Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Les armoiries du Tribunal - Description : Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2016 TCDP 18

Date : le 2 novembre 2016

Numéros des dossiers : T2077/7814 and T2078/7914

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Chiyuka Saviye

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Afroglobal Network Inc.

- and

-Michael Daramola

les intimés

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

 



I.  Le contexte

[1]  Il s’agit d’une décision sur requête concernant une requête datée du 12 août 2016 présentée par la plaignante en vue d’obtenir une ordonnance modifiant la plainte déposée dans la présente affaire contre Afroglobal Network Inc. (Afroglobal), afin d’inclure des allégations de représailles, en contravention de l’article 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch. H-6 (la Loi).

[2]  La plainte déposée contre Afroglobal n’est pas datée et a été reçue à la Commission le 18 septembre 2013. Dans cette plainte, la plaignante allègue que son employeur, Afroglobal, a fait preuve de discrimination fondée sur le sexe envers elle, entre septembre 2011 et juillet 2013; il s'agit d’un motif de distinction illicite au sens du paragraphe 3(1) de la Loi. La plaignante soutient que la discrimination dont elle aurait été victime inclut des pratiques discriminatoires, une différence de traitement défavorable et le défaut d’offrir un environnement de travail exempt de harcèlement sexuel, en contravention des articles 7 et 14 de la Loi.

[3]  La plainte contre Michael Daramola (Daramola) est datée du 18 septembre 2013 et a été reçue à la Commission le 30 septembre 2013. Cette plainte est identique à celle déposée contre Afroglobal. Dans cette plainte, la plaignante allègue avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe de la part de Daramola qui, à la période pertinente, était directeur et administrateur de son employeur, Afroglobal, il s'agit d'un motif de distinction illicite au sens du paragraphe 3(1) de la Loi. La plaignante soutient que la discrimination dont elle aurait été victime inclut une pratique discriminatoire, soit le harcèlement sexuel, en contravention de l’article 14 de la Loi.

[4]  Les articles 7, 14 et 14.1, et le paragraphe 3(1) de la Loi sont libellés ainsi :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

 

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

14 (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

c) en matière d’emploi.

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

14.1. Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

[5]  Dans une lettre datée du 14 janvier 2015, la Commission a renvoyé les plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), afin qu’il instruise les plaintes conformément à l’alinéa 44(3) a) de la Loi, et a demandé que les plaintes soient jointes.

[6]  L’exposé des précisions de la plaignante, notamment les précisions concernant l’allégation de représailles, datées du 15 août 2016, ont été incluses dans l’avis de requête. Il ressort de cet exposé des précisions que, après avoir reçu l’avis de plainte envoyé par la Commission, vers octobre 2013, Afroglobal, qui avait fait une offre de promotion d’emploi à la plaignante vers l’été 2013, a retiré cette offre de promotion, en guise de représailles, en raison de la plainte déposée par la plaignante.

[7]  L’exposé des précisions de la Commission est daté du 12 août 2016 et sa réplique à la requête est datée du 2 septembre 2016.

 

[8]  L’exposé des précisions d’Afroglobal et une réponse à la requête sont datés du 16 septembre 2016. L’exposé des précisions vise à contester les allégations de la plaignante relatives aux représailles, et il en ressort que les allégations de représailles avancées par la plaignante ne sont pas fondées sur les faits.

[9]  L’exposé des précisions de M. Daramola est daté du 16 septembre 2016.

[10]  La réplique de la plaignante à la réponse qu’Afroglobal a fournie à la requête est datée du 23 septembre 2016.

II.  Les positions des parties concernant la requête

[11]  La position de la plaignante est la suivante :

i)  Les allégations de représailles découlent de la plainte originale.

ii)  Les allégations de représailles constituent une plainte soutenable.

iii)  Les faits liés aux représailles alléguées sont connus d’Afroglobal.

iv)  La modification de la plainte visant à inclure les allégations de représailles sert l’intérêt de la justice et la détermination des véritables questions litigieuses entre les parties.

v)  L’octroi du redressement recherché n’entraînera aucun préjudice.

[12]  La position de la Commission est la suivante :

i)  La position de la plaignante à l’égard de la requête satisfait à toutes les exigences établies dans des décisions précédentes du Tribunal afin que de telles modifications soient accordées.

ii)  De plus, l’analyse du Tribunal dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Procureur général du Canada (Représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 TCDP 24 (SSEFPN) est applicable en l’espèce; au paragraphe 17 de cette décision, le Tribunal a décidé que :

Par ailleurs, les membres instructeurs sont d’avis que la modification ne portera pas préjudice à l’intimé car celui-ci a eu amplement le temps et aura amplement l’occasion de répondre aux allégations de représailles que les plaignantes ont formulées. Instruire la plainte initiale et les allégations de représailles dans le cadre de la même instance, plutôt que de séparer artificiellement les allégations en de multiples instances, est une option qui est favorable à toutes les parties et qui sert l’intérêt de la justice.

iii)  Afroglobal ne subira aucun préjudice, car l’entreprise est en bonne position pour préparer sa défense et plaider sa position, parce que les allégations de représailles émanent de la même matrice factuelle que la plainte initiale, et que les actes allégués de représailles peuvent être liés à la plainte initiale.

[13]  La position d’Afroglobal est la suivante :

i)  La question du préjudice est un facteur prédominant à prendre en compte dans l’examen de la question de savoir si une modification peut être autorisée.

ii)  Afroglobal subira un préjudice si la plainte est modifiée afin d’y inclure les allégations de représailles, parce qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la plainte originale et la modification de l’allégation de représailles.

III.  Droit et analyse

[14]  Le Tribunal dispose du pouvoir de modifier une plainte pour y ajouter une allégation de représailles. La Cour fédérale a confirmé ce principe dans la décision Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313, le paragraphe 30 est libellé ainsi :

Le Tribunal jouit d’une discrétion considérable relativement à l’instruction des plaintes en vertu des paragraphes 48.9(1) et (2) et des articles 49 et 50 de la Loi. En ce qui a trait à l’exercice de cette discrétion pour traiter d’une demande d’amendement, dans l’arrêt Canderel Ltée c. Canada (C.A.), [1994] 1 C.F. 3, 1993 IIJCan 2990 (C.A.F.), le juge Robert Décary a rappelé que : « […] la règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice ».

(Voir aussi la décision SSEFPN, précitée, au par. 13.)

[15]  De façon générale, on devrait autoriser une modification, à moins qu’il soit manifeste et évident que les allégations faisant l’objet de la demande de modification ne sauraient être jugées fondées (Virk c. Bell Canada, 2004 TCDP 10 (Virk), au paragraphe 7; voir aussi la décision Palm c. ILWU Local 500 et al., 2015 TCDP 23, au paragraphe 4).

[16]  De plus, le critère à appliquer consiste à déterminer si les allégations de représailles sont, de par leur nature, liées, du moins par le plaignant, aux allégations qui ont donné lieu à la plainte initiale et peuvent être considérées comme soutenables (voir la décision SSEFPN, aux paragraphes 7 et 14; voir aussi la décision Virk, au paragraphe 7).

[17]  Pour déterminer s’il autorise la plaignante à modifier sa plainte, le Tribunal doit prendre en considération le préjudice que subirait Afroglobal. Dans la décision Virk, le Tribunal a expliqué qu’il « doit en tout temps veiller à donner à l’intimée un préavis suffisant afin de ne pas lui causer préjudice et de lui permettre de se défendre adéquatement » (voir la décision Virk, au paragraphe 8; voir aussi la décision SSEFPN, aux paragraphes 15 et 17).

[18]  Lorsqu’il décide s’il doit autoriser la requête en modification de la plainte, le Tribunal ne devrait pas s’engager dans un examen approfondi du bien-fondé de la modification (voir le paragraphe 6 de la décision Bressette c. Conseil de bande de la première nation de Kettle et Stony Point, 2004 TCDP 2 (Bressette)). Le bien-fondé des allégations devrait être examiné à l’audience, lorsque les parties ont eu la possibilité pleine et entière de produire leurs éléments de preuve.

[19]  Autoriser une modification en raison de représailles n’établit pas en soi une contravention à la Loi. Dans la décision Bressette, le Tribunal l’a expliqué de la manière suivante au paragraphe 8 :

Cela ne veut pas dire que le plaignant a établi que l’intimé a contrevenu au paragraphe 14.1 de la Loi. Le plaignant devra prouver cela à l’audience. Le présent Tribunal a simplement conclu que la plainte initiale doit être modifiée afin d’y ajouter une allégation aux termes de l’article 14.1 de la Loi.

[20]  Selon le Tribunal, les allégations de représailles de la plaignante découlent de la même matrice factuelle que celle de la plainte initiale. La plaignante allègue qu’on lui a offert une promotion de vive voix. Après le dépôt de sa plainte à la Commission, elle soutient qu’Afroglobal a refusé de lui offrir la promotion, et a en réalité embauché d’autres personnes à sa place. Ainsi, les allégations de représailles visent les mêmes parties et découlent de la même matrice factuelle que la plainte initiale.

[21]  Selon le Tribunal, Afroglobal ne subira pas de préjudice si la modification est accordée, car l’entreprise aura amplement l’occasion de répondre aux allégations de représailles avancées par la plaignante. La position d’Afroglobal selon laquelle il n’y a pas de lien de causalité entre la plainte initiale et la modification par laquelle l’allégation de représailles est faite n’est pas, aux fins de trancher la présente requête, une réponse aux faits allégués par la plaignante, comme il en est fait référence au paragraphe 20 ci‑dessus. Au contraire, il s’agit d’un argument sur le bien-fondé, lequel peut être plaidé lors de l’audience, comme cela ressort de la citation de la décision Bressette au paragraphe 19 ci‑dessus.

IV.  Décision et ordonnance

[22]  Pour les motifs qui précèdent, la requête en modification de la plainte est accueillie.

 

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 2 novembre 2016

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