Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP 7

Date : le 9 mars 2018

Numéro du dossier : T2156/3016

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Rosanne Harrison

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

La Première Nation de Curve Lake

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Lisa Gallivan

 



I.  Contexte

[1]  La présente décision sur requête vise l’adjonction d’une partie dont la présence est nécessaire, présentée par la Première Nation de Curve Lake (l’« intimée »). L’intimée tente d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 8(3) des Règles de procédure du Tribunal (les « Règles ») afin d’ajouter Postes Canada en tant que partie dont la présence est nécessaire à l’affaire en l’espèce.

[2]  En juin 2014, Rosanne Harrison (la « plaignante ») a posé sa candidature à un poste de maîtresse de poste de Postes Canada, au sein de la Première Nation de Curve Lake, dans le cadre d’un processus de sélection concurrentiel indépendant dirigé par Postes Canada.

[3]  Deux personnes ont posé leur candidature, soit la plaignante et la maîtresse de poste de l’époque, qui était une Autochtone ou mariée à un homme autochtone.

[4]  Selon les exigences du poste, les candidats devaient fournir à Postes Canada un lieu convenable au sein de la collectivité pour l’exploitation du bureau de poste.

[5]  La plaignante ne disposait pas d’un tel lieu lorsqu’on lui a offert le poste.

[6]  Le 8 juin 2014, la plaignante a été avisée par Postes Canada qu’elle était la candidate retenue dans le cadre du concours.

[7]  Peu après cet avis, la plaignante a commencé des recherches pour trouver un lieu convenable au sein de la collectivité à partir de laquelle elle pourrait exploiter le bureau de poste.

[8]  En raison de cette recherche, Postes Canada a été informée de la préoccupation de l’intimée que le poste avait été accordé à une personne non autochtone.

[9]  Le 1er octobre 2014, Postes Canada a avisé la plaignante qu’elle ne serait pas nommée au poste, car elle ne répondait pas à l’exigence de Postes Canada relative au lieu convenable pour l’exploitation du bureau de poste.

[10]  Le poste a été par la suite accordé à la maîtresse de poste de l’époque, qui était une Autochtone.

[11]  La plaignante allègue qu’elle a été victime de discrimination fondée sur la race au motif qu’elle était [traduction] « blanche et non autochtone ».

[12]  Au même moment, la plaignante a aussi présenté une plainte distincte contre Postes Canada. La plaignante a subséquemment demandé à ce que la plainte contre Postes Canada soit retirée.

[13]  Le 2 septembre 2015, la Commission a décidé de ne pas prendre d’autres mesures dans le cadre de la plainte contre Postes Canada en raison de la demande de retrait de la plaignante.

[14]  Postes Canada est l’employeur actuel de la plaignante.

A.  Requête de l’intimée visant l’adjonction d’une partie dont la présence est nécessaire

[15]  L’intimée allègue que Postes Canada est une partie dont la présence est nécessaire et qu’elle doit être ajoutée à la présente instance, parce que :

  1. le différend découle du processus de sélection de Postes Canada en ce qui a trait au choix du candidat retenu et à l’octroi du contrat pour les services postaux et parce que les motifs pour lesquels la plaignante n’a pas réussi à obtenir le poste sont directement liés aux mesures prises par Postes Canada;

  2. aucune réparation n’est disponible sans la participation de Postes Canada;

  3. seule Postes Canada dispose de la preuve pertinente et nécessaire concernant son processus de sélection concurrentiel et le rejet subséquent de la candidature de la plaignante.

[16]  L’intimée demande aussi que la Commission lui verse les dépens qu’elle a engagés dans le contexte de la présente requête.

B.  Position de la Commission au sujet de la requête

[17]  La Commission ne se prononce pas au sujet de la requête visant l’adjonction de Postes Canada à titre de partie à la présente instance.

[18]  La Commission est d’avis que les dépens ne peuvent être réclamés dans le contexte de la présente requête.

C.  Position de la plaignante au sujet de la requête

[19]  La plaignante n’a pas participé à la requête.

D.  Position de Postes Canada au sujet de la requête

[20]  Postes Canada a reçu l’avis de requête par messager le 31 octobre 2016. Elle n’a pas pris part à la requête.

II.  Questions en litige

[21]  Postes Canada devrait‑elle être ajoutée à titre de partie à la plainte en l’espèce?

[22]  La Commission devrait-elle verser à l’intimée les dépens liés à la présente requête?

III.  Droit applicable

A.  Postes Canada devrait‑elle être ajoutée à titre de partie à la plainte en l’espèce?

[23]  Le Tribunal a compétence pour ajouter des parties à une plainte dans les circonstances appropriées (al. 48.9(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, article 8 des Règles et Brown c. Canada (Commission de la capitale nationale), 2008 CF 734).

[24]  Le critère applicable à l’adjonction d’une nouvelle partie intimée une fois que le Tribunal a été chargé d’instruire une plainte a été énoncé de la manière suivante par le Tribunal dans Syndicat des employés d’exécution de Québec-téléphone section locale 5044 du SCFP c. TELUS Communications (Québec) Inc., 2003 TCDP 31, (« Telus ») :

[30]  Le Tribunal est d'avis que l’adjonction forcée d’un nouvel intimé une fois que le Tribunal a été chargé d’instruire une plainte est appropriée, en l’absence de règles formelles à cet effet, s’il est établi que la présence de cette nouvelle partie est nécessaire pour disposer de la plainte dont il est saisi et qu’il n’était pas raisonnablement prévisible une fois la plainte déposée auprès de la Commission que l’adjonction d’un nouvel intimé serait nécessaire pour disposer de la plainte.

[25]  Dans Coupal et Milinkovich c. Agence des services frontaliers du Canada, 2008 TCDP 24, le Tribunal a aussi souligné que l’adjonction doit être faite avec prudence et seulement après un examen minutieux d’un certain nombre de facteurs énoncés dans Telus et de la question de savoir si cette adjonction d’une nouvelle partie occasionnera un préjudice grave à la partie adverse :

[9] La jurisprudence établit que l’adjonction de parties doit être faite avec prudence et seulement après un examen minutieux d’un certain nombre de facteurs, notamment les questions de savoir : si l’ajout de la partie est nécessaire à la résolution de la plainte, s’il pouvait être raisonnablement prévu que la nouvelle partie aurait dû être ajoutée lorsque la plainte a été déposée et si l’adjonction de la partie constituera un préjudice grave à la partie adverse (voir, par exemple : Brown c. Commission de la capitale nationale, 2003 TCDP 43; Wade c. Canada (Procureur général), 2008 TCDP 9; et Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail c. Barbe, 2003 TCDP 24, dans laquelle décision le Tribunal a accueilli la requête en ajout d’un plaignant. Voir aussi : Syndicat des employés d’exécution de Québec-Téléphone c. TELUS Communications (Québec) Inc., 2003 TCDP 31, au paragraphe 30; et Smith c. CN, 2005 TCDP 23, au paragraphe 52).

[26]  Par conséquent, pour avoir gain de cause relativement à la présente requête, l’intimée doit établir que :

a.  il est nécessaire d’adjoindre Postes Canada à titre de partie pour régler la plainte;

b.  il n’était pas raisonnablement possible de prévoir que Postes Canada aurait dû être ajoutée au moment du dépôt de la plainte;

c.  l’adjonction de Postes Canada n’entraînera aucun préjudice grave.

[27]  L’intimée prétend qu’il faut adjoindre Postes Canada à titre de partie dont la présence est nécessaire à la plainte en l’espèce, parce que :

a.  son processus de sélection a donné lieu au différend et les motifs pour lesquels la plaignante n’a pas réussi à obtenir le poste sont directement liés aux mesures prises par Postes Canada et aux décisions afférentes;

b.  aucune réparation n’est disponible sans la participation de Postes Canada;

c.  seule Postes Canada dispose des éléments de preuve pertinents et nécessaires concernant son processus de sélection concurrentiel et les motifs pour lesquels la plaignante s’est vu refuser le poste de maîtresse de poste.

[28]  La plaignante en l’espèce allègue qu’elle a fait l’objet d’un traitement préjudiciable en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’enquêteur de la Commission a conclu que les allégations pouvaient être traitées comme un défaut de recevoir une possibilité d’emploi ou un poste.

[29]  La Loi sur la Société canadienne des postes prévoit que tout le personnel de la Société canadienne des postes est assujetti à la Loi sur la Société canadienne des postes, y compris la nomination du personnel et les conditions d’emploi.

[30]  L’intimée en l’espèce n’avait pas connaissance du processus de sélection concurrentiel.

[31]  Postes Canada gérait et administrait le processus de sélection concurrentiel et a décidé d’offrir à la plaignante le poste de maîtresse de poste et ensuite de lui retirer ce poste. L’intimée n’avait aucun pouvoir ou contrôle sur ces décisions et n’a pas pris part au processus de sélection concurrentiel.

[32]  Puisqu’elle n’a pas administré le processus de sélection concurrentiel et qu’elle n’y a pas participé, et qu’elle n’a pas été consultée avant que le poste de maîtresse de poste soit offert à la plaignante, l’intimée ne peut pas réfuter une allégation que la plaignante ne s’est pas vu accorder le poste de maîtresse de poste du fait qu’elle n’est pas autochtone ou qu’elle a par ailleurs fait l’objet d’un traitement préjudiciable, en contravention de l’article 7 de la LCDP. Seule Postes Canada peut fournir des éléments de preuve quant aux motifs sous-jacents aux décisions qui ont été prises.

[33]  Pour ces motifs, je conclus que Postes Canada a les renseignements nécessaires pour le règlement de la présente plainte.

[34]  En ce qui a trait à la prévisibilité, l’intimée prétend que la plaignante a reconnu qu’il était nécessaire d’adjoindre Postes Canada à titre de partie lorsqu’elle l’a nommée à titre d’intimée dans sa plainte initiale contre Postes Canada, qu’elle a présentée séparément.

[35]  La question de savoir s’il était prévisible ou non qu’une partie proposée soit ajoutée à une plainte dépend en grande partie de l’examen de la question de savoir si l’adjonction portera ou non préjudice à cette partie (voir beachesboy@aol.com c. Heather Fleming et Ronald Fleming, 2007 TCDP 52) :

[21] À mon avis, la question de la prévisibilité se rapporte principalement à la possibilité qu’il y ait préjudice envers le nouvel intimé parce qu’il serait privé des avantages dont jouit habituellement la partie intimée au cours du processus d’enquête de la Commission, qui précède le renvoi d’une plainte au Tribunal (voir Brown c. Commission de la capitale nationale, 2003 TCDP 43, au paragraphe 46). Ces avantages comprennent la possibilité que la Commission décide de ne pas statuer sur la plainte (article 41 de la Loi), de la rejeter (alinéa 44(3)b)) ou de la renvoyer à un conciliateur (article 47) (voir, à ce sujet, la décision du Tribunal rendue verbalement dans l’affaire Desormeaux, citée dans Telus, aux paragraphes 25 à 27). La Cour fédérale a noté dans la décision Parent c. Canada, 2006 CF 1313, aux paragraphes 40 et 41, que la question du préjudice à l’intimé est le facteur prédominant dont le Tribunal doit tenir compte lorsqu’il rend une décision au sujet de la modification d’une plainte. Il convient cependant de mentionner que la décision Parent portait sur l’ajout d’allégations factuelles à une plainte, et non sur l’adjonction de nouvelles parties.

[36]  Postes Canada était clairement au courant des allégations de discrimination soulevées par la plaignante au moment où celles-ci ont été présentées, parce qu’une plainte distincte avait été présentée contre Postes Canada à l’époque. Peut-être plus important encore, Postes Canada a participé à l’enquête relative à la plainte et y a présenté des éléments de preuve. Quatre employés de Postes Canada ont été interrogés dans le cadre du processus d’enquête de la Commission.

[37]  Je suis convaincue que Postes Canada ne se verra pas refuser les avantages qui pourraient découler du processus de la Commission et qu’elle ne subira aucun préjudice grave par suite de son adjonction à cette étape-ci.

[38]  Par conséquent, je conclus que Postes Canada doit être ajoutée à titre de partie dont la présence est nécessaire pour les besoins de la plainte en l’espèce.

B.  La Commission devrait‑elle être tenu de payer les dépens de l’intimée liés à la présente requête?

[39]  L’intimée a demandé au Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à la Commission de payer les dépens liés à la présente requête.

[40]  Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, la Cour suprême du Canada a établi que le Tribunal ne possède pas le pouvoir d’adjuger les dépens :

[64]  À notre avis, il appert nettement du texte de la loi, de son contexte et de son objet que le Tribunal ne possède pas le pouvoir d’adjuger des dépens, et les dispositions applicables ne se prêtent à aucune autre interprétation raisonnable. Aux prises avec une question difficile d’interprétation législative et une jurisprudence contradictoire, le Tribunal a retenu la définition de « dépense » figurant au dictionnaire et il a formulé ce qu’il tenait pour une solution bénéfique sur le plan des principes au lieu d’entreprendre une démarche d’interprétation fondée sur le texte, le contexte et l’objet des dispositions en cause. Avec respect pour l’opinion contraire, cette démarche a amené le Tribunal à opter pour une interprétation déraisonnable des dispositions. La Cour d’appel était justifiée de contrôler puis d’annuler l’ordonnance du Tribunal.

[41]  Par conséquent, la requête de l’intimée en vue de se voir octroyer les dépens est refusée.

IV.  Décision

[42]  Après avoir analysé la preuve pertinente et la jurisprudence applicable, j’ai conclu que le Tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et adjoindre Postes Canada à titre de partie dont la présence est nécessaire à la plainte en l’espèce.

[43]  Je conclus aussi que la demande de l’intimée visant l’octroi de dépens est refusée.

[44]  La requête de l’intimée visant l’adjonction de Postes Canada à titre de partie dont la présence est nécessaire est accueillie.

Signée par

Lisa Gallivan

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 9 mars 2018


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2156/3016

Intitulé de la cause : Rosanne Harrison c. Première Nation de Curve Lake

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 9 mars 2018

Requête jugée sur dossier, sans comparution des parties

Observations écrites :

Rosanne Harrison , pour son propre compte

John Unrau , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Candice S. Metallic et Ryan Lake , pour l’intimée

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