Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

Munglegeet Kaur Siddoo

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502

l’intimé

Décision sur requête

No de dossier : T1952/3213

Membres instructeurs : David Thomas

Date : Le 4 février 2015

Référence : 2015 TCDP 3

 



I.                   Introduction

[1]               Madame Siddoo a déposé une plainte devant le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) dans laquelle elle présente une allégation de discrimination en milieu de travail. La plaignante a récemment présenté deux requêtes au Tribunal visant chacune à adjoindre une partie distincte à la présente plainte déposée contre le Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502 (l’ILWU). Plus précisément, Mme Siddoo cherche à adjoindre comme intimées la British Columbia Maritime Employers’ Association (la BCMEA) et la société TSI Terminal Systems Inc. (qui est maintenant appelée Global Container Terminals, ci‑après la GCT). Étant donné que les deux requêtes sont pratiquement identiques, sauf les noms des autres intimées, la présente décision s’appliquera aux deux requêtes.

[2]               Au moment où elle a déposé sa plainte contre l’ILWU, Mme Siddoo a également déposé deux plaintes contre la BCMEA et la GCT auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). La Commission a estimé que les plaintes déposées contre la BCMEA et la GCT ne justifiaient pas une instruction par le Tribunal. Mme Siddoo a demandé le contrôle judiciaire de la décision auprès de la Cour fédérale, qui a rejeté sa demande. Elle a plus tard tenté d’interjeter appel auprès de la Cour d’appel fédérale, qui a aussi rejeté sa demande.

[3]               La question dont le Tribunal est saisi est de savoir s’il convient maintenant d’adjoindre la BCMEA et la GCT à la présente plainte à titre d’intimées. Je ne suis pas convaincu, pour les motifs exposés ci-dessous, qu’il conviendrait d’adjoindre la BCMEA et la GCT à la présente plainte. Par conséquent, les deux requêtes sont rejetées.

II.                Faits

[4]               Les faits suivants sont les plus pertinents aux requêtes de la plaignante qui sont actuellement examinées.

[5]               Mme Siddoo a déposé les plaintes suivantes auprès de la Commission :

a)                  Le 30 août 2011, une plainte contre la GCT pour différence de traitement défavorable et pour omission de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement, en violation des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi);

b)                  Le 7 novembre 2011, une plainte contre la BCMEA pour différence de traitement défavorable et pour omission de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement, en violation des articles 7 et 14 de la Loi;

c)                  Le 7 novembre 2011, une plainte contre l’ILWU pour différence de traitement défavorable et pour omission de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement, en violation des articles 9 et 14 de la Loi.

[6]               La Commission a mené des enquêtes pour les trois plaintes afin d’établir si une instruction par le Tribunal était justifiée en application de l’article 44 de la Loi.

[7]               Le 2 juillet 2013, la Commission a renvoyé au Tribunal pour instruction la plainte déposée contre l’ILWU. Le même jour, la Commission a rejeté les plaintes déposées contre la BCMEA et la GCT après avoir mené des enquêtes relativement aux deux plaintes. La Commission a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pouvant justifier une instruction par le Tribunal à l’égard des deux intimées proposées.

[8]               Le 7 août 2013, Mme Siddoo a présenté une demande de contrôle judiciaire des décisions de la Commission ayant rejeté les plaintes déposées contre la BCMEA et la GCT, lesquelles plaintes ont été plus tard regroupées en un seul dossier judiciaire.

[9]               Le 4 juin 2014, la Cour fédérale a rejeté les demandes de Mme Siddoo, confirmant ainsi les décisions de la Commission (ordonnance datée du 4 juin 2014, dossier no T‑1341‑13).

[10]           Mme Siddoo a tenté d’interjeter appel à l’encontre de la décision de la Cour fédérale, mais elle n’a pas respecté le délai pour signifier et déposer un avis d’appel. Sa demande de prorogation de délai a été examinée par la Cour d’appel fédérale et a été rejetée (ordonnance datée du 30 septembre 2014, dossier n14‑A‑58).

[11]           Le 24 octobre 2014, lors d’une conférence téléphonique de gestion de l’instance du Tribunal dans l’affaire mettant en cause l’ILWU, Mme Siddoo a évoqué la possibilité pour elle d’adjoindre d’autres parties à l’instance.

[12]            Le 10 décembre 2014, Mme Siddoo a avisé le Tribunal et la Commission qu’elle chercherait à adjoindre la BCMEA et la GCT à titre d’intimées.

[13]           Le 18 décembre 2014, le président du Tribunal a avisé Mme Siddoo au moyen d’une lettre que, si elle avait l’intention de déposer une requête en vue d’adjoindre un intimé, elle devait déposer cette requête au plus tard le 31 décembre 2014 afin que l’audience sur le fond dans l’affaire mettant en cause l’ILWU, qui devait se tenir du 23 au 27 février 2015, se poursuive sans retard.

[14]           Le 30 décembre 2014, Mme Siddoo a déposé une requête visant à adjoindre la BCMEA à titre de partie et une autre requête visant à adjoindre la GCT à titre de partie à l’instance intentée contre l’ILWU dont le Tribunal est actuellement saisi.

III.             Analyse

[15]           Le Tribunal est appelé à trancher la question de savoir s’il convient d’adjoindre la BCMEA et/ou la GCT à titre d’intimées à la plainte déposée contre l’IWLU dont le Tribunal est actuellement saisi.

[16]           La Commission soutient que la demande de la plaignante d’adjoindre à l’instance les intimées proposées à titre de parties est sans fondement. La Commission soutient aussi que les requêtes ne devraient pas être accueillies sur le fondement de l’équité procédurale.

[17]           Les intimées proposées, à savoir la BCMEA et la GCT, font valoir les arguments suivants dans une réponse conjointe aux requêtes : le Tribunal n’a pas compétence pour adjoindre les intimées proposées; les exigences liées à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ont été respectées; le fait d’adjoindre les intimées proposées constituerait un abus de procédure, et la plaignante n’a pas respecté le critère juridique applicable pour adjoindre un intimé. L’ILWU n’a formulé aucune observation.

[18]           Pour rendre ma décision, j’ai examiné toutes les observations formulées par la Commission et par la BCMEA et la GCT. Toutefois, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur chacune d’elles dans la présente décision.

[19]           Étant donné que la question de compétence a été soulevée, je dois d’abord me pencher sur cet argument.

A.                Compétence

[20]           Les intimées proposées soutiennent que le Tribunal ne peut examiner une plainte déposée contre un intimé que si elle lui a été renvoyée par la Commission. Les intimées proposées citent le paragraphe 49(1) de la Loi à l’appui de leur thèse selon laquelle le Tribunal ne peut instruire une plainte que si celle-ci lui a été renvoyée par la Commission. Elles invoquent le paragraphe 10 de la décision Zhou c. le Conseil national de recherches Canada, 2009 TCDP 7, pour justifier l’argument selon lequel on ne peut pas demander au Tribunal d’instruire une plainte en l’absence d’un renvoi par la Commission.

[21]           Je ne souscris pas à l’argument selon lequel le Tribunal n’a pas compétence pour adjoindre un intimé à une plainte qui lui a été renvoyée pour instruction. La présente instruction est fondée sur un renvoi effectué par la Commission. Les faits de l’affaire Zhou sont très différents de ceux de l’affaire dont le tribunal est saisi. Dans l’affaire Zhou, un intimé a tenté d’obtenir l’instruction de deux plaintes distinctes formulées contre un autre intimé. Dans ces circonstances, le Tribunal a rejeté à juste titre la tentative de demander une nouvelle instruction de cette manière.

[22]           Plus important encore, en ce qui concerne la question de compétence, est le libellé de la disposition de la loi habilitante du Tribunal. En vertu du paragraphe 48.9(2) de la Loi, le président du Tribunal a le pouvoir d’établir des règles de pratique. L’alinéa 48.9(2)b) de la Loi prévoit expressément les règles de pratique régissant « l’adjonction de parties ou d’intervenants à l’affaire ». Le paragraphe 8(3) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les Règles) indique aux parties la manière dont il faut demander l’adjonction d’une nouvelle partie.

[23]           À mon avis, l’alinéa 48.9(2)b) de la Loi est sans équivoque quant à l’intention du législateur de conférer la compétence au Tribunal.

B.                 Préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[24]           Les intimées proposées ont soutenu que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée devrait être applicable aux présentes requêtes. La décision de la Commission de refuser l’adjonction de la BCMEA et de la GCT à la plainte a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale et la demande a été rejetée.

[25]           En dépit des arguments présentés, la question dont le Tribunal est saisi est très différente. Alors que le contrôle judiciaire de la Cour fédérale était fondé sur le caractère raisonnable de la décision de la Commission de refuser le renvoi pour instruction des plaintes déposées contre les intimées proposées, la question dont le Tribunal est saisi est différente. En l’espèce, le Tribunal est appelé à trancher la question de savoir s’il convient ou non d’adjoindre à la présente plainte les intimées proposées.

[26]           Pour le motif exposé ci-dessus, j’estime que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne peut pas être invoquée à l’égard de la plaignante pour l’empêcher de déposer les présentes requêtes.

C.                Critère juridique applicable pour l’adjonction d’un intimé / Bien fondé des demandes

[27]           Le critère applicable pour adjoindre un intimé à une plainte a été énoncé de la manière suivante par le Tribunal dans la décision Syndicat des employés d’exécution de Québec Téléphone, Section locale 5044 du SCFP c. TELUS Communications (Québec) Inc., 2003 TCDP 31 :

[30] Le Tribunal est d’avis que l’adjonction forcée d’un nouvel intimé une fois que le Tribunal a été chargé d’instruire une plainte est appropriée, en l’absence de règles formelles à cet effet, s’il est établi que la présence de cette nouvelle partie est nécessaire pour disposer de la plainte dont il est saisi et qu’il n’était pas raisonnablement prévisible une fois la plainte déposée auprès de la Commission que l’adjonction d’un nouvel intimé serait nécessaire pour disposer de la plainte.

[28]           Le critère énoncé ci‑dessus a été appliqué par la Cour fédérale. (Canada (Procureur général) c. Brown, 2008 CF 734, au paragraphe 39).

[29]           Bien que le Tribunal n’effectue pas d’examen approfondi des allégations formulées au moment où la requête a été déposée, il doit néanmoins y avoir un certain nombre de précisions fournies dans la requête pour que le Tribunal puisse conclure à l’existence de toute possibilité de lien valide avec une plainte préexistante de telle sorte que l’intimé proposé puisse à bon droit être adjoint à la plainte.

[30]           À tout le moins, cela comprendrait les faits allégués liés à un acte discriminatoire précis fondé sur un motif de distinction illicite prévu par la Loi. Il devrait y avoir suffisamment de précisions pour que l’on puisse bien comprendre les allégations formulées, la période au cours de laquelle les faits allégués ont eu lieu et le lien entre ces faits et l’intimé proposé. Malheureusement, les requêtes présentées par Mme Siddoo ne comprennent pas un tel degré minimum de précisions.

[31]           Dans ses requêtes, Mme Siddoo formule les allégations générales selon lesquelles l’ILWU, la BCMEA et la GCT se sont liguées contre elle pour qu’elle soit retirée de deux séances de formation différentes, pour lui refuser des mesures d’accommodement et pour éviter de traiter efficacement avec la Work Safe British Columbia (WSBC) pour son compte. Concernant les allégations communes formulées dans ses requêtes, Mme Siddoo fournit certaines précisions relativement aux séances de formation, mais il n’existe pas de lien clair avec les intimées proposées et un motif de distinction illicite prévu par la Loi. Elle a également formulé des allégations de harcèlement par le président de la société TSI Systems Inc. (maintenant GCT), mais elle n’a pas non plus établi de lien avec un motif de distinction illicite prévu par la Loi.

[32]           La décision TELUS citée ci‑dessus est un exemple de circonstances semblables où le Tribunal a rejeté une requête visant à adjoindre un intimé parce, entre autres, on n’avait pas produit suffisamment de documents concernant la discrimination pour justifier que la partie proposée soit incluse.

IV.             Conclusion

[33]           Compte tenu de ce qui précède, les présentes requêtes sont rejetées. La plaignante n’a pas suffisamment expliqué dans ses requêtes pourquoi l’adjonction de la BCMEA et de la GCT était nécessaire pour rendre une décision à l’égard de la plainte. Malgré une lecture attentive des documents présentés à l’appui des requêtes de la plaignante, je conclus qu’aucun acte discriminatoire n’a été clairement allégué à l’encontre de l’une ou l’autre des deux intimées proposées. Aucun lien avec un motif de distinction illicite n’a non plus été établi.

Signée par

David Thomas

Président du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 4 février 2015

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