Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Évelyne Malec, Sylvie Malec, Marcelline Kaltush, Monique Ishpatao,

Anne B. Tettaut, Anna Malec, Germaine Méténapéo, Estelle Kaltush

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Conseil des Montagnais de Natashquan

l'intimé

Décision

Numéro du dossier : T1318/4808

Membre : Robert Malo

Date : Le 9 décembre 2014

Référence : 2014 TCDP 33



I.                   Contexte

[1]               Dans une plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) datée du 21 avril 2007, les plaignantes prétendent avoir été victimes de discrimination à cause de leur race. La Commission a référé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) le 19 août 2008.

[2]               Dans leur plainte, les plaignantes indiquent qu’elles sont enseignantes à la réserve de Natashquan et qu’elles considèrent qu’elles n’ont pas les mêmes avantages que certains professeurs non autochtones qui y travaillent.

[3]               Elles indiquent également dans leur plainte que dans leur travail, certaines personnes auraient un meilleur salaire à cause du fait qu’elles sont non autochtones et, pourtant, les plaignantes effectuent le même travail que ces dernières.

[4]               Elles argumentent que cette situation existe en raison du fait que le Conseil de bande des Montagnais (l’intimé aux présentes) serait composé d’hommes « grassement payés et quand ils manquent d’argent pour se payer, il est habituel pour eux de se servir en éducation » (voir la plainte des plaignantes page 1).

[5]               De façon précise, la plaignante reproche à l’intimé de les traiter de façon différentielle en ce qui a trait aux professeurs non autochtones qui ont été recrutés par l’intimé, et cela, par l’octroi de certaines primes d’éloignement, de sorties annuelles, ainsi que d’allocation au logement.

[6]               Pour sa part, l’intimé répond aux arguments des plaignantes en indiquant que les montants d’allocation mentionnés ci-dessus sont fournis en référence à la notion de résidence et non pas en fonction du critère de la race.

[7]               Conséquemment, l’intimé allègue qu’il n’y a pas de preuve prima facie qui aurait été démontrée par les plaignantes eu égard à leur plainte et, en conséquence, l’intimé en demande le rejet.

[8]               De plus, même si le Tribunal devait faire droit à la plainte en fonction des critères établis par la jurisprudence, l’intimé allègue qu’il ferait face à une contrainte excessive tenant compte de sa situation largement déficitaire pour les années en référence. Par conséquent, la plainte des plaignantes ne saurait être retenue également pour ce motif.

[9]               Pour les motifs que j’exprimerai dans la présente décision, il est de mon intention de ne pas faire droit à la plainte des plaignantes.

II.                Les faits

A.                Preuve des plaignantes

Rodrigue Wapistan

[10]           À titre de premier témoin, les plaignantes ont fait entendre monsieur Rodrigue Wapistan, chef de la communauté autochtone de Natashquan depuis l’année 2002.

[11]           Monsieur Wapistan nous indique également qu’il a été Directeur général de la communauté, et cela, jusqu’à l’année 2004.

[12]           Monsieur Wapistan informe le Tribunal que la communauté dénombre 1100 membres à l’intérieur de la réserve et près de 300 membres vivant à l’extérieur des limites de la même réserve.

[13]           Dans son témoignage, monsieur Wapistan confirme au Tribunal que la communauté autochtone de Natashquan reçoit des subventions du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministère des Affaires indiennes) et que la situation financière de la communauté est précaire. À cet égard, il confirme qu’un cogestionnaire a dû être nommé afin d’aider le Conseil des Montagnais de Natashquan à mieux administrer les déficits qu’il encourait.

[14]           Également, il confirme au Tribunal les piètres conditions de logements, lesquelles sont lamentables dans la communauté. Il indique qu’il y a surpeuplement eu égard au nombre de logements disponibles, ce qui engendre des problèmes sociaux au niveau des familles et de la jeunesse de la communauté. Il confirme que trois à quatre familles peuvent vivre sous le même toit.

[15]           Durant son mandat de Directeur général, soit entre les années 2002 et 2004, le dossier des plaignantes, en ce qui a trait aux problèmes des primes de logement, lui a alors été confié. C’est à ce moment que le Conseil des Montagnais de Natashquan a alors décidé de transférer le dossier à leur avocat.

Évelyne Malec

[16]           À titre de deuxième témoin, la plaignante, madame Évelyne Malec, est venue apporter son témoignage au Tribunal.

[17]           Dans un premier temps, elle a indiqué au Tribunal qu’elle est enseignante à l’école Uauitshitun, laquelle école est située dans la communauté innue de Natashquan (pour de plus amples références, voir  le document intitulé « Nutashquan et le Plan Nord » daté de mars 2012 à la pièce P-1, onglet 1).

[18]           Madame Malec détient un baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire ainsi que les attestations suivantes :

-                      Brevet d’enseignement ;

-                      Diplôme d’études supérieures sur mesure en intervention psychosociale en milieu éducatif ;

-                      Certificat en étude autochtone ;

-                      Certificat en enseignement en milieu amérindien ;

-                      Diplôme d’études collégiales.

(Voir la pièce P-1, onglet 4)

[19]           Madame Malec habite dans un endroit situé à Natashquan connu et désigné comme étant la Pointe-Parent, soit une petite communauté de 50 personnes. Elle n’habite pas directement dans la communauté de Natashquan puisqu’elle est mariée à un non-autochtone, monsieur Richard Boies, et aussi parce qu’il n’y a pas beaucoup de logements à l’intérieur de la communauté.

[20]           Madame Malec enseigne à l’école Uauitshitun depuis 2001 et, avant  2001, elle avait travaillé à la Commission scolaire de la Moyenne-Côte-Nord où elle aurait obtenu toutes les primes d’éloignement et de rétention requises.

[21]           Madame Malec a témoigné du fait qu’elle a dûment déposé une plainte auprès de la Commission étant donné que les enseignants non autochtones étaient avantagés par rapport à elle, et qu’à cet égard elle se sentait dévalorisée.

[22]           Dans son témoignage, elle a révisé la politique des ressources humaines en ce qui a trait au personnel de l’école Uauitshitun, car elle a fait l’objet d’une entente intervenue entre le Conseil des Montagnais de Natashquan et le personnel de l’école Uauitshitun de Natashquan en juin 2005 (voir la pièce P-1, onglet 6, à la page 314). Dans cette politique des ressources humaines, la plaignante a fait référence au paragraphe 10.7 qui a trait aux primes d’éloignement accordées au personnel enseignant et au personnel professionnel non résident, de même qu’au paragraphe 10.8 qui concerne les allocations pour sorties annuelles accordées aux employés non résidents. Elle fait également référence au paragraphe 10.9 en ce qui a trait aux allocations pour le déménagement des employés non résidents, ainsi qu’au paragraphe 10.10 qui a trait aux allocations de logement pour employés non résidents. Dans tous ces cas, la plaignante indique qu’elle n’a eu aucune des sommes qui sont mentionnées.

[23]           De la même façon, la plaignante a fait référence, dans son témoignage, à l’entente intervenue entre le Conseil des Montagnais de Natashquan et le personnel de l’école Uauitshitun de Natashquan (voir la pièce P-1, onglet 7), entente qui fut signée au mois de mai 2005 par tous les enseignants, dont la plaignante.

[24]           Encore une fois, la plaignante indique qu’elle n’a pas reçu les primes d’éloignement qui apparaissent dans ledit document.

[25]           Madame Malec a également fait référence à l’année 2003-2004 lorsqu’elle a été congédiée par le Conseil de bande de Natashquan, et porta plainte en vertu du Code canadien du travail pour congédiement injuste. Cette plainte a fait l’objet d’une décision arbitrale en date du 27 juillet 2004 (voir la pièce I-1, onglet 57).

[26]           Dans cette décision arbitrale, l’arbitre conclut que l’année scolaire 2002-2003 s’était déroulée dans un contexte  politique et financier difficile, alors que l’intimé faisait face à des contraintes budgétaires.

[27]           La plaignante a eu gain de cause dans cette décision arbitrale et a obtenu une ordonnance de réembauchement avec le remboursement de certains revenus d’emploi.

[28]           Suite à cette ordonnance, les parties signèrent une quittance le 19 août 2004 dans laquelle on retrouve plusieurs modalités de remboursement ainsi que de réintégration de la plaignante dans un poste d’enseignant à l’école Uauitshitun (voir la pièce P-1, onglet11). La plaignante indique que ce document fut signé par monsieur Antoine Ishpatao ainsi que monsieur Gilles Auclair, cogestionnaire pour la firme BDL, en charge du redressement de la situation financière de l’intimé à ce moment.

[29]           Aussi, en ce qui a trait à la somme de 20 000 $, la plaignante soutient qu’elle n’aurait pas eu le 1 000 $ par mois, tel que prévu dans la quittance, pendant une certaine période de temps et qu’elle a dû intenter une poursuite à la Cour du Québec contre l’intimé afin d’obtenir ces sommes (voir  la pièce P-1, onglet 12).

[30]           À la fin de son interrogatoire, la plaignante indique qu’elle veut être reconnue comme une professionnelle qui travaille en région éloignée de la même façon que tous les enseignants non autochtones.

[31]           Ainsi, elle veut obtenir le paiement des primes d’éloignement depuis l’année 2001, à l’exception de l’année 2003-2004,  jusqu’à aujourd’hui.

[32]           Elle réclame également des dommages moraux pour perte d’estime de soi, considérant qu’elle ne s’est pas sentie considérée par l’intimé.

B.                 Contre-interrogatoire de la plaignante principale

[33]           En contre-interrogatoire, la plaignante, madame Évelyne Malec, a fait référence au fait qu’elle était mariée à monsieur Richard Boies depuis 22 ans. Monsieur Boies est également un enseignant à l’école Uauitshitun.

[34]           Au moment de son embauche, monsieur Boies demeurait à Lévis (Québec). Madame Malec a indiqué dans son témoignage que monsieur Boies reçoit des primes d’éloignement et de logement depuis l’année 2001. C’est d’ailleurs en 2001, après avoir posé des questions à monsieur Boies, que la plaignante réalisa que ce dernier recevait effectivement ces primes. Elle s’informa alors auprès des membres du corps professoral non autochtones de l’école Uauitshitun et constata qu’ils avaient aussi droit aux primes puisqu’ils résidaient en région éloignée.

[35]           La sœur de la plaignante, Anna Malec, lui aurait aussi dit que dans le temps de « la belle époque », soit pour les années 1970-1980, il y avait des primes d’éloignement pour les enseignants autochtones. Cette situation prévalait avant la prise en charge du secteur de l’éducation par la communauté autochtone, c’est-à-dire par le Conseil de bande.

[36]           Ne comprenant pas pourquoi elle ne pouvait pas obtenir le paiement des deux primes, soit d’éloignement et de logement, la plaignante décida de porter plainte auprès de la Commission.

[37]           Il vaut la peine de souligner qu’au cours de son contre-interrogatoire, la plaignante a admis qu’il manquait du personnel à l’école Uauitshitun. Elle a également précisé qu’au moment de son embauche, elle demeurait à un ou deux kilomètres de la communauté innue de Natashquan, soit à Pointe-Parent, près de Natashquan.

Les autres plaignantes

[38]           À la suite de la plainte déposée par la plaignante Évelyne Malec en date du 21 avril 2007, cette plainte a également été signée par d’autres plaignantes, soit mesdames Sylvie Malec, Anne Bellefleur Tettaut, Estelle Kaltush, Marceline Kaltush, Anna Malec, Monique Ishpatao et Germaine Méténapéo. Il est à noter que madame Méténapéo n’a pas témoigné à l’audience.

[39]           Chacune des plaignantes qui a témoigné devant le Tribunal a fait état de sa situation particulière eu égard à sa scolarité ainsi qu’à ses années de service auprès de l’intimé.

[40]           De ces témoignages, je retiens que chacune d’entre elles n’a jamais reçu de prime d’éloignement ou d’allocation de logement. Toutes ces personnes me confirment vouloir obtenir le paiement desdites primes d’éloignement ainsi que des allocations de logement, et cela, avec des dommages moraux considérant l’effet de la distinction illicite dont elles auraient été victimes.

[41]           De leurs témoignages, je retiens également que les primes en cause ont été versées au personnel enseignant non autochtone qui venait de l’extérieur, mais non aux membres du corps professoral qui vivaient dans la communauté autochtone de Natashquan.

[42]           Ainsi, je me permets de résumer les témoignages des autres plaignantes en me limitant aux principales caractéristiques les concernant.

Sylvie Malec

[43]           Madame Sylvie Malec détient les attestations scolaires suivantes :

-                      Enseignante à l’école Uauitshitun de Natashquan en langue innue depuis 2002 ;

-                      Un secondaire V ainsi qu’un DEC ;

-                      Un deuxième certificat en langue autochtone.

(Voir la pièce P-1, onglet 4)

[44]           Il est à noter que madame Sylvie Malec a des enfants à charge.

Anne Bellefleur Tettaut

[45]           Madame Anne Bellefleur Tettaut travaillait comme enseignante en langue innue et est retraitée depuis 2007. Elle est originaire de la réserve de Natashquan et détient les attestations scolaires suivantes :

-                      Un certificat en science de l’éducation ainsi qu’un permis d’enseignement.

(Voir la pièce P-1, onglet 4)

[46]           Elle a également eu trois enfants à charge, de même que deux autres enfants qui lui furent confiés.

Estelle Kaltush

[47]           Madame Estelle Kaltush a occupé le poste de directrice de l’école Uauitshitun pour les années 2012-2013 et 2013-2014. Antérieurement, elle était enseignante et assistante directrice et a occupé le poste d’aide-enseignante au début de l’année 1985. Madame Kaltush détient les attestations scolaires suivantes :

-                      Un baccalauréat en éducation ainsi qu’un certificat en science de l’éducation, de même qu’un brevet d’enseignement.

 (Voir la pièce P-1, onglet 4)

[48]           Avant la prise en charge par le Conseil de bande du secteur de l’éducation en 1989-1990, Madame Kaltush se trouvait sous la juridiction du ministère des Affaires indiennes qui lui aurait payé des primes d’éloignement. Après l’année 1990, elle n’a plus eu de primes d’éloignement ni de logement. Elle a toujours habité dans la communauté autochtone de Natashquan.

[49]           Dans les années pendant lesquelles elle a été enseignante, elle avait deux enfants à charge.

[50]           Madame Kaltush fut interrogée en ce qui a trait à un document daté du 21 février 2007 adressé à monsieur Boies, le conjoint de la plaignante, Évelyne Malec (voir la pièce P-1, onglet19).

[51]           Madame Kaltush a témoigné ne pas avoir participé à l’analyse faite par le Conseil de bande qui était à l’origine de ce document.

[52]           Aujourd’hui, en tant que directrice de l’école, madame Kaltush est responsable de l’administration des primes. Elle a confirmé au Tribunal qu’il faut résider à l’extérieur d’un rayon de 50 kilomètres des limites de la réserve afin de pouvoir obtenir le paiement des primes d’éloignement et de logement.

[53]           Elle a également confirmé au Tribunal qu’elle participait au recrutement des professeurs et qu’il n’était pas facile de recruter de nouveaux professeurs tenant compte des ressources disponibles au sein de la communauté autochtone, ainsi que des difficultés de compréhension de la langue innue.

Marcelline Kaltush

[54]           Madame Marcelline Kaltush est enseignante à l’école Uauitshitun depuis 28 ans et vit dans la communauté innue de Natashquan, c’est-à-dire dans la réserve.

[55]           Madame Kaltush détient les attestations scolaires suivantes :

-                      Un certificat en science de l’éducation ;

-                      Un brevet d’enseignement ;

-                      Un permis d’enseignement ;

-                      Un baccalauréat en éducation.

(Voir la pièce P-1, onglet 4)

[56]           Elle confirme également au Tribunal qu’elle a eu des enfants à charge, et cela, depuis les années 1990.

Anna Malec

[57]           Madame Anna Malec est enseignante au niveau préscolaire dans l’école faisant partie de la réserve indienne de Natashquan. Elle enseigne depuis près de 40 ans.

[58]           Elle confirme au Tribunal qu’entre 1973 et 1990, elle a travaillé pour le ministère des Affaires indiennes et avait la responsabilité du secteur de l’éducation. Elle recevait à ce moment des primes d’éloignement.

[59]           En 1990, lors de la prise en charge du secteur de l’éducation par le Conseil de bande, les primes d’éloignement furent coupées. Elle confirme au Tribunal qu’elle a construit sa maison dans la réserve indienne de Natashquan.

[60]           Au niveau de sa scolarité, madame Malec détient les attestations scolaires suivantes :

-                      Un certificat en science de l’éducation ;

-                      Un permis d’enseignement ;

-                      Un brevet d’enseignement ;

-                      Un baccalauréat en éducation.

(Voir la pièce P-1, onglet 4)

[61]           Madame Malec a la charge de quatre enfants depuis l’année 1990.

Monique Ishpatao

[62]           Madame Monique Ishpatao est enseignante à l’école Uauitshitun sur la réserve dont elle est également originaire.

[63]           Madame Ishpatao détient les attestations scolaires suivantes :

-                      Un certificat en science de l’éducation ;

-                      Un permis d’enseignement ;

-                      Un brevet d’enseignement ;

-                      Un baccalauréat en éducation.

(Voir la pièce P-1, onglet 4)

[64]           Elle a un enfant à charge qui vit toujours avec elle.

[65]           Cet enfant aurait été adopté de façon traditionnelle, c’est-à-dire sans formalité légale.

[66]           À titre de dernier témoin, les plaignantes ont fait entendre monsieur Richard Boies, lequel est le conjoint de madame Évelyne Malec, la plaignante principale dans le présent dossier.

Richard Boies

[67]           Monsieur Richard Boies est enseignant à l’école Uauitshitun depuis son entrée à cette école, à l’automne 1990.

[68]           Il est marié à madame Évelyne Malec depuis environ dix ans, et est en couple avec madame Malec depuis 1992.

[69]           Il est originaire de Lévis.

[70]           Au moment de son embauche, il a été payé selon les normes et les conditions prévues dans son contrat d’emploi, en plus des primes d’éloignement et de logement, et cela, depuis 1990.

[71]           Sa résidence est située à Pointe-Parent, en territoire québécois. Elle est limitrophe  au territoire de la réserve de Natashquan.

[72]           Monsieur Boies a indiqué qu’il a eu, par le passé, des difficultés avec le Conseil de bande qui n’a pas voulu lui reconnaître le paiement de ses primes d’éloignement et de logement, tenant compte du fait qu’il vivait avec une autochtone, soit madame Malec. Il fait, à cet égard, référence à un contrat de travail (voir la pièce P-1, onglet 21) qui lui a été présenté pour l’année scolaire 2007-2008, mais qu’il refusa de signer car le contrat ne comportait pas les primes auxquelles il prétendait avoir droit.

[73]           Monsieur Boies contesta ce contrat en Cour, après quoi ces primes d’éloignement et de logement lui furent payées, et ce, jusqu’à présent, étant donné qu’il détient un contrat a durée indéterminée.

[74]           Par contre, selon l’administration actuelle des primes, monsieur Boies témoigna du fait qu’il allait perdre ces avantages puisqu’il est résident de la communauté autochtone et demeure à l’intérieur d’un rayon de 50 kilomètres de la réserve de Natashquan.

[75]           Considérant qu’il vit dans la même région que les plaignantes, qu’il fait le même travail que ces dernières, il considère que les plaignantes devraient avoir les mêmes avantages que les non résidents.

[76]           Monsieur Boies témoigna du fait que, selon les discussions qu’il a eues avec ses collègues de travail, il a toujours régné un état d’insatisfaction de la part des membres du personnel envers le Conseil de bande en ce qui a trait à l’allocation inéquitable des primes d’éloignement et de logement. Lorsqu’il confronta le Conseil de bande à cette insatisfaction, on lui aurait répondu qu’il n’y avait pas assez d’argent et qu’il était impossible de payer de telles primes à tout le monde.

[77]           Selon monsieur Boies, il existe des problèmes de recrutement au sein de la communauté autochtone de Natashquan et il reste encore des postes à combler. Il y aurait également des enseignants qui ne possèdent pas les qualifications nécessaires pour enseigner.

C.                Preuve de l’intimé

Jacques Tanguay

[78]           Monsieur Tanguay vit à Natashquan depuis 1996. Il possède un baccalauréat en enseignement secondaire, des qualifications en enseignement ainsi qu’en administration. Il a toujours été attitré à l’école Uauitshitun.

[79]           Monsieur Tanguay a témoigné du fait qu’il existe des disproportions au plan salarial entre les enseignants de l’école Roger-Martineau (qualifiée  « d’école blanche ») de Natashquan et l’école Uauitshitun.

[80]           Il a confirmé au Tribunal les difficultés de recrutement d’enseignants au sein de l’école innue en indiquant que plusieurs d’entre eux étaient allés travailler à l’école Roger-Martineau.

[81]           Il a indiqué au Tribunal qu’il existait un contrat global pour payer les enseignants et que ce contrat global faisait des distinctions entre les résidents et les non résidents. En ce sens, il existait des primes d’éloignement et de transport lors des sorties et ces primes ont souvent fait l’objet de discussions. Quant au mécontentement constaté des enseignants ne bénéficiant pas des primes, il a toujours référé au Conseil de bande qui prenant les décisions finales.

[82]           Dans son témoignage, monsieur Tanguay a confirmé qu’il existait des différences de traitement entre les résidents et les non résidents, mais non pas entre autochtones et non autochtones. Hormis les questions salariales, il n’y avait pas de différence entre les autochtones et les non autochtones.

André Leclerc

Monsieur Leclerc occupe un poste de consultant en éducation dans la municipalité de Schefferville, de même qu’au Conseil des Atikamekw.

[83]           Il a été enseignant, puis conseiller à Sept-Îles, et il a participé à une évaluation de l’école de Natashquan en 2006-2007 (voir la pièce I-35).

[84]           Il a toujours été très impliqué avec la communauté autochtone. En 1985-1986, il a fait une prise en charge administrative de l’école Uauitshitun dans le cadre d’une acquisition d’autonomie par les communautés autochtones et de la mise en œuvre du programme du ministère de l’Éducation.

[85]           Au regard de la pièce I-1, onglet 35, laquelle est le rapport d’évaluation de services éducatifs de l’école Uauitshitun à Natashquan, l’évaluation en question fut faite dans le cadre d’une reddition de comptes afin de savoir si les services étaient rendus correctement. Une analyse de la gestion de l’école apparaît à la page 48 de ce rapport. On y fait état d’un fort taux de roulement au niveau de la direction et du fort taux d’absentéisme chez les élèves, ainsi que du manque de normes et de règlements dont il existe une interprétation variée. Monsieur Leclerc confirme également que les dossiers du personnel sont mal gérés, ce qui explique la frustration exprimé par les enseignants.

[86]           Au mois de septembre 2007, la direction de l’école lui fut confiée.

[87]           De même, il confirme que la firme BDL avait été nommée comme séquestre de la réserve des autochtones de Natashquan.

[88]           Monsieur Leclerc fut interrogé au sujet d’un document intitulé « Politique de gestion des ressources humaines; Clauses spécifiques relatives au secteur de l’éducation », daté de novembre 2007 (voir la pièce P-1, onglet 24). En réponse à une question portant sur la clause 4.9 du document et la définition du mot « résident », monsieur Leclerc a indiqué que les primes d’éloignement et les allocations au logement existaient dans le but de recruter de nouveaux professeurs qui venaient de l’extérieur de la réserve autochtone. Il a indiqué que d’autres communautés autochtones avaient également adopté les mêmes politiques.

[89]           Il explique au Tribunal que la firme BDL gérait tout le programme alors que lui gérait le personnel au plan pédagogique avec madame Estelle Kaltush. Ainsi, il confirme également que la grille salariale des enseignants prévue à l’annexe « 1 » de la pièce P-1, onglet 24 a été préparée par la firme BDL et fut adoptée par le Conseil de bande de Natashquan.

[90]           Au mois de juin 2008, il a quitté ses fonctions de directeur d’école.

[91]           En contre-interrogatoire, en réponse à une question posée par le représentant des plaignantes, le témoin indique au Tribunal que dans la partie du rapport faisant état des tâches et conditions de travail (voir la page 17 du rapport à la pièce I-1, onglet 35), il n’y avait pas de distinction entre un enseignant autochtone et non autochtone.

[92]           Aussi, au niveau des constats et des recommandations apparaissant au chapitre 7.2 du même rapport, le témoin indique au Tribunal que le coup de barre n’a pas été réussi par lui, tenant compte d’un manque de collaboration et de la frustration généralisée au niveau du personnel de l’école. Il confirme que l’école Uauitshitun présente des lacunes importantes sur plusieurs aspects, et qu’à cet égard « les élèves de l’école ne reçoivent pas les services éducatifs auxquels ils ont droit » (voir le paragraphe 7.2, premier alinéa, à la page 47 de la pièce I-1, onglet 35). Devant les nombreux problèmes constatés à l’école Uauitshitun, il confirme qu’il existait des dérogations afin d’autoriser un enseignant à enseigner même s’il n’avait pas toutes les qualifications requises, et cela, justement à cause des problèmes de recrutement.

[93]           Il a confirmé qu’il existait un conflit intergénérationnel surtout au niveau secondaire d’où certaines difficultés qui ont engendré des problèmes de frustration, et cela, en tenant compte des coupures salariales appliquées. En cela, il a confirmé des problèmes interrelationnels entre la firme BDL et le personnel de l’école, de même que le Conseil de bande. Cette situation prévalait au mois de juin 2007.

[94]           En ce qui a trait aux frustrations existantes envers l’employeur, le témoin indique au tribunal qu’il a eu des conflits avec certains employés et que ces conflits persistaient en tenant compte que certains employés s’étaient opposés aux coupures salariales envisagées par le séquestre et le Conseil de bande.

Geneviève Taschereau-Néashit

[95]           Madame Geneviève Taschereau-Néashit est une retraitée du domaine de l’enseignement. Elle a toutefois enseigné dans des communautés autochtones pendant près de 40 ans.

[96]           Elle a épousé un autochtone en 1972 et qu’elle a donc acquis son statut d’autochtone par le fait même. Elle était divorcée depuis au moins une année au moment de son témoignage.

[97]           Durant les années 2005-2006 ainsi que 2006-2007, elle a travaillé à l’école Uauitshitun. Elle avait alors été contactée par madame Alice Kaltush puisqu’il y avait de la disponibilité pour un emploi d’enseignant.

[98]           Dans son témoignage elle a fait référence à la pièce I-1, onglet 20, laquelle est un formulaire de nouvel emploi qu’elle a complété auprès de son employeur, soit le Conseil des Montagnais de Natashquan.

[99]           Subséquemment, madame Taschereau-Néashit a été interrogée relativement à son contrat d’engagement à durée indéterminée, et ce, pour l’année 2006-2007 (voir la pièce I-1, onglet14).

[100]       Elle a alors confirmé au Tribunal son statut de non résidente auprès de la communauté autochtone de Natashquan, et qu’à cet égard elle avait droit aux primes d’éloignement, de logement ainsi que de sorties.

[101]       Interrogée quant à l’existence des primes d’éloignement, Madame Taschereau-Néashit a confirmé que la même politique existait dans d’autres communautés autochtones et qu’elle considérait, quant à elle, cette situation tout à fait normale.

Jules Wapistan

[102]       Monsieur Jules Wapistan est directeur des ressources humaines de l’intimé, et ce, depuis le mois d’août 2014. Il est au Conseil de bande depuis 1979 et a occupé différentes fonctions administratives au sein de la communauté autochtone.

[103]       Dans son témoignage, Monsieur Wapistan confirme au Tribunal qu’il existe un cogestionnaire avec le Conseil de bande, lequel cogestionnaire fut requis par le ministère des Affaires indiennes tenant compte de la solvabilité fragile de la communauté autochtone.

[104]       Il a indiqué que cette situation existait depuis 1995-1996 et qu’en 2006, un séquestre administrateur a été nommé. Cette nomination fut effectuée sur la base de ratios imposés par le ministère des Affaires indiennes qui indiquait que l’état de la santé financière de la communauté autochtone était précaire.

[105]       Ainsi, la firme BDL fut nommée séquestre de 2006 à 2009 et a fait plusieurs propositions concordataires à différents fournisseurs afin de diminuer leurs créances.

[106]       Il a également confirmé au Tribunal que le mandat du séquestre administrateur provenait du ministère des Affaires indiennes, qui gérait le budget de la communauté et avait le dernier mot sur les décisions de gestion à l’intérieur de celle-ci.

[107]       En 2009, un changement de cogestionnaire fut effectué à ce moment. La firme Malette fut alors désignée, cette dernière étant une firme comptable. Elle a continué le travail initié par la firme BDL qui avait établi des politiques de gestion dans le cadre d’une recherche d’équilibre de budget.

[108]       Aussi, Monsieur Wapistan attire l’attention du Tribunal sur la pièce I-1, onglet 32, dans laquelle on fait état d’un plan de redressement qui fut accepté par le ministère des Affaires indiennes, et cela, en date du 30 novembre 2006.

[109]       À la même date, il confirme qu’il était coordonnateur en ce qui a trait à la mise en œuvre du plan de redressement et il indique que ce plan fut mis en œuvre, faisant référence aux résolutions apparaissant dans les onglets 36 à 39 de la pièce I-1.

[110]       Devant la situation des coupures budgétaires qui devaient être imposées afin d’obtenir un équilibre budgétaire, la formule du 50 kilomètres fut donc mise en place en 2006, et cela, afin de déterminer qui était résident et non résident dans l’octroi des primes d’éloignement et d’habitation pour lesquelles les plaignantes ont porté plainte.

[111]       Cette politique aurait été suggérée par le séquestre administrateur BDL alors cogestionnaire avec l’intimé. Depuis sept ans, la même politique a toujours été appliquée. En ce qui a trait à la situation financière de l’intimé en date de l’audition des présentes, Monsieur Wapistan confirme au Tribunal que le dernier exercice financier en date du 31 mars 2014 est toujours déficitaire.

[112]       Entre le 31 mars 2007 et le 31 mars 2014, il n’y a eu que deux années pendant lesquelles des surplus ont été enregistrés.

[113]       Interrogé également quant à un autre document ayant trait à un rapport d’évaluation de l’école Uauitshitun, document daté du mois d’avril 2009 par un comité ad hoc (voir la pièce P-1, onglet 25), Monsieur Wapistan indique que certaines recommandations avaient été adoptées alors que d’autres n’ont pas pu l’être. À cet égard, l’application relevait du Conseil de bande et un conseiller fut nommé à cet effet, soit monsieur Nicolas Wapistan.

[114]       Plus particulièrement, la recommandation numéro 5 à la page 12 du document, en ce qui a trait à une harmonisation de la politique salariale pour le secteur de l’éducation avec celle des écoles provinciales de la région, et ce, sans discrimination sur la base de la race ou de la provenance, n’a pas pu être appliquée (voir la recommandation numéro 5).

[115]       Conséquemment, Monsieur Wapistan a indiqué au Tribunal qu’il avait entendu parler des plaintes en ce qui a trait aux primes lorsque la firme BDL et lui-même s’étaient présentés à l’école Uauitshitun en 2007. À ce moment, il y avait alors eu une rencontre entre les enseignants autochtones qui avaient alors demandé les mêmes avantages que les enseignants non-autochtones. À la fin de son interrogatoire en chef, Monsieur Wapistan a confirmé que des primes furent coupées à des enseignants, lesquels n’étaient plus considérés comme des non résidents.

[116]       Finalement, monsieur Wapistan a confirmé son accord en ce qui a trait à la pièce P-1, onglet 1, qui est un document intitulé « Nutasquan et le Plan Nord », lequel fait état de l’inventaire des besoins de la communauté de Natashquan. Ce document est daté du mois de mars 2012. À cet égard, il confirme le manque criant de logements dont on fait état.

[117]       Également, il s’est dit en accord avec la portion de ce document qui a trait à l’éducation (voir paragraphe 2.1 de la pièce P-1, onglet 1), et considère que la capacité de payer de la communauté est limitée. Conséquemment, il confirme la position de l’intimé « qu’on ne peut pas payer plus. »

III.             Résumé des argumentations des parties

A.                Argumentation des plaignantes

[118]       Le représentant des plaignantes soumet qu’il y a lieu de faire droit au paiement des primes d’éloignement et de logement, et ce, depuis les années 1989-1990 jusqu’à aujourd’hui, en faveur des plaignantes compte tenu de la discrimination apparaissant dans les règles et les politiques de l’intimé.

[119]       De même, il réclame des dommages moraux pour toutes les plaignantes considérant la perte d’estime de soi et de l’atteinte à leur dignité. Il réclame encore une fois que le Tribunal mette fin de la discrimination alléguée dans la plainte.

[120]       Pour ce qui est de madame Évelyne Malec, le représentant réclame en son nom, le plein dédommagement en ce qui a trait aux primes d’éloignement et de logement pour les années 1989-1990 jusqu’à aujourd’hui.

[121]       En ce qui a trait à l’existence des primes en tant que telles, le représentant indique au Tribunal qu’avant 1989, les primes étaient versées à tous, pour des autochtones comme pour les non autochtones, et cela, en un seul montant.

[122]       En 1989, lors de la prise en charge du secteur de l’éducation par le Conseil de bande, des changements sont alors survenus.

[123]       Entre 1989 et 2007, le représentant des plaignantes a indiqué qu’il n’existait pas de primes pour les autochtones, qui sont alors disparues, mais qu’il y en avait pour les non autochtones.

[124]       Il soutient qu’avec le temps, certains non autochtones s’installaient dans la communauté de Natashquan, mais qu’ils continuaient à garder leurs primes alors que des résidents autochtones n’en avaient pas, d’où la discrimination alléguée.

[125]       En 2005, il a constaté un changement avec la présence du séquestre administrateur, soit la firme BDL.

[126]       Il a alors constaté que les quittances qui avaient fait l’objet d’un règlement entre les plaignantes et le Conseil de bande furent alors coupées et l’étalement arrêté.

[127]       De même, il a confirmé une rencontre avec monsieur Wapistan et la firme BDL, dont un avertissement fut servi à cette dernière.

[128]       En 2007, une nouvelle politique fut alors établie.

[129]       En terminant, le représentant des plaignantes indique :

-                      Que ces dernières se sentent discriminées ;

-                      Qu’il n’y a aucune relève comme enseignant afin de donner de l’instruction à la nation autochtone de Natashquan ;

-                      Que les plaignantes ont dû faire des plaintes à différentes instances afin d’obtenir le remboursement de certaines sommes d’argent qui leur étaient dues suite à des problèmes contractuels qu’elles ont vécus avec l’intimé ;

-                      Qu’elles veulent mettre fin à la discrimination salariale par l’abandon des politiques des primes d’éloignement et d’habitation.

B.                 Argumentation de l’intimé

[130]       Le représentant de l’intimé indique au Tribunal que le litige consiste à savoir si la discrimination existe au niveau des primes, soit celles d’éloignement et d’habitation. Il a également indiqué que je n’avais pas à décider du bien-fondé ou non des politiques salariales qui furent adoptées.

[131]       De même, le représentant de l’intimé soutient qu’une preuve de discrimination prima facie, en contravention des articles 3 et 7 de la Loi canadienne des droits de la personne (la Loi), n’aurait pas été démontrée.

[132]       Il soutient que la politique en jeu ne discrimine pas sur la base de la race ou de l’origine ethnique. La distinction qu’elle créée serait plutôt fondée sur la portée de la définition de résidence sur la réserve indienne.  À cet égard, il a fait référence aux différentes définitions dans les documents à la pièce P-1, aux onglets 6, 7 et 24, en ce qui a trait aux différentes définitions des termes « résident » et « non résident. »

[133]       Conséquemment, il soutient qu’il n’existe aucune preuve prima facie de discrimination suivant l’ensemble de la preuve déposée devant le Tribunal.

[134]       Toutefois, si j’en venais à la conclusion qu’il existait une telle preuve prima facie, il soumet qu’il y aurait une preuve justificative quant à la présence de contraintes importantes au plan financier dans la communauté autochtone de Natashquan. Ainsi, il y aurait donc preuve de justification adéquate quant à l’existence de la discrimination alléguée.

[135]       À cet égard, il a fait référence à la situation financière précaire de l’intimé qui existe depuis les années 2005-2006 et qui perdure toujours. En ce sens, il affirme que la même politique en ce qui concerne le redressement financier appliqué fut adoptée non seulement au niveau du secteur de l’éducation, mais également au niveau du secteur de la santé de la communauté autochtone de Natashquan. Les mêmes restrictions budgétaires furent également appliquées en ce qui a trait au personnel de soutien de l’école qui n’a pas, non plus, obtenu de primes d’éloignement (voir la pièce I-1, onglet 30, à la page 3).

[136]       Finalement, l’intimé fait valoir l’existence des quittances (voir la pièce P-1, onglet 11) et en ce sens, les plaignantes auraient renoncé à leur recours afin d’être dédommagées. Conséquemment, il indique que je ne peux aller antérieurement à la date du 19 août 2004 quant à l’indemnisation des plaignantes.

[137]       Ainsi, si un redressement devait être ordonné par le Tribunal,  il devrait être rétroactif à l’année 2004-2005 et subséquemment, s’il y a lieu.

[138]       En dernier ressort, le représentant de l’intimé indique que je peux limiter le redressement qui est recherché par les plaignantes même s’il n’y avait pas de prescription quant à leur recours.

[139]       Il indique que les plaintes datent du mois de mars 2007 et que certaines des plaignantes ne se sont pas plaintes, même à leur mari, alors que ce dernier pouvait être chef de bande. Il me demande donc de tenir compte de la conduite des plaignantes dans le présent dossier.

IV.             Analyse

[140]       Après avoir tenu compte de la preuve présentée par les parties dans le présent dossier, de même que de leur argumentation, j’en viens à la conclusion que la plainte des plaignantes ne peut être accueillie, et cela, pour les motifs suivants.

[141]       En effet, les plaignantes ont expliqué au Tribunal  qu’elles se considèrent être victimes de discrimination par l’intimé de par le fait qu’elles n’ont pas obtenu, au même titre que certains enseignants non autochtones, le paiement de certaines primes, soit des primes d’éloignement, des primes au logement ainsi que de sorties.

[142]       Dans leur plainte écrite, datée du 21 avril 2007, la plaignante principale, madame Évelyne Malec, indique plus particulièrement que : « quand je travaille, je me sens dévalorisée, car je n’ai pas droit aux mêmes avantages que les non-autochtones. »

[143]       De fait, l’essence de la plainte des plaignantes pour laquelle l’audition a eu lieu et sur laquelle toutes les plaignantes ont fait valoir leur revendication à l’endroit du Tribunal, se définit plus précisément comme suit : elles veulent obtenir les mêmes avantages salariaux que ceux des professeurs non autochtones qui ont été recrutés afin de venir enseigner à l’école Uauitshitun de la communauté autochtone de Natashquan.

[144]       À l’appui de leur revendication salariale, les plaignantes indiquent qu’elles seraient victimes de discrimination à cause de leur race.

[145]       Ainsi, le Tribunal constate que les plaignantes considèrent que les dispositions de l’article 3 de la Loi auraient été violées sur la base de la race ou de l’origine nationale ou ethnique.

[146]       À cet égard, il est donc utile de rappeler les dispositions de l’article 3 de la Loi qui se lit comme suit :

« 3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe. »

[147]       Lors de l’audience, les parties n’ont pas fait état des autres dispositions de la Loi décrivant  que certains actes discriminatoires auraient été commis à leur endroit.

[148]       Après analyse, il semble au Tribunal que les dispositions de l’article 7 soient plus particulièrement visées au regard des allégations que les plaignantes ont formulées. En ce sens, les plaignantes m’ont fait valoir qu’elles se sentaient défavorisées au cours de leur emploi par certaines dispositions apparaissant dans des politiques administratives adoptées par l’intimé.

[149]       Conséquemment, je reprends donc les dispositions de l’article 7 de la Loi, lesquelles se lisent comme suit :

« 7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi. »

[150]       Dans leur exposé de précisions et redressements recherchés, daté du 30 janvier 2009, les mêmes reproches sont adressés à l’intimé. Les plaignantes font valoir :

« qu’il y a depuis longtemps un état de fait qui dure depuis plusieurs années à savoir que les femmes autochtones n’ont pas les avantages salariaux que les non-autochtones. Cet état de fait est connu de tous et a toujours été une manière de diminuer les dépenses. De rendre les conditions salariales équitables par tous aurait entraîné une grande augmentation du budget salarial. On tolère donc la situation même si elle est injuste. Il existe donc depuis longtemps dans l’administration de notre bande une ligne de conduite qui maintient la discrimination salariale. On donne des avantages salariaux aux non-autochtones et on n’en donne pas aux autochtones. »

(Voir le quatrième paragraphe à la page 3 de l’exposé des précisions et redressements recherchés daté du 30 janvier 2009)

[151]       Telle est donc l’essence de la plainte des plaignantes qui a été adressée à la Commission et sur laquelle le Tribunal doit maintenant se pencher.

[152]       En d’autres termes, est-ce que les politiques administratives adoptées par l’intimé, qui seraient à l’origine du traitement différentiel qui est allégué par les plaignantes, sont couvertes par les dispositions des articles 3 et 7 de la Loi?

[153]       Pour bien comprendre l’origine du traitement différentiel dont les plaignantes se disent victimes, le Tribunal se doit de référer aux documents qui sont à la source de ce traitement différentiel.

[154]       Ainsi, tout au long de l’audition du présent dossier, trois documents ont été cités au Tribunal afin de déterminer l’origine de la discrimination alléguée. Il y a donc lieu de faire mention des principales dispositions à l’origine des reproches des plaignantes envers l’intimé.

[155]       Dans le premier document, intitulé « Politique des ressources humaines – Personnel de l’école Uauitshitun »  et daté de juin 2004, on fait référence au fait qu’une entente serait intervenue entre le Conseil des Montagnais de Natashquan et le personnel de l’école Uauitshitun de Natashquan en juin 2005 (voir la pièce P-1, onglet 6, à la page 314) :

« 4.14  Lieu de résidence

Domicile au sens légal du terme au moment de l'embauche, dans la mesure où ce domicile est situé dans la province de Québec.

4.15     Résident

Toute personne occupant un emploi pour le Conseil dont le lieu de résidence ordinaire et principale et/ou celui de son conjoint est Nutashkuan ou à moins de 50 km de Nutashkuan sera considérée comme résidente au sens de la politique d'emploi du Conseil.

Le statut de résidence de l’employée peut changer en cours d'emploi et le Conseil se réserve le droit de réévaluer le statut de résidence de ses employés du secteur de l'éducation annuellement.

(L'article 55 de la Loi électorale du Canada définit le lieu de résidence comme suit : « Le lieu de résidence ordinaire d'une personne est en général l’endroit qui a toujours été ou qu'elle a adopté comme étant le lieu de son habitation ou sa demeure où elle entend revenir lorsqu'elle est absente ».)

10.7     Prime d'éloignement au personnel enseignant et au personnel professionnel non résidents

a.         La prime annuelle d'éloignement est créditée à l'employé qui en bénéficie en 26 versements semi-mensuels au moment de la période de paye.

b.         La taux de la prime annuelle d'éloignement est attribuée à l'employé selon qu’il a au moins un dépendant (enfant à charge mineur) qui réside en permanence au domicile de son lieu de travail ou qu’il est considéré sans dépendant.

c.         Taux de la prime d’éloignement :

Avec enfant(s) à charge : 6 000 $

Sans enfant à charge : 3 000 $.

10.7.1  Si deux employés sont mariés ou sont des conjoints de fait, un seul des deux peut réclamer la prime d'éloignement pour enfant à charge (s'il répond aux conditions) et l’autre employé bénéficie de la prime d'employé sans enfant à charge.

10.8     Allocations pour sorties annuelles pour l’employé non résident

a.         Trois (3) sorties annuelles au moment suivant ou par autorisation spéciale de la direction de l’école :

1er sorties : Entrée en poste en début d’année et départ pour les vacances.

2e sortie : Noël.

3e sortie : Pâques ou à la semaine d’arrêt.

b.         L’allocation pour les sorties annuelles est la suivante dépendamment de l’endroit de l’embauche de l’employé(e) non résident(e) et incluant l’aller et le retour :

Montréal : 850 $  Québec : 750 $  Sept-Îles : 300 $.

N.B. :  Toute autre prime pour une autre destination sera calculée au prorata de la distance avec la ville la plus près indiqué ci-dessus.

c.         Le paiement s’effectuera au moins 5 jours ouvrables avant la date effective de la sortie annuelle.

10.9     Allocations pour le déménagement de l’employé non résident

a.         L’allocation est versée à l’employé au moment de l’embauche et à la fin de son lien d’emploi avec le Conseil des innus de Nutashkuan. L’allocation de déménagement de l’employé à la fin de son lien d’emploi sera versée à l’employé à la condition qu’il ait occupé, au moins six mois, un emploi continu et à temps plain à l’école Uauitshtun.

b.         Le montant de l’allocation varie en fonction de la ville de résidence au moment de son embauche et l’allocation pour les autres villes non mentionnées (en dehors du 50 km Nutashkuan) sera établie proportionnellement à partir des villes de référence :

Montréal : 1 500 $  Québec : 1 000 $ Sept-Îles : 700 $.

c.         Le remboursement sera effectué sur la présentation des pièces justificatives de déménagement accompagnées du formulaire dûment complété.

d.         Lorsque deux employés, sont mariés ou conjoints de fait, l’allocation au déménagement n’est accordée qu’à un seul des deux membres du couple.

10.10   Allocation au logement pour l’employé non résident.

10.10.1            Allocation mensuelle

Le Conseil attribue une allocation mensuelle au logement de l’employé non résident selon les modalités suivantes :

10.10.2            Allocation mensuelle : 450 $

10.10.3            Lorsque que deux employés non-résidents sont conjoints de fait ou des personnes mariées, ils ne bénéficient alors que d’une seule allocation de 450,00 $. L’employé est alors responsable de sa location et de son bail.

10.10.4            Lorsque deux employés vivent dans le même logement, une seule prime au logement est accordée et versé pour la demie à chacun des membres occupant le logement.

10.10.5            Lorsque le Conseil loue un de ses logements non chauffé et meublé à un employé, le taux mensuel de location est de 200,00 $. » (sic)

[156]       Le deuxième document,  intitulé « Entente intervenue entre le Conseil des Montagnais de Natashquan et le personnel de l’école Uauitshitun de Natashquan - Convention réciproque de traitement du personnel de l’école Uauitshitun de Natashquan », daté de juin 2005 et signé par le personnel de l’école (voir la pièce P-1, onglet 7, à la page 358), énonce ce qui suit :

« 3.13  Lieu de résidence permanent ?

Domicile au sens légal du terme au moment de l’embauche, dans la mesure où ce domicile est situé dans la province de Québec.

 […]

6.5       Primes d'éloignement au personnel enseignant détenteurs d’un Bac et au personnel professionnels ayant la même scolarité.

6.5.1 La prime annuelle d'éloignement est créditée à l'employé qui en bénéficie en 26 versements semi-mensuels au moment de la période de paye.

6.5.2    Le taux de la prime annuelle d'éloignement est attribuée à l’employé selon qu'il a au moins un dépendant (enfant à charge mineur) qui réside en permanence au domicile de son lieu de travail ou qu'il est considéré sans dépendant.

6.5.3    Taux de la prime d’éloignement :

Avec enfant(s) à charge : 6 000 $.

Sans enfant à charge : 3 000 $.

N.B. : Si deux employés sont mariés ou sont des conjoints de fait, un seul des deux peut réclamer la prime d’éloignement pour enfant à charge (s’il répond aux conditions) et l’autre employé(e) bénéficie de la prime d’employé sans enfant à charge. 

[…]

8.4       Allocations pour sorties annuelles de l’employé embauché de l’extérieur d’un périmètre de 50 km.

8.4.1    Les allocations sont prévues pour trois (3) sorties annuelles.

8.4.2    Sauf autorisation spéciale de la direction d’école, le calendrier des sorties est établi comme suit :

1er sortie : Entrée en poste en début d’année et départ pour les vacances.

2e sortie; Noël.

3e sortie : Pâques ou à la semaine de relâche.

8.4.3    Montant de l’allocation

8.4.3.I  L’allocation pour les sorties annuelles est la suivante selon la ville de résidence au moment de l’embauche de l’employé et inclue l’aller et le retour :

            Montréal : 950 $  Québec : 750 $  Sept-Îles : 300 $.

8.4.4.II            Pour les autres endroits, l’allocation est ajustée à partir des trois villes qui font l’objet d’allocations fixées selon le l’alinéa précédent.

8.4.4    Le paiement est effectué au moins 5 jours ouvrables avant la date effective de la sortie annuelle.

8.5       Allocations de déménagement pour l’employé provenant de l’extérieur.

8.5.1    L’allocation est versée à l’employé au moment de l’embauche et à la fin de son lien d’emploi avec le Conseil des Innus de Nutashkuan.

8.5.2    L’allocation de déménagement de l’employé à la fin de son lien d’emploi lui est versée à condition qu’il ait occupé un emploi continu et à temps plein à l’école Uauitshitun, pendant au moins trois mois de l’année scolaire.

8.5.3    Montant de l’allocation

            L’allocation est la suivante : 800 $ pour tous le monde.

8.5.4    Lorsque deux employés, sont mariés ou conjoints de fait, l’allocation de déménagement n’est accordée qu’à un seul des deux membres du couple.

8.6       Allocation de logement

8.6.1    Le Conseil attribue une allocation mensuelle de logement à l’employé selon les modalités suivantes :

8.6.2    Allocation mensuelle : 500 $.

8.6.3    Lorsque deux ou plusieurs employés partagent un établissement domestique, le partage doit se faire en proportion. » (sic)

[157]       Puis finalement, un troisième document, intitulé « Politique de gestion des ressources humaines – Clauses spécifiques relatives au secteur de l’Éducation – du Conseil des Innus de Nutashkuan, novembre 2007 » (voir la pièce P-1, onglet 24), énonce ce qui suit :

« 4.9    Résident

Toute personne occupant un emploi pour le Conseil dont le lieu de résidence ordinaire et principale et/ou celui de son conjoint se situe à l’intérieur d’un rayon de 50 kilomètres de Nutashkuan sera considérée comme résidente au sens de la politique d’emploi du Conseil.

Le statut de résidence de l’employé peut changer en cours d’emploi et le Conseil se réserve le droit de réévaluer le statut de résidence de ses employés annuellement.

 […]

6.7       Prime d’éloignement

6.7.1    La prime annuelle d’éloignement est créditée à l’employé en 26 versements semi-mensuels au moment de la période de paye.

6.8       Allocations pour sorties annuelles pour l’employé

6.8.1    Trois (30 sorties annuelles au moment suivant ou par autorisation spéciale de la direction de l’école;

6.8.2    1ière sortie : Entrée en poste en début d’année et départ pour les vacances.

6.8.3    2ième sortie : Noël.

6.8.4    3ième sortie : Pâques ou à la semaine d’arrêt.

6.8.5    L’allocation pour chaque sortie annuelle d’un non-résident est fixée à 750 $ incluant l’aller et le retour.

6.8.6    Le paiement s’effectuera au moins 5 jours ouvrables avant la date effective de la sortie annuelle.

6.9       Allocation au logement

6.9.1    L’allocation annuelle maximale pour le logement d’un non-résident est de 4 500 $, et est établie selon un prorata de 10 mois, le cas échéant. » (sic)

[158]       Une lecture attentive de chacun des trois documents, auxquels j’ai fait référence ci-dessus, fait état de l’existence de primes d’éloignement au personnel enseignant et au personnel professionnel non résident. La même situation se retrouve en ce qui a trait à l’allocation pour des sorties annuelles pour un employé non résident ainsi que pour l’allocation au logement.

[159]       Dans le premier document daté du mois de juin 2005 (voir la pièce P-1, onglet 6), on y définit la notion de résidence, tel qu’il appert aux articles 4.14 et 4.15. À cet égard, le statut de résidence principale et/ou celui de son conjoint est à Natashquan ou à moins de 50 kilomètres de Natashquan.

[160]       À la disposition 4.14 du même document, on y définit le domicile au sens légal du terme « au moment de l’embauche », dans la mesure où ce domicile est situé dans la province de Québec.

[161]       Cette politique administrative ayant trait à la résidence a été reprise dans le troisième document que j’ai cité, soit la pièce P-1, onglet 24, en ce qui a trait à la politique de gestion des ressources humaines de l’intimé, daté du mois de novembre 2007.

[162]       Au paragraphe 4.9, on y définit la notion de résidence encore une fois en indiquant que : « le lieu de résidence ordinaire et principal et/ou celui de son conjoint se situe à l’intérieur d’un rayon de 50 kilomètres de Natashquan. »

[163]       Dans ce dernier document, à l’article 6.9.1, l’allocation en logement peut être versée à un non résident, et ce, évidemment en suivant la définition qui apparaît à l’article 4.9 du même document.

[164]       En ce qui a trait à l’entente intervenue entre le Conseil des Montagnais de Natashquan et le personnel de l’école Uauitshitun de Natashquan (voir la pièce P-1, onglet 7), on retrouve certaines dispositions en faveur d’employés provenant de l’extérieur d’un périmètre de 50 kilomètres, et cela, en ce qui a trait aux allocations pour sorties annuelles de l’employé embauché (voir article 8.4), de même que pour les allocations du déménagement pour un employé provenant de l’extérieur (article 8.5). On ne retrouve pas pareille mention pour un employé « provenant de l’extérieur » en ce qui a trait à l’allocation de logement (article 8.6). Dans ce dernier cas, il semblerait que la même politique a été suivie par l’intimé et visait spécifiquement des employés provenant de l’extérieur (la preuve n’est cependant pas claire quant à ce dernier point).

[165]       Le constat qui doit être fait est donc que le critère de la résidence est celui qui a été retenu par l’intimé afin d’accorder le versement des primes que les plaignantes réclament et non pas ceux de la race et de l’origine nationale ou ethnique.

[166]       Or, il ne m’apparaît pas que le critère de résidence soit un des motifs de distinction illicite qui sont mentionnés à l’article 3, alinéa 1, de la Loi.

[167]       Les plaignantes ont allégué, lorsqu’elles ont témoigné devant moi, qu’il y avait toujours une distinction entre autochtones et non autochtones, distinction qui fut faite en tenant compte que les primes dont elles réclament l’application ont été versées à des personnes qui ne résidaient pas à l’intérieur d’un rayon de 50 kilomètres de Natashquan.

[168]       Le Tribunal considère qu’il s’agit ici d’un faux débat en l’espèce. En effet, le vrai débat, c’est celui qui a été soulevé par les plaignantes et qui consiste à déterminer si oui ou non une personne réside à l’intérieur du rayon de 50 kilomètres de Natashquan, tel qu’il appert aux différents documents que j’ai cités antérieurement, et non pas entre autochtones et non autochtones.

[169]       À cet égard, le Tribunal aimerait souligner le fait que l’un des témoins de l’intimé, madame Geneviève Taschereau-Néashit, était une personne vivant à l’extérieur du rayon de 50 kilomètres de Natashquan, mais qu’elle détenait le statut d’autochtone par le fait qu’elle avait marié un autochtone antérieurement.

[170]       Or, il appert que madame Taschereau-Néashit a pu bénéficier des primes d’éloignement, de logement et de sorties malgré le fait qu’elle était une autochtone non résidente (voir les pièces I-1, onglet 14 et I-1, onglet 20). De ce fait, je ne peux donc retenir l’argument des plaignantes à l’effet qu’il y aurait discrimination entre autochtones et non-autochtones comme telle.

[171]       À l’appui du présent jugement, j’aimerais faire état de la jurisprudence suivante.

[172]       Dans l’arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] C.S.C. 4, au paragraphe 49, l’honorable juge Abella indique ce qui suit :

« 49  Il en résulte une différence entre discrimination et distinction. Les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires. Il ne suffit pas de contester le comportement d’un employeur pour le motif que ce qu’il a fait a eu une incidence négative sur un membre d’un groupe protégé. La seule appartenance à un tel groupe n’est pas suffisante pour garantir l’accès à une réparation fondée sur les droits de la personne. C’est le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou comportement désavantageux — à première vue ou de par son effet — qui suscite la possibilité de réparation. Et ce fardeau de preuve préliminaire incombe au demandeur. »

[Je souligne]

[173]       Dans une autre décision unanime de la Cour suprême du Canada, soit Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), (2012) C.S.C. 61, il est indiqué ce qui suit au paragraphe 33 de la décision :

« [33]  Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination. »

[174]       Bien que je sois en accord avec le fait que les deux premières conditions soient accomplies en référence à l’arrêt Moore, la troisième condition, soit une caractéristique protégée qui ait pu constituer un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable, n’a pas été démontrée à mon avis.

[175]       En effet, tel que je l’ai indiqué antérieurement, le critère de résidence n’apparaît pas dans les motifs de distinction illicite apparaissant à l’article 3, alinéa 1, de la Loi.

[176]       Ce raisonnement a été suivi dans une décision de la Cour fédérale du Canada dans Dobbin c. Canada (ministère des Pêches et des Océans), 2005 C.R. 2010, qui a réaffirmé le principe que le lieu de résidence d’une personne ne constitue pas un motif énuméré de discrimination.

[177]       En cela, je fais miens les paragraphes suivants de la décision Dobbin :

« [8]  Je conclus que la décision de la Commission de déclarer la plainte des demandeurs irrecevable en vertu de l'alinéa 41(1)c) de la Loi n'est pas entachée d'erreur susceptible de contrôle. Comme le lieu de résidence d'une personne ne constitue pas un motif énuméré de discrimination, il s'ensuit que la Commission n'est pas compétente pour connaître d'une différence de traitement dont seraient victimes les pêcheurs de Terre-Neuve-et-Labrador, en comparaison avec les pêcheurs d'autres provinces, en raison des quotas institués par le défendeur. Les distinctions fondées sur le lieu de résidence ne constituent pas un motif de discrimination prohibé par la Loi. Il est clair qu'elle ne confère pas à la Commission le pouvoir d'enquêter sur la manière dont les résidents ou groupes de résidents d'une province ou d'un territoire peuvent être traités par un ministère ou par une société relevant de la compétence fédérale par rapport au traitement accordé aux résidents ou groupes de résidents d'une autre province ou d'un autre territoire.

[9]  Il y a de nombreux cas où des personnes ont été traitées différemment en raison de leur « lieu de résidence ». Cela ne constitue normalement pas un motif de discrimination ou une distinction interdit par la législation en matière de droits de la personne. Par exemple, dans la décision Nova Scotia Confederation of University Faculty Assn. c. Nova Scotia (Human Rights Commission), [1995] N.S.J. no 296 (C.S.N.-É.) (QL), la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a examiné une décision de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, qui avait rejeté une plainte fondée sur le « lieu de résidence ». Dans cette affaire, le motif de discrimination était constitué par l'imposition de frais de scolarité supplémentaires aux étudiants étrangers par les universités de la Nouvelle-Écosse. La cour a confirmé la décision de la Commission, qui avait conclu que la plainte ne relevait pas de sa compétence parce que la différence de traitement était fondée sur le « lieu de résidence ». Voir aussi Simon Fraser University International Students c. Simon Fraser University, [1996] B.C.C.H.R.D. no 13 (Commission des droits de la personne de la C.-B.) (QL).

[10]  En outre, la plainte des demandeurs ne fait état d'aucun fait donnant à penser que la décision du défendeur de refuser d'accorder les mêmes possibilités de pêche dans la ZPC 16 aux pêcheurs basés à Terre-Neuve a été motivée, en tout ou en partie, par le fait que les demandeurs, en qualité de Terre-Neuviens, sont différents sur le plan ethnique ou constituent un groupe distinct des pêcheurs basés dans d'autres provinces en raison de leur origine nationale. Le fait est que la ZPC 16 est gérée par la région du Québec. Il semble que le quota accordé en 2002 pour la ZPC 16 aux pêcheurs de la ZPC 13 basés au Québec ait été décidé par le défendeur en consultation avec les milieux de l'industrie de la pêche dans la région du Québec. Si le défendeur a favorisé les pêcheurs basés au Québec lorsqu'il a attribué les quotas en litige, la différence de traitement est manifestement fondée sur leur lieu de résidence et non pas sur une origine ethnique ou nationale particulière. »

[Je souligne]

[178]       Dans une autre décision du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique, dans l’affaire Gardezi (Gardezi v. Insurance Corporation of British Columbia, 2010 B.C.H.R.T. 262), les principes de l’arrêt Dobbin ont été réaffirmés.

[179]       À cet égard, il est indiqué ce qui suit au paragraphe 40 de cette dernière décision :

« [40] Ms. Gardezi’s complaint is, at its root, a complaint based on her last place of residence. Place of residence, standing on its own, is not a prohibited ground of discrimination. »

[180]       Conséquemment, et pour les raisons que je viens d’exprimer ci-avant, je considère que la plainte des plaignantes n’est nullement fondée en fait et en droit et, pour ce seul motif, elle est donc rejetée.

[181]       À titre complémentaire, j’aimerai rajouter que dans l’alternative où j’en serais venu à la conclusion qu’une preuve prima facie aurait été établie, ce que la présente décision ne reconnaît pas, je considère que l’intimé aurait réussi dans sa preuve à prouver au Tribunal que les politiques administratives qu’il a appliquées n’apparaissent pas excessives, plus particulièrement en tenant compte des conditions financières de l’intimé, lesquelles ont été qualifiées de « catastrophiques » par le témoin Jules Wapistan.

[182]       Aussi, je considère que les conduites ou pratiques adoptées par l’intimé en vertu des différentes politiques administratives qu’il a adoptées ne sauraient être considérées comme injustifiées en l’espèce, comme l’a mentionné l’honorable juge Abella dans l’arrêt Moore de la Cour suprême du Canada.

V.                Conclusion

[183]       Pour toutes les raisons énoncées ci-avant, la plainte des plaignantes est donc rejetée.

Signée par

Robert Malo

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 9 décembre 2014


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1318/4808

Intitulé de la cause : Évelyne Malec et autres c. Conseil des Montagnais de Natashquan

Date de la décision du tribunal : Le 9 décembre 2014

Date et lieu de l’audience : Du 23 au 25 septembre 2014

Natashquan, Québec

Comparutions :

Richard Boies, pour les plaignantes

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

John White, pour l'intimé

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