Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien
des droits de la personne

Référence : 2018 TDCP 29

Date : Le 17 octobre 2018

Numéro du dossier : T1509/5510

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Pamela Egan

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence du revenu du Canada

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig



I.  Contexte

[1]  La présente décision porte sur deux demandes présentées par Pamela Egan (la plaignante) dans des lettres distinctes toutes deux datées du 24 août 2018. La première demande vise une suspension de l’instance pour une durée de six mois. La deuxième demande porte sur les directives prononcées par le Tribunal les 7 et 25 avril 2018 afin que les citations à comparaître concernant les dossiers médicaux de la plaignante soient modifiés de manière à ce qu’il soit prévu que les renseignements de nature délicate qui ont trait à des personnes autres que la plaignante (les tiers) soient expurgés, que les renseignements non pertinents concernant la plaignante soient également expurgés et que les fournisseurs de soins de santé de la plaignante disposent d’un délai supplémentaire pour procéder à ces expurgations. La plaignante soutient que le fait de ne pas expurger ces renseignements aura des effets néfastes importants sur sa santé. La plaignante demande en outre que [traduction] « ... le Tribunal statue d’abord sur la demande de suspension de la présente instance, car, si cette demande est accordée, la question de l’expurgation des documents sera reportée ». 

II.  Historique de l’instance

[2]  Le 21 mai 2003, la plaignante a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre l’Agence du revenu du Canada (l’intimée), qui était son employeur. Dans sa plainte, elle soutient avoir fait l’objet de discrimination, car l’intimée n’a pas pris de mesures adaptées à sa déficience visuelle et à ses douleurs chroniques, en contravention des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H‑6 (la Loi). Un résumé des faits de la présente affaire est présenté dans la décision Egan c. Canada (Agence du revenu), 2017 TCDP 33, aux paragraphes 5 à 13.

[3]  L’audience relative à la présente affaire a commencé le 6 novembre 2017, mais, jusqu’à présent, il n’y a eu que quatre jours d’audience au cours desquels le Tribunal a entendu un témoin convoqué par la plaignante. Les deux premiers jours d’audience ont eu lieu les 6 et 7 novembre 2017, et les deux autres les 9 et 10 avril 2018. La plaignante et son conjoint étaient présents lors des deux premiers jours d’audience, mais ils étaient absents les deux autres jours.

III.  Positions des parties et analyse

A.  Demande de suspension de l’instance pour une durée de six mois

[4]  Le début de l’audience, qui a commencé le 6 novembre 2017, a été grandement retardé en raison, notamment, de demandes présentées par la plaignante en vue d’obtenir des ajournements et des prorogations de longue durée, que j’ai accordés, avec le consentement de l’intimée, compte tenu de l’état de santé de la plaignante. Ces ajournements et prorogations ont consisté en deux périodes de six mois, et une de neuf mois, en 2014, en 2015 et en 2016. Pour étayer chacune de ces demandes d’ajournement, dont la présente, la plaignante a produit des lettres provenant de médecins qui l’ont examinée et traitée, et dans lesquelles ceux‑ci attestaient des effets néfastes qu’une comparution à l’audience aurait sur sa santé.

[5]  Dans la présente demande, la psychiatre de la plaignante, la docteure Bigelow, a rédigé une lettre, le 22 juillet 2018, dans laquelle elle se dit favorable à un ajournement de six mois à compter de la date de la lettre, en raison de l’état de santé de la plaignante et du fait que, pour l’heure, une comparution à l’audience risquerait de nuire à la santé de celle‑ci. Le docteur Leggett, le médecin de famille de la plaignante, a également rédigé une brève lettre dans laquelle il souscrit à l’avis de la docteure Bigelow concernant l’ajournement.

[6]  La position de la plaignante est résumée dans les passages suivants, tirés de sa lettre du 24 août 2018 :

[traduction]

a) compte tenu de son état de santé, la plaignante ne peut pas participer à la présente instance ou donner des consignes dans le cadre de celle-ci, d’ici au 31 janvier 2019;

b) la poursuite de l’instance, de quelque façon que ce soit, nuira à la santé de la plaignante, ce qui pourrait notamment prendre la forme d’un suicide, d’un cancer, d’un accident vasculaire cérébral et potentiellement d’autres maladies. Pour appuyer cette demande, nous nous fondons sur la preuve médicale présentée par la psychiatre de la plaignante, la docteure Gayle Bigelow, et sur l’opinion concordante du médecin de famille de Mme Egan, le docteur Peter Leggett.

[…]

Une suspension de l’instance est à la fois raisonnable et nécessaire compte tenu de l’avis des médecins traitants de Mme Egan. Conformément aux vastes pouvoirs discrétionnaires de la Commission, il est dans l’intérêt de la justice que le Tribunal ordonne un arrêt des procédures jusqu’au moins le 31 janvier 2019, pour les raisons suivantes :

i. la poursuite de l’instance à ce moment-ci causerait un préjudice irréparable à la santé et à la sécurité de Mme Egan;

ii. Mme Egan a droit à un processus équitable sur le plan de la procédure, ce qui comprend des mesures adaptées à ses déficiences;

iii. le préjudice causé à l’intimée serait minime et, par conséquent, la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la suspension.

[…]

Par conséquent, nous demandons ce qui suit :

a) que les procédures devant le Tribunal soient arrêtées ou suspendues pendant six mois;

b) que les audiences prévues du 1er au 15 octobre, du 15 au 19 octobre et du 19 au 23 novembre, soient ajournées en conséquence;

c) qu’aucune autre question de procédure ou de fond concernant l’affaire ne soit examinée pendant la période d’arrêt ou de suspension, à moins qu’elle ne soit de nature purement administrative;

d) que les procédures devant le Tribunal reprennent à la fin de la période de six mois, en supposant que l’avis des médecins de Mme Egan le permette (il est fort possible, comme cela s’est déjà produit dans le cadre de la présente instance, que d’autres mesures d’adaptation soient nécessaires après la reprise des procédures, mesures qui pourront être déterminées à ce moment-là).

[…]

Nous soutenons respectueusement qu’il serait déraisonnable de contraindre Mme Egan à participer à une instance si sa capacité de comprendre l’instance et de donner des consignes à son avocat est réduite et qu’il est très probable qu'elle subisse un préjudice. 

[7]  La plaignante fait aussi valoir que, bien qu’une demande de suspension ne soit pas exactement la même chose qu’une demande d’arrêt des procédures, puisqu’elle prévoit poursuivre l’affaire à un moment ultérieur, les principes concernant l’arrêt des procédures s’appliquent également à la présente demande. À l’appui de cette proposition, la plaignante soutient que le Tribunal est maître de sa procédure et qu’il dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire d’ordonner un arrêt ou une suspension des procédures, en vertu du mandat que lui confère l’article 48.9 de la Loi pour instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. La plaignante cite la décision Marshall c. Cerescorp Company, 2011 TCDP 5, que j’ai rendu. Cette affaire portait sur une demande d’ajournement (et non une demande d’arrêt des procédures), que j’ai refusé, en attendant qu’il soit statué sur une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) avait renvoyé l’affaire au Tribunal pour instruction.

[8]  La plaignante cite également la décision Laurent Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2018 TCDP 5 (Duverger), laquelle portait sur une demande d’arrêt des procédures, qui n’a pas été accordée, en attendant l’issue d’un contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission avait renvoyé l’affaire au Tribunal pour instruction. Dans la décision Duverger, le Tribunal a retenu l’approche fondée sur l’intérêt de la justice afin de déterminer s’il y avait lieu d’ordonner un arrêt des procédures. Cette approche repose sur une évaluation générale, au cas par cas, raisonnable et souple des facteurs applicables aux demandes d’arrêt des procédures, notamment les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, la notion de préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients entre les parties et l’intérêt du public à ce que les plaintes en matière de droits de la personne soient instruites rapidement.

[9]  La plaignante soutient que son état de santé et le danger que présente pour sa santé et sa sécurité le fait de comparaître à l’instruction, de présenter des éléments de preuve et des observations ou même de consulter son avocat et lui donner des consignes en cas d’absence, répondent au critère de l’intérêt de la justice et à l’analyse qui en est faite dans la décision Duverger et favorisent l’octroi d’une ordonnance d’arrêt (ou de suspension) des procédures dans la présente affaire. Comme il est mentionné précédemment, la demande de suspension de la plaignante suppose que, outre les questions purement administratives, aucune autre question de procédure ou de fond concernant l’affaire ne peut être soulevée pendant la période de suspension ou d’arrêt des procédures. Ce ne serait pas le cas si un ajournement était accordé pour la même période.

[10]  Compte tenu de la preuve médicale, l’intimée consent à la présente demande, mais, par la même occasion, elle soulève les mêmes préoccupations que lors des ajournements précédents, à savoir que le retard lui porte préjudice, car des témoins et des éléments de preuve, susceptibles d’être pertinents pour sa cause, pourraient ne plus être à sa disposition ultérieurement. En outre, l’intimée est d’avis que le Tribunal devrait se pencher dès maintenant sur la deuxième demande de l’intimée concernant l’expurgation de dossiers médicaux afin d’éviter tout autre retard. Essentiellement, l’intimée consent à ce que l’affaire soit ajournée pour les raisons médicales invoquées par la plaignante, et ce, pour la durée demandée, mais elle ne consent pas à un arrêt des procédures ou à une suspension de l’instance, puisque l’octroi d’une telle ordonnance empêcherait que des questions telles que celles soulevées par la deuxième demande puissent être examinées durant la suspension.

[11]  Dans sa réponse du 21 septembre 2018 aux observations de l’intimée, la plaignante affirme ce qui suit :

[traduction]

Selon la preuve médicale, toute activité dans le cadre de ce dossier aura des effets néfastes sur le bien-être personnel de Mme Egan et, vraisemblablement, sur le bien-être des tiers concernés. Ces effets néfastes seront aggravés si le Tribunal rend une décision établissant un processus par lequel des intervenants comme le Tribunal, l’avocat de la plaignante, l’avocate de l’intimée et d’autres personnes pourraient consulter des dossiers médicaux dans lesquels figurent des renseignements de tiers, dont des renseignements concernant la plaignante en lien avec ces tiers. La consultation de ces renseignements et la possibilité qu’ils puissent être consultés auraient de graves répercussions sur la santé de Mme Egan. Bref, étant donné la nature de la preuve médicale, l’instance doit cesser, dans son intégralité, afin de s’assurer que la plaignante ne subira aucun autre préjudice. Autrement dit, le fait de rendre une décision sur cette question et, par conséquent, d’instaurer un processus à l’égard des citations à comparaître aura des effets néfastes sur la santé et le bien-être de Mme Egan.

B.  Analyse

[12]  Comme il y a entente entre les deux parties, et eu égard à la preuve médicale, j’accorderai la demande d’ajournement de l’instance pour une durée de six mois, soit jusqu’au 31 janvier 2019. Toutefois, pour les raisons qui suivent, je ne suspendrai pas les procédures.

[13]  Je ne suis pas convaincu qu’il soit nécessaire ou souhaitable de suspendre essentiellement toutes les questions, à l’exception des questions administratives, dans la présente affaire pendant la durée de l’ajournement, comme l’a demandé la plaignante. Pour statuer sur la demande de suspension, il est important, comme il ressort de la jurisprudence susmentionnée, de prendre en considération, non seulement l’obligation de traiter rapidement les demandes et d’éviter les retards, mais aussi la preuve médicale et d’autres facteurs pertinents. Il est de la plus haute importance de veiller à ce que, dans une affaire où il y a eu seulement quatre jours d’audience depuis son renvoi au Tribunal en 2012, les deux parties, ainsi que le Tribunal, utilisent efficacement le temps.

[14]  L’essentiel de la preuve démontre que, pour l’heure, la plaignante n’est pas en mesure de participer de façon significative à l’instruction ou de donner des consignes à son avocat. Je ne crois pas que la preuve médicale permette de conclure que le fait de statuer sur la demande d’expurgation des renseignements de tiers présentée par la plaignante nuirait à la santé de celle‑ci, dans la mesure où les questions que soulève une telle demande ont trait à la vie privée des tiers et portent sur la pertinence des renseignements de tiers qui pourraient être communiqués. Ce sont là des questions juridiques qui peuvent être tranchées en l’absence de la plaignante et sans délai supplémentaire. Par ailleurs, la plaignante ne serait pas non plus concernée par le processus de production des dossiers médicaux, car ce sont ses médecins qui sont en possession des dossiers.

C.  Demande de modification des directives prononcées par le Tribunal, les 7 et 25 avril 2018, afin que les citations à comparaître relatives aux dossiers médicaux de la plaignante prévoient l’expurgation des renseignements de nature délicate concernant des tiers

[15]  Les 7 et 25 avril 2018, le Tribunal a donné des directives concernant la délivrance de citations à comparaître demandée par l’intimée à l’égard des dossiers médicaux tenus par différents médecins qui ont examiné et traité la plaignante durant les périodes visées par la présente affaire. Les lettres où figurent ces directives sont reproduites aux annexes 1 et 2 de la présente décision et ne requièrent aucune explication.

[16]  La plaignante demande que ces directives soient modifiées afin de limiter davantage la production et la communication des dossiers médicaux en litige. Elle soutient que bon nombre de ces dossiers médicaux contiennent des renseignements personnels sur elle‑même, sa famille ou ses amis, qui ne concernent aucunement la plainte en matière de droits de la personne. La position de la plaignante est résumée dans les passages suivants tirés de sa lettre du 24 août 2018 :

a)  Les renseignements personnels et les renseignements liés à la santé concernant des tiers relèvent de la conjecture et ne sont pas pertinents en l’espèce;

b)  La communication de renseignements personnels et de renseignements liés à la santé concernant des tiers porterait inutilement atteinte aux droits à la confidentialité et au respect de la vie privée de ces tiers;

c)  L’expurgation de renseignements personnels et de renseignements liés à la santé concernant des tiers est conforme aux directives du Tribunal prononcées les 7 et 25 avril 2018, qui limitent la portée des citations à comparaître concernant les dossiers médicaux de la plaignante. En fait, l’expurgation de renseignements personnels et de renseignements liés à la santé concernant des tiers correspond précisément à la citation à comparaître délivrée par le Tribunal à l’égard de la docteure Walters, qui permet à cette dernière d’expurger les renseignements personnels ou renseignements liés à la santé qui ne sont pas pertinents;

d)  Le fait de ne pas expurger les renseignements, comme il a été demandé, a des répercussions importantes sur la santé de Mme Egan.

[17]  En ce qui a trait au point a), la plaignante soutient que l’intimée ne s’est pas acquittée de son obligation de démontrer que les renseignements personnels et les renseignements liés à la santé concernant des tiers sont vraisemblablement pertinents et nécessaires en l’espèce. La plaignante fait plutôt valoir que la demande en vue d’obtenir les renseignements n’est qu’une recherche à l’aveuglette purement spéculative de la part de l’intimée, qui n’établit pas de lien entre les renseignements demandés et les questions en litige.

[18]  En ce qui a trait au point b), la plaignante soutient que le Tribunal doit soupeser le droit à la vie privée et à la confidentialité des tiers, dont les renseignements liés à la santé ne sont pas visés en l’espèce, au regard du droit de l’intimée d’obtenir des renseignements qui pourraient être pertinents quant à la santé de la plaignante, laquelle est en litige en l’espèce. À ce sujet, la plaignante affirme que [traduction] « [c]omme la protection et la confidentialité des renseignements de tiers l’emportent sur tout lien ténu qui peut être établi entre ces renseignements et les principes de justice naturelle, il est plus approprié que ces renseignements soient expurgés, à la source, par les professionnels de la santé responsables des dossiers » qui ont aussi « ...l’obligation éthique et juridique de protéger le droit à la vie privée et à la confidentialité du patient » et non de « ... causer un préjudice supplémentaire à sa (Mme Egan) santé ».

[19]  En ce qui a trait au point c), la plaignante soutient que les renseignements personnels et les renseignements liés à la santé des tiers ne sont pas visés par les directives données par le Tribunal les 7 et 25 avril 2018, puisque ces directives imposaient déjà certaines limites à la production et à la communication des dossiers médicaux de la plaignante. Par souci de clarté et de cohérence avec les directives, notamment la directive du 25 avril 2018 adressée à la docteure Walters, la plaignante soutient que [traduction] « ...le Tribunal devrait prononcer d’autres directives à l’intention de tous ceux qui fournissent des traitements à la plaignante stipulant que les renseignements personnels et les renseignements liés à la santé de nature délicate concernant des tiers doivent être retirés ».

[20]  En ce qui a trait au point d), la plaignante soutient que la position qu’elle fait valoir n’est pas une manœuvre tactique pour limiter la communication d’éléments de preuve ou compliquer le processus. Il s’agit plutôt d’une tentative légitime d’éviter que la production et la communication de renseignements liés à la santé d’un tiers sans lien avec l’instance n’aient de graves répercussions personnelles, physiques, mentales et autres sur la plaignante et plusieurs autres tiers.

[21]  L’intimée s’oppose à la demande de la plaignante et sa position est exposée dans sa lettre du 24 août 2018, qui peut se résumer comme suit :

1. Le processus de communication établi selon les directives du Tribunal du 7 avril 2018 et du 25 avril 2018 répond aux préoccupations de la plaignante. Le processus par lequel l’accès aux copies non expurgées des dossiers médicaux sera limité à l’avocat de la plaignante et au Tribunal lui-même permet d’établir un juste équilibre entre les préoccupations relatives à la vie privée et l’équité procédurale;

2. Toute autre expurgation pourrait être au détriment de renseignements qui pourraient être pertinents en l’espèce. L’une des questions essentielles dont est saisi le Tribunal en l’espèce est de savoir si les actions de l’intimée ont causé ou aggravé plusieurs troubles psychotraumatiques allégués par la plaignante, dont le syndrome de stress post-traumatique, la dépression et le syndrome de douleur chronique, ou si ces troubles sont attribuables en tout ou en partie à d’autres sources, notamment des tiers. Le lien de causalité est donc un facteur très important dans la détermination de la responsabilité en l’espèce. Les renseignements de tiers qui pourraient être pertinents quant aux allégations formulées par la plaignante devraient être communiqués.

3. Il n’existe aucun fondement juridique justifiant d’expurger des renseignements potentiellement pertinents concernant des tiers.

4. Subsidiairement, l’intimée demande que toute modification permettant l’expurgation de renseignements de tiers se limite au nom des tiers ou aux éléments permettant leur identification.

[22]  La position de l’intimée est aussi précisée dans sa lettre du 14 septembre 2018. L’intimée soutient que la norme relative à la communication de renseignements potentiellement pertinents n’est pas particulièrement élevée. Il ne s’agit pas de se demander si les renseignements sont d’une pertinence « probable », contrairement à ce qu’affirme la plaignante. La preuve médicale présentée par la plaignante à l’appui de la suspension de l’instance dans la présente affaire confirme la pertinence vraisemblable des renseignements de tiers. La plaignante ne peut pas continuer à prétendre que l’intimée doit l’indemniser pour les troubles psychotraumatiques qu’elle lui aurait causés, tout en refusant de communiquer les renseignements médicaux nécessaires à l’établissement d’autres causes possibles.

[23]  L’intimée soutient également que le processus établi par le Tribunal est juste et équilibré et qu’il suit la décision du Tribunal, Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34 (Guay), citée par la plaignante. Dans cette affaire où la portée des expurgations proposées était contestée, l’intimée et le Tribunal ont eu accès aux dossiers médicaux en question avant toute expurgation. Le Tribunal s’est acquitté de sa fonction de surveillance qui lui permet de régler tout différend concernant des renseignements confidentiels.

[24]  Enfin, l’intimée soutient que les expurgations, faites par la docteure Walters conformément à la directive du Tribunal du 25 avril 2018, protègent son droit d’avoir accès à tout document vraisemblablement pertinent qui pourrait permettre de faire ressortir le lien de causalité, le Tribunal ayant précisé que les expurgations ne s’appliquent pas [traduction] « à ces parties des notes cliniques, des documents et des rapports qui expliquent la raison d’être des séances de consultation matrimoniale ». Si la présente demande de la plaignante était acceptée, l’intimée ne bénéficierait pas de cette protection pour obtenir les renseignements de tiers qui pourraient permettre de comprendre le lien de causalité.

[25]  Dans ses réponses des 14 et 21 septembre 2018, la plaignante soutient ce qui suit :

1. Le processus établi par le Tribunal ne tient pas compte de la protection de la vie privée des tiers, lesquels n’ont pas consenti à ce que leurs renseignements personnels soient communiqués à l’avocat de la plaignante et au Tribunal.

2. Il n’y a aucune raison pour que le Tribunal ne suive pas la même approche que celle qui a guidé ses directives à l’intention de la docteure Walters. Un libellé semblable à celui utilisé dans ces directives pourrait être utilisé dans ce cas-ci.

3. Les préoccupations relatives à la protection de la vie privée ne se limitent pas aux dossiers médicaux des docteures Bigelow et Walters, même si les autres médecins dont les dossiers ont fait l’objet d’une citation à comparaître n’ont pas soulevé de préoccupations à ce sujet.

4. La lettre de la docteure Bigelow à l’appui de la demande d’ajournement ne permet pas d’établir que les renseignements concernant des tiers sont potentiellement pertinents puisque cette lettre est rédigée en rapport avec l’état de santé actuel ou récent de la plaignante. Les commentaires de la docteure Bigelow ne portent pas sur des événements qui se sont produits en milieu de travail il y a des années.

D.  Analyse

[26]  J’estime que l’équité procédurale exige que l’intimée ait la possibilité de répondre adéquatement aux allégations de la plaignante, à savoir qu’elle a causé ou aggravé les troubles psychotraumatiques de la plaignante, dont le syndrome de stress post-traumatique, la dépression et la douleur chronique et que, par conséquent, elle est responsable des dommages. Dans la mesure où des notes cliniques, des documents et des rapports concernant la plaignante renferment des renseignements de tiers et font l’objet d’une citation à comparaître conformément aux directives actuelles du Tribunal, j’estime que, selon toute probabilité, ces renseignements sont liés à l’état de santé de la plaignante, puisqu’il ne semblerait y avoir aucune autre raison de les inclure dans des notes, des documents ou des rapports concernant la plaignante. Or, ces renseignements, qui ne sont pas connus de l’intimée, pourraient permettre d’attribuer la cause des troubles psychotraumatiques allégués par la plaignante à des parties autres que l’intimée, ce qui serait vraisemblablement pertinent en l’espèce.

[27]  La question de savoir si les renseignements de tiers sont effectivement pertinents en l’espèce doit aussi être tranchée par le Tribunal conformément à la procédure qu’il a adoptée dans ses directives, laquelle est conforme à la procédure établie dans la décision Guay, citée par les deux parties. À mon avis, cette procédure assure aux parties une protection adéquate, raisonnable et équitable en ce qui a trait aux questions de vie privée, d’une part, tout en permettant d’être en mesure de répondre équitablement aux allégations, d’autre part. Ainsi, seul l’avocat de la plaignante et le Tribunal pourront examiner d’abord les documents non expurgés pour déterminer s’il y a lieu de proposer l’expurgation de renseignements non pertinents. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’intimée pourra contester les expurgations proposées, en se fondant sur une description générale des expurgations fournie par le Tribunal, sans toutefois examiner les renseignements. En définitive, si les parties ne parviennent pas à régler la question, le Tribunal décidera si, compte tenu de la pertinence des renseignements pour la présente instance, les expurgations proposées sont appropriées. Cela dit, le Tribunal est d’accord pour que les médecins expurgent le nom et l’adresse des tiers figurant dans les notes, documents et rapports qui font l’objet d’une citation à comparaître et qui n’ont pas encore été remis à l’avocat de la plaignante et au Tribunal.

[28]  De plus, afin de mieux protéger le droit à la vie privée lorsque les circonstances le justifient, les parties peuvent également s’adresser au Tribunal en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité à l’égard des renseignements produits et communiqués dans la présente affaire.

IV.  Ordonnances

[29]  Pour les motifs qui précèdent, les ordonnances suivantes sont prononcées :

a)  La présente affaire est ajournée jusqu’au 31 janvier 2019 et, par la suite, une conférence téléphonique de gestion d’instance aura lieu à une date qui convient aux deux parties, en février 2019, pour déterminer si et quand l’audience relative à la présente affaire peut reprendre.

b)  Aucune modification ne sera apportée aux directives actuelles du Tribunal reproduites aux annexes 1 et 2 de la présente décision. Par contre, l’intimée doit informer les docteurs Bigelow, Leggett et Walters et Sharmila Kulkarni qu’ils doivent expurger des notes, documents et rapports qui font l’objet d’une citation à comparaître le nom et l’adresse des tiers, et que le Tribunal leur a également ordonné de transmettre, au plus tard le 16 novembre 2018 les notes, documents et rapports qui font l’objet d’une citation à comparaître à l’avocat de la plaignante et au Tribunal.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 17 octobre 2018


Annexe 1


Annexe 2

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1509/5510

Intitulé de la cause : Pamela Egan c. Agence du revenu du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 17 octobre 2018

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

Observations écrites par :

David Yazbeck , pour la plaignante

Gillian Patterson et Laura Tausky , pour l’intimée

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