Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2015 CHRT 21

Date : le 15 septembre 2015

No de dossier : T1952/3213

Entre :

Munglegeet Kaur Siddoo

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502

l’intimé

Décision

Membre : David Thomas

 


Table des matières

I.Le contexte 2

II.La décision 2

III.Les faits 3

IV.L’analyse 8

A.L’exigence d’établir à première vue qu’il y a eu acte discriminatoire 8

B.Les motifs de distinction illicite allégués en l’espèce 9

C.L’effet préjudiciable fondé sur un motif de distinction illicite 10

(i)Les allégations touchant les articles 7, 9 et 10 10

(ii)Les allégations touchant l’article 14 13

V.Observations supplémentaires 15

 


 

I.  Le contexte

[1]  La présente décision porte sur une plainte déposée le 30 octobre 2011 par Munglegeet « Penny » Kaur Siddoo, la plaignante (ci‑après appelée, à sa demande, Mlle Siddoo), contre le Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502, l’intimé (le syndicat), dans laquelle celle‑ci allègue que le syndicat a commis à son endroit des actes discriminatoires fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la religion, le sexe, l’état matrimonial et la déficience.

[2]  Dans sa plainte, Mlle Siddoo allègue avoir été victime de harcèlement, de traitement différentiel, d’agression physique, d’intimidation et de menaces de mort par le syndicat. À l’audience, Mlle Siddoo a également soulevé des allégations d’intimidation collective, de harcèlement criminel collectif, de terrorisme psychologique et de harcèlement manifeste.

[3]  Le 2 juillet 2013, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé au Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un membre pour instruire la plainte.

[4]  Mlle Siddoo a comparu et témoigné à l’audience. Elle se représentait elle-même. Mlle Siddoo a informé le Tribunal que son témoignage allait porter sur deux incidents s’étant produits lors de formations en 2010. Bien que des incidents précédents aient été mentionnés, ils sont considérablement antérieurs aux deux incidents en cause et ne font pas l’objet de la plainte à l’étude.

[5]  Le syndicat était représenté par un avocat, Me Bruce Laughton, c.r., et un représentant du syndicat, M. Chris Verbeek, a comparu en tant que témoin. La Commission n’a pas comparu à l’audience.

II.  La décision

[6]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la plainte n’a pas été étayée. Elle est par conséquent rejetée.

III.  Les faits

[7]  Dans l’ensemble, les faits de la présente affaire ne sont pas contestés. Cependant, les parties ont une perception très différente des incidents ayant donné lieu à la plainte.

[8]  Mlle Siddoo s’identifie comme étant une femme indo-canadienne célibataire ayant une déficience. En décembre 2004, elle a reçu une carte d’identité de la British Columbia Maritime Employers’ Association (la BCMEA), qui lui a permis de poser sa candidature pour obtenir du travail occasionnel par l’intermédiaire du syndicat.

[9]  La BCMEA est une association d’employeurs multiples, au sens du Code canadien du travail, qui représente environ 65 propriétaires de navires, agents, débardeurs et exploitants de terminaux et de conteneurs sur la côte ouest du Canada. La BCMEA représente ces employeurs pour tout ce qui touche aux relations de travail et aux relations employeurs-employés. Le syndicat est l’agent négociateur des débardeurs affectés au centre de répartition de New Westminster, en Colombie-Britannique (le centre de répartition). Le syndicat possède et exploite le centre de répartition et la BCMEA lui paye une partie des dépenses d’exploitation. Les affectations de travail et les décisions quant aux personnes appelées à suivre des formations sont régies par la convention collective conclue entre la BCMEA et le syndicat. Mlle Siddoo était une employée occasionnelle au sens de la convention collective et était représentée par le syndicat en matière de relations de travail. Les débardeurs comme Mlle Siddoo sont embauchés par des employeurs membres de la BCMEA uniquement à la journée, après avoir reçu une affection par l’intermédiaire du centre de répartition.

[10]  Mlle Siddoo a commencé à recevoir du travail du centre de répartition en tant que manoeuvre et, à partir de juin 2005, après avoir reçu de la formation, elle a travaillé quelques fois comme conductrice d’un véhicule à roues motrices multiples. Selon ses dires, Mlle Siddoo a accumulé environ 1 100 heures de travail par l’intermédiaire du centre de répartition en 2006.

[11]  Alors qu’elle se rendait au travail le 10 janvier 2007 ou vers cette date, Mlle Siddoo a eu un accident de voiture. Il neigeait abondamment à Vancouver ce jour-là, et la voiture de Mlle Siddoo a glissé hors de la chaussée deux fois. Après être entrée en collision avec un poteau, Mlle Siddoo a abandonné son véhicule et, suivant l’avis que lui avait donné le centre de répartition, a terminé son trajet en taxi. À son arrivée au travail, Mlle Siddoo s’est rendue à la station de premiers soins puis, pendant un certain temps cette journée-là, elle a conduit un véhicule de chargement de type gerbeur. En raison des blessures qu’elle a subies dans l’accident de voiture, Mlle Siddoo n’a plus travaillé par la suite durant une longue période. Selon son témoignage, elle a tenté de reprendre le travail un ou deux jours par semaine à partir de novembre ou décembre 2007, jusqu’en février de 2008. Cependant, des douleurs au bas du dos l’empêchaient de conduire un véhicule à roues motrices multiples et son médecin lui a conseillé de cesser de travailler.

[12]  Au début de 2010, Mlle Siddoo a travaillé comme bénévole aux Jeux olympiques d’hiver. Elle n’a pas éprouvé de difficultés physiques, elle a donc décidé qu’elle était suffisamment rétablie pour envisager un retour au travail par l’intermédiaire du syndicat. Elle a communiqué avec ce dernier par courriel le 31 mai 2010 et a discuté avec M. Verbeek des diverses possibilités pour un retour au travail qui répondrait à ses besoins. M. Verbeek lui a suggéré de suivre une formation au port Delta, afin qu’elle puisse éviter les emplois exigeants sur le plan physique. Mlle Siddoo a demandé une formation de perfectionnement sur le tracteur à roues motrices multiples, d’une durée d’un ou deux jours, afin qu’elle puisse vérifier comment elle s’en ressentirait physiquement. Environ une semaine plus tard, M. Verbeek a inscrit Mlle Siddoo à une formation de perfectionnement de deux jours sur le tracteur à roues motrices multiples.

[13]  Après cette formation, Mlle Siddoo a conclu qu’elle ne pouvait pas endurer les secousses du véhicule et leurs répercussions sur sa colonne vertébrale et sa hanche. Après avoir consulté un médecin, Mlle Siddoo a écrit à M. Verbeek le 14 juin 2010 et a proposé une formation pour un emploi différent, ayant moins de répercussions physiques.

[14]  Peu après, Mlle Siddoo a été inscrite à une formation de « vérificateur » dans les locaux de Terminal Systems Inc. (TSI), l’un des employeurs appartenant à la BCMEA. La formation de Mlle Siddoo a commencé le 5 juillet 2010 ou vers cette date. Il y avait deux formateurs et Mlle Siddoo était l’un des quatre employés qui assistaient à la formation. On a pensé que le poste de vérificateur était moins exigeant physiquement et qu’il conviendrait donc mieux aux besoins de Mlle Siddoo. Après avoir suivi la formation, Mlle Siddoo serait admissible à être affectée à du travail de vérificateur par le syndicat.

[15]  À la troisième journée de sa formation de vérificateur, les deux formateurs ont conclu que Mlle Siddoo était beaucoup moins expérimentée que ses collègues de formation. Ils ont jugé qu’il valait mieux la remplacer par une personne plus expérimentée afin d’éviter que le groupe ne soit ralenti. On lui a dit qu’elle serait réinscrite à une formation de vérificateur avec un groupe de personnes ayant à peu près le même niveau d’expérience qu’elle. Cela a été fait et elle a repris la formation deux mois plus tard.

[16]  Cependant, au moment où elle a été retirée de la formation de vérificateur, le 7 juillet 2010, Mlle Siddoo était plutôt bouleversée. Ce soir-là, elle a écrit un courriel à M. Verbeek et à plusieurs autres personnes, dans lequel elle alléguait que son retrait de la formation était discriminatoire et qu’elle avait été victime de harcèlement. En réponse, M. Verbeek a parlé aux deux formateurs, puis le lendemain, il a envoyé un courriel à Mlle Siddoo pour lui expliquer les motifs des formateurs. Il était d’accord avec la décision d’inscrire Mlle Siddoo dans un groupe différent, composé de personnes plus à son niveau. Dans son courriel, il a aussi écrit ce qui suit :

[traduction]

Ceci m’amène aux accusations contenues dans votre lettre. Penny, l’un des formateurs est Indien d’Asie. Deux des autres étudiants et la personne qui vous a remplacée sont des femmes. Pourtant, vous prétendez dans votre lettre que « quelqu’un leur (les formateurs) a dit de vous larguer ». Vous vous demandez si vous avez été ciblée parce que vous êtes une femme. 

[17]  M. Verbeek a ensuite précisé qu’il avait l’impression que ces accusations étaient ridicules et que, en fait, c’était lui qui était harcelé par Mlle Siddoo. Le lendemain, celle-ci lui a envoyé un courriel dans lequel elle le traitait de menteur et exigeait de recevoir sa formation à un autre endroit. Malgré l’acrimonie de Mlle Siddoo à son endroit, il a pris les mesures pour qu’elle soit admise à la prochaine formation de vérificateur, qui commençait le 13 septembre 2010.

[18]  Une semaine avant le début de sa nouvelle formation de vérificateur, Mlle Siddoo a envoyé un courriel à dix dirigeants du syndicat, y compris les plus hauts dirigeants et M. Verbeek. Ce courriel semblait être à l’origine une demande concernant le remboursement des coûts de transport pour les employés handicapés. Cependant, le courriel était d’une bonne longueur et critiquait le syndicat à cause de la fin abrupte de sa formation en juillet 2010 et portait des accusations générales d’abus de pouvoir, de mauvais jugement et de discrimination de la part du syndicat.

[19]  Néanmoins, Mlle Siddoo a recommencé sa formation de vérificateur le 13 septembre 2010, laquelle devait se poursuivre durant environ huit semaines. Au début de novembre 2010, Mlle Siddoo a été suspendue de sa formation. Selon le syndicat, elle s’était absentée du travail sans explication le 22 octobre 2010 et avait quitté son poste avant l’heure prévue à une autre occasion. Il semblerait également que l’employeur, TSI, éprouvait certaines réserves quant à son comportement.

[20]  Par conséquent, la formation de Mlle Siddoo a été suspendue et on lui a demandé de se présenter à une réunion du comité des griefs et des attestations le 9 novembre 2010 pour un examen des allégations. Elle ne s’est pas présentée à la réunion. Elle a affirmé dans son témoignage n’avoir jamais reçu l’avis de convocation. Dans sa preuve, le syndicat soutient avoir remis l’avis dans le « plat » de Mlle Siddoo au centre de répartition, ce qui était la pratique habituelle pour remettre des communications aux employés.

[21]  Après qu’elle eut raté la réunion du 9 novembre 2010, on a téléphoné à Mlle Siddoo pour avoir ds explications. Elle a répondu en envoyant un courriel au président du syndicat dans lequel elle l’informait qu’elle avait porté plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne et qu’elle pensait porter plainte à la police. Elle a demandé au président du syndicat si on allait [traduction] « encore mettre sa tête à prix? » Dans son témoignage à l’audience, Mlle Siddoo a mentionné à plusieurs reprises qu’elle croyait que quelqu’un chez le syndicat avait passé une commande pour qu’on la tue.

[22]  Dans la réponse au courriel qu’il a envoyé plus tard dans la journée, M. Verbeek a exposé les allégations d’absentéisme et expliqué que TSI avait certaines réserves quant au comportement de Mlle Siddoo.  Selon lui, il s’agissait d’une mesure appropriée que de maintenir la suspension de sa formation jusqu’à la prochaine réunion du comité des griefs et des attestations, prévue pour le 4 janvier 2011, où elle pourrait présenter sa version des faits. Entretemps, elle pouvait venir au centre de répartition et porter sa candidature pour du travail occasionnel si elle le désirait.

[23]  Mlle Siddoo a produit en preuve un courriel de M. Chris Fletcher, un superviseur de formation sur le terrain de la BCMEA, daté du 10 novembre 2010. Ce courriel est adressé à quatre collègues de M. Fletcher à la BCMEA et détaille une conversation que celui-ci venait d’avoir avec M. Verbeek au sujet de Mlle Siddoo. M. Fletcher y déclare avoir dit à M. Verbeek que ni l’employeur (TSI) ni les formateurs ne l’avaient informé de problèmes de comportement ou de discipline concernant Mlle Siddoo. Il y affirme également avoir dit à M. Verbeek que Mlle Siddoo pourrait recommencer sa formation de vérificateur dès le 15 novembre 2010. Le courriel se conclut en faisant état que M. Verbeek n’était pas entièrement d’accord et que celui-ci allait discuter avec quelqu’un d’autre du fait que Mlle Siddoo allait recommencer sa formation.

[24]  M. Fletcher n’a pas été appelé à témoigner, de sorte que l’on ne peut accorder beaucoup d’importance à son courriel produit en preuve. De toute façon, la question des raisons pour lesquelles le syndicat n’a pas accepté la demande de M. Fletcher de rappeler Mlle Siddoo pour terminer sa formation n’a pas été abordée à l’audience.

[25]  Mlle Siddoo s’est présentée à la réunion du comité des griefs et des attestations le 4 janvier 2011. Elle a expliqué pourquoi elle s’était absentée, notamment en fournissant une lettre d’un physiothérapeute expliquant son absence du 22 octobre 2010, dont le syndicat a accepté la validité. Elle a également présenté une note de son médecin dans laquelle il était indiqué ce qui suit : [traduction] « En date du 4 janvier 2011, Penny est physiquement apte à reprendre sa formation de vérificateur. » Le syndicat a accepté la note, mais, avant d’autoriser Mlle Siddoo à reprendre sa formation, il a demandé au médecin de celle-ci de remplir un formulaire plus détaillé intitulé [traduction] « Tableau récapitulatif d’analyse des exigences physiques ». Le formulaire, fourni par la BCMEA, était propre au poste de vérificateur en chef et énumérait les diverses exigences pour ce travail.

[26]  Le médecin de Mlle Siddoo a rempli ce formulaire le 1er février 2011. Toutefois, sa réponse indiquait que Mlle Siddoo était incapable d’exécuter les tâches nécessitant de se tenir debout ou de marcher. Il a également recommandé un retour au travail graduel, de quatre heures par jour.

[27]  Selon le courriel qu’elle a envoyé au président du syndicat le 1er février 2011, Mlle Siddoo venait de déposer en personne le formulaire du médecin de la BCMEA au centre de répartition ce jour-là. Le lendemain, avant d’avoir reçu une réponse, elle a envoyé un autre courriel au syndicat, pour l’informer qu’elle déposait la plainte à l’étude. Elle n’a pas tenté de terminer sa formation de vérificateur et elle ne s’est plus portée candidate pour obtenir du travail par l’intermédiaire du centre de répartition. Elle a déclaré en avoir assez et avoir décidé de défendre sa plainte relative aux droits de la personne. Le syndicat n’a plus fait d’autres tentatives pour embaucher Mlle Siddoo.

IV.  L’analyse

A.  L’exigence d’établir à première vue qu’il y a eu acte discriminatoire

[28]  En matière de droits de la personne, il incombe au plaignant d’établir à première vue le bien-fondé de sa plainte. La preuve à première vue est « celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de [l’]intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne  c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28). Pour démontrer qu’il y a acte discriminatoire à première vue dans le contexte de la LCDP, les plaignants doivent montrer : 1) qu’ils ont une ou plusieurs des caractéristiques protégées par la LCDP contre la discrimination; 2) qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement à une situation visée aux articles 5 à 14.1 de la LCDP; 3) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (voir Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33). Les trois éléments doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, aux paragraphes 55-69).

[29]  Le Tribunal a reconnu la difficulté de prouver des allégations de discrimination par des preuves directes. Comme il est mentionné dans Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP) [Basi] : « La discrimination n’est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu’on puisse prouver par des preuves directes qu’un acte discriminatoire a été commis intentionnellement. » Il faut plutôt prendre en considération l’ensemble des circonstances afin de déterminer s’il existe ce qui a été appelé dans Basi de « subtiles odeurs de discrimination ».

B.  Les motifs de distinction illicite allégués en l’espèce

[30]  La première question sur laquelle le Tribunal doit se pencher est celle de savoir quels sont les motifs de distinction illicites en cause dans les allégations de Mlle Siddoo. Sa plainte initiale soulevait les motifs de la race, de l’origine nationale ou ethnique, de la religion, du sexe, de l’état matrimonial et de la déficience. En contre-interrogatoire, et étant donné que sa plainte portait principalement sur les deux formations de 2010, elle a affirmé qu’elle estimait avoir été retirée de la première formation de vérificateur parce qu’elle était une femme indienne d’Asie ayant une déficience. Pour ce qui est de la seconde formation, elle a affirmé que sa suspension était fondée sur sa déficience.

[31]  Les motifs de la religion et de l’état matrimonial ont été invoqués dans le contexte des allégations de harcèlement soulevées par Mlle Siddoo. Elle soutient qu’on a fait des commentaires à ce sujet à son endroit ou en sa présence.

C.  L’effet préjudiciable fondé sur un motif de distinction illicite

[32]  Le Tribunal doit ensuite examiner les questions suivantes : Mlle Siddoo a-t-elle subi un effet préjudiciable relativement à une situation visée aux articles 5 à 14.1 de la LCDP? Les motifs de distinction illicites invoqués ont-ils constitué un facteur dans la manifestation de cet effet préjudiciable? Les observations présentées par Mlle Siddoo au Tribunal portent principalement sur les articles 7, 10 et 14 de la LCDP. Sa plainte initiale faisait également référence à l’article 9. Je vais commencer par examiner ensemble les allégations touchant les articles 7, 9 et 10, puis je présenterai une analyse distincte pour ses allégations touchant l’article 14.

(i)  Les allégations touchant les articles 7, 9 et 10

[33]  Les articles 7, 9 et 10 de la LCDP portent essentiellement sur la discrimination dans le contexte de l’emploi. L’alinéa 9(1)c) interdit précisément aux organisations syndicales d’agir de manière à limiter les chances d’emploi d’une personne ou de la priver de ses chances d’emploi. Mlle Siddoo a été privée de chances d’emploi en étant retirée deux fois de la formation de vérificateur, en juillet 2010 et en novembre 2010. Elle n’a pas repris la formation de vérificateur et elle n’est pas retournée au centre de répartition après novembre 2010, malgré avoir répondu à l’exigence du syndicat de faire remplir le formulaire médical par son médecin. Par conséquent, je suis convaincu qu’elle a subi un effet défavorable visé à l’alinéa 9(1)c) de la LCDP.

[34]  Cela dit, en aucun temps Mlle Siddoo n’a été en mesure d’établir que la race, l’origine nationale ou ethnique, le sexe ou la déficience ont constitué un facteur dans son retrait de l’une ou l’autre des formations de vérificateur en 2010. Elle a produit en preuve divers courriels qu’elle a échangés avec des représentants du syndicat, ainsi que des copies de messages échangés sur Facebook avec des collègues. Bien que l’avocat de l’intimé ait exprimé, à juste titre, certaines réserves à propos des messages échangés sur Facebook, étant donné que les personnes concernées dans les conversations n’ont pas été appelées à témoigner et qu’elles n’ont pas été contre-interrogées sur leurs déclarations, cette pièce est admissible en vertu de l’alinéa 50(3)c) de la LCDP, car j’estime qu’elle peut aider Mlle Siddoo à présenter sa version des faits. Cependant, la plupart de ces messages précèdent les incidents de 2010, et rien dans les documents tirés de Facebook ne concerne la discrimination en milieu de travail. Même si ces documents étaient probants, je leur accorderais peu de valeur dans les circonstances.

[35]  Bien que les courriels et les messages de Facebook donnent à penser que M. Verbeek et d’autres collègues aient pu entretenir une certaine animosité envers Mlle Siddoo, rien n’indique que cette possible animosité fût fondée sur un motif de distinction illicite.

[36]  En ce qui concerne le premier retrait de Mlle Siddoo de la formation, M. Verbeek a produit en preuve la réponse suivante, qu’il a envoyée par courriel le 8 juillet 2010 :

[traduction]

J’ai parlé à [D.K.] et à [D.G.]. Les deux formateurs sont d’avis que les trois autres candidats, [G.C.], [R.H.] et [A.O.] ont beaucoup plus d’expérience que vous. Ils sont tous deux d’accord pour dire que ce serait injuste autant pour vous que pour les autres candidats d’ajuster la formation à votre niveau d’expérience. [G] a 17 ans d’expérience sur les quais, notamment comme opérateur de pont portique, de grue sur pneus et de chariots élévateurs pour conteneur. [R] et [A] sont tous deux des vérificateurs qualifiés aux quais Fraser Surrey. Ils connaissent déjà les procédures, mais pas le système informatique. [D] m’a dit que vous n’avez pas échoué, mais que vous serez inscrite dans le prochain groupe de candidats.

[37]  Mlle Siddoo a soutenu que sa connaissance de l’installation portuaire en question faisait en sorte qu’elle était tout aussi expérimentée, sinon plus, que les autres candidats, mais je n’en suis pas convaincu. En fin de compte, Mlle Siddoo n’a pas fourni une preuve suffisante à réfuter l’explication de M. Verbeek ou à montrer qu’un motif de distinction illicite a constitué un facteur dans la façon dont elle a été traitée.

[38]  Pour ce qui est de la suspension de novembre 2010, certains éléments dans les courriels présentés par Mlle Siddoo indiquent qu’elle a pu être injuste sur le plan de la procédure, parce que la BCMEA n’a pas été consultée. Cependant, même si la suspension résultait de l’acrimonie de M. Verbeek, rien ne laisse croire qu’un motif de distinction illicite était en cause.

[39]  Le fait que Mlle Siddoo soit une femme, indienne d’Asie ou ait une déficience ne suffit pas pour que le Tribunal conclue automatiquement à la discrimination. Il ne suffit pas non plus d’établir que Mlle Siddoo a subi un traitement défavorable ou différent. Comme il a été indiqué ci-dessus, il incombe aux plaignants de montrer qu’un motif de distinction illicite a constitué un facteur dans le traitement défavorable qu’ils ont subi. Malgré les nombreuses et vigoureuses allégations de discrimination qu’elle a soulevées, Mlle Siddoo n’a pas été en mesure de le faire. Elle ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve et, même dans mon examen approfondi des détails, je n’ai pas senti la moindre odeur subtile de discrimination. Par conséquent, Mlle Siddoo n’a pas établi à première vue qu’il y a eu acte discriminatoire visé aux articles 7, 9 ou 10 de la LCDP.

[40]  De toute façon, je suis convaincu que les motifs invoqués par le syndicat pour expliquer le retrait de Mlle Siddoo des deux formations n’étaient pas discriminatoires. La preuve montre que le syndicat collaborait avec Mlle Siddoo afin de lui trouver du travail répondant à ses besoins. Au début de 2010, Mlle Siddoo a demandé une formation spéciale de mise à jour afin de vérifier si elle était à nouveau capable de conduire un tracteur à roues motrices multiples. Cette formation spéciale a eu lieu dans les cinq jours suivant sa demande. Quand il est devenu clair que Mlle Siddoo n’était pas en mesure d’opérer ce type de tracteur pour de longues périodes en raison de ses blessures, M. Verbeek a pris des mesures pour que Mlle Siddoo soit plutôt inscrite à une formation de vérificateur. Mlle Siddoo a été retirée de la formation de juillet 2010 à cause de son niveau d’expérience. Elle a été retirée de la formation de novembre 2010 en raison d’inquiétudes sur son absentéisme et son comportement. Le Tribunal n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé de ces actes. La preuve ne suffit simplement pas à établir que la discrimination a constitué un facteur.

[41]  Enfin, Mlle Siddoo prétend que le syndicat a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à sa déficience parce que celui-ci ne l’a pas réinscrite à une formation de vérificateur après qu’elle eut remis le formulaire médical supplémentaire qu’il avait demandé. À l’audience, l’avocat de l’intimé a fait valoir que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’incombait pas au syndicat, mais plutôt à la BCMEA et à TSI. En l’espèce, le Tribunal n’a pas à se prononcer sur cet argument. Bien que les mesures d’adaptation prises par le syndicat, si mesures il y a eu, n’apparaissent pas clairement, c’est à la plaignante qu’il incombe d’établir que les actes ou omissions du syndicat à cet égard ont été influencés d’une manière ou d’une autre par un motif de distinction illicite. Encore une fois, Mlle Siddoo n’a pu prouver que c’était le cas.

[42]  Je remarque également que, après son courriel du 2 février 2010 dans lequel elle déclarait avoir l’intention de déposer la plainte à l’étude, Mlle Siddoo n’a pas tenté d’aider le syndicat à trouver un accommodement raisonnable. Les personnes qui demandent un accommodement ont l’obligation de prendre des mesures pour faciliter la recherche d’un tel compromis (voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, à la page 944 [Renaud]). En l’espèce, Mlle Siddoo a fourni le rapport médical supplémentaire exigé par le syndicat. Cependant, le lendemain, avant que le syndicat ne puisse réagir, elle s’est retirée du processus de recherche d’accommodement afin de déposer la plainte présentement à l’étude.

[43]  Par conséquent, le Tribunal rejette la plainte de discrimination au titre des articles 7, 9 et 10 de la LCDP.

(ii)  Les allégations touchant l’article 14

[44]  L’article 14 de la LCDP interdit le harcèlement en matière d’emploi. Mlle Siddoo a soulevé plusieurs allégations de harcèlement contre des membres du syndicat et a utilisé le terme fréquemment au cours de l’audience. Cependant, le harcèlement n’est pas facile à définir.

[45]  Tout acte qui cause à autrui une forme quelconque d’anxiété pourrait être considéré comme du harcèlement. Ce qui offense une personne peut en laisser une autre indifférente. En outre, personne n’est parfait, et il peut tous nous arriver à l’occasion d’agir sans réfléchir, de nous montrer insensible ou encore d’être tout bonnement stupide. Cela veut-il dire qu’il ne peut jamais y avoir d’interactions sûres entre personnes? La question n’est pas tant de savoir si une personne a été offensée ou s’est sentie humiliée, mais de savoir par quelle mesure objective on peut définir le harcèlement de sorte que chacun saura toujours exactement comment se comporter pour l’éviter.

[46]  Je ne crois pas que l’article 14 de la LCDP ait pour but de viser chaque sottise ou geste insensible commis en milieu de travail. Le harcèlement est un mot sérieux, qui ne doit pas être employé à la légère, mais auquel il faut avoir vigoureusement recours lorsque la situation le justifie. Agir autrement serait le banaliser. Il ne faut pas le dévaloriser ni en diminuer l’importance en le lançant à tort et à travers pour des petites méchancetés ou des paroles échappées lorsque le préjudice causé, selon toute norme objective, est éphémère.

[47]  Le Tribunal a tenté de définir le harcèlement comme étant des paroles ou un comportement non sollicités ou que l’on devrait savoir tels, fondés sur un motif de distinction illicite et évalués en fonction des faits propres à l’affaire selon la norme de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances (voir Janzen c. Platy Enterprises ltd., [1989] 1 RCS 1252; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 CF 653). Dans le contexte de l’emploi, il faut examiner si le comportement a porté atteinte à la dignité de l’employé d’une manière telle qu’il crée un environnement de travail hostile ou malsain (voir Day c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 43, au paragraphe 184; Croteau c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 TCDP 16, au paragraphe 43).

[48]  En ce qui concerne son retrait des séances de formation en 2010, Mlle Siddoo soutient que le syndicat et plus précisément M. Verbeek ont essayé de l’humilier en l’inscrivant délibérément à la session de formation de juillet 2010 avec des personnes ayant plus d’expérience. Elle allègue également que le syndicat l’a harcelée en exigeant qu’elle remplisse le formulaire médical avant de reprendre la formation. Cependant, elle n’est pas parvenue à prouver que M. Verbeek avait essayé de l’humilier et, ce qui est plus important encore, qu’un motif de distinction illicite avait constitué un facteur dans l’un ou l’autre des incidents allégués.

[49]  Mlle Siddoo affirme aussi avoir déjà été qualifiée de [traduction] « vieille fille » par un autre membre du syndicat. En outre, elle prétend qu’un formateur a formulé un commentaire sur les personnes portant un turban. Même si ces allégations étaient avérées, je ne conclurais pas qu’elles sont répétitives ou suffisamment graves pour constituer le type le harcèlement interdit par la LCDP.

[50]  Mlle Siddoo a également parlé d’une dispute avec M. Verbeek en 2005, lors de laquelle il lui avait dit : [traduction] « Va te faire foutre, Penny Siddo. » M. Verbeek a reconnu en contre-interrogatoire avoir dit cela, mais il a expliqué le contexte dans lequel la remarque avait été faite. M. Verbeek n’a proféré ces paroles qu’une seule fois, il ne s’agit donc pas d’une conduite persistante ou incessante. J’estime de plus que cette remarque n’était pas suffisamment grave en elle-même pour avoir empoisonné le milieu de travail et ainsi entraîner une conclusion de harcèlement au titre de l’article 14 de la LCDP.  En outre, rien ne prouve que ce commentaire de M. Verbeek était fondé sur un motif de distinction illicite énoncé dans la LCDP.

[51]  Enfin, Mlle Siddoo prétend avoir été continuellement harcelée par des membres du syndicat, notamment par des actes d’intimidation collective, de harcèlement criminel collectif et de terrorisme psychologique ainsi que des menaces de mort. La preuve produite n’a pas étayé ces allégations, encore moins établi qu’un motif de distinction illicite aurait constitué un facteur dans l’un ou l’autre de ces prétendus incidents.

[52]  Par conséquent, le Tribunal rejette également les allégations de harcèlement soulevées par Mlle Siddoo, car elle n’a pas été en mesure de prouver à première vue qu’il y avait eu violation de l’article 14 de la LCDP.

V.  Observations supplémentaires

[53]  Mlle Siddoo semble portée à tirer des conclusions improbables sur les faits se produisant autour d’elle. Elle semble aussi convaincue que les parties se sont associées contre elle. Mlle Siddoo est convaincue que des gens à son travail ont conspiré pour qu’elle rate sa formation et que ses réponses à un examen écrit avaient été modifiées pour qu’elle échoue.

[54]  Bien qu’il soit possible que la plaignante ait été sincèrement convaincue que des représentants et des membres du syndicat voulaient [traduction] « s’en prendre à elle », et qu’elle en a ressenti de la détresse et de l’anxiété, elle a réagi aux faits de façon excessive à plusieurs reprises. Cela a mené à une détérioration de ses relations avec certains des représentants et des membres du syndicat, ce qui peut avoir donné lieu à une certaine acrimonie dans le milieu de travail. Cependant, je ne crois pas que la discrimination ait constitué un facteur.

[55]  Il est dommage que la Commission n’ait pas participé à l’audience. Si, dans le cadre de son enquête, elle avait trouvé des preuves de la discrimination, il aurait été utile qu’elle les présente devant le Tribunal.

Signé par

David Thomas

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 15 septembre 2015

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1952/3213

Intitulé : Munglegeet Kaur Siddoo c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502

Date des motifs de la décision du Tribunal : le 15 septembre 2015

Date et lieu de l’audience : les 23, 24 et 26 février 2015, à Vancouver, en Colombie‑Britannique

Comparutions :

Munglegeet Kaur Siddoo, pour la plaignante

Aucune comparution pour la Commission canadienne des droits de la personne

Bruce Laughton , c.r., avocat de l’intimé

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