Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Tribunal's coat of arms - Description : Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

 

Référence : 2019 TCDP  3

Date : le 31 janvier 2019

Numéro du dossier : T2157/3116

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Jane Clegg

la plaignante

‑ et ‑

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

‑ et ‑

Air Canada

l’intimée

Décision sur requête

 

 

Membre : Kirsten Mercer

 



I.  Résumé

[1]  Air Canada demande une divulgation supplémentaire des dossiers médicaux de la plaignante qui sont pertinents en ce qui concerne la présente plainte. Même si j’ai conclu que la demande de l’intimée a une portée trop large, je suis convaincue que certains des dossiers médicaux demandés par l’intimée sont possiblement pertinents quant aux questions soulevées et aux mesures de redressement demandées dans la présente plainte, et qu’ils devraient être communiqués aux parties à la présente demande.

[2]  Le Tribunal est conscient de la nature délicate et personnelle des documents demandés dans la présente requête et – de façon plus générale – des éléments de preuve déposés en l’espèce.

[3]  Le Tribunal reconnaît les efforts de collaboration qui ont été déployés par toutes les parties pour veiller à ce que les dossiers confidentiels et/ou de nature délicate soient traités avec soin, compassion et de manière respectueuse et proactive. De plus, j’espère que cette approche continuera d’être appliquée.

[4]  En examinant la présente requête, le Tribunal doit soupeser la nécessité de traiter les renseignements médicaux personnels avec soin et compassion au regard des exigences d’équité procédurale et du droit de toutes les parties d’être au fait de la nature de l’instance. Il ne s’agit pas d’une tâche facile.

[5]  La requête visant à obtenir la divulgation des dossiers médicaux de la plaignante déposée par l’intimée est accueillie en partie. Certains des documents demandés répondent au critère de la pertinence plausible et ces renseignements devraient donc être divulgués. Plus précisément, je conclus qu’il existe un lien rationnel entre certains des documents demandés et les faits, les questions soulevées et les mesures de redressement sollicitées dans la plainte, tel qu’ils sont décrits dans la présente. Même si d’autres aspects de la requête vont au-delà de ce que je suis disposée à ordonner, pour l’essentiel, la demande ne peut pas être qualifiée de partie de pêche puisque les documents demandés donneraient à l’intimée la possibilité pleine et entière de présenter toute sa preuve.

[6]  Les motifs qui suivent expliquent la décision du Tribunal de contraindre la plaignante à produire d’autres dossiers médicaux, sous réserve de certaines limites sur la façon dont ces dossiers peuvent être utilisés.

II.  Le contexte

[7]  En mai 2012, Jane Clegg (Mme Clegg ou la plaignante) a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) à l’encontre de son ancien employeur, Air Canada (l’intimée). Selon ladite plainte (la plainte), elle aurait subi, dans le cadre de son emploi à titre de pilote, un traitement défavorable en raison de son sexe.

[8]  La Commission a enquêté sur la plainte et a publié un rapport recommandant que la plainte soit instruite par le Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP ou le Tribunal). Le 15 juin 2016, le Tribunal a été saisi de la plainte.

[9]  En avril 2017, les parties ont informé le Tribunal que le processus de divulgation était terminé et une date d’audience a été fixée au mois d’octobre 2017.

[10]  En septembre 2017, la plaignante a fourni un rapport provenant de sa psychologue traitante, la Dre Jan Heney, qui devait témoigner devant le Tribunal.

[11]  En octobre 2017, après avoir tranché un certain nombre de questions préliminaires, le Tribunal a commencé à entendre la preuve. Air Canada a demandé et obtenu (en janvier 2018) le consentement de la plaignante à la divulgation du dossier complet de la Dre Heney de juillet 2009 jusqu’à la date de la demande et, après cette date, jusqu’à la fin de la durée de l’audience de la présente plainte.

[12]  La Dre Heney a ensuite fourni une copie de son dossier, y compris divers documents  relatifs au traitement médical de la plaignante.

[13]  Le 26 avril 2018, la plaignante a cité la Dre Heney à témoigner. Entre autres, la Dre Heney a témoigné au sujet de l’état de la santé mentale de la plaignante pendant la période visée par la plainte.

[14]  La Dre Heney a également fait référence à une série de questions et d’événements qui sont antérieurs aux événements décrits dans la plainte.

[15]  Plus particulièrement, en contre‑interrogatoire, la Dre Heney a affirmé qu’au cours de son traitement de la plaignante, elle avait examiné une série de dossiers médicaux émanant du Peterborough Regional Health Centre qui étaient liés à la plainte. Ces dossiers n’avaient pas été communiqués à l’intimée en réponse à sa demande de communication du dossier de la Dre Heney.

[16]  Selon le témoignage de la Dre Heney, le congé de maladie de la plaignante, qui avait commencé en 2012, découlait d’un problème lié au travail.

[17]  Dans son témoignage, la Dre Heney a également affirmé qu’elle avait diagnostiqué chez la plaignante un trouble de l’adaptation qui n’avait pas été mentionné antérieurement à l’intimée au cours de la présente instance.

[18]  Le Tribunal est conscient du fait que, sur consentement, certains documents médicaux supplémentaires du dossier de la Dre Heney ont été communiqués à l’intimée à l’audience. Toutefois, il est devenu évident que d’autres dossiers médicaux possiblement pertinents peuvent exister et qui n’ont pas été produits.

[19]  L’intimée a ensuite informé le Tribunal qu’elle demanderait une production de documents plus complète de la part de la plaignante en ce qui concerne son dossier médical.

[20]  Le 6 juillet 2018, l’intimée a déposé une requête (la « requête en divulgation de renseignements médicaux ») visant à obtenir la divulgation des documents suivants :

(les « documents médicaux demandés »)

[21]  Le 9 août 2018, la plaignante et la Commission ont répondu à la requête en divulgation de renseignements médicaux.

[22]  Le 17 août 2018, l’intimée a déposé une réponse.

[23]  Pour des raisons non liées à la plainte ou à la requête en divulgation de renseignements médicaux, les audiences prévues ont été reportées au printemps 2019.

A.  La plainte

[24]  Mme Clegg soutient avoir subi un traitement défavorable fondé sur le sexe relativement à une série d’incidents précis survenus entre juillet 2009 et avril 2013 et relativement à la réponse d’Air Canada à ces incidents.

[25]  La plainte soulève une question de portée plus large concernant les réponses d’Air Canada aux plaintes pour harcèlement sexiste dont sont victimes les femmes pilotes à Air Canada. Mme Clegg soutient que le harcèlement sexiste constitue un problème fréquemment vécu par les femmes pilotes d’Air Canada et qu’[traduction] « Air Canada fait systématiquement preuve d’ambivalence à l’égard du harcèlement ».

[26]  Dans sa plainte et son exposé des précisions, la plaignante soutient que, en raison des politiques et des pratiques de l’intimée, elle a éprouvé des problèmes sur le plan financier et sur le plan de la santé et elle souligne l’[traduction] « […] effet préjudiciable que les politiques et procédures de l’intimée ont eu sur [sa] santé et [son] bien‑être ».

[27]  En outre, la plaignante demande, entre autres, une indemnité pour préjudice moral, préjudice qui, selon elle, a été causé par la conduite discriminatoire de l’intimée.

[28]  Elle fait également valoir que la détérioration de son état de santé et de son bien‑être a limité sa capacité à trouver un autre emploi convenable.

B.  Les dossiers médicaux demandés par Air Canada

[29]  Tel qu’il a été mentionné ci-dessus, l’intimée demande la délivrance d’une ordonnance de production additionnelle, plus complète, des dossiers médicaux de la plaignante, y compris toutes les notes et tous les dossiers cliniques datant de la période allant du 1er janvier 2008 à aujourd’hui.

[30]  Pour les besoins de l’examen des observations des parties, j’ai déterminé que les périodes suivantes sont visées par la requête en divulgation de renseignements médicaux :

  1. Avant juillet 2009 : les dossiers médicaux relatifs à la période antérieure aux événements allégués dans la plainte (les « dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte »).
  2. De juillet 2009 au début du congé de maladie de la plaignante en 2012 : les dossiers médicaux relatifs à la période allant du premier événement allégué dans la plainte jusqu’à la date à laquelle la plaignante a pris son congé (les « dossiers médicaux antérieurs au départ »).
  3. Le début du congé de maladie de la plaignante en 2012 jusqu’à aujourd’hui (et jusqu’à la conclusion de l’audience de la présente plainte) : les dossiers médicaux relatifs à la période allant de la date à laquelle la plaignante a pris son congé et par la suite (les « dossiers médicaux postérieurs au départ »).

Comme il a été mentionné précédemment, l’intimée demande également une liste des fournisseurs de soins de santé et le résumé de l’Assurance‑santé de l’Ontario.

III.  Les questions en litige

Les dossiers médicaux

  1. Les dossiers médicaux demandés en l’espèce sont‑ils protégés contre la divulgation en raison du privilège de non‑divulgation?
  2. La totalité ou un certain nombre des dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte sont‑ils possiblement pertinents quant aux questions soulevées dans la plainte?
  3. La totalité ou un certain nombre des dossiers médicaux antérieurs au départ sont‑ils possiblement pertinents quant aux questions soulevées dans la plainte?
  4. La totalité ou un certain nombre des dossiers médicaux postérieurs au dépôt de la plainte sont‑ils possiblement pertinents quant aux questions soulevées dans la plainte?
  5. La plaignante devrait‑elle être contrainte de communiquer une liste des fournisseurs de soins de santé?
  6. La plaignante devrait‑elle être contrainte de communiquer un résumé émanant de l’Assurance‑santé de l’Ontario?

La confidentialité

  1. Si les dossiers médicaux font l’objet d’une ordonnance de divulgation, quelles mesures de confidentialité (le cas échéant) devraient être mises en place à ce moment‑ci pour protéger les renseignements personnels de la plaignante?

Les dossiers médicaux

A.  Le droit applicable

[31]  Comme je l’ai déjà mentionné dans une décision rendue dans le cadre de la présente affaire (voir Clegg c. Air Canada, 2017 TCDP 27), le pouvoir qu’a le Tribunal d’ordonner la production d’un document avant l’audience découle du paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi), dont voici un extrait :

Le membre instructeur […] instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à [toutes les parties ayant reçu l’avis] la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

L’article 6 des Règles de procédure du Tribunal, lequel prévoit l’exercice de ce pouvoir est ainsi libellé :

(1) Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

[…]

d) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non‑divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les faits et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

[…]

(5) Une partie doit divulguer et produire les documents supplémentaires nécessaires

[…]

b) si elle constate qu’elle ne s’est pas conformée correctement ou complètement aux alinéas 6(1)d) […]. »

[32]  Il est bien établi par la jurisprudence, et cela n’est pas contesté dans la présente requête, que la norme applicable à la divulgation de documents, en vertu de l’alinéa 6(1)d) et du paragraphe (5) des Règles, est que les documents doivent être possiblement pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée, y compris les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par l’une ou l’autre des parties. Pour qu’un document soit possiblement pertinent, il doit y avoir un lien rationnel entre le document dont on demande la divulgation et une question ou un fait soulevé, ou une forme de redressement demandée, par les parties (Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18 (Seeley), au paragraphe 6).

[33]  Les obligations de divulgation qui découlent de ces Règles prévoient la divulgation aux autres parties de dossiers possiblement pertinents. Ce ne sont pas seulement ceux qui pourraient tendre à prouver l’allégation de fait soulevée par la plaignante, mais également ceux qui pourraient tendre à la réfuter.

[34]  Une demande de divulgation « […] ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une “partie de pêche” » (Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34 (Guay), au paragraphe 43), mais le critère est peu exigeant en ce qui concerne la production de documents possiblement pertinents et actuellement on tend à favoriser une divulgation plus vaste à l’étape de la production (Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, au paragraphe 6; voir aussi Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, au paragraphe 11 (Gaucher)).

[35]  Dans Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba Inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28 (AETM), le Tribunal a conclu ce qui suit au paragraphe 4 :

[…] La production de documents est assujettie au critère de la pertinence potentielle, qui n’est pas un critère très exigeant. Il doit y avoir une certaine pertinence entre le document ou les renseignements demandés et la question en litige. Il ne fait aucun doute qu’il est dans l’intérêt public de veiller à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient disponibles dans le cadre d’une affaire comme celle en l’espèce. Une partie a le droit d’obtenir les renseignements ou les documents qui sont pertinents quant à l’affaire ou qui pourraient l’être. Cela ne veut pas dire que ces documents ou renseignements seront admis en preuve ou qu’on leur accordera une importance significative.

[36]  Par ailleurs, la divulgation de renseignements possiblement pertinents ne veut pas dire que ces derniers seront admis en preuve au stade de l’audition de l’affaire (voir Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 5; voir aussi AETM, au paragraphe 4).

B.  Les positions des parties

(i)  La position de l’intimée

[37]  L’intimée soutient qu’il existe un lien clair et direct entre les dossiers médicaux demandés et la plainte. En fait, l’intimée soutient que c’est la plaignante qui a elle‑même invoqué son état de santé et son bien‑être, et donc ses antécédents médicaux.

[38]  L’intimée souligne, en outre, que le témoignage de la Dre Heney soulève de nouveaux renseignements et de nouvelles questions quant à l’état de santé de la plaignante pendant la période visée et qui pourraient être pertinents en ce qui concerne la plainte, et qu’elle a donc le droit d’examiner dans le cadre de sa  défense.

[39]  Air Canada fait valoir que les dossiers médicaux demandés, datant de 2008 et d’après, sont possiblement pertinents quant à :

  1. la question de savoir s’il existe des problèmes dans le milieu de travail qui ont eu comme conséquence directe que la plaignante a mis fin à son emploi, comme il est allégué :
  2. la question de savoir si le milieu de travail à Air Canada a eu un effet préjudiciable sur la santé et le bien‑être de la plaignante, tel qu’il est allégué;
  3. le préjudice que la plaignante allègue avoir subi, y compris la perte de salaire du 3 avril 2013 jusqu’à aujourd’hui qui a été occasionnée par sa démission, et la capacité de la plaignante à travailler et/ou à atténuer son préjudice en cherchant un autre emploi pendant ces périodes.

[40]  L’intimée soutient que les dossiers médicaux antérieurs au premier incident allégué sont possiblement pertinents quant à la plainte et devraient être produits.

[41]  Même si Air Canada reconnaît que sa demande peut avoir une portée trop large (c’est‑à‑dire que les dossiers médicaux demandés peuvent inclure des dossiers qui ne sont pas possiblement pertinents à la plainte), elle soutient qu’elle devrait être autorisée à examiner tous les dossiers pour déterminer ceux qui, à son avis, sont pertinents, afin d’avoir une possibilité pleine et entière de répondre à la plainte.

[42]  En ce qui concerne la nécessité de prendre des mesures de confidentialité, l’intimée fait valoir qu’elle est disposée à collaborer avec toutes les parties en vue d’assurer la protection des renseignements de nature délicate. Toutefois, elle ne demande pas une telle ordonnance pour l’instant.

[43]  Dans sa réponse, l’intimée soutient que, nonobstant tout privilège de non‑divulgation qui pourrait être invoqué concernant les dossiers médicaux d’un patient en général, lorsqu’une partie à une plainte a expressément invoqué son état de santé, elle renonce implicitement à ce privilège de non‑divulgation. À cet égard, l’intimée invoque la décision du Tribunal dans Guay, précitée, qui mentionne ce qui suit au paragraphe 45 :

[…] L’intimée a établi qu’il existait un lien entre les documents demandés et les questions en litiges notamment en ce qui concerne les redressements sollicités. Dans des procédures en matière de droits de la personne, la plaignante, lorsqu’elle réclame une indemnisation pour des préjudices physiques et moraux, accepte implicitement que l’intimée puisse avoir accès à ses dossiers médicaux ou, de façon générale, à des renseignements personnels sur sa santé. Le droit à la confidentialité des dossiers médicaux cesse alors d’exister. En l’espèce, la plaignante demande une compensation financière pour préjudices physiques et moraux. Le droit à la confidentialité est alors éclipsé par le droit du défendeur de connaître les motifs et la portée de la plainte dont il fait l’objet. La justice, dans des procédures en matière de droits de la personne, exige que l’on permette à la partie intimée de présenter une défense pleine et entière à l’argumentation de la partie plaignante. Si la plaignante plaide sa cause en se fondant sur son état de santé, l’intimée a le droit d’obtenir les renseignements de santé pertinents qui peuvent avoir trait à la réclamation.

(ii)  La position de la plaignante

[44]  La plaignante soutient que les dossiers de soins de santé personnels sont protégés contre la divulgation en raison de leur nature délicate et intime, et que cette protection est fondée en partie sur l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[45]  La plaignante fait valoir que les dossiers médicaux sont considérés comme confidentiels et qu’ils ne devraient pas être communiqués sans le consentement du patient. Elle fait valoir, en outre, que la divulgation ne devrait être ordonnée que s’il existe une preuve claire et manifeste démontrant que les dossiers médicaux auraient une valeur probante et que leur production ne causera aucun préjudice à la personne à qui la divulgation est demandée.

[46]  La plaignante soutient que l’intimée n’a pas établi la pertinence des dossiers médicaux demandés et que, en conséquence, leur production ne devrait pas être ordonnée.

[47]  Par ailleurs, la plaignante fait valoir que pour maintenir sa licence de pilote, elle devait se soumette à des évaluations médicales régulières afin de déterminer son aptitude à piloter. La plaignante soutient que le fait qu’elle a été déclarée apte à piloter en 2009, en 2010, en 2011 et en 2013 a atténué l’obligation de produire des dossiers médicaux dans le cadre de la présente instance.

(iii)  La position de la Commission

[48]  La Commission soutient que la demande de communication des dossiers médicaux a une portée trop large et qu’ordonner leur communication pourrait avoir comme résultat de punir la plaignante pour avoir déposé une plainte en rendant accessibles tous ses renseignements médicaux.

[49]  La Commission soutient que l’intimée n’a pas établi que tout dossier médical relatif à la période antérieure aux événements décrits dans la plainte est potentiellement pertinent dans la présente instance. En outre, elle fait valoir que le Tribunal ne devrait pas ordonner la divulgation de tout dossier relatif à la période précédant la démission de la plaignante en 2012.

[50]  La Commission souligne l’importance, en général, du caractère confidentiel des communications entre le patient et son médecin. Elle souligne qu’il existe, en common law, un privilège visant à empêcher les divulgations indues de dossiers médicaux.

[51]  Enfin, la Commission invoque le libellé de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C., 1985, ch. A‑2, qui établit, en partie, le régime de réglementation qui régit les titulaires d’une licence de pilote et qui crée ou qui exprime l’existence d’un privilège qui protège les renseignements médicaux dans le cadre de ce régime.

IV.  Analyse

A.  Les dossiers médicaux

Obligations de divulgation et caractère confidentiel des communications entre le médecin et son patient

[52]  Le Tribunal a reconnu qu’un plaignant a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité de ses dossiers médicaux (voir Beaudry c. Canada (Procureur général), 2002 CanLII 61851 (TCDP), au paragraphe 7 (Beaudry); McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd., 2001 CanLII 38296 (TCDP), au paragraphe 3 (McAvinn)). Toutefois, ce droit peut cesser d’exister quand cette personne invoque son état de santé (voir McAvinn, au paragraphe 4 (TCDP), Guay, au paragraphe 45, et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier et Femmes‑Action c. Bell Canada, 2005 TCDP 9, aux paragraphes 11 à 13; voir aussi Frenette c. Métropolitaine (La), cie d’assurance‑vie, [1992] 1 RCS 647 (Frenette); et M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 RCS 157, au paragraphe 38).

[53]  Dans l’arrêt Ryan, la Cour suprême a clairement indiqué que le droit en matière de privilèges doit refléter les valeurs consacrées par la Charte qui sont pertinentes (dans cette affaire, les valeurs énoncées aux articles 8 et 15). Même si, en l’espèce, la plaignante invoque l’article 7 de la Charte, elle n’a pas indiqué la façon dont cette disposition constitutionnelle devrait modifier l’analyse exposée par la majorité dans l’arrêt Ryan. De plus, même si l’interprétation du droit en matière de privilèges doit respecter les valeurs consacrées par la Charte, elles ne peuvent pas éclipser les principes de l’équité fondamentale, qui exigent que les parties divulguent les renseignements possiblement pertinents quant à leur plainte, qu’ils appuient ou non la position adoptée dans le cadre du litige.

[54]  Toutefois, en général, le Tribunal reconnaît que les renseignements médicaux d’une partie peuvent être protégés, par un privilège, contre la divulgation.

[55]  En l’espèce, la plaignante a soulevé la question de sa santé mentale et de son bien‑être en alléguant que l’approche de l’intimée en ce qui concerne sa plainte a causé un préjudice à [traduction] « sa santé et son bien‑être ».

[56]  Le témoignage de la Dre Heney devant le Tribunal laisse entendre qu’il pourrait exister un lien entre le harcèlement en cause dans la plainte et le congé de la plaignante qui a commencé en 2012.

[57]  Enfin, si la plainte est fondée, les mesures de redressement sollicitées comprennent, par exemple, une indemnité pour préjudice moral, ainsi que pour la perte de salaires (ce qui soulève la question de la mesure dans laquelle la plaignante aurait pu limiter ces pertes au moyen d’un autre emploi). Pour trancher cette demande de mesures de redressement, le Tribunal devra possiblement déterminer les répercussions des événements allégués dans la plainte, dont il a été prouvé qu’ils ont eu lieu, sur l’état de santé et le bien‑être de la plaignante, ainsi que la façon dont ces répercussions peuvent avoir limité sa capacité à trouver ou à occuper un autre emploi, et la mesure dans laquelle elles ont limité cette capacité.

[58]  Afin de trancher ces questions, le Tribunal devra comprendre tout préjudice moral allégué par la plaignante, ainsi que toute limite à sa capacité de trouver un autre emploi pendant les périodes pertinentes.

[59]  De plus, l’intimée doit être autorisée à vérifier les affirmations avancées par la plaignante, compte tenu de l’ensemble de la preuve, dont on peut dire à juste titre qu’elle porte sur la question et non pas seulement sur les aspects du dossier médical que la plaignante a l’intention d’invoquer.

[60]  Je conclus que, à certains égards, la revendication de privilège faite par la plaignante ne peut pas être accueillie puisque le droit à la communication de l’intimée, c’est‑à‑dire le droit à ce que le litige soit réglé convenablement, l’emporte sur les droits de la plaignante à la protection de ses renseignements personnels. En d’autres termes, dans la mesure où la plaignante cherche à invoquer en l’espèce son état de santé et son bien‑être, elle ne peut pas revendiquer de privilège afin de se protéger contre la divulgation des dossiers médicaux qui permettraient à l’intimée de vérifier ses allégations et qui permettraient au Tribunal de statuer sur la véracité de celles‑ci.

L’autorisation médicale de piloter

[61]  La plaignante a soutenu que, puisqu’elle était autorisée à piloter à la suite d’examens médicaux en 2009, en 2010, en 2011 et en 2013, elle n’était pas tenue de  divulguer des renseignements médicaux supplémentaires dans le contexte de sa plainte.

[62]  Le Tribunal ignore tout de  la nature de l’autorisation médicale obtenue par la plaignante et  la mesure dans laquelle une telle autorisation traite des questions dont est saisi le Tribunal concernant la présente plainte, ou de la question de savoir si Air Canada a accès aux résultats de l’évaluation médicale (outre le fait que la pilote a obtenu une autorisation médicale).

[63]  Je conclus que, contrairement à ce que prétend la plaignante, l’autorisation médicale de piloter qu’elle a obtenue ne la libère pas de ses obligations de divulgation touchant son dossier médical.

Privilège prévu dans la Loi sur l’aéronautique

[64]  La Commission affirme que le paragraphe 6.5(5) de la Loi sur l’aéronautique prévoit un privilège qui protège les communications entre médecin et patient dans les cas où la divulgation de renseignements médicaux est exigée par le paragraphe 6.5(1) de la Loi sur l’aéronautique (c’est‑à‑dire lorsqu’un médecin ou un optométriste a des motifs raisonnables de croire que son patient pourrait constituer un risque pour la sécurité aérienne).

[65]  Tel que cela est exposé ci‑dessus, la protection des renseignements médicaux contre la divulgation est bien établie dans la jurisprudence du Tribunal, sauf dans les cas où les renseignements médicaux sont remis en question dans le cadre d’une plainte.

[66]  Même si l’existence d’un privilège est appuyée par les dispositions citées par la Commission, la protection accordée par le paragraphe 6.5(5) a expressément trait à la divulgation en vertu du paragraphe 6.5(1) et n’a aucune incidence sur l’analyse du Tribunal de la présente requête.

Quels dossiers doivent être communiqués ?

[67]  Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai déterminé trois périodes pertinentes en ce qui concerne l’étude des questions de divulgation et de communication en litige dans la présente requête :

(i)  Les dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte

[68]  Malgré son argument selon lequel les dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte devraient lui être communiqués, l’intimée n’a pas établi un lien suffisant entre les dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte et les faits, les questions en litige et les mesures de redressement invoquées en l’espèce pour justifier la délivrance, à ce moment-ci, d’une ordonnance de divulgation des dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte.

[69]  Par conséquent, la requête en divulgation des dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte présentée par l’intimée est rejetée.

(ii)  Les dossiers médicaux antérieurs au départ

[70]  Selon les observations des parties et les éléments de preuve déposés jusqu’à maintenant, je conclus que les documents médicaux concernant :

·  l’état d’esprit de la plaignante,

·  la santé physique de la plaignante dans la mesure où cela a contribué à son congé de maladie,

et visant la période allant de juillet 2009 jusqu’à la date de congé de maladie de la plaignante sont possiblement pertinents en ce qui concerne la plainte.

[71]  Je suis convaincue que la demande de l’intimée à cet égard n’est pas de la nature d’une partie de pêche, puisqu’elle est fondée sur des documents qui lui ont déjà été communiqués par la plaignante et sur des éléments de preuve déposés auprès du Tribunal. Aussi, les événements allégués dans la plainte sont censés avoir eu une incidence sur la santé physique ou mentale de la plaignante et, par conséquent, l’existence ou l’absence d’un lien entre ces deux éléments devra être examinée dans le contexte de l’état de santé antérieur de la plaignante, afin de donner à l’intimée la possibilité pleine et entière de présenter toute sa preuve.

[72]  Le Tribunal n’ordonne pas la divulgation de tous les dossiers médicaux visant cette période, mais plutôt uniquement ceux qui ont trait aux allégations de la plaignante et/ou à son congé de maladie.

(iii)  Les dossiers médicaux postérieurs au congé

[73]  Dans la plainte et l’exposé des précisions de la plaignante, celle-ci fait mention de questions et de mesures de redressement relatives à sa santé et à son bien‑être. Plus particulièrement, l’instruction de la présente plainte pourrait nécessiter que le Tribunal tranche : a) la question de savoir si les problèmes dans le milieu de travail sont la raison pour laquelle la plaignante a mis fin à son emploi et, dans l’affirmative, dans quelle mesure; b) la question de savoir si les difficultés vécues par la plaignante à Air Canada ont nui à sa santé et à son bien‑être et, dans l’affirmative, dans quelle mesure ce préjudice pourrait être indemnisé; et c) la question de savoir si la plaignante aurait pu atténuer ses pertes en cherchant un autre emploi pendant cette période et, dans l’affirmative, dans quelle mesure.

[74]  C’est la plaignante qui a soulevé en l’espèce la question de son état de santé et de son bien‑être. Permettre à la plaignante de déterminer seule les aspects de ses antécédents médicaux qui doivent être déposés en preuve et ceux qui ne doivent pas l’être contreviendrait à l’obligation du Tribunal de s’assurer que toutes les parties ont une possibilité pleine et entière de plaider leur cause.

[75]  Même s’il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un aspect difficile du processus contradictoire, l’intimée doit être autorisée à vérifier les affirmations de la plaignante en ayant accès à toute la preuve documentaire qui est possiblement pertinente. En ce qui concerne les affirmations de la plaignante portant sur son état de santé et son bien-être, l’intimée doit avoir la capacité d’évaluer les allégations de la plaignante à la lumière de l’ensemble des documents pertinents de son dossier médical afin de vérifier les affirmations de la plaignante sur ces points.

[76]  Selon un principe fondamental du processus contradictoire, le Tribunal n’est bien placé pour trancher les questions soulevées par un plaignant que s’il peut vérifier ses allégations et ses affirmations.

[77]  Je suis convaincue que les dossiers médicaux relatifs à la santé et au bien‑être de la plaignante pour la période allant du début de son congé de maladie jusqu’à aujourd’hui sont possiblement pertinents à la présente enquête et que, par conséquent, ils devraient être divulgués.

[78]  Je sais que la plaignante est très préoccupée par l’idée de devoir divulguer des dossiers médicaux qui ne sont pas possiblement pertinents en ce qui concerne la plainte. Toutefois, en l’absence d’observations plus précises de la part de la plaignante en ce qui concerne tout dossier médical postérieur au congé qui ne serait pas possiblement pertinent en ce qui concerne la plainte, il est difficile pour le Tribunal de restreindre davantage la portée de son ordonnance.

[79]  Dans le but de protéger, dans toute la mesure du possible, les renseignements personnels de la plaignante et d’atténuer la possibilité que des dossiers non pertinents soient divulgués, le Tribunal est disposé à recevoir, sous scellés, une copie de tout dossier médical postérieur au congé que la plaignante souhaite voir non assujetti à l’ordonnance ou, dans l’éventualité où il y a plusieurs dossiers, un résumé des dossiers médicaux postérieurs au congé, notamment les dates, le nom du médecin ou du praticien traitant, la plainte soumise (la raison pour laquelle un traitement est demandé), les diagnostics et un plan de traitement (le cas échéant).

[80]  Sous réserve de l’opposition d’une partie, le Tribunal examinera confidentiellement les dossiers médicaux postérieurs au congé ou les résumés pertinents sous scellés et accordera, dans la présente ordonnance, une exemption concernant tout document médical postérieur au congé qu’il estime ne pas être possiblement pertinent en ce qui concerne la plainte.

(iv)  Les résumés relatifs aux soins de santé

[81]  L’intimée demande également à recevoir une liste des fournisseurs de soins de santé consultés par la plaignante et un résumé émanant de l’Assurance‑santé de l’Ontario portant sur les mêmes renseignements.

[82]  En ce qui concerne la liste des fournisseurs de soins de santé, je conclus que ce document n’existe pas actuellement et que la plaignante n’est aucunement tenue de créer des nouveaux dossiers afin de se conformer à ses obligations de communication (voir Gaucher, au paragraphe 17). En conséquence, je rejette la demande de l’intimée pour une divulgation d’une liste des fournisseurs de soins de santé.

[83]  Pour ce qui est du résumé de l’Assurance‑santé de l’Ontario, même si je suis d’avis qu’un tel document pourrait contenir des renseignements qui ne sont pas pertinents en ce qui concerne la présente instance, je conclus qu’un document de cette nature est susceptible de constituer la façon la plus efficace d’obtenir tous les renseignements relatifs aux soins de santé mentale et physique que la plaignante a reçus de juillet 2009 jusqu’à aujourd’hui. Ce document peut être caviardé, au besoin, en vue de radier tout renseignement qui n’est pas possiblement pertinent en ce qui concerne les questions de fait soulevées dans la présente enquête.

L’obligation de divulguer des documents possiblement pertinents ne vise-t-elle que les documents qui sont en la possession de la plaignante ?

[84]  La plaignante soutient qu’elle n’est pas tenue de divulguer des dossiers qui ne sont pas en sa possession et que, par conséquent, elle n’était pas tenue de divulguer son dossier médical.

[85]  Toutefois, le paragraphe 1(2) des Règles du Tribunal énonce que les règles doivent être « […] appliquées de façon libérale par le membre instructeur dans l’affaire dont il a été saisi, afin de favoriser les fins énoncées au paragraphe 1(1) ». Entre autres, les règles ont pour objectif de permettre : « que l’argumentation et la preuve soient présentées en temps opportun et de façon efficace » (alinéa 1(1)b) des Règles), et « que toutes les affaires dont le Tribunal est saisi soient instruites de la façon la moins formaliste et la plus rapide possible » (alinéa 1(1)c) des Règles). De cette façon, l’alinéa 1(1)c) des Règles traduit bien le paragraphe 48.9(1) de la Loi.

[86]  Dans les circonstances de la présente affaire, le fait d’interpréter le terme « possession », tel qu’il figure à l’alinéa 6(1)d) des Règles en vue d’inclure les documents auxquels la plaignante a accès et dont elle a le contrôle, et d’obliger la plaignante à obtenir des dossiers médicaux possiblement pertinents qu’elle seule a le droit d’obtenir permettra d’atteindre l’objectif visé par les Règles du Tribunal. Cette interprétation étend à bon droit l’obligation de divulgation aux documents qui ne sont peut-être pas actuellement en la possession physique d’une partie, mais que celle-ci a le droit d’obtenir de leur détenteur.

[87]  De plus, la plaignante a accès à certains aspects de son dossier médical et, dans le cadre de l’audience, elle a tenté de les invoquer. Il serait injuste de permettre à la plaignante de choisir et de divulguer uniquement les aspects de son dossier médical qui étayent sa preuve, sans donner à l’intimée la possibilité d’examiner la preuve et de proposer que le Tribunal rende une autre décision, laquelle serait fondée sur une compréhension complète de la preuve médicale de la plaignante.

[88]  En conséquence, ordonner à la plaignante d’obtenir et de communiquer ses dossiers médicaux constitue la façon la moins formaliste et la plus rapide possible d’obtenir ces documents possiblement pertinents. Cela implique que la plaignante obtienne les documents auxquels elle a déjà un droit unique d’accès. Hormis le coût possible lié à l’obtention de ces dossiers, il ne semble pas que la plaignante subira un préjudice si l’on procède de cette manière.

B.  La protection de la confidentialité des documents médicaux de Mme Clegg

[89]  Le Tribunal reconnaît la nature sensible des documents en litige et reconnaît qu’il est essentiel que toutes les parties estiment que, dans la mesure du possible, leurs renseignements personnels sont protégés, sous réserve uniquement des exigences des procédures du Tribunal.

[90]  En conséquence, le Tribunal peut être autorisé à limiter l’accès et l’utilisation de ces renseignements et ce, en vertu des limites appropriées à la divulgation de renseignements par ailleurs privilégiés ou de son pouvoir de rendre des ordonnances visant à protéger les renseignements confidentiels prévu à l’article 52 de la Loi.

[91]  La plaignante, tant dans ses observations écrites relatives à la présente requête que dans la plaidoirie qu’elle a faite à l’audition de sa plainte, a parlé avec passion du mal que peut lui causer le fait que ses dossiers médicaux très personnels deviennent ne serait-ce que quelque peu publics dans le cadre de la présente instance.

[92]  Le Tribunal est conscient de ce problème ainsi que des efforts déployés par toutes les parties en vue de procéder avec soin et délicatesse à mesure que nous abordons cet aspect difficile de l’audition de la présente plainte.

[93]  Même si chacune des parties a formulé des observations relativement à la demande de prise de mesures de confidentialité, il ne semble exister aucun différend entre elles à cet égard.

[94]  Comme le Tribunal l’a déjà statué, « le besoin de découvrir la vérité et d’éviter une injustice n’écarte pas automatiquement la possibilité d’une protection contre une divulgation complète » (Yaffa, au paragraphe 12, citant M. (A), au paragraphe 33). Dans les cas où le Tribunal a ordonné la divulgation de dossiers médicaux, il a parfois imposé des conditions en vue de protéger la confidentialité des renseignements (voir, par exemple, Guay, au paragraphe 48; voir également McAvinn, au paragraphe 20; Beaudry, au paragraphe 9; et Palm c. International Longshore and Warehouse Union, Local 500 et al., 2012 TCDP 11, au paragraphe 19(3)).

[95]  En outre, la Loi prévoit le pouvoir de rendre une ordonnance de confidentialité, dans les circonstances appropriées.

[96]  L’article 52 de la Loi dispose :

a) il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique;

b) il y a un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

d) il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne puisse être mise en danger par la publicité des débats.

(2) Le membre instructeur peut, s’il l’estime indiqué, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu’il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de la demande visée au paragraphe (1).

[97]  Compte tenu des observations formulées par la plaignante dans le cadre de la présente requête et compte tenu des commentaires qu’elle a formulés à l’audience concernant la question de la divulgation de ses renseignements médicaux personnels, je conclus que la divulgation publique de ses renseignements médicaux personnels est susceptible de causer une véritable angoisse à Mme Clegg. Cela étant dit, l’équité procédurale exige que l’intimée connaisse la preuve qu’elle doit réfuter.

[98]  Puisqu’il s’agit d’une requête en divulgation, je n’estime pas, à ce stade, qu’il est nécessaire de trancher la question de l’accès public plus large à ces renseignements.

[99]  Il peut exister un risque réel et important que la divulgation de renseignements personnels, dans le cadre public d’une audience, puisse causer un préjudice indu à Mme Clegg. Même si je ne suis pas tenue de rendre une telle décision à cette étape, le Tribunal, comme l’exige la Loi et conformément à celle‑ci, demeure disposé à rendre d’autres ordonnances relativement à la confidentialité des dossiers médicaux demandés.

[100]  Je suis convaincue qu’il convient, à ce stade, dans les circonstances de la présente plainte, d’imposer certaines mesures de confidentialité (comme des limites à l’accès aux dossiers médicaux demandés décrits aux présentes et à leur utilisation) afin de protéger la confidentialité des dossiers médicaux de Mme Clegg. En conséquence, les dossiers dont la divulgation est ordonnée ci‑après ne seront communiqués qu’à l’avocat de l’intimée et à l’avocat de la Commission.

[101]  De plus, l’intimée et la Commission peuvent désigner chacune un représentant (la « personne désignée ») qui examinera les dossiers médicaux dont la divulgation a été ordonnée par les présentes, à la seule fin de donner des directives aux avocats, et elles communiqueront par écrit au Tribunal le nom de ce représentant.

[102]  Les dossiers médicaux dont la divulgation est ordonnée dans le cadre de la présente requête ne pourront être transmis par l’intimée ou la Commission à qui que ce soit d’autre, ou à d’autres entités, sans avoir obtenu, au préalable, l’autorisation du Tribunal.

[103]  De plus, les documents ne pourront servir qu’aux fins de la présente enquête et devront être remis à la plaignante à la conclusion de cette dernière.

[104]  Il convient de préciser que la présente décision porte sur la question de la divulgation de documents médicaux. Toute question concernant l’admissibilité en preuve de ces documents ou les mesures de confidentialité qui en découlent peut être tranchée à l’audience.

V.  Ordonnance

A.  Communication

[105]  En vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par les Règles de procédures du Tribunal canadien des droits de la personne (03‑05‑04), je rends les ordonnances suivantes : 

  1. La plaignante obtiendra et divulguera les dossiers médicaux antérieurs au départ qui ont trait à ce qui suit :

·  l’état mental de la plaignante; et (ou)

·  la santé physique de la plaignante, dans la mesure où cela a contribué à son départ en congé de maladie.

  1. La plaignante obtiendra et divulguera les dossiers médicaux postérieurs au départ, sous réserve de toute exemption accordée en l’espèce par le Tribunal.
  2. La plaignante présentera une demande d’accès à ses renseignements personnels sur sa santé en ce qui a trait à l’historique de ses réclamations personnelles auprès du ministère de la Santé et des soins de longue durée, et elle communiquera aux parties le résumé émanant de l’Assurance‑santé de l’Ontario.

B.  Confidentialité

[106]  En vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par les Règles de procédures du Tribunal canadien des droits de la personne (03‑05‑04) et en vertu de l’article 52 de la Loi, je rends les ordonnances suivantes : 

  1. Les documents dont la divulgation est ordonnée par les présentes ne seront divulgués qu’à l’avocat de l’intimée et à l’avocat de la Commission.
  2. l’intimée et la Commission peuvent désigner chacune un représentant (la « personne désignée ») qui examinera les dossiers médicaux dont la divulgation a été ordonnée par les présentes, à la seule fin de donner des directives aux avocats.
  3. Les parties communiqueront par écrit au Tribunal le nom de la personne désignée.
  4. Les documents dont la divulgation est ordonnée par les présentes ne pourront être transmis par l’intimée ou la Commission à qui que ce soit d’autre, ou à d’autres entités, sans avoir obtenu au préalable l’autorisation du Tribunal.
  5. Les documents dont la divulgation est ordonnée par les présentes ne pourront servir qu’aux fins de la présente enquête.
  6. Les documents dont la divulgation est ordonnée par les présentes devront être retournés à la plaignante à la conclusion de l’enquête.

Signée par

Kirsten Mercer

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 31 janvier 2019

 


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