Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP 17

Date : le 8 juin 2018

Numéro du/ dossier : T2207/2917

 

Entre :

Cecilia Constantinescu

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service Correctionnel du Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I.  Contexte de la plainte, de la requête et position des parties

[1]  En octobre 2015, Mme Celicia Constantinescu (plaignante) a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (Commission) contre le Service correctionnel du Canada (intimé ou SCC). Plus précisément, elle allègue (1) avoir fait l’objet d’actes discriminatoires en matière d’emploi (conformément à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (LCDP ou Loi)) et (2) avoir fait l’objet de harcèlement en matière d’emploi (conformément à  l’alinéa 14(1)c) LCDP), et ce, en raison de son sexe et de son origine ethnique. La Commission a référé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) le 31 mai 2017.

[2]  Le 21 mars 2018, Mme Cecilia Constantinescu a déposé au Tribunal un avis de requête en élargissement de sa plainte initiale. La plaignante demande au Tribunal d’élargir sa plainte afin d’y ajouter de nouveaux événements qu’elle considère comme discriminatoires, plus précisément :

  1. Les pratiques de tir privées organisées par un employé de l’intimé, qui était également instructeur de tir pour le Collège du personnel de Laval (Collège), du bris de sécurité à l’armurerie du Centre régional de réception (CRR) ainsi que les enquêtes subséquentes qui ont suivi ce bris;
  2. Le traitement différent, par l’intimé, de ses plaintes suivant la dénonciation des actes d’agression et de harcèlement qu’elle aurait subi en comparaison du traitement des plaintes des employés du pénitencier d’Edmonton.

[3]  La plaignante a pris soin de mentionner au Tribunal que lorsqu’elle a déposé sa plainte à la Commission en octobre 2015, elle ignorait l’existence de ces faits allégués. Elle ne pouvait donc les inclure dans sa plainte d’origine. L’intimé a déposé une réplique le 12 avril 2018, appuyé d’un affidavit de Mme Isabelle Bastien, Directrice intérimaire, Direction des enquêtes sur les incidents au sein du SCC.

[4]  Le Tribunal a pris connaissance des représentations des parties, de la jurisprudence et de la documentation soumises, et pour les motifs qui suivent, j’accorde partiellement la demande de la plaignante. J’émettrai cependant certains barèmes précis.  

II.  Droit

[5]  Le Tribunal a tout récemment résumé, dans sa décision Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34, le droit applicable en matière de modifications de la plainte, aux paragraphes 13 à 16 ainsi que 18 :

[13] Il faut se rappeler que la plainte originale ne tient pas lieu de plaidoirie (Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, par. 9 [Casler]; voir aussi Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1, par. 10 [Gaucher]). De plus, comme il a été expliqué dans l’arrêt Casler :

[8] […] il faut garder à l’esprit que le dépôt d’une plainte constitue la première étape du processus de résolution des plaintes en vertu de la Loi. … Comme l’a affirmé le Tribunal au paragraphe 11 de la décision Gaucher, « [i]l est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient souvent révélés au cours de l’enquête. Il s’ensuit que les plaintes sont susceptibles d’être précisées. »

[14] Le Tribunal jouit d’une grande discrétion dans l’instruction de la plainte conformément aux articles 48.9(1), 48.9(2), 49 et 50 de la LCDP. Il a été confirmé à de multiples reprises que le Tribunal détient les pouvoirs de modifier la plainte d’origine dont il a été saisi par la Commission (Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313 aux paragraphes 30, 41, 43).

[15] L’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Assoc. canadienne des employés de téléphone, 2002 CFPI 776, vient également établir les principes généraux guidant le Tribunal relativement aux demandes de modification :

En règle générale, une demande d’amendement déposé devant le Tribunal devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice (Commission des droits de la personne) c. Assoc. canadienne des employés de téléphone, 2002 CFPI 776 au para. 31, en se référant à Canderel Ltd. c. Canada1993 CanLII 2990 (CAF) [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.)).

(Voir aussi Attaran c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (anciennement Citoyenneté et Immigration Canada), 2017 TCDP 21, par. 16 [Attaran]; Société du musée canadien des civilisations c. Alliance de la fonction publique du Canada (section locale 70396), 2006 CF 704, par. 40, 50 [Société du musée]; Gaucher, par. 10).

[16] Par ailleurs, les modifications proposées ne peuvent constituer en elles-mêmes une toute nouvelle plainte qui n’a pas été initialement déférée par la Commission (Société du musée, par. 40, 50. Ces modifications doivent nécessairement être liées en fait ou en droit à la plainte d’origine : c’est ce qu’on appelle l’existence d’un nexus (voir Blodgett v. GE-Hitachi Nuclear Energy Canada Inc., 2013 CHRT 24, par. 16-17; voir également Tran c. l’Agence du revenu du Canada, 2010 TCDP 31, par. 17).

[…]

[18] Enfin, lorsque le Tribunal doit analyser une demande de modification de la plainte, il ne devrait pas s’engager dans une analyse en profondeur du bien-fondé de ces modifications (voir Bressette c. Conseil de bande de la première nation de Kettle et Stony Point, 2004 TCDP 2, par. 6 [Bressette]). C’est à l’audience que le Tribunal évalue le bien-fondé des allégations, et ce, lorsque toutes les parties ont eu l’opportunité pleine et entière de produire leurs éléments de preuve (voir Saviye au paragraphe 19 en se référant à Bressette au paragraphe 8). Leur ajout ne constitue pas en soi une violation de la LCDP : encore faut-il que la plaignante s’acquitte du fardeau de la preuve selon la balance des probabilités. 

[6]  Le président du Tribunal, David L. Thomas, a également repris récemment la même analyse dans sa décision Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2018 TCDP 2. Il écrivait aux paragraphes 10 et 11 de sa décision :

[10] Comme il est indiqué plus haut, en vertu de l’article 50(1) de la Loi, les parties comparaissant devant le Tribunal doivent se voir donner la possibilité pleine et entière de présenter leur cause.

[11] Le critère juridique qui s’applique à la modification d’un EDP [exposé des précisions] est bien établi, et il a récemment été exposé par le Tribunal dans la décision Tabor c. La Première Nation Millbrook, 2013 TCDP 9 (Tabor). Mme Tabor, la plaignante, voulait elle aussi modifier son EDP pour y ajouter des allégations de représailles. La décision Tabor décrivait ainsi les exigences juridiques :

[4] Il est bien établi que le Tribunal a le pouvoir de modifier une plainte « aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties » (Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 CF 3 (CAF); cité dans Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313, au paragraphe 30). Pour décider s’il doit autoriser la modification, le Tribunal n’examine pas en détail le fond de la modification proposée. En règle générale, on devrait autoriser une modification, à moins qu’il soit manifeste et évident que les allégations faisant l’objet de la demande de modification ne sauraient être jugées fondées (voir Bressette c. Conseil de bande de la première nation de Kettle et Stony Point, 2004 TCDP 2, au paragraphe 6 [Bressette]; et Virk c. Bell Canada, 2004 TCDP 10, au paragraphe 7 [Virk]).

[5] Cela dit, une modification ne peut pas servir à introduire fondamentalement une nouvelle plainte, étant donné que cela contournerait le processus de renvoi prévu par la Loi (voir Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1, aux paragraphes 7 à 9; et, Cook c. Première nation d’Onion Lake, 2002 CanLII 45929 (TCDP), aux paragraphes 11). La modification proposée doit être liée, du moins par le plaignant, aux allégations qui ont donné lieu à la plainte initiale (voir Virk, au paragraphe 7; Tran, Cam‑Linh (Holly) c. Agence du revenu du Canada, 2010 TCDP 31, aux paragraphes 17 et 18; et Société du soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 TCDP 24, au paragraphe 16 [SSEFPN et al.]).

[6] De plus, il faut examiner s’il pourrait y avoir préjudice lorsqu’une modification est proposée. Une modification ne doit pas être autorisée « [si elle] cause un préjudice à l’intimé » (Parent, au paragraphe 40).

III.  Analyse

[7]  Il est clair pour le Tribunal que les parties ne s’entendent pas sur une très grande partie des allégations au dossier. Il est également évident que les parties ont leurs propres interprétations des faits qui sont, dans la plupart des cas, diamétralement opposées.

[8]  Cela étant dit, lorsque le Tribunal doit décider d’une requête en élargissement de la plainte, ce n’est pas à cette étape qu’il doit s’engager dans une analyse en profondeur du bien-fondé des modifications demandées. Ce faisant, mon rôle dans la présente requête n’est pas d’établir la véracité des nouveaux faits que Mme Constantinescu désire ajouter à sa plainte initiale, mais plutôt de déterminer s’il existe un nexus, une connexité avec la plainte d’origine.  

[9]  Comme mentionné dans la décision Casler, au paragraphe 8, la plainte initiale est la première étape de la résolution du litige. La plainte n’est pas nécessairement figée dans le temps. En cours d’enquête, des faits nouveaux et de nouvelles circonstances peuvent être révélés. Il serait difficilement concevable qu’une personne, ayant déposé une plainte à la Commission et qui obtient de nouveaux faits durant le processus d’enquête et d’instruction, se retrouve dans l’obligation de déposer une nouvelle plainte afin de traiter de ces nouveaux faits. Cela desservirait le régime législatif de notre Tribunal qui commande notamment d’agir sans formalisme et de manière expéditive (voir paragraphe 48.9(1) LCDP).

[10]  À mon avis, la plaignante ne demande ni l’ajout d’un nouveau motif de distinction illicite prévu à l’article 3 LCDP ni l’ajout d’un nouvel acte discriminatoire prévu aux articles 5 à 14.1 LCDP. La plaignante demande au Tribunal de pouvoir traiter de nouveaux événements dont elle a eu connaissance suite au dépôt de sa plainte et à la réception de nouveaux documents de la part de l’intimé ou d’autres organismes. Les nouveaux événements que Mme Constantinescu désire ajouter à sa plainte ne constituent pas, en eux-mêmes, de nouvelles plaintes à l’encontre de SCC. 

A.  Pratiques de tirs, bris de sécurité et enquêtes subséquentes

[11]  Concernant le premier ajout demandé par la plaignante quant aux pratiques de tirs, au bris de sécurité et des enquêtes qui ont suivis le bris, contrairement à ce que l’intimé prétend, je conclus qu’il existe un lien factuel entre certains événements et la plainte d’origine. À ce titre, il ne faut pas regarder les événements concernant les pratiques de tirs, le bris de sécurité et les enquêtes subséquentes dans un vase clos : au contraire, il faut regarder ces faits dans un contexte global.

[12]  Les nouveaux faits allégués s’inscrivent dans un continuum des événements qui avaient déjà cours entre la plaignante et l’intimé. Je rappelle que la plainte initiale débute avec des événements allégués tels que des commentaires dégradants faits en classe par un collègue et l’événement des palpations lors d’une fouille. Ces événements allégués ne sont que le tout début de la plainte de Mme Constantinescu. Suite à ses événements, la plaignante allègue également une multitude d’autres événements qui se sont produits, qui auraient été perpétrés par l’intimé et qu’elle estime être discriminatoire.

[13]  La façon que les événements entourant le bris de sécurité, des pratiques de tirs et de l’enquête ont été gérés par l’intimé n’est qu’une autre de ces multitudes allégations discriminatoires faites par la plaignante. Encore une fois, elle estime que l’intimé, en gérant l’événement des pratiques de tir, du bris de sécurité et des enquêtes qui ont suivi, a poursuivi dans cette direction, celle d’avoir commis d’autres actes discriminatoires à son encontre. Cela constitue nécessairement un nexus avec la plainte d’origine.

[14]  Je suis également en accord avec Mme Constantinescu sur le fait que le Tribunal a compétence afin d’élargir et peaufiner la plainte initialement déposée à la Commission. Le Tribunal détient également les pouvoirs afin de restreindre et limiter la portée de la plainte.

[15]  Cela dit, je suis ouvert à laisser à la plaignante une certaine marge de manœuvre afin de présenter des éléments de preuve quant à ces événements allégués. Par exemple, la plaignante soumet que l’intimé lui a sciemment caché des faits quant aux bris de sécurité, mais n’aurait pas fait de même avec les autres recrues. Elle soutient également que l’intimé aurait demandé aux autres recrues de ne pas l’informer des circonstances entourant ces événements. Elle allègue également que la manière dont a agi l’intimé a contribué à son élimination dans le programme PFC 5. Elle estime qu’il s’agit là d’événements discriminatoires de la part de l’intimé. Encore une fois, sans me prononcer sur le bien-fondé de ces allégations, je suis d’avis qu’il existe un lien avec la plainte initiale. J’autorise la plaignante à présenter des éléments de preuve à ce sujet.

[16]  Par contre, j’émettrai certaines limites et balises puisque je conclus que certains événements allégués par la plaignante n’ont pas de connexité avec la plainte d’origine.

[17]  Avant d’exposer ces limites, il faut se rappeler que pour que le Tribunal déclare qu’il y a existence d’une discrimination en vertu de la LCDP, un seul acte discriminatoire prouvé est suffisant. En d’autres mots, un plaignant n’a pas à prouver 10 actes discriminatoires selon le fardeau de la preuve à première vue afin d’avoir gain de cause : il n’a, en fait, besoin que de prouver qu’un seul acte discriminatoire. Cela étant dit, cette observation générale du Tribunal n’a pas pour but de limiter les parties dans la présentation de leur preuve respective. Par exemple, la démonstration de plusieurs actes discriminatoires ou la démonstration d’actes délibérés ou inconsidérés pourraient potentiellement avoir des impacts sur les remèdes que pourrait ordonner le Tribunal en vertu de l’article 53 LCDP. Tout de même, le Tribunal encourage inévitablement les parties, dans toutes les procédures devant lui, à se concentrer davantage sur leurs arguments les plus forts.

[18]  J’estime que plusieurs des aspects soulevés par Mme Constantinescu ne sont pas liés à la plainte d’origine. J’ajouterais que certaines allégations ne sont pas pertinentes au litige, c’est-à-dire que le Tribunal n’a pas besoin de ces faits pour décider du fond du dossier. Je suis également d’avis que d’ajouter ces faits n’est pas l’intérêt de la justice et pour certaines allégations, elles ne relèvent pas de la compétence du Tribunal. En conséquence, certaines limites doivent être mises.

[19]  À cet égard, le Tribunal n’entrera pas dans les détails de l’enquête qui a été faite concernant M Reno Ouellet et le bris de sécurité ni sur les détails de l’enquête nationale qui a suivi le bris. Pour être plus explicite, je n’ai pas l’intention de faire dériver le débat de la plainte sur la composition des enquêtes, leurs mandats, la manière dont elles ont été menées, sur leurs conclusions ou leurs recommandations. Le Tribunal n’a aucune compétence afin de revoir ces enquêtes. Je conclus que cela n’est pas pertinent aux questions en litige dans le dossier.

[20]  De la même manière, le Tribunal n’entendra pas non plus de preuve sur la légalité des pratiques de tirs du 4 et 5 octobre 2014, sur le nombre d’instructeurs nécessaires pour effectuer des pratiques de tirs ni sur les normes légales et réglementaires quant à la sécurité de ce type de pratiques. Le Tribunal n’entendra pas non plus de preuve sur les compétences nécessaires pour effectuer des pratiques de tirs. J’estime que ces aspects ne sont pas liés à la plainte d’origine et qu’ils ne sont pas pertinents au litige.

[21]  Tel que je l’ai déjà mentionné dans ma décision précédente (Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2018 TCDP 8), les demandes d’accès à des documents d’un organisme public incluant l’intimé sont soumises à leurs propres lois, règlements, conditions et balises. Ces demandes ont également leur propre processus de contestation. La plaignante manifeste que la manière dont ses demandes ont été traitées constituent un acte discriminatoire. L’accès aux documents n’est pas lié aux questions en litige dans le dossier. Je n’entendrai aucune preuve sur la manière dont les demandes d’accès ont été traitées par l’intimé ou tout autre organisme public fédéral ou provincial. Ces éléments sont trop éloignés de la plainte d’origine et ce faisant, j’estime qu’il y a absence de nexus.

[22]  Le Tribunal rappelle aux parties que pour établir, à première vue, l’existence de discrimination lors de l’audience, Mme Constantinescu doit démontrer, selon la balance des probabilités, et pour chaque événement allégué:

  1. qu’elle possède une (ou des) caractéristique(s) protégée(s) contre la discrimination (soit le sexe ou l’origine nationale ou ethnique);
  2. qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement aux articles 7 et 14 de la Loi (par exemple, qu’elle a été éliminée prématurément du programme PFC 5 et qu’elle n’a donc pas eu accès à un emploi suivant ledit programme); et
  3. que la (ou les) caractéristique(s) protégée(s) a (ou ont) constitué un (ou des) facteur(s) dans la manifestation de l’effet préjudiciable (existence d’un lien entre le sexe ou l’origine nationale ou ethnique et l’effet préjudiciable, par exemple, avoir été éliminée prématurément du programme PFC 5 et qu’elle n’a donc pas eu accès à un emploi suivant ledit programme en raison de son sexe ou de son origine nationale ou ethnique).

Évidemment, SCC aura également la chance de réfuter ces allégations ainsi que de présenter une défense prévue par la Loi, le cas échéant (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 aux para. 63-64 [Bombardier]).

B.  Traitement différent dans l’enquête disciplinaire au Collège du personnel de Laval

[23]  Sans entrer dans tous les détails, le Tribunal comprend que Mme Constantinescu, alors qu’elle participait au programme PFC 5, a dénoncé à l’intimé des événements inquiétants incluant notamment des palpations par un collègue lors d’une fouille. Le Tribunal comprend également qu’une enquête interne a été ouverte afin de traiter certaines des allégations de la plaignante.

[24]  La plaignante dénonce la manière dont l’enquête de l’intimé s’est déroulée et estime qu’il y a existence de plusieurs événements discriminatoires.  Elle fait notamment référence au choix des enquêteurs qui ont le mandat d’investiguer sur les allégations et qui ont été sélectionnés à même les collègues, supérieurs et connaissances des personnes qui sont impliquées dans les actes dénoncés. Il est important de mentionner que la plaignante fait également une analogie avec l’enquête qui s’est déroulée à l’établissement de l’intimé situé à Edmonton, Alberta (établissement d’Edmonton). Cette enquête a été menée par une tierce partie, TLS Enterprises, qui a produit un rapport le 12 mars 2017. Elle allègue avoir subi un traitement différent comparativement aux employées d’Edmonton puisqu’elle n’a pas bénéficié d’une enquête externe, effectuée par une tierce partie. Je reviendrai sur cet aspect dans les paragraphes ultérieurs.

[25]  L’intimé consent à ce que le choix des enquêteurs à l’enquête disciplinaire menée au Collège soit inclus dans l’objet de la plainte devant le Tribunal. Il s’agit là d’un des ajouts que demande Mme Constantinescu. Considérant le consentement des parties, le Tribunal accepte d’élargir la plainte afin d’y incorporer cet aspect spécifique.

[26]  Cependant, suivant une lecture attentive des représentations de Mme Constantinescu, je suis d’avis que ses prétentions vont au-delà du processus de nomination des enquêteurs mandatés afin de mener l’enquête disciplinaire. En effet, elle soulève notamment certains événements qu’elle considère comme inquiétants par exemple quant à différents contacts qu’aurait eus le Collège, et plus précisément la directrice, durant l’enquête disciplinaire, avec l’une des enquêtrices. Elle fait également référence à certains commentaires qui auraient été faits à son égard et qui se retrouvent dans différents courriels qui ont été échangés durant le processus de l’enquête disciplinaire. La plaignante met l’emphase sur certains événements qui concernent l’enquête elle-même ainsi que son déroulement, et non uniquement le choix des enquêteurs.

[27]  Ce faisant, quant aux allégations qui touchent l’enquête elle-même, le Tribunal doit se demander s’il existe un nexus avec la plainte d’origine. Encore une fois, je suis d’avis qu’il ne faut pas regarder chaque allégation de la plaignante en silos. Tous les événements qui sont allégués par Mme Constantinescu s’inscrivent dans un continuum d’événements. Encore une fois, la plaignante demande seulement d’ajouter de nouveaux faits dont elle n’avait pas connaissance lors du dépôt de sa plainte d’origine et qu’elle considère être discriminatoire.

[28]  Bien que je suis ouvert à laisser une certaine marge de manœuvre à la plaignante, les parties sont avisées que le Tribunal n’est pas une instance qui vise à surveiller, superviser, réviser ou même renverser l’enquête disciplinaire qui a été menée au Collège de Laval. Le rôle du Tribunal vise à déterminer s’il existe un élément discriminatoire dans l’enquête disciplinaire et non à refaire l’enquête elle-même. Les parties devront notamment mettre l’enquête disciplinaire en contexte, en expliquer le déroulement, expliquer le choix des enquêteurs à l’interne en opposition à l’externe. Cette liste n’est pas exhaustive. Par ses propos, le Tribunal veut simplement informer les parties qu’elles auront une certaine flexibilité à ce sujet.

[29]  Quant au rapport de TLS Enterprises, j’estime que celui-ci pourrait être potentiellement pertinent, et ce, pour une fin bien précise. Ce rapport a été produit suivant des allégations de harcèlement en milieu de travail qui se seraient déroulées à l’établissement d’Edmonton. Dans ces circonstances, l’intimé a décidé de confier le mandat d’enquêter à une tierce partie extérieure à l’établissement d’Edmonton. De manière similaire, le Collège a enquêté sur des allégations de harcèlement en milieu de travail révélées par Mme Constantinescu. Cependant, il n’a pas décidé de confier une telle enquête à une tierce partie extérieure à son établissement. Le Tribunal voit une certaine pertinence à ce que le rapport puisse être déposé, non pas pour son contenu ni pour la véracité des faits qu’il contient, mais bien pour tenter de démontrer que l’intimé a décidé, dans un cas, de donner le mandat à des enquêteurs externes et, dans l’autre, a choisi ses enquêteurs à l’intérieur de son propre établissement.

[30]  Cela étant dit, l’intimé a spécifiquement demandé au Tribunal que les circonstances factuelles qui sont liées à l’évaluation environnementale émanant de l’enquête effectuée par TLS Enterprises à l’établissement d’Edmonton ne soient pas incluses dans la plainte puisqu’elles n’ont pas de lien avec la discrimination alléguée par la plaignante. Le Tribunal comprend, à l’inverse, que la plaignante demande, d’une certaine façon, d’inclure les éléments factuels du rapport effectué à l’établissement d’Edmonton dans sa plainte. Elle semble faire des liens entre les circonstances factuelles liées à l’évaluation environnementale qui ont été décrites dans ledit rapport et les circonstances factuelles dans sa propre plainte. Conséquemment, le Tribunal doit déterminer si les circonstances factuelles menant au rapport de TLS Enterprises peuvent être importées dans le présent dossier.

[31]  Afin de bien comprendre la portée de l’enquête qui a été menée à l’établissement Edmonton, le Tribunal a dû nécessairement prendre connaissance du rapport effectué par TLS Enterprises, daté du 12 mars 2017. Ce rapport a d’ailleurs été déposé par la plaignante elle-même avec sa requête en élargissement de sa plainte. Un résumé du mandat de l’enquête se retrouve dans la section « Part One : Overview », au point « 1. Background », qui se lit comme suit :

  1. Background

On October 24, 2016, Peter Linkletter, Deputy Commissioner of Correctional Services of Canada (CSC), contracted with TLS Enterprises, an external investigation company, to conduct an independent assessment of the working environment at Edmonton Institution (El).  The overall objective was to understand the corporate culture and to make recommendations for a more inclusive and respectful work environment.

[version française non disponible]
[le Tribunal souligne]

[32]  Suivant le mandat de TLS Enterprises et suivant la lecture de son rapport, il m’apparaît clair que l’enquête effectuée par cette firme ne concerne que l’établissement d’Edmonton et ne constitue pas une enquête nationale sur l’environnement de travail et la culture organisationnelle de SCC.

[33]  Dans sa requête du 21 mars 2018, Mme Constantinescu, au paragraphe 24 de la section B, semble vouloir élargir la portée du mandat de TLS Enterprises. À cet effet, elle écrit, au point r : « Que les problèmes d’Edmonton sont partout au Canada dans les établissement [sic] du SCC (page 79, question 43) ». Il est nécessaire de remettre le rapport en contexte et de le lire attentivement afin de remettre les éléments en perspectives.

[34]  Le rapport de TLS Enterprises compte 45 pages. La 45e page constitue le début des « Appendices ». Les pages subséquentes des « Appendices » ne sont pas numérotées. La page 79, à laquelle réfère la plaignante, constitue la page 79 du document qu’elle a en sa possession.  Cela étant précisé, la plaignante reprend une certaine portion très spécifique du rapport qui allègue que les problèmes à l’établissement d’Edmonton sont présents dans tous les établissements de l’intimé au Canada (rapport de TLS Enterprises daté du 12 mars 2017, page 79, question 43). Comme je l’ai mentionné précédemment, je suis d’avis que ce rapport n’a pas de portée nationale, le mandat étant de compléter une enquête sur l’établissement d’Edmonton. Cette page 79, question 43, fait partie de l’« Appendix C » du rapport. Cet appendice s’intitule « Summary of Results of Employee Interviews » et sa section 1 s’intitule « Section #1 Synopsis of Answers from Staff at Edmonton Institution ». Lorsque le Tribunal consulte le rapport, à la page 10 (ou page 11 du document de la plaignante), l’ « Appendice C » est en réalité un sommaire des résultats obtenus lors d’entrevues effectuées avec des employés de l’établissement d’Edmonton. Les entrevues des employés font notamment partie de la quatrième étape du processus d’investigation de TLS Enterprises (voir rapport page 5 ou document de la plaignante, page 6). Cette étape est décrite de la manière suivante :

Step Four: Questions and Interview Plan

Standard questions were developed to address the points outlined in the Deputy Commissioner's letter.  However, this was not considered a numerical survey with comparable results but questions were purposely open ended to allow the investigators to pursue what was important to the interviewees, and any new information that may be useful in improving the workplace. There were five questions that were based "On a scale of 1 to 10" which were comparable (see Appendix C).

[…]

[version française non disponible]
[le Tribunal souligne]

[35]  Conséquemment, la question 43 de la page 79 est une réponse d’un ou d’une employé(e) anonyme de l’établissement d’Edmonton qui a répondu aux questions préétablies par TLS Enterprises pendant une entrevue. Il s’agit de la vision d’une personne interviewée. Le Tribunal voit difficilement comment il serait possible d’utiliser une telle portion spécifique du rapport afin de tirer des inférences générales sur les problématiques au sein de SCC. Il est clair que la portée de ce rapport ne peut être étendue à un niveau national : l’enquête vise spécifiquement l’établissement d’Edmonton.

[36]  Cela étant dit, je suis en accord avec l’intimé que les circonstances factuelles de l’établissement d’Edmonton ainsi que celles qui émanent du rapport de TLS Enterprises ne peuvent être incluses dans le dossier afin de tirer des inférences sur les événements qui se sont déroulés au Collège. Je conclus que l’utilisation, à cette fin, du rapport ainsi que ses circonstances ne sont pas pertinentes aux questions en litige, et ce, pour les raisons qui suivent.

[37]  Dans un premier temps, le Tribunal semble comprendre que Mme Constantinescu désire utiliser les événements, le rapport, les allégations, les conclusions ainsi que les recommandations et de les importer dans son dossier devant le Tribunal. L’objectif est nécessairement d’amener le Tribunal à tirer certaines inférences sur des faits ou des circonstances factuelles liées à l’évaluation environnementale et qui, selon la plaignante, sont similaires, voire identiques, entre l’établissement d’Edmonton et le Collège lors de son programme PFC 5.

[38]  Or, la plainte de Mme Constantinescu n’est pas une plainte systémique : celle-ci allègue des circonstances bien spécifiques, qui concernent son traitement par l’intimé au Collège, pendant sa participation au programme PFC 5. J’ai déjà conclu que le rapport de TLS Enterprises a été produit suivant une enquête qui a été menée uniquement à l’établissement d’Edmonton. J’ai également conclu que ce rapport n’avait pas de portée nationale.

[39]  Dans un deuxième temps, j’estime que les circonstances factuelles d’Edmonton et celles du Collège ne sont pas totalement similaires. Il existe plusieurs différences entre ces établissements  notamment :

  • les personnes qui ont été impliquées à Edmonton (dont nous ignorons l’identité), et les personnes impliquées au Collège;
  • la localisation géographique qui n’est pas la même (Edmonton (Alberta) et Laval (Québec);
  • les établissements eux-mêmes (établissement d’Edmonton, qui est un pénitencier et le Collège du personnel de Laval, qui est un établissement de formation);
  • les circonstances factuelles ne sont pas nécessairement similaires;

[40]  Je suis aussi d’avis qu’il serait imprudent d’importer les faits et circonstances factuelles liées à l’évaluation environnementale de l’établissement d’Edmonton dans le dossier alors que le Tribunal n’a jamais participé à une telle enquête. Le Tribunal n’a pas le mandat d’enquêter sur ces allégations, il n’a pas entendu de témoins, il n’a pas évalué la preuve documentaire déposée. Il n’a pas plus participé aux conclusions ni proposé de recommandations afin de corriger la situation. En fait, le Tribunal est totalement étranger à cette enquête.

[41]  Chaque plainte devant le Tribunal doit être jugée à la face des faits spécifiques et particuliers de la plainte elle-même et qui sont admis à l’audience. Comme explicité par le Tribunal dans sa décision Hewstan c. Auchinleck, 1997 CanLII 699 (TCDP) :

Il serait inacceptable qu'un tribunal accueille favorablement une plainte en fondant uniquement sa décision sur des gestes antérieurs de l'intimé et une preuve de faits similaires ne peut ni ne doit tenir lieu de preuve à l'appui des allégations comme telles.

[42]  De plus, comme l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans sa décision Bombardier, au paragraphe 88 : « En effet, même circonstancielle, une preuve de discrimination doit néanmoins présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée ». Je conclus donc que les faits et circonstances factuelles liées à l’évaluation environnementale effectuée par TLS Enterprises daté du 12 mars 2017 ne peuvent être importés dans la plainte.

IV.  Décision

[43]  Quant aux points A de sa requête déposée le 21 mars 2018, j’autoriserai Mme Constantinescu à présenter ses éléments de preuve relativement à :

  • Section A nommé « Traitement discriminatoire à l’égard des pratiques de tirs privées, du bris de sécurité et des enquêtes qui ont suivi aux événements du 4 et 5 octobre 2014;
    • aux paragraphes 1 à 8;
    • paragraphe 9 (uniquement pour mettre en contexte et non sur la légalité des pratiques et de l’utilisation des armes);
    • au paragraphe 10;
    • au paragraphe 11 (uniquement pour mettre en contexte et non sur la légalité des pratiques et de l’utilisation des armes ni sur les mesures de sécurité et quant au nombre d’instructeurs nécessaires);
    • aux paragraphes 12 à 20;
    • au paragraphe 21 :
      • le point a (sur le fait de ne pas avoir été informée alors que les autres recrues l’ont été et non sur la légalité des pratiques);
      • le point b;
      • le point c (sur le fait de ne pas avoir été informée alors que les autres recrues l’ont été et non sur la légalité des pratiques);
      • le point e (encore une fois, sur le fait de ne pas avoir été informée alors que les autres recrues l’ont été et non sur la légalité des pratiques); et
      • les points j et k (excluant la question de la légalité des pratiques).

[44]  À l’inverse, je n’autoriserai pas qu’une preuve soit faite relativement aux points d, f, g, h, et i du paragraphe 21 de la Section A.

[45]  Quant aux points B de sa requête déposée le 21 mars 2018, j’autoriserai Mme Constantinescu à présenter ses éléments de preuve relativement à :

  • Section B nommée « Un traitement discriminatoire que j’ai eu de la part de l’intimé à l’égard de mes plaintes »;
    • aux paragraphes 1 à 9;
    • au paragraphe 10 (uniquement sur le fait que la plaignante a refusé de participer physiquement à l’enquête, qu’elle a soumis des représentations écrites et non sur la culture environnementale de l’intimée à un niveau national);
    • aux paragraphes 11 à 14 (uniquement pour mettre en contexte);
    • aux paragraphes 15 à 19;
    • au paragraphe 20 (sur le fait que des menaces existent, le reste de la sentence relevant du processus de divulgation);
    • au paragraphe 21 (quant aux correspondances entre la direction et les enquêteurs et non sur les agissements de la Commission, puisque l’intimé est SCC et non la Commission);
    • au paragraphe 22 (pour le contexte);
    • au paragraphe 23 (sur le fait que les employés d’Edmonton ont bénéficié d’une enquête externe et non sur la similarité des faits et des circonstances factuelles liées à l’évaluation environnementale);
    • l’avant dernier paragraphe, débutant par « D’autres mesures ont été prises… » jusqu’à « depuis plus de 3 ans de les obtenir »; (uniquement sur le fait que le Collège n’a pas demandé une enquête indépendante pendant le PFC 5 concernant les allégations de la plaignante).

[46]  À l’inverse, je n’autoriserai pas qu’une preuve soit faite relativement aux points a à s du paragraphe 24 de la Section B.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 8 juin 2018

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2207/2917

Intitulé de la cause : Cecilia Constantinescu c. Service Correctionnel Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 8 juin 2018

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Cecilia Constantinescu, pour elle même

Paul Deschênes et Patricia Gravel, pour l'intimé

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