Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP 3

Date : le 15 janvier 2018

Numéro du dossier : T2085/0115

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

l’Association canadienne des maîtres de poste et adjoints

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Société canadienne des postes

l'intimée

Décision sur requête

Membre : George E. Ulyatt

 



[1]  Le Tribunal est saisi d’une requête concernant la portée de la plainte qui se trouve devant lui. Avec l’accord de l’Association canadienne des maîtres de poste et adjoints (ci‑après dénommée la « plaignante »), l’intimée, la Société canadienne des postes (ci‑après dénommée « l’intimée »), demande des précisions au sujet de ce que la Commission canadienne des droits de la personne (ci‑après dénommée la « Commission ») a renvoyé au Tribunal canadien des droits de la personne (ci‑après dénommé le « Tribunal »).

[2]  L’intimée n’est pas du même avis que la plaignante quant à l’objet de la saisine du Tribunal. L’intimée demande également une ordonnance supprimant l’alinéa 68a) de l’exposé des précisions de la plaignante daté du 14 novembre 2016 ainsi que les paragraphes 4 à 8 de la réplique de la plaignante à l’exposé des précisions de l’intimée daté du 19 janvier 2017.

I.  Contexte

[3]  La présente plainte a un très long historique procédural. En effet, la Commission a été saisie de l’affaire en novembre 1992. Une plainte avait été portée précédemment en 1982 et avait été réglée par un protocole d’accord en 1985. Selon la plainte déposée en 1992 par la plaignante, l’intimée aurait fait preuve de discrimination à l’endroit des membres de l’unité de négociation plaignante à prédominance féminine en se servant de mécanismes différents pour évaluer leur travail et pour déterminer leur salaire, de sorte que ses membres sont moins bien payés comparativement aux employés regroupés au sein d’une autre unité de négociation à prédominance masculine. 

[4]  Le 12 décembre 1997, les parties ont signé un protocole d’entente avec effet rétroactif au 20 mars 1997. Voici un passage du protocole d’entente daté du 12 décembre 1997 :

[traduction]

6. b)  Les parties sont d’avis qu’à la date de la signature du protocole, le 20 mars 1997, les taux de rémunération prévus à la convention collective étaient équitables et ne violaient pas la [LCDP];

c)  Les parties étudieront plus en profondeur cette affaire en comité avec l’aide d’un expert‑conseil en équité salariale (M. Clive Peterson, de Watson, Wyatt Company) et, si elles venaient à la conclusion qu’il existe une disparité dans la grille des salaires, elles se rencontreront pour négocier sans délai au sujet de cette disparité.

[Arguments présentés à la CCDP, page 3, alinéas 6b) et c).]

[5]  Les parties se sont efforcées de régler les points encore en litige et elles ont signé un nouveau protocole d’entente en 2006, mais les efforts déployés au cours des années pour régler à l’amiable les questions litigieuses ont échoué. Le 11 mai 2012, la plaignante a écrit à la Commission pour lui demander de réactiver la plainte et, le 4 octobre 2012, la Commission a indiqué qu’elle allait décider s’il convenait de traiter la plainte en vertu de l’article 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[6]  Le 8 décembre 2014, la Commission a produit un rapport fondé sur les articles 41 et 49, et qui recommandait que la Commission se saisisse de la plainte et la renvoie au Tribunal sans procéder à une nouvelle enquête.

[7]  Le 26 mars 2015, une lettre a été envoyée à la plaignante et à l’intimée pour aviser les parties que le commissaire avait adopté le rapport fondé sur les articles 41 et 49 et qu’il avait décidé, conformément à l’article 41 de la LCDP, de se saisir uniquement des allégations antérieures au 30 mars 1997 (« décision de la Commission »). Un compte rendu de décision en vertu des articles 40 et 41 était joint à cette lettre du 26 mars 2015 (« compte rendu de décision »). La Commission a renvoyé l’affaire au Tribunal sans faire enquête, conformément à l’article 49 de la LCDP. Au même moment, la Commission a fait parvenir à la plaignante et à l’intimée des lettres identiques qui contenaient les renseignements suivants :

[traduction]

La présente a pour but de vous informer de la décision prise par la Commission canadienne des droits de la personne en ce qui concerne la plainte (X00418) de l’Association canadienne des maîtres de poste et adjoints contre la Société canadienne des postes.

Avant de rendre sa décision, la Commission a examiné le rapport qui vous a déjà été transmis ainsi que les observations présentées en réponse au rapport. Après avoir examiné ces éléments, la Commission a décidé, conformément au paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de statuer uniquement sur les allégations antérieures au 30 mars 1997 qui sont énoncées dans la plainte.

La Commission a également décidé, en vertu de l’article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de demander au président du Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un membre pour instruire la plainte.

Le Tribunal vous communiquera de plus amples renseignements au sujet du déroulement de l’instance.

[Cahier des documents et des textes faisant autorité de la SCP, onglet 7.]

[8]  Le même jour, la Commission a adressé une lettre au président du Tribunal, David Thomas, dans laquelle elle a indiqué ce qui suit :

[traduction]

La présente a pour but de vous informer que la Commission canadienne des droits de la personne a étudié la plainte (X00418) de l’Association canadienne des maîtres de poste et adjoints contre la Société canadienne des postes.

Aux termes de l’article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé de vous demander de désigner un membre pour instruire la plainte, étant donné qu’elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle‑ci, que l’instruction est justifiée.

[Cahier des documents et des textes faisant autorité de la SCP, onglet 8]

[9]  La Commission n’a pas fait parvenir de copie de ses lettres aux parties à M. Thomas et elle n’a pas fourni non plus aux parties de copie de sa lettre à M. Thomas. La lettre aux parties limitait le champ d’application du renvoi, contrairement à la lettre à M. Thomas.

[10]  L’intimée à demandé la révision judiciaire de la décision de la Commission et sa demande de révision judiciaire a été rejetée le 28 juillet 2016.

[11]  Comme nous l’avons fait remarquer ci‑dessus, le 26 mars 2015, la Commission avait transmis aux parties sa décision et son compte rendu de décision, qui contenaient un libellé restrictif limitant la portée de la plainte.

[12]  Le 31 mars 2015, l’avocat de la plaignante a adressé une lettre à David Langtry, président par intérim, dans laquelle il précisait ce qui suit :

[traduction]

La présente concerne la décision de la Commission canadienne des droits de la personne datée du 26 mars 2015 relativement à la plainte X00418.

Dans cette décision, la Commission a choisi de traiter uniquement les allégations antérieures au 30 mars 1997. Nous aimerions obtenir des précisions au sujet de cette décision. Nous croyons savoir que la Commission a indiqué qu’elle ne se pencherait pas sur les faits postérieurs à cette date. Toutefois, s’il était établi qu’un écart salarial persistait le 30 mars 1997, la Société demeurerait‑elle redevable après cette date?

[Cahier des documents et des textes faisant autorité de la SCP, onglet 18]

[13]  Le 13 avril 2015, l’avocat de la Commission a répondu à cette lettre dans les termes suivants :

[traduction]

La présente fait suite à votre lettre du 31 mars 2015 à M. David Langtry, vice‑président, relativement au dossier susmentionné.

Dans votre lettre, vous avez demandé des précisions concernant la responsabilité de la Société canadienne des postes s’il était établi qu’un écart salarial persistait après le 30 mars 1997. Veuillez prendre note que la Commission a renvoyé cette affaire au Tribunal pour qu’il l’examine de façon plus approfondie et que c’est le Tribunal qui statuera sur la question de la responsabilité.

[Cahier des documents et des textes faisant autorité de la SCP, onglet 21]

[14]  Ni la plaignante ni l’intimée n’étaient au courant du libellé de la lettre au président du Tribunal datée du 26 mars 2015.

II.  Position de parties en ce qui concerne la portée de la plainte

A.  Position de l’intimée

[15]  L’intimée fait valoir qu’en règle générale, la plainte est circonscrite par le libellé de la lettre de la Commission au président du Tribunal. Toutefois, l’intimée soutient qu’en l’espèce, elle n’a pas été mise au courant du contenu de la lettre de renvoi au Tribunal avant le 13 octobre 2016, soit après que la Cour fédérale a statué sur la révision judiciaire de la décision de la Commission de renvoyer l’affaire au Tribunal.

[16]  Dans les circonstances, l’intimée demande que le Tribunal tienne compte de l’historique et respecte la lettre de renvoi adressée par la Commission aux parties. L’intimée affirme que la lettre de renvoi au Tribunal ne peut pas être dissociée de l’historique procédural et que la décision écrite rendue par la Commission en application de l’article 41 de la LCDP précise expressément que celle‑ci se pencherait uniquement sur l’allégation de discrimination touchant la période antérieure au 30 mars 1997.

[17]  À l’appui de sa position, l’intimée a fait les affirmations suivantes aux pages 6 et 7 de son mémoire :

[traduction]

Dans la décision Murray, la lettre de renvoi de la Commission n’indiquait pas que la Commission avait étudié uniquement une partie de la plainte, en application d’une ordonnance sur consentement antérieure. Comme en l’espèce, la décision prise par la Commission de renvoyer uniquement une partie de la plainte dans l’affaire Murray a été expliquée clairement dans sa lettre aux parties, mais pas dans la lettre qu’elle a envoyée le même jour au Tribunal. La Cour fédérale a indiqué qu’on ne pouvait pas s’en remettre exclusivement à la lettre au Tribunal pour déterminer la portée du renvoi :

Je conviens qu’en principe, la lettre que la Commission envoie au Tribunal définit la portée de ce qui est renvoyé au Tribunal aux fins d’enquête. En outre, je suis d’accord pour dire que la lettre envoyée au Tribunal en l’espèce ne précisait pas que seules des portions de la plainte de M. Murray avaient été renvoyées aux fins d’enquête. Cependant, la lettre de la Commission ne peut être dissociée du long historique de la plainte et du contexte dans lequel le Tribunal a été saisi de la plainte de M. Murray. À la lumière des circonstances précises en l’espèce, je considère que les décisions sur lesquelles le demandeur s’est appuyé sont peu utiles.

(soulignement ajouté)

[Arguments de la SCP, pages 6 et 7, paragraphe 24]

[18]  Par ailleurs, au paragraphe 27, l’intimée invoque la décision Kowalski c. Ryder Integrated Logistics, 2009 TCDP 22 (« Kowalski ») :

[traduction]

27. Dans la décision Kowalski, comme en l’espèce, la Commission avait rendu une décision, en vertu de l’article 41 de la LCDP, au sujet de la question de savoir si elle devait « statuer » sur l’ensemble ou une partie des allégations dans la plainte. La décision a été rendue par écrit et a été envoyée aux parties. La Commission a décidé de statuer uniquement sur deux des quatre allégations formulées par le plaignant. La Commission a fait enquête sur ces deux allégations et elle a rendu une deuxième décision indiquant qu’elle demanderait au président du Tribunal d’instruire les deux allégations. Toutefois, la lettre de renvoi de la Commission au Tribunal n’indiquait pas que la Commission avait décidé de n’étudier que deux des quatre allégations formulées dans la plainte.

[Arguments de la SCP, pages 7 et 8, paragraphe 27.]

[19]  Selon les explications de l’intimée, dans la décision Kowalski, le Tribunal a conclu que la lettre de renvoi au président ne pouvait pas renverser une décision explicite prise par la Commission en vertu de l’article 41 de se saisir uniquement de deux des quatre allégations de la plainte. De plus, les parties avaient été informées de ce renvoi restreint sous forme d’une « décision de la Commission ». L’intimée fait valoir que la situation factuelle en l’espèce démontre que seulement une portion de la plainte a été renvoyée au Tribunal en vue d’une audience.

[20]  En dernier lieu, l’intimée fait également valoir que la Commission ne pouvait pas donner des explication sur sa décision dans la lettre de Me Warsame datée du 13 avril 2015, parce que la décision avait déjà été rendue publique et que la Commission était dessaisie.

B.  Position de la Commission

[21]  La Commission fait valoir que la plainte en l’espèce se limite aux allégations de discrimination antérieures au 30 mars 1997, ce qui était son intention déclarée.

[22]  La Commission soutient que le libellé de sa décision et de son compte rendu de décision indique clairement qu’elle avait l’intention de limiter la portée de la plainte à une période précise. 

[23]  La Commission a invoqué la décision Murray c. Canada (Commission des droits de la personne), 2014 CF 139, [sub nom. Murray c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié)] (« Murray »), à la page 9 de son mémoire :

[traduction]

28. Nous constatons que dans sa lettre au président du Tribunal datée du 26 mars 2015, la Commission n’a pas précisé que seules les allégations de discrimination antérieures au 30 mars 1997 étaient l’objet du renvoi au Tribunal, mais nous ne pouvons passer sous silence le fait que cette lettre a été envoyée le même jour que la décision et le compte rendu de décision de la Commission, qui contiennent un libellé restrictif limitant la portée de la plainte. Les deux lettres doivent être lues en parallèle et la lettre de la Commission au président du Tribunal ne devrait pas être considérée comme l’unique document qui circonscrit la portée du renvoi, compte tenu de l’intention explicite que la Commission a exprimée dans sa lettre de décision en l’espèce.

29. Dans la décision Murray, la Cour fédérale a conclu que la portée du renvoi n’était pas uniquement circonscrite par la lettre de la Commission au président du Tribunal. Le raisonnement de la Cour fédérale est riche en enseignements :

[Arguments de la CCDP, pages 9 et 10, paragraphes 28 et 29]

C.  Position de la plaignante

[24]  La plaignante fait valoir que sa position est [traduction] « conforme à l’esprit de la Loi canadienne sur les droits de la personne, une loi réparatrice de nature quasi constitutionnelle, destinée à offrir une protection contre les discriminations ».

[25]  Voici un bon résumé de la position de la plaignante :

[traduction]

41.  L’ACMPA convient que la portée du renvoi au Tribunal se limite à une appréciation préliminaire des faits jusqu’au 30 mars 1997. Elle est d’accord sur la position de la Société selon laquelle l’ensemble du contexte du renvoi doit être pris en considération pour en comprendre la portée. L’ACMPA ne prétend pas que toutes les questions en litige possibles découlant de la plainte, de 1992 à ce jour, ont été renvoyées au Tribunal du simple fait que la lettre de renvoi ne contenait pas le libellé restrictif énoncé dans le rapport fondé sur les articles 40 et 41 et dans la lettre explicative aux parties. Si le Tribunal décidait qu’il n’y avait plus d’écart salarial en date de 1997, l’affaire serait close.

42.  Compte tenu de tous les faits et de l’historique de la présente affaire, l’ACMPA est plutôt d’avis que la seule conclusion raisonnable qu’on peut tirer de toutes les circonstances, c’est que la Commission a renvoyé la période allant de 1992 à 1997 au Tribunal pour fins d’enquête et qu’elle a aussi chargé le Tribunal de statuer sur des questions concernant la subsistance de la responsabilité pendant cette période ainsi qu’à compter de 1997, au cas où il conclurait qu’il existait un écart en date du 30 mars 1997.

[Arguments de la plaignante, page 9, paragraphes 41 et 42.]

[26]  La plaignante déclare qu’elle ne demande pas au Tribunal de réviser la décision de la Commission, mais qu’elle invite simplement le Tribunal à mettre en application la décision de la Commission qui est exposée dans la lettre de renvoi au Tribunal et dans la lettre du 13 avril 2015 aux parties.

[27]  La plaignante explique qu’elle convient que le Tribunal doit apprécier seulement les faits antérieurs à mars 1997 pour décider s’il existait un écart salarial pendant toute cette période. Toutefois, la plaignante demande au Tribunal de conclure que la portée du renvoi lui permet de décider si oui ou non la responsabilité de l’intimée a pu subsister après le 30 mars 1997, dans la mesure où il existait un écart salarial à cette date.

[28]  La plaignante fait valoir que toute ambiguïté, le cas échéant, dans le renvoi a été dissipée par la lettre de la Commission datée du 13 avril 2015 en réponse à la lettre de la plaignante datée du 31 mars 2015, laquelle, selon la plaignante, démontre que la portée de l’enquête du Tribunal sur la responsabilité continue ne se limitait pas au 30 mars 1997.

[29]  La plaignante soutient que la lettre du 13 avril 2015 ne constituait pas une nouvelle décision, mais qu’elle apportait simplement des précisions à la décision de la Commission. La plaignante affirme qu’il faut étudier en parallèle la lettre de précision du 13 avril 2015 et la décision de la Commission.

[30]  De plus, la plaignante conteste la position de la Société selon laquelle la Commission refuse d’exercer sa compétence, ce qui, selon plaignante, est incompatible avec le libellé de la lettre du 13 avril 2015.

[31]  La plaignante fait valoir que la lettre du 13 avril 2015 dissipe toute ambiguïté et précise que le renvoi doit être pris en considération dans le contexte de la décision de la Commission, sous réserve de la lettre du 13 avril 2015.

[32]  La plaignante avance également que la notion de dessaisissement ne s’applique pas en ce qui a trait à la lettre du 13 avril 2015. La plaignante a cité au Tribunal les décisions Société du musée canadien des civilisations c. Alliance de la fonction publique (Section locale 70396), 2006 CF 703, et Larocque c. Tribu de Louis Bull, 2008 CF 1402.

D.  Réplique de l’intimée

[33]  Dans sa réplique, l’intimée réaffirme sa position à propos de la plainte et du renvoi au Tribunal en faisant valoir que le Tribunal n’est pas saisi de la question de la responsabilité continue de la Société après le 30 mars 1997.

[34]  L’intimée soutient que l’argument de la plaignante selon lequel le Tribunal pourrait conclure à une responsabilité continue après 1997 en se fondant uniquement sur les faits tels qu’ils existaient avant 1997 est sans fondement et contraire au bon sens.

[35]  L’intimée fait également valoir que la lettre du 13 avril 2015 n’est pas une décision pour de nombreuses raisons, en ce sens qu’elle ne contient aucune des caractéristiques d’une décision, et que la plaignante aurait dû procéder par voie de révision judiciaire si elle voulait obtenir des éclaircissements.

E.  Analyse de la décision

[36]  D’emblée, le Tribunal doit constater que le litige dans cette affaire a pris beaucoup d’ampleur. Les parties ont tenté à maintes reprises de régler la plainte et l’affaire a fait l’objet d’une révision judiciaire devant la Cour fédérale en ce qui concerne le renvoi au Tribunal par la Commission.

[37]  La Cour fédérale a rejeté la demande et a recommandé que le Tribunal règle rapidement cette affaire.

[38]  Les parties ont suggéré et convenu qu’il serait avantageux de déterminer la portée du renvoi avant la tenue de l’audience sur le fond, en particulier sur la question de savoir si le renvoi englobe la responsabilité continue à compter de 1997 (en tenant pour acquis que le Tribunal juge qu’un écart salarial existait en date du 30 mars 1997).

[39]  Comme l’ont mentionné les parties dans leurs arguments, malheureusement les lettres aux parties avaient fait mention de certains facteurs limitatifs, mais les parties n’ont pas pu prendre connaissance de la lettre de renvoi au Tribunal. De plus, la lettre de renvoi au Tribunal, qui n’a pas été transmise aux parties, semble prévoir une portée beaucoup plus vaste que celle qui a été communiquée aux parties.

[40]  La plaignante fait valoir que la portée de l’enquête du Tribunal n’est pas limitée et devrait être fondée sur :

i.  la lettre de renvoi au Tribunal (décision de la Commission) datée du 26 mars 2015;

ii.  la lettre du 31 mars 2015 de la plaignante à la Commission, dans laquelle elle demandait des précisions sur la décision de la Commission;

iii.  en dernier lieu, la lettre du 13 avril 2015 de la Commission.

[41]  La plaignante affirme que la lettre du 31 mars 2015 n’avait pas pour objet de faire modifier la décision, mais simplement d’obtenir des éclaircissements.

[42]  Le Tribunal a rendu des décisions contradictoires dans Kowalski, précitée, et Kanagasabapathy c. Air Canada, 2013 TCDP 7 (« Kanagasabapathy »). Dans la décision Kanagasabapathy, il semble s’attarder à la lettre de renvoi au président du Tribunal, tandis que dans la décision Kowalski, le Tribunal a choisi d’élargir la portée de l’enquête pour donner suite à la lettre de renvoi aux parties. Ces décisions sont riches d’enseignement, mais elles ne font pas autorité pour le Tribunal, contrairement à un jugement de la Cour fédérale.

[43]  L’affaire est rendue plus complexe par la lettre du 31 mars 2015 de la plaignante à la Commission et par la réponse de la Commission à la même lettre, datée du 13 avril 2015 et signée par une avocate-conseil à l’interne, et non par le commissaire par intérim.

[44]  Après avoir passé en revue la lettre du 13 avril 2015, le Tribunal est convaincu qu’elle ne possède pas les attributs d’une décision et qu’elle ne donne pas de précisions sur la décision de la Commission au sujet du renvoi, par laquelle elle avait entériné le rapport de la Commission fondé sur les articles 41 et 49.

[45]  Il serait difficile pour le Tribunal de décider que la lettre du 13 avril 2015 de Me Warsame, une avocate-conseil à l’interne, représentait davantage qu’un simple accusé de réception de la lettre de la plaignante qui réitérait que l’affaire avait été renvoyée au Tribunal. Par conséquent, ayant conclu que la lettre du 13 avril 2015 n’est pas une décision, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de se livrer à une analyse sur le dessaisissement.

[46]  En ce qui concerne le fond de la plainte et le renvoi, je m’en remets à la décision Murray de la Cour fédérale, qui fait autorité pour le Tribunal et qui est la décision qui fournit des éclaircissements :

[66] À la même date, la Commission a écrit une lettre au président du Tribunal. Cette lettre ne comportait pas les mêmes précisions que celles inscrites dans la lettre envoyée à la CISR. Elle précisait uniquement, conformément à l’alinéa 44(3)2) de la LCDP, que la Commission avait décidé de demander au Tribunal [traduction] « d’instruire la plainte, car elle était convaincue, compte tenu des circonstances, qu’un examen était justifié ».

[67] Je conviens qu’en principe, la lettre que la Commission envoie au Tribunal définit la portée de ce qui est renvoyé au Tribunal aux fins d’enquête. En outre, je suis d’accord pour dire que la lettre envoyée au Tribunal en l’espèce ne précisait pas que seules des portions de la plainte de M. Murray avaient été renvoyées aux fins d’enquête. Cependant, la lettre de la Commission ne peut être dissociée du long historique de la plainte et du contexte dans lequel le Tribunal a été saisi de la plainte de M. Murray. À la lumière des circonstances précises en l’espèce, je considère que les décisions sur lesquelles le demandeur s’est appuyé sont peu utiles.

[68] Au fil des ans, et plus précisément à la suite de l’ordonnance de la juge Hansen, laquelle a été rendue sur consentement de toutes les parties, la plainte de M. Murray a été clairement restreinte pour ne porter que sur des allégations précises de discrimination systémique pendant une période donnée. Par conséquent, seules des portions précises de la plainte ont fait l’objet d’une nouvelle enquête par la Commission, et seules les allégations visées par la nouvelle enquête pouvaient être renvoyées au Tribunal. (…)

[Arguments de la CCDP, page 10, paragraphe 29, citant les paragraphes 66, 67 et 68 de la décision Murray.]

[47]  Cette décision de la Cour fédérale a été rendue après la décision Kanagasabapathy et elle a énoncé les principes directeurs à suivre.

[48]  La décision Murray précise clairement que le Tribunal peut se pencher sur l’historique de la plainte. En l’espèce, la lettre de la Commission aux parties datée du 26 mars 2015 énonce sans équivoque les questions en litige et l’échéancier. Le compte rendu de décision était joint à la lettre de la Commission. Le commissaire a entériné le rapport fondé sur les articles 41 et 49, qui contenait les motifs détaillées pour lesquels la portée du renvoi au Tribunal devait se limiter aux allégations antérieures au 30 mars 1997. De plus, dans les circonstances particulières de la présente affaire qui dure depuis des décennies, le Tribunal ne peut pas passer sous silence l’historique procédural et les étapes franchies, tant devant la Commission qu’entre les parties, notamment les protocoles d’entente, comme l’explique la Commission dans son rapport fondé sur les articles 41 et 49.

[49]  Il est dommage que la Commission ne se soit pas exprimée de façon plus explicite dans sa lettre de renvoi au président du Tribunal, étant donné que le libellé général du renvoi en l’espèce et dans des affaires antérieures a entraîné des litiges importants.

[50]  Les parties n’ont pas été mises au courant de l’existence de la lettre de renvoi au président du Tribunal avant octobre 2016, lorsqu’elle a été incluse dans le dossier de divulgation de la preuve de la Commission déposé au Tribunal. La plaignante et l’intimée sont donc au courant depuis un certain temps de ce qu’était la portée du renvoi par la Commission. Aucune des parties n’a subi de préjudice et le Tribunal se penchera donc uniquement sur les questions énoncées dans la lettre de renvoi aux parties.

[51]  La plaignante fait valoir que si un écart salarial existait le 30 mars 1997, il serait illogique, hautement préjudiciable et contraire à la LCDP de ne pas étudier la responsabilité postérieure au 30 mars 1997. Cela n’est pas le cas. Compte tenu de l’information susmentionnée, les parties auraient dû être au courant de la période du renvoi. Elle a été clairement décrite dans le rapport de la Commission fondé sur les articles 41 et 49 et elle a été entérinée par le commissaire dans le cadre de sa décision. La lettre de renvoi aux parties datée du 26 mars 2015 a également confirmé cette portée, qui se limite à la période terminée le 30 mars 1997.

[52]  Le Tribunal convient avec l’intimée que si la décision de la Commission sur le renvoi avait offert à la plaignante moins que ce qu’elle désirait, elle aurait dû en demander la révision judiciaire. 

[53]  Pour ce qui est de la possibilité de responsabilité continue postérieure au 30 mars 1997, le Tribunal juge qu’il ne peut conclure à la responsabilité en l’absence de faits. La plaignante convient que l’appréciation des faits doit s’arrêter à la fin de mars 1997. Pour ce motif, le Tribunal est d’avis qu’il ne peut conclure à la responsabilité après le 30 mars 1997 sans un fondement factuel, c’est‑à‑dire des allégations qui n’ont pas fait l’objet du renvoi au Tribunal par la Commission. Le renvoi au Tribunal indique clairement que seules les allégations antérieures au 30 mars 1997 ont été renvoyées.

[54]  Toutefois, la Commission a soulevé un argument important dans sa plaidoirie. Le Tribunal exerce une compétence exclusive sur les mesures de redressement en vertu de l’article 53 de la LCDP. Pour cette raison, si une conclusion de responsabilité pendant la période visée par le renvoi exigeait une analyse de l’information postérieure à mars 1997 pour déterminer le redressement approprié, le Tribunal pourrait se pencher sur les faits postérieurs à mars 1997. Par souci de clarté, il devrait se limiter à déterminer un redressement pour la période terminée le 30 mars 1997, et non pour une période subséquente.

[55]  En ce qui concerne le deuxième volet de la demande, l’intimée désire obtenir une ordonnance supprimant l’alinéa 68a) de l’exposé des précisions de la plaignante daté du 14 novembre 2016 ainsi que les paragraphes 4 à 8 de la réplique de la plaignante à l’exposé des précisions de l’intimée datée du 19 janvier 2017.

[56]  L’alinéa 68a) indique que la plaignante recherche une conclusion selon laquelle il existait un écart salarial en 1992, qu’il n’avait pas été entièrement comblé dans le cadre des négociations en 1997 et qu’il n’avait pas été réglé à ce jour. Le Tribunal rejette la demande de suppression de cet alinéa présentée par l’intimée. Celui‑ci correspond à la période qui fait l’objet du renvoi de la Commission. Si la conformité de certains aspects de cet alinéa à la portée du renvoi soulevait des questions, des arguments à ce sujet pourront être formulés à l’audience.

[57]  Pour ce qui est de la réplique de la plaignante, les paragraphes 4 à 8 traitent expressément de la responsabilité après 1997. Pour ce motif, le Tribunal conclut que ces paragraphes ne respectent pas la portée du renvoi.

III.  Ordonnance

[58]  Pour ces motifs, le Tribunal accueille en partie la requête de l’intimée et ordonne ce qui suit :

i.  Le Tribunal confirme que la portée du renvoi de la Commission au Tribunal se limite à la période allant de septembre 1992 au 30 mars 1997 et ne porte pas sur la responsabilité continue;

ii.  Les paragraphes 4 à 8 de la réplique de la plaignante à l’exposé des précisions de l’intimée datée du 19 janvier 2017 sont par les présentes supprimés;

iii.  L’alinéa 68a) de l’exposé des précisions de la plaignante daté du 14 novembre 2016 n’est pas supprimé. 

Signé par

George E. Ulyatt

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 15 janvier 2018

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2085/0115

Intitulé de la cause : l’Association canadienne des maîtres de poste et adjoints c. la Société canadienne des postes

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 15 janvier 2018

Date et lieu de l’audience : Le 17 juin 2017

Ottawa (Ontario)

Comparutions :

Sean T. McGee, pour la plaignante

Ikram Warsame et Samar Musallam, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Karen A. Jensen, pour l'intimée

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