Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Canadian Human Rights Tribunal

Référence : 2015 TCDP 11

Date : Le 13 mai 2015

Numéro du dossier : T1961/4113

Entre :

Claudette Wilson

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l’intimée

Décision

Membre : Ronald S. Williams

 



I.  Introduction

[1]  Claudette Wilson, une femme de race noire, allègue avoir été victime de discrimination en matière d’emploi fondée sur la race et le sexe de la part de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), lorsque celle‑ci l’a transférée de l’endroit où elle avait travaillé pendant de nombreuses années à un autre endroit dans la même ville.

II.  Les faits

[2]  Mme Wilson a travaillé pendant 21 ans au même centre de surveillance de l’Immigration (le CSI) à Toronto. Pendant la plus grande partie de cette période, elle a travaillé comme agente de sécurité, mais pendant les deux années ayant précédé l’année 2010, elle a occupé le poste de surveillante de la sécurité.

[3]  Il est important de souligner que Mme Wilson n’était pas directement employée par l’ASFC; celle‑ci avait plutôt sous‑traité les services de sécurité. À l’époque en question, c’est la société G4S Security Services (Canada) Ltd. (la G4S ) qui détenait le contrat de fourniture du personnel de sécurité à la CSI et c’était elle qui était l’employeur de Mme Wilson. L’ASFC fournissait le personnel de supervision, de gestion et des opérations. Mme Wilson estimait qu’elle était une employée exemplaire, qui était appréciée à la fois par l’intimée, l’ASFC et par son employeur, la G4S.

[4]  En juin 2010, l’ASFC a embauché un nouveau gestionnaire des opérations, à savoir M. Sajjad Bhatti. En juillet 2010, Mme Wilson a été impliquée dans un incident survenu au travail, ce qui a entraîné son transfert de son lieu de travail actuel à un autre CSI à Toronto. M. Bhatti était l’auteur de la lettre qui avisait Mme Wilson de son transfert à un autre centre à Toronto.

[5]  Mme Wilson s’est opposée au transfert, et l’affaire a dû être tranchée dans le cadre d’un arbitrage de griefs devant le Conseil canadien des relations industrielles. Finalement, un procès‑verbal de règlement a été signé.

[6]  Mme Wilson a allégué qu’elle avait été transférée parce que M. Bhatti ne voulait pas d’une femme de race noire au centre où il travaillait. Elle a déclaré dans son témoignage, à l’appui de ses prétentions, que M. Bhatti avait refusé d’interagir avec elle à deux reprises au moins. Une fois, elle l’avait salué en disant [traduction] « Bonjour monsieur », mais il n’avait pas répondu. Une deuxième fois, elle l’avait salué alors qu’il passait devant la cage d’escalier, mais il n’avait pas répondu et avait continué son chemin. Elle a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait pas eu de [traduction] « contact visuel » avec elle et qu’il avait continué son chemin. Elle a déclaré qu’il avait [traduction ] « murmuré » quelque chose, mais elle ne saurait dire ce que c’était, si du moins il avait dit quoi que ce soit. Selon Mme Wilson, M. Bhatti avait une attitude discriminatoire. Elle était convaincue que le traitement auquel M. Bhatti la soumettait était fondé sur la race et le sexe et elle a déclaré ceci : [traduction] « Pourrait‑il s’agir d’autre chose? Je suis une femme et je suis noire ».

[7]  Mme Wilson n’a pas pu se rappeler le moment auquel les deux incidents ont eu lieu. Elle n’avait pas d’autres témoins. Elle a soumis au Tribunal des copies de deux lettres : l’une, manuscrite et signée « Justice Seekers » (revendicateurs de justice), et l’autre, dactylographiée et signée aussi « Justice Seekers » avec quatre signatures illisibles. Les deux copies ont été produites en preuve à l’appui de la plainte de Mme Wilson. Je conclus que les lettres ont peu de valeur probante, en raison du fait que les signatures sont indéchiffrables et que les auteurs n’ont pas été contre‑interrogés. En outre, les lettres ne contiennent aucun renseignement qui a trait à la plainte pour discrimination de Mme Wilson et, par conséquent, elles ne sont pas utiles. Mme Wilson n’a présenté aucun élément de preuve quant aux dommages, le cas échéant, qu’elle a subis par suite de la discrimination alléguée.

[8]  M. Bhatti était le seul témoin de l’intimée. Il a déclaré qu’il était né au Canada et qu’il était de descendance pakistanaise. Il a dit que, quand il était enfant, il avait souvent été la cible de commentaires désobligeants et d’injures en raison de la couleur de sa peau. Il a affirmé ne pas se souvenir des incidents au sujet desquels Mme Wilson se plaint.

[9]  M. Bhatti a déclaré que ce n’était pas dans ses habitudes d’être impoli et que, si la plaignante l’avait salué comme elle le prétend, il affirme qu’il aurait répondu d’une manière respectueuse. Malgré son témoignage concernant ses habitudes, il ne pouvait pas se rappeler les deux incidents susmentionnés et, par conséquent, il ne pouvait pas nier qu’ils avaient eu lieu. Ainsi, le témoignage de Mme Wilson quant aux deux incidents demeure essentiellement non contredit. M. Bhatti a bel et bien admis avoir remis à Mme Wilson une lettre concernant son transfert à un autre centre.

III.  Les aspects juridiques

[10]  La plainte de Mme Wilson est fondée sur l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H‑6 (la Loi). Selon l’alinéa 7b) de la Loi, le fait de défavoriser un individu en cours d’emploi constitue un acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite. L’article 3 de la Loi énonce que les motifs de distinction illicite comprennent le sexe, la race et la couleur.

[11]  Il est bien établi, je crois, qu’il incombe à Mme Wilson d’établir prima facie qu’il y a eu discrimination. La preuve prima facie de discrimination est « […] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558; Canada c. Johnstone, 2014 CAF 110, au paragraphe 82).

[12]  Lorsque Mme Wilson aura établi prima facie qu’elle a été victime de discrimination, il reviendra à l’intimée de fournir une explication raisonnable quant à la conduite jugée répréhensible (Baptiste c. Canada (Service correctionnel), 2001 CanLII 5801 (TCDP), au paragraphe 6).

[13]  En l’espèce, il n’existe pas de preuve directe; Mme Wilson se fonde plutôt sur une preuve circonstancielle. Mais celle‑ci sera suffisante si la preuve présentée à l’appui d’une conclusion de discrimination rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible (Baptiste, précitée, au paragraphe 60 et Khiamal c. Canada (Commission des droits de la personne), 2009 CF 495, au paragraphe 60).

[14]  Pour faire droit à une plainte, il n’est pas nécessaire que les considérations discriminatoires soient le seul motif de la conduite reprochée. Il suffit que la discrimination soit un facteur qui a motivé la conduite ou les décisions de l’employeur (Holden v. Canadian national railway (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.); Baptiste, précitée, au paragraphe 11; Khiamal, précitée, au paragraphe 61).

[15]  Enfin, la norme de preuve qui s’applique dans les affaires de discrimination est la norme civile habituelle (Baptiste, précitée, au paragraphe 10; Khiamal, précitée, au paragraphe 60). Le fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités incombe à celui ou celle qui réclame l’exécution d’une obligation (Developement social Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2011 CAF 202, au paragraphe 16).

IV.  Les questions en litige

[16]  L’intimée a soulevé les deux questions fondamentales suivantes qu’il faut examiner :

  1. L’ASFC était‑elle l’employeur de Mme Wilson, c’est‑à‑dire, existait‑il une relation employeur‑employé au sens de l’alinéa 7b) de la Loi?
  2. La plaignante a‑t‑elle apporté la preuve d’une différentiation défavorable fondée sur un motif de distinction illicite au sens de l’alinéa 7b) de la Loi?

[17]  Étant donné que j’ai tiré une conclusion défavorable à l’égard de la plaignante en ce qui concerne la deuxième question en litige, je ne crois pas qu’il soit nécessaire que je me penche sur la première question (à savoir si la relation d’emploi exigée existait).

V.  Analyse

[18]  Mme Wilson croit que sa réaffectation à un « nouvel » endroit a eu lieu en raison du traitement défavorable qu’elle a subi de la part de M. Bhatti, parce qu’elle était une femme de race noire. Les éléments de preuve qu’elle a présentés établissaient‑ils prima facie l’existence d’une distinction défavorable fondée sur un motif illicite?

[19]  Les éléments de preuve présentés par Mme Wilson n’établissent pas prima facie l’existence d’un lien entre le traitement défavorable qu’elle a subi et les motifs illicites de discrimination invoqués en l’espèce. En d’autres termes, même à supposer que j’ajoute foi aux éléments de preuve présentés par Mme Wilson, je ne peux pas déterminer, à partir de son témoignage, comment le refus de M. Bhatti d’interagir avec elle, considéré de pair avec la décision de la transférer à un autre CSI, étaient d’une manière ou d’une autre liés à sa race, à son sexe, à ces deux motifs, ou à leur effet combiné (voir l’article 3.1 de la Loi). La conduite de M. Bhatti, telle que la plaignante l’a décrite dans son témoignage, pouvait être attribuable à de nombreuses raisons. La croyance de Mme Wilson selon laquelle, parce qu’elle est une femme de race noire, M. Bhatti voulait la transférer à un autre CSI et n’avait pas répondu à ses salutations à deux reprises à des dates non connues, n’est pas suffisante pour établir une preuve prima facie qui doit être réfutée. Une simple croyance, sans éléments de preuve à l’appui, n’est pas suffisante pour justifier une plainte de discrimination (Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785, aux paragraphes 30 et 31).

[20]  L’exigence en matière de preuve visant à établir prima facie l’existence d’une discrimination comporte habituellement trois éléments. Les plaignants doivent démontrer :

  1. qu’ils possèdent une caractéristique protégée par la Loi contre la discrimination;
  2. qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement à l’emploi concerné;
  3. que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. (Voir l’arrêt Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33; Johnstone, précité, au paragraphe 76).

[21]  En l’espèce, Mme Wilson a présenté des éléments de preuve à l’appui du premier et du deuxième élément (sa race et son sexe, ainsi que sa mauvaise expérience professionnelle). Toutefois, elle n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui du troisième élément, à l’exception de sa croyance personnelle. Compte tenu du libellé de l’alinéa 7b) de la Loi, elle n’a présenté aucun élément de preuve, à part sa croyance selon laquelle la distinction défavorable dont elle a fait l’objet était fondée sur un motif illicite. La preuve que Mme Wilson a soumise n’est pas assez complète et suffisante pour justifier un verdict en sa faveur, en l’absence d’une réplique de l’intimée.

[22]  Cela étant dit, même si je devais conclure qu’une preuve prima facie a été faite, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le sexe ou la race de Mme Wilson, ou leur effet combiné, ont joué un rôle dans la décision de l’ASFC de la transférer. À la lumière de la preuve présentée par M. Bhatti, une explication raisonnable et non discriminatoire quant au transfert a été fournie, à savoir l’incident survenu au travail en juillet 2010. Il incombe à Mme Wilson de convaincre le Tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve explicative présentée par M. Bhatti pour le compte de l’ASFC est fausse ou n’est qu’un prétexte (Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396, aux paragraphes 74 et 83). Mme Wilson n’y est pas parvenue.

[23]  J’ai tiré la conclusion susmentionnée en tenant dûment compte du principe selon lequel, en l’absence d’une preuve directe, l’existence d’une discrimination peut être déduite des autres éléments de preuve qui ont été présentés. Toutefois, compte tenu des faits en l’espèce, il est plus probable de tirer une conclusion d’absence de discrimination. Le transfert est entièrement attribuable à l’incident survenu au travail. De même, la preuve ne permet pas de conclure que la race et le sexe de Mme Wilson ont probablement joué un rôle dans le fait que M. Bhatti n’avait pas répondu à ses salutations.

[24]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la plainte n’est pas fondée et, en application du paragraphe 53 (1) de la Loi, je la rejette.

Signée par

Ronald Sydney Williams

Membre instructeur

Ottawa (Ontario)

Le 13 mai 2015

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1961/4113

Intitulé de la cause : Claudette Wilson c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 13 mai 2015

Date et lieu de l’audience : Les 19 et 20 novembre 2014

Toronto (Ontario)

Comparutions :

Claudette Wilson, pour son propre compte

Personne n’a comparu pour la Commission canadienne des droits de la personne

Victoria Yankou , pour l’intimée

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