Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP  23

Date : le 25 juillet 2018

Numéro du dossier : T1727/8211

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Diane Carolyn Emmett

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence du revenu du Canada

l'intimée

Décision

Membre : Susheel Gupta

 


Table des matières

I. Contexte  1

II. L’historique de l’instance  2

III. Les faits  4

A. Les études de Mme Emmett et ses antécédents professionnels à l’ARC  4

B. La dotation en personnel de direction à l’ARC  7

IV. Les questions en litige  8

V. Quelques questions préliminaires  8

A. L’écoulement du temps/le retard  9

B. La partie manquante dans l’enregistrement du témoignage de M. Troy  12

C. La portée de la plainte  12

VI. Les principes de droit applicables  14

A. L’article 7 de la Loi  14

B. L’article 10 de la Loi  19

C. La discrimination composée  21

D. La démarche holistique du Tribunal  22

VII. Les témoins  22

VIII. La position des parties et l’analyse connexe  27

A. La plaignante s’est-elle acquittée de son fardeau d’établir l’existence d’une discrimination systémique fondée sur le motif illicite qu’est le sexe, au sens de l’article 10 de la Loi?  27

(i) La culture, le comportement et l’expertise trans-organisationnelle  28

(ii) Le Cadre stratégique pour l’effectif de la direction  31

(iii) Le processus de sélection  33

a) Le « champion » de l’équité en matière d’emploi  33

b) La planification de la relève, la gestion de la région et le Comité de gestion de l’Agence  34

c) Les entrevues, les contrôles de références, la « bonne personne pour le poste » et la sélection finale  37

(iv) Les affectations intérimaires  42

(v) Les données statistiques  45

a) Le groupe de la direction  45

b) L’équité en matière d’emploi  50

c) Les groupes autres que celui de la direction  53

(vi) Conclusion  55

B. La plaignante s’est-elle acquittée du fardeau d’établir l’existence d’une discrimination systémique fondée sur le motif illicite qu’est l’âge, au sens de l’article 10 de la Loi?  57

(i) Le processus de sélection  58

(ii) La politique des modalités de travail flexible d’avant-retraite  59

(iii) La culture et le comportement  61

(iv) Les données statistiques  63

(v) Conclusion  64

C. La plaignante s’est-elle acquittée du fardeau d’établir l’existence d’une discrimination systémique fondée sur les motifs combinés que sont le sexe et l’âge, au sens de l’article 10 de la Loi?  65

D. La plaignante a-t-elle été victime de discrimination de la part de l’intimée pour un motif fondé sur le sexe ou l’âge, ce qui est contraire à l’article 7 de la Loi?  65

(i) Le poste de directeur intérimaire de 1999 (BSFTN)  66

(ii) Le poste de directeur intérimaire de 2000 (BSFTE)  68

(iii) Le poste de directeur intérimaire de 2001 (BSFTC)  69

(iv) Le poste de directeur intérimaire de 2001 (BSFTE)  71

(v) La mutation latérale / La possibilité de mutation à un poste de directeur de 2002 (BSFTE)  72

(vi) Les mutations d’autres cadres en 2003 et 2004  74

(vii) Le poste de directeur intérimaire de 2003 (BSFTN)  75

(viii) Le concours relatif au poste de directeur de 2004 (BSFTC)  76

(ix) Le poste de directeur intérimaire de 2004 (BSFTE)  78

(x) Le concours relatif au poste de directeur de 2004 – Mutation latérale (BSFTE) 80

(xi) Les postes intérimaires de courte durée de 2004 à 2006  84

(xii) Le poste de directeur intérimaire de 2006 (BSFTN)  85

(xiii) Le concours relatif à deux postes de directeur de 2006 (BSFTN et BSFTO) 87

E. Conclusion  91

 


I.  Contexte

[1]  La présente instruction a pour objet de décider si la plaignante, Mme Diane Emmett, a été victime de discrimination fondée sur le sexe ou sur l’âge de la part de son employeur, l’Agence du revenu du Canada (ARC), relativement à des lignes de conduite fixées par l’ARC (art. 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi ou la LCDP)) ou en cours d’emploi (art. 7 de la Loi).

[2]  Mme Emmett a travaillé à l’ARC de 1981 à 2011, année où elle a pris sa retraite. Elle aspirait à devenir directrice d’un bureau des services fiscaux (BSF) dans la région du Grand Toronto (RGT), un fait qui, en soi, paraît être un défi de taille pour quiconque, étant donné qu’à l’époque en cause, on ne comptait que quatre postes de directeur de BSF dans la RGT : trois au niveau EX-03 et un au niveau EX-02. Pour atteindre cet objectif en tant qu’EX‑02, elle avait fait part de son intérêt à être affectée à titre intérimaire à des postes de niveau EX-03 et avait présenté sa candidature dans le cadre de divers processus de sélection menant à un poste de directeur de BSF.

[3]  Mme Emmett soutient qu’à part une seule affectation intérimaire, l’ARC n’a pas tenu compte de sa candidature pour diverses possibilités d’emploi à titre de directeur de BSF, privilégiant plutôt des collègues masculins, qui n’étaient pas meilleurs qu’elle, sinon moins bien qualifiés. Pour ce qui était des possibilités d’emploi pour lesquelles on avait retenu la candidature d’une femme, Mme Emmett soutient que c’était parce que celle-ci était plus jeune qu’elle. Elle prétend que le traitement qu’elle a subi était le reflet d’une pratique de plus grande ampleur au sein de l’ARC, qui consistait à refuser systématiquement des possibilités d’emploi au niveau de la direction à des femmes ou à des personnes âgées de plus de 50 ans, surtout dans la région du Sud de l’Ontario (RSO) et ensuite, après 2006, dans la région de l’Ontario (RO), quand la région du Nord de l’Ontario (RNO) a fusionné avec la RSO en vue de former la RO.

[4]  Nul ne conteste que, d’une part, le sexe et l’âge sont des caractéristiques que la Loi protège contre toute discrimination et que Mme Emmett présente ces caractéristiques et que, d’autre part, celle-ci n’a pas eu accès aux possibilités d’emploi qui sont en litige. La seule question que le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) doit encore trancher consiste à savoir si le sexe ou l’âge de Mme Emmett ont été un facteur dans le fait qu’elle a été privée des possibilités d’emploi qui sont ici en cause.

[5]  Les renseignements relatifs à l’identité des employés actuels et anciens de l’intimée qui n’ont aucun lien avec la plainte ont été anonymisés, conformément à l’ordonnance de confidentialité qui a été rendue dans la décision Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2013 TCDP 12 [Emmett 2013]. Seuls les noms des personnes qui ont témoigné à l’audience sont mentionnés dans la présente décision.

[6]  Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.

II.  L’historique de l’instance

[7]  Le Tribunal est saisi de la présente affaire depuis un temps exceptionnellement long. Quand on m’a confié ce dossier à la suite du décès de l’ancien membre instructeur Bélanger, j’ai travaillé sans cesse avec les parties pour m’assurer que, après un examen minutieux du dossier de l’affaire, le Tribunal rendrait une décision finale le plus rapidement possible, conformément aux obligations que la Loi lui impose (par. 48.9(1)).

[8]  Le membre instructeur Bélanger a présidé un nombre approximatif de 52 jours d’audience en personne. Plus de 85 pièces ont été déposées, totalisant plus de 7 319 pages de documentation.

[9]  La plaignante a déposé ses observations finales écrites (totalisant 123 pages) le 31 mars 2015. L’intimée a déposé des observations finales exhaustives (plus de 200 pages) le 22 juin 2015. La plaignante a déposé une réponse (de plus de 160 pages) le 25 août 2015.

[10]  Malheureusement, le membre instructeur Bélanger est décédé le 27 novembre 2015, avant la conclusion de l’affaire. Peu après ce décès, le président du Tribunal a communiqué avec les parties pour discuter de la manière de procéder, et on m’a par la suite chargé de mener l’instruction à son terme.

[11]  Après une série de conférences téléphoniques de gestion d’instance (CTGI), les parties ont convenu qu’il ne serait pas nécessaire de procéder à une nouvelle audition de la preuve et que l’affaire devrait se poursuivre en prenant pour base le dossier existant. Elles ont également convenu que ce dossier comprendrait : tous les témoignages présentés à l’audience, la totalité des éléments de preuve (pièces) présentés antérieurement au cours de l’audience, de même que la totalité des observations orales et écrites présentées jusque‑là. De plus, mon examen de la preuve serait fondé à la fois sur les transcriptions écrites et sur les enregistrements audio de l’audience. Il y a eu une seule exception au sujet de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve concernant la déposition de M. Gerald Troy, qui, malheureusement, n’avait pas été captée par le logiciel d’enregistrement audio lorsqu’il avait témoigné devant le membre instructeur Bélanger. Les parties ont convenu d’autoriser M. Troy à témoigner devant moi de façon à ce que je puisse entendre ce qu’il avait à dire dans le cadre de mon examen de l’affaire.

[12]  J’ai également autorisé les parties à déposer des observations finales modifiées afin de pouvoir rectifier des incohérences dans leurs renvois aux notes en bas de page. De plus, comme l’ancien membre instructeur n’avait pas ordonné la production des transcriptions, j’ai ordonné que l’on produise les transcriptions de l’instance tout entière et qu’on les fournisse aux parties en vue de les aider, et ce, sans frais.

[13]  Les parties ont convenu que si j’avais des questions à poser, s’il me fallait des éclaircissements ou si j’avais besoin d’autres observations au moment d’effectuer mon examen de la preuve, je les contacterais par écrit ou je tiendrais une CTGI.

[14]  Les parties ont convenu de fournir d’autres déclarations préliminaires (un « survol » de l’affaire) avant que je commence mon audition et que j’examine avec soin la totalité des éléments de preuve. Ce survol a eu lieu le 7 octobre 2016. À cette occasion, les parties ont pu faire ressortir les principaux points de leurs dossiers respectifs avant que je commence à passer en revue le dossier de l’affaire et que j’entende la totalité de la preuve déposée au cours de l’audience. Les parties ont convenu que je les contacte conjointement si j’avais besoin d’autres observations orales finales de leur part après mon examen du dossier.

[15]  Après avoir examiné le dossier, un travail qui a consisté à examiner les pièces, à écouter les enregistrements audio, à lire les transcriptions et à parcourir attentivement les observations finales écrites et les addendas déposés par les parties, j’ai envoyé une lettre à ces dernières le 24 mai 2018. Dans cette lettre, je les ai remerciées de leurs observations écrites approfondies et détaillées. J’ai également fait savoir qu’il n’était pas nécessaire de produire d’autres observations orales. Les parties n’ont pas communiqué avec le Tribunal pour formuler des objections quelconques à l’égard du fait que je me prononcerais sur le fond de la plainte sans avoir entendu d’observations finales orales.

III.  Les faits

A.  Les études de Mme Emmett et ses antécédents professionnels à l’ARC

[16]  Mme Emmett a obtenu un baccalauréat ès arts avec spécialisation en économie en 1974, ainsi qu’une maîtrise ès arts en 1978. Elle a également suivi des cours de comptabilité, qui lui auraient permis de passer des examens écrits en vue de l’obtention d’un titre en comptabilité.

[17]  Mme Emmett a été embauchée par l’ARC en 1981 à titre de vérificatrice fiscale de niveau AU‑01, à Hamilton. À la suite d’un concours, elle a été promue à un poste de vérificatrice fiscale de niveau AU‑02 en 1982, à Hamilton. En 1986, Mme Emmett s’est présentée à un concours, et a été jugée qualifiée, pour un poste de gestionnaire intérimaire de la vérification de niveau AU‑03, toujours à Hamilton. Cette affectation intérimaire a duré du mois de mars au mois de septembre 1986. Cette même année, Mme Emmett a été jugée qualifiée pour prendre part à un Programme d’avancement professionnel (PAP), lequel aidait des employés prometteurs à orienter leur carrière vers des postes de cadre supérieur. La participation à ce programme lui a donné accès à diverses affectations stimulantes à l’ARC, et ce, à plusieurs endroits, notamment à St. Catharines et à Ottawa. Elle a terminé avec succès le PAP en novembre 1988 et elle a réintégré le poste permanent de gestionnaire de la vérification de niveau AU-03 qu’elle occupait à Hamilton. Mme Emmett a participé à un concours relatif à un poste de gestionnaire de district de niveau AU‑04 en 1990 et elle a été promue à ce poste. Peu après, ce poste a été reclassé au niveau EX‑01. Mme Emmett a participé à un concours et a été promue avec succès au poste de directeur de niveau EX-01, à Hamilton, en juillet 1992.

[18]  Dans l’intervalle, d’importants changements d’ordre structurel sont survenus dans ce qui constitue aujourd’hui l’ARC entre le milieu des années 1990 et l’année 2003. À l’origine, cette entité, qui portait le nom de ministère du Revenu national (MRN), comptait deux sous‑ministres et deux directions générales opérationnelles agissant de manière indépendante. Il s’agissait, m’a-t-on décrit, d’Impôt MRN, qui relevait de l’une de ces directions générales, et de Douanes et Accise MRN, qui relevait de l’autre. Les Douanes fonctionnaient séparément de l’Accise.

[19]  Le processus de restructuration/fusionnement de ces deux directions générales en une seule organisation, placée sous la direction d’un seul sous-ministre, a été appelé « unification administrative ». Ce processus s’est soldé par la restructuration des bureaux géographiques, par une réduction des postes de cadre supérieur et intermédiaire ainsi que par la combinaison de fonctions organisationnelles.

[20]  Le processus d’unification a occasionné des difficultés pour ce qui était de regrouper des cultures de travail différentes et de trouver de nouveaux postes pour certains employés. L’unification a aussi apporté des changements sur le plan du leadership, sur celui des besoins de la haute direction ainsi que sur celui de l’exécution du mandat de l’organisation. De nombreux employés ont été déplacés pendant que l’on structurait et que l’on mettait sur pied la nouvelle organisation. Après tout cela, en 2003, la Direction générale des douanes (aujourd’hui l’Agence des services frontaliers du Canada, ou l’ASFC) a été détachée pour devenir une agence distincte. Mme Ruby Howard, qui était à l’époque sous-ministre adjointe par intérim, a déclaré que de nombreux cadres se sentaient mal à l’aise face au changement car ils avaient le sentiment de devenir de « petits » poissons dans un grand aquarium, alors qu’ils étaient auparavant de « gros » poissons dans un petit aquarium.

[21]  Après l’unification, on a considéré à quelques reprises que Mme Emmett était une cadre « excédentaire ». Son poste a été éliminé et elle a été mutée à un autre, lequel a lui aussi été éliminé par la suite.

[22]  L’élimination de certains postes s’est également accompagnée de la création de nouveaux postes. Selon le témoignage de Mme Gloria Reid, ancienne directrice de BSF, à la suite de l’unification administrative, l’ARC a sollicité des déclarations d’intérêt à l’égard de dix-sept postes de niveau EX-01 nouvellement créés dans la RSO. Mme Reid a déclaré que Mme Emmett n’a fait part de son intérêt qu’à l’égard de trois des dix-sept postes annoncés. Elle n’a présenté sa candidature que pour des postes faisant partie du secteur du programme de vérification dans la RGT, à l’exception du poste annoncé dans le BSF de Toronto-Est (BSFTE). En contre-interrogatoire, Mme Emmett a déclaré qu’elle n’avait pas fait part de son intérêt à l’égard du poste du BSFTE parce qu’elle ne voulait pas faire la navette entre son domicile et ce bureau.

[23]  Mme Emmett a finalement été déployée, sans concours, au poste de directrice adjointe de la vérification et de l’exécution (DAVE), au niveau EX-01, au Bureau des services fiscaux de Toronto-Nord (BSFTN) le 3 juin 1996. Ce poste a plus tard été reclassé au niveau EX‑02 en 1998. Mme Emmett est demeurée pour l’essentiel à ce poste jusqu’à ce qu’elle prenne sa retraite, le 7 septembre 2011.

[24]  Mme Emmett allègue que, pendant ce temps, elle a été privée de plusieurs affectations intérimaires, d’une nomination consécutive à une mutation latérale ainsi que de promotions à des postes de directeur, et ce, pour cause de discrimination fondée sur le sexe ou sur l’âge.

[25]  Mme Emmett a toutefois été affectée, à plusieurs reprises et sans concours, à des fonctions intérimaires de courte durée, à titre de directrice du BSFTN. En 2003, elle a obtenu une affectation de plus longue durée à titre de directrice EX-03 par intérim, au même bureau, soit pour une période de trois mois et demi.

[26]  En 2009, Mme Emmett a quitté le lieu de travail et n’a pas travaillé pendant plus de deux ans en raison d’une affection non divulguée. Elle a présenté plus tard, en mai 2011, sa lettre de démission, qui faisait part de sa décision de prendre sa retraite.

B.  La dotation en personnel de direction à l’ARC

[27]  À l’audience, Mme Carolyn Wlotzki, qui travaillait aux Ressources humaines à l’ARC, a déclaré qu’après que le secteur des douanes soit devenu une agence à part entière en 2003, l’ARC comptait à son service environ 40 000 employés. À peu près 470 de ces derniers se situaient au niveau de la direction (et représentaient environ 1 % de l’effectif total de l’ARC d’un bout à l’autre du pays). Ce nombre a fluctué à la longue en raison des constants changements et mouvements au sein de l’organisation.

[28]  Mme Wlotzki a aussi déclaré, sans être contredite, que :

  • les cadres sont une ressource nationale [1] ;
  • dans tout le Canada, il y avait environ 51 BSF et centres fiscaux;
  • il y avait environ 16 BSF dans toute l’Ontario, dont quatre étaient – et sont toujours – situés dans la RGT;
  • la RO employait plus de 13 000 personnes, dont 88 environ au niveau de la direction;
  • dans la RO, il y avait 18 postes EX-02, 5 postes EX-03, 1 poste EX-04 et 1 poste EX-05;
  • il y avait seulement 4 postes de directeur de BSF dans la RGT :
    • les postes de directeur du BSFTN, du BSF de Toronto-Centre (BSFTC) et du BSF de Toronto-Ouest (BSFTO) se situaient au niveau EX-03;
    • le poste de directeur du BSFTE était classé au niveau EX-02 à l’époque en cause.

[29]  De plus, la Section des ressources humaines de l’ARC fournissait aux cadres des services d’orientation professionnelle. Ceux-ci pouvaient aussi se prévaloir des services d’orientation que fournissait la Commission de la fonction publique dans des secteurs tels que la préparation à des entrevues et les mesures d’encadrement connexes (appelés « services de coaching »). De plus, ils pouvaient s’inscrire à des activités de formation auprès de fournisseurs gouvernementaux et de fournisseurs externes.

[30]  On a laissé entendre à Mme Emmett que Mme Howard était en mesure de lui fournir des services de « coaching », car Mme Howard était devenue conseillère auprès des cadres de direction à l’ARC après avoir pris sa retraite en mars 2003. M. Troy était entré en contact avec Mme Howard pour le compte de Mme Emmett afin de savoir si elle pouvait fournir ses services de conseillère à Mme Emmett. Mme Howard avait convenu de travailler avec Mme Emmett à ce titre, mais cette dernière avait refusé son offre.

IV.  Les questions en litige

[31]  À mon avis, les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

  1. La plaignante s'est-elle acquittée de son fardeau d'établir l'existence d'une discrimination systémique fondée sur le motif illicite qu’est le sexe, au sens de l'article 10 de la Loi?
  2. La plaignante s’est-elle acquittée du fardeau d’établir l’existence d’une discrimination systémique fondée sur le motif illicite qu’est l’âge, au sens de l’article 10 de la Loi?
  3. La plaignante s’est-elle acquittée du fardeau d’établir l’existence d’une discrimination systémique fondée sur les motifs combinés que sont le sexe et l’âge, au sens de l’article 10 de la Loi?
  4. La plaignante a-t-elle été victime de discrimination de la part de l’intimée pour un motif fondé sur le sexe ou l’âge, ce qui contrevient à l’article 7 de la Loi?

V.  Quelques questions préliminaires

[32]  Avant d’analyser le fond de la plainte, le Tribunal traitera de certaines questions préliminaires.

A.  L’écoulement du temps/le retard

[33]  Le Tribunal est bien conscient qu’il s’est écoulé un temps considérable depuis que le premier acte discriminatoire allégué a eu lieu, en 1999.

[34]  La plaignante a tout d’abord déposé sa plainte auprès de la Commission en juin 2007, au sujet d’une période distincte en 2006. À la suite d’une enquête que la Commission a menée pendant quatre ans, la portée de l’instruction a été nettement élargie de façon à englober une conduite qui se serait déroulée entre le 22 février 1999 et le 6 septembre 2006. L’affaire a été déférée au Tribunal pour instruction en 2011.

[35]  L’écoulement du temps a créé en l’espèce un certain nombre de difficultés sur le plan de la preuve. Une bonne part, sinon la majeure partie, de la documentation portant sur les processus de dotation en personnel de direction, sur les occasions d’emploi annoncées, sur les demandes d’emploi ainsi que sur les dossiers de concours qui sont en litige a été détruite, conformément à la politique de conservation des documents de l’ARC, et ce, avant même que la Commission soit saisie de la plainte.

[36]  Mme Wlotzki a déclaré en fait que les seuls dossiers de sélection qui existent sont les concours relatifs au BSFTN de 2006 et au BSFTO de 2006. Des preuves concernant le processus de mutation latérale ont également été déposées auprès du Tribunal.

[37]  Mme Wlotzki a déclaré que tous les dossiers de nomination intérimaire qui sont en litige ont eux aussi été détruits, conformément à la politique de conservation de l’ARC. Mme Emmett remet en question le fait de savoir s’il y a déjà eu des dossiers de nomination intérimaire, mais aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que de tels documents étaient bel et bien accessibles ou qu’on avait empêché la plaignante d’y avoir accès.

[38]  Dans la version modifiée de ses observations finales écrites, l’ARC soutient que le délai de quinze ans qui s’est écoulé, entre le tout premier acte discriminatoire allégué et le premier jour de l’audition de la plainte, l’empêche de présenter une défense pleine et entière. Cela est essentiellement attribuable au fait que les documents pertinents ont été en bonne partie détruits, conformément aux politiques de l’ARC en matière de conservation de documents.

[39]  Mme Emmett a reconnu à l’audience qu’elle avait commencé à réunir sélectivement de nombreux documents depuis 1996 de façon à pouvoir documenter les situations qu’elle considérait comme discriminatoires à son égard. Certains des documents qu’elle avait réunis se présentaient sous la forme d’annonces de mesures de dotation en personnel, de listes de membres de comité, d’organigrammes, de rapports organisationnels, de bulletins internes à l’intention des employés, ainsi que d’un certain nombre d’autres documents.

[40]  L’ARC demande au Tribunal d’accorder plus d’importance aux quelques documents qu’elle est parvenue à extraire de ses fichiers électroniques en lien avec les processus de dotation en personnel, de pair avec la déposition de témoins qui ont pris directement part au processus décisionnel.

[41]  L’intimée fait également valoir que le Tribunal ne devrait accorder aucun poids aux courriels et aux annonces d’affectation intérimaire que la plaignante a déposés en preuve car ce ne sont pas des documents officiels et ils ne contiennent pas de justifications quant aux décisions qui ont été prises; il s’agit simplement d’annonces. Le Tribunal signale que l’intimée ne conteste pas l’authenticité de ces documents. La question est de savoir si l’on devrait se fier à ces documents, en soi et comme le prétend Mme Emmett, pour expliquer les raisons pour lesquelles l’ARC a porté son choix sur un candidat en particulier plutôt que sur les autres. Mme Emmett soutient que les annonces devraient se passer d’explications et qu’il faudrait accorder peu de poids aux explications des témoins car il pourrait s’agir de fausses explications fournies après le fait.

[42]  Je conviens avec l’intimée qu’il y a lieu d’accorder plus de poids aux documents qu’elle a déposés au sujet des processus de dotation en personnel, de pair avec la déposition de ses témoins qui ont pris directement part à ces processus et qui étaient au fait des circonstances, qu’à la manière dont la plaignante interprète les faits. Les décideurs ou les personnes qui ont pris directement part aux processus de nomination intérimaire et de dotation en personnel sont mieux placés pour expliquer le fondement des décisions qui ont été prises en matière de dotation en personnel.

[43]  Il serait malvenu pour le Tribunal de se fier à l’interprétation que fait Mme Emmett des annonces car, en tant que tierce partie aux processus de nomination et de dotation en personnel, son interprétation de la preuve est, dans le meilleur des cas, conjecturale. À l’audience, Mme Emmett a reconnu qu’elle n’avait pas pris part au processus décisionnel et qu’elle ignorait si des entrevues avaient eu lieu, s’il y avait eu des demandes de mesures d’accommodement, si d’autres femmes ou employés plus âgés que l’employé retenu avaient été pris en considération ou s’il y avait des raisons précises pour lesquelles une personne avait été choisie plutôt qu’une autre. De plus, je souscris à la déclaration de Mme Howard selon laquelle, dans une annonce relative à une mesure de dotation en personnel, l’intimée ne décrirait jamais les diverses difficultés qu’un bureau rencontrait ou les raisons et les discussions entourant le choix d’un employé particulier en vue de répondre à ces difficultés.

[44]  Je conclus toutefois que les annonces, qui ont été créées par l’ARC, sont tout de même utiles pour confirmer la déposition des témoins. Je leur accorderai donc un certain poids. Cependant, à moins d’une indication contraire, le Tribunal accordera davantage de poids à la déposition des témoins ayant pris part aux processus d’affectation intérimaire et de dotation en personnel en cas de divergences entre leur déposition et celle de Mme Emmett.

[45]  En dernier lieu, bien que la plaignante conteste la prétention de l’ARC selon laquelle une bonne partie de la documentation a été détruite et qu’elle soutienne que l’ARC a délibérément refusé de communiquer des documents à l’audience, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu de douter de la validité de la politique de conservation des documents de l’ARC. De plus, on ne m’a fourni aucune preuve convaincante démontrant que l’ARC avait délibérément refusé de communiquer des documents. Je suis d’avis que l’intimée a expliqué de manière raisonnable comment elle a pu produire des documents qui semblaient dater de la période dans laquelle des documents avaient été détruits, notamment que ces documents avaient été trouvés ailleurs, comme dans un système de courrier électronique d’un employé ou dans d’autres systèmes de transmission électronique. À notre époque, où l’on transmet et où l’on stocke des documents par voie électronique, il n’est pas rare de trouver des copies dans de multiples endroits.

B.  La partie manquante dans l’enregistrement du témoignage de M. Troy

[46]  Le 16 décembre 2016, le Tribunal a informé les parties qu’il y avait une partie d’une durée d’une heure environ du témoignage que M. Troy avait fait en réinterrogatoire, au cours de l’après-midi du 8 décembre 2016, que le dispositif d’enregistrement audio n’avait pas capté. À la suite de préoccupations soulevées par la plaignante, les parties ont présenté des observations écrites dans lesquelles la plaignante allègue que l’absence de cette partie pourrait lui porter préjudice dans le cadre d’un [traduction] « éventuel contrôle judiciaire de la décision du Tribunal ». Elle demande que l’on intervienne pour remédier à cette lacune. Elle concède toutefois que la partie manquante en question ne crée aucun préjudice quant à la [traduction] « capacité du Tribunal de rendre une décision ». L’intimée soutient dans sa réponse que la plaignante n’a démontré l’existence d’aucun préjudice dans la présente instance du fait de cette partie manquante.

[47]  Étant donné que j’ai personnellement présidé l’audience du 8 décembre 2016, et comme je l’ai fait savoir aux parties au moment pertinent, j’ai entendu directement la déposition de M. Troy, et j’ai foi en ma compréhension et en mon souvenir de sa déposition. Comme le droit qu’a la plaignante à ce que le décideur entende la totalité de la preuve a été respecté, je conclus qu’elle n’a pas établi que la partie manquante dans l’enregistrement audio lui a causé préjudice. Il n’est donc pas nécessaire que je prenne une mesure de réparation quelconque. Toute contradiction ou divergence de fait concernant la déposition du témoin qui serait importante pour la plainte sera analysée plus en détail ci‑après.

C.  La portée de la plainte

[48]  Malgré la décision sur requête antérieure du membre instructeur Bélanger (Emmett 2013), Mme Emmett soutient dans la version modifiée de ses observations finales écrites que le Tribunal se doit de conclure que l’ARC s’est livrée à une pratique discriminatoire à l’encontre de femmes occupant des postes autres que ceux du groupe de la direction, et surtout à l’encontre des femmes faisant partie du groupe AU. Conformément à la décision antérieure du Tribunal dans la présente affaire, je conclus que l’instruction n’englobe pas la prétendue discrimination exercée contre des femmes occupant des postes autres que ceux du groupe de la direction.

[49]  Le membre instructeur Bélanger a déclaré ceci dans la décision Emmett 2013 :

[30] Comme cette déclaration le montre, la sous-représentation des femmes à l’ARC n’est pas le fondement des allégations de discrimination systémique de la plaignante. Il s’agit plutôt des « […] attitudes enracinées et des obstacles culturels qui ont établi le stéréotype négatif [qui a] empêché les femmes du domaine de la vérification d’avancer à des postes de direction importants dans l’organisation de l’ARC » qui servent de fondement aux allégations de discrimination systémique de la plaignante. La plaignante utilise les renseignements statistiques au sujet du fait que les vérificatrices ont toujours été sous-représentées à l’ARC, que ce soit dans le groupe Direction ou dans d’autres groupes professionnels, comme preuve à l’appui de ses allégations de discrimination systémique. La question de savoir si cette preuve appuie les allégations de la plaignante ou établit une preuve prima facie de discrimination sera tranchée après l’audition de la plainte.

[31] […] À mon avis, l’intimée ne subit aucun préjudice du fait que la plaignante présente des renseignements statistiques au sujet de la sous-représentation des femmes dans d’autres groupes professionnels à l’ARC à l’appui de ses allégations de discrimination systémique.

[50]  Contrairement aux affirmations de Mme Emmett, les passages précités ne reconnaissent pas que la plainte comporte des allégations de discrimination systémique dans des groupes autres que celui de la direction. Il m’apparaît clairement que le Tribunal a fait droit aux allégations de la plaignante à l’égard des obstacles comportementaux et culturels ainsi que des renseignements statistiques concernant les femmes présentes dans des groupes professionnels autres que celui de la direction à titre d’appui à ses allégations quant à l’exercice d’une discrimination systémique au sein du groupe de la direction. En fait, la seule allusion que fait Mme Emmett à d’autres groupes dans sa plainte initiale est là où elle fait référence à un [traduction] « stéréotype négatif selon lequel les femmes ayant une expérience de la vérification sont moins en mesure d’occuper les postes du niveau supérieur dans les organisations locales ». Il serait donc malvenu pour le Tribunal d’étendre la portée de la plainte de manière à ce que celle-ci englobe des allégations de discrimination systémique à l’égard des méthodes de dotation en personnel employées dans des groupes autres que celui de la direction, ce qui inclut les vérificateurs, à un stade si avancé de l’instruction.

VI.  Les principes de droit applicables

A.  L’article 7 de la Loi

[51]  Aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de défavoriser un employé.

[52]  On a fait couler bien de l’encre en tentant d’expliquer le fardeau qui pèse sur les épaules des plaignants. Le Tribunal estime qu’il est nécessaire d’expliquer ce fardeau plus en détail dans l’intérêt des parties, dans l’espoir de clarifier davantage ce secteur du droit.

[53]  Premièrement, le Tribunal souscrit aux raisons qu’a adoptées le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique pour s’abstenir de décrire le fardeau de preuve d’un plaignant comme étant un fardeau « prima facie ». Nous adoptons la même pratique, et ce, pour les mêmes raisons que celles qui ont été énoncées aux paragraphes 48 à 50 de la décision Vik c. Finamore (No. 2), 2018 BCHRT 9 :

[traduction
[48]  J’ouvre ici une parenthèse pour faire une remarque de nature linguistique. À mon avis, l’expression « discrimination prima facie » n’est pas utile et elle est, dans certains cas, susceptible de créer fondamentalement de fausses idées à propos du droit de la discrimination. Premièrement, les expressions latines qui décrivent des critères juridiques éloignent le droit des personnes que celui-ci est censé servir. En l’absence d’une formation juridique spécialisée, les mots « prima facie » ont peu de chance d’être très significatifs pour la majorité des personnes qui s’efforcent de comprendre leurs droits et de se conformer aux obligations que la loi leur impose. En tant que décideurs, nous devrions nous efforcer de rendre nos décisions compréhensibles et de nous exprimer le plus clairement possible de manière à atteindre cet objectif. L’emploi du latin n’est pas utile à cette fin.

[49]  Deuxièmement, l’emploi du terme « discrimination » à ce stade est trompeur. Les participants, à juste titre, peuvent penser qu’une conclusion de discrimination prima facie est la même chose qu’une conclusion de discrimination. Aux yeux des plaignants, il est dans ce cas difficile de comprendre comment un intimé pourrait justifier la discrimination. Les intimés, pour leur part, se retrouvent coupables d’avoir agi de manière discriminatoire avant d’avoir eu la possibilité de justifier leur comportement. En fait, il ne peut être conclu à une discrimination qu’après l’analyse de la discrimination prima facie et de la justification, si l’on en invoque une. S’il existe une justification, il n’y a pas de discrimination : Moore, au par. 33. À mon avis, il est peu utile d’introduire le terme chargé de valeur qu’est « discrimination » avant que l’on ait effectué l’analyse tout entière.

[50]  L’importance du critère prima facie de discrimination est qu’il décrit le fardeau de preuve que supporte le plaignant dans le cadre de l’analyse de la discrimination. Cette notion peut être décrite et, à mon avis, devrait être décrite, en des termes nettement plus simples – par exemple, en disant simplement « la preuve du plaignant ». Une telle façon de faire pourrait rapprocher légèrement le Code de la notion d’une « loi pour le peuple » : Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14 (CanLII), au paragraphe 33.

[54]  La preuve d’un plaignant est « celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en [sa] faveur » (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, 1985 CanLII 18 (CSC), au par. 28 [arrêt O’Malley]).

[55]  Pour que Mme Emmett puisse satisfaire aux exigences de sa preuve, il lui faut démontrer : 1) qu’elle présente une ou plusieurs caractéristiques que la Loi protège contre toute discrimination, 2) qu’elle a subi un effet préjudiciable et 3) que la ou les caractéristiques protégées ont constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (voir Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33 [Moore]).

[56]  Le Tribunal signale que la plaignante se fonde sur la décision Shakes v. Rex Pak Ltd., (1982), 3 CHRR D/1001 [Shakes] et il aimerait faire les commentaires suivants. Selon cette décision, la preuve d’un plaignant est démontrée quand : 1) le plaignant était qualifié pour l’emploi en question, 2) le plaignant n’a pas été embauché et 3) une personne moins qualifiée que le plaignant mais dénuée de la caractéristique distinctive, qui constitue le fondement de la plainte de discrimination, a obtenu par la suite le poste.

[57]  Il est bien établi que ce cadre sert uniquement de guide et qu’il ne faudrait pas l’appliquer de manière stricte ou arbitraire dans toutes les affaires d’embauche (Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au par. 77 [Bay Ferries]; voir aussi O’Bomsawin c. Conseil des Abénakis d’Odanak, 2017 TCDP 4, aux par. 46 à 48).

[58]  En fin de compte, la question que le Tribunal doit trancher consiste à savoir si la plaignante s’est acquittée de son fardeau d’établir que son sexe ou son âge ont constitué un facteur dans la décision de l’ARC de ne pas lui accorder les occasions de dotation en personnel qui sont en litige. Le cadre énoncé dans la décision Shakes est utile pour rendre cette décision, mais il n’a pas force exécutoire. Pour trancher cette question, j’ai pris en compte la totalité des éléments de preuves que les parties ont produite, y compris les éléments liés au critère énoncé dans la décision Shakes.

[59]  Les trois éléments du critère énoncé dans l’arrêt Moore doivent être établis selon la prépondérance des probabilités (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au par. 56 [Bombardier]). Par ailleurs, « même circonstancielle, une preuve de discrimination doit néanmoins présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée » (arrêt Bombardier, au par. 88).

[60]  Mme Emmett se fonde sur l’arrêt Bay Ferries à l’appui de son argument selon lequel le Tribunal ne peut prendre en compte l’explication d’un intimé pour déterminer si un plaignant a établi le bien-fondé de sa preuve (arrêt Bay Ferries, aux par. 18 et 22). En effet, se fondant sur l’arrêt O’Malley, la Cour d’appel fédérale a conclu que le Tribunal avait commis une erreur en tenant compte de la réponse de l’intimé avant de conclure que la preuve du plaignant n’avait pas été établie (arrêt Bay Ferries, au par. 22).

[61]  Toutefois, depuis l’arrêt Bay Ferries, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Bombardier, dans lequel elle a clarifié le fardeau de preuve que supporte le plaignant dans une affaire de discrimination et a expliqué qu’un tribunal est tenu de prendre en considération la preuve dans son intégralité, y compris celle de l’intimé, pour décider si un plaignant a établi le bien-fondé de ses arguments. Au vu de la décision rendue dans l’arrêt Bombardier, il est évident aux yeux du Tribunal que le fardeau, tel qu’énoncé dans l’arrêt O’Malley, a été mal interprété pendant un certain nombre d’années (voir l’arrêt Bombardier, aux par. 55 à 59). La Cour suprême a expliqué que, dans le contexte de la discrimination, « l’expression prima facie ou “à première vue” ne renvoie qu’au premier volet de la démarche à suivre et ne modifie aucunement le degré de preuve applicable » (au par. 59). Par ailleurs, elle a expliqué :

[64] […] l’utilisation de l’expression « discrimination prima facie » s’explique tout simplement en raison de l’analyse à deux volets des plaintes de discrimination fondées sur la Charte. En effet, cette expression vise seulement les trois éléments dont la partie demanderesse doit faire la preuve dans le cadre du premier volet. En l’absence de justification établie par le défendeur, la présentation d’une preuve prépondérante à l’égard de ces trois éléments sera suffisante pour permettre au tribunal de conclure à la violation de l’art. 10 de la Charte. Par ailleurs, si le défendeur parvient à justifier sa décision ou sa conduite, il n’y aura pas de violation, et ce, même en présence de discrimination prima facie. Concrètement, cela signifie que le défendeur peut présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination, ou les deux.

[Non souligné dans l’original.]

[62]  Il ressort clairement du passage précité que la Cour suprême a rejeté l’interprétation étroite du fardeau de preuve requis que la Cour d’appel fédérale a imputée à l’arrêt O’Malley dans l’arrêt Bay Ferries. L’explication de la Cour suprême indique clairement aussi que le fardeau du plaignant n’est pas « à première vue » et qu’il ne comporte donc rien de « prima facie ». C’est là une autre raison pour éviter de qualifier la preuve du plaignant de preuve « prima facie ».

[63]  Selon le Tribunal, les directives qu’a données la Cour suprême dans l’arrêt Bombardier signifient qu’il peut conclure qu’un plaignant n’a pas établi le bien-fondé de sa preuve si : 1) en l’absence d’une réponse de l’intimé, il n’a pas produit d’éléments permettant de s’acquitter de son fardeau ou 2) l’intimé a été en mesure de produire une preuve contraire (voir aussi Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 3e éd. (LexisNexis, 2009), aux p. 101 à 105; ainsi que Peel Law Association c. Pieters, 2013 ONCA 396, aux par. 63 à 77).

[64]  Je suis également d’avis que le fait de permettre à la partie intimée de présenter des éléments de preuve contredisant la preuve de discrimination du plaignant au premier stade de l’analyse de la discrimination concorde avec le texte et l’esprit de la LCDP, ainsi qu’avec les principes que la Cour suprême a formulés dans l’arrêt Bombardier.

[65]  Même si l’arrêt Bombardier a expliqué la notion de la preuve du plaignant dans le contexte de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, CQLR c C‑12 (Charte du Québec), je crois que les directives de la Cour suprême s’appliquent tout autant au Tribunal canadien des droits de la personne.

[66]  À cet égard, le Tribunal signale les directives que la Cour suprême a données dans l’arrêt British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62 [Schrenk], qui rappelle aux tribunaux des droits de la personne que lorsqu’ils interprètent leur loi habilitante d’une manière conforme au principe moderne de l’interprétation législative et des règles propres aux lois relatives aux droits de la personne, ils ne doivent pas faire abstraction du texte ou de l’esprit de la loi elle-même (arrêt Schrenk, aux par. 29 à 32).

[67]  En fait, à l’instar de la Charte du Québec, la LCDP envisage elle aussi un critère à deux volets pour les plaintes de discrimination. Une fois qu’un plaignant s’est acquitté du fardeau que lui impose le premier volet du critère, l’intimé peut décider de justifier sa ou ses pratiques au regard de l’article 15 de la Loi. La LCDP ne dit également rien à propos du degré de preuve dont un plaignant doit s’acquitter pour établir le bien-fondé de sa prétention, ce qui dénote que la norme à appliquer est la norme de preuve civile (c’est-à-dire, la preuve selon la prépondérance des probabilités). Le Tribunal ne voit donc aucune raison de s’écarter des enseignements de la Cour suprême au sujet du fardeau de preuve du plaignant, tels qu’elle les a énoncés dans l’arrêt Bombardier.

[68]  L’arrêt Bombardier a été publié après le dépôt des observations des parties, mais je suis d’avis que l’éclaircissement de la Cour suprême n’a aucune incidence que ce soit sur les arguments respectifs des parties ou sur le fardeau de preuve qui pèse sur les épaules de la plaignante. Au lieu de traiter isolément les observations des parties au sujet de la discrimination, je me suis fondé sur l’arrêt Bombardier pour considérer comme un ensemble les observations des parties au moment d’évaluer si la plaignante s’était acquittée de son fardeau.

B.  L’article 10 de la Loi

[69]  La différence entre les plaintes déposées en vertu de l’article 7 et de l’article 10 de la Loi est le nombre de personnes touchées (arrêt Moore, au par. 58).

[70]  La discrimination est dite systémique quand un employeur fixe ou applique des lignes de conduite qui sont susceptibles d’annihiler les chances d’emploi d’un individu ou d’une catégorie d’individus si l’acte en question est fondé sur un motif de distinction illicite (art. 10 de la Loi).

[71]  En l’espèce, la plaignante est tenue d’établir, selon la prépondérance des probabilités, une preuve digne de foi que l’ARC a fixé ou applique des lignes de conduite qui sont susceptibles d’annihiler les chances d’emploi de femmes ou d’individus âgés de plus de 50 ans (Walden c. Canada (Développement social), 2007 TCDP 56, au par. 7; Gravel c. Commission de la fonction publique du Canada, 2010 TCDP 3, au par. 226; Gaz métropolitain inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011 QCCA 1201, au par. 38 [Gaz métro QCCA]).

[72]  Dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 RCS 1114, 1987 CanLII 109 (CSC) [Action Travail], la Cour suprême a défini ce qu’est la discrimination systémique en ces termes, à la page 1139 du recueil :

[L]a discrimination systémique en matière d'emploi, c'est la discrimination qui résulte simplement de l'application des méthodes établies de recrutement, d'embauche et de promotion, dont ni l'une ni l'autre n'a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination est alors renforcée par l'exclusion même du groupe désavantagé, du fait que l'exclusion favorise la conviction, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe, qu'elle résulte de forces « naturelles », par exemple que les femmes « ne peuvent tout simplement pas faire le travail » (voir le rapport Abella, aux pp. 9 et 10).

[73]  Récemment, dans la décision Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz métropolitain inc., 2008 QCTDP 24 [Gaz métro QCTDP], conf. par 2011 QCCA 1201, le Tribunal des droits de la personne du Québec a défini la discrimination systémique comme suit :

[36] […] la somme d'effets d'exclusion disproportionnés qui résultent de l'effet conjugué d'attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l'interdiction de la discrimination.

[74]  La discrimination systémique est caractérisée par « les effets disproportionnés d'exclusion découlant de politiques et de pratiques institutionnelles de recrutement, d'embauche et de promotion généralement neutres en apparence » (décision Gaz métro QCTDP, au par. 72). Les conséquences des politiques ou des pratiques elles-mêmes peuvent être une preuve de discrimination systémique (arrêt Gaz Métro QCCA, au par. 38). Une preuve de discrimination systémique peut aussi être éclairée et confirmée par divers facteurs, tels que « des politiques institutionnelles, des processus décisionnels, des comportements et des attitudes » (décision Gaz métro QCTDP, au par. 67). Souvent, ces facteurs paraissent anodins. Toutefois, s’il est démontré que ces facteurs, une fois combinés, sont susceptibles d’annihiler les chances d’emploi d’un individu ou d’une catégorie d’individus en raison d’un acte fondé sur un motif de distinction illicite, cela justifie une conclusion de discrimination systémique (voir, par exemple, la décision Gaz métro QCTDP, au par. 67; voir aussi la décision Radek c. Henderson Development (Canada) and Securiguard Services (No. 3), 2005 BCHRT 302, au par. 513).

[75]  Le Tribunal signale que la plaignante se fonde sur de vastes données statistiques à l’appui de ses allégations de discrimination. Il est important de rappeler que la preuve d’un plaignant ne peut être établie en se fondant seulement sur des données statistiques (Canada (Procureur général) c. Walden, 2010 CF 490, aux par. 109 à 112 [Walden 2010]).

[76]  Des données statistiques ne sont même pas essentielles pour prouver l’existence d’une discrimination systémique (décision Gaz métro QCTDP, au par. 67). Cependant, il va sans dire qu’elles peuvent être utiles dans les affaires relatives aux droits de la personne. Comme l’a réitéré l’honorable juge MacTavish, dans la décision Walden 2010 :

[114] […] [Les données statistiques] peuvent constituer une preuve circonstancielle d’où l’on pourra déduire un comportement discriminatoire : voir paragraphe 21, citant la décision Blake c. Minister of Correctional Services (1984), 5 C.H.R.R. D/2417 (Ont.), où l’on citait aussi la décision Davis c. Califano, 613 F. 2d 957 (1979), à la page 962.

[115] Les données statistiques peuvent aussi être un moyen fort utile de placer dans leur juste perspective des pratiques d’emploi apparemment inoffensives [références omises].

[Non souligné dans l’original.]

[77]  Cela dit, pour que des données statistiques constituent une preuve circonstancielle de discrimination, il faut qu’elles aient un lien direct avec la décision qui constitue l’objet de la plainte (voir Blake c. Mimico Correctional Institute (1984), (1984) 5 CHRR, D/2417 [Blake]; Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (2001), [2001] CHRD No 20, aux par. 208 à 212, 2001 CanLII 8492 (TCDP) [Chopra]; Dhanjal c. Air Canada (1996), 1996 CanLII 2385 (TCDP), au par. 36 [Dhanjal]). Il faut également que les données soient à la fois fiables et pertinentes (Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, au par. 29).

C.  La discrimination composée

[78]  Aux termes de l’article 3.1 de la Loi, « les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite ou l’effet combiné de plusieurs motifs ».

[79]  Mme Emmett soutient que le Tribunal devrait appliquer cet article aux faits propres à sa cause en vue d’étayer une conclusion de discrimination composée fondée sur les motifs illicites que sont à la fois le sexe et l’âge.

[80]  Le Tribunal a récemment expliqué l’application de l’article 3.1 de la Loi dans la décision M. X c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2018 TCDP 11. Dans cette dernière, la membre instructrice Luftig a expliqué que « [c]et article peut être invoqué par les plaignants dans des cas où ils ne sont peut-être pas en mesure de satisfaire au critère relatif à une preuve prima facie de discrimination en se basant sur un seul motif » (au par. 296). Elle a de plus expliqué que cette disposition a pour but d’aider le Tribunal à évaluer les formes subtiles de discrimination d’une manière à la fois holistique et souple (au par. 296; voir aussi Turner c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, aux par. 48 et 49).

D.  La démarche holistique du Tribunal

[81]  De façon générale, l’alinéa 10a) de la Loi interdit à un employeur d’appliquer des lignes de conduite discriminatoires. Dans le contexte de l’emploi, des actes individuels de présumée discrimination sont interdits par l’article 7 de la Loi. Le Tribunal est toutefois guidé par les enseignements de la Cour suprême, qui expliquent qu’il n’est ni nécessaire ni conceptuellement utile de scinder la discrimination en ces deux catégories distinctes; l’analyse a trait à la question de savoir s’il y a discrimination, un point c’est tout (arrêt Moore, aux par. 58 et 60).

[82]  Des décisions rendues dans le contexte des droits de la personne enseignent que nous devrions prendre en compte des preuves de discrimination systémique en vue d’étayer une conclusion de discrimination selon l’article 7 de la Loi (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 1998 CanLII 7740 (CF), au par. 22, 146 FTR 106 [Chopra CF]; Khiamal c. Canada (Commission des droits de la personne), 2009 CF 495, aux par. 98 à 102). À l’inverse, et conformément à ce que la Cour suprême enseigne dans l’arrêt Moore, j’ai également pris en compte les allégations que Mme Emmett a formulées au sujet de ses motifs individuels de discrimination dans le cadre de mon évaluation des allégations relatives à la discrimination systémique.

VII.  Les témoins

[83]  Plusieurs des témoins de l’intimée ont parlé de manière cohérente du programme de dotation en personnel de direction de l’ARC. Le Tribunal conclut que ces témoins étaient parfaitement au courant de cet aspect. Par exemple, Mme Wlotzki avait 27 années d’expérience de travail dans le domaine des ressources humaines. Elle avait passé douze années à s’occuper expressément d’activités de ressourcement relatives aux cadres pour le compte de l’ARC. Au moment où elle a témoigné, elle exerçait les fonctions de directrice générale par intérim des Programmes et services relatifs au personnel de direction. J’ai conclu que Mme Wlotzki s’est exprimée de manière cohérente, qu’elle connaissait parfaitement son sujet et qu’elle était demeurée inébranlable lors de son témoignage.

[84]  D’anciens commissaires adjoints, Mme Ruby Howard (1999-2003) et M. Lawrence Hillier (2003-2008), ont également témoigné de manière précise sur des décisions relatives à la dotation de postes de directeur de BSF dans la RSO/RO. Le commissaire adjoint était celui qui, à l’ARC, occupait le rang le plus élevé dans la RSO/RO. Tant Mme Howard que M. Hillier avaient pour responsabilité d’approuver les postes de directeur intérimaire ou de les recommander. Mme Howard avait une connaissance directe des changements organisationnels que l’ARC avait connus, elle avait une expérience de la dotation en personnel de direction et elle avait pris directement part à certaines des décisions en matière de dotation qui étaient en litige en l’espèce. Elle a témoigné de manière cohérente et non évasive et n’a pas semblé faire preuve de sélectivité dans sa déposition.

[85]  M. Hillier était au courant d’un certain nombre de questions relatives à la dotation en personnel ou aux ressources humaines. Il avait pris directement part à un certain nombre de décisions en matière de dotation qui étaient en litige en l’espèce et il s’était également occupé de questions relatives à la planification de la relève et à la haute direction. Il s’est exprimé de manière franche et avait un bon souvenir de divers faits et de diverses décisions.

[86]  M. Troy avait été le supérieur immédiat de Mme Emmett pendant une bonne partie de la période visée par la plainte de cette dernière. Il avait de ce fait une connaissance et une expérience directes des rapports de travail avec Mme Emmett. Il était également directement impliqué dans un certain nombre des incidents qui sont en litige dans la présente plainte. J’ai conclu qu’il a témoigné de manière sincère et confiante. Cela étant, j’accorde un poids considérable à son témoignage, compte tenu surtout du souvenir qu’il avait de divers faits concernant Mme Emmett.

[87]  Mme Barb Hébert avait pris sa retraite de la fonction publique à l’époque où elle a témoigné. Elle exerçait  les fonctions de sous-commissaire adjointe dans la RSO, soit le deuxième poste en importance dans cette région, quand elle était partie pour devenir vice‑présidente de l’ASFC en 2003. Mme Hébert a notamment parlé de son expérience en tant que cadre féminin à l’ARC, de son expérience à l’égard des questions d’âge et des décisions de l’ARC, ainsi que des mesures qu’elle avait prises pour l’aider à gravir les échelons au sein de l’organisation. J’ai conclu que Mme Hébert a témoigné de manière sincère et cohérente.

[88]  Mme Alice Shields a entrepris sa carrière à l’ARC en 1974. Elle a occupé divers postes de directrice au cours de sa carrière et a pris sa retraite en 2006, après 32 années de service. Elle a notamment témoigné sur son avancement professionnel, sur son expérience à l’égard des questions d’âge, sur les femmes à l’ARC et sur les rapports qu’elle avait eus avec Mme Emmett. Mme Shields a témoigné de manière directe et sensible.

[89]  Mme Reid a travaillé à l’ARC pendant 26 ans, de 1972 à 1998, année où elle a quitté l’Agence pour poursuivre sa carrière au Fonds monétaire international (FMI). Quand elle a pris sa retraite de l’ARC, elle occupait le poste de directrice du BSFTC. Mme Reid a notamment témoigné sur sa progression au sein de l’ARC, sur son expérience de travail avec Mme Emmett, sur la question de savoir s’il y avait des problèmes pour les femmes à l’ARC, ainsi que sur le souvenir qu’elle avait de conversations entretenues entre Mme Howard et elle à propos de Mme Emmett. Mme Reid s’est exprimée avec confiance lors de son témoignage, qui concordait avec celui des autres témoins de l’intimée. J’ai conclu qu’elle était un témoin digne de foi et fiable.

[90]  Diane Desrochers a entrepris sa carrière à l’ARC en 1971 et, au moment où elle a témoigné, elle était au service de l’ARC depuis 41 ans. Partie d’un poste de sténographe, elle a gravi les échelons pour atteindre des postes d’un niveau progressivement supérieur. En 1998, elle a commencé à travailler à la Division de l’équité en matière d’emploi de l’ARC. Bien qu’elle n’ait jamais été qualifiée à titre d’experte, Mme Desrochers avait près d’une vingtaine d’années d’expérience sur le plan de l’équité en matière d’emploi au moment où elle a témoigné. Elle avait suivi une vaste formation dans le domaine de l’équité en matière d’emploi, et avait été chargée du programme relatif aux femmes de la Division de l’équité en matière d’emploi de l’ARC entre les années 1998 et 2011. Mme Desrochers a fourni de nombreuses preuves sur des statistiques liées à divers documents gouvernementaux portant sur les groupes d’équité en matière d’emploi et sur la manière dont il fallait – ou non – interpréter ces données. Mme Desrochers n’avait jamais rencontré Mme Emmett ou ne s’était jamais occupée des questions de dotation en personnel qui étaient soulevées en l’espèce. J’accorde un poids considérable au témoignage de Mme Desrochers car elle a paru s’exprimer avec sincérité, elle était très bien informée et directe et elle a témoigné avec confiance et sans fléchir.

[91]  Deborah Danis était la directrice du BSFTN lorsqu’elle a comparu devant le Tribunal. Elle a commencé sa carrière en 1980. Elle a notamment témoigné sur l’avancement de sa carrière à l’ARC, sur son expérience quant à la manière dont les possibilités de travail par intérim étaient attribuées à l’ARC, sur des questions relatives à la dotation en personnel et aux ressources humaines, sur plusieurs concours qui étaient en litige en l’espèce, ainsi que sur son expérience quant à la façon dont l’ARC traitait le sexe et l’âge des employés. Mme Danis s’est exprimée de manière sincère et j’ai conclu que son témoignage était digne de foi.

[92]  Karen Ellis a été la commissaire adjointe de la RO de l’ARC de 2008 à 2011, après avoir succédé à M. Hillier. Mme Emmett relevait de Mme Ellis lorsqu’elle exerçait les fonctions de directrice intérimaire du BSFTN. Mme Ellis a parlé de son expérience de travail avec Mme Emmett. Son témoignage a été très détaillé. Elle a répondu de manière assurée, ainsi qu’avec confiance et méticulosité. J’ai trouvé que son témoignage était digne de foi et qu’il concordait avec les autres.

[93]  De plus, le témoignage de toutes ces personnes était cohérent, et il était étayé par des pièces que les parties, dans de nombreux cas, avaient déposées en preuve.

[94]  Mme Emmett a été la seule personne à témoigner pour son compte. Elle avait acquis une certaine expérience en matière de ressources humaines à titre de directrice adjointe, mais le Tribunal est d’avis que son expérience n’était pas aussi étendue ou approfondie que celle que détenaient Mme Wlotzki et Mme Desrochers en matière de ressources humaines. Pendant toute la durée de l’audience, il est devenu évident qu’un grand nombre des allégations de Mme Emmett ne reposaient pas sur des faits, mais plutôt sur de simples affirmations. Par ailleurs, cette dernière a parfois témoigné de manière sélective ou trompeuse. Par exemple, elle a affirmé et a déclaré lors de son interrogatoire principal que le Comité de planification de la relève (CPR) était formé d’hommes seulement. En contre‑interrogatoire, elle a reconnu que Mme Howard siégeait à ce comité et elle a ensuite changé sa déposition, indiquant qu’elle avait voulu dire que seuls des directeurs masculins siégeaient au CPR.

[95]  J’ai conclu que Mme Emmett a été très sélective quant aux documents sur lesquels elle accepterait de témoigner. Par exemple, dans les cas où elle voulait déposer un document dont elle n’était pas l’auteure, elle n’avait rien contre le fait de témoigner. Cependant, chaque fois que l’ARC lui avait posé des questions sur un document dont elle n’était pas l’auteure, elle avait refusé d’en parler. De plus, à de nombreuses occasions, le témoignage de Mme Emmett sur certains sujets changeait, selon que cela était avantageux pour elle ou pas. Par exemple, elle a déclaré que, à l’époque où elle était directrice adjointe, si son directeur avait besoin de quelqu’un à titre intérimaire, l’option la plus raisonnable était qu’elle se voit confier l’affectation intérimaire. Elle a déclaré que lorsque des situations semblables se présentaient dans d’autres bureaux, alors que de telles décisions étaient prises, il était déraisonnable de choisir le directeur adjoint de ce bureau pour agir à titre intérimaire et que c’était plutôt elle qu’il aurait fallu choisir. Dans d’autres cas, lorsqu’on lui a demandé si un certain collègue était bien respecté, elle a répondu qu’elle ne le savait pas, même si elle avait passé sa carrière à l’ARC et qu’elle connaissait ces collègues depuis de nombreuses années, des collègues avec lesquels elle soutenait avoir établi des réseaux et collaboré.

[96]  Dans ce contexte, compte tenu du témoignage cohérent des témoins de l’intimée, de leur vaste expérience sur le plan des ressources humaines à l’ARC et de leur participation directe aux processus de dotation en personnel qui sont en litige, sauf indication contraire, s’il existe des contradictions dans les preuves que la plaignante et l’intimée ont fournies au sujet des processus de sélection et de nomination intérimaire concernant les membres du personnel de direction de l’ARC, le Tribunal accorde plus de poids à ce qu’ont déclaré les témoins de l’intimée.

VIII.  La position des parties et l’analyse connexe

A.  La plaignante s’est-elle acquittée de son fardeau d’établir l’existence d’une discrimination systémique fondée sur le motif illicite qu’est le sexe, au sens de l’article 10 de la Loi?

[97]  Sous cette rubrique, le Tribunal évaluera la prétention de Mme Emmett selon laquelle c’était presque exclusivement des hommes qui occupaient les postes de direction à l’ARC et, surtout, dans la RSO/RO où elle travaillait.

[98]  En bref, la plaignante soutient que les méthodes de dotation en personnel de l’ARC, notamment les concours menant à une promotion et le processus de nomination des titulaires d’une affectation intérimaire, avaient une incidence disproportionnellement négative sur les possibilités d’avancement des membres féminins du personnel de direction, [traduction] « surtout dans la RSO/RO aux échelons supérieurs de l’organisation, c.‑à-d. les postes de directeur de BSF, de directeur organisationnel et de directeur adjoint ».

[99]  Mme Emmett a également déposé des preuves statistiques et organisationnelles qui, soutient-elle, dénotent l’exercice d’une discrimination systémique fondée sur le sexe. Elle a également déposé des preuves qui démontraient censément la sous-représentation des femmes dans ce que sont, allègue-t-elle, les [traduction] « principaux groupes professionnels » autres que celui de la direction. De plus, elle soutient que l’ARC, une fois unifiée, a adopté la culture et le comportement de l’ancienne Direction générale de l’impôt MRN qui, allègue-t-elle, n’était pas en faveur de l’avancement professionnel de femmes à des postes de direction. Elle soutient que ces facteurs l’ont touchée personnellement en l’empêchant d’être promue au poste de directrice de BSF.

[100]  L’intimée, pour sa part, soutient que le succès avec lequel elle a rehaussé la représentation des femmes au sein du groupe de la direction témoigne du caractère non discriminatoire de ses processus de dotation en personnel et de nomination intérimaire. Elle soutient que cette preuve, de pair avec les dépositions des témoins, démontre qu’il ne régnait pas à l’ARC une culture du type « club réservé aux hommes ». Elle ajoute qu’il n’y a rien d’erroné dans le fait de recourir à des critères subjectifs pour évaluer des candidats. Par ailleurs, allègue-t-elle, les données statistiques ne font état que d’un degré de disparité relativement minime, ce qui n’est pas suffisant pour constituer une preuve convaincante de discrimination systémique.

[101]  Pour ce qui est de la représentation des femmes dans des groupes autres que celui de la direction, l’intimée soutient que Mme Emmett ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve car elle n’a fait ressortir l’existence d’aucune politique ou pratique discriminatoire.

[102]  Pour les raisons qui suivent, le Tribunal conclut que le processus de dotation en personnel de direction de l’ARC aurait pu être plus transparent, mais la plaignante n’a pas établi que les politiques ou les pratiques de l’ARC en matière de dotation en personnel étaient susceptibles de priver les femmes de possibilités d’emploi au sein du groupe de la direction.

(i)  La culture, le comportement et l’expertise trans-organisationnelle

[103]  Mme Emmett affirme que l’ARC avait une culture du type « club réservé aux hommes », qui s’est poursuivie après l’unification administrative. À la suite d’un examen des éléments de preuve, le Tribunal conclut que Mme Emmett a fourni fort peu de preuves, sinon aucune, pour démontrer que la Direction générale de l’impôt était empreinte d’une telle culture. Par ailleurs, Mme Emmett n’a pas appelé d’autres témoins en vue d’attester de la culture de l’organisation et du fait de savoir si celle-ci avait un parti pris ou exerçait de la discrimination à l’encontre des femmes.

[104]  L’un des quelques exemples que Mme Emmett a fournis est son témoignage selon lequel, en 1996, en parlant de possibilités de déploiement avec sa directrice, Mme Reid, celle-ci lui avait dit que Mme Howard avait suggéré que Mme Emmett sollicite un déploiement au BSFTE car il s’agissait d’un bureau de plus petite taille et qu’il lui serait plus facile de gérer les hommes qui s’y trouvaient. Lors de leurs interrogatoires principaux respectifs, tant Mme Reid que Mme Howard ont nié que de tels commentaires avaient été prononcés. Je conclus que les témoignages de Mme Howard et de Mme Reid sur le sujet étaient sincères. Je signale également que Mme Emmett a eu la possibilité de contre-interroger ces témoins sur le présumé incident ainsi que sur les circonstances connexes, mais qu’elle a décidé de ne pas le faire.

[105]  Je signale de plus que Mme Howard a déclaré qu’elle avait peut-être employé l’expression « club réservé aux hommes » en faisant référence à ce qu’on lui avait dit quand elle s’était jointe à l’organisation, c’est-à-dire en 1990. Son directeur adjoint lui avait dit que l’organisation se développait de l’intérieur et que de nombreux employés croyaient que s’ils conservaient un poste assez longtemps, ils graviraient les échelons. Son directeur adjoint de l’époque voulait qu’il y ait des changements afin de garantir qu’il y ait des déplacements. Mme Howard a déclaré qu’elle n’était d’accord avec aucune affirmation selon laquelle il existait un « club réservé aux hommes » pendant la période visée par la présente plainte.

[106]  D’après la preuve de l’intimée, l’unification administrative a nettement transformé la culture de l’organisation. Comme il a été souligné plus tôt, l’accroissement de la taille de l’organisation s’est accompagné d’un nombre accru de possibilités d’avancement pour les femmes. Mme Danis a déclaré qu’avant l’unification, l’ARC embauchait les cadres au sein de leur sphère de compétences ou de programmes. Plusieurs témoins ont déclaré qu’à la suite de l’unification administrative, on a remis l’accent sur le fait de sélectionner, pour les postes de direction, des candidats qui avaient de l’expérience en matière de leadership et de gestion. L’organisation ne cherchait plus à promouvoir les employés au sein de leur sphère de compétences ou de programmes. Comme il n’y avait qu’une seule « pyramide » de cadres dans la nouvelle organisation après l’unification administrative, on disposait d’un bassin plus vaste de cadres potentiels que l’on pouvait prendre en considération. L’unification a mené à un changement de culture axé sur des ensembles de compétences différents, des ensembles de compétences que l’on acquérait et que l’on perfectionnait surtout en travaillant dans des rôles différents au sein de l’organisation, grâce à des possibilités de travail latérales et trans-organisationnelles. Mme Reid a fait écho à ce sentiment dans son témoignage et a ajouté que l’unification administrative avait permis à un certain nombre de femmes n’ayant aucune expérience en vérification ou en fiscalité d’accéder à un poste de directeur au sein de la nouvelle organisation.

[107]  Cela dit, plusieurs témoins ont déclaré que d’après ce qu’ils avaient observé et les rapports de travail qu’ils avaient eus avec Mme Emmett pendant ce temps, celle-ci avait de la difficulté à s’adapter aux changements dus à l’unification et à la nouvelle façon de mener les activités, et cela incluait ce qui était important sur le plan des processus de sélection et des promotions.

[108]  L’ARC a aussi démontré qu’il existait un certain nombre de programmes de perfectionnement, qu’elle-même avait créés ou auxquels elle participait, dont le PAP, le Programme de perfectionnement des cadres supérieurs (PPCS) ainsi que le Programme de perfectionnement accéléré des cadres supérieurs (PPACS). Il existait d’autres programmes qui aidaient des membres de groupes autres que celui de la direction à atteindre des échelons supérieurs au sein de l’organisation. Les données statistiques démontrent que pendant de nombreuses années, il y avait eu plus de femmes que d’hommes dans certains de ces programmes, tandis que dans d’autres années, il n’y avait pas eu d’écarts marqués sur le plan de la représentation entre les hommes et les femmes. Le Tribunal signale que Mme Emmett a décidé de ne pas s’inscrire au PPCS ou au PPACS. Elle a déclaré qu’elle ne s’était inscrite à aucun de ces deux programmes de perfectionnement parce qu’il y avait une forte possibilité que les participants soient réinstallés d’un bout à l’autre du pays, ce qu’elle n’était pas prête à faire.

[109]  Un certain nombre de témoins féminins ont déclaré que ces programmes avaient été fort utiles pour leur avancement professionnel. De plus, ces programmes avaient aidé les femmes en leur offrant un large éventail d’activités dans toute l’organisation et en leur donnant accès à des affectations dans des secteurs fonctionnels différents de l’ARC. Mme Danis a déclaré que quand le PPCS a commencé, l’ARC a voulu s’assurer que la représentation des femmes au sein de l’effectif était liée à la disponibilité sur le marché du travail (DMT) et que, de ce fait, on s’était efforcé d’assurer la représentation des deux sexes dans ce programme.

[110]  Un grand nombre des témoins féminins ont parlé des activités de mentorat et de soutien dont elles avaient bénéficié de la part de diverses personnes à l’ARC, à des échelons supérieurs. Ces témoins ont attribué l’avancement fructueux de leur carrière aux activités de mentorat et de soutien dont elles avaient bénéficié de la part de leurs collègues. M. Hillier a déclaré que, pendant son mandat, il s’était efforcé d’améliorer l’équilibre entre les deux sexes à l’ARC. D’autres éléments de preuve ont démontré que M. Hillier avait fait état à plusieurs occasions de l’équilibre entre les deux sexes lors des processus de sélection et des concours, et plus précisément de son engagement à l’égard d’un tel équilibre et du principe de l’inclusivité. À plusieurs reprises, quand on a demandé à Mme Emmett, en contre‑interrogatoire, si l’intimée, et plus précisément M. Troy et Mme Howard, l’avaient appuyée dans sa carrière, elle a répondu que non. En effet, soutenait-elle, ni l’un ni l’autre ne l’avait promue à un poste d’EX-03 qu’elle souhaitait décrocher dans un BSF. C’était là la mesure qu’elle employait pour évaluer si quelqu’un l’avait soutenue.

[111]  Enfin, Mme Emmett souligne deux sondages menés auprès des employés dans lesquels un faible pourcentage d’employés de l’ARC s’étaient identifiés comme victimes de discrimination pour des motifs fondés sur le sexe. De plus, ces sondages faisaient état de l’insatisfaction des employés à l’égard des concours, et soulevaient des questions liées à l’équité et au manque de possibilités. J’accorde peu de poids à cette preuve car elle était fondée sur des perceptions. Mme Emmett a elle-même reconnu que les résultats de ces sondages n’avaient jamais été validés et qu’il s’agissait simplement du reflet d’opinions diverses.

[112]  Après avoir considéré la preuve dans son ensemble, le Tribunal conclut que s’il a peut-être bien existé dans le passé un « club réservé aux hommes », la culture et le comportement de l’ARC au cours de la période visée par la plainte étaient manifestement de nature inclusive et axés sur la promotion et le perfectionnement des femmes.

(ii)  Le Cadre stratégique pour l’effectif de la direction

[113]  L’ARC a le pouvoir législatif de créer son propre programme de dotation en personnel, ce qui inclut la nomination d’employés (art. 54 de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17). Les parties conviennent que le programme de dotation en personnel de direction de l’ARC est régi par le Cadre stratégique pour l’effectif de la direction de 2001 et de 2005 [CSED]. Les documents de 2001 et de 2005 contiennent des informations qui sont presque identiques. À moins d’une indication contraire, c’est à la version de 2005 que je me reporte tout au long des présents motifs.

[114]  Selon la sous-section 5.1 du CSED, les gestionnaires d’embauche [traduction] « sont chargés d’établir les critères de sélection, de déterminer les conditions de nomination et de choisir les techniques de sélection ».

[115]  La sous-section 5.2 du CSED prévoit que, à titre d’objectif stratégique, les processus de sélection de l’ARC comportent notamment des mutations latérales, des concours visant à pourvoir à des postes particuliers, des concours visant à constituer des bassins de candidats préqualifiés, des mesures de reclassement de même que des activités de recrutement externes.

[116]  Aux termes de la section 5.0 du CSED, les politiques et les pratiques en matière de dotation en personnel sont fondées sur les principes suivants : [traduction] « l’équité, l’adaptabilité, la productivité, l’efficience, la transparence, la compétence, l’impartialité et la représentativité ». Ces sept principes s’appliquent aux mesures de dotation en personnel de direction et en personnel autre que de direction.

[117]  La section 5.0 prescrit également que d’autres assouplissements en matière de dotation en personnel de direction sont nécessaires pour assurer la [traduction] « gestion efficace de l’Agence ». La politique de dotation en personnel autre que de direction ne prévoit pas d’autres assouplissements. À l’audience, Mme Wlotzki a déclaré qu’étant donné que les cadres sont une ressource nationale, il est nécessaire de prévoir une certaine souplesse dans le cadre des processus de dotation en personnel (ce qui inclut les affectations temporaires, intérimaires et latérales) de façon à pouvoir affecter le bon cadre au bon emploi en cas de besoin (c’est ce que l’on appelle le principe de la « bonne personne pour le poste »; voir aussi la sous-section 8.1 du CSED). Mme Wlotzki a expliqué de plus que le commissaire a besoin de souplesse pour évaluer la « bonne personne pour le poste » à cause du petit bassin de cadres et parce que les cadres sont chargés d’influencer l’orientation de l’organisation.

[118]  Mme Wlotzki a également déclaré que le cadre d’embauche prenait en considération un certain nombre de facteurs différents au moment d’évaluer la « bonne personne pour le poste », comme les suivants : 1) si, au moment en question, il y avait dans un bureau particulier des défis opérationnels précis auxquels il était nécessaire de répondre; 2) la durée de l’occasion; 3) s’il était nécessaire de disposer de compétences particulières pour le poste de façon à atteindre certains objectifs.

[119]  À l’ARC, les cadres sont chargés de gérer leur propre carrière et de faire connaître leurs intérêts professionnels à leurs gestionnaires. Le CSED indique qu’il incombe aux cadres de [traduction] « jouer un rôle proactif en gérant leur propre apprentissage, en acquérant et en rehaussant leurs compétences, et en se tenant au courant des compétences que leur rôle requiert » [non souligné dans l’original].

[120]  À titre de ressource nationale, les postes de cadre pouvaient être pourvus par des candidats issus de l’ensemble de la fonction publique ou du secteur public. Une expérience en fiscalité ou en vérification n’était pas exigée.

[121]  Mme Emmett n’allègue l’existence d’aucun motif de discrimination pour ce qui est des politiques elles-mêmes. Elle soutient plutôt que, dans la pratique, on ne se conformait pas aux politiques et que les pratiques elles-mêmes étaient discriminatoires parce qu’elles privaient les femmes de possibilités d’avancement.

(iii)  Le processus de sélection

a)  Le « champion » de l’équité en matière d’emploi

[122]  Le rôle de « champion », dans le modèle de gouvernance de l’ARC, du moins en 2004, d’après la preuve documentaire fournie, a été décrit comme le leader de ce rôle en collaboration avec le directeur des programmes. Par exemple, un directeur adjoint pouvait se tourner vers la personne occupant le rôle de champion plutôt que vers son propre directeur s’il fallait régler une question de fond précise qui était susceptible d’avoir une incidence sur le plan régional. Voici d’autres exemples de « champion » : le champion de la vérification et de l’exécution, le champion des enquêtes et le champion du recouvrement des recettes.

[123]  Mme Emmett affirme que le fait que le champion régional de l’équité en matière d’emploi dans la RSO/RO avait toujours été un homme pendant la période visée par sa plainte (1999-2006) est une preuve qui confirme ses allégations de discrimination systémique fondée sur le sexe. Je conclus que cette allégation est inexacte car Mme Danis a déclaré qu’elle-même avait été championne de l’équité en matière d’emploi dans la RSO à l’époque où elle exerçait les fonctions de directrice des ressources humaines, soit entre 1997 et 2004. Elle ne pouvait pas se souvenir des dates exactes où elle avait joué ce rôle, mais elle a déclaré qu’elle avait toujours participé à des comités d’équité en matière d’emploi. De plus, Mme Emmett n’a pas fourni beaucoup d’éléments (sinon aucun) prouvant qu’à l’ARC, les champions de l’équité en matière d’emploi de sexe masculin étaient moins engagés vis-à-vis des valeurs propres à l’équité en matière d’emploi ou qu’ils faisaient obstacle aux objectifs liés à l’avancement des groupes visés par l’équité en matière d’emploi dans l’ARC. En fait, il ressort de la preuve que M. Troy, à l’époque où il était champion de l’équité en matière d’emploi, avait servi de mentor auprès de plusieurs cadres féminins au sein de l’organisation.

b)  La planification de la relève, la gestion de la région et le Comité de gestion de l’Agence

[124]  Mme Emmett fait valoir qu’au cours de la période de 1999 à 2004, le CPR, qui, a-t‑elle décrit, était le comité chargé de recommander les nominations intérimaires et les promotions au niveau des cadres, était exclusivement composé de membres masculins. Elle soutient de plus que l’Équipe de gestion régionale (EGR) était principalement formée d’hommes au cours de la période visée par sa plainte. En contre-interrogatoire, elle a changé son argument pour dire que seuls les directeurs siégeant au CPR étaient de sexe masculin. Elle allègue également qu’au Comité de gestion de l’Agence (CGA), les femmes étaient sous‑représentées.

[125]  L’une des fonctions du CPR était de fournir au commissaire adjoint des conseils sur les mesures de planification de la relève concernant la RSO/RO. Certaines des questions dont le CPR discutait portaient sur le fait de s’assurer que l’organisation prenait les mesures requises pour disposer de groupes de relève solides et bien préparés pour les postes de cadre et pour veiller à ce que l’on dispose d’un bassin de candidats qui permettrait de pourvoir les prochains postes vacants. Cela s’expliquait par le fait que l’organisation ne pouvait pas toujours prévoir à quel moment des employés seraient mutés ou libéreraient un poste pour un certain nombre de raisons, dont les suivantes : mouvement vers un autre ministère fédéral, promotion dans une autre région, maladie ou retraite. Par exemple, le CPR considérait Mme Emmett comme un élément de relève potentiel en vue d’occuper un poste de niveau EX-03.

[126]  Après examen du dossier, je conclus que les affirmations de Mme Emmett à propos du CPR et des processus en cause sont inexactes. Pour ce qui était de la dotation en personnel, les commissaires adjoints s’appuyaient sur plusieurs groupes consultatifs et outils relatifs aux ressources humaines. Le CPR n’avait aucun pouvoir décisionnel sur les processus de dotation en personnel ou la nomination de titulaires d’une affectation intérimaire. La preuve démontre aussi que le CPR pouvait suggérer des noms au commissaire adjoint, mais qu’il n’avait aucune voix dans le processus décisionnel.

[127]  Par ailleurs, il ressort de la preuve que le CPR n’était pas un comité purement masculin. Contrairement à ce que Mme Emmett a affirmé, les témoins de l’intimée ont déclaré qu’il y avait des femmes dans les divers comités de planification de la relève, y compris le CPR. Mme Howard a déclaré qu’à une certaine époque, le CPR avait été dirigé par Mme Danis. Elle a expliqué qu’il avait pu arriver que le CPR soit composé uniquement d’hommes, que tout document dressant la liste des membres n’était qu’un [traduction] « instantané », et que sa composition changeait à mesure que les membres se déplaçaient au sein de l’organisation. Je souscris également au témoignage de M. Hillier selon lequel un certain nombre de directrices avaient siégé à ce comité, comme Mme Wlotzki. J’accorde plus de poids aux témoins de l’intimée à ce sujet car ces derniers étaient directement chargés de responsabilités en matière de planification de la relève et ils auraient donc mieux su qui siégeait aux comités respectifs. De plus, Mme Emmett a reconnu que les connaissances qu’elle avait au sujet des comités n’étaient tirées que de deux documents déposés en preuve. Elle a admis en contre-interrogatoire qu’elle ignorait quand le CPR avait été créé, qu’elle ne connaissait pas les questions précises dont le comité s’occupait et qu’elle n’avait aucune connaissance des discussions de ce dernier.

[128]  L’EGR agissait comme un comité d’échange d’informations, formé de personnes relevant directement du commissaire adjoint. Il était composé de directeurs régionaux, de directeurs de services organisationnels et de directeurs de BSF. La preuve indique qu’à part sa mission générale, l’EGR discutait parfois de la dotation en personnel de direction, mais pas de concours particuliers, et qu’il ne prenait aucune décision en matière de dotation en personnel de direction. Il se pouvait que les membres de l’EGR fassent part de commentaires sur des affectations intérimaires, mais c’était le commissaire adjoint qui était chargé des nominations précises. Le commissaire était celui qui prenait les décisions relatives à tous les processus de sélection en vue d’une promotion. En 1997, quand Mme Danis est devenue directrice des ressources humaines, elle est devenue membre permanente de l’EGR. Quelque temps après 2004, M. Hillier a démantelé le CPR et la planification de la relève est devenue un sujet à l’ordre du jour des réunions de l’EGR. M. Hillier a clairement indiqué que le CPR n’avait jamais assumé en partie ses responsabilités pour ce qui était de prendre des décisions au sujet des promotions ou des affectations intérimaires. Je conclus donc que le seul rôle que l’EGR a joué sur le plan de la dotation en personnel était celui d’un organisme consultatif auprès du commissaire adjoint.

[129]  Je conclus que Mme Emmett n’a pas produit de preuves fiables sur la composition du comité. De plus, elle a reconnu en contre-interrogatoire que la composition de l’EGR avait changé à la longue et que des femmes en avaient été membres. Malgré le caractère restreint des éléments de preuve déposés à l’audience en vue de démontrer la composition de l’EGR, je souscris à la preuve par laquelle l’intimée a démontré que des femmes avaient été membres de l’Équipe, y compris à l’époque où Mme Emmett avait présenté sa candidature dans le cadre de processus de sélection. Par exemple, Mme Hébert avait été membre de l’EGR de 1994 à 2004 et Mme Shields avait fait partie de l’Équipe pendant huit des douze années qui s’étaient écoulées entre 1992 et 2004, suivant les fonctions qu’elle exerçait à l’époque. Enfin, je signale qu’aucune des preuves présentées n’amènerait à conclure qu’une personne située en dehors du comité d’embauche chargé d’un processus de sélection avait un rôle quelconque à jouer pour ce qui était d’évaluer le succès d’un candidat dans le cadre d’un concours donné.

[130]  Le CGA est le comité exécutif national de l’ARC. Il est formé de commissaires adjoints de toutes les régions, ainsi que des chefs de diverses divisions organisationnelles, dont les Technologies de l’information (TI), les Finances et les Services juridiques. En moyenne, environ 21 personnes siégeaient à ce Comité à quelque moment que ce soit. C’est donc dire qu’un poste de commissaire adjoint vacant ou le remplacement d’un seul membre par une personne de l’autre sexe représentait 4,8 % de la composition totale du Comité. Des chiffres démontrant la composition par sexe des membres du Comité ont été présentés pour les années 2001 à 2014. Le Tribunal signale que la représentation par sexe a augmenté au cours de cette période et que, dans certaines années, le pourcentage de femmes était supérieur à 50 %, tandis que dans d’autres il était proche de 40 %. La sous‑représentation qu’alléguait Mme Emmett dans le CGA est donc sans fondement.

c)  Les entrevues, les contrôles de références, la « bonne personne pour le poste » et la sélection finale

[131]  Mme Emmett allègue qu’à l’ARC le processus de sélection avait tendance à priver les femmes d’occasions d’emploi dans le groupe de la direction parce que les méthodes de dotation en personnel n’avaient pas recours à des techniques valables ou fiables pour l’évaluation objective des compétences des candidats. Elle allègue également que les contrôles de références dont l’ARC se servait étaient incohérents et arbitraires. De plus, elle invoque plusieurs affaires à l’appui de sa position selon laquelle l’utilisation de critères subjectifs et discrétionnaires dans les décisions d’embauche peut être un prétexte pour dissimuler une conduite discriminatoire.

[132]  Invoquant la décision Folch c. Lignes aériennes Canadien International (1992), [1992] CHRD No 5, 1992 CanLII 7197 (TCDP) [Folch], l’intimée soutient que la seule tâche du Tribunal consiste à déterminer si la plaignante a établi que l’utilisation de critères d’emploi « subjectifs » tend à exercer de la discrimination à l’encontre d’un groupe protégé. Elle allègue que le succès avec lequel elle a rehaussé la représentation des femmes démontre que ses méthodes de sélection n’étaient pas susceptibles de priver les femmes de chances d’emploi au sein du groupe de la direction.

[133]  À mon avis, la tâche du Tribunal, à ce stade de l’analyse, consiste à décider si le processus de dotation en personnel de l’ARC, de pair avec les autres éléments de preuve, était susceptible d’annihiler les chances d’emploi des cadres féminins. Pour ce faire, j’ai examiné si un motif illicite était un facteur dans l’une quelconque des irrégularités relevées dans les processus de dotation en personnel qui sont en litige. Il est bien établi qu’il est loisible au Tribunal d’examiner avec soin les décisions d’embauche « afin de s'assurer que les opinions subjectives ne servent pas à masquer la discrimination » (décision Folch; voir aussi Premakumar c. Air Canada, 2002 CanLII 23561, aux par. 87 à 89, 42 CHRR 63 [Premakumar]; Canada (Procureur général) c. Brooks, 2006 CF 1244, aux par. 25 à 32). Cependant, il n’appartient pas au Tribunal de déterminer le bien-fondé du choix des candidats que fait l’ARC. Comme l’a expliqué le membre instructeur Doucet dans la décision Salem c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2008 TCDP 13, « [d]ans chaque processus d'embauche, il existe un élément de subjectivité. Le simple fait que l'intimé ait utilisé des critères subjectifs pour juger les candidat(e)s et qu'il peut avoir commis une erreur en ce faisant, ne rend pas en soi sa décision finale susceptible de contestation au motif qu'elle est discriminatoire » (au par. 63, références omises).

[134]  Il va sans dire que j’ai gardé ces principes à l’esprit en évaluant les éléments de preuve à la section D des présents motifs.

[135]  Pour l’accès au groupe de la direction, et l’obtention d’une promotion dans ce groupe pendant la période en cause, l’ARC lançait généralement un concours annoncé assorti de critères de sélection, d’une entrevue et, parfois, d’un contrôle des références. Un comité de sélection évaluait le rendement des candidats à l’entrevue afin de déterminer s’ils faisaient démontre des compétences requises. Les critères de sélection énonçaient les conditions auxquelles les candidats devaient répondre sur le plan des études, des compétences, des connaissances, de l’expérience, des connaissances linguistiques et des conditions d’emploi. Il fallait qu’un candidat réponde à tous les critères pour pouvoir passer au stade suivant du processus de sélection. Le filtrage des candidats était fait par un conseiller en renouvellement du groupe de la direction. Le gestionnaire d’embauche définissait aussi ce que les mots [traduction] « récent » et [traduction] « important » voulaient dire dans les critères de sélection. Ce gestionnaire était celui qui prenait la décision finale au sujet du candidat à sélectionner.

[136]  Les candidats étaient évalués en fonction de leurs compétences en leadership et, plus précisément, de leur capacité à démontrer ces compétences à l’entrevue. Tous les candidats se faisaient poser les mêmes questions pendant leurs entrevues respectives. De plus, Mme Shields a déclaré que l’ARC s’efforçait toujours d’avoir au moins une femme au comité de sélection des cadres supérieurs chaque fois qu’une femme passait une entrevue. Cette pratique concordait avec le CSED de 2005 de l’ARC.

[137]  Ces processus pouvaient être hautement concurrentiels. Bien qu’il déborde le cadre de la présente plainte, le processus de sélection qui a été lancé en 2008 pour le poste de directeur du BSFTC en est un exemple. Ce processus s’adressait aux employés de l’ARC, aux employés membres de la fonction publique fédérale, aux employés des sociétés d’État ainsi qu’aux employés du gouvernement de l’Ontario. Selon la preuve, seize personnes avaient présenté leur candidature, mais seuls cinq candidats avaient été retenus.

[138]  Les deux parties ont convenu qu’il n’existait aucune échelle de cotation ou grille de pointage prédéterminée pour guider l’évaluation des compétences d’un candidat au stade de l’entrevue. Aucune note ou cote n’était attribuée aux réponses données aux questions posées à l’entrevue. À la fin de chaque entrevue, le comité de sélection évaluait [traduction] « de manière holistique » si le candidat [traduction] « répondait » ou [traduction] « ne répondait pas » aux compétences requises lors d’une table ronde qui durait une quinzaine de minutes environ. Le comité discutait des réponses des candidats en fonction de leurs éléments positifs ou des éléments manquants. Une fois que tous les candidats avaient passé l’entrevue, le comité de sélection se réunissait pour discuter du rendement relatif de chacun des candidats et s’entendre sur celui ou ceux d’entre eux qu’il y avait lieu de choisir en vue d’une promotion à la suite du processus. M. Hillier a indiqué que le rendement d’un candidat à l’entrevue était extrêmement important car il était essentiel que les candidats démontrent de quelle façon ils répondaient aux qualités qu’exigeait le poste. Il a déclaré que le fait de démontrer ses compétences au moyen d’exemples de travail concret était un élément clé, car ces exemples confirmaient les compétences des candidats.

[139]  Une fois que les candidats avaient été évalués et qu’on les jugeait qualifiés, le comité décidait parfois qui était la « bonne personne pour le poste » parmi les candidats qui s’étaient qualifiés avec succès. Le principe de la « bonne personne pour le poste » était surtout appliqué dans le cas des affectations intérimaires ainsi que dans celui des occasions latérales, où les candidats étaient évalués au même niveau. Un rapport succinct (Rapport sur le processus de sélection) était plus tard établi pour décrire la décision du comité de sélection.

[140]  Pour ce qui est du processus d’entrevue, plus précisément l’attribution ou l’absence d’un pointage, je conclus que ce processus, en soi, n’exerce pas de discrimination fondée sur le sexe ou l’âge. Bien qu’une grille de pointage puisse être utile pour réduire le risque d’apparition d’une partialité subjective dans les processus de sélection, l’attribution de notes n’est que l’une des méthodes existantes. La plaignante allègue que sans une grille de pointage ou sans l’attribution de notes aux réponses données, un candidat n’est pas en mesure de savoir s’il a [traduction] « passé avec succès » une entrevue. Je ne souscris pas à cet argument.

[141]  Le processus d’entrevue, dans le cas de la dotation en personnel de direction, avait pour objet de fournir aux candidats une occasion de démontrer la connaissance qu’ils avaient des compétences requises en illustrant concrètement la manière dont ils appliqueraient les compétences à une situation donnée ou à un problème particulier dans le cadre de leur travail de tous les jours. Après avoir examiné les quelques sommaires des entrevues qui ont été fournis à l’audience, il m’apparaît clairement que le comité de sélection avait suffisamment documenté et justifié ses observations et son évaluation du rendement des candidats, par rapport aux réponses que ceux-ci avaient données aux questions posées à l’entrevue. Des exemples concrets de bonnes réponses et de mauvaises réponses et de la manière dont les réponses des candidats ne démontraient pas assez qu’ils possédaient les compétences requises figuraient également dans ces rapports. Malgré l’absence d’une grille de pointage, le Tribunal a pu discerner comment un candidat s’était comporté par rapport aux autres. Une note dirait simplement à un candidat, par exemple, qu’il avait obtenu 7 sur 10, mais la méthode employée par l’ARC pour décrire le rendement d’un candidat à l’entrevue fournit en fait plus de renseignements parce qu’elle explique pourquoi un candidat a répondu ou non aux compétences que requiert le poste.

[142]  L’ARC se servait parfois de contrôles des références pour évaluer les compétences ou corroborer le rendement d’un candidat à l’entrevue. Selon le CSED de l’ARC, les gestionnaires d’embauche avaient le pouvoir discrétionnaire de se servir de contrôles des références en tant qu’outil d’évaluation des candidats. Il ne s’agissait pas d’un outil obligatoire. Les contrôles des références se faisaient habituellement par écrit, et l’on envoyait une liste de questions à la personne indiquée afin qu’elle y réponde. Ces personnes pouvaient aussi répondre aux questions de vive voix. La pratique des contrôles des références variait d’un processus à un autre, suivant les circonstances particulières d’un concours donné. Par exemple, si un candidat rivalisait avec son propre supérieur, le comité de sélection pouvait se fonder sur les connaissances qu’il avait du candidat ou se servir d’un contrôle des références qui figuraient déjà dans le dossier relatif à un autre concours. Si un candidat relevait directement de l’un des membres du comité de sélection, cette personne pouvait se fonder sur la connaissance qu’elle avait de ce candidat et sur le fait d’avoir travaillé avec lui et faire part de ces informations aux autres membres du comité.

[143]  À mon avis, il était loisible à l’intimée de recourir à des types différents de contrôle des références dans le cadre de ses politiques. Il ressort du dossier que le choix que faisait l’intimée quant à la manière d’appliquer ce pouvoir discrétionnaire dépendait des circonstances particulières de chacun des processus de sélection en cause. Selon moi, ce pouvoir discrétionnaire n’a pas été exercé de manière arbitraire ou incohérente. Par exemple, quand Mme Emmett avait participé à un concours auquel prenait aussi part son propre supérieur immédiat, l’intimée avait décidé de ne pas obtenir de références auprès de ce supérieur. Elle s’était plutôt servie des connaissances directes qu’avait un membre du comité de sélection au sujet de Mme Emmett ainsi que d’un contrôle des références antérieur.

(iv)  Les affectations intérimaires

[144]  Aucune politique précise ne régissait les mesures qu’un supérieur devait prendre en vue de la nomination des titulaires d’une affectation temporaire à l’ARC, mais toutes les questions de dotation en personnel devaient être conformes au CSED ainsi qu’aux objectifs qui y étaient énoncés. La politique autorisait à prendre des décisions en matière de dotation en prenant pour base les exigences opérationnelles, y compris le principe de la « bonne personne pour le poste ».

[145]  Mme Emmett soutient que, dans le groupe de la direction, les nominations intérimaires étaient faites de manière officieuse, subjective et discrétionnaire, ce qui allait à l’encontre des principes de dotation généraux de l’ARC, décrits plus tôt. Elle allègue que des affectations intérimaires de longue durée étaient officieusement accordées de manière plus favorable à des hommes qu’à des femmes, et que ce fait procurait aux hommes un avantage sur les femmes lors des concours. Elle prétend que cette pratique maintenait le déséquilibre entre les sexes dans ces postes car l’obtention d’une nomination intérimaire était une expérience cruciale nécessaire pour passer à un échelon supérieur à l’ARC.

[146]  L’ARC soutient que les preuves de Mme Emmett, qui sont fondées sur sa propre expérience personnelle ainsi que sur des données statistiques (inexactes, d’après l’ARC), ne démontrent pas qu’un nombre [traduction] « nettement » disproportionné d’affectations intérimaires au niveau de la direction avaient été accordées à des hommes. L’ARC soutient également qu’étant donné que la représentation des femmes au sein du groupe de la direction avait connu une hausse marquée entre les années 1999 et 2013, tout déséquilibre dans l’octroi des affectations intérimaires n’avait pas eu d’incidence négative sur la promotion des femmes dans ce groupe.

[147]  La plupart des affectations intérimaires étaient temporaires et de courte durée (il s’agissait de situations dans lesquelles un directeur s’absentait pendant quelques jours ou quelques semaines). En règle générale, les affectations intérimaires au niveau de la direction n’étaient pas annoncées et on ne tenait aucun concours officiel en vue d’évaluer les compétences des intéressés. Pour les affectations intérimaires de courte durée, le directeur pouvait choisir l’une des personnes qui relevaient directement de lui pour le remplacer en son absence.

[148]  Cependant, Mme Wlotzki a témoigné que dans les cas où une affectation intérimaire durait plus de trois mois, il arrivait parfois qu’on l’annonce au moyen d’une lettre d’appel. Les témoins de l’ARC ont indiqué que lorsque l’on ne recourait pas à une telle lettre, les noms des candidats intéressés étaient reçus de sources différentes et le commissaire adjoint discutait de la « bonne personne » pour l’affectation avec l’EGR. M. Troy a déclaré que, dans un cas particulier, l’EGR n’avait pas été consulté, mais cela ne m’amène pas à conclure qu’une consultation sur les affectations intérimaires ne faisaient pas partie des sujets de discussion ordinaires que l’on soumettait à l’EGR.

[149]  Des témoins ont déclaré que la décision concernant la « bonne personne pour le poste » consistait, notamment, à prendre en considération des questions telles que la continuité des activités de gestion, les compétences nécessaires pour répondre à des problèmes de bureau particuliers, le perfectionnement professionnel ainsi que les forces relatives de l’équipe de gestion en place. Tant Mme Howard que M. Hillier ont souligné dans leur témoignage que les besoins organisationnels de l’ARC (c.-à-d. les changements organisationnels, les priorités, la continuité ou les changements de programme, tout problème en cours avec un syndicat ainsi que les besoins de perfectionnement) étaient les facteurs les plus importants qui guidaient la sélection des personnes que l’on retiendrait comme intérimaires en cas de vacance. Les témoins ont également déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’évaluer les compétences en leadership lorsqu’on nommait un employé à une affectation temporaire.

[150]  Je conclus que, dans les processus en litige, les candidats ont été évalués d’une manière conforme au CSED, qui insistait sur le fait que l’on pourvoie les postes de cadre d’une manière conforme aux exigences opérationnelles ainsi qu’au principe de la « bonne personne pour le poste ». Je suis également convaincu que les facteurs dont les cadres superviseurs ont tenu compte ne sont pas aussi subjectifs et arbitraires que Mme Emmett le prétend. Par ailleurs, aucune preuve n’a été produite pour démontrer que le fait de ne pas évaluer systématiquement les compétences en leadership désavantageait les femmes.

[151]  Mme Emmett est préoccupée par le fait que, dans la plupart des cas, elle n’avait pris connaissance d’une possibilité d’affectation intérimaire, surtout dans des bureaux autres que le sien, qu’après que le poste avait déjà été pourvu. Le Tribunal reconnaît que le fait de ne pas annoncer les affectations intérimaires serait susceptible d’engendrer de la partialité et de la discrimination dans le processus de sélection si l’on venait à présumer que le cadre superviseur sélectionnait un candidat sans savoir qui pourrait être intéressé par l’affectation. Cependant, la preuve entendue tout au long de l’audience a démontré que les cadres avaient de nombreuses occasions de faire part de leur intérêt à l’égard d’une affectation intérimaire. Par exemple, ils pouvaient faire connaître leur souhait lors du processus d’évaluation du rendement, au moment de répondre au sondage sur la planification de la retraite et au moment de remplir les documents relatifs à la planification de la relève. Les cadres pouvaient aussi entrer directement en contact avec Mme Wlotzki pour lui faire part de leur intérêt et s’informer de la manière d’obtenir une affectation intérimaire.

[152]  Mme Emmett a fait part de son intérêt à l’égard d’affectations intérimaires à de nombreuses reprises dans de tels documents ainsi que dans le cadre de communications avec son directeur et d’autres personnes situées à un échelon supérieur dans l’organisation. La preuve a également indiqué que le directeur superviseur consultait l’EGR lorsque les noms de candidats intéressés étaient soumis et catalogués. Il ressort donc de la preuve que le processus servant à sélectionner les nominations intérimaires était plus transparent que Mme Emmett le prétend.

[153]  De plus, je conclus que le témoignage des parties au sujet de la représentation des deux sexes dans le cadre de l’octroi d’affectations intérimaires est, dans le meilleur des cas, restreint. Le Tribunal estime qu’il ne peut tirer aucune conclusion à propos de cette représentation à partir des éléments de preuve produits. Malheureusement, l’ARC ne saisissait que des renseignements relatifs aux affectations intérimaires d’une durée de plus de trois mois. Mme Wlotzki a déclaré qu’à cause de cela, les preuves concernant la grande majorité des affectations intérimaires offertes aux membres de la direction n’avaient pas été soumises au Tribunal.

[154]  Dans les quelques cas où le Tribunal a été saisi d’une explication concernant une personne choisie, je considère que les justifications fournies par l’intimé sont valides et exemptes de tout motif discriminatoire, comme nous le verrons plus en détail à la section D des présents motifs.

[155]  Enfin, je conclus que la question plus importante que le Tribunal doit trancher consiste à savoir si l’octroi d’affectations intérimaires de longue durée à une personne en particulier plutôt qu’à une autre procurait à cette personne un avantage lors des processus de sélection. Je conclus que non. La preuve démontre qu’il n’y avait aucune corrélation entre l’octroi d’affectations intérimaires et la personne que l’on choisissait plus tard pour le même poste après un processus de dotation. En fait, dans un certain nombre de cas, l’employé nommé à titre intérimaire n’avait pas été choisi ultérieurement comme le candidat retenu pour le poste qu’il occupait à titre intérimaire. Par ailleurs, les témoins de l’intimée ont tous déclaré que l’obtention d’une expérience latérale était le facteur qui rehaussait les chances d’une personne d’acquérir les compétences voulues pour devenir directeur d’un BSF dans la RSO/RO, et pas forcément l’expérience que cette personne acquérait en exerçant à titre intérimaire les fonctions de directeur d’un BSF.

(v)  Les données statistiques

a)  Le groupe de la direction

[156]  À mon avis, les données statistiques que les parties ont fournies sont d’une valeur probante restreinte pour ce qui est d’étayer l’argument qu’invoque la plaignante, soit une discrimination systémique fondée sur le sexe.

[157]  Mme Emmett soutient que les rapports sur l’équité en matière d’emploi de l’ARC démontrent que les cadres féminins ont été sous-représentés entre le 1er avril 2000 et le 31 mars 2005. L’intimée ne conteste pas ce fait, mais signale qu’à son point le plus élevé, l’écart relevé sur le plan de cette sous-représentation ne représentait que 17 employés sur 425.

[158]  Mme Emmett allègue aussi que le pourcentage de cadres féminins dans la RSO/RO a toujours été inférieur à la moyenne nationale ou [traduction] « nettement en deçà ». En fait, selon elle, de 1999 à 2002, aucun des BSF situés dans la RSO n’a été dirigé par une femme. Mme Emmett soutient qu’à l’époque pertinente, fort peu de postes de directeur adjoint, dans la RSO/RO, ont été occupés par des femmes.

[159]  En réponse, l’ARC fait valoir que les observations de la plaignante ne reflètent pas de manière exacte les données statistiques qui ont été soumises au Tribunal. Elle soutient que Mme Emmett n’a pas démontré l’existence d’une discrimination systémique fondée sur le sexe parce qu’il ressort des données statistiques que la représentation des femmes au sein du groupe de la direction a nettement augmenté à la longue.

[160]  Le tableau ci-dessous illustre la représentation des cadres féminins dans l’ensemble de l’ARC au cours de la période applicable.

Représentation des femmes dans le groupe de la direction à l’ARC, du 31 mars 2000 au 31 mars 2013

Exercice (Rapport annuel sur l’EE)

Nombre total de cadres (des deux sexes)

Femmes

Écart
(nombre d’employés)

Nombre

DMT

Rép. int.

1999-2000

S.O.

S.O.

28,8 %

29,0 %

Pas d’écart

2000-2001

425

118

31,7 %

27,8 %

-17

2001-2002

514

149

29,0 %

-14

2002-2003

564

171

30,3 %

-8

2003-2004

445

150

35,9 %

33,7 %

-10

2004-2005

451

155

34,4 %

-7

2005-2006

449

173

38,5 %

Pas d’écart

2006-2007

470

183

38,9 %

Pas d’écart

2007-2008

527

219

41,5 %

Pas d’écart

2008-2009

529

222

37,1 %

42,0 %

Pas d’écart

2009-2010

538

238

44,2 %

Pas d’écart

2010-2011

531

243

45,8 %

Pas d’écart

2011-2012

501

229

45,7 %

Pas d’écart

2012-2013

478

219

45,8 %

Pas d’écart

[161]  Ce tableau a été produit dans le cadre de la version finale des observations écrites révisée de l’intimée et il repose sur des éléments de preuve produits à l’audience. J’y accorde un poids considérable car les renseignements qui y figurent sont directement tirés des dossiers organisationnels officiels de l’ARC. À mon avis, l’ARC est la mieux placée pour fournir de telles données puisque c’est elle qui contrôle ces documents. De plus, la plaignante n’en conteste pas l’exactitude. Je signale également que ces données reflètent certains des renseignements contenus dans les observations de la plaignante.

[162]  Outre ces documents organisationnels, la plaignante se fonde sur un certain nombre de documents divers, tels que des listes de membres de comité, des courriels, des photographies et d’autres documents, pour en arriver à ses propres calculs concernant la représentation des cadres féminins. J’accorde moins d’importance à ces documents car plusieurs des témoins de l’intimée ont déclaré que ces documents étaient soit incomplets, soit des sources d’information peu fiables.

[163]  Les données présentées démontrent que la représentation interne des femmes au sein du groupe de la direction de l’ARC a progressivement augmenté. En 2000-2001, à peu près à l’époque où l’unification administrative a eu lieu, il y avait une sous-représentation des femmes de 3,3 %, ce qui représente un écart de dix-sept femmes à l’échelon national. Ce chiffre représente la sous-représentation la plus marquée des femmes à l’ARC, et ce, dans le groupe de la direction à l’échelle nationale. En 2005-2006, la sous-représentation des femmes avait disparu à l’échelle nationale. En fait, depuis 2005-2006, l’ARC a un excédent de cadres féminins par rapport à la disponibilité sur le marché du travail (DMT) Si l’on examine les années non visées par la plainte, on peut voir qu’il y a eu dans le groupe de la direction une nette augmentation de la représentation des femmes. En 2012-2013, ces dernières représentaient 45,8 % du groupe de la direction, tandis que la DMT se situait à 37,1 %. À mon avis, la sous-représentation des femmes à l’échelle nationale, quand on la compare à la DMT, dans le groupe de la direction, n’est pas importante.

[164]  La DMT est censée représenter la part des femmes au sein du marché du travail de plus grande ampleur dans lequel l’ARC peut s’attendre à puiser ses employés. La DMT est produite par Emploi et Développement social Canada (EDSC) à partir de chiffres que recueille Statistique Canada. EDSC produit les données relatives à la DMT par groupe professionnel et les données sont mises à jour tous les cinq ans, quand de nouvelles données sont recueillies par voie de recensement. Mme Desrochers a déclaré que la DMT est calculée en fonction d’une région géographique particulière. Cependant, les données liées à la DMT qui s’appliquent aux cadres ne sont disponibles qu’à l’échelle nationale.

[165]  Il convient de rappeler que le nœud de la plainte de Mme Emmett est la discrimination exercée à l’encontre des femmes dans la RSO/RO. Toutefois, les deux parties reconnaissent que la DMT n’est pas calculée pour les cadres à l’échelon régional, et aucune raison n’a été fournie pour expliquer pourquoi la DMT n’est pas calculée à cet échelon, hormis le fait que les cadres sont considérés comme une ressource nationale et que la DMT est donc calculée à l’échelle nationale. Le Tribunal considère que cette anomalie statistique est regrettable, car sans une DMT régionale pour les cadres présents dans la RSO/RO, on ne peut dire avec certitude s’il y avait dans cette région une sous-représentation des femmes au sein du groupe de la direction. Cependant, il a été rappelé au Tribunal qu’il n’est pas nécessaire de disposer d’un groupe de comparaison pour pouvoir tirer une conclusion de discrimination (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445, aux par. 290, 301 et 318 à 322).

[166]  Cela dit, le Tribunal signale que, dans ses propres rapports annuels, l’ARC dit de la RSO/RO qu’elle se situe [traduction] « nettement en deçà » de sa moyenne nationale. Les rapports d’analyse démographique sur l’effectif de la direction et les groupes de relève pour la période de 2003 à 2008 démontrent que, dans la RSO/RO, le pourcentage de cadres féminins était inférieur au pourcentage de cadres féminins à l’échelle nationale. Le Tribunal calcule approximativement qu’entre les années 2003 et 2005, la représentation des femmes dans le groupe de la direction de la RSO était inférieure d’environ 15 % à la DMT nationale (35,9 %). On comptait environ vingt cadres féminins dans la RSO sur 87 postes de cadres en tout. La RSO aurait ainsi eu besoin d’environ onze cadres féminins de plus pour faire concorder la région avec la DMT nationale [2] . Je ne considère pas que cet écart, sur le plan de la représentation des femmes, soit important, surtout si l’on considère qu’il y a eu de nombreux déplacements au niveau de la direction et que les données présentées ne sont qu’un « cliché instantané » de la composition du groupe des cadres dans la RSO/RO à des moments précis dans le temps.

[167]  Il convient également de signaler que lors de la fusion de la RNO et la RSO en 2006, la représentation des femmes dans le groupe de la direction a augmenté à 30 % dans la RO. Ce chiffre était encore inférieur à la DMT nationale de 35,9 % et à la représentation interne de 38,5 % à l’époque, mais je ne considère pas que cet écart soit important.

[168]  À l’audience, Mme Emmett a fait valoir que le Tribunal devrait faire appel à la logique pour conclure qu’il ne devrait pas y avoir de sous-représentation des cadres féminins dans la RSO/RO parce que l’Ontario est la province la plus peuplée et celle qui compte le bassin de main-d’œuvre le plus important et qu’elle devrait donc avoir un nombre suffisant de candidats féminins disponibles pour combler les postes de cadre à l’ARC. Le Tribunal refuse de faire une telle inférence. À mon avis, c’est sur la preuve, et non sur la logique, qu’il est nécessaire de fonder les inférences sérieuses que l’on peut tirer des données (arrêt Bombardier, au par. 88). Les inférences que Mme Emmett souhaite tirer ne peuvent tout simplement pas reposer sur les éléments de preuve qui me sont soumis.

[169]  Par exemple, dans le dossier de preuve, il manque le nombre de fois où des postes de cadres sont devenus vacants à l’ARC ou dans la RSO/RO et, plus précisément, le nombre de femmes disponibles et qualifiées par rapport aux hommes qui ont présenté leur candidature pour combler ces postes vacants, ainsi que le nombre total de fois où l’on a écarté des femmes en vue d’une possibilité d’avancement par rapport aux hommes (voir, par exemple, Morris c. Forces armées canadiennes (2001), 2001 CanLII 20690, aux par. 119 à 123, 42 CHRR 443 [Morris]; voir aussi Agnaou c. Sous-ministre de la Justice, 2012 TDFP 16, aux par. 55 à 61, conf. par 2014 CF 850, aux par. 132 à 135). Nous ignorons aussi, d’après le dossier, si les hommes occupaient plus longtemps un poste de direction parce qu’ils n’avaient pas encore pris leur retraite, ce qui aurait permis à un plus grand nombre de candidates qualifiées de joindre les rangs de l’Agence.

[170]  Si Mme Emmett demande au Tribunal de conclure à l’existence d’une discrimination en se fondant sur le fait que les quatre postes de directeur de BSF que comptait la RSO/RO étaient généralement occupés par des hommes, le Tribunal estime qu’il lui est impossible de tirer une telle conclusion à partir des seules données qui lui ont été fournies sans autre contexte ou explications quant aux processus de sélection qui ont permis de pourvoir ces quatre postes dans la période qui a précédé celle que vise la plainte. Le Tribunal conclut qu’il ne peut tirer aucune conclusion fiable quant à l’exercice d’une discrimination systémique fondée sur le sexe sur le plan de la dotation de ces quatre postes sans disposer de renseignements qui s’étendraient sur une période plus vaste (décision Morris, aux par. 119 à 123). Cependant, le Tribunal signale qu’en ce qui concerne les quatre concours dont il a été question lors de l’instruction, deux des postes ont été accordés à des femmes et les deux autres à des hommes, ce qui a fait augmenter la représentation des femmes à 50 % au niveau des quatre postes de directeur de BSF que comptait la RSO/RO. Cela illustre peut-être l’engagement pris par l’ARC sur le plan de l’égalité des sexes.

[171]  Mme Emmett soutient également que le Tribunal devrait tirer une inférence défavorable du fait que l’ARC n’a pas communiqué de rapports faisant état du pourcentage de cadres féminins dans la RSO entre les années 1999 et 2002. Je refuse de tirer une telle inférence car il ressort du dossier qu’il n’y avait tout simplement aucun rapport à communiquer au départ parce que ces données-là n’étaient pas saisies. Je conclus toutefois que le défaut de l’ARC ou d’EDSC de saisir de tels renseignements pourrait dénoter l’existence d’une politique ou d’une pratique neutre qui, tout en étant neutre en apparence, est peut-être une preuve circonstancielle de discrimination systémique fondée sur le sexe. Je m’abstiens de tirer une conclusion quelconque sur la question à ce stade de l’analyse car il me faut examiner le système tout entier, ce que je fais à la conclusion de la présente section.

b)  L’équité en matière d’emploi

[172]  La plaignante soutient que l’ARC n’a pas traité de la sous-représentation des femmes dans son plan d’orientation stratégique sur l’équité en matière d’emploi de 2001‑2004. Il s’agit là, selon elle, d’une preuve circonstancielle qui donne de fortes raisons d’inférer l’existence et l’acceptation de préjugés fondés sur le sexe dans la culture organisationnelle de l’ARC. Elle prétend par ailleurs que l’inaction de l’ARC était contraire à l’article 10 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, LC 1995, c 44 (la Loi sur l’EE).

[173]  À l’audience, Mme Diane Desrochers, consultante en matière d’entreprise/projet en ressources humaines à la Division de l’équité en matière d’emploi de l’ARC depuis 1998, a reconnu que, d’après les données fournies à l’époque, il n’y avait aucun écart dans la représentation des cadres féminins à l’ARC qu’il était nécessaire d’aborder dans son plan d’équité en matière d’emploi de 2001-2004. Cela était dû au fait que l’ARC venait tout juste de devenir une agence et se fondait sur son rapport sur l’équité en matière d’emploi de 1999-2000, qui faisait référence aux données relatives à la DMT que le Conseil du Trésor avait fournies. D’après cette DMT, il n’y avait aucune sous-représentation des femmes au sein du groupe de la direction. S’il y avait eu une sous-représentation d’après les données, cette question, selon Mme Desrochers, aurait été abordée dans le plan.

[174]  L’ARC signale également que la Commission a examiné et entériné ses pratiques relatives à l’équité en matière d’emploi en 2003 et, une fois de plus, en 2013. En fait, Mme Desrochers a déclaré qu’en 2013, la Commission a conclu que l’ARC avait obtenu d’excellents résultats dans le cadre de son programme d’équité en matière d’emploi, dont une représentation complète des femmes au sein de l’effectif.

[175]  Contrairement aux prétentions de Mme Emmett, le Tribunal n’a pas le pouvoir d’examiner la manière dont l’ARC se conforme à son plan d’équité en matière d’emploi ou aux diverses obligations que lui impose la Loi sur l’EE, dont celle de relever les obstacles à l’emploi auxquels se heurtent les personnes faisant partie des groupes désignés (art. 5 de la Loi sur l’EE).

[176]  La Loi sur l’EE a pour objet de « réaliser l’égalité en milieu de travail […], de corriger les désavantages subis, dans le domaine de l’emploi, par les femmes, les autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles » (art. 2 de la Loi sur l’EE). Il incombe à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) d’appliquer les obligations qu’imposent aux employeurs les articles 5, 9 à 15 et 17 de la Loi sur l’EE en procédant à des vérifications de l’observation (art. 22). Si la Commission estime qu’un employeur ne s’est pas conformé à un ordre qui lui a été donné, le Tribunal de l’équité en matière d’emploi peut être constitué en vue de confirmer l’ordre que la Commission a donné (art. 27 et 28 de la Loi sur l’EE).

[177]  La jurisprudence explique clairement que la Loi sur l’EE agit de manière indépendante de la LCDP, en ce sens qu’elle impose des devoirs et des obligations qui sont propres à cette loi, des devoirs et des obligations qui sont appliqués par cette loi et qui sont sans rapport avec les plaintes qui sont déposées en vertu des articles 7 ou 10 de la LCDP (voir l’arrêt Bay Ferries, aux par. 26 et 27; Abi-Mansour c. Canada (Procureur général), 2015 CF 882, aux par. 53 à 58; Murray c. Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2013 TCDP 2, aux par. 40 à 57, infirmée pour d’autres motifs par 2014 CF 139 [Murray]).

[178]  Comme il est expliqué dans la décision Murray, des modifications corrélatives apportées à la Loi en 1995 ont fait disparaître la compétence qu’exerçait le Tribunal sur les plaintes relatives à la sous-représentation des groupes désignés (au par. 40). Malgré cela, il est encore loisible au Tribunal de prendre en considération les plans d’équité en matière d’emploi comme preuve qu’une pratique particulière était – ou est – discriminatoire (voir la décision Emmett 2013, au par. 25).

[179]  Compte tenu de ce qui précède, il n’appartient pas au Tribunal de décider si l’ARC s’est entièrement conformée aux obligations que lui imposait la Loi sur l’EE ou si elle a omis de s’attaquer à la sous-représentation des femmes présentes dans la catégorie de la direction dans son plan d’équité en matière d’emploi visant la période de 2001 à 2004. La Commission est l’organisme compétent pour trancher ces questions. De plus, comme on a produit des preuves restreintes au sujet du processus qu’avaient entrepris l’ARC et la Commission dans le cadre de l’établissement du plan d’équité en matière d’emploi de 2001‑2004, le Tribunal refuse de tirer une inférence de discrimination en se fondant uniquement sur le fait que l’ARC, dans son plan d’équité relatif aux années 2001 à 2004, ne s’était pas attaquée à la sous-représentation des femmes dans la catégorie de la direction. Il ne s’agit là que de l’un des facteurs qu’il y a lieu de prendre en considération dans le contexte du dossier de preuve tout entier. Enfin, comme il a été mentionné plus tôt, les données disponibles à l’époque où l’ARC a établi son plan d’équité en matière d’emploi pour les années 2001-2004 ne faisaient état d’aucune sous-représentation des femmes dans le groupe de la direction.

c)  Les groupes autres que celui de la direction

[180]  À part les postes de direction, Mme Emmett fait état de statistiques qui démontrent censément que les femmes étaient sous-représentées dans ce qu’elle décrit comme [traduction] « [d’]autres groupes professionnels clés » de l’ARC au cours de la période visée par sa plainte, y compris dans les groupes intermédiaires de gestion et d’autres groupes de gestion, dans le groupe professionnel (plus précisément le groupe AU) ainsi que dans le groupe du personnel administratif et de bureau principal. Elle soutient que cette preuve démontre que les femmes étaient disproportionnellement exclues d’un avancement dans leur carrière aux échelons supérieurs de l’organisation par rapport aux hommes, surtout dans la RSO/RO. Elle soutient également que cette sous-représentation était le reflet d’obstacles culturels et comportementaux qui avaient empêché les femmes, dont elle‑même, d’avancer à des postes de direction à l’ARC pendant un certain nombre d’années.

[181]  Pour ce qui est des employés du groupe AU plus précisément, Mme Emmett allègue qu’aucune femme ayant une expérience de la vérification n’a été nommée à un poste de directeur de BSF dans la RSO/RO entre 1996 et 2006. Elle soutient que les vérificatrices étaient négativement stéréotypées comme n’étant pas aussi solides ou compétentes que les hommes dans des rôles de leadership, et qu’elles étaient depuis toujours sous‑représentées aux échelons supérieurs de l’ARC, surtout dans le groupe de la direction. Elle ajoute que ses antécédents en matière de vérification étaient un autre facteur qui l’empêchait d’avancer à un poste de directeur.

[182]  L’intimée soutient que la plaignante n’a fourni aucune preuve de l’existence d’une politique ou d’une pratique discriminatoire précise à l’égard de la dotation des postes dans des catégories autres que celle de la direction, et que sa preuve ne repose que sur des données, ce qui n’est pas suffisant pour s’acquitter de son fardeau.

[183]  Premièrement, étant donné que Mme Emmett n’a fourni que des preuves restreintes au sujet des prétendus obstacles culturels et comportementaux auxquels se heurtaient les femmes dans le groupe AU, le Tribunal accorde peu de poids à ces allégations.

[184]  Deuxièmement, même si les documents relatifs à l’équité en matière d’emploi de l’ARC reconnaissent que les femmes étaient sous-représentées dans le groupe AU, ces documents indiquent aussi que la sous-représentation des femmes dans la RO et au sein du groupe 3 des catégories professionnelles de l’équité en matière d’emploi (CPÉME) a graduellement diminué au fil des ans, à mesure qu’un plus grand nombre de femmes ont suivi des études supérieures et que des hommes, dans ce groupe, ont pris leur retraite.

[185]  Troisièmement, le Tribunal conclut que Mme Emmett n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une corrélation quelconque entre la sous-représentation des femmes dans les groupes autres que celui de la direction et la représentation des cadres féminins à l’ARC.

[186]  Le gros de la preuve de Mme Emmett était lié à des données tirées de rapports sur l’équité en matière d’emploi de l’ARC concernant les groupes des CPÉME, et surtout les rapports liés au groupe 3 des CPÉME. Cependant, ces groupes ne sont qu’indirectement liés au « mouvement » et à la promotion des vérificateurs. Le groupe 3 des CPÉME englobe des spécialistes tels que des vérificateurs, des conseillers financiers, des analystes financiers, des spécialistes en ressources humaines ainsi que des analystes de systèmes informatiques. Mme Desrochers a déclaré qu’il n’y avait aucun lien direct entre le groupe 3 des CPÉME et le groupe AU. En développant sa position, Mme Desrochers a expliqué que les données statistiques ne brossaient pas un tableau complet des AU car ce n’était pas tous les vérificateurs qui relevaient du groupe 3 des CPÉME. Par exemple, si l’on examinait les données relatives aux groupes AU1 à AU4, certains des AU4 pouvaient être comptés soit dans le groupe 2 des CPÉME, soit dans le groupe 3 des CPÉME, suivant les tâches qu’ils accomplissaient. De plus, les AU5 et les AU6 qui exerçaient des fonctions de gestion pouvaient relever du groupe 2 des CPÉME (Cadres intermédiaires et autres administrateurs).

[187]  Compte tenu de la preuve qui a été fournie, le Tribunal ignore tout simplement combien de cadres de l’ARC se trouvaient dans la filière des AU (employés tant masculins que féminins) avant d’accéder à un poste de cadre. Par ailleurs, comme il a été déclaré plus tôt, pour qu’une personne soit sélectionnée comme cadre à l’ARC, il n’était pas nécessaire d’avoir acquis de l’expérience dans le domaine de la vérification ou de la fiscalité. Le Tribunal ignore combien de membres de la catégorie de la direction venaient de chacun des groupes de relève respectifs. Il ressort de la preuve que, pour le groupe de la direction, le groupe AU n’était pas le seul groupe de relève. Les membres des groupes MG5, MG6, PM6, PE6, IS6, FI4, AS7 et AS8 pouvaient aussi présenter leur candidature en vue d’accéder à un poste de cadre à l’ARC. De telles données auraient pu permettre au Tribunal de déterminer s’il existait une sous-représentation ou si l’on exerçait de la discrimination à l’encontre des vérificatrices voulant être promues au groupe de la direction. Par ailleurs, les preuves qui ont été déposées pour expliquer comment des membres d’une catégorie autre que celle de la direction avaient été promus à des postes de cadre dans l’un quelconque des groupes professionnels de relève étaient restreintes (sinon nulles).

[188]  Le Tribunal rappelle que pour que des données statistiques constituent une preuve circonstancielle de discrimination, il faut qu’elles aient un lien direct avec la décision sur laquelle porte la plainte déposée (voir la décision Blake; la décision Chopra, aux par. 208 à 212; la décision Dhanjal, au par. 173). Les lacunes relevées dans la preuve de la plaignante empêchent le Tribunal de faire un tel lien en l’espèce. Dans ce contexte, je conclus que Mme Emmett n’a pas établi de lien entre la sous-représentation d’AU à l’échelon supérieur et la présumée sous-représentation ou discrimination dans le groupe de la direction. Je conclus également que Mme Emmett n’a pas démontré qu’on l’avait privée de possibilités d’emploi à cause de son expérience dans le domaine de la vérification. Aucune preuve indiquant que sa propre expérience, ou celle d’autres candidats, dans le domaine de la vérification a jamais été prise en considération dans les décisions en matière de dotation n’a été présentée.

(vi)  Conclusion

[189]  Je conclus que, comme il a été mentionné plus tôt, les candidats ayant participé avec succès à des concours ont été sélectionnés en fonction de leur aptitude à démontrer leurs compétences en leadership lors des entrevues qu’ils ont passées. La méthode qu’utilisait l’ARC pour évaluer les compétences des candidats permet de comprendre pourquoi un candidat retenu avait mieux réussi que les autres. Je conclus également que l’utilisation des contrôles des références, ainsi que la méthode suivie pour ces derniers, n’étaient pas arbitraires. Je suis d’avis que les affectations intérimaires ont été accordées en fonction des exigences opérationnelles de l’ARC et du principe de la « bonne personne pour le poste ».

[190]  Le Tribunal reconnaît que la politique et les pratiques d’embauche de l’ARC comportaient certains éléments discrétionnaires. Il reconnaît également que l’existence  de cet aspect discrétionnaire n’exclut pas la possibilité que la discrimination soit un facteur dans le processus d’embauche (décisions Folch et Premakumar). Cependant, si l’on considère les politiques et les pratiques de l’ARC de pair avec les éléments de preuve qui figurent dans le dossier, j’estime que la plaignante n’a pas démontré que l’ARC a fait preuve de discrimination systémique à l’encontre des femmes en empêchant ces dernières d’avoir droit à une promotion au sein du groupe de la direction, surtout dans la RSO/RO et, plus particulièrement, dans le cas des quatre postes de directeur de BSF qui étaient situés dans la RGT. Au contraire, il ressort de la preuve que l’ARC était au courant de la légère sous‑représentation des femmes dans le groupe de la direction et qu’elle prenait des mesures concrètes pour combler l’écart dans ses pratiques d’embauche. Le Tribunal reconnaît que l’équité en matière d’emploi est un objectif qui est long à atteindre, un fait que Mme Emmett a elle-même reconnu dans son témoignage ainsi que dans les lettres qu’elle a envoyées à la haute direction. Il faut du temps pour qu’un cadre change de poste ou prenne sa retraite et permette ainsi à un employé différent de prendre sa place. Il ressort des données statistiques que l’ARC est parvenue à atteindre en quelques années l’objectif de la représentation des deux sexes au sein du groupe de la direction.

[191]  Il ressort également de la preuve que la culture et le comportement de l’organisation n’étaient pas discriminatoires envers les femmes. Les employés de l’ARC qui occupaient des postes liés aux ressources humaines, à l’équité en matière d’emploi et à la planification de la relève encadraient activement des employés, tant masculins que féminins, en vue de les aider à acquérir les compétences qui favoriseraient leur avancement professionnel.

[192]  Pour ce qui est de l’affirmation de Mme Emmett selon laquelle l’ARC exerçait précisément de la discrimination à l’encontre des cadres féminins présents dans la RSO/RO, et ce, malgré le défaut de saisir les données relatives à la DMT à l’échelle nationale, même si le Tribunal en venait à présumer qu’il y avait une sous-représentation de cadres féminins dans cette région (et surtout une sous-représentation de directrices de BSF dans la RGT) la sous-représentation, en soi, n’est pas le signe d’une discrimination systémique fondée sur le sexe. Le Tribunal doit veiller à évaluer le système tout entier. Comme il a été expliqué plus tôt, le Tribunal conclut que Mme Emmett n’a pas démontré que la culture, le comportement ou les méthodes de dotation en personnel de l’ARC étaient discriminatoires envers les femmes qui souhaitaient obtenir des possibilités d’avancement dans le groupe de la direction, ce qui incluait les cadres féminins présents dans la RSO/RO et les quatre postes de directeur de BSF dans la RGT.

B.  La plaignante s’est-elle acquittée du fardeau d’établir l’existence d’une discrimination systémique fondée sur le motif illicite qu’est l’âge, au sens de l’article 10 de la Loi?

[193]  Aux dires de Mme Emmett, au cours de la période visée par sa plainte, il y avait à l’ARC un état d’esprit bien ancré selon lequel la carrière d’un employé prenait fin à l’âge de 55 ans et l’ARC commençait à gérer les retraites à partir du moment où les employés atteignaient l’âge de 50 ans. À l’appui de cette affirmation, Mme Emmett renvoie à des données statistiques, à la politique des modalités de travail flexible d’avant-retraite, aux méthodes appliquées dans le cadre du processus d’embauche et à quelques données anecdotiques concernant les comportements de l’ARC.

[194]  L’intimée soutient que Mme Emmett n’a pu relever aucune politique ou pratique de dotation en personnel en matière d’âge qui serait susceptible d’étayer un argument de discrimination fondé sur l’article 10 de la Loi. Selon l’ARC, ses plans de relève étaient axés à la fois sur le maintien en fonction et le renouvellement. Compte tenu de ses données démographiques et de ses défis opérationnels, l’ARC n’était pas en mesure d’encourager son effectif à prendre une retraite anticipée. L’ARC allègue également que les cadres qui avaient quitté l’ARC dans la cinquantaine l’avaient fait pour poursuivre d’autres possibilités d’emploi.

(i)  Le processus de sélection

[195]  Mme Emmett a déclaré qu’il est facile de récupérer l’âge d’un cadre dans le système informatisé de l’ARC. Elle croit que ce fait, conjugué au processus de dotation subjectif et discrétionnaire de l’ARC, donne fortement à penser que l’âge était pris en compte dans les décisions en matière de dotation. Elle souligne aussi l’expérience qu’elle a elle-même vécue dans le cadre de deux processus de sélection où sa candidature a été écartée en faveur d’une candidate plus jeune.

[196]  En réponse, l’intimée soutient que l’âge n’a jamais été pris en compte dans les décisions en matière de dotation et que la simple existence de dossiers du personnel n’est pas une preuve de discrimination systémique fondée sur l’âge.

[197]  Je conclus que Mme Emmett ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que l’âge d’un candidat entrait en ligne de compte dans les processus de sélection qu’appliquait l’ARC. Je conclus également qu’elle n’est pas parvenue à démontrer que l’ARC avait pour politique ou pratique de prendre en considération l’âge d’un candidat dans le cadre de ses mesures visant à pourvoir à un poste.

[198]  Premièrement, le fait que l’âge des employés soit disponible et enregistré dans les bases de données administratives organisationnelles de l’ARC ne permet pas de conclure qu’au moment de prendre une décision en matière d’embauche, les gestionnaires d’embauche examinaient cette information. Dans le dossier, aucune preuve ne démontre que l’on a eu accès à ce genre d’information en vue de prendre des décisions en matière d’embauche.

[199]  Deuxièmement, aucun des témoins de l’ARC n’a déclaré s’être senti contraint ou avoir vu quelqu’un être contraint de quitter l’organisation en raison de son âge, ne pas présenter sa candidature ou tenter d’obtenir une promotion ou un autre poste du fait de son âge, ni qu’il existait un état d’esprit selon lequel on n’encourageait pas les employés plus âgés à continuer de travailler. À l’audience, Mme Wlotzki a déclaré que l’âge n’était pas un facteur pertinent dont on tenait compte dans les décisions en matière de dotation en personnel, qu’il n’existait aucune politique prescrivant une retraite obligatoire et que, en fait, selon son expérience, l’ARC encourageait les cadres à travailler aussi longtemps qu’ils le voulaient ou qu’ils en avaient besoin.

[200]  Mme Shields a témoigné que l’ARC voulait préserver l’historique, l’expertise et le savoir de l’organisation et qu’elle encourageait les employés tant féminins que masculins à demeurer le plus longtemps possible au service de l’Agence. Tant Mme Reid que Mme Shields ont déclaré que lorsqu’elles avaient décidé de prendre leur retraite à l’âge de 51 ans et de 52 ans, respectivement, l’ARC leur avait demandé de reconsidérer leur décision car elle espérait les conserver à son service plus longtemps. Cela concorde avec le témoignage de M. Troy, car celui-ci a déclaré qu’à mesure que les employés prenaient de l’âge, on leur confiait une quantité croissante de responsabilités à l’ARC. Il y avait aussi la preuve d’un certain nombre d’employés qui avaient été embauchés après l’âge de 50 ans. Par exemple, le concours tenu en 2004 pour le poste de directeur du BSFTC avait été remporté par un employé âgé de 54 ans.

[201]  Enfin, Mme Emmett n’a pas déclaré qu’on avait fait pression sur elle pour qu’elle prenne sa retraite en raison de son âge.

(ii)  La politique des modalités de travail flexible d’avant-retraite

[202]  Mme Emmett soutient que la politique sur les modalités de travail flexible constitue un acte discriminatoire fondé sur l’âge parce qu’elle empêche un cadre de continuer de travailler en l’obligeant à prendre sa retraite après l’expiration de la durée des modalités de travail flexible.

[203]  Je ne souscris pas à la manière dont Mme Emmett interprète la politique de l’ARC sur les modalités de travail flexible d’avant-retraite. Après avoir examiné cette politique et les éléments de preuve que les témoins de l’intimée ont fournis, je conclus que cette politique n’a pas servi à forcer des employés à prendre leur retraite. Il s’agissait plutôt d’un outil qui permettait à l’ARC de conserver le savoir et l’expertise de l’organisation, tout en permettant de pourvoir des postes et de poursuivre les activités.

[204]  Selon la sous-section 5.2 du CSED, lorsque des modalités de travail flexible sont utilisées à des fins de préretraite, le cadre [traduction] « doit s’engager par écrit à prendre sa retraite et le gestionnaire délégué doit accepter la démission par écrit à une date précisée ».

[205]  Selon le témoignage de M. Hillier, l’objectif premier des modalités de travail flexible d’avant-retraite est de permettre à l’ARC de conserver le savoir et l’expertise d’un employé. Il a donné l’exemple de la directrice d’un BSF dont le bureau avait été fusionné, une mesure à la suite de laquelle le poste de directeur était devenu excédentaire. Comme il n’y avait pas d’autre poste de directeur disponible et que l’employée approchait de l’âge de la retraite, un poste avait été créé dans le cadre de la politique sur les modalités de travail flexible afin que l’ARC puisse continuer de bénéficier du travail de cette personne dans le groupe de la direction et que celle-ci puisse continuer de travailler jusqu’à ce qu’elle prenne sa retraite.

[206]  Mme Wlotzki a déclaré que les ententes de modalités de travail flexible étaient conclues volontairement. Elle a également indiqué que l’ARC n’a pas d’âge de la retraite standard ou privilégié, ni aucune politique concernant la retraite obligatoire ou aucune politique limitant le temps pendant lequel un cadre peut conserver son poste. La politique indique clairement qu’il faut le consentement des deux parties – l’employé et l’employeur – pour que la mesure prenne effet, sauf dans des circonstances très spéciales, comme un cas de harcèlement, de conflit d’intérêts ou d’incapacité (CSED, sous-section 5.2).

[207]  En contre-interrogeant Mme Wlotzki, Mme Emmett a tenté de démontrer que l’ARC avait refusé d’annuler les modalités de travail flexibles d’avant-retraite d’une personne, obligeant ainsi cette dernière à prendre sa retraite de l’ARC. Mme Wlotzki a déclaré qu’elle était au courant de cette affaire et que l’ARC avait refusé de retirer les modalités en question, mais pas pour une question d’âge. Aucune autre question n’a été posée sur cet incident. J’accorde donc peu de poids au témoignage de Mme Emmett sur cette question.

[208]  Au vu de ce qui précède, je conclus qu’il n’y a dans le dossier aucune preuve démontrant qu’un cadre a été contraint de renoncer à son poste à cause de son âge ou qu’on l’a obligé à occuper un poste en vertu de la Politique des modalités de travail flexible d’avant‑retraite.

(iii)  La culture et le comportement

[209]  À l’audience, Mme Emmett a déclaré qu’il y avait à l’ARC un état d’esprit bien ancré, à savoir qu’une fois qu’un employé atteignait l’âge de 55 ans, le temps était venu de commencer à gérer son départ.

[210]  Mme Emmett fait aussi état du souvenir qu’elle avait d’un discours que le commissaire de l’ARC avait prononcé en mai 2007. Ni la plaignante ni l’intimée n’ont été en mesure de fournir une copie de ce discours. Selon Mme Emmett, le commissaire de l’époque avait reconnu qu’il incombait à l’ARC de conserver dans l’organisation les employés âgés de plus de 50 ans, plutôt que de gérer leur départ. L’intimée conteste cette interprétation du discours, faisant valoir que le message transmis au personnel consistait à inciter les cadres à continuer de travailler à l’ARC, même s’ils avaient atteint l’âge de l’admissibilité à la retraite.

[211]  J’accorde peu de poids à la manière dont Mme Emmett interprète le discours de l’ancien commissaire. Le Tribunal signale que Mme Emmett n’a pas appelé l’ancien commissaire comme témoin pour qu’il témoigne sur ce qu’il avait déclaré. Même si j’en venais à conclure qu’une telle déclaration a été faite avec la connotation que lui impute Mme Emmett, je suis d’avis qu’une seule déclaration ne témoigne pas, en soi, de la culture et du comportement d’une organisation tout entière. Sans autre preuve sur ce qui a été dit dans le discours de l’ancien commissaire, j’accorde peu de poids à l’interprétation qu’en fait Mme Emmett. Par ailleurs, l’affirmation de cette dernière a été contredite par le témoignage de Mme Danis et de Mme Wlotzki, qui ont déclaré qu’à l’époque, le commissaire avait fait des déclarations encourageant les employés à rester dans l’organisation après l’âge de la retraite.

[212]  Plusieurs des témoins de l’intimée ont également déclaré qu’on leur avait confié davantage de responsabilités à mesure qu’ils vieillissaient et qu’on les avait même encouragés à continuer de travailler plutôt qu’à prendre une retraite anticipée, car l’ARC était intéressée à conserver le savoir de l’organisation. Mme Emmett a elle-même indiqué qu’elle avait prévu travailler jusqu’en 2011, année où elle aurait atteint l’âge de 58 ou de 59 ans. Le Tribunal signale également qu’on lui a fourni peu de preuves, sinon aucune, que la plaignante s’était sentie contrainte de prendre sa retraite ou qu’on lui avait même suggéré de le faire parce qu’elle prenait de l’âge.

[213]  Mme Emmett souligne aussi la lettre par laquelle l’ARC sollicitait l’autorisation de nommer Mme Danis au poste de directrice du BSFTN en 2009 comme preuve que l’âge était un facteur dont on tenait compte dans les décisions en matière de dotation en personnel de l’ARC. Dans cette lettre, l’ARC écrit : [traduction] « Mme Danis est âgée de 50 ans et a plus de 28 années de service ». Je suis d’avis que l’inclusion de l’âge de Mme Danis dans cette lettre ainsi que dans le document annonçant la nomination de Mme Danis en tant que nouvelle directrice du BSFTN n’étaye pas l’allégation d’une culture discriminatoire fondée sur l’âge. Je conclus plutôt que cette information était de nature purement factuelle et n’était incluse là que pour décrire au commissaire de quelle personne le commissaire adjoint recommandait la nomination.

[214]  Mme Emmett invoque aussi les résultats de sondages menés auprès des employés de l’ARC en 1999, 2002 et 2005 comme preuve circonstancielle d’une discrimination fondée sur l’âge. Dans le sondage de 2005, 31 % des employés avaient indiqué qu’ils faisaient l’objet de mesures de discrimination fondées sur l’âge. Malheureusement, je n’ai pas de détails sur ces opinions ou sur les résultats du sondage. Mme Emmett n’a appelé aucun témoin qui aurait pu fournir plus de détails sur les résultats du sondage et sur la méthode de collecte des réponses, ni dire si l’on disposait de plus d’informations granulaires susceptibles d’aider à expliquer les réponses données. Par exemple, on ne sait pas avec certitude si les personnes qui avaient répondu au sondage estimaient avoir été victimes de discrimination du fait de leur jeune âge en faveur d’employés plus âgés et d’un rang supérieur. Par ailleurs, le sondage n’était pas réparti par classification des postes (c.-à-d., les cadres par opposition aux non-cadres) ou par région géographique. Cela étant, bien que je reconnaisse que Mme Emmett a fait partie de divers groupes de travail et comités de direction établis à la suite des résultats du sondage et, de ce fait, que les connaissances qu’elle avait étaient nettement supérieures à celles d’un grand nombre d’employés de l’ARC, elle n’a pas pu démontrer ce que les résultats voulaient dire, ni justifier pourquoi il fallait leur accorder un poids important à l’appui de son allégation de discrimination fondée sur l’âge dans la RSO/RO.

[215]  Enfin, Mme Emmett renvoie à une décision qu’a rendue la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) : Wong c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 133, une affaire dans laquelle un gestionnaire supérieur avait censément privé un gestionnaire de la possibilité de suivre à plein temps une formation linguistique en français. La plaignante soutient que l’on avait refusé à M. Wong la possibilité de suivre cette formation parce qu’il était proche de la retraite. Cependant, je souscris à l’affirmation de l’intimée selon laquelle cette décision n’a rien à voir avec l’âge. La CRTFP n’a jamais tiré une conclusion au sujet d’un acte discriminatoire fondé sur l’âge; M. Wong alléguait plutôt avoir été victime de discrimination fondée sur la race. Je signale également que, dans cette affaire, l’arbitre avait conclu que le grief de M. Wong n’avait pas été renvoyé correctement à l’arbitrage. Je conclus donc que les prétentions de Mme Emmett sont de nature purement conjecturale, et je n’accorde aucun poids à la décision Wong.

(iv)  Les données statistiques

[216]  Mme Emmett allègue qu’il ressort des données statistiques qu’un grand nombre de cadres ont quitté l’ARC après l’âge de 55 ans et que la réduction du nombre de cadres était plus prononcée chez les femmes.

[217]  L’intimée soutient que les statistiques démontrent que le groupe d’âges de 50 à 54 ans représentait le bloc d’âges le plus important dans le groupe de la direction et qu’il y avait une concentration supérieure d’employés âgés dans les postes de niveau supérieur. Par ailleurs, elle prétend qu’un grand nombre de cadres ont commencé à prendre leur retraite après l’âge de 55 ans parce qu’ils étaient devenus admissibles à le faire sans être pénalisés. Mme Wlotzki a aussi déclaré qu’un certain nombre de cadres avaient décidé de quitter l’Agence pour entreprendre une seconde carrière dans le secteur privé.

[218]  La preuve établit qu’un plus grand nombre de cadres féminins que de cadres masculins ont quitté l’ARC après l’âge de 54 ans. Cette preuve démontre aussi que, en général, il y avait à l’ARC moins de cadres qui se situaient dans le groupe d’âges de 55 à 59 ans. Je signale également que la fonction publique fédérale comptait un pourcentage d’employés âgés de 55 à 59 ans supérieur à celui que comptait l’ARC. J’accorde toutefois peu de poids aux données statistiques parce que celles-ci n’illustrent pas tous les déplacements des employés de l’ARC. Je souscris à la preuve de l’intimée selon laquelle certains employés, dont des cadres féminins, avaient quitté l’ARC pour poursuivre une carrière dans le secteur privé. Par exemple, Mme Reid a quitté l’ARC à l’âge de 51 ans pour un travail au FMI où, à la date de sa déposition, elle travaillait depuis seize ans. Mme Hébert a elle aussi quitté la fonction publique à l’âge de 57 ans pour entrer au service du FMI. La preuve est donc lacunaire car elle ne démontre pas si l’on comptait moins d’employés dans le groupe d’âges de 55 à 59 ans à l’ARC parce que ceux-ci étaient passés à d’autres ministères ou dans le secteur privé, parce que ces employés avaient décidé de mettre un terme à leur carrière une fois qu’ils étaient devenus admissibles à la retraite sans pénalités, ou pour quelque autre raison. Je conclus qu’il y a un certain nombre d’autres explications raisonnables et non discriminatoires qui expliquent pourquoi le nombre de cadres se situant dans les groupes d’âges de 50 à 54 ans et de 55 à 59 ans avait diminué. Mme Emmett n’a pas démontré que l’on faisait pression sur les cadres pour qu’ils quittent l’ARC en raison de leur âge.

(v)  Conclusion

[219]  Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, je ne considère pas que la plaignante s’est acquittée de son fardeau de prouver que l’ARC a fait preuve de discrimination systémique à l’encontre des personnes âgées de plus de 50 ans. Je conclus qu’il ressort de la preuve soumise au Tribunal que l’intimée considérait que l’âge, l’expérience et l’expertise des cadres, qu’ils soient de sexe féminin ou masculin, étaient un élément de valeur qu’il fallait conserver le plus longtemps possible. À l’inverse de ce que la plaignante a affirmé, la preuve qui m’a été soumise m’amène à conclure que l’organisation s’inquiétait du fait de perdre des employés qui s’approchaient de l’âge de la retraite et elle encourageait les cadres, y compris ceux de sexe féminin, à rester dans l’organisation après l’âge normal de la retraite, plutôt que de leur démontrer la porte de sortie.

C.  La plaignante s’est-elle acquittée du fardeau d’établir l’existence d’une discrimination systémique fondée sur les motifs combinés que sont le sexe et l’âge, au sens de l’article 10 de la Loi?

[220]  Mme Emmett invoque des données statistiques à l’appui de sa prétention selon laquelle l’ARC a fait preuve de discrimination à l’encontre des femmes âgées au sein de l’organisation. Comme il a été expliqué plus tôt, bien que la preuve démontre que, du point de vue statistique, plus de femmes que d’hommes ont quitté l’ARC après l’âge de 54 ans, elle n’est pas suffisante pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les femmes âgées de plus de 50 ans étaient exclues des possibilités d’avancement ou « forcées » à prendre leur retraite. Comme il a été expliqué plus tôt, il y a un certain nombre de raisons pour lesquelles, à l’ARC, les cadres féminins étaient sous-représentés dans le groupe d’âges de 55 à 59 ans. Le Tribunal refuse de tirer des inférences défavorables au vu du dossier dont il dispose, en se fondant uniquement sur la manière dont Mme Emmett interprète les données. Par ailleurs, les preuves qui figurent dans le dossier démontrent que l’ARC a encouragé les cadres âgés de plus de 50 ans, tant féminins que masculins, à rester au service de l’organisation et à retarder leur retraite. Ce fait, conjugué à la preuve que la culture inclusive, le comportement et la hausse fructueuse de la représentation des femmes dans le groupe de la direction de l’ARC, conforte mon opinion selon laquelle Mme Emmett ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer que l’ARC exerçait, à une échelle systémique, une discrimination combinée, fondée sur le sexe et l’âge, à l’encontre des femmes âgées de plus de 50 ans.

D.  La plaignante a-t-elle été victime de discrimination de la part de l’intimée pour un motif fondé sur le sexe ou l’âge, ce qui est contraire à l’article 7 de la Loi?

[221]  Mme Emmett allègue qu’entre 1999 et 2006, elle a été privée de diverses affectations intérimaires à un poste de directeur et que sa candidature a été rejetée lors de plusieurs concours menant à un tel poste en raison de son sexe ou de son âge.

[222]  À l’audience, Mme Emmett a fait valoir que les raisons données par l’ARC pour expliquer pourquoi on l’avait privée de la possibilité d’avancer dans sa carrière étaient incohérentes, contradictoires et déraisonnables. Elle soutient également qu’elle n’a pas bénéficié de manière égale d’affectations intérimaires parce que, par rapport à ses collègues masculins, elle n’a jamais été promue par la suite à un poste de directeur.

[223]  À l’audience, l’ARC a fait valoir que la preuve ne saurait étayer la ferme conviction de Mme Emmett que son incapacité à obtenir une promotion était due à son sexe et à son âge. Elle soutient que l’explication la plus probable et raisonnable est qu’il y avait d’autres personnes « plus appropriées » pour les affectations intérimaires et que Mme Emmett n’avait tout simplement pas obtenu d’aussi bons résultats à l’entrevue que les autres candidats lors des processus de dotation. De plus, l’intimée soutient que Mme Emmett a restreint les possibilités qui s’offraient à elle en ne présentant sa candidature qu’aux possibilités de dotation offertes dans quatre BSF situés dans la RGT.

[224]  J’ai lu la totalité des observations détaillées des parties et je ne traiterai que des arguments qui, selon moi, sont pertinents pour trancher le fond de la plainte.

(i)  Le poste de directeur intérimaire de 1999 (BSFTN)

[225]  En mars 1999, le supérieur immédiat de Mme Emmett, M. Troy, est parti pour une affectation intérimaire d’une durée de quatre mois. Il a demandé à M. C de le remplacer pendant cette période de quatre mois. Mme Emmett soutient qu’elle a été victime de discrimination fondée sur le sexe quand l’affectation intérimaire a été confiée à M. C plutôt qu’à elle. L’intimée soutient que le sexe n’était pas un facteur; la décision de nommer M. C était plutôt fondée sur la charge de travail.

[226]  Je conclus que Mme Emmett ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer que le sexe était un facteur dans la décision qu’avait prise M. Troy de ne pas lui confier cette affectation intérimaire.

[227]  Mme Emmett allègue qu’on aurait dû lui confier l’affectation intérimaire conformément à la pratique largement reconnue de l’ARC qui consistait à confier les affectations aux employés qui se situaient au niveau inférieur à celui du poste vacant parce qu’elle était la seule cadre de son bureau qui répondait à cette norme. Elle allègue aussi que M. C se situait au niveau inférieur au sien et qu’il n’était pas mieux qualifié qu’elle.

[228]  Je souscris au témoignage de M. Troy selon lequel M. C et Mme Emmett étaient ses deux directeurs adjoints qui avaient le plus d’expérience au BSFTN et qu’ils avaient tous deux une expérience semblable en matière de programmes à titre de cadres, ayant atteint leur niveau EX-01 en 1992-1993. Il a indiqué qu’en 1999, les deux postes de directeur adjoint avaient été reclassés du niveau EX-01 au niveau EX-02 et que le poste de Mme Emmett avait été reclassé avant celui de M. C. De plus, plusieurs témoins ont confirmé le témoignage de M. Troy, à savoir qu’un cadre appartenant au prochain niveau inférieur n’était pas automatiquement affecté à un poste de directeur à titre intérimaire. Comme il a été indiqué plus tôt, j’admets qu’après l’unification administrative, l’ARC a mis l’accent sur le fait d’accorder des postes aux candidats en se conformant aux exigences opérationnelles ainsi qu’au principe de la « bonne personne pour le poste ». Contrairement à ce que Mme Emmett a affirmé, j’admets que l’affectation intérimaire ne lui aurait pas été automatiquement accordée, même si elle était, dans son bureau, le cadre qui avait le rang le plus élevé après M. Troy.

[229]  Mme Emmett soutient que M. Troy aurait dû lui accorder le poste parce qu’il aurait dû savoir, d’une part, qu’elle aspirait à devenir EX-03 et, d’autre part, qu’un tel poste n’intéressait pas M. C. Cependant, comme je l’ai conclu plus tôt, le fait d’obtenir une affectation intérimaire à un niveau supérieur n’était pas nécessairement considéré comme un « coup de pouce » lors des processus d’avancement.

[230]  Mme Emmett conteste également le fait que l’affectation intérimaire n’avait pas été annoncée et qu’aucun processus de sélection n’avait été tenu, soutenant que la nomination avait été faite arbitrairement. Comme je l’ai mentionné plus tôt, à la partie A de la section VIII, au moment d’évaluer le processus des affectations intérimaire de l’ARC, il ressort du dossier que l’Agence n’accordait pas les affectations intérimaires de manière arbitraire. J’admets qu’un certain nombre de facteurs ont été pris en compte, comme la charge de travail, le fait de savoir s’il était nécessaire de posséder des compétences particulières, la continuité des activités et les besoins de perfectionnement. M. Troy a déclaré avoir rencontré séparément Mme Emmett et M. C en vue d’évaluer leur charge de travail. Quand il a rencontré chacun d’eux, il ne les a pas informés de l’affectation intérimaire imminente. Il s’est souvenu qu’à la réunion avec Mme Emmett, celle‑ci lui avait dit qu’elle était débordée de travail. Il avait donc décidé d’accorder l’affectation intérimaire à M. C plutôt qu’à Mme Emmett, parce que M. C était mieux placé [traduction] « du point de vue de la charge de travail » pour quitter son poste et se charger de l’affectation intérimaire.

[231]  Mme Emmett soutient avoir seulement dit à M. Troy qu’elle était débordée de travail après qu’il avait annoncé que M. C obtiendrait l’affectation intérimaire. Compte tenu des incohérences relevées dans la preuve de Mme Emmett, comme il a été décrit plus tôt, j’accorde plus de poids au témoignage de M. Troy à ce sujet. À tout le moins, ce témoignage démontre que, à ce moment-là, ce dernier était au courant de la lourde charge de travail de Mme Emmett parce qu’elle s’occupait d’un dossier particulier (le « dossier X »). Je souscris à son témoignage selon lequel la participation de Mme Emmett au dossier X avait pesé lourd dans sa décision de ne pas la nommer au poste intérimaire.

[232]  Je conclus donc qu’il n’existe aucune preuve que le sexe a été un facteur dans la décision de M. Troy. Ce dernier a plutôt évalué la charge de travail de ses deux directeurs adjoints occupant le rang le plus élevé et a pris sa décision en se fondant sur leur charge de travail.

(ii)  Le poste de directeur intérimaire de 2000 (BSFTE)

[233]  Mme Emmett soutient que la discrimination fondée sur le sexe a été un facteur quand Mme Howard a décidé d’accorder un poste intérimaire à M. S plutôt qu’à elle. L’ARC soutient que la décision était basée sur les exigences opérationnelles ainsi que sur le principe de la « bonne personne pour le poste ».

[234]  Je conclus que le sexe de Mme Emmett n’a pas été un facteur dans la décision.

[235]  En septembre 2000, Mme Emmett a écrit à M. Troy pour lui faire part de son intérêt à l’égard d’un poste de directeur intérimaire du BSFTE après avoir entendu dire que le titulaire était affecté ailleurs. M. Troy a déclaré qu’il n’était aucunement responsable de cette affectation, mais qu’il avait tout de même soumis la demande de Mme Emmett à l’attention de la commissaire adjointe, Mme Howard, qui était chargée de recommander un candidat. Mme Howard a recommandé M. S pour ce poste, plutôt que d’autres candidats intéressés.

[236]  Selon Mme Emmett, M. S était un cadre d’un niveau inférieur au sien et il était moins qualifié qu’elle. Elle soutient qu’on ne l’avait pas contactée au sujet de l’affectation et, une fois de plus, qu’il n’y avait eu aucun processus officiel pour évaluer les qualifications et les compétences des candidats intéressés. Mme Howard a exprimé son désaccord avec la manière dont Mme Emmett avait décrit M. S, à savoir qu’il était moins qualifié qu’elle. M. S était directeur de programme dans la RSO et il avait déjà dirigé un BSF à titre intérimaire. Mme Howard a déclaré que M. S avait acquis de l’expérience dans diverses parties de l’organisation à titre de cadre, tandis que l’expérience que Mme Emmett avait acquise en lien avec les programmes était essentiellement à titre de non-cadre et qu’elle n’avait pas d’expérience à titre de directeur intérimaire de BSF. Mme Howard a également indiqué que l’ARC faisait l’objet d’une unification administrative à l’époque et était donc à la recherche de gestionnaires qui avaient acquis des compétences en matière de création de consensus et de travail d’équipe. Le fait qu’elle avait déjà personnellement travaillé avec M. S dénotait qu’il [traduction] « cadrait le mieux » avec ce critère car il était un [traduction] « créateur de consensus » et il était très à l’aise avec le changement. Mme Howard a déclaré qu’en comparaison, Mme Emmett trouvait le changement difficile.

[237]  Je conclus que la décision de nommer M. S n’était pas arbitraire, même s’il n’y avait pas eu de processus officiel pour passer au crible les candidats intéressés. Je souscris au témoignage de Mme Howard selon lequel les candidats avaient été évalués par rapport aux exigences opérationnelles de l’ARC et que Mme Emmett n’avait pas été retenue parce qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences opérationnelles du poste.

(iii)  Le poste de directeur intérimaire de 2001 (BSFTC)

[238]  Mme Emmett allègue avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe quand Mme Howard a accordé cette fonction intérimaire à M. G plutôt qu’à elle. L’intimée soutient que seules des considérations d’ordre opérationnel ont servi de fondement à la décision de l’ARC de nommer cette personne.

[239]  En août 2001, Mme Emmett a envoyé un courriel à M. Troy pour lui faire part de son intérêt à l’égard du poste de directeur intérimaire du BSFTC. Là encore, M. Troy a déclaré qu’il avait transmis le courriel de Mme Emmett à Mme Howard, qui était chargée de recommander un candidat.

[240]  Selon Mme Emmett, M. G n’était pas plus qualifié qu’elle-même. Une fois de plus, Mme Emmett soutient que ce poste intérimaire n’avait pas été annoncé et qu’aucun processus de dotation officiel n’avait été entrepris. Elle dit qu’on ne lui a jamais expliqué pourquoi elle n’avait pas été choisie pour cette affectation intérimaire. Le Tribunal signale toutefois que Mme Emmett n’a fourni aucune preuve qu’elle avait demandé à un moment quelconque une explication.

[241]  Tant Mme Emmett que M. G se situaient à l’époque au niveau EX-02. Mme Howard a déclaré que des considérations d’ordre opérationnel avaient servi de fondement à la décision de l’ARC. Plus précisément, elle a déclaré que l’Administration centrale voulait qu’un directeur [traduction] « chevronné » soit nommé au BSFTC parce que ce bureau avait à ce moment des problèmes avec le syndicat, ce qui exigeait la présence d’un gestionnaire ayant de nombreuses années d’expérience. Cette preuve a été confirmée par M. Troy. À l’époque de la nomination, M. G était le directeur du BSFTE et il avait également dirigé à titre intérimaire le BSFTC. Je reconnais donc que M. G était un directeur chevronné et que sa nomination allait aider à assurer la continuité et réduire le plus possible les changements dans ce bureau.

[242]  Par contraste, Mme Emmett n’avait aucune expérience récente à titre de directrice (son expérience datait d’avant l’unification, en 1994), à part le fait d’avoir remplacé à l’occasion M. Troy, lors de ses absences de courte durée.

[243]  Je considère que le sexe n’a pas été un facteur dans la décision de ne pas accorder à Mme Emmett le poste intérimaire. Il ressort de la preuve qu’aucun facteur autre que les problèmes opérationnels n’était au premier plan des préoccupations de la haute direction de l’ARC quand celle-ci a décidé de nommer M. G. Je reconnais que ce dernier possédait les compétences requises pour faire face aux problèmes opérationnels avec lesquels ce bureau était aux prises à l’époque. De plus, je reconnais que Mme Emmett ne possédait pas l’expérience et les compétences qui étaient directement nécessaires à l’époque pour faire face à ces problèmes opérationnels. Enfin, je conclus que Mme Emmett n’aurait pas été au courant de toutes les préoccupations et de tous les problèmes qui concernaient ce bureau.

(iv)  Le poste de directeur intérimaire de 2001 (BSFTE)

[244]  En septembre 2001, une autre affectation à titre de directeur intérimaire est devenue disponible dans le BSFTE. Mme Emmett soutient avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe quand Mme Howard a nommé M. P à ce poste, plutôt qu’elle-même. L’intimée soutient que Mme Howard avait reçu de l’Administration centrale l’ordre de confier une affectation à M. P parce que ce dernier avait participé au Programme de perfectionnement des cadres supérieurs (PPCS).

[245]  Selon Mme Emmett, M. P se situait au niveau de direction inférieur au sien et était moins qualifié qu’elle quand l’affectation lui a été confiée. Elle remet également en question le fait que le poste intérimaire n’avait pas été annoncé et qu’aucun processus de dotation officiel n’avait eu lieu. Elle prétend que, malgré l’intérêt qu’elle avait manifesté à l’égard de ce type d’affectation, on ne l’a jamais informée du poste vacant ou de la raison pour laquelle on ne l’avait pas prise en considération. Le Tribunal signale que Mme Emmett n’a fourni aucune preuve qu’elle avait sollicité, à un moment quelconque, une telle explication.

[246]  Premièrement, si M. P se situait essentiellement au niveau EX-01, il faisait partie d’un bassin de candidats préqualifiés, après avoir participé à deux concours de niveau EX‑02. Je conclus donc que Mme Emmett et M. P étaient tous deux qualifiés pour le poste intérimaire.

[247]  Deuxièmement, bien que la preuve n’indique pas clairement si M. P faisait partie du PPCS à l’époque de cette fonction intérimaire, l’essentiel de la preuve de Mme Howard était que l’Administration centrale lui avait ordonné d’offrir une affectation à M. P. Je souscris à l’explication de l’ARC, à savoir que M. P exerçait les fonctions de directeur adjoint dans ce bureau et que, à ce titre, il était en mesure d’assurer la continuité des activités du bureau, une explication que je considère comme véridique et non prétextée. De plus, comme dans le cas des affectations intérimaires antérieures et ultérieures, l’ARC n’était nullement tenue de pourvoir l’affectation temporaire en recourant à un processus de dotation officiel ou à une affectation annoncée. Là encore, il n’y a aucune preuve que le sexe a joué un rôle quelconque dans la décision de ne pas demander à Mme Emmett d’occuper ce poste à titre intérimaire.

(v)  La mutation latérale / La possibilité de mutation à un poste de directeur de 2002 (BSFTE)

[248]  En juillet 2002, un avis de dotation en personnel a été transmis aux cadres en vue de déterminer si l’idée d’être muté à un poste de directeur les intéressait. Mme Emmett a présenté sa candidature et a été sélectionnée en vue d’une entrevue. À la suite des entrevues, M. P, qui occupait le poste à titre intérimaire depuis le 18 septembre 2001, a décroché l’emploi. Mme Emmett allègue qu’on ne lui a pas accordé le poste en raison de son sexe. L’ARC soutient que Mme Emmett n’avait pas été considérée comme qualifiée pour ce rôle parce qu’elle n’avait pas pu démontrer qu’elle possédait les compétences requises.

[249]  Mme Howard a fait remarquer qu’elle aurait pu nommer M. P directement à ce poste puisqu’il se situait déjà au niveau EX-02 et qu’il occupait le poste à titre intérimaire, mais qu’un concours avait été mis sur pied afin de s’assurer que tous ceux  intéressaiés par le poste pourraient présenter leur candidature. Elle siégeait également au comité de sélection chargé de ce concours et elle a expliqué que le comité était à la recherche d’une personne capable d’établir des consensus et de mener des discussions constructives avec ses pairs et la haute direction. Mme Howard a décrit le processus d’évaluation : il s’agissait d’un processus dans lequel chacun des membres du comité de sélection notait le rendement de chaque candidat et en discutait, en considérant quelles réponses, selon eux, étaient solides et lesquelles étaient lacunaires. Mme Howard a ajouté que le comité de sélection avait également pris en compte le processus de réflexion cognitive des candidats, la manière dont ils analysaient la question ou le problème qu’on leur soumettait, si les candidats consultaient d’autres personnes au moment d’exercer leur pouvoir discrétionnaire, si les candidats envisageaient d’autres options, s’ils comprenaient les conséquences de chaque option et si la décision prise était fondée sur une connaissance de l’organisation. Les discussions entre les membres du comité étaient un élément clé dans l’évaluation du rendement de chacun des candidats.

[250]  Mme Howard s’est souvenue que les réponses de Mme Emmett avaient été brèves, nettement plus que celles de M. P, et que le comité avait été incapable de comprendre son processus de réflexion parce qu’elle n’avait pas donné d’explications sur des questions telles que la manière dont l’ARC contribuait au plan d’action du gouvernement, elle n’avait pas incorporé le plan d’activités de l’ARC et elle avait seulement expliqué ce qu’elle ferait (le « quoi »), sans exprimer la manière de procéder (le « comment »). Mme Howard s’est souvenue que Mme Emmett était également très nerveuse à l’entrevue et n’avait regardé personne dans les yeux.

[251]  Je conclus que le sexe n’a pas été un facteur dans la décision de ne pas nommer Mme Emmett à ce poste. Même si les dossiers de dotation relatifs à ce processus ont été détruits, je souscris à la manière dont Mme Howard s’est souvenue du rendement des candidats lors des entrevues. J’accorde un poids considérable au témoignage de Mme Howard parce que celle-ci a directement pris part aux décisions qui ont été prises dans le cadre de ce processus de sélection. Elle a fourni une preuve détaillée sur le type de questions qui avaient été posées et sur les réponses que Mme Emmett et les autres candidats avaient données. De plus, le témoignage de Mme Howard concordait avec celui d’autres témoins qui, pendant toute la durée de l’audience, ont déclaré que Mme Emmett s’était exprimée de manière succincte dans ses réponses par rapport aux autres candidats et qu’elle avait tendance à être nerveuse en entrevue.

[252]  Par ailleurs, contrairement à ce que Mme Emmett a affirmé, je suis d’avis que la décision du comité de ne pas la sélectionner n’était pas fondée sur une évaluation subjective de ses caractéristiques personnelles. Je conclus que le comité a évalué les réponses de Mme Emmett de manière objective par rapport aux exigences du poste ainsi que par rapport aux autres candidats. Mme Howard a décrit de manière assez claire que c’était la profondeur et l’étendue des réponses que le comité de sélection évaluait. J’admets que le fait d’expliquer comment et pourquoi une personne prendrait des mesures particulières dans une situation donnée illustre quels sont les processus de réflexion, les capacités d’analyse et les compétences que l’on évalue. J’admets également que, en omettant de fournir des réponses plus complètes que les autres, Mme Emmett n’avait pas pu démontrer ses capacités d’analyse et les compétences requises aussi bien que le candidat retenu.

[253]  Enfin, je signale qu’à la suite du processus, l’intimée a encouragé Mme Emmett à obtenir une rétroaction particulière sur son entrevue afin de pouvoir apprendre et comprendre comment obtenir un meilleur résultat lors des processus de sélection à venir.

(vi)  Les mutations d’autres cadres en 2003 et 2004

[254]  Dans son exposé des précisions (EP), Mme Emmett souligne trois cas dans lesquels les demandes de déploiement de trois collègues masculins ont été acceptées et où, allègue‑t-elle, aucun avis de dotation en personnel n’a été émis et aucun processus de sélection officiel n’a eu lieu. Elle ajoute qu’on l’avait traitée différemment de ses homologues masculins parce que sa demande de déploiement avait été rejetée, ce qui l’avait obligée à présenter sa candidature en vue de l’obtention d’un poste. Mme Emmett n’a pas soulevé cette question dans ses observations finales, mais j’ai décidé d’en traiter dans les présents motifs.

[255]  Après avoir examiné la preuve, je ne trouve pas qu’il y a eu une incidence défavorable ou de la discrimination à l’endroit de Mme Emmett, relativement à la dotation de ces postes en particuliers. Pour ce qui est de deux d’entre eux, la preuve indique très clairement que des processus de sélection ont bel et bien eu lieu et que les deux personnes nommées étaient les candidats que l’on avait retenus. Les allégations de Mme Emmett au sujet de ces deux postes sont inexactes quant aux faits. Par ailleurs, elle n’a présenté sa candidature à ni l’un ni l’autre de ces postes, ni fait part d’un intérêt quelconque à leur égard.

[256]  Pour ce qui est du poste situé à Barrie, selon la preuve présentée, le bureau de Barrie était issu du BSFTN, et la création d’un poste de directeur, de niveau EX-01, avait été approuvée. L’un des directeurs adjoints de ce bureau avait été déployé au poste de directeur, sans concours. Le déploiement s’était fait au même niveau, c’est-à-dire que la personne était restée au niveau EX-01 lorsqu’elle avait assumé la fonction de directeur. Mme Emmett n’a fourni aucune autre preuve au sujet de ces déploiements. Sans preuve additionnelle sur les faits, les facteurs ou les questions qui faisaient partie intégrante des décisions de déployer cette personne à ce poste ou sur la raison pour laquelle les demandes antérieures de Mme Emmett ont été rejetées, je ne suis pas d’avis que cette dernière s’est acquittée de son fardeau de démontrer qu’elle a été traitée défavorablement du fait de son sexe dans le cadre de l’examen, par l’ARC, de ses demandes de déploiement. Par ailleurs, la preuve indique que Mme Emmett n’était pas intéressée à l’idée d’être déployée à un poste de niveau EX-01.

(vii)  Le poste de directeur intérimaire de 2003 (BSFTN)

[257]  En septembre 2003, Mme Emmett a obtenu une affectation de quatre mois à titre de directrice intérimaire. Il s’agissait de la première affectation de longue durée qu’on lui accordait à titre de directrice intérimaire, au niveau « directeur ». Elle soutient que cette affectation n’était pas un effort sincère pour l’aider à avancer dans sa carrière, mais qu’elle lui avait été accordée de mauvaise foi pour l’empêcher de se plaindre d’être traitée de façon différente et défavorable par rapport à ses homologues masculins. De plus, Mme Emmett soutient qu’elle n’a pas profité de manière égale de cette affectation intérimaire parce qu’elle n’a jamais été promue par la suite à un poste de directeur, ce qui avait été le cas de ses collègues masculins.

[258]  L’ARC signale que la conviction de Mme Emmett que cette affectation lui avait été accordée de mauvaise foi et pour la faire taire est illogique car, à ce moment-là, elle n’avait pas déposé sa plainte relative aux droits de la personne. L’ARC soutient de plus qu’il y avait des collègues masculins se trouvant dans une situation semblable qui n’avaient pas avancé au niveau « directeur », même s’ils avaient exercé des fonctions intérimaires à divers titres.

[259]  Je souscris au témoignage de M. Troy selon lequel il a accordé cette affectation à Mme Emmett parce qu’il s’était engagé à le faire après l’affectation intérimaire de 1999 qu’elle n’avait pas obtenue. L’allégation de Mme Emmett semble dépourvue de sens car je ne vois pas en quoi le fait de lui accorder une affectation intérimaire, qu’elle avait demandée, puisse être discriminatoire pour un motif fondé soit sur l’âge, soit sur le sexe. Je conclus que le fait d’obtenir une affectation intérimaire n’a pas créé d’incidence défavorable pour Mme Emmett. Il ressortait clairement de la preuve que M. Troy avait bel et bien promis à Mme Emmett que la prochaine fois où il aurait besoin de quelqu’un pour une affectation intérimaire de longue durée, il la lui accorderait. Cette affectation-là était la suivante et M. Troy s’est acquitté de sa promesse en l’accordant à Mme Emmett. Enfin, comme il a été réitéré plus tôt, je souscris à la preuve de l’intimée selon laquelle les affectations intérimaires n’étaient pas forcément considérées comme un « coup de pouce » dans les processus de dotation en personnel et que ce n’était pas tous les employés, de sexe masculin ou féminin, à qui l’on accordait une affectation intérimaire qui étaient par la suite promus à un poste de directeur.

(viii)  Le concours relatif au poste de directeur de 2004 (BSFTC)

[260]  Mme Emmett soutient qu’elle n’a pas été jugée qualifiée pour ce poste en raison de son sexe. L’intimée soutient que M. A, âgé de 54 ans à l’époque, était plus qualifié parce qu’il possédait les connaissances directement liées à ce poste, de même que les compétences clés qui étaient essentielles à la fonction de directeur. Selon l’ARC, Mme Emmett n’avait pas démontré, lors du processus de sélection, qu’elle était prête pour ce poste et qu’elle lui convenait.

[261]  Mme Emmett a présenté sa candidature pour le poste, a été présélectionnée dans le cadre du concours et a été invitée à une entrevue. Il y avait sept candidats : quatre hommes et trois femmes. Le comité de sélection était formé de personnes des deux sexes. À la suite de son entrevue, on a considéré que Mme Emmett n’était pas qualifiée pour l’emploi. M. A s’est vu attribuer le poste et M. P a été inscrit dans le bassin des candidats préqualifiés de niveau EX-03. Les deux autres femmes n’ont pas non plus répondu aux conditions requises.

[262]  Mme Emmett soutient qu’elle aurait dû être qualifiée car elle jouissait d’une expérience nettement plus vaste en matière de programmes, ainsi que d’une expérience du travail de directeur, et qu’elle avait travaillé à un niveau exécutif supérieur pendant une période plus longue que les deux candidats masculins que l’on avait jugés qualifiés.

[263]  Au vu de la preuve fournie à l’audience, je suis d’avis que le sexe n’est pas entré en ligne de compte lorsqu’il a été conclu que Mme Emmett n’était pas qualifiée pour le poste. La preuve ne démontre pas que cette dernière était plus qualifiée que le candidat que l’on avait retenu. Quoi qu’il en soit, Mme Emmett n’a pas été nommée non pas parce qu’elle manquait d’expérience, mais bien parce que d’autres candidats avaient obtenu un meilleur résultat qu’elle à l’entrevue. M. Hillier, qui était membre du comité de sélection, a déclaré que M. A et M. P avaient tous deux obtenu un meilleur résultat que Mme Emmett parce qu’ils avaient pu démontrer, à l’aide d’exemples concrets, les compétences qui étaient nécessaires au poste. Il a décrit en détail de quelle façon le candidat retenu avait fait état des compétences qu’il détenait pour le poste et les aspects à l’égard desquels Mme Emmett avait échoué. Je souscris au témoignage de M. Hillier, qui était appuyé par le rapport sur le processus de sélection ainsi que par le sommaire de l’entrevue de Mme Emmett.

[264]  Le sommaire de l’entrevue, un document qui a été établi peu après l’entrevue et qui renfermait les commentaires des membres du comité de sélection, indique que Mme Emmett n’avait pas fait état de la vaste expérience qu’exigeait le poste. Le document signale de plus que Mme Emmett avait semblé être très nerveuse durant toute l’entrevue, qu’elle avait hésité en répondant aux questions posées, qu’elle n’avait pas pu organiser son processus de réflexion de manière logique et qu’elle avait été incapable de projeter l’étendue du leadership auquel on s’attendait de la part d’une personne souhaitant accéder au niveau EX-03 (Directeur). Le comité de sélection a ainsi conclu que les liens qui auraient démontré l’existence d’une approche stratégique et organisationnelle dans son processus de réflexion n’étaient pas évidents.

[265]  Mme Emmett laisse entendre qu’il y a lieu d’accorder peu de poids à ce document, ainsi qu’au rapport sur le processus de sélection, parce qu’ils ne sont pas signés. Elle allègue aussi que le sommaire de l’entrevue a été établi six mois après l’entrevue proprement dite. Je ne suis pas disposé à accorder peu de poids à l’un ou l’autre de ces documents car Mme Emmett n’a pas appelé les témoins ni ne leur a posé des questions sur la date à laquelle le document avait été créé. De plus, les commentaires portant sur la manière dont Mme Emmett s’était comportée au cours de l’entrevue concordent avec la description offerte par les témoins de sa prestation lors des entrevues qui avaient eu lieu pendant toute la période visée par la plainte. Je souscris donc au témoignage de M. Hillier, à savoir que ces documents reflètent les discussions et les conclusions du comité de sélection et qu’ils ont été établis peu après le moment où l’entrevue a eu lieu.

[266]  Mme Emmett a demandé et obtenu une réunion de rétroaction individuelle afin de faire la lumière sur la raison pour laquelle on l’avait jugée non qualifiée dans le cadre du concours, mais elle soutient que cette réunion n’a pas été utile. M. Hillier s’est souvenu d’avoir fait part à Mme Emmett des observations du comité de sélection et de lui avoir suggéré de participer à des activités d’encadrement destinées aux cadres en lien avec la préparation et la participation à des entrevues de sélection, ce qui l’aurait aidée dans de futurs processus de sélection. Mme Emmett a déclaré qu’elle avait été insatisfaite de la rétroaction qu’elle avait reçue, pourtant, elle n’en avait pas fait part à M. Hillier. En fait, le lendemain, elle lui avait écrit et l’avait remercié de l’avoir rencontrée.

(ix)  Le poste de directeur intérimaire de 2004 (BSFTE)

[267]  Mme Emmett prétend avoir été victime de discrimination du fait de son sexe quand M. Hillier a nommé M. V, âgé de 56 ans, au poste de directeur intérimaire (en attendant la tenue d’un concours) plutôt qu’elle-même. L’intimée soutient que la décision de nommer M. V n’était pas un prétexte; elle était fondée sur les exigences opérationnelles ainsi que sur les compétences et les capacités des candidats disponibles.

[268]  Mme Emmett soutient que M. V se situait à un niveau de direction inférieur et qu’il était moins qualifié qu’elle au moment où on lui avait attribué l’affectation intérimaire.

[269]  M. Hillier a déclaré que M. V était le directeur adjoint du bureau et que, à ses yeux, la continuité de la gestion était une priorité clé. Je souscris au témoignage de M. Hillier selon lequel il était logique que M. V exerce le poste à titre intérimaire dans ce bureau parce qu’il y avait à l’époque des problèmes syndicaux et d’accommodement qui nécessitaient une certaine attention et que M. V connaissait bien, parce que son poste d’attache était celui de directeur adjoint au BSFTE. De plus, M. V entretenait de bons rapports avec le syndicat, ce qui, selon M. Hillier, aiderait à régler les problèmes. Enfin, M. Hillier a aussi déclaré que M. V n’était pas intéressé à occuper le poste pendant une durée indéterminée. Cela faisait partie des aspects qu’il avait pris en considération parce qu’il avait le sentiment que le fait d’attribuer l’affectation intérimaire à M. V ne lui procurerait pas [traduction] « [l’]avantage intrinsèque distinct » que représenterait le fait d’occuper le poste à titre intérimaire pendant un certain nombre de mois pour ensuite se présenter à un concours en vue de l’obtenir.

[270]  Selon Mme Emmett, les explications de M. Hillier à propos du caractère prioritaire, à ses yeux, de la continuité de la gestion contredisent les mesures qu’il a prises en février 2006 quand M. P s’est vu accorder le poste de directeur du BSFTN après l’avoir occupé à titre intérimaire durant plusieurs mois. Les allégations de Mme Emmett à cet égard seront examinées de façon plus détaillée plus loin dans les présents motifs.

[271]  Je conclus qu’aucune discrimination n’a été exercée à l’encontre de Mme Emmett du fait de son sexe dans le cadre de la nomination de M. V à cette affectation. Je ne vois aucune contradiction dans les explications que M. Hillier a données au sujet de la raison pour laquelle il avait porté son choix sur la personne en question. La continuité des activités n’était qu’un seul des facteurs pris en compte au moment de nommer un employé à un poste intérimaire. Il y avait d’autres facteurs, tels que les problèmes survenant dans un poste et un bureau, la question de savoir qui était le mieux placé pour régler ces problèmes, et le fait de savoir qui serait capable d’assurer la continuité des activités sans aucune perturbation (c.-à-d., le candidat pouvait-il [traduction] « sauter dans l’arène » immédiatement). À mon avis, aucune preuve ne donnait à penser que le sexe du candidat avait été un facteur au moment de déterminer qui était la « bonne personne » pour l’affectation intérimaire ou au moment de décider de ne pas nommer Mme Emmett. Enfin, il convient de signaler que quand le concours avait été lancé pour pourvoir au poste pendant une durée indéterminée, trois femmes avaient présenté leur candidature, et l’une d’elles était la candidate qui avait été retenue pour occuper le poste à titre de titulaire.

(x)  Le concours relatif au poste de directeur de 2004 – Mutation latérale (BSFTE)

[272]  Dans le cadre de ce processus de dotation en personnel, Mme Danis s’est vu accorder le poste EX-02 et Mme Emmett a été jugée non qualifiée. Cette dernière allègue que son âge a été un facteur dans cette décision. L’ARC soutient que la différence d’âge entre Mme Emmett et Mme Danis était négligeable et que celle-ci avait obtenu un meilleur résultat que Mme Emmett à l’entrevue. L’ARC allègue également que le sexe ne peut pas être le motif de discrimination dans la décision de nommer Mme Danis parce qu’il s’agissait de femmes dans les deux cas.

[273]  Trois femmes, dont Mme Emmett, et un homme ont présenté leur candidature. Les trois femmes ont passé une entrevue. Des contrôles de référence détaillés ont également été effectués. Selon Mme Emmett, Mme Danis n’aurait pas dû être jugée qualifiée car elle se situait à un niveau de cadre inférieur au sien, son expérience n’était [traduction] « pas récente » et elle avait une expérience nettement moins approfondie et étendue de la gestion des programmes fiscaux de l’ARC. Mme Emmett soutient également que c’était la candidate la plus jeune qui avait été choisie. C’est-à-dire que Mme Danis était âgée de 47 ans, Mme Emmett était âgée de 52 ans à l’époque et la troisième candidate était plus âgée que Mme Emmett. Cette dernière soutient que ce fait soulève donc une forte inférence de discrimination fondée sur l’âge.

[274]  Mme Wlotzki a confirmé que Mme Danis avait été retenue pour passer une entrevue parce qu’elle avait une grande expérience de la gestion d’un vaste programme complexe axé sur le public du fait de trois postes qu’elle avait occupés antérieurement. Je souscris au témoignage de Mme Wlotzki et je conclus que Mme Danis a été retenue à juste titre pour le concours et qu’elle détenait les qualifications qu’il fallait pour présenter sa candidature. Par ailleurs, la manière dont Mme Emmett interprète la définition de l’expérience requise des candidats n’est pas étayée par le profil de sélection. De plus, même si le poste d’attache de Mme Danis était classé au niveau EX-01, elle faisait partie d’un bassin de candidats préqualifiés de niveau EX-02 (le même niveau que celui de Mme Emmett), ce qui l’autorisait à participer au processus de sélection.

[275]  À titre de gestionnaire d’embauche, M. Hillier a déterminé que le candidat choisi aurait à démontrer qu’il détenait, à un niveau supérieur, les principales compétences suivantes : capacités cognitives, sens de la visualisation, création de partenariats, relations interpersonnelles, communication, force de caractère et confiance en soi. Ces compétences étaient considérées comme importantes à cause des exigences du poste, lesquelles consistaient notamment à interagir de manière efficace avec divers intervenants, dont des collègues à l’Administration centrale et dans l’EGR, à être capable de considérer la « situation dans son ensemble », à comprendre l’incidence des enjeux au sein de la fonction publique fédérale ainsi que l’évolution des priorités de l’ARC, et à avoir une connaissance des défis auxquels était confronté le directeur du BSFTE.

[276]  Pour ce qui est du rendement des candidats à l’entrevue, je souscris à la preuve qui a été présentée à l’audience, dont les sommaires des entrevues, à savoir que Mme Emmett avait répondu de façon générale aux questions posées et n’avait pas démontré qu’elle possédait les compétences qu’exigeait le poste. M. Hillier a déclaré que Mme Emmett avait été incapable de faire état de sa capacité de réflexion stratégique parce qu’il lui avait été impossible de faire des liens entre les problèmes complexes auxquels l’ARC faisait face ou de démontrer de quelle façon elle s’y attaquerait de manière cohérente. Le témoignage de M. Hillier est corroboré par le sommaire de l’entrevue de Mme Emmett, lequel indique qu’elle est une cadre solide et une personne intelligente et apte au travail, ayant de bonnes connaissances sur le plan technique. Cependant, le document signale qu’au cours de l’entrevue, Mme Emmett n’a pas établi de contact visuel, a semblé quelque peu nerveuse et hésitante, s’est principalement exprimée en termes généraux, n’a pas parlé du contexte plus vaste des défis que présentait le poste et n’a pas retenu l’attention des membres du comité  démontre de confiance en soi.

[277]  Par contraste, le sommaire de l’entrevue que le comité a établi pour Mme Danis indique que celle-ci [traduction] « s’exprime très bien, et projette une image professionnelle. Elle est intelligente, d’humeur agréable et a confiance en elle ». Le sommaire indique aussi qu’elle a répondu aux questions de manière logique et méthodique, a donné des exemples quand il le fallait et a parlé des défis du poste en recourant à des exemples concrets. Le sommaire indique par ailleurs que Mme Danis a fait preuve de  capacité d’interagir et de communiquer de manière efficace, stratégique et convaincante. Selon M. Hillier, par rapport à Mme Emmett, les exemples que Mme Danis avait donnés illustraient mieux les compétences que le poste exigeait.

[278]  Enfin, Mme Emmett affirme que M. Troy et M. Hillier lui ont donné des références négatives dans le cadre du concours, des références qui ne cadraient pas avec ses évaluations de rendement et qui, selon elle, démontraient que les raisons pour lesquelles on n’avait pas jugé qu’elle était qualifiée étaient un prétexte. Au sujet des références données par M. Troy précisément, Mme Emmett est mécontente du fait que ce dernier n’ait pas fourni au comité de sélection une lettre de recommandation de huit pages qu’elle avait écrite à son intention. Ce dernier avait demandé à Mme Emmett de rédiger un document télégraphique en vue de l’aider à répondre au contrôle des références. Il a déclaré qu’il avait modifié le document afin qu’il reflète ses opinions en tant qu’auteur des références et parce qu’il n’appuyait pas tous les commentaires faits dans le document à cause d’erreurs et d’inexactitudes. Il a de plus déclaré que le document que Mme Emmett avait produit ressemblait davantage à une évaluation de rendement, ce qui, selon son expérience personnelle, n’était pas ce que le comité de sélection recherchait. Les questions posées lors des contrôles de référence avaient plutôt pour objet d’obtenir des réponses permettant d’évaluer la mesure dans laquelle un candidat était prêt à passer à l’échelon suivant. C’est donc dire que si les évaluations de rendement de Mme Emmett étaient favorables parce que son rendement à son poste d’attache était bon, les références ne l’étaient pas autant, parce que M. Troy exprimait l’avis que Mme Emmett manquait de certaines compétences pour occuper le poste de directeur d’un BSF.

[279]  Je conviens avec l’intimée qu’il incombe à l’auteur des références de décider de quelle façon répondre à chaque question. Mme Emmett croit que M. Troy a marginalisé un grand nombre de ses réalisations et a ajouté des critiques négatives sur son rendement, mais je conclus qu’il n’y avait rien d’irrégulier à ce que M. Troy réponde au contrôle des références en se fondant sur sa propre expérience, lui qui avait travaillé avec Mme Emmett à titre de supérieur de cette dernière pendant un certain nombre d’années. Je conclus que les commentaires inclus dans son contrôle des références concordaient avec la déposition des témoins de l’intimée. Par ailleurs, rien n’indique que M. Troy ait marginalisé les réalisations de Mme Emmett ou qu’il ait ajouté des critiques négatives sur son rendement à cause de son sexe.

[280]  Mme Emmett soutient que les critiques que M. Hillier avait formulées au sujet de son rendement étaient intéressées et fabriquées, ce qui laissait grandement supposer que ses explications au sujet de la raison pour laquelle il l’avait privée de la possibilité d’emploi en question étaient un prétexte. Je souscris au témoignage de plusieurs témoins, à savoir qu’il était approprié que M. Hillier agisse comme référence pour Mme Emmett puisque celle‑ci avait relevé directement de lui pendant près de quatre mois.

[281]  Mme Emmett soutient que M. Hillier a dit  ne pas l’avoir vu nouer de relations avec des collègues. Ce témoignage, dit-elle, ne concorde pas avec les réponses figurant dans le document de contrôle des références la concernant, lequel indique que M. Hillier ne pouvait pas évaluer ses capacités de collaboration à cause du peu de temps qu’il avait travaillé avec elle.

[282]  Je ne suis pas d’avis que le témoignage de M. Hillier a contredit son contrôle des références. Contrairement aux prétentions de Mme Emmett, M. Hillier a déclaré que cette dernière pourrait améliorer ses compétences en matière de créations de réseaux et de consensus. Je suis d’avis que ce commentaire n’est pas lié à ceux qui ont été faits dans le contrôle des références à propos de la capacité de collaboration de Mme Emmett. Ils ont plutôt été faits en réponse à une question, posée dans le contrôle des références, au sujet de la capacité de Mme Emmett de créer des réseaux. Le Tribunal signale également la dernière remarque de M. Hillier dans le contrôle des références, à savoir qu’il [traduction] « estime qu’elle saurait probablement faire le travail ». Après avoir considéré son témoignage dans son ensemble, je conclus que les explications de M. Hillier n’étaient pas de nature prétextées. Ce témoignage était conforme aux réponses données dans le contrôle des références et les étayait.

[283]  Là encore, rien dans la preuve n’indique que le sexe ou l’âge a été un facteur dans la décision de l’ARC de ne pas choisir Mme Emmett.

(xi)  Les postes intérimaires de courte durée de 2004 à 2006

[284]  Mme Emmett soutient qu’on l’a privée de la possibilité de remplacer son directeur, pendant les courtes absences de ce dernier, entre les années 2004 et 2006. Souvent, M. Troy nommait plutôt comme remplaçante la gestionnaire du soutien aux programmes, une femme plus âgée que Mme Emmett. Celle-ci soutient dans son EP qu’elle a été traitée de manière défavorable car, dans tous les autres bureaux de Toronto, on offrait aux directeurs adjoints de sexe masculin la possibilité de remplacer leurs directeurs pendant les absences de courte durée de ces derniers. Le Tribunal signale que Mme Emmett semble avoir renoncé à cet argument puisqu’elle n’en traite plus dans ses observations finales. J’ai décidé malgré cela d’analyser la question.

[285]  Premièrement, il convient de signaler que la personne à qui l’on avait demandé de remplacer M. Troy était une directrice adjointe, et non une simple gestionnaire de soutien aux programmes. Deuxièmement, je ne vois pas en quoi le fait de choisir pour une affectation intérimaire une autre femme plus âgée que Mme Emmett, plutôt que cette dernière, ait été discriminatoire pour des motifs fondés sur le sexe ou l’âge. Troisièmement, Mme Emmett n’a pas prouvé que, en règle générale, les affectations intérimaires de courte durée étaient offertes à des directeurs adjoints présents dans d’autres bureaux, qu’ils soient de sexe masculin ou féminin.

[286]  Il est on ne peut plus évident que Mme Emmett est mécontente du fait qu’on ne lui ait pas demandé de remplacer M. Troy. Cependant, j’ajoute foi au témoignage de ce dernier, à savoir qu’il trouvait perturbant de demander à ses directeurs adjoints de le remplacer pendant des périodes aussi courtes et, de plus, une fois de retour au bureau, il découvrait qu’une bonne partie de son travail n’avait pas été exécutée. Il avait donc décidé qu’il était plus efficace et plus productif, et moins perturbant pour toutes les personnes en cause, de demander à sa directrice adjointe des programmes de le remplacer. Enfin, je crois M. Troy quand il a dit de ces affectations intérimaires de courte durée qu’elles étaient de nature administrative plutôt qu’axées sur des fins de perfectionnement. La personne ne faisait que s’assurer que les choses se déroulaient comme prévu et consignait les mises à jour pendant que M. Troy était absent, ce qui permettait à ce dernier de reprendre ses activités en bénéficiant de mises à jour suffisantes.

(xii)  Le poste de directeur intérimaire de 2006 (BSFTN)

[287]  En février 2006, M. Troy a accepté une affectation intérimaire, et son poste est donc devenu vacant. M. P a été chargé de le remplacer sans annonce, sans processus de dotation officiel et sans explications à Mme Emmett, même si celle-ci avait exprimé plus tôt le souhait de profiter de telles occasions. Mme Emmett allègue que l’ARC ne lui avait pas offert l’affectation intérimaire en raison de son sexe. En réponse, l’ARC soutient que M. Hillier avait des raisons opérationnelles de nommer M. P, un directeur chevronné, plutôt que Mme Emmett, car le bureau traversait une période particulièrement turbulente.

[288]  Mme Emmett soutient que l’affectation n’aurait pas dû être accordée à M. P car le Programme de perfectionnement accéléré des cadres supérieurs (PPACS) avait pour objectif d’aider les participants à accéder à un poste de sous-ministre adjoint de niveau EX‑04 ou EX-05, et non à un poste de directeur de niveau EX-03. Mme Emmett affirme qu’il s’agissait pour M. P d’une affectation de perfectionnement illogique car celui-ci avait déjà travaillé au niveau EX-03. À l’époque, M. Hillier avait une affectation vacante pour le poste de sous-commissaire adjoint (SCA) de niveau EX-04, une affectation qui, d’après Mme Emmett, représentait pour M. P une mesure idéale dans le cadre du PPACS. M. Hillier a confié le poste intérimaire de SCA à M. Troy.

[289]  Il ressort de la preuve que M. P a été choisi pour cette affectation intérimaire dans le cadre de sa participation au PPACS. À l’époque, M. P occupait déjà un poste d’attache au niveau EX-03 en raison de sa participation au PPACS et il dirigeait le BSFTE depuis trois ans environ. L’annonce écrite qui avait été faite à l’époque confirmait que M. P avait accepté cette « affectation intérimaire » jusqu’à la fin de son affectation dans la RO, dans le cadre du PPACS. M. Hillier a déclaré que l’absorption imminente de 300 employés de la province créait des frictions entre les syndicats fédéraux et provinciaux ainsi que de nombreux problèmes de gestion que, pensait-il, M. P gèrerait mieux que Mme Emmett. En raison de ces divers défis, cette initiative avait été identifiée comme une occasion à saisir pour le PPACS. Il ressort aussi de la preuve que M. P avait déjà acquis certaines connaissances sur ces problèmes et y avait été exposé, et qu’il avait déjà participé aux plans que l’on avait dressés en vue d’absorber les nouveaux employés en sa qualité de conseiller principal du commissaire adjoint.

[290]  Bien que Mme Emmett fasse valoir que le témoignage de M. Hillier sur les raisons pour lesquelles il nommait des personnes à des postes intérimaires est contradictoire, je conclus que le raisonnement de M. Hillier concorde avec l’approche générale que suivait l’ARC, soit le fait d’accorder une grande importance aux exigences opérationnelles. Mme Emmett soutient que si l’ARC était en faveur du principe de la continuité de la gestion, il aurait été sensé dans ce cas qu’elle la nomme à cette affectation, car elle était la directrice adjointe de ce bureau. Cependant, pendant toute la durée de l’audience, un certain nombre de témoins ont déclaré que l’on tenait compte des besoins particuliers du bureau lors du choix d’un candidat à nommer à un poste intérimaire. Je conclus que le mot « continuité » ne voulait pas dire que le directeur adjoint assumerait la fonction intérimaire, comme le soutient Mme Emmett. Il voulait plutôt dire que le bureau continuerait de fonctionner avec constance et stabilité. Ces buts n’étaient pas contradictoires et ils étayaient le but prépondérant qui consistait à atteindre l’objectif de principe selon lequel toutes les décisions en matière de dotation devaient tenir compte des exigences opérationnelles (CSED, section 5.0).

[291]  En l’espèce, je souscris au témoignage de M. Hillier selon lequel les problèmes opérationnels, c’est-à-dire l’absorption de 300 nouveaux employés au BSFTN, exigeait la nomination d’un gestionnaire chevronné. Je conclus également que Mme Emmett n’avait pas le même degré d’expérience que M. P pour ce qui était de faire face à l’absorption des nouveaux employés ou aux problèmes syndicaux auxquels le bureau était confronté. Je souscris à ce que l’intimée a déclaré, à savoir que les directeurs étaient principalement chargés de coordonner la transition des nouveaux employés et que les directeurs adjoints, comme Mme Emmett, n’auraient participé qu’indirectement à cet effort. Je conclus que Mme Emmett a joué son rôle en absorbant 38 de ces employés dans son secteur de travail, mais ce rôle était nettement plus restreint que celui des directeurs dans le cadre du plan de travail général destiné à absorber les nouveaux employés.

[292]  Je suis d’avis que le sexe n’a pas été un facteur dans la décision de ne pas choisir Mme Emmett pour ce poste intérimaire. Mme Emmett avait peut-être bien ses propres opinions personnelles quant au poste qui convenait le mieux à M. P, mais je n’accorde aucun poids à ses opinions car elle n’était pas en mesure de connaître l’ensemble des faits qui avaient été pris en compte dans la décision, dont les besoins de l’organisation, les compétences que devait détenir la personne exerçant les fonctions à titre intérimaire et les besoins de perfectionnement de cette dernière dans le cadre du PPACS. Rien non plus n’indique que les cadres d’embauche étaient au courant que M. P voulait être le directeur du BSFTN à l’époque où on lui avait confié l’affectation intérimaire. En fait, M. Hillier a déclaré que M. P avait été déçu de se voir offrir cette affectation intérimaire car il espérait conserver son rôle de conseiller principal auprès du commissaire adjoint. Cela étaye davantage ma conclusion selon laquelle il n’y avait aucune preuve que M. P avait été choisi pour lui procurer un avantage au moment où l’on annoncerait le concours relatif au poste.

(xiii)  Le concours relatif à deux postes de directeur de 2006 (BSFTN et BSFTO)

[293]  En avril 2006, l’ARC a tenu un concours pour pourvoir à deux postes de directeur, l’un au BSFTN et l’autre au BSFTO. Huit personnes, dont quatre femmes, y compris Mme Emmett, ont été retenues pour le concours relatif au BSFTN et ont été soumises à une entrevue. Huit personnes ont également été retenues pour le concours relatif au BSFTO, et trois femmes ont passé une entrevue, dont Mme Emmett. Le même processus d’entrevue et de contrôle des références a été utilisé pour les deux postes. Il a été déterminé que trois candidats possédaient l’expérience, les connaissances et les compétences de direction qui étaient pertinentes pour se qualifier : un homme et deux femmes. M. P, qui dirigeait à titre intérimaire le BSFTN, a été retenu pour ce poste. Mme Emmett soutient que son sexe est l’une des raisons pour lesquelles on a conclu qu’elle n’était pas qualifiée dans le cadre du concours relatif au BSFTN. Pour ce qui est du poste disponible au BSFTO, Mme M, âgée de 44 ans, a été choisie (Mme Emmett était âgée de 54 ans à l’époque). Mme Emmett soutient qu’on ne l’a pas jugée qualifiée pour ce poste à cause de son âge.

[294]  Je conclus que ni l’âge ni le sexe n’ont été un facteur dans les décisions par lesquelles il a été conclu que Mme Emmett ne s’était pas qualifiée dans ces deux processus de sélection.

[295]  Mme Emmett allègue que Mme M n’aurait pas dû être la candidate retenue dans le cadre du concours relatif au BSFTO parce qu’elle n’avait pas l’expérience requise : Mme M n’était au service de l’ARC que depuis un an et avait vingt ans d’expérience dans des postes non liés au domaine de la fiscalité. Selon Mme Emmett, cette nomination suscite une forte inférence de discrimination fondée sur l’âge car, à l’époque, Mme Emmett était proche de l’âge de la retraite.

[296]  Comme il a été mentionné plus tôt, je souscris au témoignage de Mme Wlotzki, lequel a été corroboré par d’autres témoins, à savoir qu’une expérience dans le domaine fiscal n’était pas une qualification essentielle pour accéder au poste de directeur d’un BSF. Je reconnais également que Mme M avait une expérience considérable à titre de cadre au sein d’un autre organisme. Je signale par ailleurs que les deux candidats retenus occupaient un rang supérieur à celui de Mme Emmett car ils occupaient déjà un poste d’attache à titre d’EX‑03 à l’époque du concours.

[297]  Mme Emmett a demandé une rétroaction sur son entrevue ainsi qu’une copie des documents de base relatifs à son évaluation. La rétroaction individuelle a pour but d’aider les cadres à atteindre leurs objectifs de carrière et à faire ressortir les aspects qu’il est possible d’améliorer. Les documents d’évaluation lui ont été refusés parce que, en règle générale, l’ARC ne communique pas de questions d’entrevue normalisées, de façon à protéger ainsi l’intégrité des processus de sélection suivants. Il s’agit là, selon moi, d’une raison valable pour ne pas avoir communiqué les questions à l’époque, mais il est regrettable que celles-ci n’aient pas été communiquées au stade de l’instruction car elles m’auraient aidé, d’une certaine façon, à évaluer la preuve. Mme Emmett a toutefois reçu le sommaire de l’entrevue.

[298]  Mme Wlotzki a dit des discussions entourant les rétroactions individuelles qu’elles sont difficiles car les employés sont habituellement déçus, comme cela a été le cas en l’espèce. Mme Wlotzki a assuré à Mme Emmett que sa compétence au niveau actuel n’était pas mise en doute. Lors de la séance de rétroaction, Mme Wlotzki a souligné certaines des lacunes que comportaient les réponses de Mme Emmett; elle a expliqué de quelle façon on tenait compte des références et elle a donné des conseils sur le perfectionnement professionnel et les possibilités de se perfectionner davantage en vue d’autres processus de dotation.

[299]  Mme Emmett prétend avoir mis au jour de graves anomalies dans le concours à la suite de la séance de rétroaction. Elle soutient que la principale raison pour laquelle elle n’avait pas été la candidate retenue était qu’on avait accordé une grande importance au critère de la confiance en soi, alors que les compétences auraient dû être évaluées de manière égale. Elle soutient que cette anomalie, et d’autres, étayent sa position selon laquelle l’ARC avait tenté de dissimuler la véritable raison pour laquelle elle ne l’avait pas choisie.

[300]  Selon Mme Emmett, les profils de sélection applicables à ces processus ne considéraient pas la confiance en soi comme une compétence. Cependant, le sommaire de son entrevue indiquait qu’il était essentiel pour accéder à un poste de directeur de posséder la capacité de réfléchir de manière stratégique et de faire preuve de confiance en soi. Elle soutient que la confiance en soi a été incluse parce qu’il s’agit d’un critère hautement subjectif qu’il est possible d’utiliser comme une excuse facile pour agir de manière discriminatoire envers un candidat. Le sommaire de l’entrevue recommandait aussi que Mme Emmett fasse davantage d’efforts pour nouer des liens avec ses collègues. Selon Mme Emmett, cela contredit ses évaluations de rendement, qui contiennent de nombreux exemples de réseautage avec des collègues à tous les échelons de l’organisation.

[301]  Malgré les doutes de Mme Emmett, je souscris aux témoignages des témoins de l’ARC, témoignages qui sont étayés par la preuve documentaire, à savoir que Mme Emmett n’avait pas fait preuve des compétences requises pour atteindre le degré de compétence voulu pour être choisie pour l’un ou l’autre poste. De plus, je conclus que les candidats retenus avaient fait preuve de leurs compétences respectives et qu’ils avaient obtenu à l’entrevue de meilleurs résultats que Mme Emmett. Les sommaires des entrevues des candidats retenus indiquent que ces derniers s’exprimaient très bien et se comportaient de manière professionnelle, et qu’ils étaient capables de réfléchir de manière stratégique et de faire preuve d’une grande confiance en soi. Les réponses qu’ils avaient données aux questions posées comportaient des exemples et étaient méthodiques et logiques, et le rendement dont ils avaient fait preuve à l’entrevue concordait avec la connaissance personnelle de leur comportement au travail qu’avaient les membres du comité de sélection. Par contraste, il ressort du sommaire de l’entrevue de Mme Emmett que celle-ci avait été incapable de faire preuve des compétences de direction requises. Conformément au rendement dont elle avait fait preuve lors de concours antérieurs, le comité de sélection a conclu que les réponses de Mme Emmett étaient trop générales, qu’elle n’avait pas donné d’exemples concrets quant à la façon dont elle travaillerait avec d’autres partenaires et qu’elle n’avait pas parlé de la manière dont elle contribuerait au mandat général de l’organisation à un échelon stratégique. Le comité de sélection a recommandé qu’elle s’inscrive aux services de consultation des cadres de la Commission de la fonction publique, ce qui l’aiderait à passer plus tard des entrevues ainsi qu’à soutenir d’autres aspects de sa carrière.

[302]  Mme Emmett avait également des préoccupations au sujet du fait que le comité de sélection avait utilisé son contrôle des références de 2004, car celui-ci ne faisait pas état de ses réalisations récentes. De plus, le contrôle des références de 2004 portait sur des compétences différentes de celles qui étaient vérifiées lors du concours de 2006. Mme Wlotzki a expliqué que, dans ce processus, les références avaient été obtenues grâce à la connaissance personnelle des candidats ou à des références écrites figurant dans le dossier car M. Hillier, qui siégeait au comité de sélection, connaissait bien les candidats qui, estimait-on, possédaient les compétences requises. Mme Wlotzki a déclaré que des références du supérieur de Mme Emmett à l’époque, M. P, n’avaient pas été demandées parce que lui aussi était inscrit au concours et qu’il aurait été malvenu de lui demander de fournir des références en raison du conflit d’intérêts. Le comité s’était plutôt fondé sur les contrôles de référence qui avaient été établis pour Mme Emmett lors du concours de 2004.

[303]  Je conclus que les raisons pour lesquelles l’ARC n’a pas demandé de références à M. P étaient raisonnables et réfléchies. Je conclus également que le fait que l’ARC se soit servie d’un contrôle des références datant d’un concours antérieur, même s’il ne s’agit pas d’une solution idéale, n’a pas eu pour effet d’exercer une discrimination à l’endroit de Mme Emmett ou de la défavoriser pour un motif illicite quelconque.

[304]  Bien qu’il y ait pu y avoir des anomalies dans le cadre du concours, comme l’évaluation des contrôles de référence et des entrevues et la manière dont les compétences étaient liées aux questions d’entrevue, je conclus que ces anomalies n’ont pas exercé de discrimination à l’encontre de Mme Emmett pour les motifs du sexe ou de l’âge. Et même s’il y a eu quelques incohérences entre le témoignage de Mme Wlotzki et celui de M. Hillier, ces incohérences étaient minimes et ne m’ont certes pas amené à douter de la crédibilité de l’un ou l’autre de ces deux témoins. Je reconnais que tous les candidats ont été évalués en fonction des mêmes compétences, d’une manière conforme aux mêmes critères de pondération, ainsi qu’à l’aide des mêmes questions d’entrevue, et que, de ce fait, ils ont tous été traités de manière égale. Par ailleurs, aucune preuve n’a été produite pour démontrer que l’obligation d’avoir confiance en soi avait eu un effet discriminatoire sur Mme Emmett pour les motifs illicites que sont le sexe ou l’âge. Je conclus donc qu’aucun des motifs illicites n’a été un facteur dans la décision de ne pas considérer Mme Emmett comme qualifiée pour l’un ou l’autre poste.

E.  Conclusion

[305]  Il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal que Mme Emmett était une cadre d’expérience et qu’elle occupait très efficacement son poste de DAVE. Toutes ses évaluations de rendement étaient favorables et aucun témoin n’a mis en doute les aptitudes dont elle faisait preuve dans son poste d’attache ainsi que le travail dont elle était responsable. Le Tribunal est également sensible à l’agacement que Mme Emmett a dû avoir ressenti face au fait d’être rejetée à chaque concours. Cependant, si l’on considère la totalité de la preuve dans son ensemble, je ne peux pas conclure que le sexe ou l’âge ont été un facteur dans la décision de l’ARC de ne pas affecter Mme Emmett à ces postes.

[306]  Pour ce qui est des affectations intérimaires, je suis d’avis qu’il ressort clairement de la preuve que les besoins opérationnels de l’organisme étaient le fondement des décisions que l’ARC avait prises en vue de choisir les personnes qui agiraient comme intérimaires. Compte tenu des faits de l’espèce, l’objectif de l’égalité des chances ne devrait pas être interprété comme une garantie du droit à une promotion, ainsi que le croit Mme Emmett. Je conclus que celle-ci s’est vu offrir la même chance que d’autres personnes d’occuper à titre intérimaire divers postes au sein de l’ARC sans subir d’obstacles ou sans être empêchée de le faire par des actes discriminatoires au sens de l’article 2 de la LCDP. De plus, comme il a été mentionné plus tôt, ce ne sont pas tous les hommes qui avaient obtenu une affectation intérimaire qui ont été plus tard promus. L’obtention d’une affectation intérimaire ne menait pas à une promotion ou n’y donnait pas droit automatiquement.

[307]  Les processus de sélection qu’a tenus l’ARC pour les postes en question étaient extrêmement concurrentiels. De nombreuses personnes d’expérience et hautement qualifiées, dans toute la fonction publique, ont présenté leur candidature. Comme l’a reconnu la Cour d’appel fédérale, « [s]ouvent, dans les décisions concernant une promotion, peu ont gain de cause, beaucoup plus perdent, et la différence entre gagner et perdre peut légitimement dépendre de peu de chose ou de détails parfois subjectifs ou subtils » (Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150, au par. 51).

[308]  Il ressort du dossier que, dans chaque processus de sélection, le comité de sélection est arrivé à la décision d’embaucher un candidat plutôt que les autres en soupesant de nombreux facteurs, dont l’expérience, les compétences de chacun ainsi que les besoins particuliers de chaque BSF à l’époque. Il y a peut-être bien eu quelques anomalies dans le processus de sélection, comme l’emploi de références antérieures ou le poids accordé aux critères de sélection, mais rien dans le dossier ne m’a convaincu que le sexe de Mme Emmett, son âge ou une combinaison de ces deux facteurs ont eu pour effet de la priver de l’une quelconque des possibilités dont il est question en l’espèce. Comparativement aux autres candidats, Mme Emmett a tout simplement été supplantée lors des entrevues par des candidats à la fois masculins et féminins, plus jeunes ou plus âgés. Je conclus que les candidates plus jeunes avaient été promues non pas à cause de leur âge mais parce qu’elles possédaient l’expérience plus vaste qui était requise pour occuper les postes pour lesquels Mme Emmett avait présenté sa candidature et qu’elles avaient obtenu de meilleurs résultats aux entrevues. On peut dire la même chose des candidats masculins qui ont été retenus. Là encore, rien dans le dossier ne démontre qu’on n’a pas tenu compte de Mme Emmett en vue d’une promotion en raison de son âge ou de son sexe.

[309]  De plus, convient-il de le rappeler, une promotion est un privilège. Aucun employé n’a droit à une promotion (Gladman c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 109, au par. 37). Il ressort du dossier que Mme Emmett croyait vraiment qu’elle avait le « droit » d’être promue à un poste de directeur de BSF simplement à cause du nombre d’années d’expérience qu’elle avait accumulées à titre de cadre ayant acquis une expérience de la vérification à l’ARC. C’était peut-être de cette façon que l’on accordait les promotions avant l’unification administrative, mais ce n’était plus le cas par la suite. Selon le témoignage de M. Troy, il n’y avait que sept postes de directeur de BSF dans tout le pays qui se situaient au niveau EX-03. Mme Emmett souhaitait occuper l’un des quatre postes de directeur de BSF dans la RGT. Les chances jouaient manifestement contre elle, à cause du nombre restreint de postes disponibles. Le souhait de Mme Emmett d’être promue à un poste de directeur de BSF n’est tout simplement pas suffisant pour être choisie en vue d’une promotion. Il convient également de reconnaître qu’étant donné que le nombre de postes était restreint et le bassin d’éventuels candidats nettement supérieur, la réalisation d’un tel souhait aurait été pour quiconque très ardue et complexe. Il y avait d’autres postes de niveau EX-02 et EX-03 à l’ARC et dans la fonction publique fédérale pour lesquels Mme Emmett aurait pu présenter sa candidature; mais elle avait décidé de ne pas le faire.

[310]  Le dossier démontre que Mme Emmett, à son propre détriment, n’a pas suivi les conseils de ses pairs et de ses supérieurs sur les mesures qu’elle aurait dû prendre pour favoriser sa carrière et obtenir de meilleurs résultats lors des processus de sélection. Presque tous les témoins qui se sont présentés à l’audience ont déclaré que, pour pouvoir décrocher un poste de niveau supérieur par la voie d’un concours, il était essentiel d’avoir acquis une expérience de la direction en exerçant diverses fonctions dans l’organisation, de pair avec diverses connaissances et compétences. Mme Emmett le savait bien et elle s’était vu offrir des occasions d’assumer d’autres rôles de direction à plusieurs reprises en vue d’acquérir une partie de l’expérience et des compétences requises. Elle avait pourtant refusé ces occasions pour la plupart, soutenant à tort qu’elle possédait déjà cette expérience et ces compétences. En fait, Mme Emmett a déclaré en contre-interrogatoire qu’elle n’avait généralement pas cherché à obtenir de postes dans les régions ou de postes aux Douanes parce que sa [traduction] « préférence personnelle » était de travailler dans un BSF.

[311]  Il avait aussi été dit à Mme Emmett, de manière tant officielle qu’officieuse, qu’elle n’obtenait pas de bons résultats dans les entrevues et elle était au courant des aspects qu’elle devait améliorer ainsi que des outils (activités de formation, mentorat, soutien au niveau de la direction) dont elle pouvait tirer avantage à cette fin, mais elle a pourtant refusé de suivre ces recommandations pendant la majeure partie de la période visée par la plainte.

[312]  Au cours de l’audience, il est devenu évident que Mme Emmett avait la ferme impression que tout obstacle possible à une promotion était étranger à elle-même et lié à son sexe ou à son âge. Elle estimait avoir droit à une promotion et refusait de croire qu’une personne quelconque à l’ARC l’avait soutenue en vue de favoriser son avancement professionnel. Cependant, comme il est bien établi, une simple perception ne suffit pas pour qu’un plaignant établisse le bien-fondé de sa cause (Chopra c. Santé Canada, 2008 TCDP 39, au par. 185). En fait, malgré les perceptions négatives de Mme Emmett, le dossier indique que ses supérieurs ont pris plusieurs mesures pour soutenir son avancement professionnel, comme les suivantes : 1) lui accorder des affectations intérimaires pendant que son directeur était absent, 2) lui demander d’assister à des réunions de la haute direction afin de connaître d’autres collègues d’un rang supérieur au sein de l’organisation, 3) l’aider à diriger des affectations et des projets spéciaux, 4) soumettre son nom pour qu’on la prenne en considération lors d’affectations, et 5) fournir des conseils et des ressources sur la manière dont elle pouvait améliorer son rendement dans les entrevues.

[313]  J’estime donc que Mme Emmett ne s’est pas acquittée du fardeau que lui imposent les articles 3.1, 7 ou 10 de la Loi. Autrement dit, on ne m’a pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’ARC a fait preuve de discrimination systémique fondée sur le sexe ou l’âge dans le cadre de ses méthodes de dotation en personnel, pas plus que le sexe ou l’âge n’a été un facteur dans le fait de ne pas choisir Mme Emmett pour l’une quelconque des possibilités d’emploi en cause.

Signée par

Susheel Gupta

Vice-président du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 25 juillet 2018


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1727/8211

Intitulé de la cause : Diane Carolyn Emmett c. Agence du revenu du Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 25 juillet 2018

Dates et lieu de l’audience : 27 au 31 janvier 2016  

3 au 6 février 2014

24 au 28 mars 2014

22 au 24 avril 2014

9 au 11 juin 2014

16 au 19 juin 2014

22 au 25 juillet 2014

13 et 15 août 2014

3 au 7 novembre 2014

12 au 16 janvier 2015

20 au 23 janvier 2015

7 octobre 2016

8 et 9 décembre 2016

Toronto (Ontario)

Comparutions :

Diane Emmett, pour elle-même

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Gillian Patterson, pour l'intimée



[1]  Ni l’une ni l’autre des parties n’ont fait état d’une preuve documentaire à l’appui de cet énoncé mais, après avoir examiné le dossier, je signale que la sous-section 5.3 d’un document de 2005 intitulé Policy Framework for the Executive Cadre (Cadre stratégique pour l’effectif de la direction) indique ceci : [traduction] « [l]es cadres à tous les échelons seront une ressource organisationnelle dans l’ensemble de l’ARC, plutôt qu’une ressource régionale ou celle d’une direction générale […] » (pièce C3, onglet 139, p. 29). Cet objectif stratégique est libellé de la même façon dans la version de 2001 du même document (pièce R4, onglet 122, p. 25).

[2]  Ces calculs sont fondés sur les données figurant dans les documents d’analyse démographique sur l’effectif de la direction et les groupes de relève pour les années 2003 à 2005, qui ont été déposés en preuve à l’audience.

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