Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP 9

Date : le 17 avril 2018

Numéro du dossier : T1248/6007

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Levan Turner

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

 



I.  Contexte

[1]  La présente affaire a été initialement renvoyée au Tribunal en 2007 et concerne une plainte déposée en 2005.

[2]  D’après les allégations qui sont au cœur de l’enquête, dans le cadre de deux concours organisés en 2003 et 2004 pour pourvoir le poste d’inspecteur des douanes (le « processus de Victoria PS‑2003‑7003 » et le « processus de Vancouver PS‑2003‑1002 », que nous désignerons conjointement comme les « processus de sélection »), l’intimée a fait preuve de discrimination à l’endroit du plaignant sur la base de la race, de l’origine nationale ou ethnique, de l’âge et d’une déficience perçue, à savoir l’obésité, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « Loi »).

[3]  Dans la première de mes deux décisions à cet égard (2017 TCDP 15 ou la « décision procédurale »), j’ai retracé le long historique procédural au terme duquel la présente affaire a été renvoyée devant le Tribunal pour la troisième fois, en 2017, en vue d’un réexamen. Dans la décision procédurale, j’ai conclu que le nouvel examen se déroulerait dans le cadre d’une audience de novo, comme l’a demandé l’intimée, et ce à quoi le plaignant s’était opposé.

[4]  Dans la seconde de mes deux décisions à cet égard (2018 TCDP 1, la « décision relative à la production »), j’ai examiné une requête soumise par l’intimée, à laquelle s’est opposé le plaignant, qui visait la production de documents en la possession de tierces parties concernant les antécédents du plaignant en matière d’études et de bénévolat durant la période allant de 1987 à 1996. L’intimée n’a pas tenu compte de ces documents dans le cadre des processus de sélection. J’ai rejeté la requête de l’intimée.

[5]  La présente décision a trait à une requête présentée par le plaignant le 5 mars 2018, en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à l’intimée de produire les documents suivants qui se trouvent en sa possession. Le plaignant soutient que ces documents peuvent être considérés comme pertinents à un fait, à une question ou au type de redressement demandé dans la plainte, à savoir :

a) les dossiers d’évaluation se rapportant au processus de sélection 2003‑1712‑PAC‑3961‑1002 et 2001‑CCRA‑PAC‑3961‑1020 pour les candidats suivants : Stephanie King, James Perrin, Cyril Sweetville, Robert Tereposky, Cory Hackett, Betsy Lam, Benjamin Ferguson, Victor Shiu, Dawn Thompson et Leon Van de Ven;

b) l’avis de poste pour le processus de sélection 2001‑CCRA‑PAC‑3961‑1020;

c) le dossier de candidature de Laura Kebble pour le processus de sélection 2003‑2092‑PAC‑3961‑7012, relativement aux processus 1002 de Victoria et de Vancouver;

d) les contrats d’emploi et la justification  de l’embauche d’étudiants dans le cadre du programme de transition des étudiants du 20 juillet à septembre 2004, soit, selon la compréhension du plaignant, Courtney Archer, Navneet Jhooty, Jana Sanderson, Samantha Gutmanis, Laura Dalby, Jason Joy et Jason Dutton;

e) le dossier d’évaluation de Navneet Jhooty pour le processus 2003‑1712‑PAC‑3961‑1002, à l’égard duquel il a été jugé non qualifié;

f) les contrats d’emploi et la justification de l’embauche d’au moins huit étudiants dans le cadre du programme de transition des étudiants de janvier à mai 2005,  soit Sandy Le, Sharneet Sandhu, Michael Suric, Chris Cooper, Margarit Bratanic, Jasmine Singh (Lal), Hairprit Hair et Tracy Arnsdorf.

[6]  L’intimée s’oppose à la présente requête au motif qu’elle n’a pas été déposée en temps opportun et que les documents ne peuvent pas être considérés comme pertinents aux questions fondamentales relatives à l’affaire dont le Tribunal est saisi.

[7]  Dans les observations qu’il a soumises en l’espèce, l’avocat de l’intimée affirme que sa cliente a tenté de trouver les documents demandés se rapportant au processus de Vancouver PS‑2001‑CCRA‑PAC‑3961‑1020. Elle n’a pas été en mesure de les retrouver, puisque le processus en question a débuté il y a près de 17 ans et qu’il est peu probable que les documents aient été conservés. J’accepte cette observation sans autre preuve. Par conséquent, je ne serai pas en mesure de rendre une ordonnance en vue de la production de ces documents.

[8]  À la suite de la décision procédurale, les parties ont convenu que l’audience commencerait durant la semaine du 5 décembre 2017 et se poursuivrait la semaine du 30 avril 2018. Ces audiences ont été ajournées en raison du dépôt par les parties des deux requêtes de production susmentionnées. J’ai été prié dans les deux cas d’ajourner l’audience jusqu’à ce que les requêtes soient tranchées. Dans ses observations relatives à la présente requête, l’intimée reproche au plaignant d’avoir retardé le début de l’audience; ce dernier n’est pas d’accord. Bien que le plaignant ait présenté les demandes d’ajournement, l’intimée y a consenti, quoiqu’avec une certaine réticence à l’égard des retards. De toute façon, je ne pense pas qu’il soit nécessaire ou utile à ce stade de s’arrêter sur les retards passés ou au caractère inopportun de la présente décision. Je m’attarderai plutôt sur la question de savoir si les documents demandés sont potentiellement pertinents. Je rends la présente décision presque quatre semaines avant la date convenue par les parties en vue de la prochaine audience, soit le 14 mai 2018. Je m’attends à ce qu’elles soient prêtes l’une et l’autre à ce que l’instruction de l’affaire débute ce jour-là.

II.  Observations du plaignant

[9]  Le plaignant soutient que les documents demandés remplissent le critère peu exigeant visant à établir la pertinence potentielle, puisqu’ils ont un lien rationnel avec les questions en litige. Il cite à l’appui de ses observations les motifs que j’ai énoncés dans la décision relative à la production, et en reproduit l’extrait suivant :

[39] Au bout du compte, l’analyse qui précède fait en sorte que le Tribunal doit examiner les processus de prise de décisions des entités chargées de mener les processus de sélection, en l’occurrence, les comités de sélection. En d’autres mots, s’il possédait des caractéristiques protégées, le plaignant a‑t‑il subi un effet préjudiciable découlant des gestes et des décisions des comités de sélection et, le cas échéant, les caractéristiques protégées constituaient‑elles un facteur lié aux gestes et aux décisions des membres des comités de sélection?

[40] […] le Tribunal doit […] apprécier le processus de prise de décisions du comité de sélection afin d’établir si les caractéristiques protégées du plaignant, ou une combinaison de celles‑ci, ont joué un rôle dans ce processus de décision.

[41] Selon cette perspective, les documents potentiellement pertinents correspondraient à ceux dont disposaient les comités de sélection, à tout document faisant état de demandes de renseignements supplémentaires présentées par les comités de sélection et à tout document supplémentaire fourni en réponse à ces demandes.

[…]

[49] Le Tribunal est préoccupé par les renseignements dont disposaient les comités de sélection et par toute conclusion qu’ils ont tirée à propos des qualifications et des aptitudes du plaignant, à partir de leurs échanges et interactions avec lui. […]

[10]  Premièrement, le plaignant soutient que les documents demandés se rapportant au processus de Vancouver PS‑2003‑1002 remplissent les critères que j’ai énoncés dans la décision relative à la production. Il fait valoir que la majorité des documents sont directement liés à la restriction d’admissibilité mentionnée dans l’avis de poste à pourvoir concernant ce concours, laquelle restriction, selon l’intimée, constitue le seul motif  d’exclusion de la candidature du plaignant après avoir réussi l’entrevue. Le plaignant maintient qu’il a été exclu après que Ron Tarnawski, membre du comité de sélection, ait pris acte de sa [traduction] « présence », faisant supposément référence à la couleur de sa peau et à sa taille.

[11]  Le plaignant fait valoir en outre que l’intimée a déjà reconnu que l’usage par le comité de sélection de la restriction d’admissibilité est directement pertinent aux processus de sélection en cause, puisqu’elle a produit d’autres dossiers de candidature se rapportant au processus de Vancouver PS‑2003‑1002.

[12]  Le plaignant soutient par ailleurs que les documents demandés [traduction] « […] sont ceux que les membres du comité de sélection avaient en leur possession lorsqu’ils ont décidé d’exclure la candidature du plaignant, et sont pertinents aux conclusions qu’ils ont tirées quant à ses qualifications et à ses aptitudes à l’égard de ce poste. Par exemple, si les candidats qui auraient dû tomber sous le coup de la restriction d’admissibilité ont tout de même passé une entrevue et se sont vu offrir ensuite des postes pour une période indéterminée, cela mettrait en doute la bonne foi de la décision d’exclure le plaignant sur la base de cette restriction, une fois qu’il a été reconnu comme un homme de couleur de taille forte. D’autre part, l’âge et les qualifications de ces candidats seraient pertinents aux questions en litige, le plaignant ayant allégué que l’employeur refusait systématiquement de lui accorder un poste pour une période indéterminée et lui préférait des candidats plus jeunes et moins qualifiés ».

[13]  Le plaignant prétend en outre que, bien que tous les documents concernant l’usage par le comité de sélection de la restriction d’admissibilité soient pertinents, il n’en demande qu’une partie. Plus précisément, si l’on se reporte aux documents déjà divulgués par l’intimée, ils visent en général, les documents  des candidats qui semblent avoir passé une entrevue dans le cadre du processus de Vancouver 1002 pendant la période visée par la restriction d’admissibilité.

[14]  Deuxièmement, le plaignant soutient qu’il a soulevé la question de l’âge comme motif de discrimination en raison du programme de transition des étudiants de l’intimée, lequel offrirait des possibilités d’embauche préférentielles à des candidats plus jeunes et moins qualifiés que lui. À ce titre, le plaignant affirme que les documents relatifs au programme de transition des étudiants sont potentiellement pertinents à l’égard de la question de savoir si son âge, sa race et sa taille (déficience perçue) sont entrés en ligne de compte dans la décision de l’intimée de l’exclure des processus de sélection.

[15]  Le plaignant avance en outre que la preuve concernant le contexte dans lequel la décision de l’exclure a été prise doit être minutieusement examinée par le Tribunal, afin de déterminer si de [traduction] « vagues apparences » de discrimination s’en dégagent. Les qualifications des candidats embauchés au moyen du programme de transition des étudiants, en particulier si l’un d’entre eux a été jugé inadmissible dans le cadre du processus de Vancouver PS‑2003‑1002, ainsi que les circonstances de ces embauches, sont directement liées aux questions soulevées en l’espèce et, par conséquent, sont potentiellement pertinentes. Par conséquent, le plaignant demande les documents concernant l’embauche d’étudiants dans le cadre du programme de transition des étudiants datant de 2004, puisqu’il s’agit de la période qui coïncide supposément avec celle où il a posé sa candidature au processus de sélection en question. Il demande également les documents concernant l’embauche d’étudiants dans le cadre du programme de transition des étudiants du début de 2005, puisqu’il s’agit de la période durant laquelle il aurait dû commencer à occuper un poste pour une période indéterminée s’il n’avait pas été victime de discrimination.

III.  Observations de l’intimée

[16]  L’intimée soutient que les documents demandés ne satisfont pas au critère relatif à la pertinence, puisqu’il n’existe aucun lien rationnel entre ceux-ci et un fait ou une question dans la plainte. Elle ajoute que les documents demandés sont hypothétiques et qu’ils relèvent d’une forme de recherche à l’aveuglette. L’intimée cite également à l’appui de ses observations les motifs que j’ai énoncés dans la décision relative à la production, notamment l’extrait suivant :

[traduction] 29. Comme le Tribunal l’a déjà établi aux paragraphes 30 à 34 de la décision relative à la production, les demandes de document ne doivent pas être conjecturales ni constituer une recherche à l’aveuglette et :

[…] Il doit s’agir de documents probants qui pourraient être pertinents à l’égard d’une question à trancher. Le but est d’empêcher qu’on se lance dans des demandes de production qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires (Guay, précitée, au paragraphe 44).

[32] Le Tribunal a exigé qu’une partie établisse que la divulgation du document sera utile, est appropriée, est susceptible de faire progresser le débat et repose sur un objectif acceptable qu’il cherche à atteindre dans le dossier, et que le document se rapporte au litige (SCEP c Bell Canada, 2005 TCDP 34, au paragraphe 11).

[33] Dans Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, le Tribunal a réitéré que le seuil quant à la pertinence alléguée était peu élevé et que la tendance était maintenant orientée vers une plus grande, et non une moins grande, communication. Toutefois, il a aussi répété qu’il était important que la demande de communication n’équivaille pas à une expédition de pêche (paragraphe 11). Dans sa décision, le Tribunal a aussi précisé que les parties n’avaient pas à créer des documents aux fins de communication (paragraphe 17).

[34] Dans Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

[7] La première étape lorsque l’on tranche la question de savoir si on peut soutenir qu’un document est pertinent consiste à établir les faits qui sont en litige dans l’affaire. La question à poser est la suivante : Quels sont les faits à démontrer pour établir la cause ou se défendre devant le Tribunal? 

[...]

[9] […] La question de la pertinence des documents doit être tranchée au cas par cas, compte tenu des questions soulevées dans chaque affaire […].

[17]  Premièrement, l’intimée soutient que les dossiers de candidats demandés relativement au processus de Vancouver PS‑2003‑1002 n’ont aucune valeur probante. Il s’agissait d’un vaste processus externe de recrutement dans lequel un candidat donné n’était pas en concurrence avec d’autres. Il n’y avait pas de limite quant au nombre de postes disponibles. Le candidat devait seulement établir à la satisfaction du comité de sélection qu’il remplissait les critères d’admissibilité liés au poste. L’accès aux autres dossiers de candidats n’aidera pas le Tribunal à apprécier le processus décisionnel concernant la candidature du plaignant dans le cadre du processus de Vancouver PS‑2003‑1002, ni à déterminer si ses caractéristiques protégées ont joué un rôle dans la décision par laquelle il a été jugé inadmissible par application de la restriction d’admissibilité.

[18]  L’intimée fait également valoir que la production des documents demandés concernant un certain nombre de candidats ayant pris part aux processus de sélection de Vancouver PS‑2003‑1002 et PS‑2001‑1020 (pour lesquels les documents ne sont plus disponibles) n’aidera en rien l’affaire du plaignant. La preuve non contredite établit que l’intimée ne faisait aucun suivi officiel des candidats particuliers évalués d’un processus de sélection à l’autre, des processus de sélection auxquels ils ont participé, ou de la date à laquelle ils ont passé une entrevue dans le cadre d’un concours précis. D’autres candidats ayant participé au processus de Vancouver PS‑2001‑1020 et ayant passé une première entrevue dans le cadre du processus de Vancouver PS‑2003‑1002 ont également été exclus de ce dernier concours, parce qu’ils étaient visés, comme le plaignant, par la restriction d’admissibilité.

[19]  L’intimée soutient par ailleurs que le dossier de candidature de Laura Keble se rapportant aux processus de sélection n’a aucune pertinence, puisqu’elle a été jugée non qualifiée lors du concours de Victoria de 2003 et qu’elle n’a donc pas passé d’entrevue dans le cadre de ce processus. À ce titre, la restriction d’admissibilité ne s’appliquait pas à Mme Keble et cette dernière ne constitue donc pas un élément comparatif approprié.

[20]  Deuxièmement, l’intimée avance que les documents concernant l’embauche d’étudiants dans le cadre du programme de transition des étudiants entre juillet 2004 et mai 2005 ne sont pas probants, puisqu’ils sont postérieurs à la candidature du plaignant dans le cadre des processus de sélection de Victoria et de Vancouver, pour lesquels il a été jugé respectivement non qualifié et inadmissible. À ce titre, ces documents ne relèvent pas de la période durant laquelle les comités de sélection ont pris leurs décisions relativement à ces deux concours, soit entre le 18 décembre 2003 et le 26 avril 2004. De plus, les comités de sélection ne disposaient pas de ces documents lorsqu’ils ont évalué la candidature du plaignant et rendu leurs décisions relativement à l’un et l’autre processus.

IV.  Réplique du plaignant

[21]  Le plaignant soutient que les observations de l’intimée évoquées aux paragraphes 17 et 18, tentent d’avancer des éléments de preuve qui n’ont pas encore été produits devant le Tribunal dans le cadre de l’audience de novo que je dois tenir en vue du réexamen de la présente affaire, conformément à la décision procédurale. Il estime que la mesure dans laquelle d’autres candidats ont été exclus ou pas du processus de sélection de Vancouver 2003‑1002 sur la base de la restriction d’admissibilité est très pertinente  à la question de savoir s’il a été éliminé du processus pour des motifs discriminatoires. Il ajoute qu’en divulguant plus tôt cette année les documents concernant les candidatures exclues du processus 2003‑1002, l’intimée a déjà reconnu que ces documents étaient pertinents.

[22]  Le plaignant soutient par ailleurs que la présentation des observations concernant le dossier de candidature de Laura Keble mentionné au paragraphe 19, constitue une autre tentative de l’intimée de fournir des éléments de preuve dont le Tribunal n’est pas saisi. Il ajoute que la question de l’application de la restriction d’admissibilité doit être tranchée par le Tribunal dans le cadre de l’audience de novo.

[23]  Le plaignant fait également valoir que les documents relatifs à l’embauche des étudiants dans le cadre du programme de transition des étudiants établissent la discrimination systémique et sont hautement pertinents à la question de savoir si un plaignant particulier a été soumis à un traitement différentiel.

V.  Question

[24]  Les documents que le plaignant demande à l’intimée de produire, tels qu’ils sont décrits au paragraphe 5 ci-dessus (à l’exception des documents mentionnés au paragraphe 7 ci-dessus), sont‑ils potentiellement pertinents et faut-il ordonner leur production?

VI.  Principes juridiques applicables

[25]  Dans la décision récente que j’ai rendue dans Egan c. Agence du revenu du Canada, 2017 TCDP 33, aux paragraphes 29 à 32 inclusivement, aux pages 8 et 9, j’ai examiné les principes juridiques applicables en ce qui concerne les requêtes en production et qui s’appliquent également à la présente affaire. Au paragraphe 40 de la page 11 de cette décision, j’ai résumé ainsi ces principes :

[40] Comme il a été mentionné précédemment, la jurisprudence servant à statuer sur les demandes de divulgation se fonde habituellement sur les critères suivants :

• Aux termes de l’article 50(1) de la Loi, les parties à une instance du Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de présenter leur preuve.

• À cette fin, chaque partie a besoin, notamment, que les documents potentiellement pertinents qui se trouvent en la possession ou sous la garde de la partie adverse lui soient divulgués avant l’instruction de l’affaire.

• Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation des documents permet à chacune des parties de connaître la preuve qu’elle doit réfuter et, ainsi, de se préparer adéquatement pour l’audience.

• Pour cette raison, s’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, questions ou formes de redressement demandées par les parties dans l’affaire, le document doit être divulgué aux termes des articles 6(1)d) et 6(1)e) des Règles.

• La partie qui sollicite la divulgation doit démontrer qu’il existe un lien et qu’il s’agit de documents probants et potentiellement pertinents à l’égard d’une question soulevée à l’audience, ce qui ne constitue pas une norme particulièrement élevée.

• La demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche ». Les documents doivent être décrits de manière suffisamment précise.

• La divulgation de documents sans doute pertinents ne signifie pas qu’ils seront admis en preuve à l’audience ou qu’on leur accordera une importance significative dans le processus décisionnel.

[26]  De plus, les paragraphes de la décision relative à la production cités aux paragraphes 9 et 16 ci-dessus s’appliquent également à la présente affaire et doivent être lus conjointement avec les paragraphes 27 à 31 inclusivement, le paragraphe 35 et les paragraphes 36 à 38, inclusivement, de cette décision; ces paragraphes s’appliquent également et fournissent le contexte approprié.

VII.  Analyse

[27]  Comme je l’ai noté précédemment, au paragraphe 40 de la décision relative à la production, j’ai réitéré ce qu’avait souligné pour la première fois la Cour fédérale au sujet de la présente affaire dans Turner c. Canada (P.G.), 2017 CAF 2, au paragraphe 70 : « Le Tribunal n’agit pas à titre de comité de sélection ni n’exerce de compétence en matière d’appel à l’égard de décisions prises par de tels comités. Le Tribunal doit plutôt apprécier le processus de prise de décisions du comité de sélection afin d’établir si les caractéristiques protégées du plaignant, ou une combinaison de celles‑ci, ont joué un rôle dans ce processus de décision. » Comme je l’ai également noté plus haut, j’ai ajouté au paragraphe 41 de la décision relative à la production que : [traduction] « Selon cette perspective, les documents potentiellement pertinents correspondraient à ceux dont disposaient les comités de sélection […] ». En outre, au paragraphe 49 de la même décision j’ai conclu ce qui suit : [traduction] « Le Tribunal est préoccupé par les renseignements dont disposaient les comités de sélection et par toute conclusion qu’ils ont tirée à propos des qualifications et des aptitudes du plaignant […] »

[28]  En somme, j’ai rejeté la requête de l’intimée dans la décision relative à la production, au motif que les documents qu’elle demandait n’auraient pas pu avoir d’effet sur les décisions des comités de sélection visées par la plainte, puisque ceux-ci n’étaient pas en possession des documents et qu’ils en ignoraient le contenu au moment où ils ont pris leur décision. Je m’appuie sur le même raisonnement en l’espèce pour déterminer si les documents demandés sont potentiellement pertinents et doivent être produits.

[29]  En m’appuyant sur ce raisonnement, j’estime que le plaignant a satisfait le critère voulant que les documents qu’il a demandé concernant les processus de sélection soient potentiellement pertinents et doivent être produits par l’intimée. Ces documents étaient en la possession du comité de sélection et celui-ci pouvait en connaître le contenu lorsqu’il a rendu sa décision à l’égard du processus de Vancouver PS‑2003‑1002. En outre, je souscris aux observations du plaignant qu’il existe un lien entre les documents demandés se rapportant aux processus de sélection et les questions soulevées en l’espèce, notamment en ce qui a trait à l’application de la restriction d’admissibilité à l’égard du plaignant ainsi qu’à son rapport avec ses caractéristiques protégées ou une combinaison de celles‑ci, nonobstant les observations de l’intimée quant à la nature du processus suivi dans les processus de sélection.

[30]  En me laissant guider par le même raisonnement, je conclus que le plaignant n’a pas satisfait le critère visant à établir que les documents demandés concernant l’embauche des étudiants dans le cadre du programme de transition des étudiants en 2004 et 2005 sont potentiellement pertinents et qu’ils doivent être produits par l’intimée. Les comités de sélection n’étaient pas en possession de ces documents et en ignoraient donc le contenu lorsqu’ils ont pris leurs décisions, puisqu’ils leur sont postérieurs leurs décisions.

[31]  Pour les motifs énoncés ci-dessus, la requête est accueillie en partie.

VIII.  Ordonnance

[32]  Il est ordonné que l’intimée produise immédiatement tous les documents suivants demandés par le plaignant, à savoir :

  • a) les dossiers d’évaluation se rapportant au processus de sélection 2003‑1712‑PAC‑3961‑1002 pour les candidats suivants : Stephanie King, James Perrin, Cyril Sweetville, Robert Tereposky, Cory Hackett, Betsy Lam, Benjamin Ferguson, Victory Shiu, Dawn Thompson et Leon Van de Ven;

  • b) le dossier de candidature de Laura Kebble se rapportant aux processus de sélection;

  • c) le dossier d’évaluation de Navneet Jhooty se rapportant au processus 2003‑1712‑PAC‑1712‑PAC‑3961‑1002.

Signé par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 17 avril 2018

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1248/6007

Intitulé de la cause : Levan Turner c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 17 avril 2018

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

David Yazbeck, pour le plaignant

Graham Stark, pour l'intimée

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