Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2016 TCDP 12

Date : le 15 juin 2016

Numéros des dossier(s) : T1937/1713 & T1938/1813

Entre :

Shelby Anne Opheim

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Gagan Gill

- et -

Gillco Inc.

les intimés

Décision

Membre : Ricki T. Johnston

 



[1]  Il s’agit d’une décision portant sur deux plaintes réunies, la première datée du 28 juillet 2011, contre le particulier intimé, M. Gagan Gill, et la seconde, datée du 16 juin 2012, contre la société intimée, Gillco Inc. Ces plaintes ont été déposées par Mme Shelby Anne Opheim (la « plaignante ») auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») (ci-après appelées collectivement la « plainte »). Selon la plainte, les deux intimés, M. Gagan Gill et Gillco Inc. (collectivement, les « intimés ») ont agi de manière discriminatoire à l’endroit de la plaignante pour des motifs fondés sur le sexe et sur l’âge pendant que celle-ci était à leur emploi. Elle dit avoir été victime d’une série d’actes de harcèlement de la part de M. Gill du fait de son sexe et de son âge, y compris ce qui suit : un comportement sexuel importun, une demande de travail sexualisée et humiliante, ainsi que des remarques, des demandes et des attouchements à caractère sexuel. Toutes les allégations découlent de la période d’emploi de la plaignante, soit entre les mois de mai et de juin 2011.

[2]  Le 29 avril 2014, en application de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H‑6 (la « LCDP »), la CCDP a demandé au président du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») d’instruire la plainte.

[3]  La plaignante a déposé un exposé des précisions contenant les détails de sa plainte. Les intimés, même s’ils ont eu l’occasion de le faire, n’ont fourni aucune réponse à la plainte, ni communiqué aucun document. La plaignante a comparu pour son propre compte à l’audience et elle a témoigné. M. Gill représentait les intimés à l’audience, et il a témoigné. La plaignante et M. Gill ont pu fournir des éléments de preuve utiles lors de l’audience. Aucun autre témoin n’a été appelé. La CCDP n’a pas comparu à l’audience et n’a formulé aucune observation.

I.  La décision

[4]  Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que la partie de la plainte alléguant un harcèlement sexuel à titre d’acte discriminatoire au sens de l’article 14 de la LCDP avait été justifiée. De plus, pour les motifs indiqués ci-après, j’ai conclu que la partie de la plainte alléguant une discrimination fondée sur le sexe, conformément à l’article 7 de la LCDP, avait été justifiée. Enfin, pour les motifs indiqués ci-après, j’ai conclu que la partie de la plainte alléguant une discrimination fondée sur l’âge, conformément à l’article 7 de la LCDP, n’avait pas été justifiée, et elle est rejetée.

II.  Les faits

[5]  Dans la présente affaire, la détermination des faits a posé des défis considérables. La crédibilité a été un facteur important, car la plaignante et les intimés ne s’entendaient quant à savoir si les faits en litige s’étaient produits, et ce, pour bon nombre d’entre eux. De plus, comme les intimés n’ont pas pris part au processus de communication préalable à l’audience, de nombreux documents qui auraient pu aider à déterminer les faits n’étaient pas disponibles. À l’audience, les intimés ont fait mention de documents qui tendaient à étayer leur position à l’égard des faits, mais ils n’en ont produit aucun pour examen. En me fondant sur la totalité de la preuve testimoniale entendue, et après avoir apprécié la crédibilité des deux témoins quant à divers points ainsi qu’examiné la preuve documentaire que la plaignante a produite, j’ai tiré les conclusions de fait qui suivent.

[6]  Le 2 mai 2011, la plaignante a été embauchée pour travailler comme vendeuse et gérante au magasin de détail de la chaîne Mobilicity, possédé et exploité par les intimés et situé à l’adresse suivante : 17e Avenue SE, à Calgary (Alberta) (la « boutique de Mobilicity »). La plaignante a commencé à y travailler à ce titre le 4 mai 2011. À l’époque, elle était âgée de 18 ans. Pendant la période où la plaignante a travaillé à la boutique de Mobilicity, le particulier intimé, M. Gill, travaillait sur place deux ou trois jours par semaine. Pendant une bonne partie du temps où M. Gill était présent, Mme Opheim travaillait seule avec lui. Cependant, outre M. Gill, l’épouse de ce dernier, Jasmin Gill, travaillait elle aussi à la boutique de Mobilicity à des occasions où la plaignante et M. Gill étaient tous deux présents.

[7]  Au cours des deux premières semaines de travail de la plaignante, M. Gill a commencé à lui faire des remarques sexuellement explicites, dont les suivantes : [traduction] « Comment va ma travailleuse sexy? », [traduction] « Bonjour, sexy » et [traduction] « Tu es à croquer aujourd’hui ». Ces remarques sont devenues plus fréquentes au cours de ces deux semaines. La plaignante a essayé d’en faire abstraction, mais les remarques se sont poursuivies et leur caractère sexuel s’est intensifié.

[8]  Plus précisément, le 8 juin 2011, M. Gill et la plaignante s’occupaient d’ouvrir la boutique de Mobilicity. La plaignante avait récemment été informée que la boutique allait embaucher plus de personnel et qu’elle allait de ce fait superviser ces employés et intensifier la partie « gestion » de son travail. Elle a donc demandé à M. Gill si elle pouvait avoir une augmentation. Ce dernier a répondu : [traduction] « À condition de me faire une pipe. » Il a ensuite descendu la fermeture éclair de son pantalon et s’est mis à rire. La plaignante a refusé et a quitté la pièce.

[9]  En plus de cette demande sexuelle non sollicitée survenue le 8 juin 2011, les remarques à caractère sexuel de M. Gill à l’endroit de Mme Opheim se sont intensifiées et, au début du mois de juin 2011, elles ont commencé à inclure des attouchements sexuels non sollicités, tout cela pendant que la plaignante était au service des intimés. Au début du mois de juin 2011, M. Gill mettait la main sur les fesses de la plaignante, lui donnait des tapes sur les fesses et tentait de la saisir par les hanches et de l’asseoir sur ses genoux. Chaque fois, elle lui demandait d’arrêter et il se moquait d’elle. Ces attouchements sexuels non sollicités ont persisté et sont devenus de plus en plus sérieux, car M. Gill a commencé à remonter les mains le long de la jupe de la plaignante et à lui toucher les seins.

[10]  Le 25 juin 2011, la plaignante s’est présentée à la boutique de Mobilicity pour y travailler. Ce jour-là, la boutique tenait une vente promotionnelle. À son arrivée, elle était mise [traduction] « sur son trente-et-un » en prévision de l’occasion. Elle portait donc, notamment, une jupe et des chaussures à talons hauts. Plutôt que de travailler dans la boutique comme elle le prévoyait, la plaignante s’est vu demander par M. Gill d’arpenter le trottoir devant la boutique, afin de distribuer des prospectus annonçant la vente. Il lui a dit que, ce jour-là, elle ne recevrait que des commissions de clients répondant aux prospectus, et ce, en dépit du fait qu’elle avait dit à plusieurs clients de Mobilicity avec lesquels elle avait déjà fait affaire de se présenter à la boutique ce jour-là pour y faire des achats dans le cadre de la vente annoncée.

[11]  La plaignante a considéré que la décision de lui faire arpenter le trottoir avait pour but de la faire passer pour [traduction] « vulgaire » et cela la mettait mal à l’aise, étant donné que la rue en question était, selon elle, passablement [traduction] « dure » et étant donné la manière dont elle était vêtue. Elle a fait part de son sentiment de gêne à M. Gill.

[12]  Il y a quelques divergences entre les intimés et la plaignante à propos de ce qui s’est passé à la fin de la journée du 25 juin 2011, mais il n’est pas contesté qu’à un certain moment de la journée, Mme Opheim est allée à sa résidence, qui se trouvait à proximité de la boutique de Mobilicity, pour y prendre des chaussures plus convenables, et que M. Gill le lui a reproché. Mme Opheim a déclaré qu’elle s’était sentie obligée d’aller chez elle pour changer de chaussures, car, dans ses chaussures à talons hauts, elle n’arrivait pas à arpenter le trottoir. M. Gill a déclaré qu’elle ne se conformait pas aux instructions qu’il lui avait données au sujet de son travail. Il est clair qu’à la fin du quart de travail de la plaignante, le 25 juin 2011, cette dernière et M. Gill ont eu, dans la boutique de Mobilicity, une discussion sur son travail ce jour-là, ainsi que sur sa décision de quitter les lieux pour aller changer de chaussures.

[13]  Lors de cette discussion, la plaignante avait avec elle un agenda dans lequel elle consignait ses heures de travail. M. Gill a demandé à la plaignante de lui laisser l’agenda afin qu’il puisse consigner ses heures. Elle a refusé, disant qu’il s’agissait d’un bien personnel. La plaignante a déclaré avoir quitté l’emploi qu’elle exerçait auprès des intimés parce que, lors de cette discussion du 25 juin 2011, M. Gill avait menacé de la congédier si elle ne lui laissait pas son agenda. Les intimés affirment que M. Gill a congédié la plaignante lors de cette réunion à cause du problème concernant son changement de chaussures et son refus de remettre l’agenda.

[14]  Les parties conviennent qu’à la fin de la réunion, la plaignante n’était plus au service des intimés. Comme le fait de savoir si la plaignante a démissionné ou si elle a été congédiée à l’occasion de cette réunion avec M. Gill ne tranche aucune des questions en litige, aucune décision n’a été prise à cet égard.

[15]  Mme Opheim a déclaré qu’en quittant la boutique le 25 juin 2011, elle s’est entretenue avec l’épouse de M. Gill, Jasmin Gill, qui était présente sur les lieux à ce moment-là. Elle lui a parlé des commentaires, des demandes et des attouchements à caractère sexuel dont elle avait été l’objet de la part de M. Gill. La plaignante est ensuite partie. Les intimés n’ont pas appelé Jasmin Gill à témoigner dans la présente affaire, ni expliqué de quelque manière son absence.

[16]  À l’époque où les intimés ont embauché la plaignante, il avait été convenu que celle-ci gagnerait 10 $ par heure de travail effectuée, jusqu’à concurrence de 44 heures par semaine, qu’elle serait payée à temps et demi pour les heures de travail effectuées chaque semaine au-delà du nombre de 44 heures et qu’elle toucherait une commission de 10 % sur toutes les ventes qu’elle effectuerait. Ces faits ne sont pas contestés.

[17]  Tous les jours, à son arrivée à la boutique de Mobilicity, Mme Opheim préparait la boutique en vue de son ouverture et se connectait à son ordinateur, s’inscrivant ainsi pour les besoins du système de paie de l’entreprise. Ce système, exploité par le logiciel R24, s’occupait de calculer les heures de travail à payer en fonction des périodes où la plaignante se connectait à son ordinateur et s’en déconnectait et il consignait aussi les commissions à payer. Le système générait pour l’employée des « Payroll Deductions Online Calculator Results » [Résultats du calcul en ligne des retenues salariales]. Outre le système R24 qu’utilisaient les intimés, la plaignante consignait également tous ses quarts de travail ainsi que ses heures de travail régulières et accumulées dans un agenda, qu’elle a communiqué en l’espèce. C’est cet agenda qui avait été l’objet de son différend avec M. Gill le 25 juin 2011.

[18]  Pour calculer ses dommages-intérêts pour perte de salaire, la plaignante s’est fondée sur plusieurs documents qu’elle avait produits, dont les suivants : son agenda, le dossier R24, des copies de chèques qu’elle avait reçus de la société intimée, ses relevés bancaires et deux calculs distincts des dommages subis, qu’elle avait préparés en vue de l’audience. La plaignante disait avoir effectué 38,5 heures de travail pour lesquelles elle n’avait pas été payée. Elle a qualifié ces heures [traduction] d’« heures accumulées ». Cependant, elle n’a fourni aucune preuve sur ce qu’étaient les heures accumulées, sur la manière dont celles-ci avaient été acquises, sur la manière dont ils (la plaignante ou les intimés) étaient censés les utiliser, ainsi que sur le mode de rémunération. La plaignante a toutefois déclaré dans son témoignage que certaines des heures accumulées étaient utilisées d’une certaine façon, mais elle n’a fourni aucune preuve pour expliquer pourquoi elle réclamait le paiement d’heures accumulées qui s’ajoutaient au nombre total d’heures de travail indiqué dans les dossiers R24.

[19]  Lorsqu’on la considère dans son ensemble, la preuve documentaire est insuffisante pour montrer les montants qui étaient à payer pour les heures accumulées. Les quarts de travail que la plaignante a consignés dans son agenda pour l’ensemble de la période où elle a travaillé pour les intimés concordent avec les inscriptions faites dans le dossier R24 pour lesquelles elle a été rémunérée. La plaignante a produit des documents préparés en vue de l’audience et dans lesquels elle a inclus des calculs relatifs à des montants qui lui étaient dus à titre d’heures accumulées. Ces calculs ne peuvent pas être conciliés avec les éléments de preuve qui figurent dans l’agenda et dans les dossiers R24. La plaignante n’a fourni aucune preuve additionnelle qui justifiait la demande relative aux heures accumulées. Je conclus donc que la plaignante a été rémunérée intégralement pour la totalité des heures de travail régulières et les commissions qu’elle acquises au cours de son emploi auprès des intimés, et que la preuve n’est pas suffisantes pour conclure qu’une somme additionnelle lui est due à titre d’heures accumulées.

[20]  Selon la preuve de la plaignante, preuve que les intimés ne contestent pas, à la fin de sa période d’emploi auprès des intimés, elle n’a pas reçu de relevé d’emploi et n’a donc pas pu demander des prestations d’assurance-emploi; elle a plutôt été contrainte d’emprunter de l’argent à sa famille. La plaignante n’a fourni aucune preuve au sujet des sommes qu’il lui a fallu emprunter. Elle n’a pas non plus fourni de preuve qu’à la suite de ce qu’elle avait vécu auprès des intimés, elle était devenue déprimée et anxieuse, et qu’elle avait pris des antidépresseurs en août 2011. La plaignante a déclaré qu’avant de commencer à prendre des antidépresseurs en août 2011, il lui avait été impossible de retourner travailler.

[21]  En août 2011, la plaignante a commencé à travailler dans l’entreprise familiale. Elle gagnait 15 $ l’heure, mais ne travaillait que dix heures par semaine. En novembre 2011, le poste qui lui rapportait 15 $ l’heure est devenu à temps plein. La plaignante n’a produit aucune preuve expliquant pourquoi elle avait travaillé moins qu’à temps plein entre les mois d’août et de novembre 2011, et cela n’inclut aucune preuve au sujet de l’effet possible d’une affection médicale quelconque. La plaignante a fourni des documents financiers concernant la période où elle avait travaillé pour les intimés, mais elle n’a fourni aucune preuve – sous la forme de déclarations de revenus, de relevés bancaires ou d’autres documents financiers – à l’appui du revenu qu’elle avait censément perdu entre les mois d’août et de novembre 2011. De plus, elle n’a produit aucune preuve au sujet des efforts qu’elle avait faits pour trouver un emploi à temps plein au cours de cette même période.

III.  Le droit applicable

[22]  Selon l’article 3 de la LCDP, le sexe et l’âge sont des motifs de distinction illicite.

[23]  L’article 14 de la LCDP énonce l’acte discriminatoire qui est lié au harcèlement d’un employé :

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

[…]

c) en matière d’emploi.

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

[24]  Pour établir une preuve prima facie au titre de l’article 14 de la LCDP, la plaignante doit établir que le particulier intimé l’a harcelée sexuellement en matière d’emploi. Dans l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, à la page 1284, la Cour suprême du Canada a décrit le harcèlement sexuel en ces termes :

Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j’estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement. […] Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.

[25]  La Cour fédérale a explicité le raisonnement exposé dans l’arrêt Janzen, précité, et ce, dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées) et Franke, 1999 CanLII 18902 (CF), [1999] 3 RCF 653. Elle a conclu que, pour qu’une allégation de harcèlement sexuel soit confirmée, les points qui suivent doivent être établis :

1)  les actes qui constituent le fondement de la plainte doivent être importuns, ou devraient être jugés importuns par une personne raisonnable;

2)  la conduite doit être de nature sexuelle;

3)  Normalement, le harcèlement sexuel exige un degré de persistance ou de gravité de la conduite, mais, dans certaines circonstances, un seul incident peut être suffisamment grave pour créer un milieu de travail empoisonné ou hostile;

4)  lorsque le harcèlement sexuel a lieu dans un milieu de travail et que l’employeur a un service du personnel et une politique anti-harcèlement sexuel efficace, la victime de harcèlement doit aviser l’employeur de la présumée conduite offensante.

[26]  L’alinéa 7b) de la LCDP fait état d’un autre acte discriminatoire lié à l’emploi :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

[…]

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[27]  Afin d’établir une preuve prima facie au titre de l’alinéa 7b) de la LCDP, le plaignant doit établir que :

  • (i) l’intimé a défavorisé l’employé en cours d’emploi;

  • (ii) il existe un lien entre – d’une part – la différence de traitement défavorable de cette personne et – d’autre part – un motif de distinction illicite énuméré à l’article 3 de la LCDP (voir Québec (C.D.P.D.J.) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (CanLII), au par. 52).

[28]  À ce dernier égard, il n’est pas nécessaire que des considérations de nature discriminatoire soient l’unique motif des actes en litige pour qu’une plainte soit retenue. Il suffit que la discrimination soit un facteur dans les gestes que pose l’employeur ou les décisions qu’il prend (ibidem; Holden c. Canadian National Railway Co. (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.)).

[29]  Une preuve prima facie de discrimination est « […] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. » (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons‑Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 558). Une fois qu’une plainte établit une preuve prima facie de discrimination, le plaignant a droit à une réparation en l’absence de justification de la part de l’employeur (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la p. 208; Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au par. 18).

[30]  La Cour suprême du Canada a traité récemment du degré de preuve applicable à l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination dans l’arrêt Bombardier, précité, dans le contexte de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. La Cour a confirmé que le plaignant devait satisfaire à la norme de preuve selon la prépondérance des probabilités, et que le renvoi à une preuve prima facie ne dénotait pas l’existence d’un fardeau de preuve moins lourd :

[65]  En conséquence, l’utilisation de l’expression « discrimination prima facie » ne doit pas être assimilée à un allègement de l’obligation du demandeur de convaincre le tribunal selon la norme de la prépondérance des probabilités, laquelle continue toujours de lui incomber. Le passage de l’arrêt O’Malley cité plus haut appuie d’ailleurs cette conclusion. La Cour y affirme qu’il faut une preuve « complète et suffisante », soit une preuve qui correspond au degré de preuve requis en droit civil. Sauf exception prévue par la loi, il n’existe en droit québécois qu’un seul degré de preuve en matière civile, la prépondérance des probabilités : art. 2804 du Code civil du Québec; voir aussi Banque Canadienne Nationale c. Mastracchio, [1962] R.C.S. 53, p. 57; Rousseau c. Bennett, [1956] R.C.S. 89, p. 92-93; Parent c. Lapointe, [1952] 1 R.C.S. 376, p. 380. […]

IV.  Les questions en litige

  1. Dans quelle mesure la preuve de la plaignante étaye-t-elle l’existence d’une preuve prima facie de harcèlement sexuel en matière d’emploi, au sens de l’article 14?

  2. Dans quelle mesure la preuve de la plaignante étaye-t-elle l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe au sens de l’alinéa 7b)?

  3. Dans quelle mesure la preuve de la plaignante étaye-t-elle l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur l’âge au sens de l’alinéa 7b) et de l’article 14?

  4. S’il est conclu à l’existence d’un acte discriminatoire, la plaignante a-t-elle droit à une indemnité, au titre de l’article 53 de la LCDP?

  • i) La plaignante a-t-elle droit à une indemnité pour le salaire dont elle a été privée au cours de la période où elle a travaillé pour les intimés, au sens de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP?

  • ii) La plaignante a-t-elle droit à une indemnité pour le salaire dont elle a été privée après avoir cessé de travailler pour les intimés, au sens de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP?

  • iii) La plaignante a-t-elle droit à une indemnité pour frais médicaux, au sens de l’alinéa 53(2)d) de la LCDP?

  • iv) La plaignante a-t-elle droit à une indemnité pour préjudice moral, au sens de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP?

  • v) La plaignante a-t-elle droit à une indemnité pour le comportement délibéré ou inconsidéré des intimés, au sens du paragraphe 53(3) de la LCDP?

V.  Analyse

A.  La preuve prima facie de harcèlement sexuel

  • [31] La plaignante a présenté une preuve claire et précise, qui concordait avec les allégations, formulées dans sa plainte, au sujet du comportement sexuel, tant verbal que physique, auquel elle avait été soumise. Ce comportement sexuel se composait des gestes non sollicités et importuns qui suivent : des remarques, des attouchements et des demandes à caractère sexuel ainsi que la demande sexualisée et humiliante d’arpenter le trottoir devant la boutique de Mobilicity. Le comportement en question a été à la fois fréquent et constant, pendant toute la période où la plaignante a été au service des intimés. De plus, à plusieurs occasions où le comportement sexuel a constitué une agression (cela inclut le fait d’avoir touché les seins et les fesses de la plaignante ainsi que de remonter la main sous sa jupe), ce comportement a été suffisamment sérieux pour constituer un harcèlement sexuel fondé sur une occasion unique. Dans la présente affaire, il n’était pas nécessaire d’aviser l’employeur de la situation, car il n’y avait aucune preuve que l’entreprise de Mobilicity avait soit un service du personnel soit une politique anti-harcèlement sexuel. Je conclus néanmoins que la notification requise a été clairement donnée, puisque M. Gill était à la fois l’employeur responsable et le harceleur. Ce dernier était clairement au courant du comportement qui avait lieu ainsi que des objections formulées par la plaignante à l’égard de ce comportement.

  • [32] Les intimés ont fourni peu d’éléments de preuve de fond pour réfuter le témoignage de la plaignante. La seule preuve que M. Gill a donnée lors de son interrogatoire principal sur ce point a été de dire qu’il n’y avait [traduction] « rien de sexuel » avec la plaignante et qu’il ne [traduction] « l’avait jamais touchée ». Les intimés n’ont pas contesté la preuve de la plaignante lors du contre-interrogatoire de cette dernière. Ils n’ont pas traité dans leur témoignage de l’une quelconque des allégations précises de remarques ou de demandes à caractère sexuel, et M. Gill n’a pas fait référence de manière précise, lors de l’interrogatoire principal ou en contre-interrogatoire, aux faits que la plaignante avait établis.

  • [33] De plus, la seule autre personne à avoir été témoin de ces faits était l’épouse du particulier intimé, Jasmin Gill, mais les intimés ne l’ont pas appelée à témoigner. En particulier, ils ne l’ont pas appelée pour contester la preuve de la plaignante selon laquelle, le 25 juin 2011, cette dernière lui avait dévoilé la totalité des allégations de comportement sexuel qui constituent le fondement de la plainte dont il est question en l’espèce.

  • [34] Enfin, les intimés n’ont fourni aucune preuve documentaire tendant à réfuter les allégations de la plaignante. À l’audience, ils ont dit qu’ils avaient accès à des enregistrements vidéo de sécurité, filmés dans la boutique de Mobilicity, qui exonéreraient M. Gill, mais ils n’ont pas communiqué ces enregistrements avant l’audience et ne les ont pas présentés à cette occasion.

  • [35] Je conclus que la plaignante a témoigné à l’audience de manière détaillée au sujet des faits en question et que les détails concordaient avec ceux qu’elle avait fournis dans sa plainte initiale ainsi que dans son exposé des précisions. Je conclus aussi que la plaignante a témoigné de manière franche et directe, et que les intimés n’ont opposé à ce témoignage que des éléments très restreints. Par ailleurs, j’ai des réserves au sujet du fait que les intimés n’ont pas appelé Jasmin Gill, le seul autre témoin prétendu en l’espèce, et du fait de ne pas avoir produit à l’audience les enregistrements vidéo qui, ont-ils indiqué, les exonéreraient par rapport aux allégations formulées. Compte tenu de tout cela, pour ce qui est des allégations de harcèlement sexuel, y compris le comportement non sollicité et importun, comprenant des remarques, des attouchements et des demandes à caractère sexuel ainsi que la demande de travail sexualisée et humiliante, je privilégie la preuve de la plaignante et je conclus que le particulier intimé a commis un acte discriminatoire en harcelant sexuellement la plaignante. Je conclus que, de plus, conformément à l’article 65 de la LCDP, le harcèlement sexuel de la plaignante aux mains du particulier intimé, est réputé avoir été commis par la société intimée.

  • [36] La Cour d’appel fédérale a indiqué qu’en plus de toute prétention formulée en accord avec l’article 14 de la LCDP, le harcèlement sexuel peut constituer une distinction défavorable fondée sur le sexe au titre de l’alinéa 7b) de la LCDP : Robichaud c. Brennan [1984] 2 C.F. 799, inf. pour d'autres motifs par [1987] 2 R.C.S. 84. À la suite de l’arrêt Robichaud, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que le harcèlement sexuel était un acte de discrimination fondé sur le sexe (Janzen c. Platy, précité).

  • [37] Pour les motifs exposés dans les conclusions qui précèdent au sujet de l’article 14, je conclus que la manière dont les intimés ont traité la plaignante constitue également une distinction défavorable prima facie en cours d’emploi, due au motif de distinction illicite qu’est le sexe, conformément à l’alinéa 7b) de la LCDP.

  • [38] La plaignante indique aussi que la discrimination exercée, comme il est précisé ci‑dessus, constitue une discrimination fondée sur la caractéristique de l’âge. Dans son témoignage, elle a confirmé qu’elle n’avait que 18 ans à l’époque où le harcèlement a eu lieu. Cependant, à part indiquer l’âge qu’elle avait à l’époque, la plaignante n’a produit aucune autre preuve donnant à penser qu’il y avait un lien entre son âge et un comportement quelconque de la part des intimés. Une indication de son âge, considérée isolément, ne constitue pas une preuve prima facie de discrimination, conformément à la norme de preuve énoncée dans l’arrêt Bombardier, précité. L’allégation de discrimination que la plaignante fonde sur le motif illicite de l’âge est rejetée.

  • [39] Comme il a été conclu que la plaignante avait été victime des actes discriminatoires que sont le harcèlement sexuel au titre de l’article 14 et d’une différence de traitement défavorable en cours d’emploi fondée sur le sexe au titre de l’alinéa 7b), elle peut être admissible à une indemnité. La plaignante demande un certain nombre de mesures de réparation. Sa première demande a trait à des montants qui lui seraient dus sous la forme d’un revenu impayé au cours de sa période de travail auprès des intimés. Ces montants ne peuvent pas faire l’objet d’une indemnité, car, au vu des faits, il semble qu’au moment où la plaignante a quitté les intimés, la totalité des montants qui lui étaient dus lui avaient été payés. La preuve présentée à l’appui de toute autre demande pour revenu impayé au cours de son emploi était insuffisante.

  • [40] Pour ce qui est des demandes concernant les montants à lui payer pour le salaire dont elle a été privée au cours de la période s’étendant du 25 juin au 1er novembre 2011, la plaignante n’a pas demandé de montant particulier. Elle n’a pas non plus produit de preuve au sujet des efforts qu’elle avait déployés pour atténuer ses pertes en cherchant un emploi à temps plein entre le mois d’août 2011, où elle avait commencé à travailler à temps partiel, et le 1er novembre 2011, où elle avait obtenu un emploi à temps plein. Elle a toutefois témoigné, et je souscris à ses propos, qu’elle avait trouvé très difficile la période passée avec M. Gill et qu’il lui avait été impossible de retourner travailler avant qu’elle commence à prendre des antidépresseurs en août 2011. Cependant, elle n’a fourni aucune preuve sur la raison pour laquelle elle n’avait fait que dix heures de travail par semaine entre le mois d’août et le 1er novembre 2011. Plus précisément, elle n’a pas démontré qu’il lui était impossible de travailler à temps plein à cause d’une affection médicale (que nous analyserons plus loin) ou qu’elle avait cherché un emploi à temps plein, mais avait été incapable d’en trouver un.

  • [41] Au vu des éléments de preuve qui précèdent, ainsi que de la preuve présentée quant à ses gains antérieurs, l’indemnité de la plaignante pour le salaire dont elle a été privée sera donc limitée, conformément à l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, à la période d’un mois suivant la fin de son emploi auprès des intimés. La plaignante a donc droit à une indemnité de 1 788 $ de la part des intimés pour cette période d’un mois.

  • [42] La plaignante a déclaré dans son témoignage qu’elle s’était sentie déprimée et anxieuse après avoir été victime de discrimination de la part des intimés, et qu’elle aura à prendre des antidépresseurs durant le reste de sa vie, à un coût d’environ 135 $ par mois. Elle n’a pas démontré toutefois que cette affection médicale avait entravé de quelque manière sa capacité de travailler à temps plein après le mois d’août 2011. De plus, elle n’a fourni aucune preuve au sujet des points suivants : l’apparition de cette affection, les symptômes qu’elle subissait, si et quand elle avait obtenu un diagnostic à l’égard de cette affection, et qu’elles en avaient été les manifestations depuis qu’elle avait cessé de travailler pour les intimés. De plus, la plaignante n’a fourni aucun document médical confirmant le diagnostic ou les frais associés au traitement pour lesquels elle demande une indemnité. Un manque de documents médicaux ne porte pas en soi un coup fatal à une demande : voir la décision Canada (P.G.) c. Hicks, 2015 CF 599, au paragraphe 80. Cependant, le peu d’éléments de preuve qui étayent cette allégation dans son ensemble – y compris des documents médicaux confirmant le diagnostic et des documents financiers confirmant le coût du traitement – est significatif. Je souscris au témoignage de la plaignante selon lequel elle a été victime de dépression et d’anxiété à la suite de la situation. Cependant, elle n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa prétention qu’elle souffrait d’une affection chronique et permanente, ainsi que des frais de traitement connexes. Par ailleurs, la preuve selon laquelle les frais ont été engagés – et continueront de l’être – à cause des actes discriminatoires est insuffisante. Comme je l’ai indiqué plus tôt, il n’y avait pas non plus de preuve suffisante pour montrer que la perte de revenus, après le mois d’août 2011, était due aux actes discriminatoires.

  • [43] Je conclus que la plaignante a droit à une indemnité de 7 500 $ de la part des intimés, au titre de l’alinéa 53(2)e), pour préjudice moral. Pour ordonner le versement d’une indemnité de ce montant, j’ai tenu compte tout d’abord du fait que, bien que la plaignante n’ait pas pu démontrer le coût de son traitement contre la dépression et l’anxiété, elle a manifestement souffert de cette affection à cause du comportement des intimés, et ce fait contribue à la portée de l’indemnité qu’il convient de lui attribuer au titre de l’alinéa 53(2)e). Voir à cet égard la décision Hunt c. Transport One, 2008 TCDP 23, aux paragraphes 45 à 47. De plus, bien que la plaignante n’ait pas pu établir l’existence d’une discrimination fondée sur son âge, son très jeune âge et l’état de vulnérabilité dans lequel elle se trouvait donc à l’époque des faits en question sont des facteurs pertinents en vue de l’attribution d’une indemnité pour préjudice psychologique dans le cadre d’une affaire de harcèlement sexuel. Voir la décision Bouvier c. Metro Express, 1992 CanLII 1429 (TCDP), conf. par Canada (C.C.D.P.) c. Canada (T.D.P.) (1993) 72 F.T.R.

  • [44] La plaignante a en outre droit à une indemnité de 12 000 $ de la part des intimés au titre du paragraphe 53(3) de la LCDP. Ce montant de dommages-intérêts est accordé au motif que les actes des intimés, qui ont harcelé sexuellement à maintes reprises la plaignante et fait preuve de discrimination à son endroit du fait de son sexe, constituent un acte discriminatoire délibéré et inconsidéré. Pour arriver à cette décision, j’ai tenu compte du fait que les intimés n’étaient pas un employeur de grande taille ou averti, et que le harcèlement s’était déroulé pendant une période relativement brève. En revanche, j’ai aussi tenu compte du fait que le harcèlement était sérieux et qu’il s’était poursuivi malgré les demandes de la plaignante pour qu’il cesse. Voir Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 21, au paragraphe 145.

  • [45] Au vu de la conclusion que j’ai tirée en conformité avec l’article 65 de la LCDP, à savoir que la société intimée, en l’espèce, était responsable des actes du particulier intimé, les deux intimés sont solidairement responsables de toutes les formes d’indemnité attribuées à la plaignante, conformément à ce qui précède. À cet égard, voir la décision Bushey, précitée, au paragraphe 16, ainsi que la décision Bouvier, précitée.

  • [46] Ayant conclu que les allégations que la plaignante avait formulées à l’encontre des intimés avaient été justifiées en partie, conformément à l’alinéa 7b) et à l’article 14 de la LCDP, le Tribunal ordonne, en vertu de l’article 53, ce qui suit :

B.  La preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe

C.  La preuve prima facie de discrimination fondée sur l’âge

D.  La réparation

VI.  Ordonnance

  1. les intimés paieront à la plaignante la somme de 1 788 $ à titre d’indemnité pour le salaire dont elle a privée;

  2. les intimés paieront à la plaignante la somme de 7 500 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral;

  3. les intimés paieront à la plaignante la somme de 12 000 $ à titre d’indemnité pour comportement délibéré et inconsidéré.

 

Signée par

Ricki T. Johnston

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 15 juin 2016

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1937/1713 & T1938/1813

Intitulé de la cause : Shelby Anne Opheim v. Gagan Gill & Gillco Inc

Date de la décision du tribunal : Le 15 juin 2016

Date et lieu de l’audience : Le 21 janvier 2016

Calgary (Alberta)

Comparutions :

Shelby Anne Opheim, pour elle même

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Gagan Gill, pour lui même et Gillco Inc.

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