très proche de la violence sexuelle pure et simple et qu’il était relativement grave. La plaignante a été victime d’actes de harcèlement sexuel dont la gravité s’est intensifiée d’octobre 2011 à janvier 2012, soit pendant une période d’environ trois mois. 

[347]  Bien qu’aucun élément de preuve médicale n’ait été soumis, la plaignante a été traumatisée par le harcèlement sexuel. Elle a perdu son emploi, sa réputation professionnelle a été détruite, elle a ressenti de la honte et s’est sentie menacée et humiliée. Le processus de traitement des plaintes, qui n’a pas mené au règlement de sa plainte, lui a donné l’impression que les intimés continuaient de se moquer d’elle et de la rabaisser. Il a fallu un certain temps à la plaignante pour se remettre sur pied; à la fin de 2015, elle semblait de nouveau fonctionnelle sur les plans personnel et professionnel, et elle était en mesure d’occuper quatre emplois à temps partiel. 

[348]  Le Tribunal souligne sa conclusion selon laquelle, aux termes de l’article 65 de la LCDP, le harcèlement sexuel de la plaignante par le particulier intimé est réputé avoir été commis par la société intimée. Cela dit, le Tribunal conclut que les actes de la société intimée ont également causé un préjudice moral à la plaignante. De plus, la plaignante a été publiquement humiliée, rabaissée et traumatisée par la façon dont le propriétaire de la société intimée a géré cette affaire, en particulier par la réunion du 25 janvier 2012. 

[349]  Conformément à ce qui précède et aux décisions Bushey c. Arvind Sharma, 2003 TCDP 21, et Naistus c. Chief, 2009 TCDP 4, le Tribunal ordonne au particulier intimé de verser à la plaignante une indemnité pour préjudice moral de 10 000 $. Le Tribunal ordonne également à la société intimée de verser à la plaignante une indemnité pour préjudice moral de 10 000 $.

C.  Indemnité pour acte délibéré ou inconsidéré

[350]  La plaignante et la Commission demandent également l’indemnité maximale prévue au paragraphe 53(3) de la LCDP, qui prévoit que le Tribunal peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $ s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré. 

[351]  Les éléments de preuve indiquant que la conduite du particulier intimé était inconsidérée sont accablants. Le particulier intimé avait déjà été accusé d’avoir harcelé sexuellement des femmes en milieu de travail. Le particulier intimé a également reconnu que la politique sur le harcèlement était affichée à l’extérieur de son bureau dans les locaux de la société intimée et que la société intimée et sa superviseure lui avaient demandé de la lire. Il a reconnu avoir lu et signé des politiques sur le harcèlement sexuel dans le cadre de ses emplois précédents, avoir suivi une formation de sensibilisation au harcèlement dans son ancien emploi et savoir ce qu’est le harcèlement sexuel. Le particulier intimé était donc pleinement en mesure de comprendre que son comportement était inacceptable, voire illégal. Pourtant, le particulier intimé a couru le risque déraisonnable de commettre des actes importuns de nature sexuelle envers la plaignante. De plus, le particulier intimé a continué de harceler la plaignante et a même intentionnellement intensifié ses actes visant la plaignante bien qu’on lui ait demandé de façon répétée d’arrêter.

[352]  Bien que le Tribunal souligne qu’aux termes de l’article 65 de la LCDP, il tient la société intimée responsable des actes du particulier intimé, il conclut que la société intimée a également eu un comportement inconsidéré. Le caractère inconsidéré de la façon dont la société intimée a traité l’affaire est flagrant, parce que malgré les conseils répétés de Mme Dinner, le propriétaire de la société intimée a simplement refusé de congédier le particulier intimé ou d’assurer un milieu de travail sécuritaire et exempt de harcèlement aux autres employés, en particulier aux femmes. Le propriétaire de la société intimée n’a pas compris la base de la protection des droits de la personne – permettre aux femmes de participer à leur milieu de travail en sécurité et sans subir de harcèlement. Le propriétaire de la société intimée a plutôt indiqué que les femmes qui décident de travailler doivent se protéger et ne rien faire pour attirer l’attention des hommes.

[353]  Conformément à ce qui précède et aux décisions Bushey c. Arvind Sharma, 2003 TCDP 21, Naistus c. Chief, 2009 TCDP 4 et Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, le Tribunal ordonne au particulier intimé de verser une indemnité pour acte délibéré ou inconsidéré de 20 000 $ à la plaignante. Le Tribunal ordonne également à la société intimée de verser une indemnité pour acte délibéré ou inconsidéré de 20 000 $ à la plaignante.

VIII.  Ordonnance

[354]  Ayant conclu que les plaintes déposées par N.A. aux termes de l’article 14 contre L.C. et 1416992 Ontario Ltd. sont fondées, le Tribunal ordonne ce qui suit aux termes de l’article 53 de la LCDP :

Indemnisation

  1. L.C. doit verser à la plaignante une indemnité de 10 000 $ pour le préjudice moral découlant du harcèlement sexuel et une indemnité de 20 000 $ pour discrimination par conduite délibérée ou inconsidérée;
  2. L.C. doit verser à la plaignante une indemnité de 18 118,18 $ pour perte de salaire;
  3. 1416992 Ontario Ltd. doit verser à la plaignante une indemnité de 10 000 $ pour préjudice moral et une indemnité de 20 000 $ pour discrimination par conduite délibérée ou inconsidérée;
  4. 1416992 Ontario Ltd. doit verser à la plaignante une indemnité de 18 118,18 $ pour perte de salaire.

Intérêts payables par les intimés sur les indemnités accordées

[355]  Des intérêts simples, calculés sur une base annuelle et à un taux équivalent à celui de la Banque du Canada (série mensuelle), doivent être octroyés sur toutes les indemnités ordonnées. La période d’intérêt devra s’appliquer à compter de la date du dépôt auprès de la Commission de la plainte de la plaignante en vertu de la LCDP jusqu’au paiement des indemnités accordées relativement aux conclusions de responsabilité en matière de « harcèlement ». En ce qui concerne l’indemnité pour les « représailles », la période d’intérêt devra s’appliquer à compter de la date à laquelle la requête visant à modifier la plainte afin d’inclure des allégations de représailles a été accueillie, jusqu’à la date de paiement de l’indemnité accordée. 

Confidentialité

[356]  La demande de la plaignante en vue d’être identifiée par ses initiales est accordée. Le titre de l’instance et la décision rendue publique seront modifiés en conséquence. Le Tribunal ordonne également que tous les documents déposés en preuve soient caviardés en conséquence.

[357]  La demande du propriétaire de la société intimée en vue d’être désigné comme « le propriétaire » est accordée. La décision rendue publique sera modifiée en conséquence. Le Tribunal ordonne également que tous les documents déposés en preuve soient caviardés en conséquence.

[358]  La demande du fils du propriétaire de la société intimée d’être désigné par ses initiales est accordée. La décision rendue publique sera modifiée en conséquence. Le Tribunal ordonne également que tous les documents déposés en preuve soient caviardés en conséquence.

[359]  La demande de la société intimée en vue de la suppression du nom commercial de l’entité est accordée. Le titre de l’instance et la décision rendue publique seront modifiés en conséquence. Le Tribunal ordonne également que tous les documents déposés en preuve soient caviardés en conséquence.

[360]  La demande du particulier intimé en vue d’être désigné par ses initiales est accordée, et l’intitulé de l’instance a été modifié en conséquence. Le titre de l’instance et la décision rendue publique seront modifiés en conséquence. Le Tribunal ordonne également que tous les documents déposés en preuve soient caviardés en conséquence.

Maintien de la compétence

[361]  Le Tribunal demeure saisi de la présente affaire pour une période de trois mois à compter de la date de la présente ordonnance pour régler toute question liée à la mise en œuvre des réparations accordées dans la présente décision.

Signé par

J. Dena Bryan

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

19 décembre 2018

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties inscrites au dossier

Dossiers du Tribunal :  T2106/225 et T2107/2315

Intitulé de la cause :  N.A. c. 1416992 Ontario Ltd. et L.C.

Date de la décision du Tribunal :  19 décembre 2018

Dates et lieu de l’audience :  Du 25 au 29 juillet 2016

Brampton (Ontario)

Comparutions :

N.A. pour son propre compte

Ikram Warsame , pour la Commission canadienne des droits de la personne

A.S. pour l’intimée 1416992 Ontario Ltd.

L.C. pour son propre compte

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.