Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP 22

Date : le 18 juillet 2018

Numéro du dossier : T1984/6413

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Bradley Scott Maxim

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Chemin de fer Canadien Pacifique

l'intimé

Décision

Membre : Ronald Sydney Williams

 



I.  Contexte

[1]  La présente décision concerne une plainte que Bradley Maxim (le plaignant) a déposée contre son employeur, Chemin de fer Canadien Pacifique (le CP ou l’intimé), dans laquelle il soutient qu’il a été victime de discrimination par le biais d’un traitement différentiel défavorable basé sur une déficience ou la perception d’une déficience.

[2]  La plainte est fondée sur l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H 6 (la LCDP) :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

(a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[3]  La déficience fait partie des motifs de distinction illicite énumérés au paragraphe 3(1) de la LCDP.

[4]  Le plaignant fait valoir dans son exposé des précisions qu’il est atteint d’une déficience grave causée par le syndrome de Reye et par une encéphalite, ce qui entraîne pour lui de l’anxiété, de la dépression et une phobie sociale. Il affirme également que l’intimé a mal diagnostiqué ses difficultés et pensé qu’il souffrait de toxicomanie et de dépendance à l’alcool et/ou aux drogues. Le plaignant nie avoir un problème de toxicomanie.

[5]  Dans son exposé des précisions, le plaignant fait valoir que la discrimination provenant de l’intimé était fondé sur le fait que celui-ci :

[TRADUCTION]

1. a négligé et/ou refusé de tenir compte de ses difficultés en milieu de travail en refusant de prendre des mesures d’adaptation, alors que le plaignant travaillait dans une équipe en mai 2008 et jusqu’à ce jour;

2. lui a fait subir un traitement différentiel défavorable fondé sur une perception de déficience, nommément, un problème de toxicomanie, y compris par l’imposition de conditions d’emploi astreignantes, restrictives et intrusives;

3. n’a pas pris de mesures d’adaptation pour aider M. Maxim par des modifications à ses tâches ou par la prise de mesures d’adaptation après que ses médecins l’eurent autorisé à reprendre le travail.

[6]  L’intimé soutient dans son exposé des précisions qu’il a pris des mesures d’adaptation relativement aux troubles de santé mentale concomitants, ainsi qu’à la polytoxicomanie du plaignant au cours des neuf dernières années tant qu’il n’en avait pas résulté pour l’intimé une contrainte excessive. De plus, l’intimé admet dans son exposé des précisions que le plaignant est atteint d’une déficience et que, par conséquent, il a dû être confiné à des postes dans lesquels la sécurité n’est pas essentielle.

[7]  Une audience de cinq jours a eu lieu à Toronto, en Ontario, au cours de laquelle les parties ont eu l’occasion de faire valoir leurs points de vue, produire leurs preuves et faire comparaître leurs témoins. Le plaignant se représentait lui-même et l’intimé était représenté par un avocat. La Commission n’a pas participé à l’audience.

II.  Décision

[8]  Pour les motifs ci-après énoncés, j’ai conclu que la plainte devrait être rejetée.

A.  Portée du renvoi

Harcèlement

[9]  Même s’il n’était pas représenté par un avocat à l’audience, le plaignant avait auparavant retenu les services d’un avocat qui avait préparé un exposé des précisions détaillé, lequel a été déposé au Tribunal. Outre les allégations fondées sur l’article 7 de la LCDP, le plaignant a également soutenu, dans son exposé des précisions, que l’intimé ne lui avait pas offert un milieu de travail exempt de harcèlement.

[10]  Le harcèlement n’a pas été soulevé comme question litigieuse à l’audience. De plus, aucune preuve n’a été présentée à l’audience qui donnerait naissance à une plainte pour harcèlement. Ainsi, l’allégation est réputée abandonnée par le plaignant et n’est pas examinée dans la présente décision.

B.  Aperçu des faits

Déficiences présumées

[11]  Le plaignant a déclaré que lorsqu’il était jeune adolescent, il a été atteint du syndrome de Reye, qu’il s’est retrouvé dans le coma pendant plus de deux semaines et, qu’à son réveil, il a dû réapprendre les fonctions de base de la marche, de la parole et d’autres fonctions connexes, qui, selon lui, ont laissé des séquelles à long terme, dont un trouble de la parole.

[12]  Le plaignant allègue que, depuis qu’il est atteint du syndrome de Reye, il souffre d’anxiété, de dépression, de phobie sociale et de crises de panique.

[13]  Le plaignant a déclaré qu’il avait commencé à essayer la marijuana et l’alcool en huitième année, et qu’il en était graduellement venu à consommer beaucoup d’alcool, de marijuana et de cocaïne au cours de son adolescence et par la suite, pendant la vingtaine et la trentaine.

[14]  Le plaignant nie avoir un problème de toxicomanie. L’intimé affirme que le plaignant souffre d’un trouble de polytoxicomanie et qu’il refuse d’admettre la réalité.

Le CP et les postes où la sécurité est importante en milieu de travail

[15]  L’article 20 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, S.R.C., 1985 ch. 32 (4e suppl.) définit un « poste essentiel à la sécurité » comme suit : « poste directement relié à la marche des trains sur une voie principale ou dans le service de manœuvre et un poste relié au contrôle de la circulation ferroviaire ».

[16]  L’intimé affirme qu’en plus de désigner des postes essentiels à la sécurité ferroviaire au sens de la Loi sur la sécurité ferroviaire, les diverses compagnies de chemin de fer décrivent des postes qui, même s’ils ne sont pas directement reliés à la marche des trains ou au contrôle de la circulation ferroviaire, constituent néanmoins des « postes pour lesquels la sécurité est importante ».

Emploi au CP

[17]  Sauf indication contraire, les faits suivants relatifs à l’emploi du plaignant au CP ne sont pas contestés.

[18]  Le plaignant a été embauché par l’intimé en avril 2005 comme manœuvre.

[19]  Le plaignant travaillait au sein des équipes régionales de travail, ce qui l’obligeait à se déplacer loin de chez lui. Le CP fournissait l’hébergement à ses équipes de travail et obligeait les employés à loger à deux par chambre. Le plaignant allègue qu’en raison de son anxiété, de sa dépression et de ses phobies, il avait de la difficulté à dormir avec quelqu’un d’autre dans la même chambre. Pendant ses première et deuxième années d’emploi, il demandait une chambre individuelle ou il faisait la navette pour se rendre au travail.

[20]  M. Maxim a été autorisé à occuper une chambre individuelle pendant sa troisième saison d’emploi alors qu’il faisait partie de l’équipe de travail et qu’il se trouvait loin de chez lui. Il a demandé une chambre individuelle parce qu’il a expliqué qu’il avait de la difficulté à se détendre dans une chambre en compagnie d’autres personnes.

[21]  Vers la fin de la troisième saison, le plaignant a été promu à un poste d’opérateur de machines du Groupe 1, qui est un poste pour lequel la sécurité est importante.

[22]  Au cours de sa quatrième saison, M. Maxim a obtenu une chambre individuelle sur la foi d’une lettre de son médecin de famille, mais on l’a informé qu’à défaut d’autres preuves médicales lui permettant d’obtenir des mesures d’adaptation liées à une incapacité, sa demande pouvait être refusée.

[23]  Au cours de sa quatrième saison, M. Maxim a obtenu une chambre individuelle temporaire sur la foi d’une lettre de son médecin de famille. L’intimé l’a informé que d’autres preuves médicales étaient nécessaires pour confirmer le besoin médical de mesures d’adaptation sous la forme d’une chambre individuelle.

[24]  M. Maxim déclare dans son exposé des précisions qu’on lui a finalement refusé des mesures d’adaptation permanentes pour incapacité au motif que l’intimé a demandé des renseignements médicaux supplémentaires pour étayer la demande du plaignant.

[25]  En réponse à la demande de renseignements médicaux supplémentaires de l’intimé pour justifier le besoin de chambre individuelle du plaignant en raison de ses problèmes de dépression et d’anxiété, le plaignant a produit une évaluation fournie par le ministère des Services de santé mentale du Système de santé de la Vallée de la Rouge. L’évaluation concluait que le plaignant souffrait d’anxiété et de troubles dépressifs. L’évaluation indiquait également que le plaignait se saoulait à l’occasion et qu’il avait abusé de la marijuana et de l’alcool.

[26]  Aucune preuve n’a été produite pendant toute la durée de l’audience pour démontrer que, alors qu’il se trouvait sur les lieux de travail, M. Maxim était sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue.

[27]  En raison de l’évaluation faite par le Système de santé de la Vallée de la Rouge, l’intimé a commencé à craindre que le plaignant ne souffre de toxicomanie et à se demander s’il était apte à occuper un poste pour lequel la sécurité était importante. Ainsi, l’intimé a demandé au plaignant de subir un examen médical indépendant effectué par un spécialiste en toxicomanie. Le plaignant a consulté le docteur Bobrowski, qui a conclu dans son rapport du 17 juillet 2008 que M. Maxim avait des dépendances à l’alcool, au cannabis et à la cocaïne.

[28]  M. Maxim a été mis en congé d’invalidité de courte durée et l’intimé a exigé que le plaignant s’inscrive à divers programmes de traitement de la toxicomanie. En 2009, le plaignant a été autorisé à reprendre le travail et à réintégrer le poste pour lequel la sécurité est importante qu’il occupait, à la condition de signer une entente de deux ans sur la prévention des rechutes exigeant qu’il s’abstienne complètement de consommer de l’alcool ou des drogues. Ces conditions étaient conformes à la Politique officielle de l’intimé sur les toxicomanies chez les employés, qui exigeait également que le plaignant accepte de se soumettre à des tests aléatoires de dépistage et de déclaration des drogues et de l’alcool pendant une période de deux ans. Enfin, un soutien psychologique devait être fourni au plaignant par le Programme d’aide aux employés et à leur famille du CP (le PAEF).

[29]  Peu de temps après son retour au travail, le plaignant s’est blessé à l’épaule, ce qui l’a obligé à s’absenter encore une fois du travail. Il n’a pu reprendre le travail qu’en mai 2010. Peu de temps après, il s’est blessé à nouveau à l’épaule et il s’est de nouveau absenté du travail. Le CP a permis au plaignant de reprendre le travail en juillet 2013, malgré le fait qu’il souhaitait revenir dès l’été 2011.

[30]  Pendant sa convalescence, le plaignant a informé le CP qu’il avait bu un verre, ce qui constituait un manquement à son entente de prévention des rechutes. Par conséquent, le plaignant a accepté de subir un autre examen médical indépendant, qui a été effectué par le docteur Gillmore. Le docteur Gillmore a noté dans son rapport du 15 septembre 2011 que M. Maxim était alcoolique et toxicomane, mais qu’il croyait que ses dépendances s’étaient stabilisées et qu’il était en rémission.

[31]  Par suite du rapport du docteur Gillmore et des procédures normalisées de réadaptation des employés, l’intimé a exigé du plaignant qu’il accepte de signer une autre entente de prévention des rechutes et qu’il s’abstienne complètement de consommer de l’alcool ou des drogues et participe à des séances d’encadrement et de thérapies de groupe.

[32]  Les démarches exigées du plaignant correspondent aux étapes suivies par le Service de santé au travail de l’intimé prévues par les Lignes directrices médicales en matière de sécurité pour les troubles liés à la consommation des substances.

Témoins et preuve documentaire

[33]  Le présent Tribunal et sa loi constitutive, la LCDP et ses Règles de procédure exigent que le Tribunal exerce un vaste pouvoir discrétionnaire et qu’il intervienne de façon raisonnable au besoin. Les Règles de procédure permettent expressément au Tribunal de faire preuve de souplesse dans la façon dont il administre la preuve et préside les audiences.

[34]  M. Maxim a produit deux témoins pour étayer sa plainte : son épouse, dont il est séparé, et un ami, M. Mazor. L’épouse a déclaré que M. Maxim aimait bien prendre un verre à l’occasion, lorsqu’il est en vacances, et qu’il se limitait à trois verres à la fois. M. Mazor a témoigné de la bonne moralité de M. Maxim. M. Maxim n’a pas fait témoigner de témoins experts ou de médecins à l’audience.

[35]  M. Maxim a présenté des éléments de preuve documentaire à l’audience, notamment les lettres des docteurs Yatsynovich et Gallay. Toutefois, le plaignant n’a pas fait témoigner à l’audience les personnes qui avaient établi les documents en question. À défaut de témoins, ces documents risquaient de nuire à l’intimé, selon le type de documents, parce que l’intimé n’a pas été en mesure de contre‑interroger les auteurs des documents. Ainsi, malgré la souplesse accordée aux plaignants qui se représentent eux-mêmes aux audiences du Tribunal, dans de nombreux cas, peu de valeur a pu être accordée à ces documents.

[36]  L’intimé a fait témoigner les personnes suivantes :

  • Sylvia Afonso : spécialiste en retour au travail au CP
  • Jacqueline Bartkiekwicz : gestionnaire, Programme de santé au travail
  • Dan Berek : superviseur, Exploitation des machines
  • Dr Jake Bobrowski
  • Dr John Cutbill : anciennement chef de la Direction médicale du CP
  • Dr Trevor Gillmore
  • Justine Evans, employée du CP
  • Kathryn Seredynski : infirmière en santé au travail pour le CP
  • Dr Lambros : médecin d’entreprise du CP
  • Lisa Trueman : directrice des services de santé du CP

III.  Questions en litige

[37]  Le plaignant a-t-il établi à première vue qu’un acte discriminatoire avait été commis?

[38]  Si la réponse à la question ci-dessus est affirmative, est‑ce que l’existence d’une exigence professionnelle justifiée (EPJ) a été démontrée?

IV.  Le droit applicable

C.  Le plaignant a-t-il établi, à première vue, qu’un acte discriminatoire a été commis?

[39]  Il incombe au plaignant d’établir à première vue le bien-fondé de sa plainte. La plainte fondée à première vue est « celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé […] » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28).

[40]  Pour démontrer qu’il y a eu acte discriminatoire à première vue dans le contexte de la LCDP, le plaignant doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités :

  1. qu’il possède l’une ou plusieurs des caractéristiques protégées par la LCDP contre la discrimination;
  2. qu’il a subi un effet préjudiciable relativement à une situation visée à l’article 7 de la LCDP;
  3. que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable;
  4. (voir Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33; voir également Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, aux paragraphes 55 à 69).

V.  Analyse

D.  Caractéristiques protégées par la LCDP

[41]  Le premier élément consiste à savoir si M. Maxim possède une caractéristique qui est protégée par la LCDP.

[42]  M. Maxim nie toute dépendance ou tout abus d’alcool ou de drogues et il a déclaré qu’il n’a jamais consommé d’alcool ou de drogues sur les lieux de travail. M. Maxim soutient toutefois qu’il souffre d’anxiété et de dépression.

[43]  De façon générale, le plaignant a soutenu qu’il était victime d’un traitement différentiel défavorable de la part de l’intimé parce que celui‑ci a mal diagnostiqué sa déficience. La thèse du plaignant est que ses déficiences sont le résultat d’une maladie d’enfance causée par le syndrome de Reye. Le Tribunal accepte que ses troubles manifestes de la parole et sa dépression s’expliquent peut-être par la maladie dont il a souffert dans l’enfance; toutefois, hormis le témoignage de M. Maxim, le tribunal ne dispose d’aucun autre élément de preuve.

[44]  Dans un esprit d’équité et de souplesse, le Tribunal a entendu les preuves scientifiques non vérifiées présentées par le plaignant, ainsi que son témoignage quant au fait qu’il ne souffrirait d’aucun problème de dépendance. Le plaignant a également soutenu que les exigences que lui avait imposées l’intimé d’entreprendre des démarches supplémentaires de traitements contre les dépendances et d’adopter des mesures de suivi n’étaient pas nécessaires, mais plutôt que l’intimé devait être accommodant par rapport à ses déficiences, qui, selon lui, se résumaient à des problèmes de dépression et d’anxiété.

[45]  En revanche, l’intimé admet que le plaignant souffre d’un trouble de polytoxicomanie. L’intimé admet aussi qu’il y avait, à première vue, discrimination. Néanmoins, le Tribunal doit effectuer une analyse indépendante pour s’assurer que tous les éléments constitutifs de la discrimination à première vue sont réunis.

[46]  À l’audience, M. Maxim a déclaré qu’en 2005, 2006 et 2007, il a tiré une bouffée de marijuana par semaine. M. Maxim a admis qu’il aimait la sensation que lui procurait l’alcool et a déclaré qu’il buvait pour soulager la douleur lorsqu’il était à court d’analgésiques. Il a également expliqué qu’il n’avait pas rempli correctement son rapport médical préalable à l’embauche en n’exposant pas avec exactitude ses antécédents en matière de consommation d’alcool et de drogues, ainsi que les blessures physiques et les problèmes de santé mentale dont il avait souffert par le passé. M. Maxim a expliqué que sa consommation d’alcool avait toujours lieu en dehors du travail et quand il était en congé. L’intimé n’a pas présenté des éléments de preuve contradictoires.

[47]  Le Dr Bobrowski, un expert reconnu en médecine de la dépendance, a examiné le plaignant le 10 juillet 2008. Le Dr Bobrowski a ensuite rédigé un rapport médical indépendant en date du 17 juillet 2008 dans lequel il a conclu que M. Maxim souffrait d’une polytoxicomanie. Dans son rapport, qui a été accepté, il déclarait également que le plaignant souffrait d’un trouble lié à la toxicomanie.

[48]  Le Dr Gillmore a procédé à un deuxième examen du plaignant en 2011. Dans son rapport du 15 septembre 2011, le Dr Gillmore déclare que le plaignant avait reconnu avoir eu un problème d’alcoolisme entre 14 et 22 ans. Il a déclaré :

[TRADUCTION]

L’homme buvait entre 22 et 24 bières par jour. Il [Maxim] a évalué à au moins 10 bières par jour sa consommation moyenne et a admis que sa consommation avait progressé, et qu’il en était venu à boire quotidiennement.

M. Maxim a expliqué [traduction] « qu’il pouvait passer des semaines sans boire, mais qu’en général, il se saoulait jusqu’à une semaine par mois et qu’alors, il consommait jusqu’à six à huit bières par jour ». Le rapport précisait également qu’il n’avait jamais été accusé de conduite en état d’ébriété et qu’il n’avait pas été ivre au travail.

[49]  Le rapport de 2011 signalait également que M. Maxim avait été un grand consommateur de marijuana jusqu’à l’âge de 22 ans et qu’il [traduction] « avait continué à “se gâter”, mais la plupart du temps uniquement en prenant quelques bouffées de marijuana en même temps qu’il se saoulait à l’alcool ». Il consommait de la marijuana pour gérer son anxiété avant l’époque de son premier examen médical indépendant. Bien que le rapport fasse état d’utilisation tant de médicaments prescrits que de médicaments non prescrits pendant de nombreuses années, il n’a jamais été traité pour une dépendance quelconque.

[50]  Le Tribunal a été très impressionné par le Dr Trevor Gillmore, un témoin expert dans le domaine de la médecine de la dépendance et de la médecine du travail, qui a effectué un examen médical indépendant du plaignant le 31 août 2011 et a rédigé un rapport daté du 15 septembre 2011. Son examen visait à déterminer si le plaignant était apte à occuper un poste où la sécurité est importante chez l’intimé (pièce R ‑2, onglet 72, rapport du 15 septembre 2011).

[51]  Le Dr Gillmore a constaté dans son rapport que le plaignant était alcoolique et avait une dépendance au cannabis et à la cocaïne. Il a déclaré que le plaignant avait amorcé une phase de rémission partielle de sa dépendance à l’alcool et au cannabis (pièce R -2, doc. 72, page 10.). Au moment du rapport, le plaignant avait déclaré qu’il n’avait pas bu d’alcool depuis octobre 2010. Malgré le fait que le plaignant était sobre à l’époque de l’examen, le Dr Gillmore a estimé que M. Maxim ne s’était pas activement engagé dans son rétablissement et qu’il ne comprenait pas la nature insidieuse et chronique de la maladie de la dépendance (ibid.).

[52]  Le DGillmore a déclaré au Tribunal qu’on ne guérit jamais d’un trouble lié à la consommation de substances qu’il s’agit d’une maladie incurable avec laquelle on doit composer pour le reste de ses jours et qu’on peut au mieux espérer un état de rémission continu. Le Tribunal a accepté ce témoignage du DGillmore, qui a estimé que le plaignant minimisait sa dépendance et ne croyait pas qu’il souffrait d’un trouble de dépendance.

[53]  Le Tribunal a entendu le témoignage des Drs Gillmore et Bobrowski, qui ont déclaré qu’une personne chez qui l’on a diagnostiqué un trouble lié à la consommation d’alcool ou de drogues est incapable de consommer de l’alcool ou des drogues pour le plaisir à cause des changements physiologiques que son cerveau a subis, ajoutant que cette personne n’est pas en mesure de contrôler sa toxicomanie. Une telle personne court toujours le risque d’une rechute importante. Bien que le plaignant ait contesté la théorie du DBobrowski en ce qui concerne les changements dysfonctionnels du cerveau, sa contestation ne repose sur aucune base scientifique.

[54]  Le fait que l’intimé n’ait présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer que M. Maxim consommait de l’alcool ou du cannabis au travail ne permet pas d’étayer l’allégation de celui-ci suivant laquelle sa toxicomanie ne faisait pas partie de ses déficiences. Exerçant son jugement de la façon la plus libérale possible, le Tribunal doit agir de façon raisonnable. Il ne peut écarter le témoignage des Drs Bobrowski, Gillmore et Cutbill et leurs rapports respectifs confirmant la déficience que constitue la dépendance.

[55]  Le témoignage des Drs Bobrowski et Gillmore a convaincu le Tribunal qu’outre les autres maladies dont il est atteint, M. Maxim est alcoolique et toxicomane. Le Tribunal accepte leurs conclusions selon lesquelles M. Maxim était et demeure atteint d’un trouble lié à la consommation de substances.

[56]  Par conséquent, le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le plaignant est effectivement atteint d’un trouble de polytoxicomanie, lequel constitue une caractéristique protégée par la LCDP.

(i)  Effet préjudiciable

[57]  Comme nous l’avons déjà signalé, dès lors qu’une caractéristique protégée a été constatée, le plaignant doit également démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi un effet préjudiciable qui tombe sous le coup de la LCDP et que la caractéristique protégée a joué un rôle dans la manifestation de cet effet préjudiciable.

(a)  Programmes de prévention et refus d’accorder un poste pour lequel la sécurité est importante

[58]  L’intimé affirme au paragraphe 69 de son exposé des précisions qu’il y a eu, en l’espèce, à première vue discrimination contre le plaignant :

[TRADUCTION]

En d’autres termes, il était et il est toujours interdit au plaignant d’exécuter certaines tâches sur la voie ferrée en raison de ses déficiences. Les déficiences en question sont une polytoxicomanie et des troubles de santé mentale concomitants.

L’intimé allègue que les restrictions imposées au plaignant font en sorte qu’il ne peut occuper que des postes où la sécurité n’est pas essentielle.

[59]  Le plaignant a expliqué qu’il avait dû signer des ententes par lesquelles il s’était engagé à participer à un programme de traitements médicaux, à s’abstenir de consommer de l’alcool, à suivre une thérapie et à se soumettre à des tests aléatoires de dépistage d’alcool et de drogues. Le plaignant a également expliqué qu’on l’avait retiré du poste pour lequel la sécurité était importante qu’il occupait et qu’il s’était vu offrir un autre poste.

[60]  Le Tribunal conclut que l’intimé a imposé au plaignant certaines restrictions qui ont causé à ce dernier des effets préjudiciables.

(b)  La caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable

[61]  Vu ce qui précède, le Tribunal conclut que la déficience dont est atteint le plaignant, la polytoxicomanie, est la raison qui a motivé l’intimé à imposer au plaignant certaines restrictions. Il existe donc un lien entre la déficience et l’effet préjudiciable, ce qui établit l’existence d’une discrimination à première vue.

E.  Une exigence professionnelle justifiée a-t-elle été établie?

[62]  Dès lors que le plaignant a réussi à établir une preuve à première vue de discrimination fondée sur les motifs de sa déficience, il appartient à l’intimé de faire valoir que sa conduite représente une exigence professionnelle justifiée, ce qui constitue une défense complète contre les allégations du plaignant. La LCDP dispose en effet :

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires:

  • a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées; […]

[63]  La Cour suprême du Canada a défini ce qui constitue une exigence professionnelle justifiée dans l’arrêt Meiorin, dans lequel la juge McLachlin, qui s’exprimait au nom de la Cour, a déclaré : « [l] » employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

(1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

(2) qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

(Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »), paragraphe 54).

[64]  Le but des mesures d’adaptation est de s’assurer que l’employé qui est apte au travail peut effectivement le faire et que les personnes qui sont autrement aptes au travail ne soient pas injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive. [traduction] « Cela étant dit, l’obligation d’adaptation n’est pas illimitée. L’employeur a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé sans qu’il en résulte pour l’employeur une contrainte excessive […] ». Le critère de la contrainte excessive est toujours tributaire des faits (Tolko Industries Limited v. Industrial, Wood and Allied Workers of Canada, (Local 1‑207), 2014 ABCA 236, aux paragraphes 34 et 35. Voir également Hydro-Québec c. Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, au paragraphe 14).

[65]  L’intimé affirme qu’en raison de la nature de ses lieux de travail et du poste pour lequel la sécurité est importante qu’occupait le plaignant, il était justifié d’imposer au plaignant le traitement différentiel défavorable en question, vu le trouble de polytoxicomanie de ce dernier. L’intimé affirme que la sécurité est importante tant en ce qui concerne ses opérations que le poste du plaignant et que l’obligation de dépister et de traiter les troubles liés à la consommation de substances est rationnelle, honnête et nécessaire pour assurer la sécurité. S’il ne prenait aucune mesure de sécurité, notamment au moyen de politiques et de normes, l’intimé serait exposé à une contrainte excessive dans la fourniture de mesures d’adaptation au plaignant en raison du risque important que ce dernier représente pour la sécurité au travail en raison de sa déficience.

[66]  Il importe de signaler que le plaignant n’a pas été congédié par l’intimé au moment de la plainte; le plaignant travaillait encore pour l’intimé et occupait un poste où la sécurité n’était pas essentielle.

(i)  Les politiques et les agissements de l’intimé étaient-ils rationnellement liés au travail ou aux tâches exécutés par le plaignant?

[67]  L’intimé avait adopté des politiques pour traiter les cas des employés ayant des problèmes de toxicomanie. L’intimé, se fondant sur les examens médicaux indépendants des DBobrowski et DGillmore, avait insisté pour que le plaignant respecte certaines ententes en matière de toxicomanie pour assurer sa propre sécurité, celle des autres employés et celle du public en général, si le plaignant devait reprendre le travail dans un poste pour lequel la sécurité est importante.

[68]  L’intimé a cité la décision Canadian National Railway Company v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada (CAW–Canada), [2000] C.L.A.D. No. 465 (CAW), au sujet de l’importance cruciale que revêt la sécurité pour l’industrie ferroviaire :

[TRADUCTION]

« […] un transporteur ferroviaire peut s’attendre à être assujetti à une norme très rigoureuse en ce qui concerne la diligence raisonnable qu’il exerce pour assurer l’aptitude au travail de ses employés » et « tout employé a le droit de s’attendre à un milieu de travail sain et sécuritaire. Par conséquent, chaque employé a l’obligation de se présenter au travail et de demeurer apte à remplir ses fonctions sans les effets négatifs de la consommation d’alcool ou de drogues, et de se conformer aux normes énoncées […] » (paragraphes 11 et 194).

[69]  Dans son mémoire, l’intimé mentionne les obligations relatives à un milieu de travail sécuritaire prévues par le Code criminel, L.R.C., 1985, ch. C‑46 et par le Code canadien du travail, L.R.C., 1985, ch. L‑2. Le Tribunal a été renvoyé aux obligations énoncées à l’article 124 du Code canadien du travail, qui fait peser sur l’intimé l’obligation générale de veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail. L’intimé a cité d’autres lois qui imposent à l’employeur des obligations en matière de sécurité telles que la Loi sur la sécurité ferroviaire et la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses, L.C. 1992, ch. 34.

[70]  Le Tribunal a entendu et accepté le témoignage de M. Dan Berek, superviseur et opérateur de machines, qui a témoigné au sujet des exigences du poste d’opérateur de machines. Il a expliqué la nature du travail, les risques de blessure auxquels s’exposent l’opérateur, les autres membres de l’équipe de travail et le grand public.

[71]  Le Tribunal a entendu le témoignage de Lisa Trueman, directrice des Services de santé de l’intimé, quant à la politique de l’intimé sur « l’aptitude au travail » des employés. Une telle politique tient compte des exigences particulières de l’emploi, de l’état de santé de l’employé et du degré de risque potentiel pour l’employé et les autres personnes présentes sur les lieux de travail. De plus, l’intimé a présenté des éléments de preuve concernant sa politique en matière d’alcool et de drogues.

[72]  Les tribunaux ont effectivement imposé aux employeurs une obligation de diligence ou d’adaptation à l’égard des employés toxicomanes. Les tribunaux acceptent que, conformément à l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, Section locale 30 c. Pâtes et papiers Irving, Ltée, [2013] 2 R.C.S. 458, il est loisible aux employeurs de prendre des mesures pour s’assurer que l’employé qui souffre d’un problème de toxicomanie soit apte au travail. L’employé pour sa part est notamment tenu de conclure des ententes de réadaptation, de se soumettre à des dépistages aléatoires de drogues et d’alcool et de faire des déclarations. Le Tribunal considère qu’il s’agit là d’une obligation de diligence de la part de l’intimé et que le fait de ne pas imposer un tel programme de réadaptation dans un lieu de travail où la sécurité est essentielle constituerait un manquement de la part de l’intimé, qui a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour tenir compte de la déficience que constitue la dépendance du plaignant. Le Tribunal souscrit à l’argument de l’intimé selon lequel les restrictions imposées à M. Maxim, après qu’il eut pris conscience du problème de dépendance de ce dernier, sont conformes à la jurisprudence et aux normes de sécurité dans les lieux de travail où la sécurité est essentielle. Le Tribunal a conclu qu’il existe de graves problèmes de sécurité lorsqu’un employé a les facultés affaiblies au travail, ce qui soulève des enjeux sécuritaires importants. (Voir Dennis c. Conseil de bande d’Eskasoni, 2008 TCDP 38, au paragraphe 90.)

[73]  Vu l’ensemble de la preuve, le Tribunal accepte que la politique et les agissements de l’intimé fussent rationnellement liés à son objectif de remplir ses obligations d’assurer la sécurité en milieu de travail. Le Tribunal est par conséquent convaincu que le premier volet de la défense a été établi.

(ii)  L’intimé a-t-il adopté sa norme de bonne foi?

[74]  À la présente étape de l’analyse, l’intimé doit démontrer qu’il a adopté la norme ou la politique en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire à la réalisation de son objet, et sans intention de faire preuve de discrimination envers le plaignant (Meiorin, au paragraphe 60).

[75]  M. Dan Berek a témoigné au sujet de la machinerie lourde que le plaignant était autorisé à opérer et pour laquelle il pouvait postuler. Il a expliqué que la machinerie utilisée par le plaignant se trouvait dans un lieu où d’autres employés travaillaient, et il a également expliqué les dangers auxquels était exposé le public en général. La question de la sécurité constituait donc un aspect essentiel du poste qu’occupait le plaignant et celui-ci occupait un poste pour lequel la sécurité était importante.

[76]  La directrice des Services de santé de l’intimé a également témoigné au sujet des lignes directrices et des politiques du CP en ce qui concerne les employés ayant reçu un diagnostic de trouble d’abus de substances, en particulier ceux occupant un poste pour lequel la sécurité est importante. En collaboration avec l’Association des chemins de fer du Canada, l’intimé avait établi une liste et des critères pour les postes pour lesquels la sécurité est importante. La directrice des Services de santé de l’intimé a expliqué que le poste occupé par M. Maxim entrait dans la catégorie des postes pour lesquels la sécurité est importante. Il y avait également des procédures en vigueur établissant les normes de service pour les postes essentiels à la sécurité et pour les postes pour lesquels la sécurité est importante.

[77]  Le Tribunal conclut que la preuve établit que les lignes directrices et les politiques avaient été mises en place pour toutes les personnes occupant un poste pour lequel la sécurité était importante et que ces lignes directrices et ces politiques étaient nécessaires pour permettre à l’intimé de respecter ses obligations d’assurer un milieu de travail sécuritaire.

[78]  Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les politiques et les pratiques imposées au plaignant ont été adoptées de bonne foi.

(iii)  La norme est-elle raisonnablement nécessaire pour réaliser son objectif de sorte que l’intimé ne peut prendre de mesure d’adaptation pour le plaignant sans subir de contrainte excessive?

[79]  À la présente étape de l’analyse, l’intimé doit démontrer qu’il ne peut prendre des mesures d’accommodement pour l’employé atteint d’un trouble de polytoxicomanie en lui permettant de travailler dans un poste pour lequel la sécurité est importante sans subir de contrainte excessive en matière de santé, de sécurité et/ou de coûts (paragraphe 15(2) de la LCDP). L’intimé soutient qu’il subirait une contrainte excessive en l’espèce compte tenu du risque pour la sécurité auquel serait exposé le plaignant, d’autres employés et le public en général.

[80]  Le plaignant nie que sa dépendance à l’alcool et aux drogues fait partie de ses déficiences et il affirme que sa déficience se limite à l’anxiété dont il souffre en raison du syndrome de Reye. Par conséquent, le plaignant affirme qu’il n’est pas atteint d’un trouble de polytoxicomanie et qu’il ne devait pas être obligé de s’inscrire au programme exigé par l’intimé comme condition préalable à sa réintégration dans un poste pour lequel la sécurité est importante.

[81]  L’intimé affirme que c’est précisément l’importance capitale que la sécurité revêt dans les lieux de travail de l’intimé qui satisfait au principe de l’exigence professionnelle justifiée. Ainsi que l’arbitre l’a déclaré au paragraphe 211 de la décision CAW :

[TRADUCTION]

« […] Je suis convaincu que de tels tests sont justifiés et qu’ils constituent un exercice raisonnable des droits de la direction dans l’industrie du transport, où la sécurité revêt une importance cruciale. Le paragraphe 35(1) de la Loi sur la sécurité ferroviaire autorise les compagnies de chemin de fer à faire subir périodiquement leurs propres examens médicaux à des employés désignés. Il est manifestement dans l’intérêt légitime des sociétés ferroviaires de s’assurer raisonnablement que les personnes qui occupent des postes à risque ne souffrent pas d’une dépendance actuelle à l’alcool ou à la drogue. »

L’arbitre poursuit, au paragraphe 213 :

[TRADUCTION]

« […] Si l’on accepte que la dépendance à la drogue ou à l’alcool soit une déficience protégée par la Loi canadienne sur les droits de la personne, et que la désignation des personnes atteintes de telles déficiences et la restriction des tâches qu’elles peuvent accomplir constituent une discrimination à première vue, une telle discrimination serait amplement justifiée dans le cas des postes présentant un risque élevé, selon toute application juste du moyen de défense fondé sur les exigences professionnelles justifiées. À titre subsidiaire, pour ce qui est des employés dont la consommation d’alcool ou de drogues n’est pas liée à une dépendance, ils ne peuvent pas se prévaloir de la protection de la Loi canadienne sur les droits de la personne puisqu’ils ne peuvent se réclamer d’une déficience protégée. Dans ces conditions, rien dans la politique de l’entreprise en matière de drogue et d’alcool concernant le dépistage de la consommation de drogues et d’alcool chez les employés ne saurait donc être considéré comme discriminatoire ou comme contrevenant à une situation protégée par la Loi canadienne sur les droits de la personne. »

[82]  Il ressort de la preuve et des arguments de l’intimé que celui‑ci s’est fondé sur des examens médicaux indépendants, sur son médecin en chef, et sur ses politiques et procédures pour définir les modalités du retour au travail du plaignant dans un poste pour lequel la sécurité est importante. Par exemple, le rapport du DGillmore concluait que M. Maxim était apte à reprendre le travail dans un poste pour lequel la sécurité est importante à condition qu’il suive certains traitements et se soumette à des contrôles pour une période ininterrompue de deux ans.

[83]  Le Tribunal a également entendu le DCutbill, ancien médecin en chef et expert en médecine du travail, qui était responsable de l’examen de toutes les preuves médicales à la lumière des politiques de l’intimé pour s’assurer que le plaignant reprenne le travail sans risque pour lui-même, pour ses collègues et pour le public en général.

[84]  Le DCutbill a dit au Tribunal qu’à son avis, M. Maxim présentait un risque élevé de rechute en raison d’un certain nombre de critères et des rapports antérieurs des Drs Gillmore et Bobrowski. Le DCutbill était donc d’avis que M. Maxim devait s’inscrire au Programme d’aide aux employés et au PAEF, suivre des traitements en établissement, assister aux réunions des AA et fournir périodiquement des échantillons d’urine [voir pièce R – 2 doc 72]. Tout comme le témoignage des Drs Gillmore et Bobrowski, le Tribunal estime que le témoignage du DCutbill était convaincant.

[85]  Le Tribunal accepte leurs témoignages suivant lesquels un individu chez qui l’on a diagnostiqué un trouble lié à la consommation d’alcool ou de drogues est incapable de consommer de l’alcool ou des drogues à des fins récréatives, étant donné que la maladie crée des changements physiologiques au cerveau. Ce n’est pas parce que, comme il l’a admis, le plaignant ne consomme de telles substances qu’à l’occasion qu’il peut pour autant prétendre qu’il n’est pas atteint de la maladie. Le Tribunal estime que le témoignage du plaignant concernant sa consommation d’alcool et de marijuana, de concert avec le témoignage des médecins experts, appuie la thèse de l’intimé suivant laquelle les mesures imposées au plaignant étaient raisonnablement nécessaires.

[86]  De plus, l’intimé affirme que le plaignant n’aurait pas été réintégré au travail dans un tel poste compte tenu des restrictions qui lui avaient été imposées, et que le syndicat n’aurait pas permis son retour à un tel poste à l’époque. M. Berek, superviseur au CP et membre du comité local de retour au travail pour le sud de l’Ontario, a déclaré que le plaignant n’aurait pas été réintégré au travail dans un poste qui ne correspondait pas aux capacités fonctionnelles décrites par son médecin. De plus, le syndicat n’aurait pas accepté de supplanter un employé ayant plus d’ancienneté que M. Maxim pour permettre à ce dernier d’occuper un poste d’aide-opérateur de machines.

[87]  Le Tribunal a accepté les affirmations de M. Berek selon lesquelles le plaignant n’aurait pas été réintégré dans un poste qui ne correspondait pas à ses capacités fonctionnelles selon les constatations de ses médecins. De plus, tout retour au travail était également assujetti aux dispositions de la convention collective du syndicat portant sur l’ancienneté et les qualifications. J’accepte qu’il aurait été fort improbable que M. Maxim soit réintégré dans son poste d’aide-opérateur de machines sans se conformer aux normes et aux politiques de l’intimé.

[88]  En l’espèce, l’intimé s’est fondé sur les déclarations faites par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Stewart v. Elk Valley Coal Corporation, 2015 ABCA 225, en ce qui a trait aux mesures d’adaptation. Les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta ont déclaré, aux paragraphes 84 et 85 :

[TRADUCTION]

« La raison d’être des mesures d’adaptation est qu’elles contrecarrent la discrimination. L’objectif de l’obligation d’adaptation est d’éliminer les obstacles que constituent l’arbitraire ou les hypothèses ou attitudes stéréotypées quant à la déficience et de les remplacer par un état d’esprit d’inclusion. Les employeurs sont incités – et contraints – à agir de façon proactive afin d’aider le travailleur handicapé par des mesures d’adaptation à participer de façon concrète au monde du travail au même titre que la personne non handicapée. […] Les mesures d’adaptation ont pour objet de faire participer les employeurs au processus visant à permettre aux employés d’exécuter les tâches qui leur sont confiées d’une manière utile à l’employeur tout en considérant l’employé handicapé comme méritant le même respect – et à cet égard, le même respect de soi et la même responsabilité personnelle – que tout autre employé. »

« Considérer […] qu’il incombe à l’employeur d’attendre une démonstration flagrante d’une déficience liée à la dépendance d’un employé pour justifier la prise de mesures d’adaptation ne peut être concilié avec une telle philosophie. […] »

[89]  L’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire Stewart a fait l’objet d’un pourvoi à la Cour suprême du Canada (2017 CSC 30). La majorité des juges de la Cour suprême du Canada n’a pas estimé nécessaire de se pencher sur la question des mesures d’adaptation raisonnables et elle ne s’est donc pas prononcée sur les déclarations précitées de la Cour d’appel de l’Alberta. Bien que le Tribunal reconnaisse qu’à la différence d’un arrêt de la Cour suprême du Canada, l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta ne le lie pas, les paragraphes précités constituent une décision rendue par une juridiction provinciale d’appel portant sur l’obligation d’adaptation prévue par des dispositions législatives en matière des droits de la personne et, comme la décision n’a pas été infirmée en appel, elle jouit d’une importante valeur persuasive.

[90]  L’obligation qu’a l’intimé de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du plaignant est atténuée par la connaissance qu’il a de la déficience de ce dernier, ainsi que par le fait que la sécurité revêt une importance capitale pour le milieu de travail de l’intimé et que les personnes atteintes de troubles liés à la consommation de substances et qui nient leur dépendance peuvent rechuter en tout temps, et ce, même si elles sont en rémission. Le consommateur d’alcool ou de drogues se place non seulement lui‑même en danger, mais aussi ses collègues de travail et le public en général.

[91]  Le Tribunal conclut que l’intimé se trouvait dans une situation dans laquelle il était au courant de la déficience du plaignant et devait prendre des mesures pour assurer la sécurité de ce dernier, ainsi que celle de ses employés et du public. Le Tribunal conclut que la politique et les normes adoptées par l’intimé pour assurer la sécurité de ses lieux de travail étaient raisonnablement nécessaires et que l’intimé ne pouvait faire une exception dans le cas du plaignant sans subir une contrainte excessive au sens du troisième volet du critère établi dans l’arrêt Meiorin.

(iv)  Obligation de l’employé de participer aux mesures d’adaptation

[92]  Même si le Tribunal n’avait pas conclu que l’intimé satisfaisait au critère de l’arrêt Meiorin concernant la contrainte excessive, le plaignant n’a pas rempli son obligation de participer au processus d’adaptation.

[93]  Les mesures d’adaptation du plaignant ne peuvent se faire isolément par l’intimé seul. Il faut un minimum de collaboration et de participation volontaire de l’employé atteint d’une déficience. Il a été jugé que, lorsque l’employeur fait une proposition raisonnable, il incombe à l’employé de faciliter sa mise en œuvre (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970).

[94]  Le plaignant nie sa dépendance et, par conséquent, il a mis fin à sa participation au processus d’adaptation de l’intimé. La Cour d’appel de l’Alberta a déclaré ce qui suit en ce qui concerne les mesures d’adaptation dans l’arrêt Stewart v. Elk Valley Coal Corporation :

[TRADUCTION]

[88] On force la logique lorsqu’on invoque le « déni » pour exempter l’employé qui a besoin de mesures d’adaptation et qui n’en a pas parlé à l’employeur dans une situation où d’autres personnes l’auraient normalement fait. La tendance à traiter la toxicomanie ou la dépendance comme un handicap physique repose sur la reconnaissance de l’existence d’attitudes stéréotypées quant à la capacité des personnes à contrôler leur dépendance. On peut soutenir que le déni fait partie de ce phénomène […]

[89] L’approche de l’appelant revient à suggérer que même un employé qui occupe un poste pour lequel la sécurité est très importante et qui sait exactement ce qu’il fait peut unilatéralement et de manière secrète faire fi de ses obligations fondamentales en matière de sécurité non seulement envers l’employeur, mais aussi envers ses collègues de travail. Le fait de fermer les yeux sur un tel comportement s’expliquerait par une erreur ou par une conception erronée de la part de l’employé en question, à savoir le déni. À notre avis, le fait de légitimer une telle attitude subjective d’un employé de définir des tâches qui revêtent de l’importance sur le plan de la sécurité dans un milieu de travail dangereux ne correspond nullement au critère de l’arrêt Meiorin, et aux objectifs des dispositions législatives contre la discrimination.

[95]  Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, une telle façon de voir n’a pas été confirmée par la majorité des juges de la Cour suprême, pas plus qu’elle n’a été considérée comme inexacte. C’est la décision des juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta. Le Tribunal estime que, bien qu’il ne soit pas lié par les décisions de la juridiction, la décision est éclairante.

[96]  Dans l’affaire dont le Tribunal est saisi, le témoignage du plaignant a révélé qu’il avait admis avoir consommé périodiquement de l’alcool, mais qu’il avait refusé de considérer sa consommation de « quelques canettes » comme révélant qu’il était dépendant, comme l’ont affirmé les témoins experts. Comme nous l’avons déjà signalé, le Tribunal accepte le témoignage des experts suivant lequel la crainte de rechute après des périodes de rémission est réelle. De plus, le Tribunal estime que l’intimé a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’une telle dépendance.

[97]  Le Tribunal a conclu, d’après les éléments de preuve des représentants de l’intimé, que les mesures d’adaptation offertes à M. Maxim étaient raisonnables, même si elles exigeaient de la discipline, compte tenu des risques élevés quant à la sécurité des opérations d’une entreprise ferroviaire. Il ne revient pas à l’employé de décider si les mesures d’adaptation sont raisonnables ni de prétendre que les mesures d’adaptation ne sont pas nécessaires tout en affirmant que l’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation pour tenir compte de sa déficience. M. Maxim a refusé le processus de contrôle parce qu’il niait avoir un problème de dépendance. Dès lors que l’employeur est tenu de prendre des mesures d’adaptation pour tenir compte des besoins de l’employé et que les mesures d’adaptation que l’employeur prend sont raisonnables, si l’employé refuse de participer ou ne participe que du bout des lèvres, l’obligation de l’employeur est remplie. Le Tribunal conclut donc que le plaignant n’a pas respecté son obligation de participer au processus d’accommodement.

VI.  Conclusion

[98]  Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la présente plainte est rejetée.

Signée par

Ronald Sydney Williams

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 18 juillet 2018

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1984/6413

Intitulé de la cause : Bradley Scott Maxim c. Chemin de fer Canadien Pacifique

Date de la décision du tribunal : Le 18 juillet 2018

Date et lieu de l’audience : Le 19 au 23 octobre 2015

Toronto (Ontario)

Comparutions :

Bradley Scott Maxim, pour lui même

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Richard C. Tanner et Paige Ainslie, pour l'intimé

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