Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2017 TCDP 37

Date : le 11 décembre 2017

Numéros des dossiers : T1616/16210, T1783/1312

  [TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Ashraf Karimi

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Zayo Canada Inc. (anciennement MTS Allstream Inc.)

l’intimée

Décision

Membre : Susheel Gupta

 



I.  Les plaintes

[1]  Sur le fondement de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), Mme Ashraf Karimi soutient que son employeur, anciennement MTS Allstream Inc., maintenant Zayo Canada Inc. (Zayo), l’a prise à partie et traitée de manière défavorable en raison de son sexe et de sa déficience. L’employeur aurait notamment formulé des critiques injustifiées, lui aurait attribué un imposant volume de tâches, dont des tâches qui dépassaient les limites physiques liées à sa déficience, lui aurait refusé des possibilités de formation et, finalement, l’aurait rétrogradée. Mme Karimi prétend avoir souffert de stress, d’anxiété et de dépression à cause de ce traitement et avoir dû prendre un congé d’invalidité de courte durée à plusieurs reprises. Une fois ses prestations d’invalidité de courte durée épuisées, elle a pris un congé d’invalidité de longue durée. Elle a ensuite tenté de retourner au travail, mais Mme Karimi affirme que Zayo lui a refusé toute forme d’accommodement.

[2]  Mme Karimi soutient également qu’aux termes de l’article 14.1 de la Loi, le fait que Zayo ne soit pas disposée à prendre des mesures d’accommodement aux fins de son retour au travail s’apparente à des représailles en réponse à la plainte qu’elle avait déposée relativement au traitement discriminatoire dont elle aurait été victime en milieu de travail.

[3]  Durant ses observations orales finales, l’avocat de Mme Karimi a soulevé, pour la première fois, une allégation de discrimination fondée sur l’article 10b) de la Loi. Comme ce motif n’avait pas été invoqué dans les plaintes initialement déposées par Mme Karimi et que Zayo n’a pas véritablement eu l’occasion de répondre, le Tribunal estime qu’il serait inapproprié de se prononcer sur cette question. Par conséquent, il n’est pas question de l’allégation de discrimination présentée en application de l’article 10b) de la Loi dans les présents motifs. 

[4]  Pour les motifs qui suivent, je rejette les plaintes de Mme Karimi.

II.  Procédure d’audience

[5]  La présente affaire a d’abord été entendue par l’ancien membre Bélanger. La présentation de la preuve a pris fin le 17 septembre 2014. Des observations finales ont été présentées par écrit et des observations orales finales ont été présentées en avril 2015. Malheureusement, le membre Bélanger est décédé le 27 novembre 2015.

[6]  Peu de temps après le décès du membre Bélanger, le président du Tribunal a communiqué avec les parties pour les en aviser et pour discuter de la poursuite de l’affaire. J’ai ensuite été affecté au dossier et chargé de le mener à terme. Les parties ont alors présenté des observations écrites afin de savoir si le Tribunal devait trancher l’affaire dans le cadre d’une nouvelle audience ou s’il pouvait le faire en se fondant sur le dossier existant. À la réception des observations, une série de conférences téléphoniques de gestion d’instance (les CTGI) ont été tenues avec les parties afin d’en discuter, d’obtenir des précisions et de déterminer la façon de mener cette affaire à terme.

[7]  Avant que le Tribunal ne rende sa décision, les parties ont convenu qu’il n’était pas nécessaire de tenir une nouvelle audition des témoins et que l’affaire devait se poursuivre sur la foi du dossier d’instruction. Les parties ont également convenu que le dossier contiendrait toute la preuve orale présentée à l’audience, toute la preuve (pièces) présentée à l’audience ainsi que toutes les observations, orales et écrites, présentées à ce jour. Par ailleurs, mon examen de la preuve sera fondé sur les transcriptions et les enregistrements audio de l’audience.

[8]  Mme Karimi avait demandé de témoigner à nouveau devant moi, mais cette demande a été rejetée le 30 mai 2016. Les parties avaient convenu de répondre à mes questions ou de me fournir les renseignements nécessaires à l’examen de la preuve, notamment en rappelant un témoin pour qu’il réponde à certaines questions. Elles avaient également convenu que, si un témoin était rappelé, elles auraient l’occasion de lui poser leurs propres questions en lien avec les miennes. Enfin, il a été décidé que les parties pourraient faire des déclarations préliminaires — ce que l’on a appelé une « vue d’ensemble » de l’affaire — avant que j’ouvre l’audience et examine attentivement toute la preuve, y compris les enregistrements audio de l’audience présidée par le membre Bélanger, et les observations écrites déposées par les parties. Les parties ont donc donné cette vue d’ensemble le 26 octobre 2016.

[9]  Malheureusement, les parties n’ont pas pu présenter toutes leurs observations orales finales au membre Bélanger avant son décès. Le 9 novembre 2017, après mon examen du dossier — y compris des enregistrements —, les parties ont convenu qu’aucune autre observation orale n’était nécessaire. Elles ont conclu que les observations écrites qu’elles avaient précédemment déposées étaient suffisantes.

III.  Question préliminaire

[10]  En premier lieu, je dois examiner la lettre que Zayo a envoyée au Tribunal le 8 avril 2015, dans laquelle elle s’oppose aux observations écrites formulées en réplique par Mme Karimi le 31 mars 2015 au motif que la réplique est une façon irrégulière d’amener de nouveaux arguments et de se fonder sur des faits non déposés en preuve.

[11]  Après avoir attentivement examiné le dossier de l’affaire, je souscris à la description que fait Zayo de la réplique de Mme Karimi. Par conséquent, les nouveaux arguments invoqués par Mme Karimi ne seront pas pris en considération puisqu’ils ont été introduits de manière irrégulière dans la réplique. Quoi qu’il en soit, j’estime que les nouveaux arguments présentés dans la réplique ne sont pas pertinents quant au règlement des plaintes. Les répliques fondées sur des faits non étayés par des éléments de preuve qui n’ont pas été versés au dossier, ces répliques ne seront pas pris en considération non plus. Contrairement à ce qu’affirme Mme Karimi dans sa lettre du 14 avril 2015, je ne suis pas convaincu qu’il existe des circonstances exceptionnelles en l’espèce qui justifient l’application de mesures correctives particulières, comme l’indiquent les paragraphes 64 et 69 à 78 de l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2014 TCDP 2 (Société de soutien 2014). Dans l’affaire Société de soutien 2014, l’admissibilité de plus de cinquante mille documents était en cause. Il semble que le Tribunal ait, dans cette affaire, envisagé une mesure corrective principalement à cause du grand volume de documents susceptibles d’être pertinents. De plus, au moment où le Tribunal a pris la mesure corrective dans cette affaire, la présentation de la preuve se poursuivait. Dans la présente affaire, la plaignante demande en quelque sorte au Tribunal de rouvrir la partie de la présentation de la preuve plus de six mois après la clôture de l’enquête. Je remarque également que Mme Karimi semble avoir abandonné la position qu’elle avait prise dans sa lettre du 14 avril 2015 puisqu’elle a récemment convenu que l’affaire devait être jugée sur la foi du dossier seulement (voir par. 7 ci-dessus). En outre, après avoir lu les répliques contestées, j’estime que, même si elles m’avaient été valablement présentées, elles n’auraient eu aucune incidence sur ma décision au sujet des plaintes.

IV.  Les circonstances à l’origine des plaintes

A.  Attitude critique et surveillance de la part du gestionnaire

[12]  L’entreprise maintenant connue sous le nom de Zayo offre des services de communication et des services Internet aux entreprises. Mme Karimi a été embauchée en 2000 en tant que technicienne en communication de niveau 2 (CT) et a travaillé au Service Internet, aussi appelé le Centre d’essais et de mise en service (CEMS) pendant l’audience. De 2000 à 2006, ses évaluations de rendement indiquent qu’elle avait répondu aux attentes. Zayo utilisait un système d’évaluation selon lequel le rendement était faible, adéquat ou élevé et Mme Karimi semble avoir eu un rendement « adéquat » pendant cette période.

[13]  En décembre 2005, M. Paul Picard est devenu le gestionnaire du Service Internet. En avril 2006, Mme Karimi était alors la seule femme qui travaillait au sein de cette équipe. Mme Karimi prétend que c’est à ce moment-là que M. Picard a commencé à la prendre à partie et à critiquer son travail et sa ponctualité de manière injustifiée.

Plaintes des clients

[14]  Mme Karimi a fait référence à trois dossiers clients à l’égard desquels M. Picard lui a ensuite parlé de son rendement. J’ai utilisé des acronymes au lieu de préciser le nom des clients afin de protéger leur droit à la vie privée en tant que tierces parties à l’instance. Les trois incidents se rapportaient à des démarches faites auprès de certains clients, soit FA en février 2006, DEL en mars 2006 et ABXL en mars et avril 2006. Mme Karimi prétend avoir été injustement critiquée pour avoir commis des erreurs ou pour avoir créé des problèmes alors que ces erreurs et problèmes étaient attribuables à d’autres employés ou aux clients eux-mêmes. 

[15]  L’affaire FA découle d’une plainte déposée par le client concernant la configuration et l’installation des services de réseau faites en février 2006. Mme Karimi était l’une des personnes ayant servi le client. Dans un courriel du client, il était sous-entendu que Mme Karimi n’avait pas reçu tous les renseignements relatifs à l’installation dont elle avait besoin pour terminer le travail. Dans ce courriel de FA daté du 23 février 2006, à 23 h 36 (courriel échangé entre deux employés de FA et ensuite transféré à Zayo), il semble que Mme Karimi croyait avoir accompli le travail et en avoir avisé le client, mais qu’elle a été étonnée d’apprendre (du client) qu’il restait encore beaucoup à faire. Le client a affirmé que Mme Karimi s’est alors [traduction] « fâchée » contre lui. L’installation a pris plusieurs heures, au lieu des 30 minutes initialement prévues par Mme Karimi. Le lendemain, un gestionnaire principal de Zayo a écrit à Paul Picard pour lui demander de réunir les renseignements nécessaires afin de pouvoir faire un suivi auprès du client. En outre, le client n’était pas satisfait des coûts d’installation puisque, selon lui, les coûts auraient été moins élevés si Zayo et ses employés avaient été bien préparés et informés de l’étendue de l’installation du service.

[16]  Le lendemain, par courriel, M. Picard a demandé à Mme Karimi de lui faire part de ses commentaires sur ce dossier puisque le client avait affirmé que l’installation aurait pu être mieux gérée. Il ressort de la réponse de Mme Karimi qu’elle croyait que l’installation était réussie puisque le service n’avait pas été interrompu. M. Picard a aussi communiqué avec un collègue de Mme Karimi, qui avait aussi travaillé à l’installation du service. Dans un courriel envoyé à M. Picard, ce collègue a précisé qu’il s’agissait d’un travail très complexe, qu’il n’avait pas travaillé directement avec le client et que, par conséquent, il n’avait aucun commentaire à formuler au sujet de l’opinion qu’avait le client à l’égard du service offert. Il a ajouté qu’il était toujours possible de faire mieux et que l’entreprise pouvait bénéficier des commentaires du client pour essayer d’améliorer la prestation des services.

[17]  M. Picard a répondu au gestionnaire principal pour lui laisser savoir qu’il avait discuté avec Mme Karimi et un autre collègue, qu’il y avait eu des problèmes avec l’installation et que son groupe n’avait pas été mis au courant de tous les changements requis. De plus, M. Picard a ajouté que Mme Karimi pouvait améliorer ses compétences en communication et que cette dernière l’avait elle-même reconnu lors d’une séance d’encadrement. M. Picard a également révélé qu’ils avaient reçu un autre courriel dans lequel le client remerciait Mme Karimi pour son aide et affirmait que tout fonctionnait. Le gestionnaire principal a répondu à M. Picard pour le remercier et a précisé qu’il ne voulait pas punir ou accuser qui que ce soit, mais qu’il souhaitait plutôt profiter de l’occasion pour permettre à tout le monde de s’améliorer.

[18]  Dans son témoignage, M. Picard a affirmé qu’il prenait les plaintes des clients très au sérieux lorsqu’il travaillait là puisque l’entreprise avait connu, et connaissait toujours, une période difficile sur le plan financier et qu’elle ne pouvait pas se permettre de perdre des clients. Il ne se rappelait pas précisément ses rencontres avec Mme Karimi au sujet de cet incident, mais a affirmé qu’il aurait rencontré Mme Karimi dans son bureau à cloisons et qu’il avait l’habitude d’envoyer ensuite un courriel pour confirmer ce qui s’était dit. M. Picard a indiqué que ses responsabilités consistaient notamment à effectuer un suivi auprès des employés sur les plaintes des clients afin de régler les problèmes de rendement, offrir de l’encadrement, superviser et guider les employés et corriger leurs faiblesses. Enfin, aucune autre mesure n’a été prise par suite de l’incident.

[19]  L’affaire DEL est survenue en mars 2006 et concerne un client dont l’installation du service risquait de ne pas pouvoir être terminée à temps par Zayo. Mme Karimi a mentionné cette affaire pour prouver qu’elle avait fait l’objet de critiques injustifiées puisqu’elle avait fait tout ce qu’elle pouvait dans ce dossier et qu’elle n’était pas responsable des erreurs commises. Dans une série de courriels échangés entre M. Picard et Mme Karimi, cette dernière a fait remarquer qu’il y aurait des conséquences pour le client et pour Zayo si le service ne pouvait pas être installé le lendemain. Mme Karimi a demandé à M. Picard de saisir un supérieur de l’affaire puisqu’elle ne croyait pas être autorisée à le faire. M. Picard a proposé à Mme Karimi de transmettre le dossier à qui de droit et lui a ensuite indiqué qui était la personne-ressource. L’échange de courriels s’est poursuivi. Dans l’un de ces courriels, Mme Karimi affirmait qu’elle ne pouvait pas s’en charger puisqu’un dossier doit être transmis d’un gestionnaire à un autre. M. Picard a ensuite demandé à un autre employé de s’occuper du dossier. Le 29 mars 2006, après que M. Picard eut demandé à Mme Karimi de fournir les détails reliés à cette affaire à son collègue, Mme Karimi a écrit que les [traduction] « […] supérieurs d[evaient] exercer des pressions pour obtenir les services d’un technicien ».

[20]  Ensuite, lors d’une discussion avec Mme Karimi, M. Picard a donné ce dossier en exemple pour établir que cette dernière devait améliorer son rendement. Le 12 avril 2006, M. Picard a écrit à Mme Karimi pour faire suite aux discussions qu’ils avaient eues concernant les améliorations qu’elle devait apporter à son rendement. DEL et un autre client (ABXL, dont il est question plus loin) étaient nommés dans le courriel. Plus précisément, M. Picard a inscrit que le rendement de Mme Karimi était inférieur à la norme, qu’elle devait  assumer la responsabilité de ses commandes et communiquer de façon proactive avec les clients et l’équipe des ventes et qu’elle devait s’efforcer de s’améliorer.

[21]  L’incident avec ABXL est survenu en mars et en avril 2006 et concernait une demande de service à la clientèle qui avait été traitée de manière incorrecte par un autre employé de Zayo au moment de la saisie de la commande. Il semble que cet autre employé avait entré le mauvais code ou mal traité le dossier dès le départ, et ne l’avait pas transmis de façon appropriée au CEMS. Par conséquent, l’installation n’allait pas avoir lieu le jour où le client l’avait demandée et en avait besoin. Mme Karimi avait reçu le dossier le 22 mars 2006.

[22]  Mme Karimi a affirmé qu’elle n’était pas responsable des erreurs commises dans ce dossier et que la direction avait commis une erreur en n’accordant pas plus d’attention aux exigences de la commande. M. Picard a déclaré qu’il était préoccupé par le fait que le client avait parlé à Mme Karimi le 30 mars 2006 et que, par conséquent, cette dernière aurait dû mieux s’acquitter de sa tâche qui consistait à garder le client informé de l’état de la demande de service.

[23]  Aucun autre témoin ne s’est exprimé sur la question de savoir si ou comment M. Picard l’a traité différemment de Mme Karimi, pour ce qui concerne des erreurs ou des problèmes survenus dans une installation ou un dossier.

Courriels relatifs à la ponctualité

[24]  Mme Karimi prétend également avoir été prise à partie et souvent critiquée devant d’autres employés en raison de son manque de ponctualité. Selon elle, les autres employés n’ont pas eu à faire face à ce genre de critiques. Au vu de la preuve, M. Picard a écrit à Mme Karimi à deux reprises – le 20 avril 2006 et le 24 avril 2006, après 8 h, le début de sa journée de travail – pour lui signaler qu’elle devait appeler en cas de retard. M. Picard a affirmé qu’il avait l’habitude d’envoyer un courriel après avoir discuté avec un  employé de son rendement. Dans le courriel du 24 avril 2006, M. Picard faisait le point sur la conversation qu’il avait eue avec Mme Karimi ce jour-là et il lui a écrit que s’il lui était impossible d’arriver à 8 h, ils pouvaient en discuter et essayer de modifier son horaire de travail au besoin. M. Picard a affirmé que Mme Karimi était la seule employée censée travailler entre 8 h et 9 h.

[25]  Mme Karimi a répondu à M. Picard par courriel que la conversation du 24 avril 2006 n’avait pas eu lieu en privé, qu’elle se sentait prise à partie en raison de ses retards et que cela avait une incidence sur sa santé. M. Picard lui a répondu le même jour, précisant que leurs discussions avaient eu lieu en privé. M. Picard a affirmé que les autres n’avaient pas pu entendre les discussions tenues dans son bureau à cloisons, même si le volume de la conversation était plus élevé qu’à l’habitude, parce que les cloisons de son bureau étaient plus élevées que les autres, que son bureau était entouré de bureaux vides et que le Service Internet était éloigné des autres.

Autre critique injustifiée alléguée

[26]  Le 12 avril 2006, M. Picard a envoyé un courriel à Mme Karimi dans lequel il décrivait très brièvement un certain nombre de problèmes relatifs au rendement, y compris au fait que Mme Karimi avait été vue endormie à son bureau, ce qui était inacceptable. M. Picard a affirmé qu’il avait trouvé Mme Karimi, les bras croisés et la tête baissée, et qu’elle s’était réveillée en sursaut. Mme Karimi a déclaré qu’elle ne dormait pas, mais qu’elle ne se sentait pas bien. Elle reposait donc sa tête sur ses bras croisés. Ni M. Picard ni la direction n’ont pris d’autres mesures par suite de cet incident.  

[27]  Au cours d’une rencontre survenue le 25 avril 2006, Mme Karimi s’est plainte à M. Picard du traitement qu’il lui réservait. Selon elle, M. Picard lui aurait dit qu’il serait inutile d’aller discuter de ses problèmes liés au travail avec le syndicat. Mme Karimi a déposé un grief auprès de son syndicat. M. Picard a nié avoir suggéré à Mme Karimi de ne pas s’adresser au syndicat. Le grief a été rejeté et le syndicat n’y a pas donné suite.

[28]  Dans un courriel daté du 26 avril 2006, dont l’objet était [traduction] « Comportement nuisible », M. Picard a indiqué à Mme Karimi que la veille, elle avait crié après lui pour la deuxième fois pendant une discussion, qu’il y avait des politiques relatives au respect mutuel et que les cris n’étaient pas acceptables. M. Picard a écrit que les [traduction] « cris » dérangeaient l’équipe, que ce type de comportement avait déjà fait l’objet d’une discussion, que Mme Karimi devait s’efforcer de contrôler sa colère et que, si elle souhaitait discuter calmement, une rencontre pouvait être organisée.

[29]  Un seul témoin se rappelait avoir entendu Mme Karimi et M. Picard crier. M. Muktar était un collègue de Mme Karimi. Il travaillait pour le Service de données alors que Mme Karimi travaillait pour le Service Internet. Les deux groupes relevaient de M. Picard. Le bureau de M. Muktar était celui qui était le plus proche du bureau de M. Picard. M. Muktar a déclaré qu’il se souvenait d’une fois où Mme Karimi était allée dans le bureau de M. Picard et qu’il avait entendu ce dernier crier. En contre‑interrogatoire, il a affirmé que Mme Karimi criait probablement aussi, mais qu’il ne pouvait pas savoir quel était le sujet de la conversation.

[30]  À l’exception de M. Muktar, personne n’a affirmé avoir entendu des cris ou avoir été témoin de discussions excessivement bruyantes entre Mme Karimi et M. Picard.

[31]  Selon Mme Karimi, ses rapports avec M. Picard lui ont fait vivre un grand stress et de l’anxiété et, par conséquent, elle a dû prendre un congé d’invalidité de courte durée de dix jours à compter du 27 avril 2006. Elle est retournée au travail le 8 mai 2006.

B.  Attribution d’un imposant volume de tâches, dont des tâches qui dépassaient les limites physiques liées à la déficience de Mme Karimi

[32]  Mme Karimi prétend qu’à son retour le 8 mai 2006, M. Picard lui a attribué un imposant volume de travail. La preuve déposée à cet égard était un courriel que M. Picard avait envoyé à tous les employés du Service Internet (y compris à Mme Karimi), dans lequel il demandait aux autres membres de l’équipe de remettre à Mme Karimi les dossiers dont elle était responsable, et de lui en indiquer l’état. Il les remerciait ensuite de s’être occupés de ces commandes en plus de leur charge de travail habituelle. Il les remerciait également pour leur travail d’équipe et leur service à la clientèle.

[33]  Mme Karimi a affirmé que ce même après-midi, M. Picard lui a aussi demandé de faire l’inventaire des routeurs, ce qui nécessitait le levage de charges lourdes. Elle ne pouvait pas s’acquitter de cette tâche en raison de ses déficiences physiques, car elle avait une restriction médicale qui limitait ses aptitudes. Cette tâche consistait à aider Peter Allaert, qui avait été le gestionnaire de Mme Karimi de 2002 à 2005 et qui, à ce moment-là, était le gestionnaire principal du Service de fourniture d’accès à Internet. M. Picard lui a dit que la tâche lui revenait puisqu’elle occupait le poste du matin, ce à quoi elle a répondu par courriel qu’elle ne pouvait pas s’acquitter de cette tâche en raison de ses problèmes de dos et de poignets. Elle a précisé que si cette tâche ne nécessitait pas qu’elle soulève de lourds objets, elle se ferait un plaisir d’aider.

[34]  M. Picard ne savait pas que Mme Karimi avait des restrictions médicales. Après avoir reçu le courriel de Mme Karimi, M. Picard a écrit à M. Allaert pour lui demander si un certificat médical avait été versé au dossier et pour savoir quelles étaient les exigences liées au levage de charges pour cette tâche. Le lendemain matin, le 9 mai 2006, M. Picard a aussi écrit au gestionnaire principal des Ressources humaines (RH) pour lui demander si un certificat médical avait été versé au dossier relativement aux problèmes de santé de Mme Karimi. Plus tard ce jour‑là, avant de recevoir l’attestation médicale des RH, M. Picard a écrit à Mme Karimi pour lui donner plus de détails sur les types de routeurs dont devait s’occuper la personne qui travaillait pendant le quart du matin. Ces détails avaient été fournis par M. Allaert. Ce dernier avait également précisé que l’équipement était identique à celui que Mme Karimi était alors appelée à manipuler, et avait envoyé un manuel qui énonce les caractéristiques de chaque type de routeur, y compris la taille et le poids.

[35]  Le 10 mai 2006, M. Picard a reçu la confirmation des RH qu’un certificat médical figurait au dossier de Mme Karimi, selon lequel elle avait certaines restrictions. MM. Picard et Allaert ont déclaré que les routeurs en question étaient identiques à ceux que Mme Karimi fournissait et manipulait depuis 2000. M. Allaert a reconnu que c’est lui qui avait demandé de l’aide et que c’est M. Picard qui avait désigné l’employée. Mme Karimi a affirmé qu’en dépit du fait que M. Picard avait confirmé que son dossier contenait un certificat médical attestant ses capacités physiques restreintes, il lui a tout de même redemandé de participer à l’inventaire des routeurs. Mme Karimi a ajouté que cette tâche était habituellement exécutée par un autre service.

[36]  M. Picard a affirmé que le quart de travail commençant à 8 h était une période moins occupée au centre d’appels et qu’il voulait maintenir la productivité des employés. Il avait choisi Mme Karimi pour participer à l’inventaire des routeurs parce que sa journée de travail commençait à 8 h. Il s’agissait d’une tâche particulière au quart de travail, et non à la personne. Si une autre personne avait occupé ce quart de travail, elle se serait vu attribuer cette tâche.

[37]  Une semaine après, le 16 mai 2006, Mme Karimi et M. Allaert parlaient toujours de la tâche à effectuer. Ce dernier a affirmé qu’il s’assurerait qu’elle n’aurait pas à soulever d’objets lourds et que les routeurs seraient apportés à son bureau et retirés de son bureau. Au final, Mme Karimi a indiqué qu’en raison de sa propre charge de travail, elle ne pouvait pas apporter son aide. Les témoignages de Mme Karimi et de M. Picard ont permis de confirmer que cette dernière ne s’est pas acquittée de la tâche en fin de compte. 

[38]  Le prochain incident à l’origine de l’allégation de discrimination est survenu près d’un an plus tard.

C.  Réaffectation et refus de possibilités de formation

[39]  Le 23 avril 2007, Mme Karimi a été temporairement réaffectée, du Service Internet au Service de la conception. À ce moment-là, elle était la seule employée de sexe féminin dans le Service Internet. Zayo prétend que le gestionnaire du Service de la conception, Tim Richardson, a demandé qu’un employé possédant une expérience Internet soit transféré dans son service afin d’offrir une formation par rotation des postes. Des courriels d’Anna Di Nuccio, la directrice de M. Richardson, montrent que certaines responsabilités de l’équipe Internet avaient été transférées à l’équipe de conception de circuit un an auparavant. Au bureau de Calgary, il avait été décidé de former quelqu’un pour faire le travail. Maintenant, l’objectif consistait à harmoniser les opérations du bureau de Toronto avec celles du bureau de Calgary et, de l’avis général, il serait plus facile de faire venir quelqu’un ayant les connaissances et les compétences nécessaires au lieu de former un tout nouvel employé. En outre, cela semblait être une possibilité de perfectionnement intéressante et Mme Karimi semblait être une bonne candidate pour ce poste. Tim Richardson, Peter Allaert, Paul Picard et Anna Di Nuccio ont témoigné au sujet des raisons qui sous-tendent l’affectation, c.-à-d. harmoniser les opérations de Toronto et de Calgary, faire appel aux compétences des membres du Service Internet, élargir la portée des travaux et accroître l’expertise des membres du Service de la conception et offrir aux employés une formation par rotation de postes. Comme Mme Karimi avait exprimé le désir de perfectionner ses compétences, il a été décidé de lui offrir la possibilité d’être temporairement réaffectée au Service de la conception. Selon Zayo, Mme Karimi n’était pas tenue d’accepter la réaffectation temporaire, mais cette dernière a volontairement accepté l’offre, avec son syndicat.

[40]  Mme Karimi a envoyé un courriel à ses représentants syndicaux pour leur faire part de certaines préoccupations quant à la réaffectation, mais elle leur a demandé de ne pas transmettre l’information à la direction puisqu’elle ne voulait pas donner l’impression qu’elle avait été obligée d’accepter le poste. Elle a précisé qu’elle accepterait l’offre. Un représentant syndical a fait savoir à la direction de façon non officielle que Mme Karimi ne souhaitait pas accroître ses compétences, mais le syndicat et Mme Karimi n’ont pris aucune autre mesure pour discuter avec la direction de Zayo. Par conséquent, Mme Karimi n’a jamais informé la direction qu’elle ne voulait pas être temporairement réaffectée. 

[41]  Selon Mme Karimi, il est énoncé dans sa convention collective que les réaffectations sont fondées sur l’ancienneté. Pourtant, c’est elle que M. Picard a choisie même si elle avait plus d’ancienneté que certains de ses collègues de sexe masculin du Service Internet. Selon le témoignage du délégué syndical Dylan Gadwa et la preuve documentaire des représentants syndicaux Camilla Leblanc et Ken Burton, la convention collective ne prévoyait aucun critère d’ancienneté en ce qui concerne les affectations temporaires. La preuve documentaire était composée de courriels échangés entre Mme Karimi et ses représentants syndicaux, dans lesquels ils interprétaient les dispositions applicables de la convention collective. M. Gadwa était également un collègue de Mme Karimi, nommé au sein de la même classification professionnelle et au sein du même groupe de travail.

[42]  Mme Karimi se préoccupait de ses droits et de son niveau d’ancienneté, en cas de mises à pied dans le Service de la conception. Elle a sollicité l’aide de son syndicat pour confirmer ses droits. Zayo prétend que les RH ont clairement dit à Mme Karimi que la réaffectation était temporaire et qu’elle faisait toujours partie du Service Internet. Zayo a également confirmé que s’il y avait une restructuration, comme des mises à pied dans le Service de la conception, Mme Karimi retournerait à son poste et à son service d’attache. Mme Karimi s’inquiétait aussi du fait qu’elle aurait moins d’ancienneté dans le Service de la conception puisqu’elle venait de se joindre au groupe.

[43]  Selon Mme Karimi, M. Picard lui a dit que, lors de sa réaffectation, ses compétences seraient mises en application et qu’elle aurait accès à des possibilités de formation et de développement. Cependant, elle prétend s’être vu attribuer des tâches ne nécessitant aucune compétence précise et refuser des possibilités de formation qui étaient offertes à ses collègues de sexe masculin. Plus précisément, elle soutient que ses collègues du Service Internet avaient reçu une formation supplémentaire, qu’elle a manqué parce qu’elle était alors dans le Service de la conception. De plus, elle estime ne pas avoir eu une formation équivalente à celle suivie par ses collègues de sexe masculin du Service de la conception.

[44]  Zayo soutient que la raison pour laquelle Mme Karimi n’a pas bénéficié d’une formation officielle ou de cours de formation était qu’elle devait, lors de son affectation temporaire, transmettre ses connaissances en matière d’Internet aux employés du Service de la conception. Cependant, elle a reçu une formation informelle sous la forme d’observation au poste de travail. Zayo soutient également que Mme Karimi souhaitait effectuer un travail de conception plus complexe, mais qu’avant d’apprendre à effectuer des tâches plus complexes, elle devait d’abord maîtriser les tâches moins complexes.

[45]  Tim Richardson a affirmé que la principale méthode de formation utilisée au sein du Service de la conception était l’observation au poste de travail ou la formation côte à côte. Aucun programme de formation officiel ni aucune série de cours ne devait être suivi pour travailler dans le Service de la conception. Il arrivait à l’occasion qu’un cours soit offert lorsqu’une nouvelle technologie ou un nouveau produit faisait son apparition. M. Richardson a ajouté que tous les autres employés du Service de la conception auraient reçu la même formation, soit la formation côte à côte. Mme Karimi a affirmé qu’elle n’était pas satisfaite de ce genre de formation et qu’elle préférait suivre des cours donnés par un instructeur ou des cours sanctionnés par un certificat. Elle avait de la difficulté à apprendre en passant du temps avec des collègues. Cela étant dit, les parties n’ont pu fournir aucun élément de preuve quant à une formation qui aurait été offerte aux autres employés du Service de la conception, soit avant l’arrivée de Mme Karimi ou pendant son affectation, et qui aurait été refusée à cette dernière. Une preuve non contredite a été présentée à l’audience pour démontrer que Mme Karimi avait reçu la même formation que tout autre employé du service, qu’il fasse déjà partie de l’équipe ou non.

D.  Rétrogradation/rééquilibrage

[46]  Mme Karimi soutient avoir été rétrogradée à un poste de technicienne en communication de niveau 1 le 28 novembre 2007. Zayo a décrit cela comme un rééquilibrage des effectifs. Mme Karimi prétend que, selon l’ordre d’ancienneté, des collègues de sexe masculin ayant moins d’expérience auraient dû être rétrogradés avant elle.

[47]  Selon Zayo, les changements apportés étaient une forme de « rééquilibrage », lequel a été effectué en vertu de la convention collective. Ce rééquilibrage avait été annoncé au Service Internet dans un courriel daté du 14 novembre 2007. Dans le cadre du rééquilibrage, deux employés ont été transférés du Service Internet au Service de la gestion des commandes parce que ce service avait besoin de plus de ressources. Conformément aux dispositions de la convention collective, en l’absence de volontaires, les employés débutants (ceux ayant le moins d’ancienneté) du service visé étaient transférés dans un autre service. Mme Karimi et un collègue de sexe masculin ont été transférés puisqu’ils étaient les deux employés ayant le moins d’ancienneté dans le Service Internet. Comme leurs nouvelles tâches étaient d’une classification différente, ils sont passés de CT2 à CT1. Cependant, ils ont bénéficié d’une protection salariale, de sorte que Mme Karimi était toujours rémunérée à titre de CT2.

[48]  Mme Karimi a déposé un grief en ce qui concerne le rééquilibrage, mais le syndicat l’a retiré après en avoir discuté avec Zayo lors d’une rencontre s’inscrivant dans la procédure de règlement des griefs. Le syndicat était convaincu que le rééquilibrage avait été effectué conformément aux dispositions de la convention collective.

[49]  Dans sa plainte, Mme Karimi a affirmé qu’elle devait figurer plus haut sur la liste d’ancienneté et que, par conséquent, elle n’aurait pas dû être transférée, mais dans son témoignage, elle a reconnu qu’elle était un des deux employés ayant le moins d’ancienneté. M. Gadwa, qui était son représentant syndical à l’époque, a confirmé qu’elle était l’un des deux employés ayant le moins d’ancienneté.

[50]  M. Picard a affirmé n’avoir joué aucun rôle dans la décision visant à déterminer qui devait être transféré puisque l’exercice était fondé sur l’ancienneté. Il n’a pas non plus participé au processus décisionnel relatif au rééquilibrage puisque la décision a été prise à un échelon supérieur de la direction de Zayo.

[51]  Jennifer Bazinet, gestionnaire du Service de prestation des services — Données et Internet, a affirmé qu’il y avait eu un rééquilibrage parce que le Service de gestion des commandes allait assumer un plus grand nombre de fonctions, dont certaines avaient jusqu’alors été exécutées par le CEMS. Le Service de gestion des commandes relevait de sa responsabilité. Dans le cadre du rééquilibrage, certaines des tâches accomplies par le CEMS à l’achèvement d’une commande devaient alors être effectuées par le Service de gestion des commandes. Les tâches en question étaient semblables à celles déjà remplies par les gestionnaires de commandes et Zayo estimait qu’il était plus approprié que ces tâches soient toutes accomplies par le Service de la gestion des commandes. Le transfert des tâches, du CEMS au Service de gestion des commandes, nécessitait la restructuration de ces groupes afin d’équilibrer les ressources.

[52]  Après le rééquilibrage, Mme Bazinet est devenue la gestionnaire immédiate de Mme Karimi dans le Service de gestion des commandes. Mme Bazinet a affirmé que Mme Karimi pouvait se montrer réticente et se contredisait parfois lorsqu’il était question de la formation. À certains moments, Mme Karimi prétendait avoir besoin de formation et à d’autres, elle affirmait savoir ce qu’elle faisait et ne pas avoir besoin de formation puisqu’elle avait travaillé au CEMS alors que le Service de gestion des commandes n’existait pas encore et que le CEMS avait exécuté des fonctions semblables. Cependant, Mme Bazinet a ajouté que le travail effectué par le Service de gestion des commandes était différent, que des systèmes différents étaient utilisés, que des méthodes différentes étaient appliquées et que des groupes différents étaient en place. 

[53]  La formation offerte était l’observation au poste de travail ou la formation côte à côte, où un gestionnaire de commandes d’expérience est jumelé avec un gestionnaire moins expérimenté pour effectuer des commandes de base. Ensuite, on augmentait graduellement le nombre de commandes et la complexité des commandes attribuées au nouveau gestionnaire de commandes. Voilà la formation dont bénéficiaient tous les nouveaux gestionnaires de commandes. L’autre employé qui avait été transféré en même temps que Mme Karimi a reçu cette même formation. Mme Bazinet a affirmé qu’il y avait déjà eu un employé du CEMS qui avait été transféré et qui avait pris près d’un an à maîtriser son travail. Mme Karimi progressait lentement comparativement aux autres, selon Mme Bazinet.

[54]  Mme Bazinet a affirmé qu’à divers moments, plusieurs mois après avoir été transférée, Mme Karimi avait demandé que plusieurs commandes soient réattribuées puisqu’elle ne maîtrisait pas les technologies précises utilisées. Mme Bazinet estimait à ce moment-là que Mme Karimi avait accusé un retard dans son apprentissage puisqu’elle travaillait toujours sur les commandes de base. De plus, le volume de commandes attribué à Mme Karimi était minime, comparativement à ce que Mme Bazinet estimait être un volume normal. Enfin, Mme Bazinet a déclaré que Mme Karimi avait commis des erreurs — qualifiées d’erreurs de base liées à la connaissance du travail — dans le traitement de certains dossiers pendant cette période. Mme Bazinet estimait qu’il était décourageant de voir Mme Karimi commettre de telles erreurs deux mois après son transfert.

[55]  Mme Bazinet a affirmé que Mme Karimi a déclaré lors d’une conversation que le travail était en deçà de son niveau de compétence. Mme Bazinet a essayé de faire comprendre à Mme Karimi que la décision relative à son transfert n’était pas personnelle, mais qu’il s’agissait d’une décision opérationnelle.

E.  Absence de mesures d’accommodement et représailles

[56]  Suivant sa rétrogradation et son transfert, Mme Karimi a commencé à ressentir des symptômes de dépression. En avril 2008, ou vers cette date, elle est partie en congé de maladie et, après être brièvement retournée au travail pendant une semaine, elle est repartie en congé d’invalidité de courte durée vers le 8 juillet 2008.

[57]  Au début d’octobre 2008, Mme Karimi a donné à Zayo trois certificats médicaux distincts, lesquels peuvent être résumés de la façon suivante :

  1. un certificat daté de juillet 2008 selon lequel les tâches effectuées par Mme Karimi devaient être modifiées de façon permanente;
  2. un certificat daté du 2 septembre 2008 selon lequel Mme Karimi ne pouvait pas, dans un avenir prévisible, travailler à son lieu de travail habituel;
  3. un certificat du Dr Aaron Malkin daté du 2 octobre 2008 selon lequel Mme Karimi pouvait retourner au travail de façon graduelle à la fin du mois. Selon ce certificat, il était nécessaire que Mme Karimi puisse travailler de la maison afin de retourner travailler.

Zayo s’est fondée sur le certificat le plus récent pour évaluer les mesures d’accommodement possibles et a conclu finalement qu’elle ne pouvait pas permettre à Mme Karimi de travailler de la maison. Elle a continué à recevoir des prestations d’invalidité de courte durée pendant environ 8 mois, jusqu’en mars 2009.

[58]  Zayo a déclaré qu’elle ne pouvait pas accepter la demande de télétravail de Mme Karimi en raison des exigences opérationnelles. Zayo a indiqué que Mme Karimi avait seulement reçu trois mois de formation dans le cadre de ses nouvelles fonctions avant de partir en congé de maladie, ce qui n’était pas suffisant pour lui permettre de travailler de façon indépendante. De plus, elle progressait très lentement.

[59]  M. Van Horne, qui avait occupé divers postes de RH au sein de Zayo, y compris un poste de conseiller en RH et un poste de gestionnaire principal des relations de travail, a témoigné au nom de l’intimée. M. Van Horne a affirmé que la demande de mesures d’accommodement présentée par Mme Karimi ne pouvait pas être acceptée et qu’elle ne répondait pas aux critères de la politique sur le télétravail. Cependant, il a reconnu que la politique sur les mesures d’accommodement en milieu de travail de l’entreprise permettait le télétravail. Les deux politiques étaient distinctes et indépendantes l’une de l’autre.

[60]  Mme Bazinet et M. Van Horne ont discuté de la demande de mesures d’accommodement avant de parler à Mme Karimi. Mme Bazinet a confirmé que Mme Karimi ne répondait pas à quelques-uns des principaux critères de la politique sur le télétravail, comme (i) le fait que l’employé doive être motivé; (ii) le fait que l’employé n’ait pas besoin d’être étroitement supervisé; (iii) le fait que l’employé soit à l’aise de travailler de façon isolée, et; (iv) le fait que le rendement passé et actuel de l’employé réponde aux attentes ou les dépasse. Mme Bazinet a affirmé ce qui suit :

  • Mme Karimi n’était pas en mesure de travailler de façon indépendante sans être étroitement supervisée;
  • Mme Karimi n’avait pas reçu une formation complète;
  • la formation n’était pas donnée en salle de classe puisqu’il s’agissait d’une formation en cours d’emploi, de sorte que Mme Karimi devait se présenter au bureau;
  • la formation nécessitait habituellement 6 mois ou plus;
  • Mme Karimi avait eu des problèmes de rendement au cours des 3 premiers mois et avait besoin du soutien immédiat de ses pairs pour l’aider pendant qu’elle apprenait à effectuer le travail et à gérer les problèmes liés aux commandes susceptibles de survenir.

[61]  Aux termes de la politique sur les mesures d’accommodement en milieu de travail, des critères semblables ont été pris en considération pour arriver à la conclusion que Mme Karimi ne pouvait pas bénéficier de mesures d’accommodement lui permettant de travailler de la maison.

[62]  Pour ces raisons, Zayo a décidé que Mme Karimi ne pouvait pas travailler de la maison.

[63]  De plus, Mme  Bazinet a déclaré que Mme Karimi n’avait pas connu un bon rendement au cours des 3 mois pendant lesquels elle avait travaillé au sein du Service de gestion de commandes. Elle devait apprendre à utiliser de nouveaux systèmes et de nouveaux processus et, même s’ils présentaient certaines similitudes avec ceux utilisés dans son ancien service, ils présentaient aussi de nombreuses différences. Zayo affirme aussi qu’elle ne pouvait pas permettre à Mme Karimi de retourner progressivement à son poste régulier parce qu’au sein du Service de gestion de commandes, les délais étaient très serrés et il y avait un grand risque d’erreurs très coûteuses. Chaque commande était traitée par un employé, qui était alors la seule personne-ressource du client et qui devait être disponible pour corriger les erreurs commises. Les gestionnaires de commandes devaient gérer le dossier du début à la fin. Par conséquent, l’équipe de gestion des commandes ne pouvait pas avoir une employée à temps partiel.

[64]  Le 30 mars 2009, ou vers cette date, Mme Karimi avait épuisé ses prestations d’invalidité de courte durée. Elle a donc présenté une demande de prestations d’invalidité de longue durée. Le 30 mars 2009, Mme Karimi est retournée travailler pour Zayo conformément à un plan de travail individuel/plan de retour au travail élaboré par Great-West Life, lequel devait faire l’objet d’une discussion avec Zayo et d’une approbation de cette dernière. Mme Bazinet n’avait pas prévu le retour au travail de Mme Karimi puisqu’elle n’en avait pas été informée par Great-West Life. Ce n’est qu’au courant de ce même après-midi que Mme Bazinet et un représentant de Great-West Life ont pu avoir une conversation pendant laquelle il a été confirmé que Mme Karimi devait retourner au travail. Mme Bazinet a affirmé ne pas avoir vu le plan de travail individuel ce jour-là. Mme Bazinet, qui était toujours la gestionnaire de Mme Karimi, a offert à celle-ci un travail à court terme qui consistait à nettoyer la base de données informatique, trois jours par semaine, ce qui concordait avec les capacités restreintes de Mme Karimi.  

[65]  Selon Zayo, il s’agissait d’une affectation temporaire visant à répondre, à court terme, aux besoins de Mme Karimi, et non d’une affectation permanente. Zayo prétend que Mme Karimi a accepté cette mesure d’accommodement et qu’elle a effectué le travail sans difficulté apparente. Mme Karimi affirme qu’elle s’est vu attribuer la tâche non spécialisée de faire le ménage des dossiers alors qu’elle aurait pu recevoir de la formation, comme cela était prévu dans son plan de travail individuel/plan de retour au travail. Mme Bazinet a déclaré que cette tâche permettait à Mme Karimi de se refamiliariser avec les divers systèmes et commandes avant de retourner à son poste à temps plein dans le Service de gestion de commandes. Selon Mme Bazinet, pendant son affectation, Mme Karimi devait effectuer exactement le même type de travail qu’un gestionnaire de commandes, mais sans avoir à gérer les délais serrés et les répercussions sur la clientèle. Par conséquent, elle estimait que cette affectation constituait en quelque sorte une formation. Elle a précisé que Mme Karimi ne s’était pas vu attribuer des commandes habituellement confiées à un gestionnaire de commandes parce que celui-ci doit s’occuper des commandes du début à la fin et que les clients et les autres services doivent avoir une seule personne-ressource pour répondre à leurs questions. Cela n’aurait pas été possible si Mme Karimi avait travaillé à temps partiel, quelques heures par jour.

[66]  Le 26 octobre 2009, Mme Bazinet a dit à Mme Karimi qu’elle devait retourner à temps plein la semaine suivante. Zayo avait été avisée par Great-West Life que Mme Karimi n’était plus admissible aux prestations d’invalidité de courte durée et que son état de santé ne suscitait plus de préoccupations justifiant un horaire adapté. Vers cette date, Mme Bazinet a établi qu’il n’y avait plus de tâches de nettoyage informatique à effectuer. La preuve ne précise pas si l’assureur a fourni l’information en premier ou s’il l’a fournie seulement une fois que les tâches liées au ménage des dossiers étaient presque terminées.

[67]  Selon Mme Karimi, elle ne pouvait pas à ce moment-là, physiquement ou mentalement, tolérer de se présenter à son lieu de travail à temps plein. Mme Karimi prétend que ce problème aurait pu être évité si elle avait pu travailler de la maison.

[68]  Le 27 octobre 2009, Mme Karimi, par l’entremise de son avocat, a informé Zayo qu’elle n’était pas en mesure de retourner travailler à temps plein et a fourni la copie d’une note signée par son médecin traitant et datée du 22 octobre 2009, selon lequelle elle [traduction] « […] n’[avait] pas l’état physique ou mental pour retourner travailler à temps plein. Elle dev[ait] partir en congé d’invalidité de longue durée. » Une rencontre a ensuite été organisée entre Mme Karimi, des membres de la direction et des représentants de son syndicat.

[69]  Le 19 novembre 2009, Mme Karimi a rencontré les représentants de Zayo et un représentant de son syndicat. Zayo l’a avisée qu’elle n’allait plus lui permettre de travailler trois jours par semaine, comme elle l’avait fait depuis le 31 mars 2009. Zayo a dit à Mme Karimi qu’elle devait retourner travailler à temps plein à partir du 7 décembre 2009, à défaut de quoi elle ne serait plus autorisée à travailler.

[70]  Comme Mme Karimi cherchait toujours à obtenir des prestations d’invalidité de longue durée (elle interjetait appel de la décision de l’assureur selon laquelle elle n’était pas admissible aux prestations d’invalidité de longue durée), Zayo soutient qu’elle était disposée à lui accorder un congé temporaire sans solde : (i) jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre de sa demande/son appel; (ii) jusqu’à ce qu’elle puisse retourner travailler à temps plein; ou (iii) jusqu’à ce que Zayo puisse trouver un autre poste lui permettant de travailler trois jours par semaine. Afin que Mme Karimi ait un certain revenu pendant le processus d’appel, Zayo l’avait avisée qu’elle pouvait utiliser le solde de son indemnité de congé. Zayo a également mis Mme Karimi en congé payé du 29 décembre 2009 au 1er janvier 2010 pour lui permettre de régler les problèmes liés à ses documents médicaux.

[71]  Zayo affirme avoir activement cherché à prendre des mesures d’accommodement en essayant de trouver un poste adapté pour Mme Karimi. Dans le cadre de ce processus, le 2 décembre 2009, Zayo a offert à Mme Karimi un poste à temps partiel pour lequel elle devait travailler ailleurs (à Etobicoke) en soirée pendant la semaine et la nuit durant la fin de semaine. Du même coup, malgré le fait que Zayo lui avait permis de travailler trois jours par semaine pendant plus de huit mois sans aucun document médical, Mme Karimi a démontré que Zayo lui a demandé de fournir des documents médicaux avant qu’elle ne puisse effectuer d’autres tâches. Selon Mme Karimi, le poste à temps partiel que Zayo lui a offert à Etobicoke n’était qu’une façon peu convaincante de paraître attentionnée. Elle prétend avoir refusé le poste parce que le lieu de travail était loin de chez elle, que ses douleurs au dos l’empêchaient de faire de longs déplacements et que ses troubles du sommeil l’empêchaient de travailler la nuit.

[72]  Selon Zayo, l’offre était une offre légitime visant à permettre à Mme Karimi de travailler à temps partiel et, à sa connaissance, le poste respectait les restrictions d’ordre médical de cette dernière. Quand elle a présenté l’offre, Zayo a demandé à Mme Karimi de lui fournir une attestation médicale selon laquelle elle était capable de travailler, car au vu des renseignements médicaux les plus récents au dossier, soit le certificat médical daté du 22 octobre 2009, elle ne pouvait pas travailler à temps plein et elle devait obtenir un congé d’invalidité de longue durée. Zayo affirme ne pas avoir été en mesure de trouver un autre poste à temps partiel qui respectait les capacités physiques restreintes de Mme Karimi après que cette dernière eut refusé le poste à Etobicoke. Zayo soutient qu’elle ne pouvait donc pas permettre à Mme Karimi de retourner au travail après le 4 décembre 2009 si elle ne fournissait pas un nouveau document médical. Zayo avait convenu de continuer à chercher des postes adaptés aux besoins de Mme Karimi et, si elle en trouvait un, Mme Karimi devrait alors fournir de nouveaux documents médicaux.

[73]  S’agissant de la demande de documents médicaux, Zayo a précisé qu’elle exigeait ces documents parce que Mme Karimi voulait donner suite à sa demande de prestations d’invalidité de longue durée au motif qu’elle était totalement incapable de travailler, tout en demandant des mesures d’accommodement pour pouvoir retourner au travail. Des témoins de Zayo ont affirmé qu’ils n’avaient pas une idée claire de l’employabilité de la plaignante.

[74]  Le 7 décembre 2009, Zayo a avisé Mme Karimi qu’elle recevrait une rémunération  équivalant à trois jours par semaine jusqu’à la fin de l’année 2009 grâce à une combinaison des indemnités de congé annuel et de jour férié. Mme Karimi s’est opposée à cette utilisation de ses indemnités, mais Zayo a indiqué qu’elle n’avait pas son mot à dire et qu’elle n’était pas la bienvenue au travail si elle n’en recevait pas l’autorisation de son médecin. Le 9 décembre 2009 était donc la dernière journée de travail de Mme Karimi et elle est en congé depuis.

[75]  Le 17 décembre 2009, Mme Karimi, par l’entremise de son avocat, a envoyé à Zayo un certificat signé par son médecin, dont voici un extrait :   

[traduction]

Tout d’abord, j’aimerais rappeler ma suggestion du 22 octobre 2009 selon laquelle Mme Karimi devrait être en congé d’invalidité de longue durée. Comme cela semble inacceptable pour l’employeur, je suis disposé à proposer le compromis suivant.

Je suis prêt à accepter que Mme Ashraf Karimi travaille trois jours par semaine, selon un horaire souple, pendant une période d’essai et sous ma supervision, dans un endroit différent de celui de son lieu de travail actuel. Travailler de longues heures à son lieu de travail actuel aurait pour effet d’aggraver son état. Il serait bien de trouver un endroit plus près de chez elle compte tenu de ses capacités physiques restreintes.

[76]  Ryan Stammer, un spécialiste en relations de travail alors à l’emploi de Zayo, travaillait au dossier de Mme Karimi depuis l’été 2009. Il lui incombait de participer à toute décision susceptible de devenir une question de relations de travail, notamment en s’assurant que les mesures prises par les gestionnaires respectaient la convention collective. S’agissant du poste offert à Mme Karimi en décembre 2009, M. Stammer avait pris plusieurs mesures pour trouver un poste adapté, notamment en envoyant des courriels à divers collègues des RH pour leur demander s’ils avaient des postes vacants au sein de leurs unités de travail, s’ils avaient des tâches pouvant être effectuées par une employée en télétravail ou s’ils étaient au courant de diverses tâches inhérentes à plusieurs postes qui pourraient être combinées ou divisées. Il a déclaré qu’il assurait un suivi au moins une fois par semaine pour trouver un poste qui répondrait aux besoins de Mme Karimi, sans succès. Il a attribué une partie de cet échec aux mises à pied ayant eu lieu au sein de l’entreprise dans les mois qui avaient précédé, et donc, au fait qu’il y avait moins de postes vacants.

[77]  M. Van Horne avait témoigné au sujet du nombre d’avis de mise à pied qui avaient été envoyés de la fin de 2008 au début de 2010. Selon lui, beaucoup d’employés ont été mis à pied. Environ 20 %, ou plus, des divers postes CT (CT1 à CT3) ont été éliminés, soit plus de 100 employés. M. Stammer a affirmé qu’il a cessé de chercher des postes adaptés aux besoins de Mme Karimi au-delà de février 2010, quand cette dernière a vu ses prestations d’invalidité rétablies et qu’elle a été jugée admissible au programme d’invalidité de longue durée.

[78]  Le 11 janvier 2010, Mme Karimi a déposé un grief selon lequel elle aurait été victime d’actes persistants de discrimination fondée sur la déficience de la part de Zayo qui aurait refusé de prendre des mesures d’accommodement. Zayo a rejeté le grief à la première étape et le syndicat n’y a pas donné suite à la deuxième étape.  

[79]  En définitive, la demande de prestations d’invalidité de longue durée de Mme Karimi a été approuvée en février 2010, ou vers cette date, rétroactivement au 6 juillet 2009. Depuis, elle reçoit des prestations.

V.  Questions en litige

Les questions dont j’ai été saisi se résument ainsi :

  1. La plaignante a-t-elle été victime de discrimination fondée sur le sexe et/ou la déficience de la part de Zayo, l’intimée, en violation de l’article 7 de la Loi, à la suite du dépôt de sa première plainte?
  2. Si la plaignante établit l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe et/ou la déficience, l’intimée peut-elle prouver que les restrictions contestées découlaient d’exigences professionnelles justifiées (« EPJ ») au sens de l’alinéa 15(1)a) et du paragraphe 15(2) de la Loi?
  3. La plaignante a-t-elle été victime de discrimination fondée sur la déficience de la part de Zayo à la suite du dépôt de sa deuxième plainte?
  4. Si la plaignante établit l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience, l’intimée peut-elle prouver que les restrictions contestées découlaient d’exigences professionnelles justifiées au sens de l’alinéa 15(1)a) et du paragraphe 15(2) de la Loi?
  5. La plaignante a-t-elle fait l’objet de représailles de la part de Zayo au sens de l’article 14.1 de la Loi?

VI.  Cadre juridique

[80]  Il incombe à Mme Karimi d’établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est « […] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé […] » (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, au paragraphe 28, 23 DLR (4th) 321).

[81]  Pour établir une preuve prima facie de discrimination sur le fondement de l’article 7 de la Loi, les plaignants doivent montrer : (1) qu’ils possèdent une caractéristique que la Loi protège contre la discrimination; (2) qu’ils ont subi un effet préjudiciable dans le cadre de leur emploi du fait d’une situation visée par l’article 7 de la Loi; et (3) que la ou les caractéristiques protégées ont joué un rôle dans l’effet préjudiciable (voir Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33, [2012] 3 RCS 360). Les trois éléments doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, aux paragraphes 56 et 65, [2015] 2 RCS 789 (Bombardier)).

[82]  De même, pour établir une preuve prima facie de représailles, les plaignants doivent montrer : (1) qu’ils ont déjà déposé une plainte en matière de droits de la personne sous le régime de la Loi; (2) qu’ils ont subi un effet préjudiciable par suite du dépôt de leur plainte; et (3) que la plainte en matière de droits de la personne a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable subi (voir Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2015 TCDP 14, aux paragraphes 3 à 30 (Société de soutien 2015); et Première Nation Millbrook c. Tabor, 2016 CF 894, aux paragraphes 54 à 64, 270 ACWS (3d) 451 (Tabor CF)).

[83]  Un intimé peut se défendre contre toute allégation de discrimination prima facie en présentant des éléments de preuve démontrant que ses actes n’étaient pas discriminatoires, en se prévalant d’un moyen de défense prévu par la loi et qui justifie son acte discriminatoire, ou les deux (voir Bombardier, au paragraphe 64). En réponse aux allégations de discrimination de Mme Karimi fondées sur le sexe, pendant la période précédant le dépôt de sa demande de mesures d’accommodement, Zayo soutient que ses actes n’étaient pas discriminatoires. S’agissant des allégations de discrimination fondées sur la déficience formulées par Mme Karimi, Zayo affirme n’avoir pris aucune mesure de représailles contre la plaignante et invoque l’alinéa 15(1)a) de la Loi, selon lequel ne constituent pas des actes discriminatoires « les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées ». Le paragraphe 15(2) de la Loi précise également que les faits prévus à l’alinéa 15(1)a) sont des exigences professionnelles justifiées si Zayo démontre que les mesures destinées à répondre aux besoins de Mme Karimi constituent une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

VII.  Analyse

A.  La plaignante a-t-elle été victime de discrimination fondée sur le sexe et/ou la déficience de la part de Zayo, l’intimée, en violation de l’article 7 de la Loi, à la suite du dépôt de sa première plainte?

[84]  Avant d’examiner le bien-fondé de la plainte, le Tribunal souligne l’opinion exprimée par Zayo dans son exposé des précisions (« EDP ») selon laquelle la discrimination fondée sur la déficience n’était pas visée par la première plainte renvoyée au Tribunal. Avant le début de la partie de l’audience réservée à la présentation de la preuve, Zayo a indiqué qu’elle avait l’intention de faire valoir ses arguments dès la première journée de l’audience, ce qu’elle n’a pas fait. Après avoir examiné le formulaire de plainte de Mme Karimi, je suis prêt à accepter qu’il s’agit de discrimination fondée sur la déficience, mais seulement en ce qui a trait à l’incident relatif à l’attribution des tâches à son retour au travail après un congé de maladie et à la tâche liée à l’inventaire des routeurs. Par conséquent, je conclus que, dans ces deux cas, la discrimination fondée sur la déficience a été portée régulièrement devant le Tribunal. Cependant, dans ses conclusions finales, la plaignante n’a souligné que le motif de discrimination fondée sur le sexe. Le Tribunal examinera tout de même la situation en tenant compte tant de la discrimination fondée sur le sexe que de celle fondée sur la déficience.

a.  Attitude critique et surveillance de la part du gestionnaire

[85]  Mme Karimi prétend que, comme elle était la seule employée de sexe féminin dans le Service Internet, M. Picard l’a prise à partie et l’a traitée différemment, notamment en critiquant son rendement et sa ponctualité, en lui attribuant un imposant volume de tâches et en lui refusant des possibilités de formation offertes à ses collègues de sexe masculin. Au final, elle affirme que son sexe a influencé la décision de la réaffecter au Service de la conception et de la rétrograder. En ce qui a trait à sa déficience, Mme Karimi soutient également que M. Picard l’a surchargée de travail et lui a attribué des tâches nécessitant le levage de lourdes charges alors qu’il savait que sa déficience entrave sa capacité d’accomplir de telles tâches.

[86]  Zayo soutient que M. Picard n’a pas injustement critiqué le travail ou la ponctualité de Mme Karimi. Si M. Picard a régulièrement parlé à Mme Karimi du fait qu’elle devait se présenter au travail à l’heure, c’est justement parce qu’elle avait des problèmes de ponctualité. Cela dit, aucune mesure disciplinaire, écrite ou autre, n’a été imposée à Mme Karimi, que ce soit pour des raisons de rendement ou de ponctualité. M. Picard a critiqué son travail et sa ponctualité de manière informelle, comme il l’a fait avec tout autre employé. De façon générale, Zayo affirme que Mme Karimi avait une haute opinion de ses compétences et avait de la difficulté à s’entendre avec ceux — collègues et gestionnaires — qui critiquaient son travail, tant avant qu’après l’arrivée de M. Picard.

[87]  Zayo affirme que d’autres femmes du Service de données relevaient de M. Picard et que le CEMS, le Service de données et le Service Internet travaillaient ensemble. Mais, quel que fût le degré de collaboration de ces deux services, le fait est que d’autres femmes relevaient de M. Picard. Aucune n’a été appelée à témoigner.

[88]  Le sexe est un motif de distinction illicite aux termes de la Loi. Bien que les deux premiers critères soient respectés, le Tribunal estime que Mme Karimi ne s’est pas acquittée de son fardeau de la preuve en ce qui concerne le troisième aspect du critère de la preuve prima facie, c’est-à-dire qu’elle n’a pas établi de lien entre son sexe et le traitement qu’elle a subi.

[89]  Le Tribunal comprend la situation précaire dans laquelle se trouvait Mme Karimi chez Zayo puisqu’elle travaillait pour l’entreprise à un moment où celle-ci subissait une pression économique et faisait l’objet d’une d’importante réorganisation, ce qui l’a obligée à changer de service et à apprendre de nouvelles tâches. Cependant, Mme Karimi n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que son sexe a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Le fait qu’elle ait peut-être été la seule femme à travailler au sein du Service Internet ne remplit pas, en soi ou compte tenu des autres éléments de preuve au dossier, le critère de la prépondérance des probabilités requis pour démontrer que des décisions contraires à ses intérêts ont été prises et que son sexe a constitué un facteur ayant contribué aux effets préjudiciables. Aucun élément de preuve, direct ou indirect, n’a été présenté pour établir que le sexe de Mme Karimi avait joué un rôle dans le traitement différentiel dont elle a fait l’objet.

Plaintes des clients

[90]  En ce qui a trait aux allégations de surveillance inappropriée faite à l’égard du travail de Mme Karimi, plus précisément au sujet des critiques faites à l’égard de son rendement dans les divers dossiers de clients mentionnés précédemment, je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de penser que son sexe a constitué un facteur déterminant dans cette surveillance. Bien que certaines critiques aient été formulées à tort, car il semble que Mme Karimi ne soit pas responsable de certaines des erreurs, je ne dispose d’aucun élément de preuve, outre les sentiments subjectifs de Mme Karimi, démontrant que le sexe de cette dernière ait eu une incidence sur la façon dont M. Picard l’a traitée. Il ressort clairement de la preuve que Mme Karimi avait des problèmes de rendement et que son gestionnaire, M. Picard, avait raison de lui en parler. Par exemple, dans l’affaire DEL, les courriels échangés entre Mme Karimi et M. Picard démontrent qu’elle avait reçu l’autorisation de transmettre le dossier à qui de droit, mais qu’elle était simplement d’avis qu’il aurait été préférable qu’un supérieur exerce de la pression. En fait, Mme Karimi a reconnu dans un courriel envoyé à son syndicat le 13 avril 2006 qu’elle aurait pu transmettre elle-même le dossier, mais qu’elle ne l’avait pas fait parce qu’elle croyait que la demande aurait été traitée plus rapidement si un gestionnaire l’avait envoyée.

[91]  Zayo a expliqué de façon raisonnable pourquoi M. Picard estimait qu’il était important de laisser Mme Karimi savoir que des erreurs avaient été commises dans ces dossiers particuliers et que cela avait entraîné des délais dans la prestation des services aux clients. La preuve constituée de courriels, lesquels reflétaient pleinement les préoccupations des clients, était plutôt claire. Des erreurs avaient été commises, les clients n’étaient pas satisfaits et les préoccupations de ces derniers devaient faire l’objet d’un suivi.

[92]  Zayo a affirmé qu’elle prenait les plaintes des clients très au sérieux puisque d’autres entreprises exerçaient une forte concurrence et qu’il était important d’améliorer le service à la clientèle afin de garder les clients. Après avoir attentivement examiné les courriels échangés entre M. Picard et Mme Karimi, je suis d’avis que les messages envoyés par M. Picard à Mme Karimi ne semblaient pas avoir pour objectif de la blâmer, la punir ou la pénaliser. Au contraire, ces messages visaient à cerner les problèmes afin d’améliorer les pratiques et à s’assurer que les clients avaient vécu une expérience positive. Par exemple, dans l’affaire DEL, après avoir réattribué le dossier à un collègue de Mme Karimi, M. Picard a demandé à cette dernière de lui fournir un résumé des dates importantes afin d’évaluer en quoi le service pouvait être amélioré. Il n’y a eu aucune répercussion pour Mme Karimi et aucune réprimande ne lui a été adressée. 

[93]  En outre, la chaîne de courriels portant sur l’incident FA démontre clairement que M. Picard et le gestionnaire principal responsable des comptes clients voulaient améliorer le service pour l’avenir et non recueillir des renseignements dans le but d’adresser une réprimande. Au final, Zayo n’a pris aucune autre mesure relativement aux problèmes de rendement de Mme Karimi.

Courriels relatifs à la ponctualité

[94]  En ce qui concerne les divers échanges portant sur la ponctualité de Mme Karimi, je ne peux trouver aucun élément de preuve étayant l’allégation selon laquelle M. Picard était critique à l’égard de sa ponctualité à cause de son sexe, en totalité ou en partie. J’estime que M. Picard voulait s’assurer que Mme Karimi était présente au tout début de son quart de travail et qu’un employé pouvait effectuer les tâches requises du Service Internet pendant la période appropriée. Mme Karimi était la seule employée censée travailler entre 8 et 9 h et il devait veiller à ce que quelqu’un puisse répondre aux appels des clients. De plus, M. Picard a indiqué dans un de ses courriels que si une raison impérative empêchait Mme Karimi d’arriver à l’heure au travail, ils pouvaient examiner ensemble la possibilité de modifier son quart de travail, le cas échéant. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour établir que Mme Karimi avait demandé un tel changement. 

[95]  Pendant l’audience, Mme Karimi a demandé que Zayo effectue une recherche dans les courriels de M. Picard pour trouver des courriels semblables qu’il aurait envoyés aux autres employés qui étaient en retard ou avaient des problèmes de ponctualité. Zayo a consenti à la demande et fait une recherche, mais n’a trouvé aucun courriel de ce genre. Zayo a soulevé un certain nombre de raisons pour lesquelles la recherche a été infructueuse, notamment le fait que M. Picard avait cessé de travailler pour Zayo en 2012 et que, selon une politique de l’entreprise, les courriels des anciens employés étaient supprimés dans les trois mois suivant la fin de l’emploi. D’autres explications techniques ont aussi été offertes. Mme Karimi me demande de tirer une conclusion défavorable du fait que la recherche n’a généré aucun résultat, ce que je refuse de faire puisque, selon moi, l’explication de Zayo selon laquelle les courriels n’étaient plus disponibles en raison des politiques de l’entreprise en matière de conservation de l’information était raisonnable. De plus, bien que Zayo n’ait fourni aucun élément de preuve documentaire pour démontrer que d’autres employés avaient reçu des courriels semblables après être arrivés en retard au travail, aucun autre témoin à l’audience n’a contredit le témoignage de M. Picard concernant ses pratiques de communication sur la ponctualité.

[96]  Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la preuve ne permet pas d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la discrimination fondée sur le sexe constituait un facteur dans le traitement défavorable qu’elle aurait subi (Bombardier, aux paragraphes 56, 65).

Autre critique injustifiée alléguée

[97]  En ce qui concerne l’allégation selon laquelle M. Picard aurait tenté de dissuader Mme Karimi de s’adresser à son syndicat, la preuve n’est pas concluante quant à l’exactitude de la description de l’événement faite par Mme Karimi. Au final, elle a déposé un grief, lequel a été rejeté et n’a pas été renvoyé au palier suivant. 

[98]  S’agissant des incidents liés à des comportements nuisibles et à des cris, il ressort de la preuve que les deux parties se sont probablement disputées. M. Picard a invoqué les politiques sur le respect en milieu de travail quand il a envoyé un courriel de suivi à Mme Karimi.

[99]  En ce qui a trait à l’incident à la suite duquel M. Picard a parlé à Mme Karimi du fait qu’elle avait dormi à son bureau, ou qu’elle avait simplement posé sa tête sur ses bras, M. Picard a eu raison de traiter l’incident comme un problème de rendement.

[100]  J’ai examiné tous ces incidents liés à un traitement critique de manière individuelle, mais aussi de manière collective, et je ne peux conclure que le sexe constituait un facteur dans le traitement que Mme Karimi a reçu de la part de M. Picard.

[101]  Il est bien possible que M. Picard et Mme Karimi ne s’aimaient pas, ou que l’un ou l’autre, ou les deux, avaient des difficultés à entrer en relation avec l’autre, mais rien ne me porte à croire que ces problèmes étaient liés à des motifs de discrimination. 

b.  Réaffectation et refus de possibilités de formation

[102]  Le Tribunal fait remarquer encore une fois que la plainte initiale et l’EDP de Mme Karimi qualifiaient de discrimination fondée sur le sexe le refus des possibilités de formation. Cependant, dans ses observations finales, Mme Karimi a affirmé que ce refus était seulement attribuable à sa déficience et au fait que l’employeur ne voulait pas donner une suite favorable à une partie de ses besoins exposés dans sa deuxième plainte. Le Tribunal a tout de même examiné si Mme Karimi s’était vu refuser de la formation en raison de son sexe et de sa déficience alors qu’elle travaillait au sein du Service de la conception.

[103]  En ce qui concerne la réaffectation de Mme Karimi au Service de la conception, j’estime qu’il n’y a aucune preuve que la décision a été prise en fonction du sexe de cette dernière. Mme Karimi a appelé un témoin, Ian Cameron, pour qu’il témoigne sur la question de savoir si la convention collective avait été bien appliquée, mais j’accorde peu d’importance à ce témoignage. M. Cameron n’était pas directement impliqué dans les événements à l’origine des plaintes de Mme Karimi, il ne connaissait pas tous les faits pour évaluer la situation et il ne traitait pas les griefs portant sur l’interprétation des dispositions de la convention collective. Ce témoin a finalement reconnu que l’ancienneté n’était pas prise en compte quand venait le temps d’affecter temporairement un employé à un autre service. De plus, la preuve présentée quant aux communications entre le vice-président du syndicat et un gestionnaire principal des relations de travail démontre que les dispositions appropriées ont été appliquées et que l’ancienneté ne constituait pas un facteur dans le choix de l’employé temporairement réaffecté au Service de la conception. J’admets donc que les règles établies dans la convention collective ont été suivies.

[104]  Zayo a produit une preuve convaincante des arguments opérationnels qui sous‑tendent la décision, comme il est indiqué au paragraphe 39 ci-dessus. De plus, Mme Karimi a eu l’occasion de s’opposer à la réaffectation. Or, elle n’a pas exprimé ses objections de façon claire et non équivoque. Un représentant du syndicat a officieusement informé la direction que Mme Karimi n’était pas intéressée par la réaffectation, mais cette dernière n’en a pas officiellement informé la direction et n’a pas demandé au syndicat de prendre des mesures officielles pour déposer un grief. Au contraire, Mme Karimi a indiqué à M. Picard qu’elle se réjouissait de cette réaffectation, comme le prouve un courriel qu’elle lui a envoyé et qui précisait qu’elle [traduction] « appréciait la possibilité d’apprentissage ». Comme il a déjà été mentionné, il incombe à la plaignante de démontrer que la discrimination fondée sur le sexe constituait un facteur déterminant dans la décision de l’affecter temporairement au Service de la conception. Ce lien n’a pas été établi en l’espèce.

[105]  J’estime que Mme Karimi ne s’est pas vu refuser des possibilités de formation pendant qu’elle travaillait dans le Service de la conception pour des raisons liées à son sexe ou à sa déficience. Il ressort clairement de la preuve que Mme Karimi a été formée de la même façon que les autres employés du service. Rien n’indique que de la formation a été offerte aux autres employés du service alors qu’elle a été refusée à Mme Karimi. La preuve a révélé que la méthode de formation ne plaisait pas à Mme Karimi, mais rien ne permet de croire qu’elle s’est vu refuser la formation nécessaire à l’accomplissement de ses tâches dans le Service de la conception, et ce, en raison de son sexe. 

[106]  Pendant l’affectation temporaire de Mme Karimi au Service de la conception, elle était, à toutes fins utiles, un membre de ce service. Par conséquent, si de la formation avait été offerte à ses collègues du Service Internet, elle n’y aurait pas participé. Mme Karimi n’a fourni aucun élément de preuve pour démontrer quelles formations, le cas échéant, elle aurait manquées et quelles ont été les répercussions possibles sur elle. En conséquence, je conclus que, pendant l’affectation, elle n’a subi aucun effet préjudiciable sous forme de formation manquée.

c.  Rétrogradation et rééquilibrage

[107]  Mme Karimi a admis qu’elle était l’un des deux employés ayant le moins d’ancienneté dans le Service Internet et que, par conséquent, elle a été visée, à juste titre aux termes de la convention collective, par le rééquilibrage effectué par Zayo.

[108]  J’accepte l’explication de Zayo selon laquelle le personnel avait été rééquilibré pour des raisons liées à la restructuration des activités opérationnelles. Dans l’avis, il était indiqué que quatre employés devaient être transférés. Il était facile d’identifier les deux premiers employés puisqu’ils étaient les derniers sur la liste d’ancienneté (Mme Karimi et un collègue de sexe masculin). MM. Picard et Van Horne ont parlé de transférer deux autres employés (employés 3 et 4), mais cette discussion ne concernait pas du tout Mme Karimi. Par conséquent, je conclus que la plaignante n’a pas réussi à démontrer que le sexe avait été pris en considération lorsque Zayo a pris la décision de restructurer ses activités, ce qui a nécessairement entraîné le rééquilibrage des employés (Mme Karimi et un collègue de sexe masculin ont été transférés), y compris la fusion de divers groupes.

d.  Attribution d’un imposant volume de tâches, dont des tâches qui dépassaient les capacités physiques liées à la déficience de Mme Karimi

[109]  En ce qui concerne le travail qui a été attribué à Mme Karimi à son retour au travail le 8 mai 2006, je ne vois rien d’inapproprié dans le fait que M. Picard ait redonné à Mme Karimi ses dossiers. Rien n’indique que Mme Karimi se soit vu attribuer plus de dossiers qu’à l’habitude, ou plus de dossiers que les autres employés. Elle a simplement récupéré ses propres dossiers à son retour au travail. Il n’y avait rien d’arbitraire, de punitif ou de malveillant dans le fait de lui retourner ses dossiers. Mme Karimi a affirmé se sentir dépassée par les tâches à accomplir, mais rien ne démontre qu’elle ait exigé ou demandé un retour au travail progressif ou qu’elle présentait de nouvelles capacités restreintes susceptibles de nuire à son travail. Encore une fois, je ne vois aucun lien entre le sexe ou la déficience de Mme Karimi et le fait qu’elle ait récupéré ses dossiers à son retour au travail après son congé de maladie.

[110]  Mme Karimi affirme avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe et sur la déficience puisqu’elle s’est vu attribuer l’inventaire des routeurs, mais, selon moi, elle n’a pas démontré avoir subi un effet préjudiciable à cause de cette tâche. Au final, elle n’a pas réalisé la tâche et elle n’en a pas non plus été obligée. 

[111]  Il est évident que Mme Karimi avait besoin de mesures d’accommodement en raison de son état de santé (des douleurs au dos et au poignet qui l’empêchent de soulever des charges lourdes). Zayo a fourni des explications raisonnables pour justifier le fait qu’on avait demandé à Mme Karimi de faire l’inventaire des routeurs, à savoir que la tâche devait être effectuée pendant son quart de travail et que Mme Karimi était la seule personne qui travaillait pendant ce quart. De plus, une fois que M. Picard a été avisé du fait que Mme Karimi avait besoin de mesures d’accommodement et qu’il en a reçu la confirmation, il a tenté de répondre à ses besoins. Il a vérifié les manuels des routeurs pour s’assurer que leur poids était semblable à celui des routeurs dont s’occupait déjà Mme Karimi. Enfin, M. Allaert a pris des mesures pour s’assurer qu’elle pouvait s’acquitter de cette tâche sans soulever de lourdes charges puisqu’il avait trouvé quelqu’un pour lui apporter les routeurs et les sortir de son bureau après leur configuration.

[112]  J’accepte les témoignages de MM. Picard et Allaert selon lesquels la tâche avait été attribuée à Mme Karimi parce qu’elle devait être effectuée pendant son quart de travail. Cependant, Mme Karimi a affirmé que le début de son quart de travail était une période fort occupée puisqu’elle était alors la seule employée à travailler. J’accepte la preuve présentée par Zayo selon laquelle cette période n’était pas particulièrement occupée et que l’employée recevait peu d’appels de clients. Autrement, j’imagine que Zayo aurait affecté plus d’employés à ce quart de travail. De plus, les courriels envoyés à ce moment-là démontraient que Mme Karimi avait invoqué ses capacités physiques restreintes pour justifier qu’elle n’était pas en mesure d’accomplir la tâche. En fait, elle avait indiqué qu’elle aurait aimé y contribuer mais ses capacités physiques restreintes l’en empêchaient. Compte tenu de ce qui précède, j’estime que rien n’indiquait que Mme Karimi avait reçu un traitement préjudiciable en raison de sa déficience. Par ailleurs, MM. Picard et Allaert n’ont rien dit ou fait, directement ou indirectement, qui donnerait à penser que Mme Karimi avait été appelée à effectuer la tâche en raison de son sexe. Au final, ce qui manque en l’espèce, c’est la preuve que Mme Karimi a subi un effet préjudiciable puisqu’elle n’a jamais accompli la tâche et qu’elle n’a pas subi un effet préjudiciable du fait qu’elle ne l’a pas exécutée.

B.  La plaignante a-t-elle été victime de discrimination fondée sur sa déficience de la part de Zayo à la suite du dépôt de sa deuxième plainte?

[113]  En ce qui a trait à l’aspect « déficience » de la plainte de Mme Karimi, il a été établi que cette dernière présentait une autre déficience, soit la dépression, et cela n’a pas été contesté. Elle a subi un effet préjudiciable du fait qu’elle n’a pas été autorisée à travailler de la maison après en avoir fait la demande en 2008 et qu’il lui a ensuite été interdit de continuer à travailler après novembre 2009. En dépit de ses demandes de mesures d’accommodement, elle n’a pas pu retourner travailler. Par conséquent, je conclus que Mme Karimi s’est acquittée de son fardeau de preuve prima facie puisque sa déficience avait contribué au traitement préjudiciable qu’elle avait reçu.

C.  Si la plaignante établit l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience, l’intimée peut-elle prouver que les restrictions contestées découlaient d’exigences professionnelles justifiées au sens de l’alinéa 15(1)a) et du paragraphe 15(2) de la Loi?

[114]  Pour établir l’existence d’une EPJ et d’une contrainte excessive correspondante, Zayo doit, selon la prépondérance des probabilités, prouver (i) qu’elle a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause; (ii) qu’elle a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail; et (iii) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive (Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3, au paragraphe 54). La Cour suprême du Canada a précisé dans l’arrêt Hydro‑Québec cSyndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ), 2008 CSC 43, au paragraphe 16, [2008] 2 RCS 561 (Hydro‑Québec), que la norme n’est pas l’impossibilité :

Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

[115]  De plus, dans l’affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131, au paragraphe 21, [2015] 3 RCF 103 (Cruden), la Cour d’appel fédérale a précisé que la Loi ne confère aucun droit procédural distinct en matière d’accommodement.

[116]  La plaignante soutient que la politique sur le télétravail et, plus précisément, le critère selon lequel l’employé doit avoir deux ans d’expérience dans un poste avant de pouvoir travailler de la maison, est la norme qu’il convient d’évaluer. Je ne suis pas d’accord. Le télétravail est une mesure d’accommodement et, par conséquent, j’estime que la norme qu’il faut évaluer est celle selon laquelle Zayo oblige les gestionnaires de commandes à faire la formation et à travailler au bureau.

[117]  Je conclus que la norme adoptée par Zayo, selon laquelle les gestionnaires de commandes doivent faire leur formation et travailler au bureau, est rationnellement liée à l’exécution du travail en cause, en ce que qu’elle vise à minimiser les erreurs susceptibles d’être coûteuses. Zayo croyait que les gestionnaires de commandes avaient besoin de formation, de conseils et de soutien de la part de leurs collègues du Service de gestion des commandes et qu’ils pouvaient recevoir tout cela qu’en étant au travail, dans les bureaux de Zayo, compte tenu de la nature et du rythme du travail. L’objectif de Zayo consistait à minimiser les erreurs dans les services offerts aux clients et dans les commandes pendant la formation de nouveaux employés. Les gestionnaires de commandes étaient formés en travaillant à des dossiers actifs, et non à de vieux dossiers ou à des dossiers clos.

[118]  J’estime par ailleurs que Zayo a adopté la norme de bonne foi. Le travail des gestionnaires de commandes ressemble à celui effectué dans un centre d’appels. Les gestionnaires de commandes répondent aux appels des clients, vérifient les divers logiciels, consignent les commandes, inscrivent des notes, coordonnent les tâches et les répartissent entre les divers services de Zayo et configurent le matériel et les logiciels. De nombreux problèmes peuvent survenir dans le cadre d’une commande et ce n’est qu’après avoir travaillé et bénéficié du soutien de leurs collègues que les gestionnaires de commandes deviennent suffisamment compétents pour accomplir le travail par eux-mêmes. D’après l’expérience de Mme Bazinet, il faut au moins six mois pour qu’un employé comprenne bien tous les problèmes qu’il peut rencontrer dans le cadre de son travail. Dans certains cas, il faut deux ans pour que l’employé s’initie à son rôle et devienne autonome. La durée de la formation n’est pas établie. La formation d’un gestionnaire de commandes consiste principalement à apprendre aux côtés d’un autre gestionnaire. De plus, si la plaignante avait travaillé chez elle, à l’extérieur des bureaux, elle n’aurait pas pu se tourner vers un collègue pour simplement lui demander de l’aide si un problème était survenu pendant qu’elle était au téléphone avec un client ou un technicien. Le Tribunal accepte le témoignage non contredit de Mme Bazinet selon lequel cet aspect de l’environnement de travail était essentiel à l’exécution des tâches. Dans bien des cas, les commandes des clients doivent être traitées dans des délais serrés et les clients veulent habituellement parler au gestionnaire de commandes qui s’occupe de leur commande du début à la fin afin de minimiser les erreurs et assurer un service fonctionnel. Les clients commerciaux dont les commandes n’ont pas été bien traitées ou dont les connexions n’ont pas été entretenues convenablement risquent de perdre des revenus s’ils n’ont pas les services Internet nécessaires pour mener leurs activités. Certaines entreprises avaient menacé de poursuivre Zayo pour les erreurs qu’elle avait commises.

[119]  Plus particulièrement, au cours des quelques mois où Mme Karimi s’initiait à son nouveau rôle de gestionnaire de commandes, Zayo était d’avis qu’elle faisait de lents progrès dans le cadre de sa formation. Selon Mme Bazinet, la plaignante faisait encore des erreurs de base, ne s’occupait toujours pas de dossiers plus complexes et n’avait pas atteint un niveau de compréhension où elle pouvait gérer ses dossiers par elle-même, avec un minimum de soutien ou sans supervision directe. Mme Bazinet a aussi présenté des éléments de preuve détaillés quant aux erreurs commises par Mme Karimi, selon lesquels cette dernière était incapable d’accomplir son travail de façon efficace et qu’elle avait besoin du soutien et de la supervision de ses collègues. Le Tribunal estime qu’il n’y a aucune raison de croire que Mme Karimi fournirait un meilleur rendement en travaillant de la maison, sans le soutien et la supervision dont elle bénéficie en travaillant dans les bureaux de Zayo. Mme Bazinet a affirmé que Mme Karimi n’aurait pas pu recevoir le soutien de ses pairs si elle avait travaillé de la maison, car les autres gestionnaires de commandes auraient pu être occupés à répondre à des appels au moment où elle leur aurait demandé de l’aide par courriel ou par téléphone. Par conséquent, Zayo s’est penchée sur la question de savoir si Mme Karimi pouvait recevoir sa formation à la maison et travailler en tant que gestionnaire de commandes à partir de la maison. Mme Karimi n’a fourni aucun élément de preuve qui allait à l’encontre de l’évaluation faite par Mme Bazinet de son rendement, ou qui contestait d’autres aspects du témoignage de Mme Bazinet.

[120]  Certains éléments de preuve ont été présentés selon lesquels un autre employé du Service de gestion de commandes travaillait de la maison, mais les circonstances étaient complètement différentes. Mme Bazinet a témoigné au sujet de cet employé. Elle a indiqué qu’il s’agissait d’un gestionnaire expérimenté qui avait travaillé au sein du groupe et avec les systèmes de gestion de commandes pendant une dizaine d’années. L’employé travaillait au sein du Service de gestion des commandes, mais son travail était distinct et très différent de celui des autres gestionnaires. Il était un expert sur une tâche particulière puisqu’il l’avait exécutée pendant de nombreuses années. Il ne s’agissait pas d’un nouvel employé qui avait besoin de formation, de conseils et de soutien pour accomplir les tâches requises. De plus, en 2008, on a tenté de former un employé à travailler de la maison et à exécuter certaines tâches réalisées par Mme Karimi et d’autres gestionnaires de commandes. Or, l’employé a jugé qu’il était trop difficile de faire la formation de la maison et, par conséquent, la formation a été abandonnée.

[121]  À ce moment-là, Zayo n’a pas cherché à répondre aux besoins de Mme Karimi en lui trouvant un autre poste ou en l’envoyant travailler dans d’autres bureaux puisqu’il était clairement indiqué sur le certificat médical le plus récent, daté du 2 octobre 2008, qu’elle devait travailler de la maison pour pouvoir retourner graduellement au travail.

[122]  Compte tenu de ce qui précède, j’estime que Zayo s’est acquitté de son fardeau en démontrant que le fait d’obliger les gestionnaires de commandes à travailler dans les bureaux de l’entreprise et à y recevoir la formation était raisonnablement nécessaire à la réalisation de son but légitime lié au travail, soit de minimiser les erreurs (et les coûts liés à ces erreurs) et d’aider les gestionnaires de commandes à gagner de l’expérience. Par conséquent, j’estime que Zayo aurait subi une contrainte excessive si elle avait permis à Mme Karimi de recevoir sa formation chez elle et de travailler de chez elle en tant que gestionnaire de commandes.

[123]  Après que Zayo eut avisé Mme Karimi qu’elle ne pouvait pas lui permettre de travailler de la maison en tant que gestionnaire de commandes, Mme Karimi n’a pas envoyé d’autres messages à Zayo. Dans le cadre du processus d’accommodement, toutes les parties concernées, soit l’employée et l’employeur (et peut-être le syndicat, ce que les parties n’ont jamais contesté), doivent prendre part à des discussions sur les besoins, les restrictions et les solutions. Mme Karimi a affirmé que Zayo devait explorer les autres mesures d’accommodement possibles, y compris la question de savoir si elle pouvait travailler à partir d’un autre endroit ou être transférée à un autre poste. Le Tribunal rejette cet argument parce que le fait d’envoyer Mme Karimi travailler dans un autre endroit (autre que son domicile) allait à l’encontre de la restriction médicale que son médecin avait formulée à l’intention de Zayo. Si la situation de Mme Karimi avait changé au point où elle aurait été en mesure de travailler à partir d’un autre endroit ou dans un autre poste, l’obligation d’accommodement de Zayo aurait peut-être alors été déclenchée. Ce n’est tout simplement pas le cas en l’espèce.  

[124]  Au final, Mme Karimi a continué de recevoir des prestations d’invalidité une fois sa demande de télétravail refusée. Great-West Life a élaboré le plan de travail individuel/plan de retour au travail avant qu’elle ne retourne au travail le 30 mars 2009. Mme Karimi a pris contact avec Zayo seulement en mars 2009, quand elle est retournée travailler de façon graduelle, soit trois jours par semaine conformément aux conditions du plan de travail individuel/plan de retour au travail.

[125]  Selon le Tribunal, lorsque Mme Karimi a repris graduellement le travail alors qu’elle avait des restrictions médicales, Zayo a fait tout son possible pour répondre à ses besoins. Elle a tenu compte de ses restrictions et lui a demandé de faire le ménage des dossiers pendant plus de huit mois. Elle utilisait alors les mêmes systèmes qu’elle aurait utilisés si elle avait travaillé à temps plein dans le Service de gestion des commandes et, par conséquent, elle a pu apprendre à les utiliser dans un environnement où elle n’avait pas à gérer les délais liés aux dossiers actifs.

[126]  Comme je l’ai décrit précédemment, les mesures d’accommodement ont pris fin pour deux raisons. Premièrement, Great-West Life avait conclu que Mme Karimi ne présentait plus aucune restriction médicale qui justifiait la prise de mesures d’accommodement et a fait connaître sa position à Zayo. Deuxièmement, Mme Karimi avait terminé le travail adapté que lui avait attribué Zayo. Une fois le ménage des dossiers terminé, Zayo a discuté avec Mme Karimi et a commencé à lui chercher un poste adapté. Ensuite, le 2 décembre 2009, Mme Karimi s’est vu offrir un poste à temps partiel au Bureau de contrôle situé à Etobicoke, lequel respectait ses restrictions médicales et le fait qu’elle devait travailler à temps partiel, ce que Zayo était toujours prête à lui accorder. Cependant, Mme Karimi a refusé ce poste parce qu’il était loin de chez elle, que ses problèmes de dos l’empêchaient de faire de longs déplacements et que ses troubles de sommeil l’empêchaient de travailler la nuit. Le Tribunal estime toutefois que les documents médicaux qu’elle avait déposés ne faisaient pas état de ces nouvelles limites ou restrictions.

[127]  Quoi qu’il en soit, Zayo a indiqué, au moment où elle a offert le poste adapté à Mme Karimi, que cette dernière devait fournir un certificat médical d’aptitude au travail à jour puisque selon le dernier document médical, elle devait être en congé d’invalidité de longue durée. J’estime que Mme Karimi avait la possibilité et l’obligation de fournir d’autres renseignements sur ces restrictions à ce moment-là. Autrement dit, Zayo était confuse. Mme Karimi demandait un poste adapté à temps partiel, signe qu’elle était apte à travailler, mais elle demandait également des prestations d’invalidité de longue durée par l’entremise de Great-West Life. Zayo estimait avoir le droit de demander une confirmation selon laquelle Mme Karimi pouvait retourner au travail sans danger, ainsi que des renseignements qui lui permettraient de s’acquitter de son obligation d’accommodement. Je suis d’accord, car il faut se rappeler que les « […] mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire » (Hydro Québec, au paragraphe 14, se fondant sur Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27, [2000] 1 RCS 665).

[128]  Zayo soutient que Mme Karimi aurait dû accepter le poste au Bureau de contrôle d’Etobicoke parce qu’il s’agissait d’une mesure d’accommodement raisonnable qui respectait ses restrictions. Selon Zayo, Mme Karimi a droit à une mesure d’accommodement raisonnable. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit parfaite. Zayo, quant à elle, ne devrait pas être tenue de créer ou de maintenir un poste administratif pour Mme Karimi. Je suis d’accord (voir Hydro Québec, aux paragraphes 14 à 16; et Waddle c. Chemin de fer Canadien Pacifique et al, 2017 TCDP 24, au paragraphe 109).

[129]  Mme Karimi a eu tout le temps d’exprimer clairement dans ses documents médicaux en quoi consistaient ses restrictions et limites. Rien dans ces documents n’indiquait qu’elle avait des capacités restreintes quant à la distance de conduite ou au quart de nuit ou toute autre restriction qui l’empêchait d’accepter le poste à Etobicoke. Selon moi, il s’agissait d’une offre de mesures d’accommodement raisonnable, présentée avec les meilleures intentions, qui était fondée sur le dernier certificat médical daté du 22 octobre 2009 fourni par Mme Karimi et qui, sous réserve d’un nouveau document médical attestant que Mme Karimi pouvait répondre aux exigences du poste, aurait dû être acceptée. Comme il est énoncé dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, à la page 995, 95 DLR (4th) 577 :

Lorsque l’employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, remplirait l’obligation d’accommodement, le plaignant est tenu d’en faciliter la mise en œuvre. […] L’autre aspect de cette obligation est le devoir du plaignant d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable. C’est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l’arrêt O'Malley. Le plaignant ne peut s’attendre à une solution parfaite. S’il y a rejet d’une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l’employeur s’est acquitté de son obligation.

[130]  Le représentant syndical de Mme Karimi en avait fait mention, mais rien n’indiquait autrement que Zayo savait que le poste à Etobicoke ne convenait pas en raison de son emplacement. De plus, Mme Karimi avait envoyé un courriel à son représentant syndical, M. Gadwa, le 1er décembre 2009, pour lui laisser savoir que s’il était impossible d’obtenir un poste à Markham, elle était prête à travailler en tout autre lieu qui ne soit pas son lieu de travail actuel.

[131]  Lors de discussions tenues entre Mme Karimi, ses représentants syndicaux et des membres de Zayo, il semble que Mme Karimi souhaitait travailler à Markham. L’employeur et le représentant syndical de Mme Karimi se sont renseignés sur les postes et le travail à effectuer à Markham, et ils ont tous les deux conclu que le travail qui devait être exécuté à cet endroit nécessitait que les employés soulèvent des objets lourds et assument des responsabilités qui outrepassaient les limites de Mme Karimi. J’estime que Zayo, en faisant cette demande de renseignements, s’est acquittée de son obligation de déployer des efforts d’accommodement raisonnables.

[132]  Mme Karimi, par l’entremise de son avocat de l’époque, a fourni un certificat médical le 17 décembre 2009 selon lequel elle pouvait retourner travailler à temps partiel dans un endroit autre que son lieu de travail actuel. Il était précisé qu’il serait bien que Mme Karimi puisse travailler dans des bureaux situés plus près de son domicile compte tenu de ses capacités physiques restreintes. Ce certificat, fourni quelques semaines après que Mme Karimi s’est vu offrir le poste au Bureau de contrôle, a nécessité de la part de Zayo une nouvelle obligation d’accommodement.

[133]  Zayo soutient avoir cherché avec diligence un poste qui respectait les restrictions de Mme Karimi, mais ne pas avoir été en mesure de trouver ou de créer un tel poste. Elle conteste plus particulièrement l’allégation de Mme Karimi selon laquelle d’autres postes qui répondaient à ses besoins étaient disponibles. Ryan Stammer a fourni des éléments de preuve qui illustraient les mesures qu’il avait prises pour trouver des postes adaptés. Il avait notamment communiqué avec diverses unités de travail de Zayo pour savoir si des postes étaient vacants, si elles avaient des tâches qui pouvaient être combinées ou divisées dans le but de créer un poste et ainsi permettre à une employée de travailler de son domicile, ou d’un autre endroit que le lieu de travail actuel de la plaignante. M. Stammer a déclaré qu’il assurait un suivi auprès des gestionnaires une fois par semaine, tant auprès de la partie syndicale que de la partie patronale. Selon lui, il n’a trouvé aucun poste parce que Zayo avait fait de nombreuses mises à pied et compressions à la suite d’une diminution des activités.

[134]  Le Tribunal reconnaît que Zayo éprouvait des difficultés financières à ce moment-là et qu’elle réduisait ses effectifs. Malgré ses difficultés financières et le fait qu’elle ait dû abolir plus de 100 postes CT — ce qui représentait 20 % de l’unité de négociation —, Zayo a continué à chercher une façon de faire travailler Mme Karimi tout en respectant ses limites. Malheureusement, aucun autre poste ne répondait aux besoins de Mme Karimi. Le Tribunal est convaincu que Zayo a déployé des efforts raisonnables pour prendre en compte la déficience de Mme Karimi dans la mesure où cela ne constituait pas une contrainte excessive.

[135]  Pour ces raisons, je conclus que Zayo s’est acquittée de son obligation d’accommodement.

D.  La plaignante a-t-elle fait l’objet de représailles de la part de Zayo au sens de l’article 14.1 de la Loi?

[136]  Il est important de rappeler que les plaignants ne sont pas tenus de produire un type d’élément de preuve en particulier pour établir une preuve prima facie de représailles :  

Au contraire, dans chaque affaire, le fait de savoir si la preuve produite est suffisante pour établir une preuve prima facie de représailles (voir Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 154 (CanLII), au paragraphe 27) est une question mixte de fait et de droit. Si l’élément que l’on présente pour établir une preuve prima facie de représailles est suffisant, il revient dans ce cas au Tribunal d’examiner la preuve du plaignant, de pair avec n’importe quel élément présenté par l’intimé, en vue de déterminer s’il est plus probable qu’improbable que l’on a exercé des représailles.

(voir Société de soutien 2015, au paragraphe 29)

[137]  À la suite du traitement discriminatoire présumé, Mme Karimi soutient avoir souffert d’une dépression grave. Après avoir pris congé pour soigner sa dépression, elle prétend que Zayo ne lui a pas fourni un environnement de travail adéquat ni ne lui a donné la possibilité de faire du télétravail. Elle soutient également que Zayo a refusé de prendre des mesures d’accommodement pour la punir d’avoir déposé une plainte contre Paul Picard concernant le traitement qu’il lui réservait. À cet égard, elle affirme que Zayo a tenté de se débarrasser d’elle en lui causant des difficultés financières et des souffrances mentales. En l’empêchant de travailler de la maison, elle ne pouvait travailler que trois jours par semaine et ne gagnait pas son plein salaire. De plus, elle prétend que Zayo a voulu la forcer à retourner au travail à temps plein alors qu’il lui était physiquement et mentalement impossible de le faire selon son médecin.

[138]  Enfin, Mme Karimi soutient s’être retrouvée, contre sa volonté, en congé sans solde au moment même où Zayo apprenait qu’elle ne recevait pas de prestations d’invalidité. Zayo a aussi décidé unilatéralement quels jours allaient être utilisés pour combler les congés de Mme Karimi. Cette dernière soutient qu’il s’agissait d’un plan impersonnel et délibéré élaboré par Zayo dans le but de la retirer des effectifs en la plaçant dans une situation précaire, l’obligeant ainsi à accepter une indemnité de départ. Mme Karimi soutient que le fait que Zayo n’ait pas pris de mesures d’accommodement a eu pour effet de l’isoler davantage de son domaine d’emploi, lequel était technique et en constante évolution, et d’aggraver sa dépression, laquelle était attribuable aux circonstances à l’origine de la plainte initiale.

[139]  Nul ne conteste que Mme  Karimi ait déposé une plainte en matière de droits de la personne le 28 octobre 2008. Nul ne conteste non plus qu’elle ait subi un effet préjudiciable du fait qu’elle n’ait pas été autorisée à travailler de chez elle après en avoir fait la demande en 2008, et qu’elle n’ait pas pu continuer à travailler dans un poste adapté après novembre 2009.

[140]  Bien qu’il ne soit pas nécessaire de prouver l’existence d’une intention pour étayer une plainte de représailles, Mme Karimi devait fournir au Tribunal une preuve complète et suffisante pour justifier que sa plainte en matière de droits de la personne constituait un facteur dans le traitement préjudiciable que Zayo lui a fait subir à la suite du dépôt de sa plainte, et ce, que ce traitement repose sur une perception raisonnable ou pas (Société de soutien 2015, aux paragraphes 4 et 29; Tabor CF, aux paragraphes 63 et 64).

[141]  En l’espèce, Mme Karimi n’a fourni aucune explication à l’appui de son allégation de représailles. Cela dit, je n’ai relevé aucune preuve, intentionnelle ou involontaire, selon laquelle Zayo a pris des décisions en tenant compte de la première plainte déposée par Mme Karimi en matière de droits de la personne. Mme Karimi soutient que M. Van Horne était directement concerné par les deux plaintes. Le fait que M. Van Horne était visé par la première plainte, ainsi que divers événements liés à cette plainte, ne m’amène pas à conclure que Zayo a pris des décisions parce que Mme Karimi avait déposé sa première plainte. Le rôle inhérent qu’a joué M. Van Horne en tant que conseiller RH et/ou gestionnaire principal des relations de travail (il a occupé divers postes à divers moments chez Zayo, tous au sein des RH) fait en sorte qu’il était concerné puisqu’il devait donner des conseils aux gestionnaires et directeurs des diverses unités de travail sur des questions touchant la convention collective, les différentes politiques de l’entreprise et d’autres questions liées aux RH. Somme toute, j’estime que le dépôt de la première plainte en matière de droits de la personne n’a pas constitué un facteur dans les décisions ou mesures prises par la suite par Zayo et ne pouvait pas non plus être raisonnablement perçu comme un facteur.

[142]  Comme il a été mentionné précédemment, Zayo a fait tout son possible pour répondre aux besoins de Mme Karimi dans la mesure où cela ne constituait pas une contrainte excessive. Au lieu de montrer que Zayo a intentionnellement essayé de chasser Mme Karimi des effectifs, la preuve démontre qu’elle a continué de tenter de trouver un poste adapté pour Mme Karimi, tant que cette dernière pouvait démontrer qu’elle était en mesure de travailler. En fait, Mme Karimi est toujours à l’emploi de Zayo aujourd’hui. Zayo a cessé de déployer des efforts d’accommodement seulement quand Mme Karimi est partie en congé d’invalidité de longue durée et que ses prestations ont été rétablies en février 2010. Rien n’indique qu’il y a un lien entre l’échec des efforts d’accommodement et le dépôt de la première plainte. Zayo n’a trouvé aucun poste convenable qui répondait aux besoins de Mme Karimi.  

[143]  Pour paraphraser le paragraphe 54 de la décision récemment rendue par le Tribunal dans l’affaire Tabor c. La Première nation Millbrook, 2015 TCDP 18, lorsqu’une personne estime avoir été victime de discrimination, elle en vient parfois à croire que toutes les mesures qui leur sont défavorables s’apparentent à des représailles pour avoir déposé une plainte. Or, toute situation défavorable consécutive au dépôt d’une plainte n’est pas forcément le fruit de représailles. Mme Karimi en est venue à croire que les décisions prises par Zayo étaient notamment attribuables au fait qu’elle avait déposé une plainte, mais cela n’est pas suffisant pour étayer une conclusion de représailles. Comme l’a énoncé la Cour fédérale, la perception de représailles de la plaignante doit être raisonnable. Ce n’était pas le cas en l’espèce (Tabor CF, au paragraphe 64).

VIII.  Plaintes rejetées

[144]  Par conséquent, les deux plaintes, déposées le 28 octobre 2008 et le 20 décembre 2010, respectivement, sont rejetées.

Signée par

Susheel Gupta

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 11 décembre 2017


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal : T1616/16210, T1783/1312

Intitulé de la cause : Ashraf Karimi c. Zayo Canada Inc. (anciennement MTS Allstream Inc.)

Date de la décision du Tribunal : Le 11 décembre 2017

Dates et lieu de l’audience :  Du 8 au 12 juillet 2013;

Du 19 au 21 août 2013;

Du 28 au 29 novembre 2013;

Du 10 au 11 mars 2014;

Du 16 au 17 septembre 2014;

Du 15 au 17 avril 2015;

Le 26 octobre 2016.

Toronto (Ontario)

Comparutions :

Olanyi Parsons , pour la plaignante

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Paul Young , pour l’intimée

 

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