Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP 18

Date : le 22 juin 2018

Numéro du dossier : T2161/3516

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Thomas Dixon

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

La Première Nation de Sandy Lake

l'intimée

Décision

Membre : Sophie Marchildon

 



I.  Le contexte

[1]  L’audience a eu lieu dans la collectivité de la Première Nation de Sandy Lake, dans le nord de l’Ontario. La Première Nation de Sandy Lake compte une population de 3 000 membres et est dirigée par un conseil élu composé d’un chef, d’un chef adjoint et de conseillers. L’agent du greffe du Tribunal et moi-même, membre du Tribunal, avons été bien accueillis par la collectivité. Je me sens privilégiée d’avoir pu vivre cette expérience au sein de cette belle et prospère collectivité.

[2]  Le plaignant, M. Thomas Dixon (le « plaignant »), est un survivant de la « rafle des années 60 » et a souffert de cette terrible expérience. Je suis bien au courant de la « rafle des années 60 » pour avoir instruit l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada, dans laquelle nous avons reconnu publiquement, dans la décision (2016 TCDP 2), les traumatismes et les souffrances que les enfants, les familles et les survivants de la « rafle des années 60 » ont subis. De plus, M. Dixon a expliqué dans son témoignage qu’il avait été traité de « vaurien » et d’« ordure » par certains membres de la Première Nation de Sandy Lake. Selon lui, c’est parce qu’ils ne le considéraient pas comme un membre de la collectivité, car il avait été adopté par une famille de Sandy Lake alors qu’il était enfant.

[3]  Je tiens à reconnaître les souffrances qu’a vécues M. Dixon et à lui souhaiter la guérison, l’amour, l’espoir et un meilleur avenir. M. Dixon est un homme intelligent et il ne mérite pas d’être traité de « vaurien » ou d’« ordure ». Aucun être humain n’est sans valeur, surtout pas les enfants qui ont été adoptés dans d’autres collectivités à la suite de la « rafle des années 60 ». Ces personnes devraient être honorées pour leur résilience et leur courage. Chaque être humain est extrêmement précieux et unique, et rien ne justifie de porter atteinte à la dignité d’une personne.

A.  Résumé de la procédure

[4]  Le 5 mai 2014, M. Dixon a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (« la CCDP » ou « la Commission ») dans laquelle il alléguait que la Première Nation de Sandy Lake (« l’intimée ») avait fait preuve de discrimination envers lui au sens des articles 5 et 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »).

[5]  M. Dixon avait déjà déposé auprès de la Commission, le 25 juin 2013, une plainte en matière de droits de la personne contre l’intimée. Lors de la première conférence téléphonique, j’ai expliqué à M. Dixon que le Tribunal n’était pas saisi de sa première plainte (dossier no 20130712, la « plainte no 1 »), que la Commission avait rejetée par lettre datée du 22 janvier 2014. En outre, j’ai expliqué à M. Dixon que le Tribunal n’était saisi que des allégations de représailles formulées dans la seconde plainte qu’il avait déposée auprès de la Commission le 5 mai 2014 (dossier no 20140458, la « plainte no 2 » ou la « plainte de représailles »). Le Tribunal n’était pas saisi de l’autre volet de la plainte no 2 fondé sur l’article 5 de la LCDP. En fait, la lettre de renvoi de la Commission indiquait ce qui suit :

[TRADUCTION]

La Commission a examiné la plainte portée par M. Thomas Dixon contre la Première Nation de Sandy Lake dans le dossier no 20140458. La Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), de vous demander d’instruire la plainte portant sur les allégations de représailles au sens de l’article 14.1 de la LCDP, étant donné qu’elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, que l’examen de celle ci est justifié. La Commission ne vous demande pas d’instruire la plainte fondée sur l’article 5 de la LCDP. [Mise en relief ajoutée.]

Le rejet des allégations de la plainte no 2 fondées sur l’article 5 n’a pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, qui est la tribune appropriée pour contester la décision de la Commission de renvoyer seulement une partie de la plainte.

[6]  J’ai expliqué que les seules allégations dont j’étais saisie et que je devais trancher étaient donc celles concernant les représailles alléguées.

[7]  M. Dixon a été invité à fournir un exposé de précisions amendé portant principalement sur les allégations de représailles formulées dans la plainte no 2.

[8]  Au cours de la première conférence téléphonique, la Commission a confirmé qu’elle ne participerait pas à l’audience. J’ai demandé à M. Dixon s’il allait être représenté par un avocat à l’audience et il a répondu qu’il ne serait pas représenté par un avocat. Comme M. Dixon se représentait lui même, je lui ai expliqué la procédure du Tribunal et les critères juridiques applicables, et j’ai fait parvenir à toutes les parties une copie des décisions Tabor (Première Nation Millbrook c. Tabor, 2016 CF 894, et Tabor c. La Première nation Millbrook, 2015 TCDP 18) pour donner à M. Dixon un exemple de plaintes de représailles. Je tiens à remercier la Commission, qui a aidé M. Dixon à préparer son exposé de précisions amendé, sans toutefois lui donner de conseils juridiques, et a répondu à certaines de ses questions.

[9]  J’ai également expliqué le processus d’audience lors de l’une de nos dernières conférences téléphoniques et j’ai repris les explications dans un résumé qui a été transmis à toutes les parties, y compris M. Dixon.

[10]  À l’ouverture de l’audience, M. Dixon a été étonné de constater que l’avocat de la Commission n’était pas présent pour le représenter, parce que M. Dixon avait témoigné dans une autre affaire la semaine précédente et que l’avocat de la Commission était présent lors de cette audience. Lors des conférences téléphoniques du Tribunal, j’avais expliqué à M. Dixon que la Commission ne participerait pas à l’audience. Malgré cela, j’ai demandé à M. Dixon, à l’ouverture de l’audience, s’il souhaitait que j’ajourne l’audience pour lui permettre de se trouver un avocat pour le représenter. M. Dixon a répondu qu’il n’avait pas les moyens de se payer un avocat et a déclaré que l’audience devait suivre son cours.

[11]  Dans cette optique, je tiens à souligner les nombreux efforts déployés pour aider M. Dixon pour qu’il soit en mesure de présenter sa cause tant avant que pendant l’audience. Par exemple, on lui a expliqué le déroulement de l’audience lors d’une conférence téléphonique, puis de nouveau par écrit dans un résumé de l’appel téléphonique, ainsi qu’à l’audience. Enfin, à l’audience, l’avocate de l’intimée, Me Asha James, a eu l’amabilité de ne pas s’objecter, lorsque j’ai aidé M. Dixon à répondre à mes questions et à s’assurer que ses documents étaient adéquatement déposés en preuve.

[12]  On a également demandé à M. Dixon, lors d’une conférence téléphonique, s’il avait besoin de citations à comparaître pour ses témoins et il a informé le Tribunal qu’il nous le ferait savoir. Nous lui avons redemandé plusieurs fois et il a finalement répondu qu’il avait besoin d’une citation à comparaître pour l’un de ses témoins. L’agent du greffe a envoyé la citation signée partiellement remplie, avec la lettre d’information indiquant que la partie qui demande la citation doit indiquer la date et l’heure où le témoin est censé comparaître devant le Tribunal. Malheureusement, le témoin de M. Dixon ne s’est pas présenté à l’audience. Le témoin s’est toutefois présenté en personne ce jour là, après la séance du Tribunal, et a expliqué qu’étant donné que la date et l’heure lui avaient été fournies au téléphone par M. Dixon et non par écrit, son employeur avait refusé de lui donner congé. On a demandé au témoin d’expliquer le tout dans une lettre et de la faire parvenir au Tribunal. Il a acquiescé à cette demande, mais n’y a jamais donné suite. M. Dixon n’a pas demandé que l’audience soit ajournée pour lui permettre de signifier adéquatement la citation à comparaître afin que cette personne témoigne.

[13]  Un membre de la collectivité a fait irruption dans la salle d’audience et a proféré des menaces au plaignant parce qu’il avait porté plainte et demandé la tenue de cette audience. L’audience a été brièvement interrompue et l’incident a été signalé à la police de la Nation Nishnawbe Aski. Bien que ces faits tendent à confirmer les allégations de M. Dixon suivant lesquelles certains membres de la collectivité le harcèlent, M. Dixon n’a pas tenté d’ajouter ces éléments à sa plainte et n’a pas présenté de preuve permettant d’associer ces actes à la bande. Ces faits ne démontrent donc pas que la bande et le conseil ont exercé des représailles contre lui.

[14]  Enfin, M. Dixon a soulevé de nouvelles allégations dans les arguments écrits finals qu’il a soumis après la clôture de l’audience. Lors d’une conférence téléphonique tenue après la clôture de l’audience, au cours de laquelle les parties avaient eu l’occasion de présenter des observations orales, j’ai informé M. Dixon que ces nouvelles allégations ne pouvaient être abordées dans les plaidoiries finales, puisque aucun élément de preuve n’avait été fourni ou testé à l’audience.

B.  L’allégation de représailles à trancher par le Tribunal

[15]  Le 25 juin 2013, M. Thomas Dixon a déposé auprès de la Commission (dossier no 20130712) une plainte de discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique et la situation familiale (la « plainte no 1 »).

[16]  La plainte no 1 a été rejetée par la Commission, et cette décision n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire de la part de M. Dixon. M. Dixon affirme ne pas avoir reçu de lettre l’informant du rejet de la plainte no 1 et soutient, par conséquent, qu’il ne savait pas que sa plainte avait été rejetée.

[17]  M. Dixon allègue qu’en février 2014 il a reçu un courriel de M. Sonny Mamakeesic, un membre de la Première Nation de Sandy Lake, l’informant qu’une lettre concernant sa plainte no 1 (dossier no  20130712) avait été agrandie (« l’affiche de la lettre ») et qu’elle avait été affichée au magasin communautaire Northern de la collectivité de Sandy Lake (le « magasin Northern »). M. Dixon habitait Thunder Bay à l’époque, il a donc demandé à M. Mamakeesic de prendre des photos de l’affiche de la lettre et de les lui faire parvenir. Il a également demandé à un autre membre de la collectivité de Sandy Lake et ancien conseiller de la bande, M. David Kakegamic, de se rendre au magasin Northern de Sandy Lake où l’affiche de la lettre était placardée pour confirmer que l’affiche s’y trouvait bel et bien. M. Kakegamic a témoigné à l’audience qu’il s’était rendu au magasin Northern, qu’il avait confirmé que l’affiche de la lettre s’y trouvait, mais qu’il n’avait pas vu qui l’avait installée. Il a également mesuré l’affiche, dont les dimensions étaient selon lui de quatre pieds sur trois pieds.

[18]  Le 5 mai 2014, M. Dixon a déposé une plainte de représailles en vertu de l’article 14.1 (dans la plainte no 2) contre la Première Nation de Sandy Lake.

[19]  Le 13 juillet 2016, la Commission a renvoyé la partie de la plainte portant sur les représailles au Tribunal pour qu’il mène une instruction sur les faits entourant l’affichage de la lettre de la Commission au magasin Northern. La lettre qui a été affichée sur un babillard communautaire au magasin Northern, ou plutôt l’affiche de la lettre, est la lettre de décision datée du 22 janvier 2014 par laquelle la CCDP a rejeté la plainte no 1 du plaignant.

[20]  L’affiche de la lettre aurait été exposée au magasin Northern le 12 février 2014 ou vers cette date. Elle mesurait environ quatre pieds sur trois pieds. La Commission a rejeté les autres allégations contenues dans la plainte no 2, qui étaient fondées sur l’article 5 de la LCDP.

II.  Le cadre juridique

[21]  Selon l’article 14.1 de la LCDP, le fait, pour la personne visée par une plainte, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée, constitue une pratique discriminatoire.

[22]  C’est au plaignant qu’il incombe d’établir qu’il y a eu représailles en présentant une preuve à sa face même (prima facie). La norme applicable pour établir une preuve prima facie de représailles est, comme pour les autres allégations de discrimination, celle de la prépondérance des probabilités (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, aux par. 55 à 69). Pour établir une preuve prima facie de représailles, les plaignants doivent montrer qu’ils ont déposé une plainte en vertu de la LCDP, qu’ils ont subi, par suite du dépôt de leur plainte, un traitement défavorable de la part de la personne visée par la plainte ou d’une personne agissant en son nom et que la plainte a constitué un facteur à l’origine du traitement défavorable (voir Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33); voir également Tabor c. La Première nation Millbrook, 2015 TCDP 18, au par. 6), confirmé par la Cour fédérale dans le jugement Première Nation Millbrook c. Tabor, 2016 CF 894).

[23]  En ce qui concerne ce dernier volet du critère, le plaignant doit établir l’existence d’un lien entre le dépôt de sa plainte et le traitement défavorable qu’il a subi à la suite de sa plainte. Si ce lien n’est pas démontré de manière complète et suffisante, le plaignant ne se sera pas acquitté de son fardeau de la preuve. En d’autres termes, il ne suffit pas de prouver qu’une plainte a été déposée et de démontrer qu’on a subi un traitement défavorable; la preuve doit démontrer l’existence d’un lien, d’un rapport entre le traitement défavorable et le dépôt de la plainte. Lorsqu’un particulier ou un organisme est désigné comme intimé et est accusé d’avoir exercé des représailles contre un plaignant, la preuve doit démontrer que le traitement défavorable est le résultat des actes de l’intimé ou de ceux d’une personne qui agissait en son nom.

[24]  Cela étant, il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un « lien de causalité », car les actes de l’intimé peuvent s’expliquer par de multiples raisons. Il n’est pas nécessaire qu’un motif de distinction illicite soit l’unique motif de ces actes pour que la plainte soit accueillie. Il suffit qu’un motif de distinction illicite soit l’un des facteurs ayant contribué aux actes reprochés (Holden c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), au par. 7; et Bombardier, précité, aux par. 44 à 52).

[25]  Pour démontrer qu’une plainte antérieure en matière de droits de la personne a joué un rôle dans le traitement défavorable qu’a subi un plaignant, le tribunal peut tenir compte de tout élément de preuve pertinent, notamment le caractère raisonnable de la perception du plaignant, de façon à ne pas tenir l’intimé responsable de l’angoisse ou des réactions exagérées de ce plaignant (voir Wong c. Banque Royale du Canada, 2001 CanLII 8499 (TCDP), et Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et de Stony Point, 2004 TCDP 40 (CanLII)).

[26]  Selon la LCDP, les représailles constituent une pratique discriminatoire (voir les articles 4 et 39 de la LCDP). Le Tribunal n’exige pas du plaignant qu’il prouve que l’intimé avait l’intention d’exercer des représailles. Un plaignant peut démontrer que le fait qu’il a porté plainte a constitué un facteur à l’origine du traitement défavorable qu’il a subi à la suite du dépôt de sa plainte, sur la base de sa perception raisonnable des incidents ou autrement (voir Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada, 2015 TCDP 14, aux par. 3 à 30; voir également Tabor c. La Première nation Millbrook, 2015 TCDP 18, par. 5 à 12, confirmé par la Cour fédérale dans le jugement Première nation Millbrook c. Tabor, 2016 CF 894). Comme la jurisprudence nous l’enseigne, la LCDP vise d’abord et avant tout à éliminer la discrimination plutôt qu’à punir les auteurs d’actes discriminatoires. Il s’ensuit que « les motifs ou les intentions des auteurs d’actes discriminatoires ne constituent pas une des préoccupations majeures du législateur » (Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), 1987 CanLII 73 (CSC), au par. 10 [Robichaud]). Au contraire, la LCDP « vise à remédier à des conditions socialement peu souhaitables, et ce, sans égard aux raisons de leur existence » (Robichaud, au par. 10). De plus, exiger une preuve de l’intention afin d’établir l’existence de discrimination serait comme « élever une barrière pratiquement insurmontable pour le plaignant qui demande réparation », car « [i]l serait extrêmement difficile dans la plupart des cas de prouver le mobile » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, 1985 CanLII 18 (CSC), au par. 14). Comme l’a déclaré le Tribunal à de multiples reprises, « [l]a discrimination n’est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire » (Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP)).

[27]  Un plaignant n’est donc pas tenu de prouver l’intention pour fonder une plainte de représailles en vertu de la LCDP. Il doit présenter des éléments de preuve suffisants pour lui permettre d’affirmer que le dépôt de sa plainte en matière de droits de la personne a constitué un facteur dans le traitement défavorable que l’intimé lui a fait subir à la suite du dépôt de sa plainte, que ce soit sur la base d’une perception raisonnable ou non.

[28]  Pour ce qui est d’un intimé, il peut présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination, ou les deux (Bombardier, précité, au par. 64). Lorsqu’un intimé réfute l’allégation, il doit fournir une explication raisonnable, qui ne peut constituer un prétexte pour dissimuler l’acte discriminatoire. (Voir Moffat c. Davey Cartage Co. (1973) Ltd., 2015 TCDP 5, au par. 38).

[29]  L’intimé peut également invoquer un moyen de défense comme celui que l’on trouve à l’article 65 de la LCDP. C’est ce qui s’est produit en l’espèce. L’article 65 de la LCDP stipule :

  65 (1) Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l’application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie.

  (2) La personne, l’organisme ou l’association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s’il établit que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets.

[30]  En outre, il ne faut pas oublier que la discrimination n’est habituellement pas manifestée ouvertement et que, cela étant, il est souvent difficile de la prouver par une preuve directe. La tâche du Tribunal consiste donc à tenir compte de toutes les circonstances et de tous les éléments de preuve afin de déterminer s’il est possible de détecter « de subtiles odeurs de discrimination » (voir Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP)). Comme la norme de preuve qui s’applique aux affaires de discrimination est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités, [TRADUCTION] « [o]n peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse » (Béatrice Vizkelety, Proving Discrimination in Canada (Toronto, Carswell, 1987), à la p. 142).

III.  Analyse

A.  M. Dixon a t il déposé une plainte en vertu de la LCDP?

[31]  Les parties s’entendent pour dire qu’une plainte a été déposée par M. Dixon contre la Première Nation de Sandy Lake. La preuve appuie par ailleurs cette affirmation, et la lettre par laquelle la Commission a rejeté la plainte no 1 est invoquée par le plaignant et fait également partie du dossier de la preuve devant le Tribunal sous la cote R 1. La lettre par laquelle la Commission rejette une plainte suggère nécessairement qu’une plainte a été déposée. Le premier volet du critère est donc satisfait.

B.  M. Dixon a t il subi un traitement défavorable à la suite du dépôt de sa plainte?

[32]  La preuve démontre que la lettre de décision de la Commission a été agrandie pour devenir une affiche d’environ quatre pieds sur trois pieds qui a été exposée pendant au moins une journée et demie au magasin général Northern, près de l’entrée publique principale, où n’importe quel membre de la collectivité pouvait la voir. À lui seul, ce fait constitue un traitement défavorable et la plainte relative aux droits de la personne est intimement liée à cet événement malheureux.

[33]  Selon la Première Nation de Sandy Lake, M. Dixon n’a subi aucun traitement défavorable, puisque le témoignage qu’il a donné devant le Tribunal n’a aucun lien avec le dépôt de sa plainte no 1. Son témoignage porte plutôt sur les répercussions négatives des allégations formulées dans la plainte no 1, qui ont été rejetées par la Commission. Je suis d’accord avec cette qualification et je ne tiendrai donc pas compte des arguments relatifs à la plainte no 1 dans le cadre de la présente analyse. J’estime toutefois que la preuve démontre que l’affiche de la lettre a été installée dans le magasin Northern les 11 et 12 février 2014. De plus, M. Dixon a expliqué dans son témoignage qu’il était réellement consterné, en colère et déçu d’apprendre l’existence de l’affiche de la lettre. Il a expliqué qu’il s’était interrogé sur la raison pour laquelle on avait ainsi exhibé son dossier dans un lieu public.

[34]  Le chef Bart Meekis et Joseph C. Meekis ont tous les deux expliqué qu’au bureau de la bande, ils avaient entendu parler de l’affiche de la lettre. La preuve démontre également que l’intimée a vérifié si l’affiche de la lettre était toujours placardée au magasin Northern, mais qu’elle n’a pas poursuivi son enquête.

[35]  J’estime que l’affiche de la lettre en question et son contenu peuvent être interprétés comme un traitement défavorable.

[36]  Seul un petit nombre de personnes ont eu accès à la lettre de décision de la CCDP, comme nous l’expliquerons en détail plus loin, cette lettre de décision n’était pas censée être distribuée publiquement, surtout sans le consentement du plaignant. La question demeure : le fait d’agrandir et d’afficher dans un lieu public d’une petite collectivité la lettre de rejet d’une plainte en matière de droits de la personne représente t il une issue raisonnable à laquelle on peut s’attendre dans le cadre du processus ou s’agit il d’un fait inhabituel qui pourrait être perçu négativement? J’estime qu’il ne s’agit pas d’une issue raisonnable et je crois qu’on a affaire, effectivement, à un événement inhabituel et négatif. De plus, toute personne raisonnable qui dépose une plainte et qui se trouverait dans la même situation que M. Dixon pourrait se sentir atteinte dans sa dignité et son estime personnelle. M. Dixon a témoigné sur cet aspect et sur ce qu’il avait ressenti. M. David Kakegamic a également expliqué qu’il avait eu l’impression que quelqu’un devait détester M. Dixon pour agir de la sorte.

[37]  Enfin, après avoir entendu la preuve et évalué cette situation particulière, j’estime qu’il est important de signaler qu’il faut décourager ce type de comportement. Je conclus que M. Dixon a subi un traitement défavorable à la suite du dépôt de la plainte no 1.

[38]  La difficulté réside dans l’établissement de la preuve du lien entre le dépôt de la plainte, le traitement défavorable et l’intimée, la Première Nation de Sandy Lake. La plainte de représailles vise la Première Nation de Sandy Lake. Par conséquent, même si une plainte a été déposée, qu’il y a eu des répercussions négatives et que la plainte a joué un rôle dans ces répercussions négatives, la question fondamentale à laquelle il faut répondre est celle de savoir si l’intimée, la Première Nation de Sandy Lake, ou quelqu’un agissant en son nom, a exercé des représailles contre M. Dixon parce qu’il a porté plainte, en demandant qu’une affiche soit confectionnée à partir de la lettre pour ensuite être placardée au magasin Northern. Je vais examiner cette question dans la section suivante.

C.  La plainte en matière de droits de la personne a t elle joué un rôle dans le traitement défavorable? Ce traitement défavorable a t il été causé par l’intimée, la Première Nation de Sandy Lake, ou par une personne agissant en son nom au sens de l’article 14.1 de la LCDP?

[39]  Je conclus que la plainte relative aux droits de la personne a joué un rôle dans le traitement défavorable que M. Dixon a subi. Ceci étant démontré par la preuve du fait que, l’affiche placardée sur le babillard du magasin Northern, était la lettre de décision de la Commission refusant d’examiner la première plainte en matière de droits de la personne de M. Dixon, pour le motif visé à l’alinéa 41(1)d) de la LCDP. Ces faits sont intimement liés.

[40]  Je passe maintenant à la seconde question à laquelle il faut répondre dans la présente section. Ce traitement défavorable a t il été causé par la bande et le conseil de la Première Nation de Sandy Lake ou par toute personne agissant en leur nom au sens de l’article 14.1 de la LCDP?

(i)  La thèse et la preuve du plaignant

[41]  En somme, M. Dixon soutient que l’intimée, ou quelqu’un en son nom, a dû être impliquée dans le traitement défavorable qu’il a subi. M. Dixon a expliqué : [TRADUCTION] « Et je me suis dit : Qui ferait une chose pareille? J’ai alors pensé que cela devait venir du chef et du conseil. »

[42]  À l’appui de cet argument, M. Dixon affirme que la lettre de rejet de la CCDP a été envoyée au chef et au conseil et qu’il ne l’a jamais reçue. M. Dixon a témoigné qu’il n’en a jamais rien su parce qu’il attendait une lettre de son cabinet d’avocats ou de la Commission et qu’il n’a rien reçu. La lettre de la CCDP n’aurait pas été envoyée à quelqu’un de la collectivité. Il fallait qu’elle ait été envoyée au chef et au conseil parce que toute la correspondance relative aux questions concernant la collectivité doit passer par le chef et le conseil. De plus, seul un nombre limité de personnes pourraient avoir accès à la lettre de la CCDP et ces personnes seraient des employés de la bande.

[43]  Sur ce point, M. Kakegamic a témoigné que la lettre était adressée au chef et au conseil et que seuls le chef et le conseil y avaient accès.

[44]  Comme preuve à l’appui de son argument selon lequel l’intimée était responsable de l’agrandissement et du placardage de l’affiche de la lettre, M. Dixon laisse entendre qu’une photocopie de la lettre avait été faite en vue de l’assemblée du conseil et que le chef et le conseil avaient en leur possession deux copies de la lettre. M. Dixon affirme qu’il n’y a qu’un seul photocopieur dans la collectivité qui peut faire de grandes copies et que ce photocopieur se trouve au Bureau des terres et des ressources.

[45]  De plus, M. Dixon soutient que les seules personnes capables de faire fonctionner une machine aussi complexe sont des employés de la bande, par exemple M. Moonias Fiddler. C’est M. Fiddler ou un autre employé de la bande qui doit avoir fait la copie à la demande du chef et du conseil. M. Dixon a expliqué ce qui suit : [TRADUCTION] « Je pense que cette lettre a été agrandie par un employé de la bande parce que je ne connais personne d’autre qui sait comment faire fonctionner cette machine. » M. Dixon soutient que, parce que l’affiche de la lettre a été installée pendant la journée au magasin Northern, la copie a été faite pendant les heures de travail et que, par conséquent, elle a été placardée par un employé de la bande.

[46]  M. Kakegamic a expliqué qu’il avait été surpris de voir l’affiche de la lettre, parce qu’il n’avait jamais vu de lettres juridiques placardées sur un babillard, étant donné que personne n’afficherait de tels documents sans une directive venant du chef, du chef adjoint ou d’un quorum des conseillers.

[47]  M. Dixon invoque également le principe de la responsabilité du fait d’autrui en common law (Bazley c. Curry, [1999] 2 R.C.S. 534). La responsabilité du fait d’autrui de l’employeur est engagée en raison à la fois : 1) des actes d’un employé autorisé par cet employeur; et 2) des actes non autorisés qui sont liés au travail. Si ce critère est respecté, il permet à un décideur qui applique les principes de la common law dans le contexte d’une poursuite civile de déclarer un employeur responsable dans une situation où un employé a commis un délit civil dans le cadre de son travail. Pour les motifs énoncés plus loin dans la présente décision, ce principe de common law ne s’applique pas en l’espèce.

[48]  M. Dixon soutient également que le chef actuel, Bart Meekis, qui était également chef de la Première Nation de Sandy Lake au moment où la plainte a été déposée, s’est contredit sur le nombre de copies fournies et sur l’identité de la personne qui a fait l’exposé lors de l’assemblée du conseil. Il n’a pas non plus produit de document à l’appui de ses affirmations.

[49]  Bien que la version des faits de M. Dixon soit plausible, M. Dixon doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités pour démontrer le bien-fondé de ses arguments.

[50]  Je trouve plutôt étrange qu’une lettre confidentielle de ce genre, qui n’a été envoyée qu’aux parties à la plainte no 1 soumise à la CCDP, à savoir l’avocat de la bande, le chef, M. Joseph C. Meekis, le directeur exécutif ou gestionnaire de la bande et M. Dixon, se retrouve sur un babillard public au magasin Northern. De plus, M. Dixon prétend n’avoir jamais reçu copie de cette lettre. En outre, M. Dixon et M. Kakegamic ont tous les deux affirmé avoir vu le nom indiqué sur l’affiche de la lettre et ont précisé qu’elle était adressée au chef et au conseil. Cela commence à ressembler à une « subtile odeur de discrimination ».

[51]  M. Dixon allègue également qu’il a fait l’objet de mesures de représailles lors d’une réunion du chef et du conseil au cours de laquelle il aurait été traité de trafiquant de drogues, alors qu’il ne l’est certainement pas.

[52]  M. Dixon affirme également avoir fait l’objet de représailles de la part du chef et du conseil pour avoir pris la parole au sujet de certains problèmes dans la collectivité. Tous les exemples passés qu’il a cités concernaient la plainte no 1, qui a été rejetée, sauf une nouvelle allégation, dans laquelle il affirme n’avoir jamais reçu de réponse du chef et du conseil après avoir demandé une lettre de recommandation de leur part pour pouvoir poursuivre ses études. M. Dixon affirme avoir télécopié une demande à M. Kakegamic accompagnée d’une lettre et n’avoir jamais reçu de réponse du chef et du conseil. Il a déposé en preuve sous la cote C 5 et C 6 un document télécopié et une lettre. Le chef Bart Meekis a admis avoir vu ce document, étant donné que M. David Kakegamic l’avait présenté au conseil, mais il ne se rappelle cependant pas si lui-même ou le conseil a répondu à M. Dixon.

[53]  De plus, M. Dixon a allégué que le chef avait utilisé la station de radio locale pour dissuader les gens de présenter des plaintes en matière de droits de la personne. Selon M. Dixon, il s’agissait là d’une mesure de représailles à son égard.

(ii)  La thèse et la preuve de l’intimée

[54]  En résumé, la Première Nation de Sandy Lake soutient qu’elle n’est pas responsable de l’affiche de la lettre à l’origine de la plainte de représailles.

[55]  Le chef Bart Meekis et M. Joseph C. Meekis ont tous les deux déclaré dans leur témoignage qu’ils avaient accès à la décision et que le seul membre du personnel qui pourrait avoir vu la décision, à part M. Allan Rae, était l’adjoint de direction qui a reçu la copie qui avait été envoyée au chef Meekis par la poste.

[56]  Les témoins de l’intimée, le chef Bart Meekis et Joseph C. Meekis, ont tous les deux affirmé qu’ils n’avaient pas laissé traîner la lettre de la CCDP.

[57]  M. Joseph C. Meekis a témoigné qu’il avait fait une copie de la lettre de la décision de la CCDP et qu’il l’avait remise à M. Allan Rae pour qu’il la présente au chef et au conseil. M. Meekis a expliqué que, même s’il n’avait pas participé à l’assemblée du conseil, il avait récupéré la lettre de décision de la CCDP de M. Rae après l’assemblée du conseil et l’avait placée dans son classeur, dans son bureau. Bien que son classeur soit déverrouillé, le bureau est verrouillé après les heures d’ouverture et personne n’y a accès, sauf les femmes de ménage et un gardien de nuit.

[58]  L’intimée a expliqué que l’accès à la photocopieuse du Bureau des terres et des ressources n’est pas limité aux employés. Ainsi, n’importe qui aurait pu faire une copie. La preuve démontre que certains étudiants étaient capables de faire fonctionner la machine et donc que cela n’est pas aussi compliqué que M. Dixon le prétend. De plus, lors du contre interrogatoire de M. David Kakegamic, ce dernier a mentionné qu’il pouvait se rendre au Bureau des terres et des ressources sans rendez-vous et que [TRADUCTION] « n’importe qui peut se présenter et visiter les lieux ». M. Kakegamic a témoigné que l’imprimante se trouvait dans un endroit qui est accessible au public, et non dans un endroit verrouillé où l’accès est limité à certaines personnes. J’accepte l’argument de la Première Nation de Sandy Lake selon lequel il s’ensuit que la machine ne se trouve pas dans un endroit auquel seuls les employés de la bande ont accès.

[59]  J’accepte également que la photocopie ait pu être commandée en ligne ou être faite ailleurs. En tout état de cause, la preuve n’est pas suffisante pour établir que la copie a été faite au moyen de la photocopieuse du Bureau des terres et des ressources par un employé agissant au nom du chef et du conseil.

[60]  Tous les témoins de l’intimée ont nié être personnellement impliqués ou avoir donné l’ordre à un employé de copier, d’agrandir et de placarder l’affiche de la lettre. Le fait que le chef Bart Meekis ne se rappelle pas combien de copies de la lettre ont été faites en 2014 ni qui a fait un exposé lors de l’assemblée du conseil de bande ne suffit pas pour écarter son témoignage au complet. La preuve n’établit pas avec certitude combien il existait de copies de la lettre de la décision de la Commission. Il y avait au moins une copie papier de la décision de la Commission, envoyée par courriel par l’avocate de la Première Nation de Sandy Lake au chef et au conseil puis imprimée, et une copie envoyée par courrier recommandé. Enfin, l’absence de documentation à l’appui de la thèse de la Première Nation de Sandy Lake ne porte pas un coup fatal à leur défense. Je ne peux accepter l’argument de M. Dixon sur ce point.

(iii)  Analyse

[61]  Il m’est impossible, d’après la preuve documentaire, de déterminer si la lettre reproduite sur l’affiche était adressée au chef et au conseil ou à M. Dixon. La saisie-écran de l’affiche de la lettre publiée sur Facebook, qui a été déposée en preuve sous la cote C 2 par M. Dixon, est illisible, et les plus grandes photos de la lettre de décision qui ont été déposées en preuve sous la cote C 1 par M. Dixon ne montrent pas la première page de la lettre, qui indiquerait à qui elle était adressée. Je trouve étrange que M. Dixon n’ait reçu que deux photos, et non trois.

[62]  M. Dixon prétend que seuls les employés de la bande auraient eu accès à l’endroit où se trouvait la photocopieuse. Compte tenu du témoignage de M. Kakegamic, j’estime que la photocopieuse était accessible aux membres de la collectivité.

[63]  Toutefois, même si je devais accepter les arguments de M. Dixon selon lesquels M. Fiddler savait comment faire fonctionner la photocopieuse, étant donné qu’il avait reçu une formation à cet égard, ce que le chef Bart Meekis a admis dans son témoignage, la preuve ne démontre pas que c’est M. Fiddler qui a agi au nom du chef et du conseil. En outre, M. Fiddler n’a pas été appelé à témoigner à l’audience. Il n’y a aucune preuve établissant un lien entre la grande photocopie et la photocopieuse proprement dite. M. Dixon a expliqué dans son témoignage qu’il avait pris les photos de la photocopieuse avant la dernière conférence téléphonique du Tribunal, qui a eu lieu le 18 septembre 2017. M. Dixon a déposé les photos en preuve sous la cote C 4. M. Kakegamic a témoigné qu’il avait vu de grandes affiches de cartes au Bureau des terres et des ressources près de la photocopieuse, et il a confirmé que la photocopieuse était la même que celle que l’on voyait sur les photos déposées en preuve sous la cote C 4. La difficulté que pose cette preuve est le fait que la photocopieuse qui se trouvait au Bureau des terres et des ressources au moment où l’affiche a été faite n’est pas la même que celle que l’on voit sur les photos. La photocopieuse que l’on voit sur les photos a été achetée en 2016, environ deux ans après que l’affiche de la lettre a été faite.

[64]  Enfin, aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer qui a fait la photocopie et qui a installé l’affiche.

[65]  Si la lettre a été divulguée par erreur par le chef et le conseil à une personne de la collectivité qui a, par conséquent, joué un rôle dans l’acte discriminatoire qui a été commis, cela n’est pas étayé par la preuve. Cette conclusion devient claire lorsque j’apprécie la preuve et que j’évalue le témoignage de M. Dixon en même temps que les preuves fournies en réponse par la Première Nation de Sandy Lake. La principale difficulté réside dans le fait que nous ne disposons d’aucune preuve quant à l’identité de la personne qui a confectionné l’affiche de la lettre et l’a installée au magasin Northern. Nous n’avons que des hypothèses. De plus, M. Dixon et M. Kakegamic ont tous les deux expliqué dans leur témoignage qu’ils avaient présumé que c’était ce qui s’était passé. Si cela peut suffire pour une enquête ou une médiation, cela ne suffit pas pour pouvoir conclure à des représailles au sens de l’article 14.1 de la LCDP devant le Tribunal.

[66]  De plus, aucune explication n’a été donnée par M. Dixon quant à la raison pour laquelle il n’avait pas demandé à M. Kakegamic ou à Sonny Mamakeesic d’enlever l’affiche de la lettre et de l’apporter à M. Dixon après avoir pris les photos. La preuve démontre que l’endroit où l’affiche de la lettre avait été placardée était accessible au public, près de l’entrée principale du magasin.

[67]  Enfin, la preuve ne démontre pas, selon la prépondérance des probabilités, que le traitement défavorable en question s’est produit sous la direction de la Première Nation de Sandy Lake et du conseil ou de toute personne agissant en leur nom. Pour obtenir gain de cause devant le Tribunal, il faut plus que des soupçons ou des présomptions. Il faut des preuves. Je reconnais la difficulté de cette tâche, d’autant plus que la discrimination est rarement démontrée ouvertement mais cela ne saurait l’emporter sur l’obligation d’étayer les allégations de discrimination par des preuves et non par de simples hypothèses. Bien que je sois convaincue que certaines personnes souhaitent nuire à M. Dixon et que l’affichage de la lettre de la Commission dans un lieu public comme ce fut le cas en l’espèce est tout à fait consternant, la preuve n’est pas suffisante pour me convaincre que toute cette opération a été orchestrée par l’intimée, la Première Nation de Sandy Lake.

[68]  Bien que j’aie beaucoup de compassion pour M. Dixon et que je crois qu’il est sincèrement convaincu que la Première Nation de Sandy Lake a exercé des représailles contre lui, j’estime que la preuve n’est pas suffisante ou complète pour me permettre de conclure que sa plainte est fondée. De plus, j’estime que la preuve est insuffisante pour me permettre de conclure que l’affichage de la lettre agrandie de la Commission était le fait de la Première Nation de Sandy Lake ou d’une personne agissant en son nom.

[69]  Vu ma conclusion selon laquelle il n’a pas été démontré selon la prépondérance des probabilités que l’affichage de la lettre soit le fait du chef et du conseil ou d’une personne agissant en leur nom, ce critère du test des représailles n’a pas été rempli, et il n’est pas nécessaire que je passe à l’analyse prévue à l’article 65 de la LCDP.

(iv)  Les autres allégations de représailles

[70]  Passons maintenant à l’allégation de représailles selon laquelle, à défaut d’une lettre de recommandation du chef et du conseil, M. Dixon n’a pas pu obtenir le financement nécessaire pour poursuivre ses études, ce qui a entraîné le rejet de sa demande d’admission. Le chef, Bart Meekis, a effectivement confirmé avoir reçu la demande de M. Dixon. Bien que je reconnaisse que M. Dixon n’a pas reçu de financement et qu’il n’a pas pu poursuivre ses études, ce qui est fort regrettable, M. Dixon n’a pas réussi à prouver que ce fait était lié à la plainte en matière de droits de la personne qu’il a déposée.

[71]  Une autre allégation de représailles soulevée par M. Dixon est le fait que lors d’une assemblée du chef et du conseil, il aurait été traité à tort de trafiquant de drogue. M. Dixon n’a pas assisté à l’assemblée en question et n’a pas assigné comme témoin la personne qui lui a signalé ce fait. Il n’a pas non plus voulu divulguer le nom de cette personne par crainte de représailles. Je dispose donc uniquement du témoignage de M. Dixon selon lequel quelqu’un lui a dit qu’on l’avait traité de trafiquant de drogue. Bien que la preuve par ouï-dire soit certainement admissible devant le Tribunal, la valeur probante (le poids) de ce type de preuve demeure soumise à l’appréciation du Tribunal. En tout état de cause, M. Dixon n’a pas réussi à démontrer que cette déclaration avait été faite et qu’elle avait un lien avec sa plainte en matière de droits de la personne.

[72]  La dernière allégation de représailles que je dois examiner est l’allégation de M. Dixon selon laquelle le chef aurait utilisé la station de radio locale pour dissuader les gens de présenter des plaintes en matière de droits de la personne. M. Dixon estime qu’il s’agissait là d’une mesure de représailles à son égard. À part l’affirmation de M. Dixon, rien dans la preuve ne permet d’appuyer cette affirmation.

(v)  La responsabilité du fait d’autrui et la LCDP

[73]  Même si cela n’est pas nécessaire, vu les conclusions que je viens de tirer, je tiens à aborder l’argument de M. Dixon concernant la responsabilité du fait d’autrui. M. Dixon affirme que le Tribunal devrait tenir compte de la responsabilité du fait d’autrui de l’intimée. L’analyse des allégations de représailles repose sur l’article 14.1 de la LCDP. Le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie I, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée, constitue un acte discriminatoire. Les lois sur les droits de la personne ne créent pas de droit d’action fondé sur la common law (voir Seneca College c. Bhadauria, 1981 CanLII 29 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 181, à la p. 195; voir également Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au par. 36). Par exemple, dans la décision Cashin c. Société Radio-Canada, 1990 CanLII 650, le Tribunal explique :

En outre, [la Cour] a également indiqué qu’elle était d’avis qu’il ne faut pas essayer de fonder les recours existant en matière des droits de la personne sur des doctrines juridiques erronées. Par exemple, lorsqu’on lui a demandé dans l’arrêt Robichaud c. Brennan de déterminer si un employeur était responsable (du fait d’autrui ou autrement) du harcèlement sexuel d’une employée par un surveillant, la Cour suprême du Canada a tout d’abord examiné l’objet de la Loi ainsi que les recours qu’elle prévoit, évitant d’avoir à déterminer si la responsabilité de l’employeur pour les actes discriminatoires de ses employés reposait sur la doctrine de la responsabilité du fait d’autrui en matière délictuelle ou sur une autre doctrine.

[…]

Concluant que la Loi envisageait de rendre les employeurs responsables de tous les actes accomplis par leurs employés, le juge Laforest a dit :

« [...] Il s’agit là d’un type de responsabilité qui se passe de tout qualificatif et qui découle purement et simplement de la loi. »

[74]  Étant donné que la responsabilité du fait d’autrui en common law ne s’applique pas, je rejette cet argument. J’ai déjà traité de la plainte relative aux mesures de représailles en appliquant l’article 14.1 de la LCDP.

IV.  Conclusion

[75]  Pour les motifs que j’ai exposés, je rejette la plainte de représailles (plainte no 2 – dossier no 20140458).

Signée par

Sophie Marchildon

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 22 juin 2018

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2161/3516

Intitulé de la cause : Thomas Dixon c. La Première Nation de Sandy Lake

Date de la décision du tribunal : Le 22 juin 2018

Date et lieu de l’audience : Le 3 et le 4 octobre 2017

La Première Nation de Sandy Lake (Ontario)

Comparutions :

Thomas Dixon, pour lui même

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Asha James, pour l'intimée

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