Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Fallan Davis

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision

Numéro du dossier : T1342/7208

Membre : Robert Malo

Date : Le 9 décembre 2014

Référence : 2014 TCDP 34

 



I.                   Contexte

[1]               La plaignante, madame Fallan Davis, dans une plainte datée du 24 novembre 2006 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (Commission), demande de faire reconnaître que certains des agissements de représentants de l'intimée, soit l'Agence des services frontaliers du Canada (l’intimée), soient déclarés comme étant discriminatoires en raison de sa race, de son âge et de son sexe, et cela, en contravention avec les dispositions de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (Loi).

[2]               À cet égard, certains événements seraient survenus en date du 18 novembre 2005, au moment où la plaignante aurait été interpellée par les agents de l’intimée lors de son retour des États-Unis en empruntant le poste frontalier de l’intimée situé sur l'île de Cornwall, Ontario.

[3]               La plaignante indique dans sa plainte qu'elle aurait été arrêtée sans avertissement et fut forcée de se tenir à l'extérieur de son véhicule, sans manteau, alors qu'il faisait froid, et cela, pour une période de quarante cinq minutes.

[4]               Elle mentionne dans sa plainte également que les agents, alors en place et faisant partie de l’unité spéciale connue comme étant le système d’inspection des véhicules et du fret (VACIS), auraient fait preuve de comportements racistes et auraient agi de façon inappropriée envers elle.

[5]               Plus particulièrement, elle fait état que son identité d’autochtone de Onkwehonwe aurait été violée par les agissements des agents de l'intimée.

[6]               Dans sa réponse, l'intimée prétend que toute cette opération se serait déroulée dans le cadre d'une opération spéciale qui a été conduite à ce moment au poste frontalier de l’intimée situé sur l'Ile de Cornwall, Ontario, et cela, afin de procéder à la vérification de véhicules comme celui de la plaignante. Cette opération devait permettre de vérifier si ces véhicules pouvaient comporter de compartiments secrets, permettant ainsi le transport de drogues, d'armes ou d'autres effets de contrebande illégaux.

[7]               Cette opération menée par les agents de l'intimée en date de 18 novembre 2005 aurait été commandée par un agent de « l'Intelligence » de l'intimée travaillant sur l'île de Cornwall qui aurait requis la présence de l'équipe VACIS afin de procéder à l'examen des véhicules par scanner. Cette opération incluait la vérification des véhicules tels que : SUV, mini-fourgonnette, camions remorques et d'autres véhicules non commerciaux.

[8]               Selon la preuve qui a été entendue au tribunal, il est donc question d'examiner les comportements tant de la plaignante que ceux des représentants de l'intimée et de vérifier si les agissements des représentants de l'intimée envers la plaignante ont pu donner un fondement à la plainte de la plaignante, telle que décrite auparavant.

[9]               Tel que le présent jugement l’expliquera, il est de mon intention de faire droit à la plainte de la plaignante.

II.                Les faits

A.                Preuve de la plaignante

[10]           En date du 18 novembre 2005, vers 10 h 30 du matin, alors que la plaignante empruntait le poste frontalier de l'île de Cornwall, Ontario, à son retour des États-Unis, elle fut interpellée par un des agents de l'intimée afin de procéder à un examen de son véhicule par voie de scanner.

[11]           La plaignante indique au tribunal que normalement, elle utilise une voie d’entrée au poste frontalier spécialement réservée aux autochtones résidant sur l'île de Cornwall. Avant d’utiliser sa voie d’entrée, elle fut interpelée par un des agents de l'intimée afin d'être référée vers la voie normalement utilisée par des véhicules de transport commerciaux.

[12]           Elle indique également au tribunal que, de façon quotidienne, elle utilise le poste frontalier de l'île de Cornwall à raison d’une dizaine de fois par jour.

[13]           Également, elle indique au tribunal que la journée du 18 novembre 2005 était une journée ensoleillée, mais qu’il faisait froid, à raison de moins 6 degrés Celsius.

[14]           Au moment de cette interception, la plaignante indique au tribunal qu’elle a alors reconnu un premier agent, soit l’agent Derek O’Brien. Ce dernier lui a alors demandé si elle avait des cigarettes de contrebande, de l’alcool, des armes à feu et d'autres biens, ce à quoi elle a répondu négativement à toutes les questions. Elle a alors fourni son permis de conduire de conducteur à l'agent O’Brien.

[15]           Suivant les instructions de l'agent O’Brien, elle a donc dirigé son véhicule vers la voie normalement consacrée aux véhicules commerciaux située à l’arrière de l’édifice commercial où était alors située l’unité VACIS qui devait procéder à l’examen de son véhicule par scanner.

[16]           Comme la plaignante n’était jamais allée à l’arrière de cette bâtisse commerciale, elle était alors apeurée face à cette situation irrégulière qu’elle n’avait jamais vécue auparavant. Elle rappelle alors au tribunal qu’elle n’était âgée que de 23 ans au moment des faits.

[17]           Une fois rendue à l’arrière de l’édifice commercial, elle fut alors interpelée par un deuxième agent de l’intimée. Elle indique au tribunal qu’elle avait pris la décision de téléphoner sa grand-mère afin de l'informer de la situation qui était préoccupante quant à elle.

[18]           Selon les instructions de ce deuxième agent, elle aurait alors été informée de se diriger vers un camion et de sortir de son véhicule. C’est à ce moment qu’elle aurait alors noté la présence d'un gros camion blanc, lequel comportait un bras à l'extérieur de celui-ci. Elle aurait également noté la présence de panneaux d'arrêt stop écrits de façon exagérée, et elle aurait constaté l'annotation « danger radiation » sur un des panneaux.

[19]           Au moment des faits du présent dossier, la plaignante conduisait un véhicule de type DENALI GMC noir portant un numéro de licence ontarienne.

[20]           Suivant les instructions de ce deuxième agent, la plaignante s’est alors dirigée vers le camion blanc en question et est sortie de son véhicule afin de se tenir dans un endroit qui lui avait été indiqué.

[21]           Une fois sortie de son véhicule, un troisième agent de l’intimée s'est alors dirigé vers elle et lui aurait indiqué de se tenir dans un endroit spécifiquement désigné et sécuritaire.

[22]           Elle indique au tribunal que c’est à ce moment qu’elle a alors commencé à blasphémer auprès de ce troisième agent tout en sautant sur ses jambes, et cela, afin de pouvoir se réchauffer. Elle indique alors au tribunal qu’elle aurait alors demandé à ce troisième agent de lui redonner ses pièces d'identification et ce dernier lui aurait alors répliqué qu'il lui redonnerait ses pièces d'identification une fois que les opérations de scanner seront terminées.

[23]           La plaignante indique qu’elle aurait demandé la permission d'aller à l'intérieur du poste de l’intimée afin de se réchauffer et d'attendre à cet endroit jusqu'à la fin de la procédure de scanner sur son véhicule.

[24]           Cette permission lui fut refusée par ce troisième agent et il lui aurait alors intimé l'ordre de rester à cet endroit où elle était.

[25]           Toujours en communication avec sa grand-mère avec son cellulaire, la plaignante indique que sa grand-mère aurait appelé un dénommé John Boots, lequel est un des anciens de la communauté autochtone d’Akwesasne. Sa grand-mère l’informe que ledit John Boots lui amènerait une couverture afin de pouvoir se réchauffer.

[26]           Durant cette séquence, la plaignante indique qu’elle aurait commencé à pleurer et aurait demandé aux agents en place ce qui se passait et ce qu'ils cherchaient dans son véhicule. Elle aurait eu comme réponse [Traduction]  « tout et rien », avec une réponse également à l'effet qu'elle semblait définitivement coupable de quelque chose selon eux.

[27]           Le troisième agent de l’intimée avec lequel elle se trouvait lui aurait alors demandé si elle transportait des cigarettes de contrebande, tout en concluant selon lui que les opérations de scanner sur le véhicule de la plaignante devraient permettre de trouver des cigarettes de contrebande.

[28]           La plaignante indique au tribunal qu'elle aurait alors réitéré à cet officier qu'elle travaillait dans une boutique située aux États-Unis. L'agent en question aurait alors émis des rires à l’endroit de la plaignante, en se moquant.

[29]           Devant l’attitude de ce troisième agent, elle lui aurait demandé de s’identifier et ce dernier lui aurait alors montré son insigne en lui indiquant : [Traduction] « vous voyez cette insigne, est-ce que vous savez ce que cette insigne représente? ».

[30]           La plaignante lui aurait alors répondu qu'elle ne le savait pas et que de toute façon, elle ne s'en souciait pas. Elle aurait alors indiqué à l'agent qu'il était sur son territoire, en indiquant : [Traduction] « ici c'est mon territoire » et à ce moment, l'agent lui aurait répondu [Traduction] « savez-vous ce que notre société pense de vous? » en faisant référence à la communauté autochtone où elle vivait.

[31]           Quelques minutes plus tard John Boots est effectivement arrivé sur les lieux. Elle indique au tribunal que ce troisième agent aurait été très impoli à l’endroit de Monsieur Boots et que cet agent lui aurait demandé de se tenir à l'écart de la scène.

[32]           Dans cette séquence factuelle, un quatrième agent est alors intervenu, lequel avait en sa possession des reçus pour différents objets qui auraient été trouvés dans le véhicule de la plaignante. Ce quatrième agent lui aurait alors demandé de se diriger à l'intérieur de l'édifice principal du poste frontalier afin que cette dernière paie des taxes sur les objets qu'elle aurait achetés aux États-Unis. La plaignante indique au tribunal qu'elle n'a jamais payé de taxes sur quoi que ce soit, tenant compte de son statut d’autochtone.

[33]           La plaignante indique au tribunal que lors de la fouille, tout son véhicule fut inspecté, et indique que les agents qui avaient procédé à la fouille auraient essayé d'arracher les sièges de son véhicule.

[34]           À l'intérieur de l'édifice principal du poste frontalier de l’intimée, la plaignante aurait alors rencontré le superintendant du poste et elle aurait alors confirmé qu'elle n'avait pas déclaré les objets qui furent retrouvés dans son véhicule, soit plus particulièrement des jouets et des jeans, indiquant qu'elle n'avait pas eu la chance de le faire.

[35]           Elle indique également au tribunal qu'une fois à l'intérieur de cet édifice, elle aurait vécu de l'hyperventilation, pleuré encore une fois tout en se sentant outragée de la situation qu'elle venait de vivre.

[36]           Dans la même séquence de son témoignage, elle indique qu'elle ne se souvenait pas d'avoir mentionné qu'elle était pour appeler la Société des guerriers Mohawk, même si dans son for intérieur, cela ne lui apparaissait pas comme une mauvaise idée. Elle considérait les gens de la Société des guerriers Mohawk comme étant des gardiens de la paix pour elle.

[37]           En résumé, la plaignante indique qu’elle a été l’objet de moqueries de la part des agents de l’intimée qui ont procédé à l’inspection de son véhicule.

[38]           Elle considère que toute cette situation en fut une de confrontation et fut apeurante quant à elle. Elle considère que le troisième agent qui lui a parlé alors qu’elle était à l’extérieur de son véhicule n'aurait pas agi de façon correcte ou adéquate suivant le code de conduite qui le régissait et il n'aurait rien fait afin d’apaiser la situation.

[39]           Elle réitère qu’elle s’est sentie isolée, sans l'appui de personne, devant tous ces hommes qui étaient habillés de la même façon, et surtout, avec une indication qu'il y avait un danger de radiation sur les lieux. Elle indique au tribunal qu'elle était enceinte à ce moment et confirme qu’aucun des agents sur les lieux ne lui aurait demandé si elle était effectivement enceinte avant d'entreprendre les manœuvres de scanner sur son véhicule.

[40]           Dans son témoignage, la plaignante est revenue sur son altercation avec le troisième agent de l’intimée qui aurait fait preuve d’une plus grande confrontation envers elle. Elle avoue encore une fois avoir dit à cet agent qu'il était sur son territoire et que ce territoire n’appartenait pas à l’intimée. Elle aurait alors indiqué qu'elle vivait non loin du poste frontalier de l’intimée sur l'île de Cornwall et une fois informé de ce fait, ce troisième agent lui aurait alors demandé d’une façon défiante, si elle était pour s'enfuir.

[41]           Précisant les faits survenus lors du 18 novembre 2005, la plaignante confirme que l’endroit où les opérations de scanner ont eu lieu était marqué par des cônes orange. C'est à l'intérieur de ce périmètre marqué par ces cônes que les opérations de scanner furent entreprises.

[42]           Elle confirme également qu’au moment où elle était à l'extérieur, elle aurait été exposée au froid pendant une période de quarante minutes environ. Elle confirme que la durée de la fouille sur son véhicule aurait pris environ de dix à quinze minutes.

[43]           Face à toute l’opération qui a eu lieu le 18 novembre 2005, la plaignante considère que cette situation s'apparentait à celle d’un viol quant à elle. Elle a qualifié les agents de l'intimée comme étant des agresseurs, lesquels lui auraient causé une grande peur qu'elle éprouverait toujours. Depuis ce temps, elle se considère comme une paria lorsqu’elle utilise le poste frontalier de l’intimée.

[44]           Dans son témoignage, la plaignante a identifié le troisième agent avec lequel elle aurait eu une confrontation comme étant celui portant le numéro d’insigne 11275, soit l’agent Denis Demers.

[45]           Finalement, elle informe le tribunal que suite à ces événements, elle aurait décidé de porter plainte contre les agents en question, mais elle ne fut pas retenue contre ces derniers. Elle indique également qu’elle se serait présentée devant le conseil de bande de sa communauté autochtone afin de parler au chef de la communauté et de lui faire savoir ce qui est arrivé. Ce dernier l’aurait alors informée qu’il était dans son intérêt de porter plainte auprès de la Commission.

B.                 Contre-interrogatoire de l’intimée

[46]           En contre-interrogatoire par l’avocat de la Commission, la plaignante a également réitéré les paroles qui auraient alors été prononcées par l’agent Demers qui lui aurait alors demandé dans ces termes : [Traduction] « Est-ce que vous savez ce que notre société pense de vous? »

[47]           Elle considère que les paroles prononcées par l’agent Demers ainsi que son comportement général sont discriminatoires, surtout du fait qu’elle était enceinte. Elle considère que les agents de l'intimée lors de cette journée ont démontré une utilisation abusive de leurs pouvoirs.

[48]           De même, la plaignante indique au tribunal que suite aux faits qui sont survenus le 18 novembre 2005, elle aurait effectué certaines recherches sur l'Internet afin de connaître les effets potentiels des radiations auxquelles elle aurait pu être exposée et surtout des effets sur son enfant à naître. Elle indique au tribunal que c’est à partir de cette dernière recherche qu’elle aurait pris la décision de procéder à l’avortement de son enfant à naître. À cet égard, la plaignante a décidé de procéder à l'avortement de son enfant à naître en date du 2 décembre 2005, soit 19 jours après les incidents du 18 novembre 2005.

[49]           De même, en contre-interrogatoire, elle a admis qu’elle n’avait fait aucune mention de son état de femme enceinte, si ce n’est qu’une première fois dans un premier document daté du 13 juillet 2007, soit un document intitulé  [Traduction] « Réplique de Fallan Davis » adressé à la Commission (voir la pièce R-5, pages 4, 26 et 27).

[50]           Conséquemment, elle confirme qu’il n’y avait aucune mention de son état de femme enceinte dans son affidavit daté du 21 novembre 2005, lequel affidavit faisait état de tous les faits relatifs aux incidents du 18 novembre 2005.

[51]           De même, la plaignante confirme au tribunal qu’elle n’avait fait aucune  mention de son état de femme enceinte à l’enquête qui fut alors déclenchée par l'intimée, par le biais de sa représentante, soit madame Lucinda Reading, laquelle avait été mandatée par l'intimée afin de procéder à une enquête sur les événements du 18 novembre 2005. À cet égard, la plaignante mentionne que Madame Reading ne lui aurait pas fait de demandes spécifiques quant à son état de femme enceinte.

[52]           De la même façon, la plaignante a également admis au tribunal qu’elle n’avait pas fait état de sa situation de femme enceinte lors du dépôt de sa plainte en date du 23 novembre 2006 auprès de la Commission (pièce R-2, onglet 96).

[53]           À une autre question du procureur de l'intimée, relativement à son état de femme enceinte, la plaignante indique au tribunal qu'un autre de ses enfants, né en 2007, soit l'enfant Georgia Jacob née le 27 février 2007, aurait pu également avoir été atteint par les effets de la radiation suite aux opérations de scanner effectuées le 18 novembre 2005. À cet égard, l'avocat de l'intimée a référé la plaignante à un de ses affidavits datés du 28 octobre 2008, dans lequel on retrouve la mention à l’effet que l’enfant Georgia souffrait de paralysie de Bell, soit une affection médicale très rare. La plaignante soutient que son enfant Georgia pouvait avoir été atteint par les effets de radiation de la machine VACIS.

[54]           Encore une fois, la plaignante a reconnu au tribunal qu'elle n'avait fait aucun test médical afin d'évaluer les niveaux de radiations auxquelles elle aurait pu être exposée par les effets des opérations de scanner effectuées le 18 novembre 2005.

[55]           Dans son contre-interrogatoire, la plaignante indique au tribunal qu’elle éprouvait toujours de la peur lorsqu'elle utilise le poste frontalier de l’intimée, maintenant situé non loin de la Ville de Cornwall.

[56]           En effet, la plaignante indique au tribunal que le poste frontalier situé sur l'île de Cornwall fut fermé en date du 31 mai 2009 afin d’être déménagé sur la rive-nord, là où est située la Ville de Cornwall.

[57]           Elle indique qu’elle a toujours peur lorsqu’elle utilise ledit poste frontalier de l'île de Cornwall, tout comme certains autres membres de sa communauté autochtone qui auraient également éprouvé des difficultés avec les agents de l’intimée dans le passé.

[58]           À une autre question du procureur de l’intimée, la plaignante a alors admis qu’un autre événement serait survenu en date du 6 août 2005, alors que le véhicule dans lequel se trouvait la plaignante fut alors fouillé par les agents de l’intimée. À ce moment, la plaignante était accompagnée de sa belle-sœur, soit madame Mélissa Papineau. Lors de cette inspection secondaire de son véhicule, la plaignante aurait alors indiqué qu’elle désirait faire sauter le poste frontalier situé sur l’île de Cornwall. Toutefois, la plaignante indique au tribunal qu’il ne s’agissait pas d’une grande menace quant à elle et qu’elle n’avait pas formulé cette menace à l’intérieur du poste frontalier de l’intimée.

[59]           Interrogée quant à son obligation de déclarer les biens qu'elle a en sa possession lorsqu’elle traverse la frontière, la plaignante indique au tribunal que suivant des circonstances normales, et si elle avait utilisé sa voie normale pour traverser le poste de frontière, elle croit alors qu'elle aurait divulgué ses biens et qu'elle s'en serait certainement souvenue.

[60]           Dans son témoignage, la plaignante s’est interrogée sur la présence du poste de frontière situé sur l’île de Cornwall, en indiquant qu’elle ne comprenait pas ce que ce poste faisait à cet endroit. Elle indique également au tribunal qu’elle ignorait vraiment les limites du territoire du Canada au regard de la situation géographique des lieux.

[61]           Interrogée quant au comportement des agents qu’elle a rencontrés le 18 novembre 2005, elle confirme également que le premier agent qu’elle a rencontré n’aurait pas crié après elle, mais que sa voix était élevée.

[62]           À une autre question du procureur de l’intimée quant à sa déclaration des biens qu’elle avait en sa possession et acquis aux États-Unis, elle confirme au tribunal qu'elle n’aurait pas fait une telle déclaration malgré la demande qui lui aurait été formulée par le premier agent qui l’a accueillie au poste de frontière.

[63]           En ce qui a trait à sa rencontre avec le deuxième agent au moment de son transfert à l’arrière de l’immeuble commercial pour fins d’examen par voie de scanner sur son véhicule, la plaignante a également avoué que ce deuxième agent n’aurait pas été agressif envers elle et qu’il aurait agi de façon professionnelle.

[64]           Toutefois, cet agent ne lui aurait pas indiqué les effets de la radiation qui auraient pu être émis sur son véhicule, et cela, plus particulièrement au regard de son enfant à naître.

[65]           Interrogée quant à son interaction avec le troisième agent, soit l’agent Demers, elle confirme que cet agent était habillé de la même façon que les autres agents, qu’il portait une tuque ainsi que des verres fumés et qu’il était facilement reconnaissable à cause [Traduction] « de ses dents dans sa face ».

[66]           Selon elle, l’agent Demers l’aurait abordée avec un ton élevé, et avoue qu'elle aurait crié auprès de l’agent Demers afin de retrouver son permis de conduire.

[67]           Finalement, quant à sa demande de réobtenir son permis de conduire, et suivant la réponse de l’agent Demers qui lui alors indiqué qu’elle récupérerait son permis de conduire une fois que la procédure serait terminée, elle admet avoir répondu à l’agent ce qui suit : [Traduction] « va te faire foutre».

[68]           Toujours dans le contre-interrogatoire effectué par l’avocat de l’intimée, et dans la séquence où elle a interagi avec l’agent Demers, elle confirme qu’elle aurait traité l’agent Demers de [Traduction] « homo ». Aussi, elle aurait qualifié l’agent Demers de [Traduction] « connard ». Elle a admis au tribunal que son langage utilisé auprès de l'agent Demers n'était pas respectueux.

[69]           En référence à un document qui lui fut exhibé par l’avocat de l’intimée et qui consistait au sommaire de sa réponse qu'elle avait préparée auprès de la Commission et daté du 13 juillet 2007 (pièce R-5, page 26), la plaignante avait alors indiqué dans ce document qu’elle n’avait pas utilisé le mot [Traduction] « va te faire foutre » alors qu’à l’audition, elle a admis avoir prononcé de tels mots. La plaignante a alors admis que cette mention dans le document en question était un mensonge.

[70]           De la même façon, l'avocat de l’intimée a fait admettre à la plaignante que d’autres informations contenues dans la documentation qu’elle avait fournie n’étaient pas véridiques ou, à tout le moins, qu’elle ne se souvenait plus d’avoir entendu les mots qui furent utilisés par l’agent Demers à son endroit.

[71]           Dans son contre-interrogatoire, la plaignante a confirmé que lors de son entretien avec le superintendant du poste frontalier situé sur l’île de Cornwall, en ce qui a trait aux biens qu’elle avait achetés à l’extérieur du pays, elle n’avait pas à débourser de taxes, tenant compte de sa condition d'autochtone et également en vertu du Décret de remise visant les résidents d'Akwesasne (DORS/91-412) (Décret), ce décret ayant été émis en ce qui a trait au tarif des douanes et de l'exemption applicable pour la communauté autochtone d'Akwesasne.

[72]           À cet égard, une fois cette formalité accomplie avec le superintendant du poste frontalier, la plaignante a alors quitté les lieux et aurait pris des photographies. Elle croit qu'elle aurait été l'objet de moqueries de la part des agents du VACIS qui étaient présents puisque ces derniers auraient ri d’elle.

[73]           À cette étape du témoignage de la plaignante, cette dernière s’est absentée de la Cour, en raison de son impossibilité physique et mentale de pouvoir continuer le contre-interrogatoire effectué par le procureur de l’intimée. À cet égard, la représentante de la plaignante avait alors indiqué au tribunal que la plaignante était sous-évaluation par un psychiatre et n'était plus apte à continuer son contre-interrogatoire.

C.                Autres témoins de la preuve de la plaignante

John Boots

[74]           En ce qui a trait au comportement des deux agents présents avec la plaignante alors que cette dernière assistait à la fouille de son véhicule, le témoin John Boots appelé par la représentante de la plaignante afin de témoigner, a alors indiqué que les deux agents présents auraient crié auprès de la plaignante. Monsieur Boots a indiqué au tribunal qu’il ne se souvenait pas des paroles exactes qui avaient alors été prononcées, tenant compte des conditions climatiques. Toutefois, il indique que les langages corporels des parties présentent et plus particulièrement, ceux des deux agents, étaient révélateurs de la situation dans laquelle la plaignante se trouvait.

[75]           Monsieur Boots a confirmé au tribunal que la plaignante pleurait à son arrivée et qu’elle avait les bras croisés afin de se réchauffer tenant compte des conditions climatiques froides du 18 novembre 2005.

[76]           Il a confirmé devant le tribunal que le ton utilisé entre l’agent Demers et la plaignante était élevé et agressif. Peu de temps après son arrivée sur les lieux, l’agent Demers lui a demandé de quitter les lieux tenant compte que sa présence n’était pas requise.

[77]           Selon lui, la plaignante aurait été verbalement attaquée par les agents présents.

[78]           Toutefois, il ne se souvient pas des paroles qui furent prononcées de même que de la nature des propos qui étaient échangés à ce moment entre la plaignante et les agents  présents.

Sergent William Lafrance

[79]           Aussi, la plaignante a fait entendre le sergent William Lafrance, lequel est un officier de la police mohawk d’Akwesasne, et cela, depuis 25 ans.

[80]           Dans son témoignage, l’officier Lafrance a indiqué au tribunal qu’il n’avait pas assisté aux événements qui avaient eu lieu dans la journée du 18 novembre 2005 entre la plaignante et les autres agents de l’équipe VACIS.

[81]           Toutefois, il fut informé d’une altercation à cet effet.

[82]           Plus particulièrement, il a reçu un appel de la plaignante à l’effet que cette dernière voulait porter plainte contre les agents de l’équipe VACIS, ce à quoi il a refusé de s’exécuter tenant compte que, selon lui, il n’y avait pas de motif raisonnable afin de supporter des plaintes au criminel contre les agents de l’équipe VACIS.

[83]           Dans son témoignage, l’officier Lafrance a indiqué qu’aucune personne ne devrait être tenue de rester à l’extérieur dans les conditions climatiques dans lesquelles la plaignante fut exposée en date du 18 novembre 2005.

[84]           Il confirme également au tribunal qu’il était au courant qu’il y avait beaucoup de plaintes qui avaient été portées par les résidents de la communauté autochtone au regard des attitudes et du comportement des agents de l’intimée au poste frontalier de Cornwall.

Lucinda Reading

[85]           Dans sa preuve, la plaignante a également fait entendre Madame Lucinda Reading, laquelle est une employée de l’intimée depuis 37 ans. Au moment de son témoignage, Madame Reading occupait le poste de conseiller sénior auprès de l’intimée. Elle fut mandatée par ses supérieurs afin de procéder à une analyse factuelle des événements qui sont survenus en date du 18 novembre 2005 et impliquant la plaignante de même que l’équipe VACIS.

William Philips

[86]           Appelé à témoigner dans la preuve de la plaignante, monsieur William Philips était en novembre 2005 chef du district du conseil des mohawks d’Akwesasne.

[87]           Il était en charge du porte-folio auprès du ministère de la Justice avec l’intimée à ce moment et il travaillait également avec le département de la police.

[88]           Au regard des événements impliquant la plaignante, Monsieur Philips a été mis au courant de ces événements par le biais de la plainte que Madame Davis avait déposée et il a eu des entretiens avec monsieur Rod Hart, lequel était en charge des opérations pour le poste frontalier de Cornwall.

[89]           Dans son témoignage, Monsieur Philips a confirmé qu’il a également eu des entretiens avec Madame Reading, la plaignante ainsi que sa mère en ce qui a trait au développement de bonnes relations entre la communauté autochtone et les agents du poste frontalier.

[90]           Toutefois, il a confirmé au tribunal que la plaignante était une [Traduction] « grande-gueule » indiquant par ce fait même que la plaignante parlait avec son cœur.

[91]           Il a confirmé également au tribunal qu’il y a eu plusieurs incidents avant comme après les incidents qui sont survenus en date du 18 novembre 2005.

[92]           De la même façon, il a indiqué au tribunal que la plaignante n’était pas une personne tranquille  considérant la propre histoire de sa mère.

D.                La fermeture du poste frontalier

[93]           Dans sa preuve, la représentante de la plaignante a également fait entendre l’agent Scott Anderson qui se serait présenté sur les lieux, et cela, à compter de midi de la journée du 18 novembre 2005.

[94]           Dans son témoignage, l'agent Anderson a alors constaté que la plaignante avait déjà quitté l’enceinte du poste frontalier à son arrivée et avait effectivement repris son véhicule. Toutefois, il a constaté qu’un climat de panique était alors présent dans le poste frontalier.

[95]           Avisé de l’altercation qui avait eu lieu entre la plaignante et certains agents de l’équipement VACIS, l’agent Anderson aurait alors effectué un appel auprès du chef des opérations du poste de Cornwall, soit Monsieur Rod Hart, et il lui a alors expliqué en détail ce qui s’était produit au poste frontalier.

[96]           L’agent Anderson a fait référence qu’une journaliste ainsi que plusieurs résidents de l’endroit s’étaient approchés du poste frontalier et prenaient des photographies des agents en charge de l’opération avec la machine VACIS.

[97]           Étant inquiet, il a alors communiqué avec Monsieur Hart, son officier supérieur. Monsieur Hart a alors demandé de sécuriser les lieux et de mettre fin à l'opération VACIS en cours.

[98]           Considérant l’attroupement des personnes qui prenaient des photos aux alentours du poste frontalier, et devant l’inquiétude grandissante, l’agent Anderson a alors procédé à la fermeture du site commercial où se trouvait l’équipe VACIS et a demandé l'appui de la police d'Akwesasne pour une plus grande sécurité.

[99]           L’agent Anderson a également confirmé au tribunal que cette décision fut prise après que d’autres agents présents aux portes d’entrée eurent manifesté leur intention de signer un arrêt de travail et de ne plus travailler lors de cette journée, tenant compte qu’ils considéraient qu’il y avait possiblement atteinte à leur sécurité.

[100]       Conséquemment, tout le personnel et les agents présents se sont donc dirigés dans un endroit sécurisé à l'intérieur de l'enceinte principale du poste frontalier de l'île de Cornwall.

[101]       Dans le même intervalle de temps, des policiers de la force policière d'Akwesasne sont arrivés sur les lieux et ont escorté l'équipe VACIS jusqu'à l'autoroute 401 afin que ces derniers puissent retourner vers leur endroit d'origine, soit le poste frontalier de Lansdowne.

[102]       Tenant compte des inquiétudes manifestées par les autres agents présents, l'agent Anderson indique au tribunal qu’il a alors décidé de fermer tout le poste frontalier.

[103]       À la fin de son contre-interrogatoire effectué par le procureur de l’intimée, l’agent Anderson a confirmé que la plaignante avait déjà été dans le passé d’un commerce désagréable puisqu’elle aurait déjà manifesté son désaccord de s’identifier à chaque fois qu’elle empruntait le poste frontalier.

[104]       Finalement, il confirme au tribunal qu'il n'a jamais eu peur pour sa sécurité au moment des événements du 18 novembre 2005. Il confirme qu'il a déjà accepté de travailler à l'intérieur de la communauté autochtone pour différents emplois.

[105]       La preuve a révélé qu’une enquête effectuée en vertu du Code canadien du travail, Partie II, par un officier responsable de la santé et sécurité, a confirmé l’absence de danger (voir pièce C-22).

E.                 Preuve de l’intimée

[106]       Dans sa preuve, l’intimée a fait entendre 14 témoins, soit tous des agents travaillant auprès de l’intimée. Sans reprendre dans l’intégralité les témoignages que l’intimée a fait entendre, le tribunal se limitera aux agents qui ont directement été en contact avec la plaignante et pour lesquels cette dernière a porté plainte en ce qui a trait aux éléments de discrimination qu’elle allègue.

Agent Derek O’Brien

[107]       Ainsi, à titre de premier témoin directement impliqué avec la plaignante, l’intimée a fait entendre l’agent Derek O’Brien, lequel devait être en charge de la sélection des véhicules sujets à l’opération VACIS en date du 18 novembre 2005.

[108]       Ainsi, l’agent O’Brien devait procéder à ce qu’il ait communément appelé les [Traduction] « inspections primaires », et ce, avant que les véhicules arrivent directement aux portes d’entrée du poste frontalier.

[109]       Selon l’agent O’Brien, une opération spécifique relativement à l’inspection des véhicules de type SUV ainsi que des pick-up devait avoir lieu cette journée.

[110]       Ainsi, vers 10 h 30 du matin du 18 novembre 2005, il a alors aperçu le véhicule de la plaignante qui se dirigeait vers la voie 4, celle réservée pour les véhicules conduits par des résidents autochtones.

[111]       À ce moment, il a noté que Madame Davis conduisait un gros SUV de couleur noire.

[112]       Tenant compte que le véhicule de la plaignante correspondait au type de véhicule requis pour les fins de l’opération VACIS, il a alors indiqué à la plaignante d’arrêter afin de procéder à une inspection sommaire du véhicule de la plaignante.

[113]       Comme le véhicule de la plaignante était doté de vitres teintées, l’agent O’Brien a indiqué au tribunal qu’il ignorait qui était le conducteur du véhicule en question lorsqu’il l’a arrêté.

[114]       Une fois que le conducteur eu baissé sa vitre, il a alors reconnu la plaignante qui était une résidente de la communauté autochtone d’Akwesasne, sans toutefois se souvenir de son nom en particulier.

[115]       Au moment de son interrogatoire pour les fins d’inspection primaire, il a indiqué au tribunal qu’il n’avait eu aucune dispute avec la plaignante antérieurement et qu’elle avait toujours été polie et qu’elle avait répondu à ses questions à chaque fois.

[116]       Lors de son interpellation le 18 novembre 2005, il lui a alors demandé si elle avait des biens à déclarer, ce à quoi elle a répondu négativement à cette question.

[117]       De la même façon, la plaignante a répondu aux questions suivantes, à savoir si elle avait de l’alcool ou du tabac, des armes à feu ou si elle transportait des biens d’une valeur supérieure à 10 000 $.

[118]       Une fois que la plaignante eu répondu négativement à toutes ces questions, il a alors rédigé un formulaire E-67, lequel est un formulaire devant permettre de procéder à une inspection secondaire du véhicule de la plaignante.

[119]       Il a alors constaté que la plaignante n’était pas heureuse de cette situation.

[120]       Relativement à ce formulaire E-67, ce dernier se serait envolé au vent. L’agent O’Brien aurait alors procédé à la rédaction d’un deuxième formulaire E-67, qu’il a alors remis à la plaignante après lui avoir indiqué qu’elle devait se diriger vers les édifices commerciaux du poste frontalier de Cornwall. Il a alors constaté que la plaignante était fâchée de cette situation. Il a alors immédiatement donné cette information au reste de l’équipe VACIS qui devait alors procéder à l’inspection secondaire du véhicule de la plaignante.

[121]       Quant à lui, il n’a eu aucune autre interaction avec la plaignante et son rôle s’est terminé à ce moment avec elle.

Agent Todd Smart

[122]       Une fois que la plaignante fut dirigée vers l’équipe VACIS, alors située sur l’air commercial du poste frontalier de Cornwall, la plaignante fut alors interceptée par un deuxième agent, soit l’agent Todd Smart.

[123]       Dans son témoignage, l’agent Smart a indiqué au tribunal  qu’il était communément un « agent à poste fixe », lors de la journée du 18 novembre 2005. Il était le premier agent à interagir avec des conducteurs qui avaient été référés après leur inspection primaire.

[124]       L’agent Smart a indiqué au tribunal qu’au moment de son premier contact avec la plaignante, il ignorait si cette dernière était une autochtone. Lorsque la plaignante est arrivée vers lui, il a constaté qu’elle était agressive et qu’elle était choquée. De plus, il a noté que la plaignante parlait dans son cellulaire. Il a alors immédiatement demandé à cette dernière d’arrêter d’utiliser son cellulaire, mais elle n’a pas immédiatement raccroché. La plaignante lui aurait alors demandé pourquoi elle avait été orientée vers cette partie du poste frontalier de l’île de Cornwall et pourquoi elle ne pouvait pas utiliser [Traduction] « sa voie ».

[125]       L’agent Smart lui a alors répondu qu’il ignorait pourquoi elle avait été envoyée afin que son véhicule soit inspecté par voie de scanner, il lui aurait alors indiqué que toute personne est sujette à une inspection lorsqu’elle traverse la frontière et que, quant à lui, il ne faisait que son travail.

[126]       Un peu plus loin, il lui a expliqué la procédure de scanner, mais elle lui coupa la parole en lui indiquant qu’elle était inquiète en ce qui a trait aux radiations.

[127]       L’agent Smart lui aurait alors répondu que si elle le laissait finir son explication, il lui expliquerait la procédure de scanner et que finalement, elle n’aurait aucune raison d’être inquiète. Il a donc fini les explications sur la procédure de scanner.

[128]       Tout au long de sa discussion avec la plaignante, cette dernière ne lui a fourni aucune indication à l’effet qu’elle était enceinte et à cet égard, l’agent Smart a indiqué que la plaignante ne lui avait fait aucun état de ses inquiétudes quant à l’impact des radiations sur son enfant à naître.

[129]       Peu de temps après, le véhicule de la plaignante fut donc dirigé vers le véhicule VACIS lui-même. Il a alors communiqué aux autres agents de l’équipe VACIS l’état d’esprit de la plaignante en indiquant qu’elle était fâchée.

[130]       Une fois que son véhicule fut aux abords immédiats de la machine VACIS, la plaignante a alors quitté son véhicule afin de se diriger dans un endroit sécurisé afin de permettre que son véhicule soit scanné.

Agent Denis Demers

[131]       Elle fut alors en contact avec un troisième agent, soit l’agent Denis Demers, celui dont le comportement est plus particulièrement visé par la plainte de la plaignante.

[132]       Lors de cette journée du 18 novembre 2005, l’agent Demers faisait partie de l’équipe VACIS à titre « d’agent de base ».

[133]       Dans ses fonctions, l’agent Demers a indiqué qu’il a participé à la création d’une aire de sécurité avec des cônes orange, avec l’indication de signe de radiation ainsi que d’arrêt. Il a indiqué au tribunal qu’il a effectué des tests de radiation à quatre endroits près la machine VACIS elle-même, et cela, afin de vérifier la sécurité des lieux.

[134]       Tel que l’indiquait la procédure alors existante, une fois qu’un véhicule est introduit près de la zone où se trouvait la machine VACIS, tout conducteur ne doit pas rester à l’intérieur de son véhicule durant la procédure de scanner.

[135]       Lorsque le véhicule de la plaignante est arrivé sur les lieux, il a alors été avisé par l’agent Todd Smart de l’état d’esprit de la plaignante.

[136]       Une fois qu’il se fut approché de la plaignante, cette dernière s’est avérée comme étant impolie, blasphémant à son endroit et en lui disant des mots tels que [Traduction] « va te faire foutre ». De même, la plaignante a fait usage de mots inappropriés et vulgaires à son endroit, tels que : [Traduction] « homo, connard, gros homme avec un gros pénis ».

[137]       L’agent Demers a indiqué au tribunal qu’il n’avait jamais été l’objet d’un tel comportement à son endroit auparavant, et ce, durant son emploi.

[138]       De même, l’agent Demers a indiqué que la plaignante ne lui avait jamais fait mention de son état de femme enceinte, et cela, en aucun temps. Aussi, la plaignante ne lui a jamais fait état de ses peurs en ce qui a trait aux effets de la radiation sur elle.

[139]       Dans le cours de la discussion animée qui s’en est suivie, la plaignante a indiqué qu’elle était une autochtone, que jamais elle n’avait été l’objet de fouille à cause de son état de femme autochtone.

[140]       Dans la conversation, elle lui aurait demandé de lui remettre son permis de conduire, et cela, à deux reprises, ce à quoi il lui a répondu qu’il ne lui remettrait son permis de conduire qu’une fois qu’ils auraient terminé l’opération en cours. Devant l’état d’esprit de la plaignante, l’agent Demers lui aurait alors indiqué d’arrêter de blasphémer à son endroit, mais il aurait alors noté qu’elle lui aurait indiqué qu’elle était une autochtone, et que le territoire où elle se trouvait était [Traduction] « son territoire » et qu’il n’avait aucun droit de fouiller son véhicule ou elle-même.

[141]       Auparavant, l’agent Demers n’avait aucunement remarqué que la plaignante était autochtone si ce n’est qu’une fois que la plaignante lui eut révélé ce fait.

[142]       Au cours de la discussion animée qu’il a eue avec la plaignante, cette dernière ne lui aurait jamais révélé sa situation de femme enceinte ni non plus ses craintes quant à une exposition aux radiations.

[143]       Dans cette séquence, l’agent Demers a indiqué qu’il s’est souvenu de s’être identifié en pointant l’insigne qu’il portait.

[144]       En référence à l’affidavit de la plaignante (pièce R-1, onglet 16), l’agent Demers indique au tribunal qu’il aurait tenté de calmer la situation, tout en gardant le contrôle.

[145]       C’est pour cette raison qu’il aurait alors pointé son insigne afin de réaffirmer son autorité. À une question du procureur de l’intimée, l’agent Demers aurait alors indiqué dans un premier temps qu’il n’aurait pas mentionné les mots suivants [Traduction] « vous êtes définitivement coupable de quelque chose » (voir interrogatoire du 29 janvier 2014, volume 46, page 164).

[146]       À cause de son agressivité, il aurait alors indiqué à la plaignante que son comportement était révélateur et selon son expérience, elle agissait comme une personne qui a fait quelque chose de mal. Il a indiqué au tribunal qu’il a considéré que le comportement de la plaignante n’était pas normal.

[147]       Toujours en référence avec l’affidavit de la plaignante, l’avocat de l’intimée a alors attiré l’attention du témoin sur le passage où la plaignante lui aurait alors indiqué qu’ils utilisaient sans permission son territoire et qu’à cet égard, elle aurait également mentionné aux agents de l’équipe VACIS qu’ils devaient retourner là d’où ils venaient. Dans la même séquence, elle lui aurait alors mentionné qu’il se trouvait sur la terre des Akwesasnoron. Il lui aurait alors répondu [Traduction] « vous savez ce que nous pensons de votre société », ce à quoi elle aurait répondu qu’elle n’avait pas besoin de savoir et qu’elle ne s’en souciait pas.

[148]       L’agent Demers a indiqué au tribunal qu’il ne se souvenait pas des mots exacts qu’il aurait utilisés, mais qu’il se souvient d’avoir dit quelque chose à l’effet qu’il se trouvait sur la propriété de Douanes Canada. Toutefois, il ne se souvient pas que la plaignante lui aurait alors fait mention qu’il s’agissait de la terre des Akwesasnoron. De la même façon, l’agent Demers a nié avoir utilisé les mots [Traduction] « vous savez ce que notre société pense de vous » en faisant référence au peuple des Mohawks.

[149]       Également, dans son témoignage, l’agent Demers a indiqué que la plaignante ne lui avait jamais demandé d’aller se réchauffer à l’intérieur. De plus, il a nié qu’il aurait utilisé un langage agressif à l’endroit de Monsieur Boots, un des anciens de la communauté autochtone d’Akwesasne.

[150]       Il a nié le fait que la plaignante aurait pleuré en sa présence et qu’elle aurait également fait de l’hyperventilation. Il n’a pas noté non plus que la plaignante aurait sauté sur ses jambes afin de se réchauffer comme elle le prétend. Il ne lui aurait pas parlé avec une voix élevée, ce dont il ne se souvient pas. À tout événement, il aurait demandé à la plaignante pourquoi elle s’adressait à lui de cette façon comme si elle tentait de l’intimider.

[151]       En contre-interrogatoire par la représentante de la plaignante qui le questionnait sur l'affidavit de la plaignante, l'agent Demers a admis avoir demandé à la plaignante si elle travaillait, et cela, sans indiquer des motifs précis quant à cette question de sa part; (voir interrogatoire de l’agent Demers, Vol. 47, 30 Janvier 2014, page 272 ainsi que son rapport d’incident produit à la pièce R-2, onglet 99)

[152]       En contre-interrogatoire par le procureur de la Commission, relativement au Code d’éthique et de conduite normalement applicable pour les agents de l’intimée (pièce HR-2), l’agent Demers a indiqué que le comportement de la plaignante par son attitude provocatrice ne constituait pas une violation de la loi.

[153]       Dans une de ses réponses en ce qui a trait à ce qu’il a appelé l’utilisation du [Traduction] « recours progressif à la force », lequel est un guide afin de décider à quel niveau d’interaction il doit agir avec des voyageurs particuliers, il a alors décidé d’élever sa voix contrairement à ce qu’il avait déclaré dans son témoignage antérieurement. De même, devant le fait que la plaignante questionnait son droit d’être présent sur son territoire, il aurait alors pointé son insigne tout en lui indiquant que ce territoire était la propriété de Douanes Canada. Cette façon d’agir était pour lui une manière de s’identifier comme faisant partie de Douanes Canada.

[154]       À une autre question du procureur de la Commission, à savoir s’il avait considéré que le fait d’agir de cette façon pouvait être provocateur à l’endroit d’une personne mohawk résidant à Akwesasne, le témoin a alors répondu qu’il ne se souvenait pas d’avoir considéré autre chose.

[155]       En résumé, l’agent Demers considère qu’il a été poli à l’endroit de la plaignante, qu’il n’a pas utilisé de langage blasphématoire à l’endroit de cette dernière, qu’il n’aurait pas répliqué de quelque façon que ce soit à son endroit, et que son comportement en général n’a pas fait l’objet de sanctions et de réprimandes de la part de ses supérieurs.

Agent Kevin Sills

[156]       Dans la séquence des événements qui s’en est suivi au moment où la plaignante était à l’extérieur de son véhicule et qu’elle était en attente avec l’agent Demers, un autre agent a également été impliqué dans la même séquence des faits.

[157]       Alors que la fouille du véhicule de la plaignante tirait à sa fin, l’agent Kevin Sills s’est alors joint à la discussion entre l’agent Demers et la plaignante.

[158]       Comme l’agent Sills avait procédé à la fouille du véhicule de la plaignante, il s’est alors approché vers elle en lui demandant si les biens qu’ils avaient trouvés dans son véhicule avaient été déclarés considérant qu’elle n’avait rien dit à ce propos lors du processus qui a conduit à l’émission du formulaire E-67. Elle a alors confirmé à l’agent Sills qu’elle n’avait pas déclaré les biens considérant qu’elle n’avait pas de taxes à payer puisqu’elle était autochtone.

[159]       L’agent Sills a alors noté que son comportement était hostile et qu’elle était très fâchée.

[160]       Devant le comportement de la plaignante, l’agent Sills a indiqué au tribunal qu’il avait tenté de faire diminuer la tension en lui offrant l’option d’aller à l’intérieur afin de discuter de la situation des biens non déclarés. Conséquemment, l’agent Sills a indiqué qu’il avait décidé de rapporter cette situation à son superviseur alors en fonction et de lui laisser prendre la décision finale.

[161]       Dans le court intervalle de temps où il a été en contact avec la plaignante, il a constaté que cette dernière avait fait usage de son cellulaire, mais qu’il n’avait pas compris les mots qu’elle adressait à son interlocuteur. Il a également confirmé au tribunal que la fouille du véhicule de la plaignante avait été faite en profondeur sans toutefois causer des dommages au véhicule de la plaignante.

[162]       De la même façon, il n’a pas entendu la plaignante lui demander d’aller à l’intérieur durant la fouille.

[163]       Après l’avoir informée de sa décision de l’amener à l’intérieur afin de régler la question des biens qu’elle n’avait pas déclarés, il a constaté également que la plaignante était très fâchée et qu’elle affirmait qu’elle n’avait pas à aller à l’intérieur en le traitant de [Traduction] « salaud ». Conséquemment, le ton utilisé par la plaignante était d’une voix forte, abrupte, voire hostile.

[164]       En guise de réponse face au comportement hostile de la plaignante, l’agent Sills a indiqué qu’il a tenté de diminuer la tension alors existante en ne criant pas après la plaignante, mais en utilisant un ton de voix professionnel.

[165]       Une fois les informations fournies à la plaignante afin qu’elle se dirige à l’intérieur du poste frontalier, lui-même s’est alors dirigé vers le poste frontalier ou se trouvait l’officier en charge, soit le superintendant Maurice Saucier, et cela, afin de l’informer de la situation. À cet égard, il a alors remis au superintendant Saucier les reçus au regard des objets non déclarés qu’il avait trouvés dans le véhicule de la plaignante.

[166]       Dans le même espace de temps, la plaignante a réintégré son véhicule et l’a stationné dans le stationnement du poste frontalier. Il a alors noté que personne n’avait accompagné la plaignante afin de la forcer de se rendre à l’intérieur. Elle est donc entrée d’elle-même à l’intérieur du poste frontalier.

[167]       En contre-interrogatoire, l’agent Sills a confirmé que le véhicule de la plaignante n’était pas un véhicule commercial et qu’il s’agissait du premier véhicule non commercial qui fut scanné par l’équipe VACIS au poste frontalier de Cornwall lors de cette journée. De même, il a confirmé au tribunal que le véhicule de la plaignante était le seul véhicule de type SUV qui fut scanné lors de cette journée et que la plaignante n’avait pas été identifiée personnellement afin que son véhicule puisse être scanné.

[168]       Également, à une autre question posée par le procureur de l’intimée en complément de son interrogatoire en chef, à savoir pourquoi il n’avait pas eu de contact avec les agents de la force mohawk de sécurité présents, il a répondu que tout était sous contrôle et qu’il n’y avait pas lieu de les appeler.

À l’intérieur du poste frontalier

[169]       Une fois à l’intérieur du poste frontalier de Cornwall, la plaignante fut alors conduite devant l’officier en charge du poste, soit le superintendant Maurice Saucier.

[170]       Dans son témoignage, le superintendant Saucier a indiqué qu’il a constaté que la plaignante était fâchée et pleurait, constatant qu’elle était vraiment en colère.

[171]       Dans ses discussions avec cette dernière, elle a alors affirmé au superintendant Saucier qu’elle n’avait pas de taxes à payer et qu’elle appellerait les autochtones de la Société des guerriers Mohawk.

[172]       En réponse à la plaignante, le superintendant Saucier lui a alors mentionné l’existence du Décret.

[173]       Le superintendant Saucier a confirmé au tribunal que dans le passé, il avait eu d’autres interactions avec la plaignante, qu’il la connaissait et qu’il connaissait son nom, étant une résidente d’Akwesasne. Il a également confirmé que la plaignante utilisait souvent le poste frontalier pour les fins de ses déplacements.

[174]       Comme il a déjà été agent de poste frontalier afin d’effectuer des inspections primaires sur des véhicules entrant au Canada, il l’avait déjà rencontrée. Il l’a qualifiée comme étant non plaisante et même arrogante.

[175]       Selon le superintendant Saucier, il a assumé que la plaignante connaissait bien le Décret considérant ses nombreux déplacements au poste frontalier de l’île de Cornwall dans le passé.

[176]       Dans son témoignage, le superintendant Saucier a indiqué qu’il avait contacté son superviseur immédiat, soit Monsieur Rod Hart à Ottawa, et qu’il l’avait informé de la situation prévalant le 18 novembre 2005. Monsieur Hart, a alors autorisé la plaignante à quitter les lieux sans payer de taxes, et cela, en vertu du Décret.

[177]       Avant que la plaignante ne quitte les lieux, il aurait rappelé à la plaignante son obligation de déclarer les biens qu’elle achetait à l’extérieur du Canada, et cela, en vertu du Décret.

[178]       Constatant cette situation, la plaignante a alors fait une déclaration en faisant référence aux agents de l’équipe VACIS comme étant des gens apeurants. Le superintendant Saucier a alors noté que la plaignante a alors arrêté de pleurer et qu’elle semblait plus calme. Quelques secondes plus tard, la plaignante s’est retrouvée avec un autre agent du poste frontalier, soit l’agent Hélène Oakes, où elle a retrouvé ses sens et finalement, elle a quitté le poste frontalier.

[179]       En complément dans son interrogatoire, le superintendant Saucier a indiqué qu’il n’était pas inquiet en ce qui a trait à la menace qu’avait formulée la plaignante d’appeler la Société des guerriers Mohawk.

[180]       Toutefois, il a confirmé au tribunal qu’il avait bel et bien entendu la menace de la plaignante à cet effet.

Agent Sylvie Beaudry-Giroux

[181]       À cet égard, un autre agent du poste frontalier présent, soit l’agent Sylvie Beaudry‑Giroux, a bel et bien entendu également la même menace émanant de la plaignante à l’effet d’appeler la Société des guerriers Mohawk.

[182]       De la même façon, l’agent Beaudry-Giroux a également entendu la plaignante blasphémer auprès du superintendant Saucier en l’informant qu’elle ne voulait pas payer de taxes. Elle a entendu la plaignante crier et pleurer alors qu’elle était à deux ou trois pieds de la plaignante.

III.             Analyse

[183]       Le tribunal a bien révisé la preuve du dossier de la plaignante relative aux arguments des parties ainsi que la loi et la jurisprudence applicables au présent dossier. Après une longue analyse, j’en viens à la conclusion de faire droit en partie à la plainte de la plaignante, et cela, pour les motifs qui apparaissent ci-après.

A.                Principes généraux applicables en matière de discrimination

[184]       Pour une meilleure compréhension des dispositions légales applicables en l’espèce, j’aimerais rappeler les dispositions des articles suivants de la Loi :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’original nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe.

[185]       De même, de façon plus spécifique, la plainte de la plaignante est fondée au regard des dispositions de l’article 5 de la Loi qui se lit comme suit :

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

a) d’en priver un individu;

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

Spécifiquement, la plainte de la plaignante se retrouve sous l’alinéa 5 b) dudit article 5 de la Loi.

[186]       Tel que j’en ai fait état antérieurement, la plaignante prétend qu’elle aurait été discriminée à cause de sa race, de son âge ainsi que de son sexe.

[187]       Afin de comprendre la portée des dispositions de l’article 5 de la Loi, la jurisprudence a élaboré certains critères que je me permets de citer.

[188]       Ainsi, dans un premier arrêt de la Cour suprême du Canada en matière de discrimination relative à des programmes d’éducation, la Cour suprême dans l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), [2012] 3 R.C.S. 360, a énoncé les principes suivants relativement à l’interprétation de l’article 8 du Human Rights Code de la Colombie-Britannique.

[189]       Aussi, au paragraphe 33 de la décision, l’honorable juge Abella de la Cour suprême du Canada s’exprime comme suit :

[33]  Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

[190]       Aussi, dans une autre décision de la Cour suprême du Canada, soit dans l’arrêt Conseil des canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., (2007) CSC 15, la majorité de la Cour suprême du Canada a statué comme suit au paragraphe 129 de ladite décision :

129  Selon l’al. 5a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, « [c]onstitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public [...] d’en priver un individu ». Toutefois, selon l’al. 15g) de cette même loi, ne constitue pas un acte discriminatoire le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public en prive un individu « s’il a un motif justifiable de le faire ». Dans l’arrêt Central Alberta Dairy Pool, p. 518, la Cour a convenu à l’unanimité que « [s]’il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d’imposer une règle donnée aux membres d’un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme justifiée. » L’arrêt Grismer a précisé que, pour établir l’existence d’une justification réelle d’une atteinte prima facie à une loi sur les droits de la personne, un intimé doit démontrer que « l’employeur ou le fournisseur de services a pris toutes les mesures d’accommodement possibles tant qu’il n’en a pas résulté pour lui une contrainte excessive » (par. 21). [...].

[191]       De même, au paragraphe 130 de la même décision, la Cour suprême du Canada a défini ce qu’était l’existence d’une contrainte excessive qui :

…peut être établie lorsque la norme ou l’obstacle est « raisonnablement nécessaire » dans la mesure où il existe un « risque suffisant » qu’un objectif légitime comme la sécurité soit assez compromis pour justifier le maintien de la norme discriminatoire (Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202 ), lorsqu’on a pris « les mesures qui peuvent être raisonnables pour s’entendre sans que cela n’entrave indûment l’exploitation de l’entreprise de l’employeur et ne lui impose des frais excessifs » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, p. 555), lorsqu’il n’existe aucune autre solution raisonnable (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970), lorsque l’exercice d’un droit est seulement assujetti à des « limites raisonnables » (Eldridge, par. 79), et, plus récemment, lorsque l’employeur ou le fournisseur de services démontre « qu’il n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l’individu » (Meiorin, par. 38). Il y a contrainte excessive lorsque les moyens raisonnables d’accommoder ont été épuisés et qu’il ne reste que des options d’accommodement déraisonnables ou irréalistes.

[192]       De même, dans une autre décision du Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal), soit A.F.P.C. et Murphy c. A.R.C., 2010 TCDP 9, le présent tribunal a rappelé au paragraphe 39 ce qui suit :

(39)  Il n’est pas nécessaire que la discrimination soit le seul motif derrière le comportement en question pour que la plainte soit justifiée. Il suffit que la discrimination soit l’un des facteurs qui est compté dans la décision où l’action contestée (Holden c. Compagnie nationale des chemins de fer) (1991), 14 C.H.R.R. D/12, au paragraphe 7 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Uzoaba, 1995 CanLII 3589 (CF), (1995) 2 CF 569 (CF première instance).

[193]       En ce qui a trait à la définition de service apparaissant au premier paragraphe de l’article 5 de la Loi, une décision a été prononcée par la Cour fédérale mettant aux prises les mêmes parties que le présent dossier, soit dans la décision Canada (procureur général) c. Davis, 2013 CF 40, où la Cour fédérale a affirmé la décision du Tribunal qui avait conclu que l’intimée fournissait bel et bien un service destiné au public lorsqu’elle a eu des contacts avec Madame Davis le 18 novembre 2005 (voir paragraphe 54 du jugement).

[194]       En ce qui a trait au degré de preuve requis, un autre arrêt de la Cour suprême du Canada bien connu en matière de discrimination, soit Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 2 R.C.S. 536 (« O’Malley »), a indiqué ce qui suit à la page 558 :

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé.

[195]       Dans un autre arrêt de la Cour suprême du Canada, soit F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41, à la page 60, la Cour suprême du Canada indique ce qui suit en ce qui a trait au degré de preuve requis dans une allégation formulée dans une affaire civile :

[46]  De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. Dans le cas d’une allégation grave comme celle considérée en l’espèce, le juge peut être appelé à apprécier la preuve de faits qui se seraient produits de nombreuses années auparavant, une preuve constituée essentiellement des témoignages du demandeur et du défendeur. Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

[196]       Dans des dossiers de discrimination, la preuve n’est pas toujours directe et à cet égard, une preuve circonstancielle peut amener le tribunal à conclure à une forme de discrimination. Ainsi, j’aimerais référer également à l’arrêt Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1988) 9 C.H.R.R. 5029 (TCDP), où le tribunal a indiqué ce qui suit :

La discrimination fondée sur la race ou la couleur se pratique souvent de manière subtile. Rares sont les cas de discrimination pratiqués ouvertement. Dans les cas où il n’existe pas de preuve directe, il revient alors à la Commission de conclure à la discrimination à partir de la conduite présumée discriminatoire de la ou des personnes en cause. Ce n’est pas toujours une tâche facile. Il faut analyser soigneusement la conduite présumée discriminatoire dans le contexte dans lequel elle a pris naissance.

En citant directement Kennedy c. Mohawk College (1973) Ontario Board of Inquiry (professeur Borons).

[197]       De plus, il a même été décidé par nos tribunaux qu’une attitude de profilage raciale peut être consciente ou inconsciente. À cet égard, la conduite d’une personne peut avoir été basée sur des stéréotypes raciaux inconscients (R. c. Brown, 64 O.R. (3d) 161 (C.A.), au paragraphe 8).

[198]       De plus, dans une autre décision de la Cour d’appel de l’Ontario, soit Peel Law Association. c. Pieters, [2013] O.J. No. 2695, en référence à l’arrêt Radek c. Henderson Development (Canada) Ltd., 2005 BCHRT 302, de même que dans l’arrêt Phipps c. Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 877 (CanLII), la Cour a confirmé qu’il n’est aucunement besoin d’établir l’intention ou la motivation afin de discriminer. Toute l’attention de l’enquête doit porter sur les actions de l’intimée envers le plaignant (voir paragraphe 111 de la décision Peel Law Association c. Pieters).

[199]       En référence avec les arrêts Radek et Phipps que je viens de citer, j’aimerais reprendre les propositions qui sont contenues dans ces arrêts, lesquelles sont les suivantes :

[Traduction]

1)                  il n’est pas nécessaire qu’un motif de distinction illicite soit le seul ou le principal facteur menant à la conduite discriminatoire; il suffit qu’il soit un facteur ;

2)                  il n’est pas nécessaire d’établir qu’une intention ou une motivation a mené à la discrimination; l’enquête doit porter sur l’effet des actions de l’intimé sur le plaignant ;

3)                  il n’est pas nécessaire qu’un motif illicite soit la cause de la conduite discriminatoire de l’intimé; il suffit qu’il soit un facteur ou un élément déterminant ;

4)                  il n’est pas nécessaire qu’il y ait une preuve directe de discrimination; la discrimination est plus souvent étayée par des éléments de preuve circonstanciels et des inférences ;

5)                  l’application de stéréotypes raciaux est généralement le résultat de croyances, de partis pris et de préjugés subtils inconscients.

[200]       Aussi, est-il utile de rappeler les paragraphes suivants de la  décision Pieters où la Cour, après avoir reproduit les cinq propositions ci-haut mentionnes, a fait remarquer :

112  Les quatre premiers éléments sont des propositions de droit établies depuis longtemps. Le vice-président n’a pas renvoyé aux affaires Radek et Phipps à titre de fondement de ces propositions. Il y a renvoyé parce qu’elles comportaient un résumé pratique de ces propositions. Le fait que l’affaire Radek portait sur des agents de sécurité et l’affaire Phipps, sur un agent de police, n’est pas pertinent.

113  La Cour a reconnu à maintes reprises la cinquième proposition comme un fait sociologique. Par exemple, le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré ce qui suit dans l’arrêt R. c. Parks, (1993) 15 O.R. (3d) 324, 84 C.C.C. (3d) 353 (Cour d’appel), au paragraphe 54 :

[Traduction] Le racisme, en particulier le racisme antinoir, est partie intégrante de la mentalité de notre société. Une couche importante de la société professe ouvertement des vues racistes. Une couche plus large encore est inconsciemment influencée par des stéréotypes raciaux négatifs.

114  La Cour suprême du Canada a aussi approuvé la proposition. Par exemple, dans l’arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 46, les juges L’Heureux‑Dubé et McLachlin ont cité en l’approuvant la déclaration du juge Doherty de la Cour d’appel.

[201]       Tous ces arrêts font état d’une situation d’une personne en autorité avec une personne visée et ayant une caractéristique prévue à l’article 3 de la Loi.

[202]       Dans l’arrêt Radek précité, le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a fait une longue et minutieuse analyse des critères devant prévaloir en ce qui a trait au profilage racial et aux conséquences qui pouvaient en découler. Il n’est pas de mon intention ici de revisiter de fond en comble cet arrêt.

[203]       Toutefois, je retiens que de nombreux stéréotypes peuvent exister, consciemment ou inconsciemment, de façon volontaire ou même involontaire et c’est à travers une analyse minutieuse de la preuve que le décideur doit être en mesure de déceler si oui ou non il y a des odeurs subtiles de discrimination (voir l’arrêt Basi précité).

[204]       Pour une analyse en détail des stéréotypes pouvant exister en ce qui a trait à la présence de discrimination envers des autochtones, je réfère plus spécifiquement au paragraphe 135 de la décision Radek qui est très instructif à cet effet.

[205]       Récemment, le Tribunal des droits de la personne du Québec, dans  la décision C.D.P.D.J. c . Service de police de la Ville de Montréal, 2012 QCTDP 5, (« Rezko ») datée du 18 avril 2012, sous la plume de l’honorable juge Michèle Pauzé, indiquait ce qui suit au paragraphe 173 :

[173]  De par sa nature, le profilage constitue une forme particulière de discrimination exercée en contexte d'autorité et ayant pour effet de détruire ou de compromettre le droit « à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence » fondée sur l'un ou l'autre des motifs interdits par la Charte. »

[206]       Et un peu plus loin, elle indique ce qui suit au paragraphe 181 en citant l’arrêt Johnson bien connu :

[181]  Le tribunal doit donc plutôt se pencher sur la preuve factuelle et circonstancielle en vue d'identifier si des écarts de conduite tels que le manque de courtoisie et l'intransigeance du policier permettent de conclure à un traitement différencié ou inusité par rapport aux pratiques usuelles dans des circonstances semblables :

Pour décider si une preuve prima facie de différence de traitement a été établie, une commission d’enquête doit essayer de déterminer comment les faits se déroulent dans une situation donnée. Les dérogations à la pratique générale et la preuve de manque de courtoisie ou d’intransigeance sont des motifs permettant de conclure à l’existence d’une différence de traitement.

 

Note en bas de page: [98] Johnson c. Halifax Regional  Police Service (No. 1), préc., par. 57.  [(2003) 48 C.H.R.R.D/307 (N.S Bd Inq.).]

B.                 Analyse des faits

La séquence des événements et la crédibilité des principaux intervenants

[207]       Dans ses arguments écrits que la plaignante a déposés au tribunal, la plaignante a fait valoir que toute l’opération VACIS était une opération planifiée d’avance afin de piéger la plaignante puisqu’aucun rapport ou note manuscrite n’a été produit par les agents en cause. De même, elle a qualifié les événements du 18 novembre 2005 comme étant un théâtre de terreur où la plaignante aurait été virtuellement violée dans son identité d’autochtone d’Akwesasne. Aussi dans son argumentation, la plaignante fait état de divergence entre les mots qui ont été prononcés par l’agent Demers et la plaignante elle-même lors de l’altercation qui s’est produite le 18 novembre 2005.

[208]       L’argumentation de la plaignante comprend plusieurs arguments de nature sociologique et historique que je n’ai pas l’intention d’aborder dans la présente décision. En effet, tel que l’a mentionné la Cour fédérale dans la décision Canada (Attorney General c. Davis, 2009 CF 1104 , au paragraphe 59, l’honorable juge Harrington, mentionne ce qui suit :

[59]  Je m’empresse de mentionner que la question en litige porte sur les événements du 18 novembre 2005 à la frontière sur l’île Cornwall et non les antécédents de l’établissement européen en Amérique du Nord.

[209]       Conséquemment, le tribunal s’en rapportera uniquement à l’analyse des événements qui sont survenus le 18 novembre 2005 et rien d’autre.

[210]       Au regard de l’argumentation de la plaignante, le tribunal est en désaccord avec les affirmations que la plaignante aurait été torturée et/ou attaquée par un groupe d’hommes. Le tribunal se questionne également quant au fait que la plaignante aurait agi correctement lorsqu’elle a utilisé les mots grossiers à l’endroit des agents de l’intimée.  Le tribunal s’est également questionné quant au fait que toute la séquence des événements aurait constitué un viol à l’endroit de la plaignante.

[211]       Je ne commenterai pas plus à fond les arguments écrits présentés par la plaignante, car je les considère comme étant nettement exagérés eu égard à la trame factuelle pour lesquels la plaignante a déposé une plainte.

[212]       En ce qui a trait à la séquence des événements proprement dite, je n’ai pas trouvé non plus de preuve qui m’aurait indiqué que la plaignante aurait été personnellement visée par l’intervention de l’équipe VACIS en date du 18  novembre 2005. Bien que la plaignante soit en désaccord avec toute l’opération VACIS qui a été menée, et cela, pour toutes les raisons qu’elle a mentionnées dans ses arguments écrits, la preuve a révélé que l’opération VACIS qui fut menée l’a été dans un contexte qui faisait référence à un bulletin de renseignements daté du 21 juin 2005 où une unité VACIS dans le nord de l’Ontario avait alors décelé dans un véhicule du même type que celui de la plaignante des modifications devant permettre de pouvoir effectuer de la contrebande. À cet égard, il était donc raisonnable de penser qu’une opération similaire menée par l’équipe VACIS pouvait être tenue également au poste frontalier de l’île de Cornwall en date du 18 novembre 2005.

[213]       Tel que la preuve l’a démontré, aucune information de quelque nature que ce soit n’a été présentée en preuve afin d’indiquer que le véhicule de la plaignante ou la plaignante personnellement aurait pu être visée par l’opération VACIS qui fut menée le 18 novembre 2005.

[214]       Le premier agent qui a été en contact avec la plaignante, soit l’agent O’Brien, n’avait préalablement pas identifié la plaignante lorsque son véhicule s’est présenté aux abords du poste frontalier en date du 18 novembre 2005. Conséquemment, les arguments présentés par la plaignante à l’effet qu’elle aurait été spécifiquement visée par l’opération VACIS ne m’apparaissent  pas comme étant fondés.

[215]       Dans la séquence des faits qui s’est poursuivie, une fois que la plaignante eut été interpelée par l’agent O’Brien, et de l’aveu même de la plaignante, aucun reproche ne peut être adressé aux deux agents ayant été en premier contact avec elle, soit les agents O’Brien et Smart, en ce qui a trait à leur conduite à l’endroit de la plaignante.

[216]       Conséquemment, les seuls éléments de la plainte de la plaignante eu égard à des comportements discriminatoires qui auraient pu avoir eu lieu le 18 novembre 2005 à l’endroit de la plaignante sont ceux visés par le comportement de l’agent Demers et, partiellement, par le comportement de l’agent Sills qui a également été en contact avec la plaignante au moment où cette dernière était en contact avec l’agent Demers.

[217]       En ce qui a trait à l’agent Sills, je ne peux que constater que le comportement et l’attitude de l’agent Sills ont été exemplaires et des plus professionnels malgré le fait que la plaignante lui ait également adressé des propos vulgaires et irrespectueux à son endroit. À cet égard, la preuve ne m’apparaît nullement concluante afin de déterminer que l’agent Sills aurait agi en ayant une attitude ou un comportement discriminatoire à l’endroit de la plaignante. Il en est toutefois autrement en ce qui a trait aux échanges qui ont eu lieu entre l’agent Demers et la plaignante.

[218]       Tel que l’a rappelé la jurisprudence, je me dois comme décideur consciencieux, dans une instance civile comme laquelle je suis saisi, d’examiner la preuve pertinente attentivement afin de déterminer [Traduction] « si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu » (voir à la fin du paragraphe 49 de l’arrêt McDougall de la Cour suprême du Canada).

[219]       Ce que la preuve a établi de façon prépondérante dans le présent dossier est ce qui suit. L’attitude de la plaignante à l’endroit des agents de l’intimée lors des événements qui se sont produits le 18 novembre 2005 était nettement et définitivement une attitude agressive, irrespectueuse, provocatrice et finalement, revendicatrice de ses droits à titre d’autochtone résidant sur l’île de Cornwall.

[220]       Par les nombreux témoignages que j’ai eu l’occasion d’entendre, il m’a été prouvé de façon claire et non équivoque que la plaignante a toujours contestée la présence du poste frontalier sur l’île de Cornwall comme étant non désirée. À cet égard, la plaignante avait déjà été dans le passé une personne qui a été qualifiée d’arrogante et contestataire en ce qui a trait à la présence du poste frontalier sur l’île de Cornwall.

[221]       De plus, un autre événement s’était produit antérieurement, soit en date du 6 août 2005, où la plaignante avait alors manifesté sa désapprobation quant à la présence des agents du poste frontalier sur l’île de Cornwall en ayant exprimé une menace à l’effet qu’elle ferait exploser le poste frontalier.

[222]       Je peux comprendre que suivant la plaignante, elle a émis cette menace de façon indirecte, mais cela m’a suffi pour me convaincre que depuis un fort laps de temps, pour ne pas dire depuis toujours, la plaignante n’a jamais accepté la présence des agents de l’intimée sur l’île de Cornwall.

[223]       Certes, la plaignante avait le droit de manifester son désaccord quant à la présence des agents de l’intimée sur le territoire d’Akwesasne en date du 18 novembre 2005, en autant que son désaccord ne se soit pas manifesté par des gestes de menace concrets à l’endroit des agents de l’intimée (voir l’arrêt Johnson précité au paragraphe 41 in fine).

[224]       De façon générale, le tribunal a retrouvé plusieurs invraisemblances, voire des exagérations dans le témoignage de la plaignante. En contre-interrogatoire, la plaignante a admis avoir menti lorsqu’elle a fait référence à certaines situations qu’elle avait alléguées dans son affidavit (pièce R-1, onglet 16) de même qu’eu égard à d’autres documents qu’elle avait fournis à la Commission pour les fins de l’enquête de cette dernière.

[225]       Additionnellement, le tribunal a également constaté que la plaignante s’est absentée vers la fin de son contre-interrogatoire pour des raisons médicales. À plusieurs reprises, je suis intervenu auprès des représentantes de la plaignante afin d’inciter cette dernière de revenir afin de finaliser le contre-interrogatoire qui devait se poursuivre par le représentant de l’intimée. Or, le tribunal fut informé par la représentante de la plaignante que cette dernière fut en mesure de retourner travailler alors qu’elle aurait pu facilement venir terminer le contre-interrogatoire auquel elle était sujette.

[226]       Devant le fait que la documentation soumise par la plaignante comportait de nombreuses inexactitudes, voire des exagérations, et son admission au tribunal qu’elle avait effectivement menti à quelques reprises, j’en suis venu à la conclusion que la crédibilité de la plaignante avait été grandement atteinte.

[227]       Toutefois, je peux certainement comprendre que la plaignante était personnellement affectée par la présence des agents de l’intimée et cela depuis un bon moment préalablement aux événements du 18 novembre 2005. Les événements du 18 novembre 2005 ont certainement donné l’occasion à la plaignante d’exprimer son exaspération et sa colère de façon directe à l’endroit des agents de l’intimée.

[228]       Lors de l’audience, j’ai été à même de constater la sensibilité extrême de la plaignante quant à son statut d’autochtone au regard de la présence des agents de l’intimée sur [Traduction] « son territoire ».

[229]       En ce sens, je peux comprendre les agissements et les paroles prononcées par la plaignante à l’endroit des agents de l’intimée et peu importe l’état de provocation dans lequel la plaignante a agi, il en revenait aux agents de l’intimée et plus particulièrement à l’agent Demers de faire en sorte de ne pas envenimer la situation et surtout, de tenter de l’apaiser. Cette responsabilité incombait à l’agent Demers, et à la lueur de réponses qu’il a fournies à la plaignante, je ne crois pas que l’agent Demers a fait en sorte de garder le contrôle du dialogue entre lui et la plaignante ou même de l’apaiser (voir l’arrêt Maynard c. Toronto Police Services Board, [2012] O.H.R.T.D. no 1122, au paragraphe 189).

[230]       En fait, les propos qu’a tenus la plaignante à l’endroit de l’agent Demers comportaient une agressivité délibérément provocatrice et revendicatrice en tant que jeune femme mohawk.

[231]       La plaignante a d’abord réitéré son statut d’autochtone à l’endroit de l’agent Demers, puis elle a adopté une attitude revendicatrice quant au territoire sur lequel est situé le poste frontalier de l’île de Cornwall et où se trouvaient les agents de l’intimée en date du 18 novembre 2005. Agissant de cette façon, la plaignante faisait appel directement à son identité d’autochtone et elle s’en est servie pour provoquer l’agent Demers.

[232]       Or, j’ai fait référence ci-avant à l’arrêt Maynard qui a posé comme paradigme que c’est l’agent qui est en présence d’une personne agressive qui est le responsable de garder le contrôle du dialogue et de faire en sorte de l’apaiser  (voir Maynard ci-dessus).

[233]       Qu’en est-il dans le présent dossier?

[234]       Il a été décidé que les préjugés à l’origine d’une intervention policière doivent pouvoir s’inférer de la preuve dans son ensemble et non seulement de la perception de la victime (voir l’arrêt Rezko que j’ai précité, au paragraphe 185 en référence à l’arrêt Shaw c. Phipps, 2010 ONSC 3884).

[235]       Conséquemment, le tribunal doit donc analyser le comportement de l’agent Demers ainsi que les réponses qu’il a fournies à la plaignante afin d’évaluer si oui ou non l’agent Demers a commis des actes discriminatoires en contravention avec l’article 5 de la Loi.

[236]       De cette analyse, le tribunal a pu faire les constatations suivantes :

(a)                Préalablement aux faits du 18 novembre 2005, l’agent Demers a admis que c’était une connaissance générale, qu’il y avait une dispute entre le gouvernement canadien et les autorités mohawks en ce qui concerne le territoire sur lequel était situé le poste frontalier de l’île de Cornwall;

(b)               Dans son témoignage également, l’agent Demers a admis qu’il n’avait eu aucune formation spécifique en ce qui concerne des connaissances acquises eu égard à la culture ainsi qu’aux mœurs de communautés autochtones;

(c)                L’agent Demers a utilisé un ton de voix élevé au regard du comportement de la plaignante, et cela, dans une tentative d’affirmation de son autorité et de ce qu’il a appelé « recours progressif à la force »;

(d)               Dans le cours des discussions qui a eu lieu avec la plaignante, l’agent Demers a pointé son insigne afin de s’identifier auprès de la plaignante qui le questionnait à cet égard;

(e)                L’agent Demers a questionné la plaignante en ce qui a trait à un emploi qu’elle pouvait occuper, sans raison apparente;

(f)                En réponse en ce qui a trait à une affirmation directe de la part de la plaignante en ce qui a trait à l’aspect territorial des lieux occupés par le poste frontalier de l’intimée sur l’île de Cornwall, la preuve a établi de façon claire qu’il a répondu à la plaignante en disant qu’il se trouvait sur la [Traduction] « propriété de Douanes Canada »;

(g)               Également, devant l’attitude agressive et provocatrice de la plaignante, l’agent Demers a affirmé que le comportement de la plaignante pouvait être une affirmation qu’elle avait fait  quelque chose de mal selon son expérience.

[237]       D’autres affirmations de nature raciste auraient également été prononcées par l’agent Demers selon la plaignante, mais non reconnues par ce dernier.

[238]       Ainsi, la plaignante prétend que l’agent Demers lui aurait demandé si elle transportait des cigarettes en contrebande, ce qui fut nié par l’agent Demers dans son interrogatoire.

[239]       Également, l’agent Demers a nié avoir prononcé les mots suivants : [Traduction] « Est-ce que vous savez ce que notre société pense de vous? » (en faisant référence au peuple autochtone).

[240]       Relativement à ces deux dernières affirmations, la preuve n’est pas concluante à l’effet que l’agent Demers aurait fait de telles affirmations. Je m’en tiendrai donc au comportement de l’agent Demers tel que je l’ai énoncé au paragraphe 236 ci-dessus.

[241]       Il est vrai que dans l’analyse des faits, la crédibilité des principaux acteurs, soit la plaignante et l’agent Demers, doit être soupesée, mais je ne peux conclure qu’un ou l’autre de ces deux intervenants a entièrement eu tout faux ou tout vrai. Comme, je l’ai mentionné précédemment, le témoignage de la plaignante comportait de nombreuses inexactitudes, voire certains mensonges, tenant compte de la documentation qu’elle avait fournie. J’ai considéré donc comme plus crédibles les réponses de l’agent Demers lorsqu’il a affirmé qu’il n’aurait pas demandé à la plaignante si elle transportait des cigarettes de contrebande ou s’il lui avait posé la question, à savoir ce que pensait la société du peuple autochtone.

[242]       Est-ce que les autres réponses ainsi que le comportement de l’agent Demers ont constitué des motifs de discrimination eu égard au fait que la plaignante se fut identifiée comme étant une autochtone et à cet égard, a-t-elle été victime d’un traitement différentiel au sens de l’article 5 de la Loi? (Voir le paragraphe 236) Telle sont les principales questions que je dois répondre.

[243]       Afin de répondre aux questions principales ci-avant, le tribunal s’est référé aux décisions de l’arrêt Moore de la Cour suprême du Canada précité de même que dans l’arrêt Radek du Tribunal des droits de la personne de Colombie-Britannique.

[244]       En faisant référence aux dispositions de l’arrêt Moore de la Cour suprême du Canada précité, si la plaignante a établi que la discrimination a existé à première vue, il en reviendra à l’intimée de justifier la conduite ou la pratique suivant un régime d’exception prévu par les lois sur les droits de la personne. Tel que l’a indiqué l’arrêt Moore, si la conduite ou la pratique ne peut être justifiée, je devrai conclure alors à l’existence de la discrimination. (Voir aussi les principes bien connus de l’arrêt O’Malley, précité.

Premier point

[245]       Dans un premier temps, le premier critère me paraît largement satisfait, à savoir que la plaignante appartenait à un groupe clairement identifié pouvant être sujet à une distinction illicite. En effet, au moment de son intervention avec l’agent Demers, elle lui a avoué qu’elle était autochtone et la preuve écrite produite au dossier a confirmé l’identité de la plaignante en tant qu’autochtone. Ce premier point est donc satisfait.

Deuxième point

[246]       En ce qui a trait au deuxième critère, je considère également que ce facteur a été rempli considérant que la plaignante a subi un effet préjudiciable relativement aux services que devait lui fournir l’intimée. À cet égard, je constate que le comportement de l’agent Demers ainsi que les réponses qu’il a formulées à l’endroit de la plaignante sont autant de facteurs que je considère comme étant une forme de traitement différentiel à l’endroit de la plaignante. Je considère donc que ce deuxième aspect a été également satisfait de façon adéquate par la plaignante.  En effet, les commentaires formulés par l'agent Demers me sont apparus comme étant injustifiés, voir agressifs, et provocateurs à l'endroit de la plaignante.

Troisième point

[247]       Je n’ai pas de doute à conclure également que la caractéristique protégée de la plaignante, à savoir qu’elle était une autochtone, a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable dont elle a été victime.

[248]       De fait, toutes les réponses fournies par l’agent Demers à la plaignante, ainsi que son comportement en général, ont été faites en réponse aux provocations formulées par la plaignante et qui avaient trait à sa condition d’autochtone de même qu’aux affirmations territoriales qu’elle a fait valoir à l’agent Demers.

[249]       En d’autres termes, répondant directement à la plaignante quant à ses provocations, et avec le ton élevé qu’il a utilisé, l’agent Demers a fourni des réponses dans le même ordre d’idée qui lui avait été soumis par la plaignante.

[250]       Ce faisant, je considère que l’agent Demers a eu des réactions excessives ainsi que des réponses qui ont dénoté un comportement empreint de stéréotypes racistes à l’endroit de la plaignante. (Voir la question posée sur son travail sans motif valable : Radek, précité, au paragraphe 135, cinquième point)  

[251]       Conséquemment, je considère donc que la plaignante a établi de façon prima facie l’existence de discrimination à son endroit. Est-ce que l’intimée a justifié sa conduite ou sa pratique suivant un régime d’exceptions prévu par la Loi?  Dans l’alternative, l’intimé a-t-il réfuté les inférences découlant de la preuve présentée par la plaignante?  (Voir par exemple Rezko au para. 192.  Johnson, aux paras. 35, 63.  Pieters, au para. 68.)

[252]       Je réponds par la négative à ces questions.

[253]       En effet, l’agent Demers a indiqué au tribunal qu’il avait élevé sa voix afin de garder le contrôle sur la situation. Il a indiqué également que cette façon d’agir devait être une manière d’enclencher un processus d’apaisement relativement à l’altercation qui a eu lieu entre lui-même et la plaignante. Je constate à la lueur de la preuve qui a été entendue que c’est la réaction inverse qui s’en est suivie.

[254]       D’autre part, les réponses qu’il a formulées à la plaignante en ce qui a trait à son insigne, à la réaffirmation à l’effet qu’il était sur le territoire de la propriété de Douanes Canada, et que le comportement agressif de la plaignante pouvait constituer une forme d’aveu qu’elle avait fait quelque chose de mal, ne peuvent m’amener à conclure qu’à l’existence de stéréotypes racistes à l’endroit de la plaignante.

[255]       En contre-interrogatoire, la Commission a fait valoir que l’agent Demers ne s’était pas comporté suivant les critères apparaissant au paragraphe f), du chapitre 3 du Code d’éthique et de conduite, qui a été déposé comme pièce et intitulée : [Traduction] Contact avec le public – Sensibilité et souplesse - en ce que l’agent Demers n’aurait pas agi de la façon appropriée soit :

[Traduction]

Vous ne devez pas faire de commentaire ni poser de geste violent, méprisant, menaçant, insultant, offensant ou provocant à l’égard d’une autre personne.

Si vous occupez le genre d’emploi où il faut parfois surmonter un manque tenace de collaboration de la part d’un client, par exemple, si vous êtes un agent des douanes ou du fisc chargé de l’exécution, vous devrez parfois faire preuve de fermeté et de persistance, tout en conservant une attitude professionnelle. (Voir la pièce HR-2 au paragraphe f). (surligné du tribunal)

[256]       Même si je reconnais que ma juridiction ne saurait s’étendre à l’analyse d’une contravention du Code d’éthique et de conduite qui a été mise en preuve dans ce dossier, je ne peux que constater que la conduite de l’agent Demers n’a pas correspondu aux critères qui y sont énoncés.

[257]       À cet égard, les arrêts Johnson (précité) et Abbott c. Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 1909, et Abbott c. Toronto Police Services Board, 2010 HRTO 1314, amènent un parallèle intéressant entre les situations de ces arrêts en regard des faits du présent dossier.

[258]       Dans l’arrêt Johnson, il a été établi : Les dérogations à la pratique générale et la preuve de manque de courtoisie ou d’intransigeance sont des motifs permettant de conclure à l’existence d’une différence de traitement (voir paragraphe 57 de la décision).

[259]       Dans le même arrêt, en référence à une autre décision citée, soit l’arrêt R. c. Zwicker, [1938] 1 D.L.R. 461 (N.S. Co.Ct.), il a été établi que le constable Sanford n’avait pas fait montre de tolérance raisonnable ainsi que de tact requis dans une situation pareille eu égard à sa position. Il a alors été inféré que le facteur de la race avait été un facteur majeur dans le manquement professionnel (voir paragraphe 60 in fine)

[260]       Dans les arrêts Abbott précités, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, faisant application des principes émis dans l’arrêt Radek également précité, a tiré des inférences négatives du comportement du policier en cause prenant en considération les critères émis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. S., (R.D.) [1997] 3 R.C.S. 484.

[261]       À cet égard, je fais mienne la citation suivante de l’arrêt Abbott (2009) précité où il est indiqué ce qui suit au paragraphe 45 de la décision :

[45]  [Traduction] La plupart du temps, la discrimination raciale provient des attitudes inconscientes et des systèmes de croyances.

[262]       Et un peu plus loin dans le même paragraphe, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario indique que :

Rien ne me permet de conclure que le sergent Ruffino adhère consciemment à de telles attitudes ou à de tels systèmes de croyances. Ce genre d’attitudes et de systèmes de croyances font toutefois partie de notre tissu historique et social, et ils nous imprègnent tous par l’intermédiaire de nos interactions sociales, du système d’éducation, de l’industrie des médias et du divertissement, et d’autres façons. (voir paragraphe 45)

[263]       De plus, dans la décision  Rezko précitée, je fais également miens les commentaires de l’honorable juge Pauzé au paragraphe 191 lorsqu’elle affirme :

 [191]  En d'autres termes, si la race - ou un autre motif interdit de discrimination - constitue l'un des facteurs ayant mené la personne en autorité à appliquer un traitement différencié, l'existence d'autres motifs légaux d'intervention ne peut justifier le profilage ainsi exercé.  [Note en bas de page omise]

[264]       L’honorable juge Pauzé s’était exprimée en reprenant dans sa décision le paragraphe 91 de l’arrêt Peart c. Peel Regional Police Services Board, 2006 CanLII 37566 (ON CA), où on affirme :

[Traduction]

Le profilage racial est une mauvaise chose. C’est une mauvaise chose quand bien même la conduite policière qui résulte du profilage racial pourrait se justifier en dehors de tout recours à des préjugés négatifs fondés sur la race. Par exemple, un agent de police qui voit un véhicule rouler à une vitesse excessive et qui décide d’intercepter le véhicule en partie en raison de la couleur du conducteur fait du profilage racial, et ce, même si la vitesse à laquelle le véhicule roulait aurait pu justifier les actes de l’agent.

[265]       Dans le cas sous étude, je n’ai aucun doute que l’agent Demers a répondu à la plaignante en prenant en considération le fait que la plaignante faisait valoir ses droits à titre d’autochtone. Je ne peux considérer comme une justification suffisante l’exercice inapproprié de l’autorité  qu’a exercé l’agent Demers à l’endroit de la plaignante. Cette approche m’apparaît tout à fait conforme tenant compte de la jurisprudence que j’ai citée ci-dessus et plus particulièrement, des arrêts Johnson, Abbott et Peart mentionnés ci-dessus.

[266]       Dans l’arrêt Johnson, on a fait valoir qu’un test comparatif pouvait être appliqué en tenant compte du comportement du policier s’il avait été confronté par une personne de race blanche au lieu d’une personne de race noire.

[267]       Avec respect, et tenant compte des faits particuliers du présent dossier, je considère que cette analyse comparative n’a pas besoin d’être faite. Le simple examen du comportement de l’agent Demers, eu égard à son attitude en général, ainsi que ses réponses qu’il a fournies à la plaignante me suffisent afin de reconnaître que l’agent Demers a agi, même inconsciemment, en faisant état de stéréotypes raciaux. (Sur le rôle accessoire et de moins en moins important de la preuve comparative, voir : Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 154 (« Morris »), aux paragraphes 27-30; Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, aux paragraphes 16-18).

[268]       Dans ces arguments, la Commission fait également valoir d’autres motifs qui pourraient supposer un profilage racial dans le présent dossier. Ainsi, elle fait valoir que l’un des agents aurait fourni une mauvaise identification quant à l’insigne qu’il portait.

[269]       Tenant compte que la preuve ne me permet pas d’établir les motifs subjacents à ce refus de fournir une identification appropriée, je ne peux conclure à l’existence d’un motif de discrimination quant à ce seul facteur.

[270]       De même, la Commission fait valoir que la fermeture du poste de Cornwall suite aux événements du 18 novembre 2005 est une autre indication de stéréotypes raciaux liant les peuples autochtones à la violence.

[271]       Dans un premier temps, il est possible à la lueur des faits du présent dossier de conclure que la fermeture du poste frontalier de l’île de Cornwall le 18 novembre 2005 pouvait constituer un autre stéréotype raciste permettant  de lier les peuples autochtones à de la violence.

[272]       Toutefois, il m’est difficile de lier directement la fermeture du poste frontalier de l’île de Cornwall à de la violence qui aurait pu être commise par un groupe d’autochtone identifié comme étant la Société des guerriers Mohawk.

[273]       En effet, la preuve n’a pas été déterminante afin de m’indiquer la nature exacte de ce qui est connu comme étant la Société des guerriers Mohawk. À cet égard, plusieurs témoins ont énoncé des vus divergentes en ce qui a trait à l’existence de la Société des guerriers Mohawk et au fait qu’il s’agissait d’un groupement violent.

[274]       Plus particulièrement, je retiens les propos de la plaignante elle-même qui a dénoté que les autochtones de la Société des guerriers Mohawk étaient un groupement de nature pacifique et qui venait en aide aux autres membres de la communauté autochtone d’Akwesasne.

[275]       À défaut d’avoir une preuve plus probante quant à l’existence d’un tel stéréotype, tel que le soumet la Commission, je ne peux conclure que ce seul élément en lui-même me permet de reconnaître que l’intimée aurait agi de façon discriminatoire dans le présent dossier.

IV.             Conclusion

[276]       En conséquence, et tenant compte de la preuve qui a été établie dans le présent dossier, je conclus donc effectivement que la plainte de la plaignante est bien fondée en partie, suivant l’article 5, et cela, en faits et en droit.

[277]       En vertu des dispositions de l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je dois donc examiner les mesures correctrices nécessaires afin de faire cesser les pratiques discriminatoires.

[278]       À la lueur de la preuve présentée, j’estime qu’il y aurait certainement lieu à ce que certains redressements soient accordés, soit :

A.                Les remèdes au niveau de la plaignante

[279]       Au niveau des remèdes, je dois donc me prononcer sur les demandes qui m’ont été formulées par la plaignante. À cet égard, la plaignante me fait valoir quatre points pour lesquels je devrais lui accorder des dommages.

[280]       Pour les besoins de la présente décision, j’ai regroupé les trois premiers points sous un seul et j’accorde à la plaignante une somme de 5000 $, et ce, en vertu des dispositions de l’article 53 alinéa 2 e) de la Loi.

[281]       Eu égard à toutes les circonstances du présent dossier et en tenant compte du comportement répréhensif d’un des agents de l’intimée pour lequel d’ailleurs j’ai fait droit à la plainte de la plaignante, je considère que la somme de 5000 $ m’apparaît juste et appropriée.

[282]       J’accorde également aussi les intérêts pour le montant susmentionné, conformément au paragraphe 53 alinéa 4 de la Loi et au paragraphe 9 (12) des Règles de procédure du Tribunal.

[283]       Dans l’établissement du montant que je viens de mentionner, soit la somme de 5000 $, je tiens plus particulièrement compte des dispositions de la Cour fédérale dans l’arrêt Chopra c. Procureur général du Canada et la Commission canadienne des droits de la personne, 2007 CAF 268, où au paragraphe 37 de la décision il est indiqué qu’il doit exister un lien de causalité entre l’acte discriminatoire et la perte alléguée.

[284]       À cet égard, la plaignante ne m’a pas établi de façon claire et précise l’étendue des dommages qu’elle entendait réclamer. De même, aucune expertise, soit de nature psychologique ou médicale, n’a été fournie au tribunal en ce qui a trait à un préjudice physique ou moral qu’elle aurait pu subir suite aux agissements d’un des agents de l’intimée à son endroit.

[285]       Toutefois, en tenant compte du lien de causalité entre les actes discriminatoires et ce que la plaignante a allégué avoir subi dans ses procédures de même qu’à l’audience, je considère que la somme de 5000 $ m’apparaît appropriée en tenant compte de toutes les circonstances du présent dossier dont la preuve m’a été fournie.

[286]       En ce qui a trait au quatrième point qui consiste en une demande quant aux frais contre l’intimée, il m’est impossible d’accorder une telle demande tenant compte des dispositions de l’arrêt Mowat de la Cour suprême du Canada, cité comme Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, qui n’a pas reconnu que la Loi canadienne sur les droits de la personne pouvait permettre au tribunal d’indemniser une plaignante quant aux frais juridiques engagés pour les fins de sa comparution devant le tribunal.

B.                 Remèdes recherchés par la Commission

[287]       La Commission au paragraphe 256 de son argumentation me fait valoir six points en ce qui a trait des mesures devant permettre que tous les agents de l’intimée puissent avoir une formation suffisante en matière de discrimination ainsi que d’autres mesures accessoires.

[288]       Je ferai donc miennes toutes les recommandations de la Commission et, à cet égard, j’ordonne donc, et cela, en vertu de l’article 53 2 a) de la Loi, que l’intimée adopte les mesures suivantes, et cela, en consultation avec la Commission, lesquelles recommandations sont les suivantes :

(a)                prendre des mesures pour veiller à ce que le code de déontologie actuel comporte une déclaration précise selon laquelle la LCDP interdit aux agents des services frontaliers (ASF) de faire preuve de discrimination sur la base de motifs de distinction illicites lorsqu’ils procèdent au traitement des voyageurs qui cherchent à entrer au Canada ;

(b)               donner aux ASF travaillant au poste frontalier de Cornwall du matériel de formation concernant la gamme de perspectives différentes au sein de la communauté d’Akwesasne, ainsi qu’au sein que l’ASFC, concernant la Société des guerriers et/ou les autres personnes de la communauté d’Akwesasne qui peuvent être reconnues comme des gardiens de la paix ;

(c)                élaborer et mettre en œuvre une politique ou une directive qui interdit expressément toute forme de discrimination fondée sur la race aux termes de la LCDP, y compris le profilage racial ;

(d)               préparer une formation, distincte du module existant de formation en ligne sur la diversité et les relations entre les minorités, qui comporte des discussions au sujet de la nouvelle politique ou directive sur la discrimination fondée sur la race, ainsi que la jurisprudence actuelle concernant le phénomène du profilage racial ;

(e)                avoir recours aux services de consultants indépendants possédant l’expertise appropriée au sujet des éléments susmentionnés pour aider à préparer le matériel, les politiques ou les directives nécessaires ;

(f)                s’assurer que, dans un délai raisonnable, (i) tous les ASF reçoivent la formation susmentionnée, (ii) des mesures appropriées soient mises en place pour faire en sorte que la formation soit donnée à toutes les nouvelles recrues, et qu’elle soit réévaluée périodiquement, selon les besoins, et (iii) l’ASFC confirme à Mme Davis et à la Commission que ces mesures ont été prises.

[289]       Additionnellement, et en tenant compte plus spécifiquement des faits du présent dossier, je considère qu’une autre recommandation devrait être appliquée par l’intimée, en consultation avec la Commission, et cela, plus particulièrement à l’effet qu’aucune opération du même type que celle qui a été conduite en date du 18 novembre 2005 ou similaire à cette dernière ne pourra être conduite sans la participation directe du Service de police Mohawk d’Akwesasne ou tout autre corps policier autochtone ailleurs au pays.

[290]       En effet, il m’apparaît essentiel que des membres des forces policières autochtones soient présents avec les agents de l’intimée dans toute opération comme celle du présent dossier, et cela, afin de préserver le caractère distinct des peuples autochtones.

[291]       De cette façon, les personnes autochtones soumises à pareille opération de fouille dans un poste frontalier devraient être rassurées que leur culture, leur identité et leur sécurité comme peuples autochtones seront mieux préservées et protégées dans l’avenir. J’émets cette recommandation tenant compte que l’entente actuelle avec le Service de police Mohawk d’Akwesasne ne permet leur intervention qu’en cas d’arrestation et de détention seulement et suivant les demandes des agents de l’intimée. (Voir la pièce C-6)

[292]       Finalement, et tenant compte des recommandations émises antérieurement, le tribunal gardera juridiction dans le présent dossier pour une période additionnelle de six mois, et cela, jusqu’à ce que les parties aient confirmé que toutes les ordonnances mentionnées ci-dessus ont été dûment mises en application.

Signée par

Robert Malo

Membre du tribunal

OTTAWA (Ontario)

Le 9 décembre 2014

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1342/7208

Intitulé de la cause : Fallan Davis c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision du tribunal : Le 9 décembre 2014

Dates et lieu de l’audience : Du 13 au 16 novembre 2012

Les 19 et 20 novembre 2012

Du 26 au 30 novembre 2012

Du 14 au 16 janvier 2013

Du 23 au 25 janvier 2013

Du 11 au 13 février 2013

Du 29 au 31 mai 2013

Du 25 au 28 juin 2013

Les 18 et 19 juillet 2013

Du 26 au 28 août 2013

Du 7 au 9 octobre 2013

Du 16 au 18 octobre 2013

Le 6 novembre 2013

Du 2 au 6 décembre 2013

Du 28 au 31 janvier 2014

Le 19 février 2014

Du 7 au 9 mai 2014

Les 26 et 27 mai 2014

Cornwall (Ontario)

Comparutions :

Janet (Katenies) Davis et Kakweraias, pour la plaignante

Brian Smith et John Unrau, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sean Gaudet et Laura Tausky, pour l'intimée

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