Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Denise Seeley

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Numéro du dossier : T1355/8508

Membre : Michel Doucet

Date : Le 18 juillet 2013

Référence : 2013 TCDP 18


[1]               Denise Seeley (la plaignante) présente une requête en divulgation de documents et de renseignements que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a en sa possession. Elle soutient que ces documents et renseignements sont nécessaires pour qu’elle puisse calculer les indemnités impayées que CN doit lui verser pour la perte de salaire, en application de la décision rendue le 29 septembre 2010 par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Dans cette décision, le Tribunal a conclu que CN avait agi de façon discriminatoire envers la plaignante en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la CCDP). Plus précisément, la plaignante demande au Tribunal d’ordonner à CN de produire des renseignements confirmant le taux effectif par kilomètre applicable pour les années 2007 à 2010 et qu’elle produise la fiche de paie de fin d’année pour quatre (4) employés, qui à son avis sont les comparateurs appropriés pour chaque année.

[2]               Dans sa décision, le Tribunal avait ordonné à CN d’indemniser la plaignante pour, notamment, la perte de salaire et d’avantages :

[183] La plaignante demande une indemnité pour tout le salaire et les avantages qu’elle a perdus, en application de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP. Compte tenu de ma conclusion au sujet de la date de rétablissement, j’ordonne que la plaignante soit indemnisée pour toute perte de salaire et d’avantages à partir du 1er mars 2007 jusqu’à ce jour. J’ordonne aux parties de calculer le montant du salaire en fonction de la formule prévue dans la convention collective. En ce qui a trait aux paiements supplémentaires qu’un chef de train peut recevoir, comme il serait difficile pour le Tribunal d’établir un montant, le Tribunal ordonne aux parties qu’elles établissent ce montant en examinant les montants supplémentaires qui ont été payés pendant cette période à un conducteur travaillant dans le terminal qui aurait une ancienneté semblable, en supposant que le chef de train n’avait pas d’absences inhabituelles. Par exemple, les parties pourraient tenir compte des paiements supplémentaires qui ont été payés à l’employé qui a été affecté à Jasper en mars 2006.

[3]               Il existe un désaccord fondamental entre la plaignante et CN au sujet de la méthodologie qui devrait être utilisée pour calculer le montant de la perte de salaire. Il existe aussi un désaccord fondamental entre les parties au sujet des comparateurs qui doivent être utilisés. Selon la plaignante, les comparateurs utilisés par CN ne sont pas appropriés parce que l’employé choisi avait des absences inhabituelles et possédait des qualifications différentes de celles de la plaignante, et que cela avait une incidence directe sur son salaire. La plaignante est d’avis que les comparateurs proposés par CN ne sont pas appropriés parce qu’ils sont soit qualifiés à titre d’ingénieur, soit ils ne sont pas qualifiés à titre de chef de train-conducteur de locomotive. Elle soutient que, selon un examen de la liste d’ancienneté fournie par CN quant aux comparateurs possibles, quatre (4) autres employés constituent des comparateurs appropriés parce qu’ils ont une ancienneté semblable à la sienne et que, [traduction] « à sa connaissance », ils sont qualifiés à titre de chef de train-conducteur de locomotive. Elle soutient aussi qu’aucun de ces employés n’est qualifié à titre d’ingénieur ni n’a eu d’absence inhabituelle pendant la période visée.

[4]               CN réfute catégoriquement ces allégations. Selon CN, l’employé dont la période d’ancienneté équivaut le plus à celle de la plaignante, qui n’a pas d’« absence inhabituelle », est l’employé qui est mentionné à titre d’exemple dans la décision du Tribunal. CN soutient que cet employé constitue le comparateur approprié et que, lorsqu’il a été absent du travail, CN s’est fondée sur l’employé suivant dans la liste d’ancienneté. CN soutient que la comparaison qu’elle a utilisée était [traduction] « plus avantageuse » pour la plaignante. CN soutient aussi que l’employé qu’elle a choisi à titre de comparateur n’avait pas d’« absence inhabituelle ».

I.       La question en litige

[5]               La question en l’espèce est celle de savoir si le Tribunal devrait ordonner la divulgation des renseignements et des documents demandés par la plaignante.

II.    La décision

[6]               La norme applicable en matière de divulgation de documents est celle de la pertinence possible quant aux questions en litige dans la procédure. En d’autres mots, la plaignante doit établir qu’il existe un lien entre les renseignements ou les documents qu’elle demande et les questions en litige : Guay c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, au paragraphe 42. La pertinence possible des documents doit être déterminée au cas par cas, en tenant compte des questions soulevées dans chaque cas : Warman c Bahr, 2006 TCDP, 18, au paragraphe 9. De plus, le Tribunal a clairement établi qu’une demande de divulgation « ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une “partie de pêche” » : Guay c Canada, précitée, au paragraphe 43.

[7]               En l’espèce, bien que les renseignements demandés semblent, à première vue, être pertinents, je ne crois pas que l’ordonnance demandée devrait être accordée. J’ai lu les arguments des parties quant à la présente requête, et il est évident que la requête en production des documents n’est rien de plus qu’une question accessoire à la question principale. Ce qui est en jeu en l’espèce, c’est la question sur le fond. Dans leur mémoire, les deux parties ont présenté des faits qui concernent le fond de l’affaire, sans présenter d’affidavit à l’appui et sans que les parties aient eu l’occasion de contre‑interroger les témoins de l’autre partie au sujet de leurs témoignages.

[8]               Pour l’instant, je ne vois aucune raison d’accorder l’ordonnance de divulgation demandée par la plaignante. L’affaire devrait être instruite sur le fond par le Tribunal. CN aura alors le fardeau d’établir que la méthodologie utilisée pour calculer le montant des pertes de salaire à payer à la plaignante est appropriée et respecte l’ordonnance rendue par le Tribunal. La plaignante aura pleinement l’occasion de discréditer l’approche de CN, soit en présentant sa propre preuve, soit en contre interrogeant les témoins de CN. Si la plaignante réussit à établir que CN n’a pas utilisé la méthodologie appropriée, il reviendra alors au Tribunal, en fonction de la preuve, de rendre l’ordonnance appropriée quant à la façon dont les parties devraient traiter la question.

[9]               Il est évident, à la lecture des observations des parties, qu’elles ont un désaccord fondamental au sujet des faits importants entourant la question dont le Tribunal est saisi. Il ne serait pas approprié pour le Tribunal, dans le cadre d’une requête préliminaire en divulgation de documents, de tirer une conclusion qui aurait des répercussions sur le fond de la question, sans avoir eu l’occasion d’entendre la preuve.

[10]           Pour ces motifs, la requête en divulgation de renseignements et de document est,  pour l’instant, rejetée.

 

Signée par

Michel Doucet

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 18 juillet 2013

 

 

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