Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

 

Référence : 2017 TCDP 31

Date : le 4 octobre 2017

Numéro du dossier : T2126/42155

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Nicole Grace Valenti

la plaignante

‑ et ‑

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

‑ et ‑

Chemin de fer Canadien Pacifique

l'intimée

Décision sur requête

Membre instructrice : Anie Perrault

 



I.  Les faits

[1]  Le 18 juillet 2017, j’ai rendu une décision sur requête (2017 TCDP 25) dans laquelle j’ai ordonné à l’intimée de divulguer aux autres parties l’un des 16 documents demandés par la plaignante, soit l’« entente de l’équipe responsable des prestations du CP avec Manuvie et la politique et la procédure en matière de prestations non syndiquées » (l’entente avec Manuvie).

[2]  À la suite de ma décision sur requête, l’intimée a demandé, le 24 juillet 2017, le consentement de la plaignante à un projet d’ordonnance de confidentialité applicable à l’entente avec Manuvie.

[3]  Un échange de courriels a suivi entre la plaignante et l’intimée ainsi qu’entre l’intimée et l’avocat qui représente la plaignante dans le cadre d’une autre procédure judiciaire. La plaignante et l’intimée sont parties à une affaire civile étroitement liée à la question dont est saisi le Tribunal.

[4]  La plaignante et l’intimée ne sont pas parvenues à s’entendre relativement au projet d’ordonnance de confidentialité, et le 18 août 2017, soit la date limite que j’avais fixée pour que l’intimée divulgue l’entente avec Manuvie, l’intimée a déposé une requête en confidentialité.

[5]  Le 6 septembre 2017, nous avons tenu une conférence téléphonique de gestion d’instance (la CTGI) dans le but d’entendre la plaidoirie de chaque partie relativement à cette requête.

[6]  La Commission, bien qu’elle n’ait pas participé à l’audience, a pris part à la CTGI, mais ne s’est pas opposée à la requête en confidentialité.

[7]  Pendant la CTGI, Mme Anita Shearer, directrice, Rémunération globale pour l’intimée et, à ce titre, responsable de l’application de l’entente avec Manuvie, a été interrogée par l’avocat de l’intimée sur ce document et son contenu. La plaignante et la Commission ont eu l’occasion de poser des questions à Mme Shearer.

[8]  Mme Shearer a confirmé que l’entente avec Manuvie, l’objet de la requête en confidentialité, était une entente commerciale entre Manuvie et l’intimée, décrivant notamment les avantages sociaux des employés admissibles. L’entente contient des renseignements financiers et commerciaux de nature confidentielle et délicate qui, s’ils étaient divulgués au public, causeraient, selon Mme Shearer, un préjudice injustifié à l’intimée autant qu’à Manuvie.

[9]  Mme Shearer a également confirmé que l’entente avec Manuvie contenait une disposition en matière de confidentialité exigeant que les parties préservent la confidentialité de certains renseignements, dont la divulgation publique constituerait une violation de l’entente.

[10]  La plaignante avait quelques questions pour Mme Shearer. À la suite de l’une des questions de la plaignante, l’avocat de l’intimée a accepté de lui remettre une copie de la convention collective, qui établit la rémunération et les avantages sociaux. La Commission n’avait aucune question pour Mme Shearer.

[11]  À la suite du témoignage de Mme Shearer, j’ai entendu la plaidoirie de l’avocat de l’intimée.

[12]  J’ai également entendu les observations de la plaignante, mais étant donné que celle‑ci devait quitter la CTGI en raison d’un conflit d’horaire, j’ai proposé que la plaignante puisse avoir la possibilité de présenter des observations écrites avant le 13 septembre 2017. Toutes les parties étaient d’accord. Étant donné que la Commission ne s’opposait pas à la requête, elle a choisi de ne pas présenter d’argumentation écrite. L’intimée a présenté sa réponse aux observations de la plaignante le 15 septembre 2017.

II.  Analyse

[13]  En vertu de l’article 52 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), le Tribunal peut, dans certaines circonstances prescrites, rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction.

A.  Le moment du dépôt de la requête en confidentialité

[14]  La plaignante soulève la question du moment du dépôt de la requête présentée par l’intimée. Elle fait valoir que la question de la confidentialité de l’entente avec Manuvie devrait seulement être soulevée à l’audience, dans l’éventualité où le document serait invoqué par la plaignante et produit en preuve devant le Tribunal. Je ne souscris pas à cet argument.

[15]  L’intimée a tenté d’obtenir le consentement de la plaignante à l’ordonnance de confidentialité proposée lorsqu’elle lui a envoyé un projet de l’ordonnance. La décision de l’intimée de soumettre la requête au Tribunal est intervenue seulement après n’avoir reçu aucune réponse de la plaignante et parce que la date du 18 août 2017— la date limite que j’avais imposée relativement à la divulgation de l’entente avec Manuvie — approchait rapidement.

[16]  Par ailleurs, je souscris à la décision sur requête que le Tribunal a rendue dans l’affaire Eadie c. MTS Inc., 2013 TCDP 5 (Eadie), dont le paragraphe 12 est ainsi libellé :

[12] Je comprends la position de la Commission, selon laquelle le Tribunal est mieux placé pour trancher ces questions de confidentialité au fur et à mesure qu’elles se présenteront au cours de l’audience, mais je suis d’avis que le fait de circonscrire dans une ordonnance la façon de désigner des documents comme confidentiels contribuera à la bonne marche de l’instance. […]

[17]  Je partage l’avis de l’intimée selon lequel il serait contraire à la logique de déclarer un document confidentiel pendant une audience après qu’il a été divulgué sans aucune forme de protection durant le processus de divulgation.

[18]  J’ajouterais même que je préférerais, au contraire, déclarer un document confidentiel durant le processus de divulgation et changer sa désignation à l’audience, si une objection est formulée et qu’un argument convaincant m’est alors présenté. Il est possible de renverser une ordonnance de confidentialité, mais il est plus difficile d’annuler la décision d’en autoriser la divulgation.

[19]  Pour ces motifs, j’estime que la requête en confidentialité n’est pas prématurée et qu’elle a été présentée en temps opportun par l’intimée.

B.  La désignation d’un document comme étant confidentiel

[20]  Les arguments que l’intimée fait valoir pour que la divulgation de l’entente avec Manuvie soit visée par une ordonnance de confidentialité reposent sur les motifs suivants :

  1. empêcher la violation d’un contrat entre l’intimée et Manuvie;

  2. éviter que l’intimée et Manuvie ne subissent un préjudice, étant donné que le document contient des renseignements financiers qui, s’ils étaient divulgués, nuiraient à leur position concurrentielle; et

  3. minimiser le risque d’utilisation à des fins accessoires.

[21]  L’intimée a démontré, au moyen du témoignage de Mme Shearer, que l’entente avec Manuvie contenait des renseignements financiers qui, s’ils étaient divulgués, pourraient nuire à la position concurrentielle de Manuvie. Le témoignage a également établi que l’entente avec Manuvie contenait une disposition en matière de confidentialité exigeant que les parties préservent la confidentialité de certains renseignements, dont la divulgation publique constituerait une violation de l’entente.

[22]  Ces caractéristiques de l’entente avec Manuvie correspondent aux catégories établies par le Tribunal dans la décision sur requête Eadie, précitée, concernant les circonstances où un document peut être désigné comme confidentiel par une partie. Je me reporte ici au paragraphe 14 de la décision sur requête :

[14] […] s’ils font partie d’une des catégories suivantes :

i. Les renseignements qui relèvent du secret commercial ;

ii. Les renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels qui sont systématiquement traités de manière confidentielle par la personne qui les a présentés ;

iii. Les renseignements qui, s’ils étaient communiqués, pourraient vraisemblablement

1. être source de pertes ou de gains financiers importants pour une personne ;

2. nuire à la position concurrentielle d’une personne ;

3. influer sur les négociations contractuelles ou de toute autre nature menées par une personne.

[23]  Par conséquent, les caractéristiques de l’entente avec Manuvie sont visées par l’article 52(1)c) de la LCDP, qui confère au Tribunal le pouvoir de déclarer un document confidentiel « [s’il] y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique ».

C.  L’engagement implicite de confidentialité

[24]  La plaignante fait aussi valoir qu’une ordonnance de confidentialité n’est pas nécessaire et que la règle de l’engagement implicite de confidentialité, à laquelle toutes les parties sont assujetties lorsque des documents sont divulgués, est suffisante pour protéger l’entente avec Manuvie. La plaignante semble également affirmer que l’ordonnance de confidentialité l’empêcherait de faire appel à un avocat.

[25]  Je ne partage pas l’avis de la plaignante. J’ai entendu le témoin de l’intimée et pris connaissance des observations écrites de toutes les parties, et j’estime que la « règle de l’engagement implicite » ne suffirait pas pour protéger le document contre le risque qu’il soit utilisé à des fins accessoires dans un autre litige ni contre le risque que les renseignements confidentiels qu’il contient soient divulgués au public. Je relève les remarques que le Tribunal a faites dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada (section locale 70396) c. Société du Musée canadien des civilisations, 2004 TCDP 38, au paragraphe 12 :

[12] Les parties conviennent que la « règle de l’engagement implicite » s’applique à tous les documents ou renseignements divulgués par le Musée. La justification de cette règle est qu’une partie à un litige devrait avoir le plein droit à une divulgation et à un examen des renseignements pertinents, y compris de ceux qui sont confidentiels, comme cela est nécessaire pour trancher équitablement l’affaire. Cependant, une partie ne peut pas utiliser ce droit à la divulgation pour une fin autre que le litige. S’il existe un véritable risque d’une telle utilisation en dépit de l’engagement, des restrictions additionnelles peuvent être imposées quant à la façon selon laquelle les renseignements divulgués peuvent être utilisés. (Voir Zellers Inc. c. Venta Investments Ltd. [1998] O.J. no 2118, (C.J.O.); Reichmann c. Toronto Life Publishing Co. [1990], 44 C.P.C. (2d) 206, aux pages 207 à 210 (H.C.J.); Alberta (Treasury Branches) c. Leahy [2000] A.J. no 993, aux pages 54 et 55 (B.R.).

[soulignement ajouté]

[26]  Étant donné que la plaignante et l’intimée sont parties à une autre affaire devant un tribunal civil, il est important que les deux affaires soient instruites en fonction de leurs règles respectives et distinctes en matière de divulgation. Par conséquent, si la plaignante désire invoquer l’entente avec Manuvie dans l’autre dossier, elle devrait en faire la demande conformément aux règles en matière de divulgation de ce tribunal civil.

[27]  Enfin, je suis d’avis que l’ordonnance de confidentialité n’empêcherait pas la plaignante de faire appel à un avocat, tout comme elle n’empêcherait pas la divulgation des renseignements à l’avocat dont la plaignante a retenu les services dans le cadre de l’instruction de la présente affaire.

III.  Conclusion

[28]  Je suis convaincue que l’intimée a établi que la divulgation du document sans aucune forme de protection de la confidentialité présente un risque sérieux de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation l’emporte sur l’intérêt qu’à la société à ce que l’instruction soit publique, conformément à l’article 52(1)c) de la LCDP.

[29]  J’ordonne que l’entente avec Manuvie soit désignée comme confidentielle au titre de l’article 52 de la LCDP et que les règles suivantes s’appliquent :

  • que l’intimée divulgue l’entente avec Manuvie à la plaignante et à la Commission, ainsi qu’à leurs avocats respectifs, au plus tard le 11 octobre 2017;
  • que la plaignante et la Commission ne divulguent l’entente avec Manuvie à quiconque sans le consentement préalable du Tribunal;
  • que l’entente avec Manuvie conserve le statut confidentiel que lui accorde le Tribunal jusqu’à ce que celui‑ci en décide autrement, y compris pendant la durée de l’instance devant le Tribunal ou de toute révision judiciaire ou appel connexe, et après que le jugement définitif aura été prononcé;
  • que toute partie souhaitant utiliser l’entente avec Manuvie pendant l’audience informe le Tribunal à l’avance et que celui‑ci puisse alors décider, à sa discrétion et conformément à l’article 52 de la LCDP, de procéder aux délibérations à huis clos;
  • que la plaignante restitue l’entente avec Manuvie à l’intimée après que le jugement définitif aura été rendu, une fois tous les recours aux mécanismes de révision judiciaire ou d’appel épuisés;
  • que la Commission, en sa qualité d’organisme gouvernemental, protège la confidentialité de l’entente avec Manuvie, conformément aux politiques et aux directives gouvernementales applicables en matière de conservation et de protection des renseignements exclusifs confidentiels. Subsidiairement, la Commission peut restituer l’entente avec Manuvie à l’intimée aux mêmes conditions que celles de la plaignante;
  • enfin, que l’entente avec Manuvie et que tout autre document confidentiel en la possession du Tribunal soient mis sous scellé conformément à la pratique du Tribunal et ne soient divulgués à quiconque.

IV.  La demande de divulgation d’autres documents

[30]  Les objections écrites de la plaignante à l’ordonnance de confidentialité contiennent aussi une demande de divulgation d’autres documents qui n’ont pas été demandés précédemment.

[31]  Les trois premiers documents sont des documents auxquels le témoin de l’intimée, Anita Shearer, a fait référence pendant la CTGI comme des documents distincts de l’entente avec Manuvie (l’entente-cadre), mais qui en font néanmoins partie. Mme Shearer a indiqué qu’il s’agissait de régimes de services de gestion seulement et qu’ils portaient sur 1) les droits aux prestations de soins de santé et de soins dentaires pour les employés non syndiqués; 2) les régimes assurés; 3) les régimes d’assurance‑invalidité de longue durée.

[32]  Selon le témoignage de Mme Shearer, les autres documents sont deux documents distincts, l’un étant intitulé [traduction] « Aperçu des régimes », pour les employés syndiqués, et l’autre [traduction] « Aperçu des régimes flexibles », pour les employés non syndiqués.

[33]  Bien que ces cinq documents auraient dû être demandés par la plaignante au moyen d’une demande de divulgation additionnelle distincte, dans l’intérêt d’une instruction rapide et compte tenu des arguments subsidiaires de l’intimée, j’accueille la demande de la plaignante, mais j’ordonne que la divulgation soit assujettie aux mêmes conditions que celles susmentionnées relativement à l’entente avec Manuvie.

V.  Le délai supplémentaire pour permettre à la plaignante de présenter sa réponse

[34]  La plaignante demande un délai supplémentaire pour présenter son exposé des précisions en réplique. J’accueille la demande de la plaignante et je lui donne jusqu’au 10 novembre 2017 pour le faire.

Signée par

Anie Perrault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 4 octobre 2017

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2126/4215

Intitulé de la cause : Nicole Grace Valenti c. Chemin de fer Canadien Pacifique

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 4 octobre 2017

Requête traitée pendant la CTGI et au moyen des observations écrites

Représentations écrites par :

Nicole Grace Valenti , pour elle‑même

Shane Todd , pour l'intimée

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