Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 5

Date : le 13 février 2019

Numéro du dossier : T2154/2816

Entre :

Mohamed Nur

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

  l'intimée

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I.  Contexte

[1]  Le Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) est saisi de deux requêtes, l’une ayant été déposée par la Commission canadienne des droits de la personne (Commission) et l’autre, provenant du plaignant, M. Mohamed Nur.

[2]  Il n’est pas utile, à cette étape-ci, de reprendre en détail la plainte de M. Nur. Cependant, nous verrons plus loin que l’étendue de la plainte est un enjeu important quant à la requête de la Commission.

[3]  La requête de la Commission vise plusieurs fins. Elle recherche une ordonnance du Tribunal afin que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (intimée ou CN) produise une liste détaillée des documents pour lesquels elle invoque un privilège avocat-client (Annexe B). Elle demande également au Tribunal des ordonnances afin d’obtenir, de la part de l’intimée, la divulgation de plusieurs documents. Dans la réplique de la Commission, certains aspects de ses demandes ont été affinés et circonscrits, alors que d’autres ont été abandonnés. La Commission a identifié clairement ces changements. Le Tribunal n’abordera pas les représentations et ordonnances qui ont été abandonnées par la Commission.

[4]  Cela dit, il est suffisant, à cette étape-ci, de résumer ses demandes de la manière suivante. La Commission demande la divulgation de documents incluant certaines politiques et procédures de la compagnie en matière de harcèlement, d’accommodement, de discrimination et de droits de la personne, du matériel de formation, différentes communications d’individus qui seront appelés comme témoins à l’audience et certains documents touchant la formation incluant celle que certains individus ont obtenue par l’intimée. Enfin, la Commission demande au Tribunal que CN confirme par écrit qu’une recherche diligente des documents a été conduite, que tous les documents susceptibles d’être produits l’ont été et que les documents qui n’ont pas été produits ne l’ont pas été en raison de leur inexistence ou que CN invoque un privilège avocat-client, auquel cas ces documents doivent être détaillés dans sa liste de documents privilégiés (Annexe B).

[5]  Quant à la requête du plaignant, celui-ci désire obtenir une ordonnance du Tribunal afin que CN recherche et divulgue les coordonnées d’un individu qui aurait travaillé ou qui travaille toujours chez l’intimée et qu’il entend appeler comme témoins à l’audience.

[6]  Rappelons que le Tribunal a déjà rendu une décision en matière de divulgation le 8 juin 2018 (voir Mohammed Nur c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2018 TCDP 16). Les présentes demandes en divulgation ont été déposées quelques semaines avant les audiences prévues du 19 février au 1er mars 2018. Ces dates d’audience ont été fixées lors de la téléconférence du 24 juillet 2018.

[7]  Le Tribunal a demandé aux parties de participer, le 14 janvier 2018, à une téléconférence. Deux objectifs de cette téléconférence étaient de s’assurer, d’une part, que le Tribunal était en possession de tout le matériel des parties quant à ces deux requêtes et, d’autre part, que les parties confirment qu’aucune autre question litigieuse ne demeurait en suspens.

[8]  Durant cet appel, les représentants de l’intimé ont informé le Tribunal qu’il semblait y avoir une incompréhension de la part de la Commission quant à certains documents qui ont été divulgués et sur lesquels le nom d’une firme d’avocats apparait. Le Tribunal a invité les parties à discuter de la situation entre elles afin d’élucider ces incompréhensions et, si possible, de clarifier la situation. Les parties ont consenti à cette façon de procéder et ont proposé de transmettre au Tribunal une correspondance qui clarifierait la situation et l’implication de cette firme d’avocats. Cette question était importante puisque la Commission a demandé plus de détails sur des documents pour lesquels CN invoque un privilège avocat-client. Cela dit, suivant les nouveaux faits qui ont été soulevés par l’intimé à la première occasion, le Tribunal ne pouvait les ignorer. La situation devait être clarifiée afin qu’une décision éclairée soit rendue. Le 16 janvier 2019, le Tribunal a effectivement reçu une lettre de la Commission mettant la situation à jour.

[9]  Le Tribunal a reçu le matériel de toutes les parties concernant ces deux requêtes incluant leurs représentations, les divers documents ainsi que la jurisprudence qui ont été joints. M. Nur n’a pas déposé de représentations spécifiques en lien avec la requête de la Commission. Il a simplement mentionné qu’il appuyait la requête. Enfin, les parties ont confirmé qu’aucune autre question en suspens ne devait être traitée par le Tribunal à ce jour. Dans un objectif d’efficacité et de célérité, le Tribunal traitera de ces deux requêtes dans une décision unique.

[10]  Pour les motifs qui suivent, le Tribunal accorde en partie la requête de la Commission et accorde la requête de M. Nur.

II.  Questions en litige

[11]  Concernant la requête de la Commission, le Tribunal doit répondre aux questions en litige suivantes :

(1)  Est-ce que le Tribunal devrait ordonner à l’intimé de divulguer les documents suivants en se basant sur le critère de la pertinence potentielle à un fait, une question ou une forme de redressement? Les documents recherchés sont :

(i)  Versions des politiques et procédures de CN qui existaient en 2015 et celles qui existent à ce jour en matière :

(a)  des droits de la personne et contre la discrimination;

(b)  d’accommodement des personnes ayant une déficience;

(c)  de harcèlement; 

(ii)  Matériel de formation concernant les politiques sur le harcèlement, les droits de la personne et contre la discrimination, d’accommodement des personnes ayant une déficience et qui est fourni au personnel des ressources humaines, personnel de la direction et employés de CN travaillant à Edmonton (Alberta), de 2013 à ce jour;

(iii) Dossiers de formation de David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong, Mary Jane Morrison, en lien avec leur participation aux formations sur les politiques sur le harcèlement, les droits de la personne et contre la discrimination, d’accommodement des personnes ayant une déficience ainsi que sur la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail;

(iv) Courriels, mémos, notes, procès-verbaux de réunions, ou toutes autres formes de communications écrites, dont les personnes suivantes sont les auteures ou sont destinataires et concernant M. Nur, du 30 juin 2015 jusqu’à ce jour : David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong, Mary Jane Morrison, Ken Wilson, Matthew Smith, Natalie Mark, Silvia Michaud, Robbie Kloster, Braiden Pelican, Christine Mitchell.

(2)  Est-ce que le Tribunal devrait ordonner à CN de confirmer par écrit, au Tribunal ainsi qu’aux parties, qu’une recherche diligente des documents a été conduite, que tous les documents susceptibles d’être produits l’ont été et que les documents qui n’ont pas été produits ne l’ont pas été en raison de leur inexistence ou qu’elle invoque un privilège avocat-client, auquel cas ces documents doivent être détaillés dans sa liste de documents privilégiés (Annexe B)?

(3)  Est-ce que le Tribunal devrait ordonner à CN de produire et divulguer une liste plus détaillée des documents pour lesquels elle invoque un privilège avocat-client (Annexe  B) et plus spécifiquement, que CN fournisse plus de détails sur sa liste de documents identifiés CNPVR2 – Communications and copies of communications between solicitor and client as contained on counsel’s correspondance file. Ces détails incluent la date, les auteurs, les destinataires, le titre et une brève explication des raisons pour lesquelles chaque document bénéficie d’un privilège avocat-client. 

[12]  Quant à la requête de M. Nur, les questions en litige sont les suivantes :

(1)  Est-ce que le Tribunal a juridiction afin d’ordonner à CN de rechercher et de divulguer les coordonnées de l’individu tel que décrit par le plaignant?

(2)  Si tel est le cas, est-ce que le Tribunal devrait ordonner à CN d’effectuer une telle recherche et de divulguer les coordonnées en question?

III.  Requête de la Commission et ordonnances recherchées

A.  Droit applicable en matière de divulgation entre les parties devant le Tribunal  

[13]  Tant la Commission que l’intimée ont cité différentes décisions pertinentes du Tribunal qui sont éloquentes en matière de divulgation et qui en résument bien les principes phares (voir notamment Guay c. Canada (Gendarmerie royale), 2004 TCDP 34; Brickner c. la Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28). Le Tribunal a récemment fait une revue de ces principes dans sa décision Malenfant c. Vidéotron s.e.n.c., 2017 TCDP 11, aux paragraphes 25 à 29 et 36, et qui fait notamment référence à ces décisions :

[25] Chaque partie a le droit à une audition pleine et entière. À cet effet, la LCDP prévoit au para. 50(1) que :

50(1) Le membre instructeur, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations. [Le Tribunal souligne]

[26] Ce droit inclut la divulgation des éléments pertinents dont les autres parties ont en leur possession ou sous leur contrôle (Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34, para. 40). Les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les Règles) prescrivent à la règle 6(1) et plus précisément aux paras. (d) et (e) que :

6(1) Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

[…]

d) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

e) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels un privilège de non-divulgation est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

[…]

[Le Tribunal souligne]

[27] En matière de divulgation, le Tribunal a déjà statué à plusieurs reprises que le principe directeur est celui de la pertinence probable ou possible (Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 5 et Hughes c. Transport Canada, 2012 TCDP 26. Voir subsidiairement Guay, précitée; Day c. Ministère de la défense nationale et Hortie, 2002 CanLII 61833 Warman c. Bahr, 2006 TDCP 18; Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18). Le Tribunal rappelle que les parties ont l’obligation de divulguer les documents potentiellement pertinents qu’elles ont en leur possession (Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, para. 17).

[28] Afin de démontrer que des documents ou informations sont pertinents, le requérant doit démontrer l’existence d’un lien rationnel entre ceux-ci et les questions soulevés en l’occurrence (Warman, précitée,para. 6. Voir notamment Guay, précitée, para. 42; Hughes, précitée, para. 28; Seeley, précitée, para. 6). La pertinence s’évalue au cas par cas, en tenant compte des questions soulevées dans chaque situation (Warman, précitée, para. 9. Voir aussi Seeley, précitée, para. 6). Le Tribunal rappelle que le seuil de la pertinence potentielle est peu élevé et la tendance actuelle se veut à plus de divulgation que moins (Warman, précitée, para. 6. Voir également Rai c. Gendarmerie Royale du Canada, 2013 TCDP 36 para. 18). Bien entendu, la divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une partie de pêche (Guay, précitée, para. 43).

[29] Le Tribunal rappelle que le stade de la production des documents est différent du stade de leur admissibilité en preuve à l’audition. Par le fait même, la pertinence est une notion distincte. Comme l’indique le Membre Michel Doucet, dans la décision Association des employé(e)s des télécommunications du Manitoba Inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28 (ci-après AETM), au para. 4 :

[4] …La production de documents est assujettie au critère de la pertinence potentielle, qui n'est pas un critère très exigeant. Il doit y avoir une certaine pertinence entre le document ou les renseignements demandés et la question en litige. Il ne fait aucun doute qu'il est dans l'intérêt public de veiller à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient disponibles dans le cadre d'une affaire comme celle en l'espèce. Une partie a le droit d'obtenir les renseignements ou les documents qui sont pertinents quant à l'affaire ou qui pourraient l'être. Cela ne veut pas dire que ces documents ou renseignements seront admis en preuve ou qu'on leur accordera une importance significative.

[…]

[36] Finalement, je rappelle aux parties que l’obligation de divulguer les documents concerne les documents qu’elles ont en leur possession. Conséquemment, l’obligation ne s’étend pas à la création de documents à des fins de divulgation (Gaucher, précité, para. 17). […]

[14]  Comme l’a rappelé la Cour suprême dans sa décision Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560 (Prassad), il est bien reconnu que les tribunaux administratifs sont maîtres chez eux. Ce faisant, les tribunaux administratifs ne sont pas nécessairement guidés par les mêmes principes que les cours de justice en ce qui concerne l’administration de la preuve et relève plutôt du pouvoir discrétionnaire du membre instructeur. C’est à lui que revient la tâche de déterminer si des éléments de preuve doivent être admis ou exclus. Néanmoins, ces pouvoirs ne sont pas illimités et le membre se doit de respecter sa loi habilitante ainsi que les règlements du tribunal administratif (voir Vancouver Airport Authority v. Commissionner of Competition, 2018 FCA 24 (Vancouver Airport Authority), para 30). Il sera également guidé par les principes découlant de la Common Law, des principes de justice naturelle ainsi que de l’équité procédurale. Le Tribunal a tout récemment énoncé, dans sa décision Brickner c. la Gendarmerie royale du Canada, 2.017 TCDP 28 (CanLII) [Brickner] que :

[8] Le Tribunal a déjà reconnu dans ses décisions antérieures qu’il peut refuser d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve lorsque la valeur probante de ces éléments de preuve ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance. Le Tribunal doit notamment faire preuve de prudence avant d’ordonner une perquisition lorsque cela obligerait une partie ou une personne étrangère au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation, surtout lorsque le fait d’ordonner la divulgation risquerait d’entrainer un retard important dans l’instruction de la plainte ou lorsque les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige (voir Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 4; Seeley, au paragraphe 7; voir aussi R. c. Seaboyer [1991] 2 R.C.S. 577, aux pages 609 à 611).

[9] Il convient également de souligner que la divulgation de renseignements potentiellement pertinents ne veut pas dire que ces renseignements seront admis en preuve lors de l’audition de l’affaire ou qu’on leur accordera une importance significative au cours du processus décisionnel (voir Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28, au paragraphe 4).

[15]  Tel qu’explicité dans Brickner, d’autres considérations pourraient être prises en considération afin de limiter la divulgation notamment les délais importants occasionnés par la demande en divulgation, les coûts et l’étendue d’une telle recherche ou lorsque les éléments de preuve demandés touchent une question secondaire au litige.

[16]  Il est important d’ajouter qu’en matière de divulgation, la pertinence s’apprécie à la lumière de la plainte ainsi que de l’exposé des précisions et c’est ce que rappelle ma collègue Sophie Marchildon dans sa décision Lindor c. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012 TCDP 14 [Lindor], au paragraphe 56. Je suis effectivement en accord que le formulaire contenant le sommaire de la plainte n’est pas un acte de procédure et il n’est pas le seul et unique élément à considérer aux fins de l’analyse de la pertinence.

[17]  Je partage également les mots de ma collègue dans sa décision Syndicat des communications de Radio-Canada c. Société Radio-Canada [Radio-Canada], 2017 TCDP 5, au paragraphe 36 et qui écrivait :

[36] Aux fins de divulgation, la plainte, la théorie de la cause incluse dans l’exposé des précisions ainsi que l’ensemble de ce dernier, servent de guides afin d’identifier la pertinence potentielle des documents. Cette pertinence potentielle sera analysée autant du point de vue de la partie plaignante que de celui de la partie intimée ou de celui représentant l’intérêt public en l’occurrence, la Commission. Autrement dit, les documents à divulguer ne sont pas seulement ceux qui appuient la position d’une seule partie, mais bien de toutes les parties.

[18]  C’est en gardant ces guides à l’esprit que le Tribunal analysera les demandes de divulgation de la Commission.

B.  Politiques et procédures de CN existant en 2015 ainsi que celles existant à ce jour

(i)  Remarques préliminaires

[19]  Le Tribunal juge à propos de traiter, dans un premier temps, certains arguments qui sont présents dans les représentations de CN et qui chapeautent l’ensemble de sa réplique.

[20]  L’intimée soulève, dans ses représentations, que la requête de la Commission est un abus de procédures (voir paragraphe 4 de ses représentations) puisqu’elle demande la divulgation de documents qui ne sont pas pertinents au litige, que cette divulgation causera des délais significatifs dans les procédures et que les dates d’audience établies par le Tribunal sont ainsi menacées. L’intimée ajoute que  la Commission avait antérieurement mentionné retirer sa demande en divulgation datée du 23 juillet 2018 (voir CMCC de septembre 2017).

[21]  Comme mentionné précédemment, ces arguments se retrouvent un peu partout dans les représentations de l’intimée. Il devient donc nécessaire et pratique de traiter ces arguments d’abord afin de se concentrer, par la suite, aux autres arguments des parties concernant les demandes de divulgation de la Commission.

[22]  L’argument de l’abus de procédure fait par l’intimée est  plutôt large et englobe différents éléments, notamment la tardiveté de la requête, l’impertinence des documents recherchés, les dates d’audience qui sont menacées ou le changement de position de la Commission quant à la divulgation considérée suffisante. Cela dit, l’intimée ne demande pas au Tribunal de statuer directement sur la question à savoir si la Commission a commis un abus de procédures en déposant sa requête. Elle ne recherche aucune conclusion à ce sujet, n’a pas détaillé les principes directeurs en matière d’abus de procédure et n’a pas soumis de jurisprudence sur cette question. De plus, CN ne demande pas de mesures réparatrices de la même nature que celles qui ont été ordonnées, par exemple, dans la décision Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 CRTFP 83 (dont l’ordonnance pour la compensation des frais juridiques encourus suivant une entrave à la procédure d’arbitrage et qui a été maintenue par la Cour d’appel fédérale, voir Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158, aux paragraphes 20 à 31).

[23]  Le Tribunal comprend les arguments généraux de l’intimée (tardiveté, impertinence, délais occasionnés, possible ajournement de l’audience, changement de position quant à la divulgation considérée suffisante). Le Tribunal conclut que la demande de la Commission ne semble pas avoir été faite de mauvaise foi. Elle n’est pas non plus frivole puisque certains éléments de la demande sont jugés pertinents. La demande n’est pas vexatoire ni oppressive. Ainsi, le Tribunal ne considère pas que la requête de la Commission constitue un abus de procédures.

[24]  La Commission avait effectivement affirmé, au préalable, lors de la téléconférence du 7 septembre 2018, qu’elle ne poursuivait pas une demande en divulgation déposée le 23 juillet 2018. Cela donnait à l’intimée une raison de croire que la Commission était satisfaite, à cette date, de la divulgation reçue. Le fait que la Commission, suivant une analyse approfondie de son dossier, demande le 24 octobre 2018 une divulgation supplémentaire de la part de CN ne constitue pas  un abus de procédure. La Commission n’a jamais renoncé à son droit de faire d’autres demandes. La Commission a estimé  nécessaire, suivant l’analyse de son dossier, de demander une divulgation supplémentaire jugeant de l’insuffisance de divulgation. Cela dit, la divulgation n’est pas illimitée; des limites existent (voir notamment Brickner, précité).

[25]  Outre les principes clés en matière de divulgation, dont la pertinence potentielle (voir règles 6(1)(d) et (e) des Règles), il est important que les requêtes soient déposées au Tribunal en temps opportun. La LCDP et les Règles du Tribunal prévoient que les procédures doivent être expéditives et faites sans formalisme (voir notamment paragraphe 48.9(1) LCDP et règle (1)(1)(b) des Règles) et la règle 3(1)(a) des Règles qui prévoient qu’une requête doit être déposée dans les plus brefs délais possible.

[26]  Quant à la question du dépôt de la requête temps opportun, et pour reprendre les représentations de CN en lien avec la tardiveté de la demande, il faut clarifier que la demande de la Commission a été envoyée à l’intimée le 24 octobre 2018, soit quatre mois avant les dates d’audiences de février 2019. L’intimée a répondu à cette demande le 23 novembre 2018. Cela a pris un mois à l’intimée avant qu’elle décline les demandes de la Commission. Quelques jours plus tard, le 26 novembre 2018, le Tribunal a été mis au fait de cette demande lors d’une téléconférence.

[27]  C’est alors que la Commission a informé le Tribunal et les parties de ses intentions de déposer une requête en divulgation.  Un échéancier serré a été mis en place afin de traiter de ces demandes. Toutes les parties ont collaboré afin de traiter cette requête avec célérité, tout en tenant compte des dates d’audience en février 2019. La requête de la Commission a été déposée, suivant l’échéancier prévu, le 7 décembre 2018. Le matériel complet a été reçu le 4 janvier 2018 et une téléconférence a été tenue le 14 janvier 2018 afin de s’assurer que tout le matériel avait bien été déposé et qu’aucune autre question ne demeurait en suspens.

[28]  Cela étant dit, la situation est que le Tribunal est saisi d’une requête et il doit statuer surcelle-ci. Est-ce que la tardiveté de la requête de la Commission fait en sorte que le Tribunal devrait la rejeter ? Je ne suis pas de cet avis. Bien que de manière générale, le temps commence à manquer, l’ordonnance a été émise le 30 janvier et il semble que les parties aient eu suffisamment de temps pour divulguer des documents sans que cela entraine nécessairement un ajournement des dates fixées. Les parties ont démontré qu’elles pouvaient agir avec célérité et le Tribunal demeure confiant que les dates d’audience de février 2019 peuvent être maintenues. Ce faisant, la tardiveté ainsi que la possibilité d’ajourner des dates d’audience ne sont pas des facteurs déterminants dans cette décision.

(ii)  Politiques et procédures d’accommodement des personnes ayant une déficience

[29]  La Commission demande au Tribunal d’ordonner à CN de divulguer ses politiques et procédures sur l’accommodement des personnes ayant une déficience qui existaient au moment des événements de 2015 ainsi que celles existant à ce jour. Elle affirme que la plainte allègue que M. Nur a été congédié en raison de sa déficience, plus précisément en raison de sa dépendance à l’alcool. La Commission considère que le défaut allégué de prendre des mesures d’accommodement par CN est un enjeu important dans sa théorie de la cause.

[30]  Elle ajoute que l’un des remèdes d’intérêt public qu’elle recherche devant le Tribunal concerne de la formation quant à l’obligation d’accommodement. Bien que CN ait divulgué sa politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail, elle juge que si une politique d’accommodement des personnes ayant une déficience existe, elle est également pertinente au litige. Le fait d’avoir accès à ces politiques et procédures en matière d’accommodement permettrait d’évaluer si les lacunes, qui auraient pu exister aux moments des événements, existent encore aujourd’hui. Le Tribunal pourrait ordonner des redressements en lien avec ces politiques et procédures. La Commission explique que le Tribunal jouit d’une flexibilité et d’une discrétion dans le façonnement des redressements qui sont efficaces, et ce, en application de l’alinéa 53(2)(a) LCDP. 

[31]  Conséquemment, elle estime qu’il existe un lien entre les documents recherchés, c’est-à-dire les politiques et procédures d’accommodement de CN, ainsi que les faits et remèdes au litige.

[32]  L’intimée allègue que la demande de la Commission est vague, trop large et qu’elle n’est pas pertinente au litige. Elle juge que l’exposé des précisions de la Commission ne fait référence à l’accommodement qu’en lien avec l’application de la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail. La question est à savoir si elle a failli à son obligation d’accommodement en congédiant M. Nur suivant l’application de cette politique. CN argue que les autres parties n’ont pas fait référence à d’autres politiques dans leur exposé des précisions.

[33]  CN remarque que les remèdes que recherche la Commission dans son exposé des précisions (paragraphe 60) ne concernent que cette politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail et à aucune autre politique de l’entreprise. Au sous-paragraphe ii, la Commission demande que cette politique soit révisée en consultation avec elle. Au sous-paragraphe iii, la Commission demande que le personnel en ressources humaines de CN reçoive de la formation sur la législation en matière des droits de la personne ainsi que sur l’obligation d’accommodement ayant un focus sur la dépendance à l’alcool en tant que déficience ainsi que sur l’application de la « Politique ». CN réfère au paragraphe 20 de l’exposé des précisions de la Commission qui définit « Politique » comme étant la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail.

[34]  CN mentionne qu’elle a déjà transmis des documents en lien avec la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail ainsi que la formation afférente. Elle précise que cette politique prévoit déjà un processus d’accommodement pour les employés souffrant d’une dépendance à la drogue ou à l’alcool.

[35]  Elle ajoute qu’il est difficile de cerner ce que la Commission entend par toutes politiques et procédures en matière d’accommodement, ce qui peut inclure une multitude de documents. Cela pourrait mener à la divulgation de documents qui ne devraient pas l’être,  n’étant pas liés au litige. La Commission précise, dans sa réplique, que sa demande vise toutes politiques et procédures que CN utilise afin de guider ses employés et gestionnaires dans l’administration des accommodements des personnes ayant une déficience. Selon elle, la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail guide les employés dans les attentes de l’employeur quant à l’alcool et la drogue en milieu de travail. Cette politique n’est pas un guide permettant de déterminer comment l’accommodement des personnes ayant une déficience sera géré. Ce faisant, les deux politiques sont donc nécessaires et pertinentes au litige.

[36]  Enfin, l’intimée allègue que la demande de la Commission est tardive et que cette dernière n’a pas justifié les raisons pour lesquelles il en est ainsi. Elle juge que cette demande aurait dû être faite bien plus tôt, en prenant pour acquis que les documents pourraient être potentiellement pertinents. Conséquemment, elle croit que cela mine les représentations de la Commission quant à la pertinence potentielle.

[37]  Concernant ce dernier argument, le Tribunal trouve qu’il n’est pas particulièrement convaincant. L’argument de la tardiveté de la demande a déjà été traité dans la section III, B, (i) – Remarques préliminaires. Le Tribunal ajoute qu’il est effectivement préférable que les demandes en divulgation soient déposées dans les plus brefs délais possibles. Cela dit, il peut arriver que des demandes soient déposées plus tard dans le processus. Est-ce que cela vient automatiquement miner l’argument de la pertinence potentielle de documents ? Le Tribunal n’est pas de cet avis et il serait imprudent d’effectuer une corrélation hâtive entre tardiveté et pertinence.

[38]  Cela dit, le Tribunal estime qu’effectivement, s’il existe des politiques et procédures en matière d’accommodement des personnes ayant une déficience, de telles politiques et procédures sont potentiellement pertinentes aux litiges. Si la preuve révèle l’existence de pratiques discriminatoires, il doit avoir une vision assez claire et complète de la situation afin, d’entre autres, modeler des redressements qui sont viables, utiles et efficaces.

[39]  Le Tribunal estime que le remède de la Commission, au paragraphe 60 (iii) de son exposé des précisions, est suffisamment large pour englober d’autres politiques et procédures en matière d’accommodement. Pour reprendre les mots de la Commission, elle demande au Tribunal d’ordonner que le personnel en ressources humaines de CN reçoive de la formation sur la législation en matière des droits de la personne et de l’obligation d’accommodement ayant un focus sur la dépendance à l’alcool en tant que déficience ainsi que sur l’application de la « Politique ».

[40]  Elle ne demande pas uniquement que le personnel reçoive de la formation sur la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail, mais également sur l’obligation d’accommodement de manière générale. Cette obligation d’accommodement vise notamment l’accommodement des personnes ayant une dépendance à l’alcool en tant que déficience. Si effectivement CN a créé des politiques et procédures en matière d’accommodement des personnes ayant une déficience et qu’elle forme son personnel à ce sujet, cela devient pertinent au litige. Le Tribunal rappelle que le seuil de la pertinence potentielle est un seuil relativement bas.

[41]  CN a reproduit dans ses représentations la section « Prévention et Assistance » de la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail. Selon elle, cette section met en place la procédure d’accommodement lorsqu’un employé souffre d’une dépendance à l’alcool ou à la drogue. Le Tribunal est en accord avec l’intimée que cette section fournit plusieurs informations utiles et explicatives, mais la Commission a aussi raison en affirmant que cela ne fournit pas plus de détails sur la manière que CN et son personnel gèrent les situations nécessitant des accommodements notamment des personnes ayant une déficience, incluant la dépendance à l’alcool.

[42]  Pour ces raisons, le Tribunal ordonne à l’intimée de divulguer ses politiques et procédures en matière d’accommodement des personnes ayant une déficience, la version en vigueur en 2015 et la version actuellement en vigueur, qu’elle a en sa possession

(iii)  Politiques et procédures sur les droits de la personne et contre la discrimination

[43]  La Commission exprime dans son exposé des précisions que la plainte de M. Nur soulève de subtiles odeurs de discrimination basée sur son origine ethnique ou nationale, sa couleur ou sa race. Elle croit effectivement que ces motifs de distinction illicites protégés par la LCDP ont été un facteur dans son congédiement et que des mesures disciplinaires moindres auraient pu être prises par CN.

[44]  Elle ajoute que M. Nur a affirmé avoir été sujet de commentaires et de comportements inappropriés durant une formation et qui étaient liés à la race.  Une instructrice de CN en aurait été témoin. Ce faisant, elle demande que CN divulgue toutes politiques et procédures sur les droits de la personne et contre la discrimination notamment fondée sur la race.

[45]  L’intimée s’oppose à cette demande considérant qu’elle est vague, trop large et que ces politiques et procédures ne sont pas liées au litige. Elle allègue qu’il n’y a pas ni dans la plainte de M. Nur ni dans l’exposé des précisions de la Commission quelconque allégation quant au fait que CN aurait poursuivi des pratiques discriminatoires notamment en raison de la race du plaignant. Elle ajoute que ni M. Nur ni la Commission n’ont déposé de plainte en vertu de l’article 10 LCDP concernant ses lignes de conduite qui seraient discriminatoires.

[46]  CN affirme que la seule mention de discrimination raciale dans la plainte concerne le fait qu’une des personnes interrogées lors de l’enquête sur les conduites de M. Nur du 30 juin et du 1er juillet 2015 aurait tenu des propos inappropriés en lien avec son origine ethnique lors d’une formation et qu’en conséquence, l’enquête aurait été compromise, puisque teintée par le témoignage de cet individu. L’intimée ajoute qu’elle n’a été mise au fait de ces événements que suivant le dépôt de la plainte amendée de M. Nur. Elle estime donc qu’il n’existe pas de lien rationnel entre les documents demandés, la plainte ou l’exposé des précisions de la Commission.

[47]  Encore une fois, CN ajoute que la demande a été faite tardivement et que la Commission aurait pu soulever ces questions antérieurement, ce qui mine ses représentations quant à la pertinence potentielle. Le Tribunal s’est déjà positionné sur cet argument au paragraphe 37 de la présente décision.

[48]  Le Tribunal n’est pas en accord avec l’intimée quant à l’article 10 LCDP sur les lignes de conduite discriminatoires. En fait, il est vrai que  la plainte et l’exposé des précisions des parties ne sont pas modelés afin d’y inclure l’article 10 LCDP. Cela dit, il n’est pas obligatoire que l’article 10 LCDP soit inclus dans la plainte afin de que le Tribunal puisse prendre connaissance des lignes de conduite d’un employeur, d’une association patronale ou d’une organisation syndicale. Par exemple, il est clair que le Tribunal a un pouvoir étendu quant aux redressements qu’il peut ordonner, redressements qui se doivent d’être pratiques, utiles et efficaces.

[49]  Plus particulièrement, l’alinéa 53(2)(a) LCDP est rédigé d’une manière large et non limitative, permettant au Tribunal de non seulement mettre fin à l’acte discriminatoire, mais également d’ordonner des mesures de redressement qui sont destinées à prévenir des actes semblables. Les sous-alinéas (i) et (ii) de l’alinéa 53(2)(a) LCDP sont chapeautés par le mot « notamment » dans la version française et « including » dans la version anglaise, ce qui suppose que cette liste n’est pas, en elle-même, exhaustive.

[50]  Ainsi, une entreprise qui n’aurait pas mis en place une politique, par exemple, contre la discrimination ou une politique contre le harcèlement, et qui n’a pas de procédure mise en place dans ces matières, pourrait se voir ordonner par le Tribunal de mettre en place de telles politiques et procédures s’il est démontré qu’elle est responsable de la perpétration d’un acte discriminatoire.

[51]  Le Tribunal est aussi d’avis que la plainte de M. Nur et l’exposé des précisions de la Commission prévoient des allégations quant au fait que CN aurait eu des pratiques discriminatoires notamment fondées sur la race du plaignant. La Commission fait référence à l’existence de subtiles odeurs de discrimination basée sur la race de M. Nur en ce que  CN aurait pu prendre des mesures disciplinaires moins drastiques que le congédiement du plaignant. Elle émet également des inquiétudes sur l’implication, dans l’enquête de CN, d’un employé ayant possiblement tenu des propos inappropriés basés sur la race du plaignant. Toujours dans son exposé, la Commission affirme que M. Nur croit que les propos tenus par cet individu, sa vision quant à ses origines Somaliennes, combinés avec le ressentiment de cette personne ainsi que d’autres employés (ayant également participé à l’enquête) quant à ses avancements rapides au sein de l’entreprise, ont fait en sorte que CN l’a traité plus sévèrement suivant les événements survenus en 2015.

[52]  Le Tribunal remarque également que l’intimée affirme, dans son sommaire des témoignages, que l’instructrice Sylvie Michaud, qui aurait été présente lors de la tenue de ces propos, ne les aurait pas entendus. Si elle avait entendu ces propos lors de sa formation, elle les aurait rapportés à la direction afin qu’un suivi soit fait. Le Tribunal constate que la Commission, au paragraphe 10 de son exposé des précisions, affirme que M. Nur témoignera sur le fait que Mme Michaud était présente lorsque les propos ont été tenus. À ce stade-ci, le rôle du Tribunal n’est pas d’évaluer la preuve qui sera présentée à l’audience. Il semble toutefois y avoir une certaine divergence dans les faits.

[53]  Si l’entreprise s’est dotée de politiques et procédures en matière des droits de la personne et contre la discrimination,  il est possible de se demander, par exemple, si les employés ou les formateurs reçoivent de la sensibilisation et de la formation sur les droits de la personne et la discrimination. Si une personne, un formateur, un employé, est témoin de propos discriminatoires contre un collègue ou un autre employé, quelle est la procédure à suivre?

[54]  Le Tribunal constate que la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail, dans sa section « Prévention et Assistance », explique notamment la vision de l’entreprise quant à l’alcool et la drogue en milieu de travail, ses attentes envers les employés, les encouragements entre collègues, etc. Qu’en est-il, plus généralement, des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination en milieu de travail?

[55]  Pour ces motifs, le Tribunal considère que les politiques et procédures sur les  droits de la personne et contre la discrimination de l’intimée sont potentiellement pertinentes au litige et lui ordonne de divulguer la version en vigueur en 2015 et la version actuellement en vigueur, qu’elle a en sa possession.

(iv)  Politiques et procédures contre le harcèlement

[56]  La Commission, au deuxième paragraphe de ses représentations, affirme que la plainte de M. Nur concerne des allégations de discrimination et de harcèlement en matière d’emploi, en application des articles 7 et 14 LCDP. Elle ajoute que dans son exposé des précisions, M. Nur a allégué avoir été l’objet de harcèlement fondé sur sa race alors qu’il travaillait pour l’intimée.

[57]  Elle mentionne que l’exposé des précisions de CN soulève également des allégations à l’effet que M. Nur aurait commis du harcèlement sexuel à l’égard d’une employée du Canad Inns Playmaker’s Lounge et qu’il s’agit là d’une des raisons menant à son congédiement. La Commission croit que CN aurait pu imposer des mesures disciplinaires moindres que le congédiement et estime que des facteurs discriminatoires auraient pu entrer en ligne de compte dans l’application de ces mesures. Ce faisant, elle juge qu’il existe un lien rationnel entre la plainte et les politiques et procédures contre le harcèlement de l’intimée.

[58]  L’intimée soutient que ni la plainte de M. Nur ni l’exposé des précisions de la Commission ne se fondent sur l’article 14 LCDP concernant le harcèlement. Elle ajoute que M. Nur ne l’a pas informée avoir été sujet de harcèlement, ce qui est confirmé dans l’exposé des précisions de la Commission, au paragraphe 11. Elle affirme, à nouveau, que la plainte de M. Nur ne fait pas intervenir l’article 10 LCDP concernant des lignes de conduite discriminatoires.

[59]  De manière plus importante, l’intimé affirme qu’il a déjà divulgué aux autres parties sa politique contre le harcèlement et réfère le Tribunal et les parties à ses documents numérotés CN00014 et CN00017.

[60]  Dans sa réplique, la Commission confirme avoir reçu de la part de CN une version de sa politique sur le harcèlement. Cette version date de 2012. Elle infère donc que cette version est celle qui existait au moment des événements allégués de 2015 et qu’il s’agit également de la version qui est applicable aujourd’hui. Si ce n’est pas le cas, la Commission demande que la version actuelle de la politique contre le harcèlement soit divulguée.

[61]  Le Tribunal n’a pas l’intention de créer un grand débat autour de la pertinence potentielle de cette politique contre le harcèlement. CN a déjà divulgué sa politique contre le harcèlement datant de 2012. Nécessairement, le Tribunal infère que CN a jugé potentiellement pertinent de la divulguer. Les procédures qui sont également liées à cette politique sont, tout autant, potentiellement pertinentes.

[62]  Cependant, si cette politique contre le harcèlement a fait l’objet de modification et qu’une autre version existe aujourd’hui, est-ce que cette version est potentiellement pertinente au litige? C’est là que le Tribunal est en désaccord avec la Commission notamment à l’effet que la plainte de M. Nur met en cause du harcèlement en matière d’emploi en application de l’article 14 LCDP.

[63]  Le Tribunal a relu à maintes reprises l’exposé des précisions rédigé par Me John Unrau, qui était l’avocat représentant la Commission au début des procédures devant le Tribunal. La théorie de la cause mise de l’avant par la Commission ne se fonde pas sur l’article 14 LCDP. La théorie de la cause de la Commission, les questions en litige, le droit et le test applicables, tous ces éléments et toutes ses représentations s’articulent autour de l’article 7 LCDP (voir, par exemple, les paragraphes 1, 16, 43 de l’exposé des précisions de la Commission, datée du 20 janvier 2017).

[64]   Pourquoi, aujourd’hui, la Commission écrit-elle dans ses représentations concernant cette requête en divulgation, que la plainte de M. Nur se fonde sur l’article 14 LCDP? 

[65]  Lorsque la Commission transmet une plainte au Tribunal pour instruction, il est de pratique courante qu’elle lui transmette un document qui est, en fait, un sommaire de la plainte. Ce document, qui émane de la Commission, est joint à la plainte d’origine du ou des plaignant(s). Lorsque le Tribunal consulte ce sommaire, il semble que la plainte de M. Nur ait été amendée. Ce sommaire a été déposé par la Commission au soutien de sa requête (voir Pièce A). Il existe donc deux sommaires, le premier référant uniquement à l’article 7 LCDP et le deuxième, le sommaire amendé, ajoute l’article 14 LCDP qui concerne le harcèlement.

[66]  Pourtant, dans son exposé des précisions daté du 20 janvier 2017, la Commission ne fait pas référence à ce harcèlement en matière d’emploi, ne base pas sa théorie de sa cause sur l’article 14 LCDP et se concentre uniquement sur l’application de l’article 7 LCDP. Pourquoi dans les représentations de cette requête ajoute-t-elle l’article 14 LCDP?

[67]  Dans sa décision Lindor, précité, le Tribunal est explicite à l’effet que :

[56] La pertinence s’apprécie en lien avec la plainte et l’exposé des précisions. J’ai déjà déterminé que le résumé de la plainte n’est pas en lui seul l’élément à considérer pour analyser la pertinence et ne constitue pas l’acte de procédure qui permet de déterminer la période visée par l’acte discriminatoire allégué.

[…]

[58] Par ailleurs, ce sont les exposés des précisions qui servent aux fins d’une plaidoirie dans le cadre des procédures devant le Tribunal et ‟qui énoncent les conditions plus précises de l’audience” voir Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1 au para. 10.

[Emphases mises par le Tribunal]

[68]  De plus, les règles 6a) et 6b) des Règles du Tribunal exigent qu’une partie énonce les faits pertinents qu’elle cherche à établir à l’appui de sa cause ainsi que sa position au sujet de questions de droit que la cause soulève. Ces éléments se retrouvent justement dans l’exposé des précisions des parties. Il appert que l’exposé des précisions de la Commission, qui servent aux fins de plaidoirie dans les procédures du Tribunal, ne réfère pas à l’article 14 LCDP en tant que condition de l’audience.

[69]  Le Tribunal a également pris connaissance de la lettre émanant de la Commission datée du 16 juin 2016 et qui a été envoyée au plaignant et à l’intimée afin de les informer que la plainte a été référée au Tribunal pour instruction. Cette lettre a été déposée par la Commission au soutien de sa requête (voir Pièce B). Dans cette lettre, deux raisons sont invoquées afin d’appuyer ce renvoi au Tribunal: (1) l’intimée n’a pas été en mesure de démontrer que le congédiement découlait d’exigences professionnelles justifiées et que (2) considérant toutes les circonstances de la plainte, une instruction est requise. La lettre envoyée au président du Tribunal, également datée du 16 juin 2016, est moins explicite et n’inclut aucune raison pour le renvoi de la plainte pour instruction (voir Pièce B).

[70]  Cela dit, dans ces trois lettres, il n’y a aucun détail, aucune référence spécifique sur la question du harcèlement.

[71]  M. Nur, qui a endossé l’exposé des précisions de la Commission et qui a fourni quelques détails additionnels dans sa correspondance datée du 24 janvier 2017 et adressée aux parties ainsi qu’au Tribunal, ne fait également pas mention que sa plainte se fonde sur l’article 14 LCDP concernant du harcèlement en matière d’emploi.

[72]  Au surplus, l’intimée, dans son exposé des précisions, n’aborde pas non plus l’article 14 LCDP et le harcèlement en matière d’emploi comme une base de la plainte de M. Nur. Le harcèlement est invoqué comme un motif justifiant le congédiement de M. Nur. Dans ce contexte, il apparait clair que la politique contre le harcèlement est pertinente, non pas dans l’optique où M. Nur aurait été victime de harcèlement, mais bien comme ayant prétendument harcelé sexuellement une employée au Canad Inns Playmaker’s Lounge.

[73]  La nuance est importante puisque la pertinence potentielle de la politique ne s’établit pas sous la même perspective ni sur les mêmes faits. La politique n’est pas pertinente en ce sens que M. Nur aurait été victime de harcèlement en matière d’emploi, mais plutôt quant au fait qu’il aurait harcelé quelqu’un, raison justifiant son congédiement.

[74]  La politique en date de ce jour n’est donc pas pertinente pour déterminer comment ce présumé harcèlement sexuel de 2015 a été un des éléments menant au congédiement de M. Nur et tel qu’allégué par l’intimée dans sa propre théorie de la cause. De plus, comme le harcèlement n’est pas invoqué en tant que pratique discriminatoire au sens de l’article 4 LCDP, cela ne donne pas ouverture à quelconque remède en vertu du paragraphe 53(2) LCDP.

[75]  Cela dit, le Tribunal n’est pas en train de dire que l’article 14 LCDP n’aurait pas pu être invoqué par les parties, plus spécifiquement quant au fait que M. Nur aurait été victime de harcèlement en matière d’emploi. Ce n’est simplement pas ce qui a été plaidé dans l’exposé des précisions des parties. C’est l’exposé des précisions qui établit la théorie de la cause des parties et qui met en place les conditions de l’audience.

[76]  Si la Commission ou M. Nur estime que l’article 14 LCDP devrait être inclus dans la plainte, ils sont invités à déposer une requête détaillée afin que le Tribunal les autorise à amender leur exposé des précisions et devront demander un ajournement des audiences dans les délais les plus brefs.

[77]  Pour ces raisons, le Tribunal juge que la politique contre le harcèlement et ses procédures qui étaient en vigueur lors des faits allégués en 2015 sont potentiellement pertinentes au litige. Le Tribunal prend acte que l’intimée confirme avoir transmis sa politique datée de 2012. Si une autre version existait en 2015, elle doit également être divulguée. Enfin, si des procédures sont liées à cette politique contre le harcèlement en vigueur en 2015, elles doivent tout autant être divulguées.

[78]  Quant à la divulgation de la politique contre le harcèlement et ses procédures qui existent à ce jour, la demande de la Commission est rejetée.  

C.  Matériel de formation sur les politiques et procédures précités de 2013 à ce jour, à Edmonton (Alberta)

[79]  La Commission demande au Tribunal d’ordonner à CN de divulguer le matériel de formation sur les politiques et procédures en matière de harcèlement, des droits de la personne et contre la discrimination, ainsi que sur l’accommodement des personnes ayant une déficience, de 2013 à ce jour.

[80]  Elle reconnait que CN a déjà divulgué le matériel de formation quant à sa politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail. Elle demande le matériel de formation pour ses autres politiques et procédures qu’elle considère potentiellement pertinentes au litige (accommodement, droits de la personne et contre la discrimination ainsi que harcèlement).

[81]  Elle estime qu’il existe un lien rationnel entre le matériel de formation et les allégations de discrimination et de harcèlement se retrouvant dans son exposé des précisions ainsi que dans la plainte de M. Nur. Elle ajoute que ce matériel est également lié aux redressements qu’elle recherche, plus particulièrement quant à la formation sur les droits de la personne en tant que redressement d’intérêt public.

[82]  Elle croit que ce matériel de formation pourrait permettre de jeter un éclairage sur les pratiques de l’intimée établies dans ces différentes sphères ainsi que sur l’adéquation des mesures de formation afin de prévenir la discrimination et le harcèlement en milieu de travail.

[83]  L’intimée s’oppose à cette demande. Elle reprend sensiblement les mêmes arguments que pour son opposition à fournir les politiques et procédures demandées par la Commission. Elle juge que seule la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail est pertinente au litige et que le matériel de formation qui y est lié a déjà été divulgué.

[84]  Elle estime que les politiques et procédures en matière d’accommodement des personnes ayant une déficience, sur les droits de la personne, contre la discrimination et le harcèlement ne sont pas pertinentes au litige. Le Tribunal n’a pas l’intention de reprendre en détail les raisons qui sont invoquées par l’intimée puisque cela serait redondant. À cet effet, le lecteur est invité à relire les paragraphes pertinents du Titre III, Section B, de la présente décision.

[85]  CN ajoute que la Commission allègue que ce matériel de formation pourrait être illustratif quant à ses pratiques, procédures et formations offertes dans ces matières (harcèlement, droits de la personne, discrimination, accommodement) et sur les moyens, pris ou non, afin de prévenir la discrimination et le harcèlement en milieu de travail. Selon elle, cela n’est pas visé par la plainte de M. Nur et la demande de la Commission vise à en étendre la portée. Elle reprend également l’argument quant à l’effet que la plainte ne se fonde pas sur l’article 10 LCDP.

[86]  Enfin, elle allègue que ces demandes auraient dû être faites plus tôt par la Commission, qu’elle se serait attendue que de telles demandes soient faites bien avant, et que la Commission devait donc avoir accepté que ces documents n’étaient pas pertinents au litige.

[87]  La Commission reprend sensiblement les mêmes arguments en réplique que ses arguments quant aux procédures et politiques recherchées (harcèlement, droits de la personne, discrimination, accommodement). Cependant, elle ajoute que les sommaires des témoignages de l’intimée prévoient que certains témoignages porteront notamment sur la formation offerte quant à la politique contre le harcèlement en milieu de travail.

[88]  Évidemment, la divulgation du matériel de formation sur les politiques et procédures de CN que la Commission demande est intrinsèquement liée à la décision du Tribunal d’ordonner ou non la divulgation de telles politiques et procédures. Il n’est pas possible d’isoler la Section B du Titre III (Politiques et procédures de CN existant en 2015 ainsi que celle existant à ce jour) du Titre IV (Matériel de formation sur les politiques et procédures précités de 2013 à ce jour).

[89]  Le Tribunal a déterminé que la politique et les procédures en matière de harcèlement qui existaient au moment des événements de 2015 sont potentiellement pertinentes au litige. L’intimée a déjà transmis sa politique de 2012 à ce sujet. Si un de ses témoins parle des formations qui sont offertes en lien avec cette politique, il apparait évident que le matériel de formation qui y est lié devienne potentiellement pertinent. Le Tribunal a déjà circonscrit la portée de la divulgation de cette politique et conséquemment, seul le matériel de formation existant à la date des événements est potentiellement pertinent au litige.

[90]  Le Tribunal a déjà jugé que les politiques et procédures en matière des droits de la personne, contre la discrimination et concernant l’accommodation des personnes ayant une déficience, qui existaient au moment des événements de 2015 et celles existantes à ce jour, sont potentiellement pertinentes au litige.

[91]  La Commission recherche, en tant que redressement d’intérêt public, une ordonnance du Tribunal visant à ce que de la formation sur l’obligation d’accommodement soit donnée aux personnels des ressources humaines de CN (voir exposé des précisions de la Commission, paragraphe 60(iii)). Il tombe sous le sens que le matériel de formation en lien avec les politiques et procédures de l’intimée sur l’accommodement des personnes ayant une déficience soit divulgué puisque potentiellement pertinent au litige. Le Tribunal rappelle que l’alinéa 53(2)(a) LCDP lui confère un vaste pouvoir en ce qui concerne les redressements, incluant notamment la prévention qu’un acte de discrimination ne se reproduise, ce qui peut notamment être atteint par de la formation.

[92]  Le Tribunal est d’avis que les politiques et les procédures d’une entreprise en matière des droits de la personne, de discrimination, d’accommodement des personnes ayant une déficience, sont des véhicules qu’une entreprise utilise afin de rencontrer ses obligations juridiques en matière des droits de la personne. Ces obligations naissent, entre autres, de la législation notamment fédérale, provinciale voire les deux. Ces politiques et procédures sont les véhicules qu’utilise une entreprise afin de prévenir, sensibiliser, enseigner et agir dans le domaine des droits de la personne.

[93]  Le Tribunal estime qu’il ferait peu de sens qu’une entreprise adopte des politiques et des procédures en matière des droits de la personne et forme ses employés, son personnel des ressources humaines et sa direction sur ces politiques alors qu’elle ne respecterait pas les concepts, notions, droits et obligations phares en matière des droits de la personne. Il semble logique qu’une forme de cohérence existe entre ces politiques, ces procédures et la législation.

[94]  Ainsi, le matériel de formation qui inclut des droits et obligations en matière des droits de la personne, de discrimination, d’accommodement des personnes ayant une déficience, est potentiellement pertinent au litige et notamment quant au redressement de la Commission qui demande une ordonnance visant de la formation au personnel des ressources humaines de CN sur la législation en matière des droits de la personne et sur l’obligation d’accommodement.

[95]  Le Tribunal est tout à fait d’accord avec la circonscription que la Commission a faite, soit que seul le matériel de formation utilisé à Edmonton (Alberta) doit être divulgué. Effectivement, on peut imaginer que la formation peut différer d’un établissement à l’autre, suivant par exemple certaines spécificités des installations, le travail qui y est effectué, le formateur qui donne les formations, etc.

[96]  Un dernier commentaire s’impose : la Commission n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle demande le matériel de formation en date de 2013. Suivant la lecture des représentations des parties, cela n’est pas plus clair pour le Tribunal des raisons pour lesquelles l’année 2013 est pertinente. Qu’à cela ne tienne, le Tribunal juge que c’est le matériel qui existait au moment où les événements se sont produits, soit 2015, ainsi que  certains documents de formation, ceux qui existent à ce jour, qui sont potentiellement pertinents au litige.

[97]  Pour ces raisons, le Tribunal ordonne à CN de divulguer le matériel de formation qui existait au moment des événements de 2015, ainsi que les formations qui existent à ce jour, à Edmonton (Alberta), et dont elle a possession, concernant les politiques et procédures en matière des droits de la personne et contre la discrimination ainsi que concernant l’accommodement des personnes ayant une déficience.

[98]  Le Tribunal ordonne à CN de divulguer le matériel de formation qui existait au moment des événements de 2015, à Edmonton (Alberta), et dont elle a possession, concernant la politique sur le harcèlement.

D.  Dossiers de formation de différents individus

[99]  La Commission demande au Tribunal d’ordonner à CN de divulguer les dossiers de formation de David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong, Mary Jane Morrison, en lien avec leur participation aux formations sur les politiques sur le harcèlement, les droits de la personne et contre la discrimination, d’accommodement des personnes ayant une déficience ainsi que sur la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail,

[100]  Le Tribunal précise à nouveau que cette section D ne peut être isolée des sections B et C du Titre III.

[101]  La Commission affirme que tous ces individus qui, pour la plupart, ont été ou son du personnel des ressources humaines ou de la direction chez CN, seront appelés comme témoins à l'audience. Ils témoigneront notamment sur leur rôle dans les procédures qui ont été suivies ainsi que l’ultime décision de congédier M. Nur.

[102]  La Commission estime qu’il existe un lien entre la plainte et les redressements qu’elle recherche notamment en matière de formation sur les droits de la personne. Elle ajoute qu’avoir accès à aux dossiers de formation de ces individus pourraient jeter un éclairage sur la suffisance des mesures prises par CN afin de s’assurer que ces individus, qui ont été impliqués dans les événements de 2015, ont reçu une formation en matière des droits de la personne. Cela permettra aussi de déterminer si ces individus étaient au courant de leurs obligations en matière des droits de la personne lorsqu’ils ont participé à l’enquête et à la décision menant au congédiement de M. Nur.

[103]  L’intimée s’oppose à la demande de la Commission et reprend son argument quant au fait que ni la Commission ni le plaignant n’ont déposé une plainte en vertu de l’article 10 LCDP quant à des lignes de conduite discriminatoires. L’intimée estime que cela va au-delà de la portée de la plainte et que la demande est trop large. Elle ajoute que la Commission n’a pas allégué que CN a omis d’offrir à son personnel une formation adéquate sur ses politiques.

[104]  Il est important de mentionner que la demande initiale de la Commission visait quelques autres individus. Dans sa réponse, la Commission a circonscrit sa demande de divulgation afin de viser  cinq individus, soient David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong et Mary Jane Morrison. Cela dit, l’intimée estime que M. Radford et Mme Morrison n’ont pas été impliqués dans le processus décisionnel menant au congédiement du plaignant ou dans l’application des politiques. En conséquence, le fait qu’ils aient ou non reçu de la formation sur les politiques et procédures n’est pas pertinent au litige.

[105]  Enfin, CN indique que si la demande était réellement pertinente, elle se serait attendue à ce que la Commission dépose sa demande bien plus tôt. Ce faisant, CN croit que la Commission ne l’a pas fait parce qu’elle a accepté que ces documents n’étaient pas potentiellement pertinents au litige.

[106]  Encore une fois, le Tribunal s’est déjà positionné à ce sujet précédemment. Cet argument n’est pas convaincant ni déterminant en l’espèce.

[107]  Lorsque le Tribunal consulte l’exposé des précisions des parties, la plainte ainsi que le sommaire de témoignages qu’a déposé CN, il appert que David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong, Mary Jane Morrison Jason Verbong ont tous, d’une façon ou d’une autre, été impliqués dans les événements de 2015. Le degré d’implication diffère selon leur fonction au sein de CN.

[108]  Il appert que M. Radford était directeur des opérations chez CN au moment des événements. M. Nur lui aurait transmis un message disant qu’il avait la gueule de bois suivant la soirée du 30 juin 2015 et qu’il ne se présenterait pas au travail. M. Radford aurait été impliqué dans l’enquête, aurait parlé un certain nombre d’employés en lien les agissements de M. Nur et aurait rencontré ce dernier avec M. Verbong pour discuter des incidents, etc.  

[109]  Mme Poburan était une gestionnaire senior en ressources humaines pour la section ouest du Canada chez CN au moment des événements. Elle aurait été impliquée dans l’enquête menée par M. Verbong menant au congédiement du plaignant. Elle a également pris part à la réunion avec M. Ryhorchuk, directeur général de la section ouest de CN, afin de discuter avec M. Nur des résultats de l’enquête. Elle témoignera également du déroulement de la réunion.

[110]  M. Ryhorchuck, comme mentionné précédemment, était le directeur général de la section ouest du Canada de CN au moment des événements. Il a participé à la réunion avec M. Nur et Mme Poburan afin de discuter des résultats de l’enquête. Il témoignera également sur le déroulement de la réunion. Il a aussi pris la décision de congédier le plaignant. M. Nur aurait également envoyé à M. Ryhorchuk un courriel, le 13 juillet 2015, lui expliquant qu’il allait chercher de l’aide et qu’il demandait une opportunité de récupérer son emploi.

[111]  Jayson Verbong était un gestionnaire des ressources humaines chez CN au moment des événements. C’est lui qui a mené l’enquête suivant les événements de 2015. Il témoignera notamment sur l’enquête et son déroulement, son contenu, ses conclusions et recommandations. Il semble également que M. Nur aurait communiqué avec M. Verbong et lui aurait laissé un message suivant leur rencontre afin de reconnaitre sa dépendance à l’alcool.

[112]  Enfin, Mme Morrison était une gestionnaire des ressources humaines au moment des événements. M. Nur aurait communiqué avec Mme Morrison suivant son congédiement notamment par courriel, le 9 juillet 2015. Dans ce courriel, M. Nur aurait reconnu sa dépendance à l’alcool. De plus, Mme Morrison aurait entrepris des démarches afin que faire prolonger son accès aux services d’aide aux employés.

[113]  Le Tribunal rappelle qu’en matière de divulgation, son rôle n’est pas d’évaluer la preuve au dossier. C’est à l’audience, suivant la preuve déposée, testimoniale ou documentaire, que le Tribunal peut en arriver à des conclusions de faits. Dans une demande en divulgation, le Tribunal doit déterminer si les documents sont potentiellement pertinents au litige. Existe-t-il un lien rationnel entre les documents demandés ainsi qu’un fait, une question ou un redressement? Le Tribunal est d’avis que oui.

[114]  La Commission recherche une ordonnance visant à ce que le personnel des ressources humaines de CN reçoive une formation sur la législation en matière des droits de la personne et sur l’obligation d’accommodement. Comme expliqué précédemment, il est certainement raisonnable de s’attendre à ce que les politiques et procédures d’une entreprise en matière des droits de la personne, de discrimination, d’accommodement, de harcèlement, respectent la législation en la matière. Ces politiques et procédures sont, d’une certaine façon, les véhicules de l’entreprise afin d’incorporer les concepts, notions, droits et obligations découlant de la législation.

[115]  Cela dit, il appert évident que ces cinq individus ont été impliqués, chacun à leur manière et à des degrés différents, dans l’enquête, son processus, la prise de décision ou les événements suivant le congédiement. Au moment des événements, tous ces individus faisaient partie du personnel des ressources humaines ou du personnel de direction chez CN.

[116]  On peut s’attendre à ce que ces personnes, lorsqu’elles doivent gérer le type d’événements menant à la plainte, appliquent certaines politiques et procédures de l’entreprise, incluant notamment la politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et la drogue en milieu de travail, les politiques contre le harcèlement, les politiques sur l’accommodement des personnes ayant une déficience ou les politiques sur les droits de la personne et la discrimination. Les politiques et les procédures de l’entreprise existent, entre autres, afin de guider le personnel dans la gestion de différentes situations.

[117]  Est-ce qu’une enquête est nécessaire? Comment l’enquête se déroulera-t-elle? Quels types de conclusions et recommandations peuvent être faites? Qu’est-ce que l’obligation d’accommodement? Comment doit-on accommoder un employé? Quelles sont les sanctions si quelqu’un discrimine une autre personne en tenant des propos inappropriés? Qu’est-ce que la discrimination? Quels sont les droits et obligations de chacun en matière des droits de la personne? Qu’est-ce que le harcèlement et le harcèlement sexuel? Quelles sont les sanctions s’il y a existence de harcèlement?

[118]  Ces questions ne sont pas limitatives et ne se veulent pas être une circonscription ou un élargissement du litige. Les propos du Tribunal sont plutôt à l’effet que si CN a développé, adopté et applique des politiques et des procédures soit sur l’alcool et la drogue, le harcèlement, l’accommodement, les droits de la personne et la discrimination en général, il semble manifeste que son personnel doit être au courant de leur existence. Et si un employé applique des politiques et des procédures, il n’est pas tout à fait déraisonnable de s’attendre à ce que cette personne ait, d’une certaine manière, été formée sur ces politiques et procédures et sur la manière de les appliquer dans une situation donnée.

[119]  Pour ces raisons, le Tribunal ordonne à CN de divulguer les dossiers de formations de David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong et Mary Jane Morrison, au moment des événements de 2015 concernant les politiques et procédures en matière d’alcool et de drogue en milieu de travail, de harcèlement, de droits de la personne et de discrimination ainsi que d’accommodement des personnes ayant une déficience, et qu’elle a en sa possession.

E.  Courriels, mémos, notes, procès-verbaux de réunions, ou toutes autres formes de communications écrites

[120]  La Commission demande au Tribunal d’ordonner à CN de divulguer tous courriels, mémos, notes, procès-verbaux de réunions, ou toutes autres formes de communications écrites dont David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong, Mary Jane Morrison, Ken Wilson, Matthew Smith, Natalie Mark, Silvia Michaud, Robbie Kloster, Braiden Pelican et Christine Mitchell sont les auteurs ou destinataires et qui concernent M. Nur, du 30 juin 2015 jusqu’à ce jour.

[121]  Elle argue que ces documents ont un lien rationnel avec un fait, une question ou une forme de redressement. Ces individus seront appelés comme témoins par CN et témoigneront notamment sur leurs observations ainsi que leur implication en lien avec les événements qui fondent la plainte de M. Nur, incluant notamment l’enquête et le congédiement.

[122]  La Commission affirme que ces documents devraient être divulgués puisqu’ils lui permettront, ainsi qu’au plaignant, de se préparer au contre-interrogatoire de ces individus. Cela leur permettra donc de présenter entièrement et pleinement leur dossier.

[123]  CN manifeste avoir transmis tous les documents potentiellement pertinents en lien avec cette demande de la Commission. Cela dit, la Commission estime que trop peu de communications internes au sein de l’entreprise, entre les ressources humaines et la direction et qui concerneraient M. Nur, ont été divulguées.

[124]  Elle demande formellement que CN écrive au Tribunal ainsi qu’aux parties que tous les documents qui peuvent être divulgués l’ont été, ou que ces documents n’existent tout simplement pas ou, enfin, qu’ils existent, mais font l’objet d’un privilège avocat-client.

[125]  L’intimée argue que la demande de la Commission est déraisonnable et sans fondement. Selon elle, cette demande a déjà été traitée par le Tribunal à plus d’une reprise.

[126]  Dans la requête en divulgation de la Commission de septembre 2017, menant à la décision du Tribunal datée du 8 juin 2018, cette dernière demandait une ordonnance visant à obtenir tous courriels de CN référant à M. Nur, du 30 juin 2015 jusqu’à ce jour (voir paragraphe 1(d) des représentations de la Commission, rédigé par Me John Unrau, datées du 27 septembre 2017).

[127]  L’intimée, dans sa réplique, avait manifesté avoir divulgué tous les documents potentiellement pertinents quant à cette demande et que ceux qui n’avaient pas été transmis étaient protégés par un privilège avocat-client. La Commission n’avait pas jugé nécessaire, dans sa réponse, de développer davantage sur cette demande.

[128]  Le Tribunal a donc, dans sa décision du 8 juin 2018, pris acte que l’intimée avait transmis les documents potentiellement pertinents suivant la demande de la Commission et qu’il n’était pas nécessaire pour le Tribunal d’ordonner une divulgation qui avait été complétée.

[129]  Le 23 juillet 2018, la Commission, qui est maintenant représentée par Me Sasha Hart, envoie une correspondance à CN afin de notamment lui demander de divulguer, à nouveau, tous les courriels ou communications en sa possession et qui concernent M. Nur, depuis le 30 juin 2015. Bien qu’elle reconnaisse que des courriels lui ont été divulgués, elle manifeste le fait qu’il semble y avoir un manque de communications internes ou de communications entre les employés des ressources humaines de CN ainsi que la direction. Elle demande que si ce type de courriels existe, qu’ils soient divulgués. Elle demande également que toutes les notes de rencontres qui se rapportent à la situation entourant M. Nur depuis le 30 juin 2015 soient également divulguées. Enfin, elle demande que les communications entre les employés de CN, dont le personnel de la direction et Shepell, concernant M. Nur, depuis le 30 juin 2015, soient divulguées.

[130]  Ce sujet a fait l’objet de discussion lors d’une téléconférence le 24 juillet 2018. Le Tribunal a invité les parties à discuter de la situation entre elles et de voir s’il était possible de s’entendre. Les parties devaient faire un suivi de leur discussion au Tribunal lors de la prochaine téléconférence du 7 septembre 2018. Lors de cette conférence, Me Hart a mentionné que la Commission ne poursuiverait pas sa demande de divulgation préalablement envoyée à CN le 23 juillet 2018.

[131]  Cela dit, dans une correspondance datée du 24 octobre 2018, la Commission revient à la charge et demande de nouveau à l’intimée de divulguer tous les courriels, mémos, notes, procès-verbaux de réunions, ou toutes autres formes de communications écrites dont David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong, Mary Jane Morrison, Ken Wilson, Matthew Smith, Natalie Mark, Silvia Michaud, Robbie Kloster, Braiden Pelican et Christine Mitchell sont les auteurs ou destinataires, et qui concernent M. Nur, du 30 juin 2015 jusqu’à ce jour.

[132]  Bien que formulée de manière différente, il semble que la demande du 23 juillet 2018 et la demande du 24 octobre 2018 visent, dans une certaine mesure, à obtenir les mêmes documents. Dans la demande du 23 juillet 2018, la Commission demande tous courriels ou communications internes entre les employés de CN ou de sa direction. La Commission ne détaille pas, outre les courriels, les formes de communications spécifiques qu’elle recherche. La demande du 24 octobre 2018 est plus spécifique : la Commission fait référence à des mémos, procès-verbaux, notes, courriels ou toutes autres formes de communications. Elle vise également des individus bien particuliers.

[133]  À première vue, nous pourrions penser que les demandes sont différentes et ne visent pas les mêmes formes de communications. La demande du 23 juillet 2018 est large et moins précise. Cependant, elle vise également toutes communications internes entre les employés de CN ou de sa direction. Dans la demande du 24 octobre 2018, les formes de communications recherchées sont détaillées. Cela dit, la Commission réitère qu’elle recherche toutes autres formes de communications.

[134]  Malgré le fait que des personnes spécifiques soient visées, les personnes qui sont nommées par la Commission (David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong, Mary Jane Morrison, Ken Wilson, Matthew Smith, Silvia Michaud, Robbie Kloster, Braiden Pelican), à l’exception de Natalie Mark et Christine Mitchell, étaient tous des employés de l’intimée au moment des événements. Mme Mark et Mme Mitchell étaient des employées du Canad Inns Playmaker’s Lounge au moment des événements.

[135]  Conséquemment, alors que la Commission demande le 23 juillet 2018, les courriels et toutes communications internes entre les employés de CN ou de sa direction, les individus qui sont spécifiquement nommés dans la correspondance du 24 octobre 2018 étaient nécessairement visés. Ces personnes étaient toutes des employés de CN et certains d’entre eux étaient aussi du personnel de direction.

[136]  L’ajout de Mme Mark et Mme Mitchell dans la demande du 24 octobre 2018 ne change pas substantiellement la demande. Nous pouvons facilement imaginer que la Commission recherche des correspondances qu’auraient pu avoir des employés de CN ou de sa direction avec Mme Mark ou Mme Mitchell. Cela est donc nécessairement inclus dans la demande générale des courriels et toutes formes de correspondances des employés de CN ou de sa direction, et ce, que ce soit dans la demande du 23 juillet ou du 24 octobre 2018. Il serait étonnant que la Commission demande à l’intimée de divulguer des courriels ou toutes autres formes de communications qu’auraient pu avoir Mme Mark et Mme Mitchell entre elle, et dont l’intimée n’a surement pas possession.

[137]  Dans sa réplique, la Commission allègue que sa demande est différente puisqu’elle ne vise pas uniquement des courriels et, au surplus, qu’elle vise des personnes bien spécifiques. Avec beaucoup d’égard, la demande du 23 juillet 2018 est extrêmement large et vise, d’une part, les courriels des employés de CN ou de sa direction, mais aussi toutes autres formes de communications des employés de CN ou de sa direction. Il semble que la demande du 23 juillet chapeaute celle du 24 octobre 2018. Cela dit, et si la Commission avait l’intention de viser d’autres documents, l’intimée a précisément répondu, le 23 novembre 2018, à sa demande en indiquant qu’elle a divulgué tous les courriels, mémos, notes, procès-verbaux et autres formes de communications écrites concernant M. Nur et qui sont potentiellement pertinentes au  litige.

[138]  Le Tribunal rappelle qu’il n’est pas suffisant de soulever des doutes quant à la divulgation d’une autre partie afin de se voir accorder une ordonnance de divulgation. Il ne suffit pas de dire qu’il semble exister une insuffisance dans les documents transmis par la partie adverse. Il n’est pas non plus suffisant d’alléguer que considérant que CN est une grande entreprise sophistiquée, il est raisonnable de croire que sa manière d’opérer se fait nécessairement par communications internes. En conséquence, il devrait forcément y avoir beaucoup plus de ce type de communications dans sa divulgation. 

[139]  Il n’est pas nécessaire de rappeler que la bonne foi se présume (voir Valenti c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 TCDP 25, para. 26 (tableau)). D’autant plus que lorsque les représentations viennent d’un avocat, membre d’un barreau et officier de justice, et dont la profession est régie par un code déontologique, celui-ci est soumis à des standards élevés en matière de responsabilités et d’obligations qui incluent notamment l’intégrité, l’honnêteté,  la conduite responsable, pour ne nommer que celles-ci.

[140]  L’intimée, par le biais de ses représentants légaux, a clairement manifesté qu’elle a divulgué tous courriels, mémos, notes, procès-verbaux ou toutes autres formes de communications concernant M. Nur. Nulle part dans les représentations de la Commission ni dans la preuve déposée au soutien de sa requête, le Tribunal ne peut trouver quelconque base afin de remettre en question cette affirmation.

[141]  Pour ces motifs, le Tribunal est satisfait que l’intimée a rencontré son obligation de divulgation et la demande de la Commission est rejetée. Le Tribunal ne lui ordonnera pas de confirmer par écrit au Tribunal ainsi qu’aux parties qu’une recherche diligente de ces documents a été conduite, que tous les documents susceptibles d’être produits l’ont été et que les documents qui n’ont pas été produits ne l’ont pas été en raison de leur inexistence ou qu’elle invoque un privilège avocat-client, auquel cas ces documents doivent être détaillés dans sa liste de documents privilégiés (Annexe B).

F.  Production et divulgation d’une liste détaillée de documents dont le privilège avocat-client est invoqué (Annexe B)

[142]  La Commission demande au Tribunal d’ordonner à l’intimée de produire et divulguer une liste détaillée des documents pour lesquels elle invoque un privilège avocat-client (Annexe  B) et plus spécifiquement, que CN fournisse plus de détails sur sa liste de documents identifiés CNPWV2 – Communications and copies of communications between solicitor and client as contained on counsel’s correspondance file. La Commission demande que les détails suivants soient fournis : la date, les auteurs, les destinataires, le titre et une brève explication des raisons pour lesquels chaque document bénéficie d’un privilège avocat-client. 

[143]  Suivant la téléconférence entre le Tribunal ainsi que les parties le 14 janvier 2019, l’intimée a soulevé, dès la première occasion, qu’un malentendu s’était glissé dans les représentations des parties, et plus spécifiquement sur l’implication d’une firme d’avocat, Filmore Riley LLP, au moment des événements. Le Tribunal a invité les parties à discuter de la situation et de clarifier la situation au Tribunal, le cas échéant. Suivant des discussions entre les parties et sans l’implication du Tribunal dans lesdites discussions, la Commission a envoyé une correspondance afin de retirer le paragraphe 14 de sa réplique, déposée le 4 janvier 2019. Comme ce paragraphe a été retiré par la Commission, le Tribunal en ignorera le contenu  dans la présente décision.

[144]  La Commission argue que la description de CN quant aux documents protégés par le privilège avocat-client et qui est référée dans son Annexe B « communications and copies of communications between solicitor and client » est trop large. Cette description pourrait potentiellement inclure des communications qui ne devraient pas être protégées par ce privilège. Considérant que la description est large et qu’elle ne détient pas suffisamment de détails, il n’est pas possible pour elle et le  plaignant d’évaluer la possibilité de contester le privilège invoqué sur ces documents.

[145]  Plus spécifiquement, elle allègue qu’en vertu de la règle 6(1)(e) des Règles, une partie est dans l’obligation de fournir suffisamment d’informations permettant aux autres parties de comprendre les raisons pour lesquelles un document n’est pas divulgué. Selon elle, une partie doit fournir au moins une brève description de chaque document ainsi qu’une brève explication des raisons menant à l’invocation d’un privilège. Une simple mention qu’un document est protégé par un privilège ne serait pas suffisante. La Commission s’appuie notamment sur la décision du Tribunal dans Hughes c. Transport Canada, 2012 TCDP 26 (Hughes).

[146]  Elle ajoute que dans Hughes, le Tribunal a ordonné à l’intimé de produire les documents ou de déposer un affidavit détaillé indiquant, pour chaque document, une raison valide démontrant l’invocation d’un privilège de confidentialité. Toujours dans cette même décision, le Tribunal devrait considérer si la description des documents, à première vue, est suffisante afin de permettre aux autres parties de prendre la décision de contester ou non le privilège invoqué.

[147]  La Commission argumente que le Tribunal a déjà ordonné à des parties de détailler leurs listes de documents (voir notamment Radio-Canada c. Société Radio-Canada, 2017 TCDP 5 et Chief Stan Louttit et al c. Procureur général du Canada, 2013 TCDP 3). Elle se base également sur la décision de la Cour fédérale du Canada, section de première instance, dans Poitras c. Twinn, 2001 CFPI 456, qui a déterminé que la revendication de privilèges par la Couronne sur différents documents était trop large et vague.

[148]  L’intimée s’oppose à la demande de la Commission et se base également sur la décision Hugues afin d’appuyer ses prétentions. De plus, elle estime que la Commission s’immisce dans les communications que CN considère comme protégées par le privilège avocat-client, principe fondamental de la justice. Elle ajoute que ce privilège avocat-client permet à un client de discuter candidement et en toute confidence avec son avocat sachant que ces communications sont protégées, ce qui constitue un droit substantif central au bon fonctionnement du système de justice. Le privilège avocat-client doit être pratiquement absolu et l’expectative de vie privée est élevée. Elle réfère à deux décisions de la Cour suprême du Canada qui reprennent ces principes soient Solosky c. La Reine, [1980] 1 RCS 821 (Solosky) et Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, [2002] 3 RCS 209.

[149]  Tant CN que la Commission se basent sur la décision Solosky qui énonce les trois critères qui doivent être rencontrés afin qu’une communication soit protégée par le privilège avocat-client : (i) une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consul­tation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle.

[150]  Dans ses représentations, les représentants de l’intimée, la firme Dentons Canada LLP (Dentons), explique que ses services juridiques ont été retenus par CN le 14 décembre 2016 soit après que la plainte ait été référée au Tribunal pour instruction. Cette affirmation est appuyée d’une déclaration assermentée de Mme Patricia Armstrong, assistante légale chez Dentons, et datée du 19 décembre 2018. En conséquence, CN estime que les documents décrits dans son Annexe B tombent nécessairement dans la catégorie des documents protégés par le privilège avocat-client : les communications sont entre Dentons et CN, qui comporte une consul­tation ou un avis juridiques et qui sont considérées confidentielles.

[151]  L’intimée ajoute que dans sa correspondance du 23 novembre 2018, en réponse à la demande de divulgation de la Commission du 24 octobre 2018, elle a expliqué que les communications référées à l’Annexe B et numérotées CNPVR2 font références aux communications entre CN et Dentons. Il s’agit de communications de CN qui consulte la firme Dentons pour des avis juridiques en lien avec le dossier actuel du Tribunal.

[152]  Dans sa réplique, la Commission précise qu’elle ne demande pas que CN produise une liste de chaque communication qui implique un avis juridique et qui aurait été faite après que le dossier ait été référé au Tribunal. Elle reconnait que l’invocation d’un privilège avocat-client sur de telles communications est clairement admissible. Elle demande simplement que la fourchette de dates de ces communications soit indiquée dans la liste et que ces documents soient clairement identifiés comme étant des avis juridiques concernant le dossier du Tribunal.

[153]  La Commission estime que les représentations faites par l’intimée antérieurement ainsi que les lacunes présentes dans la divulgation de communications internes au moment des événements laissent croire que l’intimée invoque un privilège avocat-client sur des documents qui ont été générés au moment des événements en 2015. Elle demande donc suffisamment de détails afin d’évaluer si le privilège sur certains documents doit être contesté.

[154]  Le Tribunal est bien au fait de l’importance du privilège avocat-client dans notre système de justice. Il n’est pas nécessaire de rappeler que ce droit substantif est fondamental et presque absolu. Cela dit, et tel qu’il l’a été reconnu, par exemple, par la Cour fédérale dans Poitras, il est possible de pouvoir décrire suffisamment un document pour lequel un privilège est invoqué sans anéantir le privilège lui-même. La simple indication d’une date, un nom, un titre, les paraphes de l’auteur et des destinataires, n’anéantis pas, généralement, la revendication du privilège avocat-client, à moins de circonstances particulières qui en commanderaient autrement.

[155]  Considérant les circonstances, le Tribunal est en accord avec CN et estime que l’Annexe B, tel que décrit, est suffisant en lui-même.

[156]  CN, dans sa correspondance du 23 novembre 2018, en réponse à la demande de la Commission visant à ce qu’une liste plus détaillée des documents frappés d’un privilège avocat-client (Annexe B) soit transmise, mentionne que le document intitulé CNPVR2 – Communications and copies of communications between solicitor and client as contained on counsel’s correspondance file, vise les correspondances entre Dentons et CN. Il est important de mentionner que l’affidavit déposé au soutien des représentations de CN dans la présente requête affirme que CN a engagé Dentons le 14 décembre 2016, après que la plainte ait été référée au Tribunal, et ce, en vu que la firme la représente dans le dossier du Tribunal (voir l’affidavit de Mme Patricia Armstrong, paragraphe 2, daté du 19 décembre 2018).

[157]  Peut-être que la Commission a eu des doutes considérants le fait que la description du document CNPVR2 était relativement large et qu’une autre firme d’avocat, Filmore Riley LL, apparaissait dans différent document. Suivant l’intervention des avocats de CN lors de la téléconférence du 14 janvier 2019, et suivant la correspondance de la Commission datée du 16 janvier 2019 demandant que le paragraphe 14 de sa réponse soit rayé, le Tribunal considère qu’aucun doute ne subsiste.

[158]  La firme d’avocats Dentons a été engagée par CN le 14 décembre 2016, après que la plainte ait été référée au Tribunal le 16 juin 2016 spécifiquement pour la représenter dans le présent litige. Il ne fait aucun doute que toutes correspondances entre Dentons et CN constituent (i) des communications entre un avocat et son client; (ii) qui comportent une consul­tation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire que la liste des documents dont CN invoque un privilège avocat-client (Annexe B) soit particulièrement détaillée.

[159]  Les propos du Tribunal ne sont pas à l’effet qu’une liste des documents dont une partie invoque un privilège ne doit jamais contenir un minimum de détails. La Commission, dans sa liste, met effectivement un minimum de détails sans pour autant, semble-t-il, considérer que cela constitue une atteinte à son privilège. Cela dépendra des circonstances.

[160]  Le Tribunal ajoute que la présence d’un avocat dans une correspondance n’attire pas automatiquement un privilège avocat-client. L’avocat qui est inclus dans une correspondance alors qu’il n’agit pas comme avocat donnant un avis juridique n’est pas nécessairement privilégié.

[161]  Mais dans les circonstances, le Tribunal considère que la situation est claire, que les avocats de l’intimée ont été non équivoque dans leur lettre du 23 novembre 2018, dans leurs représentations ainsi que dans l’affidavit de Mme Arsmtrong, et le Tribunal juge que le document  CNPVR2 – Communications and copies of communications between solicitor and client as contained on counsel’s correspondance file ne nécessite pas plus de détails.

[162]  Pour ces raisons, le Tribunal rejette la demande de la Commission.

G.  Confirmation écrite quant aux recherches effectuées, divulgation ou inexistence de documents ainsi que privilège invoqué

[163]  À différentes reprises dans ses représentations, la Commission demande que CN confirme au Tribunal ainsi qu’aux parties qu’une recherche diligente des documents a été conduite, que tous les documents susceptibles d’être produits l’ont été et que les documents qui n’ont pas été produits ne l’ont pas été en raison de leur inexistence ou qu’elle invoque un privilège avocat-client, auquel cas ces documents doivent être détaillés dans sa liste de documents privilégiés (Annexe B).

[164]  Elle le fait à son paragraphe 44 de ses représentations concernant la présente requête concernant les courriels, mémos, notes, procès-verbaux de réunions, ou toutes autres formes de communications écrites. Elle fait également cette demande dans les ordonnances qu’elle recherche, au paragraphe 62 c), de ses représentations. Elle maintient sa demande dans sa réponse, à la Section C, aux paragraphes 19 à 23.

[165]  Elle affirme que, malgré le fait que les Règles du Tribunal ne précisent pas qu’une partie doit confirmer avoir effectué une recherche diligente des documents potentiellement pertinents au litige, elle juge que l’intimée, ainsi que ses avocats, ont l’obligation de s’assurer que des recherches diligentes ont été effectuées, que les documents potentiellement pertinents ont été divulgués et que l’Annexe B soit suffisamment détaillé. Elle ajoute qu’elle demande simplement que CN et ses avocats confirment que des actions, qui doivent déjà avoir été prises en tant qu’obligations, l’ont effectivement été.  

[166]  Elle précise qu’elle recherche cette ordonnance puisque la divulgation de l’intimée semble lacunaire sur certains aspects ainsi qu’en raison de son Annexe B peu détaillée. Elle estime que le Tribunal détient de larges pouvoirs en vertu de la LCDP, notamment à la lumière des paragraphes 50(1), (2), (3) ainsi que 48.9(1), (2) LCDP.

[167]  Finalement, elle s’appuie sur la décision Première Nation des Mississaugas de New Credit c. Procureur général du Canada [Mississaugas] 2013 TCDP 32, en ce que mon collègue Edward P. Lustig, membre du Tribunal, a déjà ordonné une partie intimée d’effectuer des recherches diligentes de documents et de confirmer par écrit au Tribunal ainsi qu’aux parties les documents qui peuvent et ne peuvent pas être trouvés et de décrire les recherches qui ont été effectuées.

[168]  L’intimée s’oppose à la demande de la Commission. Selon elle, la règle 6(1)(d) et (e) des Règles prévoit les modalités en matière de divulgation des documents potentiellement pertinents. Aucune autre règle ne prévoit qu’une partie doit produire une lettre aux autres parties afin de confirmer toutes questions relatives à la divulgation.

[169]  Elle estime avoir rencontré son obligation selon les règles, a fourni ses listes de documents et il ne lui est pas requis d’écrire au Tribunal ou aux autres parties qu’une recherche diligente a été faite, qu’elle a produite tous documents potentiellement pertinents au litige et que ceux qui n’ont pas été produits n’existent pas ou sont frappés d’un privilège. Elle termine en mentionnant que la divulgation ne s’étend pas à la création de documents.

[170]  Le Tribunal entend l’intimée. Cependant, il est en désaccord avec certains de ses arguments.  Les Règles de procédure doivent être interprétées de manière large, et ce, afin de favoriser les fins qui sont énoncées à la règle 1(1) soit la possibilité pleine et entière de se faire entendre, que l’argumentation et la preuve soient présentées en temps opportun et de manière efficace et que l’instruction soit faite de façon la moins formaliste et la plus rapide possible (voir la règle 1(1) des Règles).

[171]  Les Règles du Tribunal ne sont pas limitatives des pouvoirs que peut détenir le Tribunal quand il instruit les plaintes et des ordonnances qu’il peut rendre. C’est la LCDP, sa loi habilitante, qui vient déterminer quels sont les pouvoirs du Tribunal et non les Règles. Les Règles sont mises en place parce que la LCDP prévoit que le président du Tribunal peut établir des règles, en application du paragraphe 48.9(2) LCDP. Les Règles ne supplantent pas les pouvoirs du Tribunal prévu dans sa loi habilitante. S’ajoute à cela, évidemment, les pouvoirs que peut avoir le Tribunal découlant common law elle-même.

[172]  Cela dit, le Tribunal juge qu’il n’est pas nécessaire de se lancer dans une grande interprétation du paragraphe 48.9(2) LCDP et de l’étendue des pouvoirs du Tribunal afin de décider de la présente demande.

[173]  Est-ce que le Tribunal doit ordonner à l’intimée de spécifiquement confirmer qu’elle a effectué une recherche diligente? Le Tribunal estime que ce n’est pas nécessaire

[174]  Le Tribunal juge, dans la présente décision, que CN doit divulguer certains documents qui sont potentiellement pertinents au litige. Elle devra, suivant les ordonnances, effectuer une recherche et divulguer ce qu’elle a en sa possession. Sa liste de documents devra également être modifiée. Si des documents ne sont pas en a possession ou n’existent pas, il n’y aura tout simplement pas de divulgation. On peut s’attendre à ce que l’intimée informe les parties que certains documents ne sont pas en sa possession ou n’existent pas. On peut également s’attendre à ce que si certains documents font l’objet d’un privilège, l’intimée amende sa liste de documents privilégiés et en informera les autres parties.

[175]  De plus, le Tribunal a jugé que la liste de documents dont CN invoque un privilège avocat-client est suffisamment détaillée dans les circonstances. Le Tribunal a également rejeté la demande de la Commission quant aux courriels, mémos, notes, procès-verbaux de réunions, ou toutes autres formes de communications écrites en estimant que l’intimée a rencontré son obligation de divulgation. Ainsi, les doutes que soulève la Commission quant à l’insuffisance de la liste de documents privilégiés (Annexe B) et l’insuffisance des courriels, mémos, notes, procès-verbaux de réunions, ou toutes autres formes de communications écrites deviennent inutiles.

[176]  Le Tribunal considère que rien dans la preuve n’appuie l’idée que CN n’a pas, à ce jour, effectué des recherches diligentes en lien avec la divulgation des documents potentiellement pertinents au litige et qu’elle a en sa possession. Dans sa correspondance du 23 novembre 2018, CN est également assez explicite quant à certaines demandes de la Commission et affirme clairement avoir transmis tout ce qu’elle a de potentiellement pertinent en sa possession. Et le fait qu’elle refuse de transmettre des documents demandés par les autres parties puisqu’elle s’y oppose, se fondant entre autres sur l’impertinente ou la tardiveté, ne mène pas nécessairement à la conclusion qu’elle n’est pas ou n’a pas été diligente dans ses recherches.

[177]  Le Tribunal ajoute qu’il existe des différences entre la présente situation et celle dans Mississaugas notamment le fait que l’intimé avait manifesté dans une lettre qu’il allait produire les documents demandés par les autres parties et que plusieurs mois plus tard, cette divulgation n’avait toujours pas eu lieu. L’intimé ne contestait pas non plus la pertinence des documents demandés, mais invoquait cependant un privilège pour certains documents. Il semble également que le processus de divulgation a pris beaucoup de temps dans ce dossier et que l’intimé ne se conformait pas à ses obligations de divulgation. Membre Lustig a également écrit vouloir éviter de se retrouver dans la même situation que dans le dossier Grand chef Stan Louttit et al. c. PGC [Louttit], 2013 TCDP 27, dossier dans lequel l’intimé ne se conformait pas à des ordonnances du Tribunal en matière de divulgation.

[178]  Le Tribunal ne considère pas être dans une situation similaire aux décisions Mississaugas et Louttit. L’intimée a collaboré tout au long des procédures, a répondu aux demandes de divulgation des autres parties, a répondu promptement aux demandes de précisions du Tribunal et a respecté les ordonnances du Tribunal à ce jour.

[179]  Il n’y a donc pas lieu d’ordonner à l’intimée de confirmer qu’une recherche diligente des documents a été conduite, que tous les documents susceptibles d’être produits l’ont été et que les documents qui n’ont pas été produits ne l’ont pas été en raison de leur inexistence ou qu’elle invoque un privilège avocat-client, auquel cas ces documents doivent être détaillés dans sa liste de documents privilégiés (Annexe B).

[180]  Pour ces raisons, le Tribunal rejette la demande de la Commission.

IV.  Requête de M. Nur quant à la recherche et divulgation des coordonnées d’un témoin potentiel

[181]  Lors de la téléconférence du 26 novembre 2018, M. Nur a avisé le Tribunal et les autres parties qu’il avait l’intention d’appeler deux témoins à l’audience. Il demandait l’aide de CN afin d’identifier un de ses témoins et de lui fournir ses coordonnées afin qu’il puisse contacter cette personne. CN s’était immédiatement opposée à la demande.

[182]  Le 13 décembre 2018, le Tribunal a informé les parties que la demande de M. Nur devra être traitée par requête. Dans cette correspondance, le Tribunal a demandé aux parties de notamment aborder trois questions, soit la juridiction du Tribunal afin d’ordonner à l’intimée de mener une recherche interne ayant pour objectif d’identifier le témoin en question (s’il est possible de l’identifier), la pertinence du témoignage de cette personne ainsi que les raisons pour lesquelles ce témoin n’a pas été identifié auparavant.

[183]  Suivant les directives du Tribunal, le 19 décembre 2018, M. Nur a déposé une requête au Tribunal afin que CN recherche et divulgue les coordonnées de cet individu prénommé Neil. Il entend appeler cet individu comme témoin à l’audience. La Commission a soumis ses représentations le 28 décembre 2018 et appuie la demande de M. Nur. L’intimée a répondu aux représentations des autres parties le 4 janvier 2018 et s’oppose à la demande. Enfin, M. Nur a soumis sa réplique le 9 janvier 2018. Le Tribunal traitera de toutes ces questions, positions des parties, analyse et décision, dans une seule section (Section IV).

[184]  Dans ses représentations. M. Nur mentionne qu’il comprend maintenant mieux les questions en litige dans sa plainte et la preuve qu’il doit mettre de l’avant afin d’appuyer ses prétentions. Il s’excuse ainsi pour le délai tardif quant au dépôt de sa demande.

[185]  Il explique qu’il entend appeler Neil comme témoin afin que ce dernier témoigne sur un événement qui est survenu en novembre 2014, au Canad Inn Health Science Center à Winnipeg. Cet incident implique Chris Straight, un collègue conducteur, et lui-même.

[186]  Il ajoute que Neil confirmera de sa dépendance à l’alcool alors qu’ils étaient tous les deux conducteurs. La pertinence de son témoignage concerne également le fait que la direction de CN détient une discrétion concernant la manière dont les mesures disciplinaires sont appliquées et à qui elles sont appliquées. Il mentionne que Neil témoignera également sur un enregistrement vidéo qui a été montré au campus de CN, à Winnipeg, suivant un incident impliquant de l’alcool et de la violence ainsi que le désir de CN de confirmer qu’il n’existait pas de discrimination raciale. Il affirme que pour autant qu’il sache, le dernier endroit où travaillait Neil en tant que conducteur était entre Smith et Peace River, Alberta, autour de mai à juillet 2015.

[187]  La Commission estime que le Tribunal a juridiction afin d’ordonner que CN cherche et divulgue les coordonnées de ce témoin potentiel et estime que le Tribunal devrait exercer sa discrétion à cet effet.

[188]  Elle estime que la juridiction du Tribunal afin d’ordonner à CN de chercher et divulguer les coordonnées du témoin potentiel découle de la discrétion que lui confère sa loi habilitante, la LCDP, ainsi que de la common law. Elle rappelle que le Tribunal est maître de sa propre procédure et qu’il détient une large discrétion dans la détermination de ses procédures (elle réfère notamment à la décision Prassad v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1989] 1 SCR 560).

[189]  Elle ajoute que le paragraphe 50(2) LCDP prévoit également que le membre du Tribunal qui instruit la plainte peut décider de toutes questions de droit ou de faits dont il est saisi et que son paragraphe (1) prévoit que chaque partie doit avoir la possibilité pleine et entière de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations. Le paragraphe 48.9(1) prévoit que les procédures du Tribunal doivent être expéditives et informelles, tout en respectant les principes de justice naturelle.  

[190]  Elle juge qu’une autre reconnaissance de la vaste discrétion que détient le Tribunal quant à ses procédures réside dans le paragraphe 48.9(2) LCDP. Ce paragraphe permet au Tribunal d’établir ses règles de pratiques incluant la production de documents, qui se retrouve à la règle 6 des Règles du Tribunal. Elle réfère plus particulièrement à la règle 6(1)(d) et (4) qui requiert aux parties de divulguer une copie des documents qu’elles ont en leur possession qui se rapportent à un fait, une question ou un redressement, et dont aucun privilège n’est invoqué.

[191]  Elle se fonde également sur deux décisions, Malenfant c. Videotron S.E.N.C., 2017 TCDP 11 [Malenfant] et Jones c. Nation Munsee-Delaware, 2018 TCDP 3 [Jones] dans lesquelles le Tribunal  a déjà ordonné la divulgation de coordonnées de témoins potentiels. Elle ajoute que dans ces décisions, le Tribunal a spécifié que les coordonnées étaient pertinentes aux faits et questions soulevés dans ces plaintes et que leur divulgation était importante afin de permettre au plaignant et à la Commission de présenter leur preuve. Elle estime que les mêmes commentaires s’appliquent dans la plainte de M. Nur.

[192]  Elle poursuit en affirmant que la demande de M. Nur est potentiellement pertinente et nécessaire afin qu’il puisse bénéficier de l’opportunité pleine et entière de présenter son dossier et reprend les principes clés en matière de divulgation, récemment résumés dans la décision Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2018 TCDP 9. Elle affirme que l’analyse de la pertinence potentielle s’articule autour de la plainte, l’exposé des précisions de chacune des parties ainsi que la théorie de la cause contenue dans leurs exposés (elle réfère notamment à Radio-Canada, précitée).

[193]  La Commission mentionne que le témoignage de cet individu est potentiellement pertinent au litige. Elle affirme que la plainte vise, entre autres, le fait que M. Nur a été congédié sur la base de la déficience, soit sa dépendance à l’alcool. Elle juge que l’existence de cette déficience est contestée et que le Tribunal devra déterminer si M. Nur avait une déficience. Le Tribunal devrait également décider si CN était ou aurait dû être au courant de l’existence de cette déficience, ou que CN percevait que M. Nur avait une déficience au moment des événements. Elle ajoute que M. Nur entend faire témoigner Neil sur les difficultés qu’il a vécues en lien avec l’alcool au moment des événements menant à la plainte.

[194]  Elle ajoute que son témoignage est potentiellement pertinent afin de déterminer si M. Nur a été défavorablement traité sur la base de sa race ou son origine nationale ou ethnique, en comparaison d’autres individus qui auraient pu avoir enfreint les politiques de CN en lien avec l’alcool ou le harcèlement. Elle précise que M. Nur a affirmé vouloir faire témoigner cet individu sur un événement concernant un autre employé prénommé Chris, qui aurait agi de manière violente avec lui alors qu’il était intoxiqué, et dont CN n’a pas décidé de mettre fin à son emploi. L’exposé des précisions de la Commission prévoit également que M. Nur témoignera sur cet indicent, le traitement différent qu’il a reçu dans l’application de la politique en lien avec l’alcool et que cela constitue de la preuve circonstancielle pouvant mener à une détermination, par le Tribunal, de l’existence de subtiles odeurs de discrimination.

[195]  La Commission mentionne que la demande de M. Nur ne cause aucun préjudice significatif à l’intimée. Elle reconnait que la jurisprudence du Tribunal ne vise pas la création de documents, mais précise qu’il n’est pas demandé à CN de créer un document. Il lui est plutôt demandé de fournir quelconques documents en sa possession qui renfermerait les dernières coordonnées connues de cet individu. Cela n’est pas différent des autres demandes en divulgation dans lesquelles une partie demande à une autre partie de chercher dans ses bases de données internes des documents qui correspondent à une description donnée.

[196]  Elle affirme que CN a déjà fourni antérieurement des informations sur le fonctionnement de son système central unifié de ses employés en Amérique du Nord et qui contient des données sur ses employés. Des recherches peuvent être effectuées dans ce système en se basant notamment sur le nom et le lieu de travail d’un individu. Ainsi, elle estime que la recherche que CN devrait faire, suivant les informations fournies par M. Nur, se basera sur le nom de l’employé, prénommé Neil, qui était conducteur, soit à Smith ou Peace River en Alberta, ou à Winnipeg au Manitoba, endroit où il a reçu de la formation.

[197]  Elle estime que contrairement à l’ordonnance du Tribunal du 8 juin 2018 dans le présent dossier, cette recherche afin d’identifier cet individu est clairement moins onéreuse et longue. La recherche vise le nom d’un individu, le titre de son emploi, et les derniers endroits connus où il travaillait, et de divulguer un document contenant ses dernières coordonnées qui sont connues.

[198]  La Commission affirme que M. Nur a mentionné son intention d’appeler cet individu comme témoin le 26 novembre 2018 soit environ 3 mois avant l’audience et   que bien qu’il aurait peut-être dû notifier les parties plus tôt, le témoignage que pourrait rendre cet individu supplante le préjudice causé à l’intimée. Elle ajoute que M. Nur est non représenté et que M. Nur semble maintenant mieux comprendre les questions en litige et la preuve requise dans son dossier. Ces facteurs militent en faveur de plus de latitude à son égard, tout en tenant compte de l’absence de préjudice que cette divulgation causerait à CN. L’intimée a, pour sa part, tout récemment divulgué, le 14 décembre 2018, des sommaires de témoignages plus détaillés suivant une demande de la Commission. 

[199]  Enfin, la Commission mentionne que M. Nur n’a pas l’intention d’appeler ce témoin afin de témoigner sur des faits nouveaux. Elle rappelle que ce témoin témoignera sur des faits qui se retrouvent dans son exposé des précisions. CN a donc déjà été notifié de ces faits depuis longtemps. Ce faisant, cette demande en divulgation ne cause pas de préjudice significatif à l’intimée.

[200]  Quant aux inquiétudes de CN en lien avec la confidentialité et à la vie privée de cet individu et de ses coordonnées, la Commission se base de nouveau sur la décision Malenfant et affirme que ce type d’inquiétudes ne supplante pas l’intérêt du public de veiller à ce que toute la preuve pertinente au litige soit divulguée. Il est loisible à CN de requérir une ordonnance en confidentialité ou de demander que d’autres mesures soient prises afin de protéger ces coordonnées.

[201]  L’intimée s’oppose à la demande de M. Nur. Elle estime que ce témoin potentiel n’a pas d’implication centrale dans le litige. Elle ajoute que malgré le fait que le plaignant considère ce témoin comme un ami proche, celui-ci ne connait pas son nom de famille, n’a aucune coordonnée afin de le rejoindre et ne sait pas si cet individu est toujours à l’emploi de CN.

[202]  L’intimée a repris sensiblement les mêmes principes en matière de divulgation que la Commission dans ses représentations. Elle ajoute que le Tribunal n’ordonnera pas une demande en divulgation si cette demande requiert qu’une partie joue un rôle actif dans la préparation de la partie adverse. Elle affirme que le même type de question en l’espèce a déjà été tranché par le Tribunal dans Day c. Canada (Défense nationale), 2002 CanLII 61833 [Day].

[203]  La demande de M. Nur visant à ordonner CN à rechercher afin d’identifier le témoin l’obligerait à jouer un rôle actif dans la préparation de son dossier et celui de la Commission. De plus, elle affirme que ce témoin n’a pas été impliqué dans les événements entre les 30 juin et 9 juillet 2015 et n’aurait été impliqué que dans un événement datant de 2014 lors de laquelle M. Nur aurait eu une altercation avec un collègue. Elle soutient également que ce témoin potentiel ne peut pas donner d’opinion sur la déficience alléguée de M. Nur puisqu’il n’est pas qualifié pour donner une opinion. Elle mentionne que M. Nur n’a pas expliqué les démarches qu’il a effectuées afin de retrouver cet individu et n’a pas justifié les raisons pour lesquelles ce témoin n’a pas été identifié plus tôt.

[204]  CN se base sur les Règles de procédure du Tribunal qui ne prévoit pas expressément l’obligation pour une partie de jouer un rôle actif dans la préparation du dossier des parties adverses et c’est à M. Nur et la Commission de s’assurer qu’ils rencontrent leur fardeau de leur dossier et de présenter une preuve suffisante.

[205]  Elle est d’avis qu’elle a le droit, comme tout justiciable, de jouir de son autonomie et de décider si elle veut assister le plaignant ou non. Le rôle du Tribunal en matière de divulgation en est un de supervision et ne s’étend pas à gérer la relation entre les parties. Ce faisant, elle argue que le plaignant peut lui faire la demande, mais c’est à elle de volontairement décider si elle lui porte assistance dans la recherche de son témoin. Lui ordonner d’assister M. Nur balais son droit à l’autonomie et enfreint les principes d’équité procédurale en l’obligeant ainsi à s’auto-incriminer.

[206]  M. Nur, dans sa réplique, a expliqué avoir entrepris différentes démarches afin de retrouver cet individu notamment à l’aide de Facebook, LinkedIn et également par le biais de deux autres personnes qui auraient pu avoir de l’information sur cet individu. Cela a été vain. Il estime qu’il n’est pas impossible pour CN de l’assister dans sa demande, en ce qu’il a fourni plusieurs détails permettant de l’identifier. 

[207]  Cela étant dit, ce n’est pas la première fois que le soussigné se retrouve dans une situation ayant des similarités. À juste titre, la Commission a référé le Tribunal à deux de ses décisions, Malenfant et Jones, qui ont été justement rédigées par le soussigné. Le Tribunal juge que bien que ces décisions incluent des similitudes, elles comportent également des éléments importants et décisifs qui les distinguent du cas en l’espèce.

[208]  Sans entrer dans tous les détails, il est suffisant d’expliquer que dans la décision Malenfant, la Commission et le plaignant, M. Malenfant, désiraient avoir accès aux coordonnées de candidats qui ont appliqué au même concours que le plaignant et qui ont notamment été engagés par l’intimée. Ces coordonnées leur permettraient d’appeler ces candidats comme témoins afin qu’il parle de leur curriculum vitae, de leur expérience, de leur entrevue, etc. Il faut se rappeler que dans la divulgation des documents, M. Malenfant et la Commission ont reçu les curriculum vitae de ses candidats. Par contre, l’intimée avait de sa propre initiative caviardé plusieurs informations qu’elle considérait comme privées et confidentielles notamment les coordonnées des individus. Comme le Tribunal avait effectivement jugé que les témoignages de ses personnes étaient potentiellement pertinents, il a ordonné non pas à l’intimée de divulguer les coordonnées de ces candidats, mais bien de transmettre à nouveau les curriculum vitae des candidats, sans les caviarder.

[209]  C’est là que la distinction est majeure : la Commission et M. Malenfant avaient en leur possession les curriculum vitae de ces candidats, mais en version caviardée. Ils avaient, devant eux, le descriptif professionnel de divers candidats sur un support papier (curriculum vitae), pouvaient scruter ces curriculum vitae, les comparer au curriculum vitae de M. Malenfant, et faire des inférences et tirer certaines conclusions. Ces individus, bien que personnellement inconnus, étaient professionnellement connus et identifiables. Tous savaient que les coordonnées de ces individus étaient présentes sur les documents, mais ils étaient caviardés. Le Tribunal n’a pas ordonné à l’intimée une recherche afin d’identifier ces témoins et de les retracer. Les informations recherchées étaient clairement existantes et accessibles.

[210]  Dans la décision Jones, la distinction est encore plus évidente. M. Jones désirait appeler comme témoins certains membres de la communauté, mais n’avait pas en sa possession les coordonnées de ces personnes. L’intimée a clairement affirmé avoir en sa possession une liste des membres de la communauté avec les coordonnées de plusieurs individus recherchés par le plaignant. Elle consentait à transmettre les informations demandées, mais demandait des garanties quant à leur confidentialité et leur utilisation.

[211]  Dans le cas en l’espèce, nous ne nous retrouvons pas dans la même situation que dans Malenfant et Jones. Nous ne sommes pas dans une situation où M. Nur ou la Commission sont en possession du curriculum vitae de cet individu prénommé Neil. Le curriculum vitae est un document se retrouvant à être un portrait professionnel spécifique d’une personne bien identifiée et sur lequel les coordonnées sont évidemment présentes. On ne se retrouve pas dans une situation où CN a volontairement manifesté le fait qu’elle avait les coordonnées de cet individu prénommé Neil sur une liste et consent à transmettre les coordonnées en échange de certaines garanties.

[212]  CN s’oppose fermement à la demande de M. Nur. Elle n’a pas volontairement transmis d’informations sur cette personne. Elle n’a pas communiqué à la Commission ni à M. Nur un document concernant cet individu, par exemple, son curriculum vitae. La demande de M. Nur est plus définie, plus contraignante ; elle commande que des actions soient prises afin qu’un potentiel témoin soit identifié et que si ce témoin est identifié, que ses dernières coordonnées connues soient transmises.

[213]  Le tribunal ajoute que bien que la Commission articule une partie de ses arguments autour du fait qu’il n’est pas demandé à l’intimé de créer un document, mais de divulguer tout document en sa possession qui contiendrait les dernières coordonnées connues de l’individu en question, dans ses conclusions, elle demande au Tribunal d’ordonner à CN de rechercher l’individu identifié par M. Nur et de divulguer ses coordonnées. Il semble y avoir une incohérence dans les représentations faites et les conclusions recherchées.

[214]  Cela dit, la question en litige semble relativement précise : est-ce que le Tribunal a juridiction afin d’ordonner à CN de rechercher et de divulguer les coordonnées de l’individu tel que décrit par M. Nur?

[215]  La question n’est pas à savoir si le Tribunal doit ordonner à CN de rechercher cet individu et de divulguer tout document en sa possession sur lequel se retrouvent ses coordonnées.

[216]  Le Tribunal semble comprendre les arguments de la Commission en ce qu’il s’agit, en fait, de trouver une alternative, soit d’ordonner la divulgation d’un document contenant l’information recherchée et non les coordonnées elles-mêmes. Cela respecterait les principes élaborés par le Tribunal en matière de divulgation en ce que la divulgation doit concerner des documents et non des informations ou des coordonnées. Est-ce qu’il ne s’agit pas là une façon de contourner la vraie question en litige? Le Tribunal peut-il ordonner à une partie de divulguer les coordonnées d’un témoin potentiel? C’est sous cette loupe que le Tribunal abordera la question.

[217]  Bien que l’intimée ait également fait référence à la décision du membre Paul Groarke dans Day, précité, et qui vient spécifiquement exprimer qu’à son avis, une partie qui demande la divulgation des coordonnées de potentiels témoins va au-delà de l’étendue de la divulgation, avec tout le respect pour mon collègue, je ne partage pas son opinion à ce sujet.

[218]  Je suis plutôt d’avis que le Tribunal a juridiction afin d’ordonner à une partie d’effectuer une recherche visant à identifier ce témoin potentiel et de divulguer ses dernières coordonnées connues, et ce, pour les motifs qui suivent.

[219]  Il faut tout d’abord mentionner que la divulgation et la production des documents sont prévues aux Règles de procédure du Tribunal, plus spécifiquement à la règle 6(1)(d) et (4) des Règles. Il est prévu que :

6(1) Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

  […]

d) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

  […]

6(4) Si une partie a fait mention d’un document conformément à l’alinéa 6(1)d), elle doit en fournir une copie à toutes les autres parties. Elle ne dépose pas le document au greffe.

  [Le Tribunal souligne]

[220]  Il est important de rappeler que les Règles de procédure ne sont pas constitutives de la juridiction du Tribunal. Les Règles ne donnent pas non plus naissance aux pouvoirs du membre instructeur du Tribunal quant à l’instruction des plaintes.

[221]  Cela est rappelé dans la première section des Règles « OBJET, INTERPRÉTATION », à la règle 1(6), et qui spécifie que le membre instructeur conserve le pouvoir de se prononcer sur toute question de procédure non prévue par les présentes règles. En conséquence, les Règles ne sont pas exhaustives ni limitatives. Le membre instructeur jouit d’une discrétion afin de se prononcer sur les questions de procédures qui n’auraient pas été prévues. Le membre instructeur peut même, de son propre chef, déroger aux Règles de procédure, en application de la règle 1(4) des Règles.

[222]  Comme les Règles ne sont pas constitutives de pouvoirs et de juridiction, c’est la loi habilitante du Tribunal, la LCDP, qui est la source de sa juridiction. S’ajoutent à cela, bien évidemment, ceux qui découlent de la common law. Ainsi, afin de déterminer si le Tribunal a le pouvoir d’ordonner à une partie de rechercher un témoin potentiel et de divulguer ses dernières coordonnées connues, il faut consulter le libellé de la LCDP elle-même.

[223]  La LCDP prévoit, à son paragraphe 48.9(2), que;

(2) Le président du Tribunal peut établir des règles de pratique régissant, notamment :

a) l’envoi des avis aux parties;

b) l’adjonction de parties ou d’intervenants à l’affaire;

c) l’assignation des témoins;

d) la production et la signification de documents;

e) les enquêtes préalables;

f) les conférences préparatoires;

g) la présentation des éléments de preuve;

h) le délai d’audition et le délai pour rendre les décisions;

i) l’adjudication des intérêts.

(2) The Chairperson may make rules of procedure governing the practice and procedure before the Tribunal, including, but not limited to, rules governing

(a) the giving of notices to parties;

(b) the addition of parties and interested persons to the proceedings;

(c) the summoning of witnesses;

(d) the production and service of documents;

(e) discovery proceedings;

(f) pre-hearing conferences;

(g) the introduction of evidence;

(h) time limits within which hearings must be held and decisions must be made; and

(i) awards of interest.

[224]  Tant dans la version française qu’anglaise, le législateur a voulu donner au Tribunal une discrétion dans l’établissement de ses règles de pratique en utilisant les mots « may » et « peut » ainsi que « including, but not limited to » et « notamment ». La liste établie par le législateur n’est donc pas exhaustive, ce qui donne à penser que le Tribunal peut établir des règles sur d’autres sujets liés à la procédure.

[225]  Cela dit, à l’alinéa 48.9(2)(e) LCDP, le législateur a spécifiquement investi le Tribunal du pouvoir d’élaborer des règles en matière d’enquêtes préalables. Les enquêtes préalables incluent notamment les interrogatoires préalables. Il faut noter que le Tribunal n’a pas prévu de règles spécifiques en la matière. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas exercer ses pouvoirs et sa discrétion à ce sujet.

[226]  Le législateur a donné une large discrétion au Tribunal de créer des règles de pratique dont la liste au paragraphe 48.9(2) LCDP n’est pas limitative. Ainsi, le membre instructeur jouit d’une discrétion afin de décider d’une question de procédure.

[227]  Bien que le sujet était différent et concernait l’adjonction d’une partie, cette interprétation de l’article 48.9 (2) LCDP et de l’intention du législateur dans l’attribution des pouvoirs du Tribunal en lien avec ses règles de pratique a déjà été utilisée par l’Honorable Anne Mactavish, dans Desormeaux c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton, 2002 CanLII 52584 (TCDP), au paragraphe 8. Une analyse similaire a été faite également par le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique dans l’affaire Heffell v. Crescent Beach Veterinary Clinic and Andrews, 2005 BCHRT 233.

[228]  Le type d’informations recherchées par M. Nur, c’est-à-dire les coordonnées de ce prénommé Neil et dont il a fourni plusieurs détails permettant de l’identifier, il s’agit d’informations qui peuvent être divulguées dans le cours normal d’une enquête préalable et plus particulièrement, lors d’un interrogatoire préalable.

[229]  À titre d’exemple, la règle 240(b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoit que :

Étendue de l’interrogatoire

 La personne soumise à un interrogatoire préalable répond, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, à toute question qui :

a) soit se rapporte à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure déposé par la partie soumise à l’interrogatoire préalable ou par la partie qui interroge;

b) soit concerne le nom ou l’adresse d’une personne, autre qu’un témoin expert, dont il est raisonnable de croire qu’elle a une connaissance d’une question en litige dans l’action.

[Le Tribunal souligne]

[230]  Un autre exemple est celui de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans ses règles Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009, à la règle 7-2 Examinations for discovery, paragraphe 18, qui prévoit que :

Scope of examination

(18)Unless the court otherwise orders, a person being examined for discovery

(a)  must answer any question within his or her knowledge or means of knowledge regarding any matter, not privileged, relating to a matter in question in the action, and

(b)  is compellable to give the names and addresses of all persons who reasonably might be expected to have knowledge relating to any matter in question in the action.

[Le Tribunal souligne]

[231]  Devant ces Cours, il est donc possible, lors d’un interrogatoire préalable, de demander à un témoin de fournir les noms et adresses de toute personne dont il est raisonnable de croire qu’elle a une connaissance d’une question en litige dans l’action. Ces règles sont explicites à ce sujet.

[232]  Le Tribunal ajoute qu’il est impératif de garder à l’esprit que l’instruction des plaintes doit être expéditive et faite de manière la moins formaliste que possible, tout en respectant les principes de justice naturelle et les règles de pratique (paragraphe 48.9(1) LCDP). Chaque partie a le droit d’entièrement et pleinement présenter leur dossier, conformément au paragraphe 50(1) LCDP. Enfin, le membre instructeur doit trancher les questions de droits et les questions de fait dans les affaires dont il est saisi, en application du paragraphe 50(2) LCDP.

[233]  Considérant les dispositions larges de la LCDP, le Tribunal estime qu’il a effectivement le pouvoir d’ordonner à l’intimée de rechercher cet individu ayant travaillé pour elle et de divulguer ses dernières coordonnées connues, le cas échéant.

[234]  Maintenant, est-ce que le Tribunal devrait ou non ordonner à CN de le faire?

[235]  M. Nur a manifesté le désir d’appeler ce témoin lors de la téléconférence du 26 novembre 2018. C’est à ce moment qu’il a expliqué avoir besoin de l’assistance de CN. Le 13 décembre 2018, le Tribunal a demandé aux parties de soumettre leurs représentations à ce sujet suivant des délais relativement stricts dans le dépôt des représentations.

[236]  M. Nur est non représenté par avocat et doit préparer sa cause seul. Le Tribunal doit faire preuve de flexibilité et éviter les excès de formalisme tant que faire se peut (paragraphe 48.9(1) LCDP). La demande a été faite approximativement trois mois avant l’audience prévue, ce qui est un délai relativement raisonnable. Le facteur temps n’est pas en soi particulièrement déterminant dans les circonstances.

[237]  Cet individu est appelé à témoigner sur des faits qui font partie de l’exposé des précisions de la Commission depuis le début des procédures. Cet individu témoignera notamment sur cet événement allégué concernant une altercation entre M. Nur et un collègue prénommé Chris, de l’implication d’alcool, d’un enregistrement vidéo qui aurait été remis à M. Radford, qui est également appelé comme témoin à l’audience. Il y aurait également des allégations à l’effet que ce M. Radford aurait mentionné que la direction jouit d’une discrétion dans l’application de ses politiques. Tout cela se retrouve dans l’exposé des précisions de la Commission. Ainsi, si ce témoin prénommé Neil a de l’information sur tous ces sujets, cela est potentiellement pertinent au litige.

[238]  Qui plus est, l’intimée est au courant de ces faits depuis des mois puisqu’elle est en possession de l’exposé des précisions de la Commission et des informations fournies par M. Nur. Même le Tribunal a parlé de ces événements dans sa décision précédente du 8 juin 2018 et mentionne que si la Commission ou le plaignant désirent soumettre de la preuve sur cet incident à l’audience, par exemple à l’aide de témoignages, il leur sera loisible de le faire (voir paragraphe 44 de la décision du 8 juin 2018).

[239]  Le Tribunal est effectivement en accord avec l’intimée sur le fait que cet individu ne peut donner son opinion sur l’existence ou non de la déficience alléguée de M. Nur. Ce témoin n’est pas un expert et ne peut donner son opinion à ce sujet. Cela dit, M. Nur n’est pas un avocat et dans ses représentations du 19 décembre 2018, on peut faire une interprétation différente lorsqu’il écrit que Neil confirmera sa dépendance à l’alcool au moment où ils étaient conducteurs. En effet, on peut penser que M. Nur ne faisait pas référence au fait que Neil donnera son opinion sur l’existence d’une déficience, mais de confirmer la dépendance dans le sens qu’il pourrait témoigner sur des événements, des observations, etc., en lien avec la consommation d’alcool de M. Nur et qui, selon lui, appuie et prouve le fait qu’il avait une dépendance à l’alcool. Sous cette loupe, son témoignage est potentiellement pertinent au litige.

[240]  Le Tribunal ajoute que l’intimée a effectivement fait plusieurs représentations sur le maintien de ses bases de données incluant des informations centralisées sur ses employés. Cette base de données permet d’identifier les employés notamment par nom ou par lieu de travail. Le Tribunal croit effectivement que les démarches à prendre ainsi que le temps nécessaire pour les accomplir ne sont pas telles que la valeur probante de ce témoignage et de la preuve qui pourrait être présentée ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’intimée et l’instance. Le Tribunal juge que cette recherche sera relativement ciblée et succincte et qu’elle peut être faite sans compromettre les dates d’audience.

[241]  Pour toutes ces raisons, le Tribunal ordonne à l’intimée de rechercher une personne prénommée Neil, ayant été à son emploi comme conducteur en 2015, entre Smith et Peace River, Alberta. Il a également participé à une formation au Canad Inn Health Science center à Winnipeg, en novembre 2014. Si cet individu est identifié, le Tribunal ordonne à l’intimée de transmettre à M. Nur le nom complet de cet individu et ses dernières coordonnées connues. Les coordonnées de cet individu doivent être données à M. Nur au plus tard le 6 février 2019, 17h00, heure de l’Alberta. Le Tribunal précise que ces coordonnées sont divulguées uniquement que pour les fins de ce litige, ne peuvent être utilisées à aucune autre fin et ne peuvent être publiées ou distribuées en aucune circonstance.

V.  Ordonnances

[242]  Pour les motifs précités, le Tribunal accorde en partie la requête de la Commission et ordonne à l’intimée de fournir les documents suivants, au plus tard le 8 février 2019 :

  1. Les politiques et procédures de l’intimée en matière d’accommodement des personnes ayant une déficience, en particulier :
  • a) la version de ces outils en vigueur en 2015; et

  • b) la version actuellement en vigueur;

  1. Les politiques et procédures de l’intimée en matière des droits de la personne et contre la discrimination, en particulier :
  • a) la version de ces outils en vigueur en 2015; et

  • b) la version actuellement en vigueur;

  1. Les politiques et procédures de l’intimée relatives au harcèlement en vigueur en 2015, si cette version de ces outils diffère d’une version en vigueur en 2012, cette dernière ayant déjà été divulguée dans la présente instruction;
  2. Le matériel de formation de l’intimée qui était utilisé en 2015 sur ses sites d’opérations d’Edmonton (Alberta) relativement à sa politique relativement au harcèlement;
  3. Le matériel de formation de l’intimée qui était utilisé en 2015 sur ses sites d’opérations d’Edmonton (Alberta) relativement à ses politiques et procédures en matière des droits de la personne et contre la discrimination ainsi que concernant l’accommodement des personnes ayant une déficience, en particulier :
  • a) la version de ces documents utiliséeen 2015; et

  • b) la version de ces documents actuellement utilisée;

  1. Les dossiers de formation de David Radford, Donna Poburan, Doug Ryhorchuk, Jayson Verbong, et Mary Jane Morrison, jusqu’en date de 2015, relativement à leur participation aux formations sur les politiques et procédures suivantes :
  • a) Politique en matière d’alcool et de drogue en milieu de travail;

  • b) Politique sur l’accommodement des personnes ayant une déficience;

  • c) Politiques en matière des droits de la personne et contre la discrimination

  • d) Politique relative au harcèlement.

[243]  Pour les motifs précités, le Tribunal accorde la requête de M. Nur et ordonne que :

  1. L’intimée recherche, dans ses dossiers des employés ou fonds de renseignements, un individu qui tombe dans les paramètres de recherche suivants :
  • a) Prénom « Neil »;

  • b) Employé par l’intimée comme conducteur en 2015, en particulier en mai et juillet 2015;

  • c) Employé par l’intimée sur les liaisons entre Smith et Peace River (Alberta);

  • d) Qui a participé à une activité de formation au Canad Inn Health Sciences Center à Winnipeg (Manitoba), en novembre 2014.;

  1. Dans le cas où l’intimée est capable d’identifier cet individu suivant la recherche décrite au paragraphe 1 ci-dessus, l’intimée doit fournir à M. Nur, au plus tard le 6 février 2019, 17h00 heure locale (Alberta), les renseignements suivants concernant cet individu :
  • a) Le nom complet de cet individu;

  • b) Les dernières coordonnées connues de cet individu (adresse et numéro de téléphone);

  1. La divulgation des informations décrites au paragraphe 2 ci-dessus est ordonnée strictement aux fins de la présente instruction, et en particulier :
  • a) Les informations ne peuvent être utilisées à aucune autre fin;

  • b) Les informations ne peuvent être publiées ou distribuées en aucune circonstance.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 13 février 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2154/2816

Intitulé de la cause : Mohamed Nur c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 13 février 2019

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Mohamed Nur, pour lui même

Sasha Hart, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Adrian Elmslie et Alison Walsh, pour l'intimée

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