Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP 21

Date : le 12 juillet 2018

Numéros des dossiers : T2240/6217 et T2241/6317

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Lynda Gullason

- et -

Amir Attaran

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Secrétariat des programmes interorganismes à l’intention des établissements

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Colleen Harrington

 



I.  Contexte

[1]  Par lettre datée du 20 octobre 2017, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé au président du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’ordonner l’instruction commune des plaintes déposées par Dre Lynda Gullason et par Dr Amir Attaran contre le Secrétariat des programmes interorganismes à l’intention des établissements (l’intimé), étant donné que, de l’avis de la Commission, les plaintes [traduction] « soulèvent pour l’essentiel les mêmes questions de fait et de droit ». La Commission se fondait sur le paragraphe 40(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) pour demander au Tribunal d’ordonner l’instruction commune des plaintes.

[2]  Comme il le fait habituellement, le Tribunal a offert aux parties la possibilité de participer à son processus de médiation et, bien que l’intimé, la Commission et le plaignant, Dr Attaran, aient accepté de participer à la médiation, la plaignante, Dre Gullason, a refusé d’y participer. La participation au processus de médiation est volontaire.

[3]  La membre Kirsten Mercer a été désignée pour diriger la médiation et j’ai été désignée pour instruire les plaintes.

[4]  Comme Dre Gullason avait refusé la médiation, des échéances ont été fixées dans le cadre du processus de gestion de l’instance pour l’échange de documents et de l’exposé des précisions. Par courriel daté du 6 mars 2018, la Commission m’a demandé, avec le consentement de l’intimé, de suspendre l’examen de la plainte de Dre Gullason en attendant le résultat de la médiation relative à la plainte de Dr Attaran. Dans sa demande, la Commission précisait que le processus de médiation [traduction] « porte sur la question de la discrimination dont serait entaché le Programme des chaires de recherche du Canada » et ajoutait que le fait de permettre à la médiation de se dérouler en premier lieu éviterait la multiplication des instances sur la même question. Dre Gullason n’a pas consenti à ce que sa plainte soit mise en suspens. J’ai donc demandé aux parties de formuler de brèves observations sur la demande de suspension.

[5]  Dre Gullason affirmait qu’on ne lui avait pas demandé et qu’elle n’avait pas accepté que la Commission renvoie sa plainte pour qu’elle fasse l’objet d’une instruction commune par le Tribunal, ajoutant que sa plainte soulève des questions différentes de celles de Dr Attaran et que le Tribunal devait prévoir sans délai une instance distincte pour instruire sa plainte.

[6]  Compte tenu de la demande formulée par Dre Gullason pour que sa plainte soit instruite séparément de celle de Dr Attaran, j’ai demandé aux parties de formuler des observations sur la question de savoir si les plaintes pouvaient et devaient être scindées et leur ai notamment demandé si j’étais appelée à examiner la décision de la Commission concernant la tenue d’une instruction commune.

[7]  La Commission convient maintenant avec Dre Gullason que les plaintes peuvent être instruites séparément. L’intimé demande que les plaintes ne soient pas scindées et que la plainte de Dre Gullason demeure en suspens en attendant l’issue de la médiation de la plainte de Dr Attaran. Toutefois, l’intimé a aussi informé le Tribunal qu’il avait l’intention de procéder d’abord à la médiation de plaintes similaires remontant à 2006, étant donné qu’il fait l’objet de l’exécution d’une ordonnance de la Cour fédérale concernant les plaintes en question. L’intimé a indiqué qu’il ne prévoyait pas s’occuper des plaintes de 2006 en question avant l’automne 2018, ce qui retarderait de plusieurs mois la médiation de la plainte de Dr Attaran.

[8]  Plus récemment, j’ai cru savoir que la membre Mercer avait informé les parties à la médiation de la plainte de Dr Attaran qu’à moins qu’elles lui indiquent qu’elles souhaitaient procéder différemment, elle aviserait le président du Tribunal que toute autre démarche de médiation était prématurée pour le moment, compte tenu de l’échéancier proposé par l’intimé et du désaccord de Dr Attaran quant à cet échéancier. La plainte de Dr Attaran passera donc à l’étape de la gestion de l’instance et de la tenue d’une audience, étape à laquelle est déjà rendue la plainte de Dre Gullason.

II.  Questions en litige

[9]  Les questions à trancher sont les suivantes :

  1.  Le Tribunal a-t-il compétence pour scinder des plaintes dont la Commission a demandé l’instruction commune?

  2.  Dans l’affirmative, devrais-je accepter de scinder les plaintes de Dre Gullason et de Dr Attaran?

[10]  Bien que j’aie également demandé des observations sur la question de savoir si je devrais suspendre l’examen de la plainte de Dre Gullason en attendant le résultat de la médiation de la plainte de Dr Attaran, cette question ne me semble plus pertinente, compte tenu de l’état actuel de la médiation de la plainte de Dr Attaran. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de trancher cette question, compte tenu de ma décision de scinder les plaintes.

III.  Position des parties

Le plaignant, Dr Attaran

[11]  Dr Attaran est d’avis que les deux plaintes ont été scindées de facto lorsqu’il a accepté de participer à la médiation et que Dre Gullason a refusé d’y participer. Il est d’accord pour que sa plainte soit instruite indépendamment de celle de Dre Gullason. Il convient que les deux plaintes sont très différentes et qu’elles devraient demeurer séparées. Toutefois, Dr Attaran affirme également que le Tribunal devrait ordonner que, même si les deux plaintes sont instruites séparément, sa plainte devrait être considérée comme la plainte « principale » et que celle de Dre Gullason devrait être mise en suspens sine die en attendant le règlement définitif des questions concernant la discrimination systémique soulevées dans sa plainte, soit par la médiation, soit à l’issue d’une instruction en bonne et due forme.

[12]  Dr Attaran accepte la demande initiale présentée par la Commission en vue de la mise en suspens de la plainte de Dre Gullason en attendant la conclusion de la médiation. Dr Attaran affirme que, parce qu’il travaille comme professeur de droit et qu’il est un plaideur chevronné, alors que Dre Gullason n’a pas de salaire et ne travaille pas actuellement dans le milieu universitaire, il est [traduction] « […] dans l’intérêt de la justice de mettre la plainte de Dre Gullason en suspens » dans l’espoir qu’il puisse négocier un règlement qui soit également satisfaisant pour Dre Gullason. Dr Attaran affirme qu’il est sensible aux préoccupations liées au genre soulevées dans la plainte de Dre Gullason et qu’il a l’intention de négocier un règlement systémique qui tienne compte de ces préoccupations.

La plaignante, Dre Gullason

[13]  Comme on pouvait s’y attendre, Dre Gullason n’est pas d’accord avec la suggestion de Dr Attaran, lequel souhaite que sa plainte soit considérée comme la plainte « principale » et qu’elle soit examinée en premier, par la médiation ou dans le cadre d’une audience au besoin, alors que la plainte de Dre Gullason serait mise en suspens pour une durée indéterminée.

[14]  À l’instar de Dr Attaran, Dre Gullason est d’avis que sa plainte a été séparée de celle de Dr Attaran lorsqu’elle a refusé de participer à la médiation offerte par le Tribunal. Elle se dit déçue que le Tribunal ait demandé aux parties de formuler des observations sur cette question.

[15]  Dre Gullason souligne qu’elle a le droit à une audience juste dans un délai raisonnable, et ajoute qu’elle estime que le Tribunal ne la traite pas équitablement. De plus, comme Dr Attaran est intéressé à la médiation et qu’elle ne l’est pas, Dre Gullason s’inquiète des délais qui pourraient être occasionnés si les plaintes sont instruites ensemble et que sa plainte est mise en suspens en attendant l’issue de la médiation.

[16]  Elle soutient que les questions en litige dans les deux affaires sont fort différentes et que sa plainte ne recoupe qu’accessoirement celle de Dr Attaran sur la seule question des cibles d’équité en matière d’embauche. Dre Gullason affirme que l’intimé et la Commission tentent de relier seulement l’aspect systémique des deux plaintes, et non les aspects personnels, et qu’il ne serait pas convenable que l’un ou l’autre plaignant participe à l’audience de l’autre.

[17]  Dre Gullason laisse entendre que l’instruction conjointe de leurs plaintes entraînerait un conflit d’intérêts, étant donné qu’elle qualifie de discriminatoire la façon dont Dr Attaran a obtenu sa chaire de recherche. Elle soutient également que sa plainte en est à un stade différent, plus avancé, du processus du Tribunal et que sa plainte fera appel à des témoins et des éléments de preuve documentaire différents. Elle affirme que le fait d’attendre la fin de la médiation et l’instruction des plaintes de manière conjointe porte un préjudice considérable à son droit à une audience équitable et rapide et que cela aura des répercussions personnelles et professionnelles sur elle.

[18]  Après avoir reçu la lettre de l’intimé l’informant de son intention de s’occuper d’abord de la médiation des plaintes de 2006, Dre Gullason a formulé d’autres observations dans lesquelles elle réitère sa position selon laquelle, si sa plainte est mise en suspens en attendant l’issue de la médiation, elle fera l’objet d’un déni de justice naturelle, car le retard qu’accusera l’instruction de sa plainte sera injuste et déraisonnable.

La Commission

[19]  La Commission ne s’oppose pas à la demande présentée par Dre Gullason en vue de séparer sa plainte de celle de Dr Attaran et de la faire instruire séparément dans le cadre d’une audience.

[20]  Le paragraphe 40(4) de la Loi dispose que la Commission « peut […] demander au président du Tribunal d’ordonner, conformément à l’article 49, une instruction commune s’il est d’avis que les plaintes soulèvent pour l’essentiel les mêmes questions de fait et de droit ». La Commission constate que cet article ne permet pas à lui seul de renvoyer une plainte au Tribunal, étant donné que la disposition applicable en matière de renvoi est toujours le paragraphe 49(1), qui n’oblige pas le Tribunal à ordonner une instruction commune. La Commission affirme que le Tribunal a compétence pour scinder les plaintes dont il est saisi en vue d’ordonner une « instruction commune » en vertu du paragraphe 40(4) de la Loi, à condition qu’il le fasse d’une manière équitable sur le plan de la procédure.

[21]  La Commission affirme également que, bien qu’elle ait le pouvoir discrétionnaire de demander au Tribunal d’ordonner l’instruction commune de plusieurs plaintes, [traduction] « cette demande ne porte pas sur l’essentiel de la décision de la Commission de renvoyer une plainte en vertu du paragraphe 49(1), c’est-à-dire sur la question de savoir si la Commission est “convaincue, compte tenu des circonstances relatives à la plainte”, que l’instruction est justifiée ».

[22]  La Commission affirme que Dre Gullason n’aurait pas pu demander le contrôle judiciaire de sa décision, étant donné que celle-ci était en la faveur de Dre Gullason, malgré la recommandation pour que les plaintes fassent l’objet d’une instruction commune. La Commission cite à ce propos un arrêt de la Cour d’appel fédérale dans lequel le juge Décary déclare ce qui suit :

Il est certain qu’une partie qui a gain de cause, mais qui n’endosse pas nécessairement les motifs rendus n’a aucun intérêt à s’attaquer au jugement, que ce soit par appel ou par demande de contrôle judiciaire. On attaque, en principe, un dispositif, par les motifs qui y conduisent […] [1]

[23]  Étant donné que Dre Gullason n’aurait eu aucun intérêt à contester la décision de la Commission de renvoyer sa plainte au Tribunal pour instruction, elle ne pouvait pas en demander le contrôle judiciaire. La première occasion qui lui a été offerte de demander la disjonction des plaintes s’est présentée au cours du processus de gestion de l’instance du Tribunal. La Commission affirme par conséquent que le Tribunal n’exerce pas de pouvoir de contrôle sur elle lorsqu’il rend une décision sur la séparation des plaintes. Une telle décision de la part du Tribunal ne constituerait pas une ingérence dans le dispositif de la décision de la Commission de renvoyer la plainte, mais constituerait plutôt [traduction] « une décision procédurale en première instance sur la question de savoir si les plaintes devraient être scindées, conformément à » certains pouvoirs procéduraux énumérés dans la Loi.

[24]  Enfin, la Commission soutient que, d’un point de vue pratique, il serait difficile d’empêcher le Tribunal de scinder les plaintes qui lui ont été renvoyées conjointement dans certains cas, notamment lorsque la situation des parties a changé ou lorsque les questions importantes soulevées par les parties sont finalement abordées sous un angle différent à l’étape de l’audience.

[25]  La Commission affirme que les facteurs dont le Tribunal a tenu compte dans les arrêts Lattey c. Compagnie de Chemin de fer Canadien Pacifique, 2002 CanLII 45928 (TCDP) (Lattey) et Cruden c. Canada (Agence canadienne de développement international), 2010 TCDP 32 (Cruden), et qui sont invoqués lorsqu’il s’agit d’examiner des demandes de jonction de plaintes, pourraient être appliqués lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a lieu de scinder des plaintes dont la Commission a ordonné l’instruction commune. La Commission signale que les facteurs énumérés dans la décision Lattey tiennent compte de considérations d’efficacité, d’opportunité et d’équité, et qu’un examen global et la pondération de ces facteurs, ainsi que de la situation de Dre Gullason, appuieraient sa demande de disjonction de sa plainte de celle de Dr Attaran.

L’intimé

[26]  L’intimé s’oppose à ce que le Tribunal assimile la demande d’instruction distincte de Dre Gullason à une requête visant à scinder les plaintes, au motif qu’une demande de nature procédurale aussi formelle devrait être présentée sous forme de requête en bonne et due forme et être accompagnée d’affidavits.

[27]  L’intimé est d’avis qu’en tant que tribunal administratif maître de sa propre procédure, le Tribunal a compétence pour scinder les plaintes. Toutefois, l’intimé n’est pas en faveur de la scission des plaintes, soutenant qu’elles [traduction] « soulèvent des questions systémiques semblables, voire identiques » et qu’il est donc [traduction] « peu pratique, voire impossible, qu’une plainte soit instruite sans l’autre ». L’intimé est d’avis que [traduction] « le risque de résultats incohérents ou contradictoires est élevé et va à l’encontre de l’intérêt public à l’égard des résultats ainsi que de l’utilisation appropriée et opportune des ressources publiques ».

[28]  L’intimé affirme que, si certaines des questions systémiques sont tranchées lors de la médiation, il n’y aurait aucun avantage à faire examiner les mêmes questions par le Tribunal à l’audience.

[29]  L’intimé affirme également que [traduction] « pour le moment, rien n’indique que l’instruction séparée des plaintes pourrait entraîner des “inefficacités” », bien qu’il y ait [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve tendant à démontrer que les deux plaintes ont suffisamment de points en commun pour que leur instruction commune soit la façon la plus pratique et rapide de procéder ».

[30]  L’intimé soutient que la plainte de Dre Gullason devrait être mise en suspens jusqu’à ce que la médiation de la plainte de Dr Attaran prenne fin. L’intimé affirme qu’il travaille activement à régler les problèmes systémiques soulevés par les deux plaintes et qu’il traite actuellement trois instances distinctes concernant les mêmes questions systémiques, même s’il a décidé d’accorder la priorité à la médiation des plaintes de 2006.

[31]  Le Tribunal a compétence sur une plainte en matière de droits de la personne à la suite de la demande que lui adresse la Commission d’ordonner l’instruction de la plainte conformément au paragraphe 49(1) de la Loi. La Loi confère expressément à la Commission le pouvoir de demander au président du Tribunal d’ordonner l’instruction commune des plaintes déposées par divers plaignants contre un seul intimé dans certains cas précis. Le paragraphe 40(4) prévoit ce qui suit :

En cas de dépôt, conjoint ou distinct, par plusieurs individus ou groupes de plaintes dénonçant la perpétration par une personne donnée d’actes discriminatoires ou d’une série d’actes discriminatoires de même nature, la Commission peut, pour l’application de la présente partie, joindre celles qui, à son avis, soulèvent pour l’essentiel les mêmes questions de fait et de droit et demander au président du Tribunal d’ordonner, conformément à l’article 49, une instruction commune. [Le Tribunal souligne]

[32]  Dre Gullason et Dr Attaran soutiennent que, parce que le libellé du paragraphe 40(4) donne un choix au Tribunal, celui-ci n’est pas obligé de faire droit à la demande de la Commission d’ordonner une instruction commune.

[33]  Bien que suivant le libellé clair du paragraphe 40(4), il semble que le président jouisse d’une certaine latitude quant à savoir s’il ordonne ou non une instruction commune, l’article 49 de la Loi, qui est expressément mentionné au paragraphe 40(4), indique le contraire. L’article 49 dispose :

  • (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l’instruction est justifiée.

 

(2) Sur réception de la demande, le président désigne un membre pour instruire la plainte. […] [Le Tribunal souligne]

[34]  L’article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, prévoit ce qui suit : « L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe “pouvoir” et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions ». Comme je ne discerne aucune intention contraire dans la Loi, dès lors que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire en demandant au Tribunal d’ordonner l’instruction commune de plusieurs plaintes, il semble que le président doive obtempérer.

[35]  La thèse de la Commission est que le paragraphe 40(4) ne permet pas à lui seul le renvoi d’une plainte au Tribunal, étant donné que la disposition applicable en matière de renvoi est le paragraphe 49(1), lequel n’oblige pas le Tribunal à ordonner une instruction commune. Cela soulève la question de savoir pourquoi la Loi confère à la Commission — qui agit comme protecteur du système de plaintes en matière de droits de la personne [2] — le pouvoir discrétionnaire de décider de demander une instruction commune alors qu’il est loisible au Tribunal d’ignorer cette demande. Dans son ouvrage Statutory Interpretation [3] , Ruth Sullivan note qu’il s’agit d’une hypothèse sous-jacente d’interprétation des lois que [traduction] « le législateur emploie avec soin les mots qu’il choisit et il dit précisément ce qu’il veut dire. Les mots qu’il emploie doivent donc être pris dans leur sens littéral ».

[36]  Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (Mowat), une affaire portant sur l’interprétation de la Loi, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit en ce qui concerne l’interprétation des lois :

[33] […] Il nous faut interpréter le texte législatif et discerner l’intention du législateur à partir des termes employés, compte tenu du contexte global et du sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, son objet et l’intention du législateur (E. A. M.iedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Dans le cas d’une loi relative aux droits de la personne, il faut se rappeler qu’elle exprime des valeurs essentielles et vise la réalisation d’objectifs fondamentaux. Il convient donc de l’interpréter libéralement et téléologiquement de manière à reconnaître sans réserve les droits qui y sont énoncés et à leur donner pleinement effet (voir, p. ex., R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 497‑500). On doit tout de même retenir une interprétation de la loi qui respecte le libellé choisi par le législateur.

[37]  Le Tribunal n’a pas encore statué sur une requête visant à faire scinder des plaintes renvoyées en vue de la tenue d’une instruction commune en vertu du paragraphe 40(4). Dans de nombreuses affaires, le Tribunal a été appelé à décider s’il devait joindre ou regrouper des plaintes qui lui avaient été renvoyées séparément par la Commission, par exemple dans les affaires Lattey et Cruden. Dans ces affaires, le Tribunal a indiqué que, bien que la Loi confère à la Commission le pouvoir de traiter des plaintes de manière conjointe et le pouvoir de demander au Tribunal d’en faire autant, il n’a pas dit si le Tribunal pouvait joindre ou scinder les plaintes que la Commission lui renvoie en vue d’une instruction. Dans les décisions Lattey et Cruden, le Tribunal a décidé qu’à défaut d’une directive législative claire, il avait compétence, en tant que maître de sa propre procédure, pour se prononcer sur la question procédurale de savoir s’il y a lieu de joindre les plaintes qui lui sont renvoyées séparément par la Commission.

[38]  À mon avis, lorsque lu conjointement avec les paragraphes 49(1) et 49(2), le paragraphe 40(4) de la Loi donne effectivement des directives législatives claires au président du Tribunal. Lorsque la Commission demande au président du Tribunal d’ordonner une instruction commune en vertu du paragraphe 40(4) de la Loi, le Tribunal doit se conformer à cette demande.

[39]  Toutefois, la Loi ne prévoit pas clairement que l’instruction commune doit le demeurer indépendamment de ce qui arrive au cours de l’instance. Comme l’a déclaré la Commission, une telle rigidité pourrait concrètement créer des problèmes et causer une injustice pour une ou plusieurs des parties.

[40]  Le Tribunal reçoit très peu de renseignements de la Commission lorsqu’il est saisi d’une demande d’instruction d’une plainte. Ce n’est que dans le cadre de la gestion de l’instance que le Tribunal en apprend davantage sur la nature des plaintes qui lui sont renvoyées pour instruction. Dans le cas qui nous occupe, la Commission a renvoyé les plaintes conjointement et toutes les parties ont agi comme si les plaintes devaient être instruites ensemble par le Tribunal. Bien que Dr Attaran et Dre Gullason affirment que leurs plaintes ont été scindées de facto lorsque le Dr Attaran a accepté la médiation et que Dre Gullason l’a refusée, je ne suis pas de cet avis. Ce n’est que lorsque la Commission a demandé que la plainte de Dre Gullason soit mise en suspens que cette dernière a déclaré qu’elle voulait que sa plainte soit examinée séparément, ce qui a donné lieu à la demande de séparation.

[41]  La Commission affirme que le Tribunal a compétence pour scinder des plaintes, pourvu qu’il le fasse d’une manière équitable sur le plan de la procédure. Je suis du même avis. S’il devient évident, après qu’une instruction commune eut été ordonnée, qu’il ne serait ni opportun ni équitable sur le plan de la procédure de poursuivre l’instruction commune, le Tribunal devrait avoir le pouvoir discrétionnaire d’examiner une demande de séparation des plaintes.

[42]  La Loi confère à la Commission le pouvoir d’enquêter sur une plainte et, par conséquent, de l’examiner de manière exhaustive avant de décider de la renvoyer ou non au Tribunal. Dre Gullason affirme que la Commission ne l’a pas fait en l’espèce, et qu’elle a renvoyé sa plainte directement au Tribunal sans enquête. Cette façon de procéder semble être autorisée par le paragraphe 49(1) de la Loi. Dre Gullason affirme également que la Commission ne lui a pas demandé si elle voulait que sa plainte soit renvoyée conjointement avec celle de Dr Attaran et elle ajoute qu’elle aurait répondu par la négative si on lui avait posé la question.

[43]  Le Tribunal n’est généralement pas au courant des travaux de la Commission ou des motifs de ses décisions et il n’a pas de pouvoir de contrôle sur les décisions de la Commission. Seule la Cour fédérale peut contrôler les décisions de la Commission [4] . Je ne suis donc pas appelée à décider si Dre Gullason pouvait ou devait demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, étant donné que ce n’est pas le renvoi au Tribunal lui-même qui est à l’origine de la requête en séparation des plaintes présentée par Dre Gullason, mais plutôt les événements qui ont suivi le renvoi conjoint des plaintes au Tribunal et son acceptation par le Tribunal. Je conviens qu’en examinant la demande présentée par Dre Gullason en vue de la tenue d’une audience distincte de celle de Dr Attaran, je n’examine pas le dispositif de la décision de la Commission de renvoyer la plainte de Dre Gullason. Je rends plutôt une décision procédurale dans le cadre du processus de gestion de l’instance au cours duquel Dre Gullason a demandé que sa plainte soit séparée de celle de Dr Attaran en raison de l’injustice qu’elle subirait si les plaintes étaient instruites ensemble.

[44]  En ce qui concerne l’argument de l’intimé suivant lequel la demande présentée par Dre Gullason pour que sa plainte soit instruite séparément ne constitue pas une requête en bonne et due forme appuyée par un affidavit, je signale que ni la Loi, ni les Règles de procédure (03-05-04) (les Règles) du Tribunal, ni les tribunaux n’exigent que des requêtes soient appuyées par des affidavits. D’ailleurs, le juge Blanchard a déclaré ce qui suit dans le jugement Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313 (CanLII) :

[45]        Enfin, je rejette aussi les prétentions du demandeur quant à l’absence de preuve pour permettre l’amendement, je suis en accord avec les propos du Tribunal à ce sujet :

Les Règles de procédure du Tribunal ne sont pas aussi formelles que celles d’une cour. Il n’est pas nécessaire qu’un affidavit soit produit au soutien des requêtes (voir l’article 3 des Règles). En fait, les requêtes n’ont à respecter aucune forme particulière […]. Le principal objectif consiste à s’assurer que toutes les parties ont la possibilité pleine et entière d’être entendues par le Tribunal.

[45]  Les tribunaux administratifs sont par nature moins formels que les tribunaux judiciaires et ils ont le pouvoir de contrôler leur propre procédure. Le paragraphe 50(3) de la Loi permet au Tribunal de recevoir tous les éléments de preuve qu’il estime indiqués « par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué ». Je n’ai pas demandé d’information aux parties sous forme de déclaration écrite sous serment, car je ne pensais pas que cette mesure était nécessaire eu égard aux circonstances de l’affaire. En fin de compte, à défaut de directives précises du Tribunal à cet égard, selon le paragraphe 3(2) des Règles du Tribunal, il incombait à chacune des parties de s’assurer de me communiquer tous les renseignements pertinents, selon le support qu’elle choisissait, pour me permettre de comprendre sa thèse et pour m’aider à rendre ma décision.

[46]  Le Tribunal jouit d’une grande autonomie procédurale en vertu de la Loi, ce qui lui permet de veiller au bon déroulement de l’instance pour s’assurer que ses audiences sont informelles et expéditives, tout en garantissant à toutes les parties l’équité procédurale [5] . J’estime que je suis compétente pour statuer sur la requête en séparation des plaintes et que je ne suis pas en train de réexaminer la décision de la Commission de renvoyer conjointement les plaintes, mais que j’agis plutôt en tant que maître de ma propre procédure en permettant que ces plaintes soient instruites de façon équitable et expéditive.

B.  Question 2 : Dans l’affirmative, devrais-je accepter de séparer les plaintes de Dre Gullason et de Dr Attaran, de manière à ce qu’elles fassent chacune l’objet d’une instruction distincte?

[47]  Dre Gullason affirme qu’il y a de nombreuses raisons qui justifient d’instruire sa plainte séparément de celle de Dr Attaran :

·  Elle affirme que sa plainte concerne sept questions liées au manque d’accès au Programme des chaires de recherche du Canada (CRC) pour des candidats potentiels qualifiés et qu’elle et Dr Attaran n’ont pas la même conception de l’équité entre les sexes. Selon elle, Dr Attaran soutient que les membres de chacun des quatre groupes désignés devraient se voir attribuer les chaires de recherche en fonction de leur pourcentage de la population en général, tandis qu’elle soutient que la cible pour chacun des groupes désignés devrait être fondée sur les taux d’obtention d’un doctorat. Dre Gullason affirme que la plainte de Dr Attaran ne reconnaît pas, contrairement à la sienne, le fait que les cibles en matière d’équité qui doivent être atteintes pour les groupes désignés ne sont pas assez élevées pour les femmes et que la méthode d’établissement des cibles dans le cas des femmes est discriminatoire.

·  La plainte de Dre Gullason porte sur des postes de niveau 2 et sur l’interaction entre les interruptions de carrière et les qualifications pour le financement de la recherche.

·  Sa plainte repose sur divers motifs de discrimination, y compris le sexe et la situation de famille.

·  Dre Gullason soutient que sa plainte implique des témoins et des éléments de preuve différents de ceux de Dr Attaran.

·  Dre Gullason affirme que l’instruction de sa plainte en même temps que celle de Dr Attaran entraînerait un conflit d’intérêts, parce qu’une partie de sa plainte concerne l’attribution de chaires de recherche à des candidats de l’extérieur en l’absence de concours ouverts et annoncés, dans le contexte d’un processus connu sous le nom de « candidat unique » ou de « recherche de candidats vedettes ». Elle suggère que, parce que le Dr Attaran a obtenu sa chaire de recherche de cette manière, il ne convient pas qu’il participe à la plainte qu’elle a portée sur le même acte discriminatoire allégué, mais qui a profité à Dr Attaran. 

·  Dre Gullason note qu’elle a déposé sa plainte auprès de la Commission avant que Dr Attaran ne dépose la sienne, qu’elle n’est pas salariée et qu’elle n’a pas de poste permanent, contrairement à Dr Attaran, ce qui permet à ce dernier de consacrer du temps à sa plainte sans risquer son poste.

·  Dr Attaran a accepté la médiation et elle l’a refusée. C’est son droit. Attendre l’issue de la médiation de Dr Attaran serait injuste pour elle, car elle n’a pas de salaire et pourrait encore subir les effets discriminatoires qu’elle allègue dans sa plainte.

·  Elle affirme que l’instruction commune des plaintes pourrait ralentir le traitement de sa plainte et retarder davantage l’obtention d’une décision, ce qui pourrait avoir des répercussions professionnelles pour elle et nuire à sa capacité de faire progresser sa carrière.

·  Son dossier est bien avancé en ce qui concerne le processus préparatoire à l’audience, et elle a déjà produit son exposé des précisions.

·  Enfin, Dre Gullason s’oppose à ce que Dr Attaran formule des observations sur sa plainte. Elle estime que les observations de Dr Attaran indiquent qu’il croit [traduction] « qu’à titre de professeur de droit et de plaideur, il a plus de valeur intrinsèque comme plaignant » qu’elle, et qu’il adopte une [traduction] « attitude méprisante et injuste » à son égard et à l’égard de sa plainte. Ses observations se terminent par une liste de demandes, dont l’une est que j’ordonne à Dr Attaran de ne plus communiquer avec elle pour quelque raison que ce soit.

[48]  Dr Attaran convient que sa plainte est très différente de celle de Dre Gullason et il est d’accord pour que leurs plaintes soient instruites séparément. Il soutient également que sa plainte devrait être la plainte « principale » et qu’elle devrait être examinée avant celle de Dre Gullason.

[49]  L’intimé soutient que les plaintes devraient être instruites ensemble par souci d’efficacité, étant donné qu’il y aura probablement des témoins et des éléments de preuve communs, surtout en ce qui a trait à l’aspect des plaintes traitant de la discrimination systémique. Il admet toutefois que, pour le moment, [traduction] « rien n’indique que l’instruction séparée des plaintes pourrait entraîner une inefficacité ».

[50]  La Commission soutient que je devrais tenir compte des facteurs énoncés dans les décisions Lattey et Cruden pour me prononcer sur l’opportunité de scinder les plaintes. Je conviens qu’il y a lieu de tenir compte de ces facteurs, car ils constituent une façon utile de déterminer s’il est dans l’intérêt public de tenir une instruction commune ou des instructions distinctes.

[51]  Dans la décision Lattey, l’ancienne présidente Mactavish énumère les facteurs suivants dont il y a lieu de tenir compte pour décider de l’opportunité d’ordonner l’instruction commune de deux plaintes. Je les ai adaptés en fonction des circonstances de l’espèce.

  1.  L’intérêt public qu’il y a à éviter la multiplicité des procédures, y compris la réduction des coûts, des délais, des inconvénients pour les témoins, du besoin de répéter la preuve et du risque de parvenir à des résultats contradictoires;

  2.  Le préjudice que pourrait causer aux plaignants une instruction commune, notamment en raison du prolongement de la durée de l’audience pour chaque plaignant, étant donné la nécessité d’examiner des questions propres à l’autre plaignant, ainsi que du risque de confusion que pourrait engendrer la présentation d’éléments de preuve n’ayant peut-être pas rapport aux allégations mettant en cause l’un ou l’autre plaignant;

  3.  L’existence de questions de fait ou de droit commun.

[52]  Dans la décision Cruden, le Tribunal fait observer que ces facteurs ne sont pas exhaustifs et il souligne l’importance d’une approche au cas par cas.

[53]  La Commission affirme que, si l’on applique rigoureusement le premier et le troisième facteur, il ne serait peut-être pas dans l’intérêt public d’instruire séparément les plaintes. La Commission affirme que la question essentielle soulevée dans les deux plaintes est celle de savoir si le programme des CRC est discriminatoire et s’il est raisonnable de conclure qu’il serait nécessaire de produire une grande partie de la preuve portant sur les détails du programme dans les deux audiences. De plus, certains des mêmes témoins devraient témoigner, puisque les faits concernant le règlement des plaintes déposées à l’encontre du même intimé en 2006 se recouperaient.

[54]  Toutefois, la Commission affirme qu’un examen global et une pondération des facteurs énumérés dans la décision Lattey ainsi que d’autres considérations militent en faveur de la décision du Tribunal d’accepter de scinder les plaintes, surtout lorsqu’on tient compte du préjudice potentiel pour les plaignants, en particulier Dre Gullason. Je suis du même avis.

[55]  L’intimé affirme que les plaintes soulèvent des questions systémiques [traduction] « semblables, voire identiques » qui nécessitent l’instruction commune des plaintes, mais il n’a pas voulu s’étendre sur la nature de ces questions systémiques. Bien que les questions systémiques puissent être semblables et que certains des témoins et des éléments de preuve puissent être les mêmes dans les deux plaintes, Dre Gullason et Dr Attaran ainsi que la Commission conviennent que les plaintes sont différentes sous bien des aspects importants.

[56]  Dre Gullason expose clairement les différences qui existent entre sa plainte et celle de Dr Attaran et elle invoque des arguments convaincants pour expliquer la raison pour laquelle l’instruction commune des plaintes serait problématique et pourrait lui causer une injustice. Non seulement aurait-elle à composer avec d’autres délais, mais elle remet aussi en question la méthode par laquelle le Dr Attaran s’est vu accorder sa chaire de recherche. Compte tenu des observations de Dr Attaran et de Dre Gullason l’un par rapport à l’autre et de leurs plaintes respectives, une instruction commune s’avérerait probablement difficile pour toutes les parties en cause, en raison du rapport antagoniste qui pourrait s’installer entre les plaignants sur certaines des questions de fait et de droit.

[57]  Il semblerait que, bien que les deux plaignants allèguent que le programme des CRC est discriminatoire, ils contestent différents aspects de ce programme pour différentes raisons, de sorte que les exigences auxquelles ils doivent satisfaire sur le plan de la preuve pour établir le bien-fondé de leur plainte sont différentes, même si l’intimé peut s’appuyer sur certains des mêmes éléments de preuve pour se défendre à l’encontre des allégations. Le second facteur énoncé dans la décision Lattey évoque le préjudice que pourrait causer une instruction commune, non seulement à cause de la possibilité que l’audience dure plus longtemps pour permettre aux deux plaignants d’exposer tous leurs arguments, mais aussi en raison du risque de confusion que pourrait engendrer la présentation d’éléments de preuve n’ayant peut-être pas de lien avec les allégations concernant spécifiquement l’un ou l’autre des plaignants.

[58]  L’intimé ne m’a pas fourni suffisamment de renseignements pour me donner à penser que les éléments de preuve dans les deux affaires seront [traduction] « intimement liés » au point où les plaintes doivent faire l’objet d’une instruction commune, comme c’était le cas dans l’affaire Lattey.

[59]  À mon avis, d’après les renseignements fournis par les parties, les questions en litige ne sont pas semblables au point où les deux plaintes devraient faire l’objet d’une instruction commune. Après avoir examiné l’ensemble des facteurs, je ne crois pas que l’existence d’enjeux systémiques semblables suffise à faire pencher la balance en faveur de la tenue d’une instruction commune.

[60]  En ce qui concerne l’argument suivant lequel certaines des questions systémiques pourraient être résolues par la médiation, il ne s’agit pas non plus d’une raison suffisamment convaincante pour exiger que les deux plaintes fassent l’objet d’une instruction commune. L’intimé s’oppose à la séparation des plaintes en invoquant l’efficacité de l’audience. Pourtant, il a également indiqué son intention de s’occuper en premier lieu des plaintes de 2006, tout en s’attendant à ce que les plaintes de Dre Gullason et de Dr Attaran soient mises en suspens. L’intimé espère résoudre les problèmes systémiques communs à toutes les plaintes par la médiation des plaintes de 2006. Toutefois, rien ne garantit que c’est effectivement ce qui arrivera. Par ailleurs, Dre Gullason et Dr Attaran ne sont partis à aucun règlement négocié pouvant découler de la médiation des plaintes de 2006 et le règlement des plaintes en question risque de ne pas être acceptable pour l’un ou l’autre des plaignants.

[61]  En tout état de cause, lorsque la médiation des plaintes de 2006 sera terminée, si certains des problèmes systémiques sont réglés, la question peut être soulevée au cours de l’audience et être traitée en conséquence, étant donné que l’intimé et éventuellement la Commission participeront tant à la médiation qu’à l’audience.

[62]  De plus, bien que je crois comprendre que Dr Attaran est maintenant d’avis que sa plainte devrait être instruite, étant donné qu’il n’accepte plus d’attendre que l’intimé s’occupe des plaintes de 2006 avant de soumettre sa plainte à la médiation, il n’en demeure pas moins qu’il souhaitait et qu’il souhaite probablement toujours participer à la médiation, et la membre Mercer a invité les parties à participer de nouveau à des pourparlers en vue d’un règlement à une date ultérieure. Comme il est possible que la plainte de Dr Attaran fasse l’objet d’une médiation à un moment donné dans l’avenir, il serait injuste de s’attendre à ce que Dre Gullason soit exposée à la possibilité que sa plainte soit de nouveau mise en suspens.

[63]  Dre Gullason a refusé la médiation, comme elle en avait le droit, en invoquant le fait que le règlement des plaintes de 2006 était toujours en suspens, retardant ainsi l’instruction de sa plainte. On ne devrait pas s’attendre à ce qu’elle attende que les autres parties terminent la médiation sans la moindre garantie que ses problèmes seront réglés par ce processus.

[64]  Compte tenu de ce qui précède, je ne vois pas comment l’insistance de l’intimé à demander une instruction commune pour les deux plaignants répond de façon satisfaisante au problème de l’efficacité des audiences, qui doit être examiné à la lumière de l’intérêt public à ce que l’instruction des plaintes de discrimination se fasse de façon rapide [6] .

[65]  La Commission relève qu’il existe des moyens susceptibles de répondre aux préoccupations de l’intimé, ce à quoi je souscris. Comme il a été suggéré dans la décision Cruden, les parties pourraient demander le dépôt des transcriptions d’une audience dans l’autre audience. De plus, le fait de désigner le même membre pour entendre les deux affaires permettrait à celui-ci de se familiariser avec les questions en litige et les éléments de preuve sans la lourdeur d’une seule instruction et réduirait la probabilité d’une analyse incohérente des questions communes au moment de rendre ses décisions.

[66]  Dans la décision Cruden, le Tribunal a conclu que les inefficacités qui pourraient découler de l’instruction séparée des plaintes n’avaient pas préséance sur le préjudice que subirait Mme Cruden si elle devait attendre que ses plaintes soient entendues en même temps qu’une autre plainte. De même, dans la présente affaire, je suis d’avis que, l’inefficacité pouvant découler de l’instruction distincte des plaintes n’a pas préséance sur le préjudice que les plaignants subiront probablement si leurs plaintes font l’objet d’une instruction commune. Pour cette raison, j’accepte de scinder les plaintes.

V.  Ordonnance

[67]  Le Tribunal ordonne par la présente que la plainte de Dre Gullason soit séparée de la plainte de Dr Attaran et que chaque plainte fasse l’objet d’une instruction distincte.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 12 juillet 2018

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du tribunal : T2240/6217 et T2241/6317

Intitulé de la cause : Lynda Gullason et Amir Attaran c. Secrétariat des programmes interorganismes à l’intention des établissements

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 12 juillet 2018

 

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Lynda Gullason , pour elle même

Amir Attaran , pour lui même

Sheila Osborne-Brown , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jyll Hansen , pour l’intimé



[1] Canada (Procureur général) c. Dussault, 2003 CAF 5 (CanLII), au par. 5.

[2] Bailie et autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada, 2017 TCDP 21, au par. 81.

[3] 3e éd., Irwin Law Inc. 2016, à la p. 41.

[4] I.L.W.U. (Section maritime), section locale 400 c. Oster, 2001 CFPI 1115 (CanLII), [2002] 2 C.F. 430 (C.F. 1re inst.), aux par. 15-31.

[5] Voir, par exemple, les paragraphes 48.9(2), 50(1), 50(2) et l’alinéa 50(3)e) et l’article 52 de la Loi.

[6] Voir le paragraphe 48.9(1) de la Loi et Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, et al., 1997 CanLII 17562 (CF).

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