Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Tribunal's coat of arms - Description : Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

 

Référence : 2017 TCDP 27

Date : le 11 août 2017

Numéro du dossier : T2157/3116

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Jane Clegg

la plaignante

 - et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Air Canada

l'intimée

Décision sur requête

 

Membre : Kirsten Mercer

 


I.  Résumé

[1]  Vu la nature générale et systémique de la plainte, et le critère relativement peu exigeant applicable à la production de documents à l’étape de la divulgation, je suis arrivée à la conclusion que le Rapport Nance est potentiellement pertinent quant aux questions soulevées dans la plainte. Pour les motifs énoncés ci-dessous, j’ordonne à Air Canada de produire le Rapport Nance, ainsi que tous les autres documents qui sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, et qui reflètent la contribution d’Air Canada ou de ses employés à la préparation ou à la mise en œuvre du Rapport Nance, dans la mesure où de tels documents existent et qu’ils ne sont pas confidentiels.

[2]  La Commission a aussi demandé la production de documents se rapportant au système de soumission des préférences utilisé pour établir les horaires des pilotes. Air Canada a indiqué qu’il n’existe pas d’autres documents susceptibles d’être divulgués en l’occurrence.

[3]  À la demande de la pilote XY, qui fait l’objet du Rapport Nance, j’ai aussi rendu une série d’ordonnances visant à assurer la confidentialité de son identité lors de la divulgation du Rapport Nance et de toute utilisation ultérieure du rapport, et ce, pour toute la durée de l’instruction de la plainte par le Tribunal.

II.  Contexte

[4]  En mai 2012, Jane Clegg (Mme Clegg ou la plaignante) a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) à l’encontre de son ancien employeur, Air Canada. Selon ladite plainte (la plainte), elle aurait subi, dans le cadre de son emploi à titre de pilote, un traitement défavorable en raison de son sexe.

[5]  La Commission a enquêté sur la plainte et a publié un rapport recommandant que la plainte soit instruite par le Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP ou le Tribunal). Le 15 juin 2016, le Tribunal a été saisi de la plainte.

[6]  En avril 2017, les parties ont informé le Tribunal que le processus de divulgation était terminé, et une date d’audience a été fixée au mois d’octobre 2017.

[7]  Le 25 avril 2017, l’avocate d’Air Canada a avisé le Tribunal qu’un rapport rédigé par le commandant de bord John Nance en juin 2014 dans le cadre d’une autre procédure (le Rapport Nance) — qui n’aurait pas dû être divulgué — avait été produit par inadvertance pendant l’enquête de la Commission. Air Canada a en définitive soutenu que le document n’était pas  pertinent au regard de la plainte et qu’il contenait des renseignements personnels concernant une tierce partie.

[8]  La Commission et la plaignante ont fait valoir que le document était effectivement pertinent quant à la plainte et qu’il avait été adéquatement produit. Elles ont indiqué qu’elles avaient l’intention de s’appuyer sur le Rapport Nance à l’audience.

[9]  Les parties ont convenu qu’Air Canada retirerait le document et que la Commission présenterait une requête sollicitant l’autorisation de le produire, ce qu’elle a fait depuis.

[10]  Comme des questions de confidentialité avaient été soulevées en ce qui concerne la personne visée par le Rapport Nance (que j’appellerai « la pilote XY »), la pilote XY a été informée de la requête de la Commission et s’est vu offrir la possibilité de présenter au Tribunal des observations à propos de la confidentialité, ce qu’elle a fait.

A.  La plainte  

[11]  Mme Clegg soutient avoir subi un traitement défavorable fondé sur le sexe relativement à une série d’incidents précis survenus entre juillet 2009 et avril 2013 et à la réponse d’Air Canada à ces incidents.

[12]  La plaignante et la Commission déposent également une plainte de discrimination systémique de portée plus large au sujet du harcèlement sexiste dont sont victimes les femmes pilotes d’Air Canada. Plus particulièrement, dans le résumé de sa plainte, Mme Clegg soutient que le harcèlement sexiste constitue un problème fréquemment vécu par les femmes pilotes d’Air Canada et qu’[traduction] « Air Canada fait systématiquement preuve d’ambivalence à l’égard du harcèlement ». De plus, au paragraphe 20f) (sic) de son exposé des précisions, Mme Clegg réclame une mesure de redressement générale et systémique, soit la [traduction] « modification, en consultation avec la Commission, des politiques et des procédures de l’intimée en ce qui concerne le harcèlement sexiste ».

[13]  La CCDP soutient que le système de soumission des préférences utilisé pour établir les horaires est source de discrimination systémique dans son application aux femmes pilotes qui estiment avoir été victimes de harcèlement ou de discrimination.

[14]  Sur la base de ces allégations, et aux fins de l’analyse qui suit, j’estime que la plainte porte sur la discrimination systémique dont sont victimes les femmes pilotes d’Air Canada en raison de leur sexe.

B.  Le Rapport Nance

[15]  Le Rapport Nance a été rédigé par le commandant de bord John Nance en juin 2014. L’Association des pilotes d’Air Canada (APAC) avait retenu les services du commandant Nance pour qu’il produise un rapport portant sur un grief déposé par l’APAC, au nom de la pilote XY, contre Air Canada.  La pilote XY et l’APAC ne sont pas actuellement parties à la plainte.

[16]  En examinant la présente requête, j’ai d’abord tenté de rendre ma décision sans lire le Rapport Nance. Cependant, vu le litige factuel qui oppose les parties à la présente requête sur l’objet du Rapport Nance, et compte tenu du fait qu’aucune partie ne s’est opposée à ce que je le consulte, j’ai décidé qu’il serait préférable d’en prendre connaissance pour savoir s’il contient des renseignements potentiellement pertinents quant à la plainte.

[17]  C’est donc ce que j’ai fait. À la lumière de cet examen du rapport et des observations des parties et aux fins de la présente analyse, j’arrive (notamment) à la conclusion que les sujets suivants sont abordés dans le Rapport Nance : 

  • un aperçu général des développements en matière de sécurité aérienne survenus à la fin des années 1970, avec une attention particulière aux conséquences de l’erreur humaine sur la sécurité des vols;
  • les effets d’une distraction des membres de l’équipage sur la sécurité des vols, notamment les effets de la pornographie à titre de distraction, et plus particulièrement, ses effets sur les femmes pilotes dans un secteur dominé par les hommes;
  • dans une perspective de sécurité aérienne, l’attention et le soutien particuliers qui doivent être apportés aux pilotes susceptibles d’être distraits;
  • les effets des propos perçus comme racistes sur la sécurité des vols;
  • les obligations de l’équipage en ce qui concerne le matériel sexuellement explicite (y compris la pornographie);
  • une évaluation de la réponse d’Air Canada en ce qui concerne :
    1. le matériel sexuellement explicite trouvé de façon systématique dans les postes de pilotage d’Air Canada;
    2. les commentaires sexuels et/ou racistes explicites échangés dans les postes de pilotage d’Air Canada;
    3. l’existence d’un environnement de travail hostile ou malsain attribuable à des incidents répétitifs ou propres à la culture du milieu de travail en lien avec les points (1) ou (2) ci-dessus.

[18]  Je conviens avec Air Canada que le Rapport a été produit dans le cadre d’un grief  portant sur la pornographie dans les postes de pilotage des avions d’Air Canada présenté par une tierce partie (APAC) au nom d’une autre tierce partie (pilote XY). Je conviens également avec Air Canada que le commandant Nance possède de l’expertise principalement en matière de sécurité aérienne et en ce qui concerne les effets de la distraction des pilotes sur la sécurité des vols. Cependant, je ne souscris pas à la thèse d’Air Canada selon laquelle le rapport porte seulement sur [traduction] « la pornographie présente dans les postes de pilotage et les effets de cette pornographie sur la sécurité des vols ».  

[19]  Il ressort de mon examen du Rapport Nance que l’auteur procède à une évaluation plus large de la culture d’Air Canada en matière de harcèlement sexuel et de discrimination (dont peut faire partie l’affichage de pornographie dans les postes de pilotage), à la période durant laquelle la plainte a été déposée.

C.  Questions en litige

  • Le Rapport Nance a-t-il une pertinence pour les questions soulevées dans la plainte?
    1. Devrait-il être divulgué?
    2. Les autres documents relatifs au Rapport Nance et qui se trouvent en la possession ou sous l’autorité d’Air Canada devraient-ils être divulgués?
  • Les autres documents portant sur le système de soumission des préférences devraient-ils être divulgués?
  • Si le Rapport Nance fait l’objet d’une ordonnance de divulgation, quelles mesures de confidentialité devraient être mises en place pour protéger les renseignements personnels confidentiels de la pilote XY?

III.  QUESTION EN LITIGE 1 : Divulgation

A.  Le droit applicable

[20]  Le pouvoir qu’a le Tribunal d’ordonner la production d’un document découle de l’article 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), dont voici un extrait :

« Le membre instructeur […] instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à [toutes les parties ayant reçu l’avis] la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations. »

et de l’article 6 des Règles de procédure du Tribunal, lequel prévoit ce qui suit :

« (1) Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

d) les divers documents qu’elle a en sa possession — pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué — et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les faits et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

(5) Une partie doit divulguer et produire les documents supplémentaires nécessaires

b) si elle constate qu’elle ne s’est pas conformée correctement ou complètement aux alinéas 6(1)d) […]. »

[21]  Il est bien établi par la jurisprudence, et ce n’est pas contesté dans la présente requête, que la norme applicable à la divulgation de documents, en vertu de l’alinéa 6(1)d) et du paragraphe (5) des Règles, est que les documents doivent être en rapport avec un fait, une question ou une forme de redressement demandée, y compris les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par d’autres parties. Pour qu’un document soit potentiellement pertinent, il doit y avoir un lien rationnel entre le document dont on demande la divulgation et une question ou un fait soulevé, ou une forme de redressement demandée, par un tiers (Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18 (Seeley), au paragraphe 6).

[22]  Une demande de divulgation « ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une “partie de pêche” » (Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34 (Guay), au paragraphe 43), mais le critère est peu exigeant en ce qui concerne la production de documents potentiellement pertinents et actuellement on tend à favoriser la divulgation à l’étape de la production (Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, aux paragraphes 6 et 7; voir aussi Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, au paragraphe 11).

[23]  Dans Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba Inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28 (AETM), le Tribunal a conclu ce qui suit au paragraphe 4 :

La production de documents est assujettie au critère de la pertinence potentielle, qui n’est pas un critère très exigeant. Il doit y avoir une certaine pertinence entre le document ou les renseignements demandés et la question en litige. Il ne fait aucun doute qu’il est dans l’intérêt public de veiller à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient disponibles dans le cadre d’une affaire comme celle en l’espèce. Une partie a le droit d’obtenir les renseignements ou les documents qui sont pertinents quant à l’affaire ou qui pourraient l’être. Cela ne veut pas dire que ces documents ou renseignements seront admis en preuve ou qu’on leur accordera une importance significative.

[24]  Il convient par ailleurs de signaler que la divulgation de renseignements potentiellement pertinents ne veut pas dire que ces derniers seront admis en preuve au stade de l’audition de l’affaire ou qu’on leur accordera un poids important lors de la prise de décision (voir Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 5; voir aussi AETM, au paragraphe 4).

B.  Les positions des parties

(i)  La position de la Commission

[25]  La Commission soutient que le Rapport et tous les autres documents qui sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’Air Canada et qui se rapportent à la préparation ou à la mise en œuvre du Rapport Nance (les « documents connexes ») sont pertinents quant à la plainte, y compris quant aux mesures de redressement demandées. Plus précisément, la Commission affirme que l’analyse qui y est faite de l’importance du soutien (ou du manque de soutien) offert par la compagnie aérienne à ses femmes pilotes — surtout celles qui affirment avoir été victimes de harcèlement ou de discrimination — cette analyse est pertinente en ce qui concerne la plainte. La Commission donne l’utilisation par Air Canada du système de soumission des préférences comme exemple du fait qu’Air Canada n’aurait pas offert de soutien aux femmes pilotes.

[26]  Plus précisément, la Commission demande la production des documents se rapportant au système de soumission des préférences utilisé par Air Canada pour établir les horaires des pilotes et des membres de l’équipage, y compris toute analyse comparative entre les sexes ou toute autre analyse qu’aurait faite Air Canada du système et de la façon dont il est utilisé.

[27]  Enfin, la Commission soutient que le Rapport et les documents connexes seraient pertinents quant aux mesures de redressement systémiques qu’elle demande puisqu’ils aideraient le Tribunal à comprendre les mesures déjà prises par Air Canada pour répondre aux préoccupations soulevées dans la plainte.

(ii)  La position de la plaignante

[28]  La plaignante a repris les observations de la Commission et a conclu que le Rapport Nance n’est pas seulement pertinent, mais essentiel pour les besoins de la plainte puisqu’il fournit un avis d’expert et la preuve des conséquences du harcèlement sexiste sur la sécurité des vols. Mme Clegg ajoute que le Rapport présente des éléments de preuve se rapportant au préjudice professionnel inévitable causé aux femmes pilotes qui signalent avoir été victimes de harcèlement et qui ne reçoivent pas un soutien approprié de leur compagnie.

(iii)  La position de l’intimée

[29]  Air Canada affirme que la portée du Rapport est limitée à la question de la pornographie présente dans les postes de pilotage des avions d’Air Canada et que, par conséquent, le Rapport ne présente aucun intérêt pour l’enquête sur la plainte de Mme Clegg, le système de soumission des préférences et l’établissement des horaires en général. Air Canada soutient en outre que le Rapport porte sur la sécurité des vols, ce qui n’est pas (à son avis) une question importante dans le contexte de la plainte.

[30]  Air Canada estime en outre que le Rapport et les documents connexes ne peuvent pas être divulgués puisqu’ils n’ont pas de rapport avec la plainte ou (dans la mesure où de tels documents existent et peuvent être divulgués) qu’ils ont déjà été produits. 

[31]  S’agissant de la demande de documents se rapportant au système de soumission des préférences, Air Canada soutient que, dans la mesure où de tels documents existent et ne sont pas confidentiels, tous les documents ont déjà été divulgués.

C.  Analyse

[32]  Comme je l’ai déjà indiqué, j’estime que la plainte qui a été renvoyée au Tribunal comprend une allégation générale de discrimination systémique contre les femmes pilotes d’Air Canada. En outre, la plaignante et la Commission sollicitent des mesures de redressement systémiques contre Air Canada dans le but, notamment, de modifier les politiques et les procédures relatives au harcèlement sexiste.

(i)  Le Rapport Nance et les documents connexes

[33]  Compte tenu de la nature générale de la plainte, j’estime que plusieurs aspects du Rapport Nance sont potentiellement pertinents quant aux questions soumises au Tribunal. Sans vouloir anticiper ou limiter les arguments que les parties pourraient présenter sur ce point à l’audience, des questions de la nature de celles qui sont décrites ci-dessous pourraient être pertinentes quant aux allégations formulées dans la plainte et aux mesures de redressement sollicitées.

  • L’attention et le soutien particuliers qui doivent être apportés aux pilotes qui pourraient avoir été victimes de harcèlement;
  • Les diverses obligations de l’équipage en ce qui concerne les blagues, les commentaires ou les documents sexistes;
  • Une évaluation des mesures prises par Air Canada en ce qui concerne :
    1. le matériel sexuellement explicite trouvé de façon systématique dans les postes de pilotage d’Air Canada;
    2. les commentaires sexuels explicites échangés dans les postes de pilotage d’Air Canada;
    3. l’existence d’un environnement de travail hostile ou malsain attribuable à des incidents à caractère sexuel.

 

[34]  La requête visant à obtenir la divulgation du Rapport Nance et des documents connexes remplit le critère de la pertinence et les renseignements demandés devraient être divulgués. Il existe un lien rationnel entre les renseignements demandés et les faits, les questions soulevées et les mesures de redressement sollicitées dans la plainte. On ne peut qualifier la requête de « partie de pêche » puisque les renseignements qui seront divulgués offriront aux parties la possibilité pleine et entière de présenter leurs arguments.

[35]  Par conséquent, le Rapport Nance et les documents connexes – dans la mesure où de tels documents existent et qu’ils ne sont pas confidentiels – devraient, s’ils n’ont pas déjà été produits, être divulgués par Air Canada, sous réserve des modalités prévues dans les ordonnances qui figurent plus loin.

[36]  Il convient de souligner que la présente ordonnance se rapporte à la production des documents à l’étape de la divulgation et elle ne constitue pas une décision quant à l’admission en preuve du Rapport Nance ou au poids qu’on lui accordera à l’audience s’il est admis, surtout s’il est admis en l’absence d’un témoignage de vive voix du commandant Nance ou sans contre-interrogatoire par Air Canada.

(ii)  Les documents se rapportant au système de soumission des préférences

[37]  La Commission a demandé les documents comportant une analyse ou une enquête sur la raison pour laquelle des copilotes souhaitent modifier leurs horaires, ou soumettre des préférences, pour voler avec certains commandants de bord, y compris toute donnée ou analyse de donnée en fonction des sexes, quant au nombre de copilotes qui procèdent de cette façon. 

[38]  En ce qui concerne les documents demandés par la Commission relativement au système de soumission des préférences, je suis d’avis qu’ils satisferaient facilement au critère de divulgation. Tous ces documents auraient déjà dû être produits ou (aux termes de l’alinéa 6(1)e) des Règles du Tribunal) devraient figurer sur la liste des documents pertinents pour lesquels Air Canada invoque un privilège de non-divulgation.

IV.  QUESTION EN LITIGE 2 : Confidentialité de la pilote XY

A.  Le droit applicable

[39]  La Loi canadienne sur les droits de la personne confère au Tribunal le pouvoir de rendre une ordonnance de confidentialité dans les circonstances appropriées.

[40]  Selon l’article 52(1)c) de la Loi, le Tribunal peut prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu qu’il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres et que la nécessité d’empêcher cette divulgation dans l’intérêt des personnes concernées l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.

B.  Les positions des parties

(i)  La position de la pilote XY

[41]  La pilote XY soutient que la divulgation du Rapport Nance soulève des inquiétudes sérieuses quant à la préservation de la confidentialité de ses renseignements personnels (renseignements d’identification) et pourrait lui causer un préjudice injustifié.

[42]  Bien que le Rapport Nance ait été produit dans le contexte d’un grief déposé par l’APAC au nom de la pilote XY, ce problème a été résolu entre les parties et il semble que le rapport n’a jamais été rendu public.

[43]  La pilote XY travaille toujours pour Air Canada et craint que la divulgation de ses renseignements d’identification lui cause un préjudice injustifié. Par conséquent, la pilote XY a demandé au Tribunal de prendre diverses mesures pour protéger  la confidentialité de ses renseignements, y compris :

  • le caviardage du Rapport Nance de manière à faire disparaître les renseignements d’identification;
  • la destruction des copies non caviardées du Rapport Nance;
  • l’anonymisation continue de la pilote XY;
  • la non-divulgation du Rapport Nance et des renseignements d’identification par le Tribunal;
  • l’imposition de limites à la divulgation du Rapport Nance;
  • en ce qui concerne la qualité d’agir dans toute requête ou procédure future portant sur le Rapport Nance.

(ii)  La position de la Commission

[44]  La Commission appuie les mesures qui auraient pour effet de protéger les renseignements d’identification de la pilote XY.

[45]  Aucune autre partie n’a présenté d’observations quant aux mesures de protection de la confidentialité demandées par la pilote XY. Par conséquent, la demande de la pilote XY n’est pas contestée.

C.  Analyse

[46]  La pilote XY n’est pas une partie à la plainte et (sauf peut-être dans la mesure où elle est une femme pilote d’Air Canada) ses renseignements d’identification n’ont aucun rapport avec la présente procédure. En outre, ses demandes de mesures de protection de la confidentialité sont raisonnables et incontestées.

[47]  Le Tribunal a le pouvoir de prendre toute mesure nécessaire pour atteindre un équilibre approprié entre la confidentialité et l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.

[48]  Je suis convaincue que la nécessité de protéger la confidentialité des renseignements de la pilote XY l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que tout cet aspect du processus d’audience soit divulgué et j’estime qu’une ordonnance visant à protéger la confidentialité de la pilote XY est justifiée dans ces circonstances.

V.  Ordonnances

A.  Divulgation

[49]  En vertu du pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles de procédure du Tribunal, je rends les ordonnances suivantes :   

  1. Air Canada doit produire le Rapport Nance, ainsi que tous les autres documents qui sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, et qui reflètent la contribution d’Air Canada ou de ses employés à la préparation ou à la mise en œuvre du Rapport Nance, dans la mesure où de tels documents existent et qu’ils ne sont pas confidentiels, sous réserve des ordonnances de confidentialité ci‑dessous.
  2. Air Canada doit fournir ces renseignements aux parties dans les trois (3) semaines suivant la date de la présente décision.

B.  Confidentialité

[50]  En vertu du pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles de procédure du Tribunal, je rends les ordonnances suivantes :

  1. La partie qui fait l’objet du Rapport Nance doit être appelée « la pilote XY » dans toutes les observations, discussions, décisions sur requête et décisions qui seront présentées ou rendues dans le cadre de la présente instance.
  2. Air Canada doit divulguer une copie du Rapport Nance dans laquelle tous les renseignements d’identification (à l’exception du sexe de la pilote XY) ont été caviardés conformément aux observations présentées par la pilote XY.
  3. La Commission et la plaignante doivent détruire toutes les copies non caviardées du Rapport Nance qu’elles ont en leur possession, sous leur autorité ou sous leur garde.
  4. Le greffe du Tribunal doit garder une copie non caviardée du Rapport Nance, laquelle est déposée sous scellée et ne peut être divulguée.
  5. Toute autre requête relative au Rapport Nance doit être signifiée à la pilote XY. Cette dernière aura qualité pour présenter des observations au Tribunal en ce qui concerne la protection continue de ses renseignements confidentiels.

Signé par

Kirsten Mercer

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

11 août 2017


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T257/3116

Intitulé de la cause : Jane Clegg c. Air Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 11 août 2017

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

Représentations écrites par :

Jane Clegg , pour la plaignante

Daniel Poulin , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Karen M. Sargeant , pour l'intimée  

Pilote XY, en son propre nom

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