Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

Beatrice Nacey

Joseph Donald Rainville

Kumbayaz Dennis

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Affaires autochtones et Développement du Nord Canada

l’intimé

Décision sur requête

Nos des dossiers : T2020/2114, T2021/2214, T2023/2414

Membre instructrice : Sophie Marchildon

Date : Le 22 juillet 2014

Référence : 2014 TCDP 20

 



I.       Les plaintes

[1]               Les plaignants allèguent que l’intimé a commis un acte discriminatoire fondé sur l’âge, le sexe ou la situation de la famille, ce qui est contraire à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H‑6 (la LCDP).

[2]               Plus précisément, deux des plaignants (Mme Nacey et M. Rainville) allèguent que l’intimé a commis un acte discriminatoire dans son application de l’alinéa 6(1)c.1) de la Loi sur les Indiens, qui les obligent, eux-mêmes ou un frère ou une sœur, d’être nés ou d’avoir été adoptés après le 4 septembre 1951 pour avoir le droit d’être inscrits aux termes du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens.

[3]               La troisième plaignante (Mme Dennis) allègue que l’intimé a commis un acte discriminatoire en appliquant des dispositions législatives qui assurent aux enfants de sexe masculin nés d’un père indien hors mariage avant le 17 avril 1985 un meilleur traitement qu’aux enfants de sexe féminin qui se trouvent dans des circonstances par ailleurs identiques.

[4]               Les 15 mai et 5 juin 2015, en application de l’article 49 de la LCDP, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a renvoyé les plaintes et demandé au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) de les instruire. Les dossiers des plaignants ne sont pas joints en vue de procéder à une audience unique. Cependant, étant donné que la Commission a fait la même requête dans chacune des trois plaintes, et compte tenu des similitudes de leur objet, la requête de la Commission fera l’objet d’une seule décision.

II.    La demande d’ajournement de l’instance du Tribunal

[5]               Les 16 et 23 juin 2014, la Commission a proposé que l’on ajourne les plaintes en attendant que la Cour fédérale soumette à un contrôle judiciaire les décisions rendues par le Tribunal dans les affaires Matson/Andrews, lesquelles ont trait à des plaintes semblables à propos de la manière dont l’intimé a appliqué les dispositions de la Loi sur les Indiens en matière d’inscription.

[6]               Dans les décisions Matson (2013 TCDP 13) et Andrews (2013 TCDP 21), le Tribunal a rejeté les plaintes, concluant que les plaignants contestaient les dispositions de la Loi sur les Indiens en matière d’inscription, par opposition à un « service », au sens de l’article 5 de la LCDP, que l’intimé fournissait. Appliquant l’arrêt que la Cour d’appel fédérale a rendu dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2012 CAF 7, le Tribunal a conclu que les contestations qui visent une loi, et rien d’autre, échappent au champ d’application de la LCDP.

[7]               Toutes les parties consentent à l’ajournement de la présente instance.

III.  Le droit applicable et l’analyse

[8]               Il est bien établi que le Tribunal est maître de sa propre procédure et qu’il a le pouvoir discrétionnaire considérable d’ajourner ses instances (voir Baltruweit c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2004 TCDP 14).

[9]               Cela dit, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal est soumis aux règles d’équité procédurale et de justice naturelle, de même qu’au régime de la LCDP. Cette dernière exige que le Tribunal instruise une plainte quand la Commission lui en fait la demande et qu’il donne aux parties la possibilité pleine et entière de présenter leur cause et de formuler des observations (voir les paragraphes 49(2) et 50(1) de la LCDP). L’article 2 de la LCDP fait également état d’un intérêt public prépondérant à ce que l’on élimine les actes discriminatoires. Et, détail particulièrement important, le paragraphe 48.9(1) de la LCDP prévoit que les plaintes soumises au Tribunal doivent être instruites de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle. Cependant, étant maître de sa propre procédure, le Tribunal peut néanmoins ajourner une instance, s’il y a lieu, à sa discrétion (voir Leger c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1999) D.C.D.P. no 6 (TCDP), au paragraphe 4; Baltruweit c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2004 TCDP 14, au paragraphe 15).

[10]           Les plaintes dont il est question en l’espèce ressemblent à celles qui étaient en litige dans les affaires Matson et Andrews,
dans la mesure où l’on y allègue que l’intimé a commis un acte discriminatoire en appliquant les dispositions de la Loi sur les Indiens en matière d’inscription. Si l’on appliquait aux plaintes dont il est ici question le raisonnement formulé par le Tribunal dans les décisions Matson et Andrews, l’issue serait vraisemblablement la même : les plaintes seraient rejetées. Comme il a été mentionné plus tôt, le Tribunal a rejeté ces plaintes parce qu’il a conclu qu’elles contestaient les dispositions de la Loi sur les Indiens en matière d’inscription, par opposition à un « service », au sens de l’article 5 de la LCDP, que l’intimé fournissait. Le Tribunal a conclu que les contestations qui visent des dispositions législatives, et rien d’autre, échappent au champ d’application de la LCDP.

[11]           Dans le cas présent, la Commission fait valoir que la LCDP permet que des plaignants contestent directement la manière dont un ministère applique des dispositions législatives de nature impérative. Aux dires de l’intimé, ce type de plainte excède la compétence de la LCDP. Le Tribunal a fait part de son avis sur la question dans les décisions Matson et Andrews, et cette question a maintenant été soumise à la Cour fédérale en vue d’un contrôle judiciaire. De ce fait, comme la Cour fédérale est actuellement saisie de la même question, le fait d’instruire les plaintes à ce stade-ci ne permettrait pas de répondre tout à fait aux questions qu’elles soulèvent. Je suis plutôt d’avis que, par souci d’efficacité et d’équité, les parties et le Tribunal profiteraient des précisions que donnerait la Cour fédérale sur ces questions.

[12]           Le Tribunal a déjà suivi cette démarche dans le cas d’un autre ensemble de plaintes soulevant des allégations semblables au sujet de l’application, par Anciens Combattants Canada, de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes (dossiers du Tribunal nos T1898/12812 à T1901/13112). Avec le consentement de toutes les parties, ces plaintes ont été ajournées en attendant l’issue du contrôle judiciaire de la décision Matson.

[13]           Comme dans les affaires citées ci-dessus, les plaignants dont il est question en l’espèce ont consenti à un ajournement.

[14]           Par ailleurs, le Tribunal a récemment ajourné l’instruction d’un autre groupe de plaintes dans l’affaire Renaud, Sutton et Morigeau c. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, qui visait, comme ici, à contester les dispositions de la Loi sur les Indiens en matière d’inscription. Au paragraphe 23 de sa décision, le Tribunal a formulé l’observation suivante qui,  d’après moi, s’applique en l’espèce :

Je reconnais que chaque affaire possède ses propres particularités, puisqu’il s’agit d’individus uniques et que chaque affaire est fondée sur des faits et des questions différentes. Je reconnais aussi le rôle important que les aînés jouent dans notre société et l’importance de leur droit d’être entendus lorsqu’ils exercent ce rôle. J’ai aussi examiné attentivement les répercussions que subiront les plaignants si l’affaire est ajournée. Cependant, je suis d’avis que les délais supplémentaires possibles et les complexités qui seraient créés si le Tribunal procédait à l’instruction de ces plaintes sans attendre les précisions de la Cour fédérale l’emportent sur ces facteurs. (Paragraphe 23)

[15]           Après avoir prix en considération les divers intérêts et besoins des parties et du Tribunal, j’accueille la requête de la Commission en vue de faire ajourner les présentes instances.

IV.             La décision

[16]           Pour les motifs qui précèdent, les dossiers du Tribunal nos T2020/2114, T2021/2214 et T2023/2414 sont ajournés sine die, sous réserve des conditions suivantes :

1) la Commission tiendra le Tribunal au fait de l’état des demandes de contrôle judiciaire/appels dans les affaires Matson/Andrews, et cela inclut les motifs du jugement, s’il y en a;

2) il sera possible de revoir et d’examiner la question de tout autre ajournement ou de toute autre mise en suspens une fois que la Cour fédérale se sera prononcée sur la demande de contrôle judiciaire concernant les affaires Matson/Andrews;

3) n’importe quelle partie ou le Tribunal pourra demander la tenue d’une conférence téléphonique de gestion d’instance après la publication des motifs du jugement relatifs aux demandes de contrôle judiciaire/appels mentionnés à la clause 1) ci-dessus, en vue de réévaluer le statut d’ajournement ou de mise en suspens.

Signé par

Sophie Marchildon

Juge administrative

Ottawa (Ontario)

Le 22 juillet 2014

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