Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2016 TCDP 11

Date : le 5 mai 2016

Numéro du dossier : T1340/7008

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

‑ et ‑

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

(représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

l'intimé

- et -

Chiefs of Ontario

‑ et ‑

Amnistie internationale

les parties interessées

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon et Edward Lustig



I.  Requête visant l’obtention du statut de partie intéressée

[1]  La Nishnawbe Aski Nation (la NAN), plus précisément le comité des chefs de la NAN, sollicite l’autorisation d’intervenir, à l’étape de l’instance portant sur la réparation, en tant que partie intéressée. La NAN est une organisation politique territoriale qui défend les intérêts socioéconomiques et politiques de 49 collectivités des Premières Nations du Nord de l’Ontario.

[2]  En vertu du paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) et de l’article 3 et du paragraphe 8(1) des Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04), l’octroi du statut de partie intéressée relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal. Cela étant, le Tribunal est maître de sa procédure, sous réserve des règles de justice naturelle (voir Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, p. 568-569; et Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2013 TCDP 16, par. 50).

[3]  Les demandes visant l’obtention du statut de partie intéressée sont tranchées au cas par cas, en tenant compte des circonstances particulières de l’instance et des questions qui sont en train d’être examinées. Une personne ou une organisation peut se voir accorder le statut de partie intéressée si l’instance a des incidences sur elle et si elle peut aider le Tribunal à trancher les questions dont il est saisi. Cette aide doit apporter un éclairage différent aux thèses défendues par les autres parties et contribuer à la prise de décision par le Tribunal. Par ailleurs, en vertu du paragraphe 48.9(1) de la LCDP, l’un des principes qui doit sous-tendre la décision sur l’étendue de la participation d’une partie intéressée est que le Tribunal doit instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (voir Nkwazi c. Service correctionnel Canada, 2000 CanLII 28883 (TCDP), par. 22-23; Schnell c. Machiavelli and Associates Emprize Inc., 2001 CanLII 25862 (TCDP), par. 6; Warman c. Lemire, 2008 TCDP 17, par. 6-8; et Walden et autres c. Procureur général du Canada (représentant le Conseil du Trésor du Canada et Ressources humaines et Développement des compétences Canada), 2011 TCDP 19, par. 22-23).

[4]  En l’espèce, aucune des parties ne s’oppose à la requête de la NAN. Toutefois, en tant que maître de sa procédure et vu les exigences de la LCDP, la formation doit être convaincue que la NAN peut apporter une contribution utile à l’instance et aider le Tribunal à trancher les questions dont il est saisi; si ces conditions sont réunies, elle doit déterminer l’étendue que peut prendre la participation de la NAN.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la requête de la NAN visant l’obtention du statut de partie intéressée est accueillie. La participation de la NAN se limitera à la présentation d’observations écrites concernant des considérations particulières touchant la prestation de services à l’enfance et à la famille à des collectivités éloignées du Nord de l’Ontario et les mesures nécessaires qui permettraient de fournir des services appropriés à ces collectivités.

II.  Intérêt dans l’instance et aide devant être fournie

[6]  La NAN cherche à déposer des documents écrits par suite de l’ordonnance découlant de la décision Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CHRT 2 (la décision) rendue par la présente formation. Dans la décision, la formation a conclu, sur le fondement de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), que les enfants et les familles des Premières Nations qui vivent dans des réserves et au Yukon sont privés de services à l’enfance et à la famille égaux à ceux que reçoivent les autres membres de la population canadienne ou sont défavorisés dans la prestation de tels services. La formation a ordonné à Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AANDC), maintenant Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC), de cesser ses pratiques discriminatoires et de réformer le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN) et le Protocole d’entente sur les programmes d’aide sociale pour les Indiens (l’Entente de 1965) applicable en Ontario de manière à tenir compte des conclusions de la décision. Elle a aussi ordonné à AANC de cesser d’appliquer une définition étroite du principe de Jordan et de prendre immédiatement des mesures pour pleinement mettre en œuvre le sens et la portée de ce principe.

[7]  Vu la complexité et les conséquences d’une portée considérable de ces ordonnances, la formation a demandé des clarifications additionnelles aux parties sur la façon dont ces ordonnances pourraient être mises en œuvre de façon pratique, valable et efficace, tant à court qu’à long terme. Elle a aussi demandé des clarifications supplémentaires au sujet des demandes d’indemnité des plaignants fondées sur l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP. La formation a conservé sa compétence pour traiter de ces questions en suspens après réception des clarifications des parties.

[8]  La NAN veut apporter son aide pour clarifier ces questions relatives à la réparation. Elle fait valoir que les mesures de réparation accordées par le Tribunal auront un impact direct sur les services à l’enfance et à la famille dans son territoire. Les collectivités de la NAN se trouvent typiquement dans des régions éloignées et isolées, sans accès routier à longueur d’année, et sont dispersées sur un territoire qui couvre les deux tiers de l’Ontario. Elle soutient avoir une expertise unique en ce qui concerne les considérations particulières propres à la prestation de services à l’enfance et à la famille dans des collectivités éloignées et nordiques et les mesures nécessaires qui doivent être prises pour pouvoir fournir des services appropriés à ces collectivités. À ce chapitre, elle collabore aussi avec le gouvernement de l’Ontario à l’élaboration d’une stratégie sur les enfants et les jeunes Autochtones. Dans le cadre des discussions menées à cette fin, elle traite des mêmes sujets que ceux dont il est question dans la décision, notamment du principe de Jordan, de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario et du financement des programmes de prévention. La NAN veut partager son expérience et ses connaissances avec le Tribunal pour faire en sorte que toutes les mesures de réparation ordonnées soient conçues et mises en œuvre en tenant compte du contexte particulier des collectivités éloignées et nordiques.

[9]  En fait, beaucoup des conclusions de la formation concernant l’Entente de 1965 ont trait à la situation des collectivités éloignées de l’Ontario et aux défis auxquels elles sont confrontées. La formation a identifié divers facteurs qui ont une incidence sur la qualité des services à l’enfance et à la famille offerts à ces collectivités et qui peuvent avoir comme conséquence que plus d’enfants sont sortis de la collectivité pour recevoir ces services. Parmi ces facteurs, notons les coûts accrus, en temps et en argent, pour les sociétés d’aide à l’enfance qui doivent se rendre dans des collectivités éloignées; les défis auxquels sont confrontées les collectivités pour le recrutement et la rétention de personnel dans un contexte où les besoins augmentent; la pénurie de logements appropriés, ce qui rend difficile de trouver des familles d’accueil dans des collectivités éloignées; le manque de programmes de services sociaux et de santé disponibles près des collectivités et l’accès limité à des services judiciaires pour ces collectivités; et les infrastructures déficientes et des lacunes sur le plan du renforcement des capacités limitent les collectivités éloignées ainsi que la possibilité de remédier à ces difficultés (voir la décision aux par. 231-235, 245 et 392).

[10]  En raison de son lien direct avec les collectivités éloignées qui sont exposées à ces problèmes, la NAN pourra aider la formation à comprendre les intérêts de ces collectivités et à en tenir compte pour élaborer une réponse efficace et valable. Dans le même esprit, grâce à sa collaboration avec le gouvernement de l’Ontario à l’élaboration d’une stratégie sur les enfants et les jeunes Autochtones, la NAN peut aider la formation à concevoir des ordonnances valables pour faire suite aux conclusions que la formation a tirées au sujet de l’Entente de 1965; plus précisément, la formation a conclu que cette entente n’a pas été revue depuis longtemps et ne tient pas compte des changements qui ont été apportés au fil des ans à la Loi sur les services à l’enfance et à la famille concernant par exemple les représentants des bandes et les services de santé mentale et de prévention. La formation a jugé que les problèmes associés à cette dernière question étaient aggravés par le manque de coordination entre les différents programmes fédéraux portant sur les services sociaux et de santé touchant les enfants et les familles dans le besoin, même si ces programmes devraient être mis en œuvre de manière simultanée en vertu de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario (voir la décision aux par. 228‑230, 235, 392 et 458).

[11]  Vu ces conclusions tirées dans la décision et la réforme de l’Entente de 1965 ordonnée par la formation pour faire en sorte que ce document réponde aux préoccupations qui ont menées à ces conclusions, il est manifeste que la NAN a un intérêt dans la présente instance et, plus important encore, qu’elle pourrait probablement apporter une contribution et une aide valables à la formation pour les dernières questions qu’il reste à trancher en l’espèce concernant les mesures de réparation.

III.  Étendue de la participation

[12]  Malgré sa conclusion concernant l’intérêt de la NAN et la contribution qu’elle est susceptible d’apporter, la formation doit s’assurer que l’intervention proposée ne porte pas atteinte de façon indue à l’exigence selon laquelle l’instruction se fait sans formalisme et de façon expéditive et qu’elle ne porte pas préjudice aux parties ou au Tribunal. Ainsi, la NAN propose de déposer des observations écrites au sujet des mesures de réparation dans lesquelles elle apportera son éclairage unique en tant que défenseur des collectivités nordiques et éloignées de l’Ontario, mais ne reprendra pas les observations déjà présentées.

[13]  Pour respecter les droits des parties dans la présente instance, qui compte déjà quatre parties et deux parties intéressées, mais aussi pour bien utiliser les ressources et le temps limités du Tribunal, il a fallu relever de nombreux défis lors de la gestion de l’instance et de l’audience. L’ajout d’une autre partie, particulièrement à ce stade tardif, non seulement est rare, mais aussi complexifie encore davantage la gestion de l’instance. Cela dit, la formation conclut que les avantages que procurerait l’intervention proposée par la NAN l’emportent sur les défis additionnels posés sur le plan de la gestion de l’instance.

[14]  Toutefois, comme nous sommes à l’étape de la réparation, les observations écrites de la NAN ne devraient porter que sur des mesures de réparation qui n’ont pas encore été décidées, et non sur les questions déjà tranchées. L’audience relative au bien-fondé de la plainte est terminée et la preuve sur ces questions, close. Le rôle de la formation à ce stade-ci de l’instance est de concevoir une ordonnance qui tienne compte des circonstances particulières de l’affaire et des conclusions déjà tirées dans la décision. Les clarifications des mesures de réparations accordées et le processus de mise en œuvre de la décision dont s’occupe le Tribunal ne doivent pas être confondus avec le rôle d’une commission d’enquête ou d’une tribune visant la consultation de l’une ou de l’ensemble des parties. Dans le cas contraire, chaque collectivité ou organisme des Premières Nations pourrait demander d’intervenir dans la présente instance pour partager ses propres connaissances et expériences ainsi que sa culture et son histoire. Le traitement de telles demandes, à plus forte raison l’admission de nouvelles parties dans les procédures en cours, entraverait de façon importante la capacité de la formation de finaliser son ordonnance.

[15]  Par ailleurs, pour ne pas reprendre les observations présentées par les autres parties, la NAN devrait limiter ses observations écrites aux sujets pour lesquels elle dit pouvoir apporter un éclairage différent des autres parties, c’est-à-dire en ce qui a expressément trait aux services à l’enfance et à la famille dans les collectivités éloignées du Nord de l’Ontario et les mesures nécessaires qui permettraient de fournir des services appropriés à ces collectivités. Vu l’éclairage unique de la NAN sur ces questions, la formation s’attend à ce que ses observations portent principalement sur l’application et la réforme de l’Entente de 1965. En fait, dans une décision récente sur cette question (2016 CHRT 10), la formation a ordonné des mesures de réparation immédiates, mais a estimé qu’il serait plus approprié d’attendre que la requête de la NAN soit tranchée avant de se prononcer sur les mesures de réparation touchant l’Entente de 1965 (voir par. 28-29).

[16]  En limitant de cette façon les observations de la NAN, la formation reconnaît la contribution qu’elle peut apporter dans le cadre de la présente instance, mais aussi celle des organisations qui défendent déjà les principaux intérêts en jeu en l’espèce. L’Assemblée des Premières Nations et Chiefs of Ontario représentent diverses collectivités des Premières Nations partout au Canada et en Ontario. Les intérêts des enfants, des jeunes et des familles des Premières Nations, et des organismes qui leur offrent des services, sont défendus par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada. Par ailleurs, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) défend l’intérêt du public et a produit la majorité de la preuve en l’espèce, y compris la preuve sur laquelle s’est fondée la formation pour parvenir aux conclusions susmentionnées tirées dans la décision concernant les collectivités éloignées de l’Ontario.

[17]  Avec l’aide de ces parties et des parties intéressées, ainsi que de la NAN et d’AANC, la formation estime qu’elle disposera de suffisamment d’observations pour concevoir une ordonnance valable et efficace en réponse à la décision.

IV.  Décision

[18]  La NAN sera ajoutée comme partie intéressée à la présente instance. Elle peut déposer des observations écrites sur les mesures de réparation conformément aux paramètres définis précédemment.

[19]  La NAN dispose d’un délai de dix jours ouvrables pour produire ses observations écrites sur les mesures de réparation immédiates. AANC, la Société de soutien, l’APN, Chiefs of Ontario et la Commission auront ensuite dix jours ouvrables pour répondre à ces observations. La NAN pourra ensuite répliquer, dans un délai de sept jours ouvrables, à toute réponse présentée par AANC ou les autres parties, le cas échéant.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

 

Edward P. Lustig

Membre instructeur

 

Ottawa (Ontario)

Le 5 mai 2016

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.