Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

- et-

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

(représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

l’intimé

- et -

Chefs de l’Ontario

- et -

Amnistie Internationale

les parties intéressées

Décision sur requête

No de dossier : T1340/7008

Membres instructeurs : Sophie Marchildon, Réjean Bélanger et Edward P. Lustig

Date : Le 14 janvier 2015

Référence : 2015 TCDP 1



I.                   Le contexte

[1]               Les plaignantes, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la Société de soutien) et l’Assemblée des Premières Nations (l’APN), ont déposé une plainte en matière de droits de la personne, alléguant que le financement inéquitable des services d’aide sociale à l’enfance dans les réserves des Premières Nations constituait de la discrimination fondée sur la race et l’origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6 (la Loi).

[2]               Le 10 juillet 2012, une formation constituée des membres instructeurs Marchildon, Lustig et Bélanger a été désignée par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) pour entendre la présente affaire (2012 TCDP 16).

[3]               Le 9 décembre 2013, la Commission a rappelé Mme Cindy Blackstock à la barre. À la suite d’une objection de l’intimé quant à l’admissibilité d’un document soumis à Mme Blackstock, et après avoir entendu les observations des parties sur la question, le Tribunal a ajourné brièvement l’instance pour examiner l’objection. Il a informé les parties que, comme la Commission avait l’intention de soumettre de la même façon à Mme Blackstock un certain nombre d’autres documents nouvellement communiqués, il serait préférable selon lui de trancher la question de l’admissibilité des documents à ce moment-là, plutôt que d’attendre la fin de l’audience, comme les parties l’avaient convenu au départ.

[4]               La Société de soutien a informé le Tribunal qu’elle allait dans ce cas déposer auprès du Tribunal, le lendemain ou peu après, une requête concernant l’admissibilité des documents. Elle a fourni au Tribunal et aux parties un avis de requête intitulé [traduction] « Requête en vue d’obtenir une ordonnance admettant des documents en preuve pour la véracité de leur contenu ».

[5]               Lors d’une conférence de gestion d’instance (CGI) tenue dans l’après-midi du 9 décembre 2013, les parties ont convenu de plaider la requête le 10 décembre 2013. Elles ont également convenu de plaider la question des paramètres du rappel de témoins, question que l’intimé avait soulevée.

[6]               Les plaignantes ayant prévu de faire témoigner Mme Blackstock au début de janvier 2014, et par souci d’accélérer les choses afin de donner plus de certitude aux parties, le 6 janvier 2014 le tribunal a rendu une décision abrégée, avec motifs à suivre.

[7]               Le 14 janvier 2014, la Commission a rappelé Mme Blackstock à la barre. Les parties ont demandé des éclaircissements sur la décision abrégée du Tribunal, datée du 6 janvier 2014. Après avoir délibéré sur la question, et à la suite d’un bref ajournement, il a rendu de vive voix la décision de clarification suivante :

[traduction]

1.   Une partie signifie « un extrait ». L’utilisation du terme partie dans la décision abrégée renvoie à la partie au sujet de laquelle quelqu’un témoigne ou à la partie à laquelle l’avocat a renvoyé le Tribunal. Par exemple, Mme Blackstock a témoigné au sujet de plusieurs parties de l’entente de service de la C.‑B. qui se trouve à l’onglet 275;

2.   Le Tribunal souhaite s’assurer que la partie adverse est informée de la preuve qu’elle doit réfuter après qu’une partie a présenté de nouveaux éléments;

3.   En dispensant les parties de l’exigence de citer des témoins à comparaître en vue d’authentifier les documents, le Tribunal ne souhaite pas autoriser une partie à produire des éléments de preuve sur lesquels elle se fondera pendant son argumentation finale, éléments qui n’auront pas été présentés à l’étape de la présentation de la preuve, conformément à la procédure établie au point c. de la décision abrégée, sans par ailleurs donner à la partie adverse l’occasion de préparer une réponse de manière adéquate, si nécessaire; [Non souligné dans l’original.]

4.   Si une partie à l’intention de fonder son argumentation sur des parties de documents qui n’ont pas été présentés à l’étape de l’audience conformément à la procédure établie au point c., elle court le risque que le Tribunal accorde à la partie adverse du temps additionnel en vue de préparer une réponse de manière adéquate. [Non souligné dans l’original.]

5.   Le Tribunal prend note de la suggestion de Me Champ selon laquelle il donnera des renseignements clairs sur les parties des documents en cause qui n’ont pas été présentés à l’audience à l’étape de la présentation de la preuve, parties sur lesquelles il entend fonder son argumentation, et ce, avant que l’intimé ne commence à faire valoir sa cause. [Non souligné dans l’original.]

6.   Cela pourrait aider l’intimé à préparer sa propre preuve pendant l’étape de l’audition de la preuve et éviter au Tribunal d’avoir à fournir les mesures curatives prévues au point d. de la décision abrégée. [Non souligné dans l’original.]

[8]               Les motifs de la décision abrégée ont été rendus le 16 janvier 2014 (2014 TCDP 2).

[9]               Le 24 octobre 2014, l’audience sur le fond a pris fin et la formation a avisé les parties que, la semaine suivante, elle leur ferait part d’un processus permettant de mieux traiter des éléments faisant partie du dossier de preuve du Tribunal.

[10]           Le 3 novembre 2014, le Tribunal a demandé que les parties fassent circuler entre elles et s’échangent une liste indiquant à quels documents les parties à l’audience n’avaient pas fait référence, en fonction des éléments de preuve déposés au Tribunal, ainsi que du tableau de la Commission et des plaignantes qui présentait en détail les documents sur lesquels les plaignantes s’étaient fondées à l’appui de leurs arguments.

[11]           Dans sa lettre datée du 1er décembre 2014, la Commission a fourni au Tribunal une liste (jointe à l’annexe A) énumérant les documents qui, selon ce dont les parties avaient convenu, pouvaient être retirés des cahiers de preuve documentaire. Les documents sont désignés par leurs numéros de pièce et d’onglet.

[12]           Dans la même lettre, la Commission a également énuméré les documents sur lesquels les parties ne s’étaient pas entendues. La liste figure à l’annexe B de la lettre de la Commission (voir l’annexe B à titre indicatif).

[13]           La Commission a déclaré que, selon elle, les documents énumérés à l’annexe B se rangent dans les deux catégories suivantes :

[traduction


a) les documents inclus dans les pièces HR-01 à HR-15 et qui, d’après le tableau de la Commission et des plaignantes, ont été « invoqués par les avocats », mais auxquels il n’a pas été fait référence à l’audition ou dans les observations écrites finales;

b) les documents inclus dans les pièces HR-01 à HR-15 et qui, d’après le tableau de la Commission et des plaignantes, ont été « invoqués par les avocats » et auxquels il n’a été fait référence que dans les observations écrites finales. Un document figurant dans la pièce R-13 se range lui aussi dans cette catégorie. [Non souligné dans l’original.]

[14]           La Commission a également précisé que, d’après les discussions qu’elle avait eues avec les parties, elle croyait comprendre que le procureur général s’opposait à ce que les catégories de documents susmentionnées fassent partie du dossier soumis au Tribunal, car ces documents n’avaient pas été présentés en preuve d’une manière conforme au paragraphe 75 de la décision sur requête du Tribunal du 16 janvier 2014 (2014 TCDP 2); le texte de ce paragraphe est le suivant :

Les personnes qui ont témoigné antérieurement, en ce sens qu’elles ont témoigné au sujet de parties de documents présentés en preuve ainsi que de la pertinence de ces parties de documents à l’égard des questions en litige en l’espèce, l’ont fait conformément à ce point de la décision abrégée du Tribunal. Les documents qui seront retirés du dossier à la fin de l’audience sont tous les documents qui n’ont fait l’objet d’aucun renvoi, que ce soit par un témoin au cours de sa déposition ou par un avocat au cours de sa plaidoirie. Pour rendre sa décision finale, le Tribunal se fondera sur les parties des documents présentés en preuve auxquels il aura été ainsi fait référence. [Non souligné dans l’original.]

[15]           La position de la Commission est reproduite en partie ci-dessous :

[traduction]

Plus tôt cette année, la Commission et les plaignantes ont établi un tableau indiquant les parties de chaque document figurant dans les pièces HR‑01 à HR‑15, la pièce C-2 et la pièce AFN-1 sur lequel elles entendaient se fonder. L’objet de ce tableau, qui a été fourni au départ au Tribunal et aux parties le 5 mars 2014, avant le début de la présentation des arguments du procureur général, était de veiller à ce que ces documents soient présentés conformément au point c. de la décision abrégée du Tribunal du 6 janvier 2014, dont le texte est le suivant :

c. Au sens du paragraphe 9(4) des Règles de procédure, un document n’a pas été pleinement « présenté » à l’audience tant qu’un avocat ou un témoin de la partie qui le présente n’a pas précisé :

i. sur quelles parties du document on se fonde;

ii. quel est le lien entre ces parties du document et une des questions en litige.

[16]           À la suite d’autres documents communiqués par le procureur général et de la clôture de la preuve de l’intimé, le 9 juillet 2014, la Commission et les plaignantes ont transmis au Tribunal et aux parties une version mise à jour du tableau, assortie d’une lettre indiquant qu’à leur avis :

[traduction

 

(i)                 les documents en « gris » dans le tableau peuvent être retirés des cahiers de preuve documentaire de la Commission HR-01 à HR-15, conformément au paragraphe 9(4) des Règles de procédure du Tribunal;

(ii)               les autres documents ont été présentés en bonne et due forme.

[17]           La Commission n’a reçu aucune réponse du procureur général, et aucune préoccupation n’a été soulevée à propos de l’admissibilité et de la présentation en bonne et due forme des documents énumérés dans le tableau. Le procureur général soulève maintenant des doutes au sujet de l’admissibilité des documents [traduction] « invoqués par les avocats » pour la Commission, la Société de soutien et l’APN et auxquels les avocats n’ont pas fait référence de vive voix au cours de l’audience.

[18]           De l’avis de la Commission, les documents figurant dans le tableau de cette dernière et des plaignantes comme étant ceux qui ont été [traduction] « invoqués par les avocats » devraient faire partie du dossier présenté au Tribunal, peu importe qu’on y ait fait explicitement référence ou non à l’audition, et ce, pour les motifs suivants. Premièrement, le procureur général a été avisé largement à l’avance de l’intention qu’avaient la Commission et les plaignantes de se fonder sur ces documents, et il n’a donc subi aucun préjudice.

[19]           Deuxièmement, de l’avis de la Commission, l’inclusion de ces documents est conforme à la lettre et à l’esprit de la décision sur requête du Tribunal (2014 TCDP 2). Elle soutient que, pour tous ces motifs, la totalité des documents énumérés à l’annexe B devrait faire partie du dossier présenté au Tribunal.

[20]           Le même jour, la Société de soutien et l’APN ont écrit aux parties et au Tribunal pour faire part de leur appui envers la position de la Commission selon laquelle la totalité des documents énumérés à l’annexe B devrait faire partie du dossier présenté au Tribunal.

[21]           La Société de soutien a fait remarquer que le Tribunal, dans sa décision sur requête de janvier 2014 (2014 TCDP 2), autorisait une partie à faire référence à un document pour la première fois dans ses observations finales, ce qui aurait donné aux autres parties aussi peu qu’un jour pour préparer une réponse en vue d’utiliser le document. Étant donné qu’une telle utilisation d’un document a été envisagée par le Tribunal dans sa décision sur requête de janvier 2014, il ne devrait y avoir aucune objection à ce que la Société de soutien ait fait référence à des documents dans sa réponse, que l’intimé a reçue deux semaines avant de conclure sa plaidoirie, ou dans ses observations écrites, que l’intimé a reçues deux mois avant de conclure sa plaidoirie.

[22]           L’intimé a également répondu le même jour à la lettre des parties et a demandé des éclaircissements sur la décision sur requête de janvier 2014 du Tribunal, plus précisément en ce qui concerne le paragraphe 75 (reproduit plus tôt), car il y avait chez les parties une certaine incertitude et un manque de consensus à propos de son sens. L’intimé a demandé que le Tribunal rende une décision afin qu’il décide si les documents présentés par les avocats lors de la « plaidoirie », comme il est mentionné au paragraphe 75, n’incluent que ceux sur lesquels les parties se fondent dans leurs observations écrites.

[23]           La présente décision sur requête vise à fournir ces éclaircissements.

II.                L’analyse

[24]           La décision sur requête de la formation doit être lue dans son intégralité, et il est donc important d’éviter d’isoler des paragraphes distincts du reste de la décision si l’on veut bien saisir le contexte et les motifs rendus.

[25]           Par souci de commodité, les paragraphes dans lesquels figurent les motifs de la décision sur requête du 16 janvier 2014 du Tribunal sont reproduits ci-dessous :

[67]      Dans ces dispositions, le Parlement a explicitement prévu des limites à la capacité du Tribunal d’admettre des éléments de preuve et de contraindre des témoins. Sous réserve de ces limites, l’alinéa 50(3)c) autorise le Tribunal à « recevoir […] des éléments de preuve ou des renseignements », compétence qui n’est limitée que par l’obligation fondamentale qu’a le Tribunal de garantir l’équité procédurale telle que la prévoient les paragraphes 48.9(1) et 50(1) de la Loi ainsi que par la pertinence des éléments de preuve : voir Dhanjal c. Air Canada, [1996] D.C.D.P. no 4, aux paragraphes 21 et 22; Warman c. Kouba, 2006 TCDP 50, au paragraphe 124 (Warman).

[68]      En tant que produit de la loi, le Tribunal tire ses pouvoirs exclusivement de sa loi habilitante. Dans le contexte de la présente requête, la jurisprudence a reconnu que le grand pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 50(3)c) permettait au Tribunal de recevoir et d’accepter des éléments de preuve par ouï‑dire : voir Canada (Procureur général) c. Mills (C.A.F.), [1984] A.C.F. no 917. Les observations que les parties ont formulées relativement à l’approche fondée sur les principes de la fiabilité et de la nécessité ainsi que les exceptions à la règle du ouï‑dire qui existe en common law ne sont que peu de secours à cet égard.

[69]      Le Tribunal souscrit à l’opinion de la Société de soutien et de la Commission selon laquelle il serait onéreux et inutile d’exiger que les auteurs des documents en cause soient cités à comparaître à la seule fin d’authentifier ces documents. Les parties conviennent qu’il ne s’agit pas d’une étape nécessaire à la CTGI du 19 février 2013, avant le début de l’audience. Jusqu’à présent, en l’espèce, le Tribunal a adopté la pratique consistant à admettre les éléments de preuve pertinents, qu’il s’agisse ou non de ouï‑dire, au cas par cas, au fur et à mesure que les parties les présentaient en preuve, et d’examiner toute question relative à leur fiabilité à l’étape de l’évaluation. Cela permet au Tribunal de définir clairement le dossier qui constituera le fondement de sa décision finale. Le Tribunal a informé les parties qu’il s’agissait de l’approche qu’il entendait suivre dans la décision qu’il rendrait oralement le 26 février 2013. Cette approche se fonde également sur la jurisprudence : voir Canada (Procureur général) c. Brooks, 2006 CF 1244, aux paragraphes 36 à 38; Warman, précitée, au paragraphe 124. Contrairement aux observations des plaignantes et de la Commission, le Tribunal n’est pas d’avis que les décisions qui ont été rendues dans AultPIPS et Éthier militent en faveur de l’admission de documents d’une manière générale. Le Tribunal ne voit aucune raison de déroger maintenant à sa pratique et d’admettre en une seule fois [traduction] « tout document contenu dans les classeurs HR 1 à 13 ayant été obtenu de l’intimé conformément aux dispositions de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ou tout document communiqué dans le contexte de la présente procédure », comme la Société de soutien l’a demandé dans sa requête.

[70]      La requête en question va même plus loin, et, ainsi, la Société de soutien a insisté sur l’importance pour le Tribunal de saisir la présente occasion pour éclaircir davantage ses règles de procédure en matière de présentation de la preuve. Dans sa requête, en plus de demander que les documents soient reçus en preuve dans leur ensemble, la Société de soutien demande que tout document soit [traduction] « recevable en preuve pour faire preuve de son contenu, indépendamment de la question de savoir si […] le document en cause est soumis à un témoin. » À cet égard, la Société de soutien demande qu’il soit fait exception au paragraphe 9(4) des Règles de procédure. Au titre du paragraphe 9(4), la pratique habituelle du Tribunal consiste, au terme de l’audience, à retirer du cahier de preuve documentaire tout document auquel les parties n’ont pas fait référence au cours de la procédure. La Commission a confirmé sa compréhension de cette règle et de ses conditions d’application à la CTGI du 19 février 2013, et le Tribunal a informé toutes les parties de la teneur de cette procédure dans le résumé de cette CTGI.

[71]      Si le Tribunal accueillait la requête, cela voudrait dire que les documents auxquels aucun témoin n’a jamais fait référence au cours de l’audience seraient reçus en preuve et feraient partie du dossier. La Société de soutien ne dit pas que, à la place, elle fera référence à ces documents dans son argumentation finale, et ce, bien que son avocat ait déclaré dans sa plaidoirie orale que c’est ce que sa cliente avait l’intention de faire autant que possible. Il s’ensuit qu’il est concevable que des documents dont il n’a été nullement question à quelque moment de l’audience que ce soit puissent faire partie de la preuve sur laquelle le Tribunal est censé se fonder pour rendre sa décision finale. [Non souligné dans l’original.]

[72]            Cette demande soulève un certain nombre de questions. Les plaignantes ont déjà présenté en preuve plusieurs centaines de documents et elles ont récemment confirmé qu’elles souhaitaient se réserver le droit de présenter un nombre inconnu de documents additionnels au fur et à mesure qu’elles finiront de prendre connaissance des documents ayant fait l’objet de la communication de l’intimé. Le fait d’accueillir cette demande forcerait le Tribunal à examiner et même à interpréter des documents potentiellement longs et même techniques sans pour cela disposer de témoignages oraux ou de plaidoiries. Bien que le Tribunal reconnaisse que le nombre d’éléments de preuve que les plaignantes ont présentés est significativement moins élevé que les centaines de milliers de documents, au bas mot, qui faisaient l’objet de la communication et que les parties devaient examiner, cela ne décharge pas les plaignantes du fardeau consistant à faire valoir leurs prétentions. [Non souligné dans l’original.]

[73]      En outre, le fait de procéder de cette manière soulève également une grave question d’équité pour l’intimé. Tant dans la décision abrégée que dans la décision de clarification, le Tribunal a déclaré qu’il était nécessaire que les parties soient au fait des arguments qu’elles doivent réfuter. [Non souligné dans l’original.] En admettant des documents sans demander aux plaignantes de préciser en quoi ils étaient pertinents dans le contexte de la présente procédure et en quoi ils étayaient leur position, le Tribunal pourrait placer l’intimé dans une position où il serait incapable de répondre de manière adéquate ou de réfuter ces éléments de preuve.

[74]      Compte tenu de cela, comme il l’a déclaré dans sa décision abrégée, le Tribunal rejette la demande d’exception au paragraphe 9(4), et, à la fin de l’audience, il retirera du dossier tous les documents qui ne lui ont pas été présentés en bonne et due forme et qu’il n’a pas acceptés, ce qui aurait ainsi permis que ces documents soient reçus en preuve. [Non souligné dans l’original.] Le Tribunal a donné des précisions sur les étapes qu’il était nécessaire de respecter pour assurer la présentation de documents au point c. de sa décision abrégée. Ainsi, le Tribunal a assoupli l’application du paragraphe 9(4). Ce point est ainsi libellé :

c. Au sens du paragraphe 9(4) des Règles de procédure, un document n’a pas été pleinement « présenté » à l’audience tant qu’un avocat ou un témoin de la partie qui le présente n’a pas précisé :

i. sur quelles parties du document on se fonde;

ii. quel est le lien entre ces parties du document et une des questions en litige.

[Non souligné dans l’original.]

[75]      Les personnes qui ont témoigné antérieurement, en ce sens qu’elles ont témoigné au sujet de parties de documents présentés en preuve ainsi que de la pertinence de ces parties de documents à l’égard des questions en litige en l’espèce, l’ont fait conformément à ce point de la décision abrégée du Tribunal. Les documents qui seront retirés du dossier à la fin de l’audience sont tous les documents qui n’ont fait l’objet d’aucun renvoi, que ce soit par un témoin au cours de sa déposition ou par un avocat au cours de sa plaidoirie. Pour rendre sa décision finale, le Tribunal se fondera sur les parties des documents présentés en preuve auxquels il aura été ainsi fait référence.

[76]      Les avocats de la Commission et de la Société de soutien ont fait savoir qu’ils avaient l’intention, à l’occasion de leurs observations finales, d’attirer l’attention du Tribunal sur certaines parties des documents qui ont été produits en preuve en l’espèce et qui sont selon eux pertinents dans le contexte de la présente procédure. Dans la mesure où ils procèdent ainsi à l’égard de parties de documents qui n’ont pas été discuté, il s’agit d’une prise de distance par rapport à la pratique normale et à la procédure habituelle du Tribunal à l’égard de la présentation d’éléments de preuve. Bien que, compte tenu de la souplesse de ses Règles de procédure, le Tribunal a accueilli cette demande, cette prise de distance par rapport à la pratique normale exige du Tribunal qu’il garantisse le respect des principes de justice naturelle. [Non souligné dans l’original.]

[77]      Les parties sont libres de définir la stratégie qui sous-tend l’exposé de leurs prétentions, toutefois, les règles relatives à l’équité exigent que les parties doivent également être au courant des arguments qu’elles doivent réfuter et qu’elles puissent se préparer à répondre de manière appropriée. Dans le cas où les plaignantes ou tout autre partie souhaiteraient, au cours de leur argumentation finale, produire des éléments de preuve qu’elles n’ont pas présentés à l’étape de la production de la preuve, le Tribunal a institué une disposition curative qu’il est possible d’invoquer afin de réparer toute injustice subie par la partie adverse. Cette mesure est prévue au point d. de la décision abrégée, qui est ainsi libellé :

[traduction]

 

d. Si une partie souhaite se fonder sur des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés conformément à la procédure décrite ci‑dessus à l’étape de l’argumentation finale (que ce soit avant que la présente ordonnance ait été rendue ou après), le Tribunal pourra prendre les mesures curatives qui s’imposent, et, notamment, il lui sera possible d’accorder à la partie adverse du temps additionnel en vue de préparer de manière adéquate une réponse, notamment en citant d’autres témoins à comparaître et en produisant des éléments de preuve documentaire additionnels, conformément au principe de l’équité procédurale. À la suite de cela, il se pourrait que l’audience soit ajournée. [Non souligné dans l’original.]

[78]      Les plaignantes et la Commission n’ont pas encore clos leur preuve et pourraient encore décider de citer à comparaître des témoins additionnels. Les plaignantes, s’exprimant au nom de la Commission, ont également fait part de leur intention de fournir au Tribunal et à l’intimé un tableau dans lequel elles préciseront quelles sont les parties des documents en cause sur lesquelles elles comptent fonder leur argumentation finale. Elles ont déclaré qu’elles produiraient ce tableau avant que l’intimé commence à faire valoir sa cause afin de permettre à celui‑ci de répondre de manière appropriée. Pour autant que l’intimé reçoive ce tableau avant de commencer à faire valoir sa cause, il pourrait lui être utile aux fins de la présentation de ses arguments et éviter qu’il soit nécessaire de faire appel aux mesures curatives prévues au point d. de la décision abrégée. Cela dépendra bien évidemment des renseignements effectivement contenus dans le tableau en question en ce qui concerne la description des parties des documents sur lesquelles les plaignantes comptent s’appuyer ainsi que du temps dont l’intimé disposera pour examiner les documents en cause avant de devoir présenter ses arguments. [Non souligné dans l’original.]

[26]           Comme il est souligné dans les paragraphes qui précèdent, la décision sur requête avait pour but de veiller à ce que la partie adverse connaisse les arguments qu’elle devait réfuter et éviter de laisser à la formation le soin d’interpréter des éléments de preuve et des informations techniques sans pouvoir entendre une explication concernant la pertinence d’un document particulier par l’entremise d’un témoin ou d’un avocat. Les plaignantes et la Commission ont fourni à l’intimé un tableau présentant en détail les parties des documents sur lesquelles elles se fonderaient, avant que l’intimé présente ses arguments. Vu la nature continue de la communication, elles ont également modifié leur tableau à mesure que de nouveaux éléments étaient communiqués.

[27]           L’intimé a donc été avisé de la situation un mois avant l’audience de présentation des observations finales. Cependant, ce n’est qu’après cette dernière – le 1er décembre 2014 – que l’intimé s’est opposé à ce que l’on présente en preuve des documents auxquels les avocats n’avaient fait référence que dans leurs observations écrites finales. L’intimé a décidé d’attendre plutôt que de faire part de son objection à l’audience de présentation des observations orales finales.

[28]           La seule exception est l’onglet 66. La Société de soutien a inclus ce document dans les cahiers de preuve étayant son argumentation, mais elle n’a pas fait expressément mention à des parties de ce document lors des observations orales. L’intimé a toutefois fait état du document dans ses observations finales, contestant sa crédibilité et son importance. En agissant de la sorte, l’intimé a permis à la Société de soutien de réfuter les affirmations qu’il avait faites dans sa réponse et, ainsi, de se fonder sur le document qu’elle avait reproduit à l’onglet 66. La réponse de la Société de soutien a été communiquée à l’intimé deux semaines avant l’audition des observations orales finales, ce qui a laissé à l’intimé assez de temps pour répondre. Pour ces raisons, la formation est d’avis qu’il y a lieu de considérer que l’onglet 66 fait partie du dossier de preuve soumis au Tribunal. Pour ce qui est de l’onglet 477, auquel il est également fait référence dans la réponse de la Société de soutien, la formation signale que ce document a lui aussi été évoqué dans les observations écrites de la Commission. Elle ne considère donc pas que ce document est visé par l’exception susmentionnée.

[29]           Nous devons aussi garder à l’esprit les circonstances spéciales et les antécédents de communication qui, dans la présente affaire, ont amené à prendre ces mesures précises. À la date de la décision sur requête, soit le 16 janvier 2014, la formation n’était pas tout à fait au courant que la communication de documents se poursuivrait après l’audience, jusqu’en août 2014, date à laquelle les plaignantes et la Commission devaient avoir présenté leurs observations écrites finales.

III.             L’ordonnance

[30]           Pour respecter l’esprit de la décision sur requête tout entière, par souci d’équité envers toutes les parties et eu égard aux circonstances spéciales qui ont été créées lorsque les parties ont reçu des documents après la clôture de leur argumentation, la formation ordonne ce qui suit :

Les documents énumérés à l’annexe B de la lettre de la Commission datée du 1er décembre 2014 (y compris ceux auxquels il n’a été fait référence que dans les observations écrites finales – qui ont été adoptées oralement – et qui figurent à la page 9) seront considérés comme faisant partie du dossier de preuve. L’intimé aura la possibilité de répondre aux documents des plaignantes qui sont énumérés à l’annexe B ainsi qu’aux observations à l’appui, à l’exception de l’onglet 66. S’il décide de profiter de cette possibilité, l’intimé devra aviser les parties et le Tribunal de son intention et de la forme que revêtira sa réponse avant le 21 janvier 2015 au plus tard, à la suite de quoi l’intimé aura jusqu’au 4 février 2015 pour présenter sa réponse.

La formation continue de se réserver le droit de demander des éclaircissements aux parties sur toute question ou tout document pendant qu’elle examine la preuve.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

Réjean Bélanger

Membre instructeur

Edward P. Lustig

Membre instructeur

Ottawa (Ontario)

Le 14 janvier 2015

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