Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

a.b.

 

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

 la Commission

- et -

Eazy Express Inc.

l’intimée

Décision

Numéro du dossier :  T1798/2812

Membre instructeur : Réjean Bélanger

Date : Le 10 décembre 2014

Référence : 2014 TCDP 35

 



I.                   Introduction

[1]               Eazy Express Inc. fournit des services de messagerie et de livraison. Elle compte parmi ses clients Postes Canada. Pour ce client, Eazy Express offre des services de livraison de colis sur des circuits précis. Elle embauche des sous-traitants pour chacun de ces circuits. Ces sous-traitants suivent la procédure de balayage de colis de Postes Canada avant de sortir pour livrer les colis et encore une fois au lieu de livraison aux destinataires. Cette procédure permet de s’assurer que les colis peuvent être retracés et être livrés à temps.

[2]               La plaignante travaillait à temps plein comme sous-traitante pour Eazy Express jusqu’au moment où elle a été congédiée. Selon Eazy Express, la plaignante commettait trop d’erreurs de balayage. La plaignante allègue qu’elle a été victime de discrimination de la part d’Eazy Express au sens de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C, 1985, ch. H‑6, (la LCDP) du fait que Eazy Express a tenu compte du motif illicite du sexe (la grossesse) comme facteur pour prendre sa décision de mettre fin à son emploi à temps plein de messagère. En vertu de l’article 10 de la LCDP, la plaignante affirme également que sa situation témoigne d’une pratique généralisée par laquelle l’intimée encourage les messagères à démissionner ou les congédie en cas de grossesse.

[3]               L’audience a nécessité en tout sept jours à Guelph, en Ontario, les 22, 23 et 24 octobre 2013, les 8, 9 et 10 avril 2014 et le 12 août 2014. En tout, neuf témoins ont été entendus.

II.                Questions préliminaires

[4]               La Commission a soulevé deux questions préliminaires. En premier lieu, la Commission a demandé que la plaignante, un autre témoin et deux autres personnes nommées au cours de l’audience soient identifiés par des initiales dans la présente décision. En second lieu, la Commission a soulevé la question de savoir si la relation employeur-employé qui existe entre la plaignante et l’intimée était visée par les articles 7 et 10 de la LCDP.

A.                Identification de la plaignante et d’autres personnes par des initiales

[5]               Sur cette question, la Commission fait valoir que, comme les décisions du tribunal sont accessibles au public, la plaignante, un témoin, et deux autres personnes qui n’ont pas témoigné, mais dont le nom a été mentionné à l’audience devraient être identifiées dans la présente décision par des initiales seulement et, de préférence, par d’autres initiales que les leurs. Selon la Commission, des questions personnelles, qui ne portaient pas sur la question de la discrimination, ont été abordées au cours de l’audience et causeraient un préjudice injustifié aux intéressés si les faits en cause étaient rendus publics.

[6]               L’intimée s’oppose à la demande visant à ce que des initiales soient utilisées et fait valoir que les circonstances de l’affaire ne justifient pas cette mesure. On ne sait pas quel préjudice injustifié serait causé à la plaignante et aux autres intéressés et l’intimée fait valoir que certaines des questions personnelles ont une incidence sur la crédibilité de la plaignante.

[7]               Je suis d’accord pour dire que certaines des questions personnelles qui ont été abordées à l’audience pourraient éventuellement nuire à la plaignante et à un autre témoin si elles étaient divulguées dans la présente décision. Dans la mesure du possible, j’ai anonymisé ces renseignements dans la présente décision. De fait, je n'ai pas jugé nécessaire de divulguer le nom les deux autres personnes dont le nom a été mentionné à l’audience et au sujet desquelles la Commission et la plaignante avaient des préoccupations. Toutefois, compte tenu du caractère personnel des renseignements révélés au cours de l’audience, je vais utiliser les initiales A.B. pour identifier la plaignante et C.D. pour identifier l’un des témoins.

B.                 La relation employeur-employé qui existe entre la plaignante et l’intimée est-elle visée par la LCDP?

[8]               La seconde question préliminaire a été soulevée parce que les messagers d’Eazy Express sont des entrepreneurs indépendants. Suivant la Commission, il ressort de la preuve que : (1) la rémunération et les conditions de travail sont imposées unilatéralement par Eazy Express; (2) tous les messagers relèvent du même superviseur; (3) les instruments de travail sont fournis aux messagers, notamment leur uniforme, une radio et un scanner, à l’exception de leur véhicule, pour lequel une indemnité fixe est prévue; (4) les messagers doivent exécuter leur travail au cours d’heures précises fixées par Eazy Express; (5) les messagers doivent respecter les politiques et les procédures d’Eazy Express. Suivant la jurisprudence applicable (en l’occurrence les arrêts Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne), [1991] 1 C.F. 571 (C.A.) (QL); et, McCormick c. Fasken Martineau DuMoulin SRL, 2014 CSC 39, notamment), la Commission affirme qu’il existait une relation employeur-employé entre la plaignante et l’intimée et que cette relation tombait sous le coup des articles 7 et 10 de la LCDP.

[9]               L’intimée ne s’oppose pas à ce que la LCDP s’applique à la relation employeur-employé qui existait entre elle et la plaignante. Par conséquent, pour les motifs exposés par la Commission, j’accepte que la relation employeur-employé qui existait entre la plaignante et l’intimée est visée par les articles 7 et 10 de la LCDP.

III.             Cadre juridique

[10]           La plainte est présentée en vertu de deux articles de la LCDP. Suivant l’alinéa 7a) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu. L’alinéa 10a) de la LCDP prévoit que constitue un acte discriminatoire le fait pour un employeur de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite qui sont susceptibles d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu si cet acte discriminatoire est fondé sur un motif de distinction illicite. Le sexe est un motif de distinction illicite, et une distinction fondée sur la grossesse est réputée être fondée sur le sexe (paragraphes 3(1) et 3(2) de la LCDP).

[11]           Il incombe à la plaignante d’établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est « celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), par. 28).

[12]           Dans le contexte de la présente affaire, pour établir une preuve prima facie de discrimination, la plaignante doit démontrer qu’elle possède une caractéristique protégée par la LCDP contre la discrimination, qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, par. 33 (Moore)).

[13]           L’intimé qui doit répondre à une preuve prima facie de discrimination peut éviter une conclusion défavorable en présentant des éléments de preuve démontrant que ses agissements n’étaient pas discriminatoires ou en invoquant un moyen de défense prévu par la loi qui justifie son acte discriminatoire. Lorsque l’intimé invoque un moyen de défense prévu par la loi, le fardeau de la preuve lui est transféré (Peel Law Association c. Pieters, 2013 ONCA 396, par. 67 (Pieters)). Lorsque l’intimé se contente de soumettre des éléments de preuve réfutant la preuve prima facie, seul le fardeau de présentation passe à l’intimé (Pieters, par. 68). Dans ce cas, il incombe toujours au plaignant de démontrer que la preuve présentée par l’intimé est fausse ou n’est qu’un prétexte et que le comportement de l’employeur était effectivement empreint de discrimination (Pieters, par. 74 et Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP) (Basi)).

[14]           Il est, en règle générale, difficile de faire la preuve d’allégations de discrimination par des éléments de preuve directs, ainsi que le Tribunal l’a reconnu dans la décision Basi :

La discrimination n’est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu’on puisse prouver par des preuves directes qu’un acte discriminatoire a été commis intentionnellement.

[15]           Par conséquent, dans de nombreux cas, le Tribunal tirera une conclusion de discrimination, le cas échéant, en se fondant sur des éléments de preuve circonstanciels. Comme la norme de preuve dans les affaires de discrimination est la norme habituelle de la prépondérance des probabilités qui s’applique en matière civile, [traduction] « [o]n peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible » (Béatrice Vizkelety, Proving Discrimination in Canada (Toronto, Carswell, 1987), p. 142).

[16]           Enfin, il n’est pas nécessaire que les actes reprochés soient motivés par des considérations discriminatoires pour que la plainte soit accueillie. Il suffit que la grossesse de la plaignante soit l’un des facteurs qui ont joué dans la décision de mettre fin à son emploi (Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1990] A.C.F. no 419 (C.A.) (QL)).

IV.             Preuve présentée à l’audience

C.                Témoins appelés par la plaignante et la Commission

(i)                 La plaignante

[17]           La plaignante a commencé vers la fin de janvier 2008 à exécuter le contrat qu’elle avait conclu avec Eazy Express Inc. Elle avait été recommandée pour ce travail par Mme C.D., une autre messagère d’Eazy Express qui était une de ses amies à l’époque. Au départ, elle a commencé à travailler comme travailleuse de relève à contrat. Vers la fin de mars 2008, lorsqu’un poste de messager à temps plein a été disponible, la plaignante s’est vu offrir le contrat.

[18]           La plaignante a expliqué qu’elle est devenue enceinte à deux reprises pendant la période au cours de laquelle elle avait travaillé pour Eazy Express.

[19]           Elle a déclaré qu’elle était devenue enceinte une première fois en août 2008. Suivant la plaignante, cette première grossesse s’était terminée par une fausse couche au cours du week‑end des 22 et 23 août 2008. La plaignante a déclaré qu’elle avait informé le lundi 25 août 2008 sa supérieure, Glenda Frandsen, et d’autres collègues de travail de sa fausse couche.

[20]           La plaignante a expliqué qu’au cours du mois d’août 2008, elle avait appris de la part de Sherry Rideout, une collègue de travail, que Mme Frandsen avait dit à un autre collègue de travail [traduction] « conduisez‑la [la plaignante] à une clinique et débarrassez-vous du problème ». La plaignante a interprété ses propos comme une invitation à se faire avorter.

[21]           La plaignante a annoncé une deuxième grossesse au début de novembre 2008. Elle se rappelle avoir annoncé cette deuxième grossesse à huit de ses compagnons de travail sans en avoir toutefois informé directement Mme Frandsen. La plaignante explique qu’elle n’a pas informé Mme Frandsen de sa grossesse parce qu’elle n’avait aucune raison de le faire. Par la suite, elle a expliqué qu’elle n’en avait pas informé Mme Frandsen en raison des présumés commentaires de celle-ci au sujet de sa grossesse précédente ([traduction] « conduisez-la [la plaignante] à une clinique et débarrassez-vous du problème »).

[22]           La plaignante raconte que le vendredi 21 novembre 2008, elle a inopinément été convoquée au bureau de Mme Frandsen, qui l’a informée que son emploi à temps plein de messagère prenait fin. Pour justifier le licenciement de la plaignante, Mme Frandsen a expliqué qu’elle commettait trop d’erreurs de balayage. 

[23]           La plaignante affirme qu’on ne lui avait auparavant jamais signalé d’erreurs de balayage et qu’on ne lui avait jamais parlé de problèmes de rendement et qu’elle n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires pour quelque raison que ce soit. Elle affirme également n’avoir jamais eu connaissance d’un rapport concernant son rendement en ce qui concerne le balayage. Elle admet toutefois avoir eu certains problèmes personnels et familiaux qui concernaient également C.D. et une autre collègue de travail et que ces problèmes avaient pu la distraire au bureau en août 2008. À ce propos, la plaignante a expliqué que Mme Frandsen lui avait dit ne pas laisser ses problèmes personnels nuire à son travail. La plaignante a reconnu qu’il s’agissait d’une [traduction] « demande raisonnable », tout en ajoutant [traduction] « je nie que Glenda ait affirmé que j’avais des problèmes au travail ».

[24]           Immédiatement après avoir été informée de son licenciement, la plaignante a appris à Mme Frandsen qu’elle était enceinte pour une deuxième fois. Elle a toutefois supposé que Mme Frandsen était déjà au courant de sa grossesse, étant donné qu’elle en avait déjà informé plusieurs de ses collègues. La plaignante a tenu pour acquis qu’il était bien connu dans son milieu de travail qu’elle était enceinte pour une deuxième fois.

[25]           La plaignante explique que, malgré son licenciement, Mme Frandsen lui a offert un emploi à temps partiel comme travailleuse de relève pour la période des Fêtes qui approchait. La plaignante a expliqué qu’elle était choquée et blessée par la décision d’Eazy Express de mettre fin à son circuit de livraison à temps plein, mais qu’elle a accepté à contrecœur de travailler comme travailleuse de relève. Elle s’est sentie obligée d’accepter cette offre parce que son revenu était le seul revenu du ménage à l’époque, qu’elle avait deux enfants à faire vivre et que la période des Fêtes approchait. Suivant la plaignante, il était étrange qu’Eazy Express continue à l’engager comme travailleuse de relève compte tenu du fait qu’elle était accusée d’avoir fait trop d’erreurs de balayage et qu’Eazy Express ne lui offrait pas de formation supplémentaire en balayage.

[26]           La plaignante a expliqué qu’elle avait commencé à travailler comme travailleuse de relève le lundi 24 novembre 2008. Elle a raconté qu’au cours de la semaine en question, elle avait surpris des collègues de travail qui parlaient de la résiliation de son contrat de sous-traitance. Elle les a confrontés et ils lui ont dit qu’on avait résilié son contrat de sous-traitance en raison de sa grossesse. Elle a expliqué qu’au cours de la même semaine, Jason Bunnaman, le messager qui avait été engagé pour la remplacer lui avait dit qu’elle avait été congédiée en raison de sa grossesse.

[27]           Le 30 décembre 2008 est le dernier jour où elle a travaillé pour Eazy Express.

[28]           La plaignante affirme que, jusqu’à la résiliation de son contrat avec Eazy Express, elle s’entendait bien avec Mme Frandsen et elle convient que celle‑ci était une bonne superviseure et qu’elle faisait preuve d’équité.

[29]           La plaignante a accouché le 19 juillet 2009.

(ii)               Trudy Guenther

[30]           Mme Guenther a expliqué qu’elle avait travaillé pour Eazy Express pendant plusieurs années comme entrepreneure indépendante et qu’elle avait été enceinte à trois reprises pendant cette période. En tant qu’entrepreneure indépendante, elle croyait comprendre qu’elle devait gérer les congés dont elle avait besoin, ce qui l’obligeait à engager quelqu’un pour effectuer son parcours. Par conséquent, pendant les trois derniers mois de chacune de ces grossesses, elle avait pris l’initiative de demander à un des membres de sa famille de la remplacer pour effectuer son parcours à sa place. Elle n’avait pas abordé la direction d’Eazy Express pour explorer la possibilité de trouver une mesure d’accommodement ou pour demander de trouver quelqu’un pour la remplacer. 

[31]           Elle a également expliqué qu’elle ne connaissait personne qui avait été congédié chez Eazy Express par suite d’une grossesse et elle a ajouté qu’elle ne connaissait aucune politique portant sur les employées enceintes.

(iii)             Kim Bilton

[32]           Mme Bilton a commencé à travailler chez Eazy Express Inc. à l’automne 2005 comme chauffeuse de relève jusqu’à février ou mars 2006, lorsqu’elle est devenue enceinte. À l’époque, elle a eu une conversation avec Mme Frandsen et avec Maria Cunha, une autre superviseure d’Eazy Express au sujet de sa grossesse. Suivant Mme Bilton, on lui a suggéré de se trouver un autre emploi où elle pourrait avoir droit à des prestations de maternité au titre du régime d’assurance-emploi, étant donné que les entrepreneurs n’avaient pas droit à ce genre de congé. On a également laissé entendre à Mme Bilton que les contraintes physiques de ce genre de travail n’étaient peut-être pas adaptées à sa situation de femme enceinte. À ce propos, Mme Bilton affirme que Mme Cunha lui a dit qu’une femme enceinte qui travaillait pour Eazy Express à Cambridge avait perdu son bébé en raison des exigences physiques du travail. Mme Bilton a également expliqué qu’on lui avait dit que Ted Brooks, le propriétaire d’Eazy Express à l’époque, n’avait pas d’assurance pour couvrir les grossesses. Mme Bilton a ajouté qu’aucune conversation concernant des mesures d’accommodement n’avait eu lieu au sujet de sa grossesse, mais qu’elle pouvait continuer à travailler pour l’intimée jusqu’à ce qu’elle se trouve un autre emploi.

[33]           Mme Bilton s’est trouvé un autre emploi et a donné naissance à son enfant en octobre 2006. Elle a expliqué qu’elle ne s’était pas sentie offensée par la conversation qu’elle avait eue avec Mmes Frandsen et Cunha et qu’elle n’avait pas de rancœur envers la société ou ses supérieurs. D’ailleurs, après sa grossesse, elle avait repris du service chez Eazy Express en tant que chauffeuse de relève pour la période des Fêtes 2006. En février 2007, on lui avait confié un circuit à temps plein.

[34]           En mars ou en avril 2008, Mme Bilton est de nouveau devenue enceinte. Une fois de plus, pour avoir droit à des prestations d’assurance-emploi, elle a décidé de se trouver un autre emploi avant de donner naissance à son enfant.

[35]           En ce qui concerne les erreurs de balayage, Mme Bilton était convaincue que tous les messagers font des erreurs, mais que dans son cas, on ne lui en avait jamais parlé.

(iv)             Sherry Rideout

[36]           Mme Rideout est une autre ex‑messagère d’Eazy Express et ancienne collègue de travail de la plaignante. Elle a également reconnu qu’elle était une amie de la plaignante. Elle a travaillé pour Eazy Express Inc. pendant environ sept mois, de février à septembre 2008.

[37]           Mme Rideout a expliqué qu’elle considérait la plaignante comme une travailleuse acharnée, qu’elle faisait un travail incroyable, qu’elle n’était pas paresseuse et qu’elle s’acquittait promptement de ses tâches.

[38]           Elle a expliqué qu’il y avait beaucoup de ragots et de potins au travail au sujet des problèmes personnels et familiaux de la plaignante et de ses conflits avec C.D. Elle a convenu que tout cela était une source de dérangements au travail.

[39]           Mme Rideout a expliqué qu’il arrivait que les chauffeurs fassent des erreurs de balayage et elle a reconnu qu’elle faisait elle-même des erreurs et qu’il incombait à Mme Frandsen de faire un suivi auprès des chauffeurs en ce qui concerne les erreurs de balayage.

[40]           Mme Rideout estimait qu’elle s’entendait bien avec Mme Frandsen comme superviseure et que cette dernière était une superviseure équitable.

[41]           La raison pour laquelle elle avait quitté Eazy Express Inc. était qu’elle ne faisait pas assez d’argent pour couvrir ses dépenses de véhicule. Elle a ajouté que son départ d’Eazy Express n’avait rien à avoir avec Mme Frandsen ou avec la façon dont l’entreprise l’avait traitée.

[42]           Mme Rideout a expliqué qu’au début d’août 2008, elle avait surpris une conversation entre Mme Frandsen et une autre collègue au cours de laquelle Mme Frandsen avait déclaré : [traduction] « conduisez-la [la plaignante] à une clinique et débarrassez-vous du problème ». Elle a tenu pour acquis que l’on faisait allusion à une clinique d’avortement, mais elle a admis qu’elle pouvait se tromper. En contre-interrogatoire, Mme Rideout a déclaré qu’elle n’avait pas entendu l’autre collègue de travail dire quoi que ce soit et qu’elle n’avait entendu que les paroles de Mme Frandsen.

(v)               Jason Bunnaman

[43]           M. Bunnaman a travaillé comme messager pour Eazy Express Inc. du 24 septembre 2008 au 16 mars 2011. Il a repris le circuit de la plaignante comme chauffeur à temps plein à la suite du licenciement de celle‑ci en novembre 2008.

[44]           M. Bunnaman a expliqué qu’au moment où on lui avait offert le circuit à temps plein de la plaignante, Mme Frandsen lui avait expliqué que la raison pour laquelle on avait retiré ce circuit à la plaignante était qu’elle faisait trop d’erreurs de balayage, qu’elle s’absentait trop souvent, qu’elle était enceinte et que, comme Noël approchait et qu’il y avait de lourds colis à livrer, elle représentait un handicap.

[45]           Toutefois, en contre-interrogatoire, M. Bunnaman a été interrogé au sujet de sa déclaration écrite du 10 janvier 2011 dans laquelle il avait dit à l’enquêteur de la Commission que la plaignante avait démissionné et non qu’elle avait été congédiée. Il a expliqué que ce qui était écrit dans cette déclaration était la vérité et qu’il avait écrit la note de son plein gré.

[46]           M. Bunnaman a expliqué qu’il avait été congédié d’Eazy Express après avoir pris un congé non autorisé. Il considérait que ce congédiement était injustifié et il ressentait encore de l’amertume à ce sujet. Toutefois, il reconnaissait qu’il s’entendait bien avec Mme Frandsen, sa superviseure.

[47]           M. Bunnaman a expliqué qu’à l’époque où il travaillait pour Eazy Express, il lui arrivait de faire des erreurs de balayage, qui lui étaient signalées par Mmes Cunha et Frandsen, qui lui demandaient alors de faire plus attention. Il n’a été fait mention d’aucune sanction à ce sujet. Enfin, M. Bunnaman a expliqué qu’on imprimait un relevé pour permettre à tous les chauffeurs de vérifier leurs erreurs de balayage de la veille.

D.                Témoins appelés par l’intimée

(vi)             April Desaulniers

[48]           À la demande de l’intimée, le tribunal a délivré une assignation à témoigner au Groves Memorial Community Hospital, à Fergus, en Ontario, afin d’obtenir une copie du dossier médical de la plaignante pour la période des 22, 23 et 24 août 2008.

[49]           Mme April Desaulniers, une agente de gestion de l’information sur la santé qui travaille à cet hôpital a comparu devant le Tribunal et a produit les dossiers médicaux de la plaignante. Mme Desaulniers n’a trouvé aucun document constatant la présence de la plaignante à l’hôpital les 22, 23 ou 24 août 2008. Elle a toutefois produit des documents attestant deux visites effectuées par la plaignante à l’hôpital en 2008.

[50]           La première visite, qui remontait à mai 2008, concernait une entorse à la cheville.

[51]           En ce qui concerne la deuxième visite, le 18 août 2008, pour des raisons qui n’ont pas à être divulguées, le dossier indiquait que la plaignante n’était pas enceinte à l’époque.

(vii)           C.D.

[52]           C.D. a travaillé comme messagère pour Eazy Express Inc. de 2004 à 2012. Elle a expliqué qu’elle formait tous les nouveaux employés, dont la plaignante. Elle a convenu que le balayage était une des tâches importantes de cet emploi.

[53]           Suivant C.D., la plaignante faisait beaucoup d’erreurs de balayage. Un relevé indiquant les erreurs de balayage de chacun des messagers était disponible au bureau à la fin de chaque journée de travail pour permettre aux employés de connaître leurs erreurs de balayage, le cas échéant. Selon C.D., suivant les relevés d’erreurs de balayage quotidiens, les erreurs de la plaignante étaient constantes. C.D. affirme qu’elle a remarqué qu’il arrivait que la plaignante fasse jusqu’à dix ou même quinze erreurs dans une même journée.

[54]           En ce qui concerne la première grossesse de la plaignante, C.D. se rappelle que la plaignante lui en avait parlé et elle se souvient que la plaignante en avait parlé ouvertement au travail. Elle se souvient qu’un lundi, la plaignante lui avait appris qu’elle avait fait une fausse couche au cours du week‑end.

[55]           En ce qui concerne la deuxième grossesse de la plaignante, C.D. a expliqué que la plaignante lui avait dit, en privé, qu’elle était de nouveau enceinte. Suivant C.D., la plaignante lui a demandé de n’en parler à personne. C.D. affirme qu’elle a respecté la volonté de la plaignante.

[56]           C.D. a également parlé des ragots qui circulaient au travail au sujet des problèmes personnels et familiaux auxquels la plaignante était confrontée. Suivant C.D., il y avait tellement de racontars qu’elle avait de la difficulté à faire son travail compte tenu de l’atmosphère tendue. De fait, C.D. a expliqué qu’elle était impliquée dans les problèmes personnels et familiaux de la plaignante. Par conséquent, bien que C.D. affirme qu’elle et la plaignante étaient amies jusqu’au moment où les problèmes familiaux et personnels de celle‑ci ont commencé, elles ne se sont plus beaucoup parlé par la suite.

[57]           En ce qui concerne le retrait du circuit à plein temps de la plaignante, C.D. a expliqué que la plaignante lui avait dit que le motif qui lui avait été donné pour justifier son congédiement était qu’elle commettait trop d’erreurs de balayage.

(viii)         Maria Cunha

[58]           Mme Cunha a commencé à travailler pour Eazy Express en 2004 et elle est la superviseure au bureau de Cambridge. Elle travaille à l’occasion à Guelph, où elle remplace Mme Frandsen lorsque celle‑ci n’est pas disponible. Mme Cunha et Mme Frandsen sont également des compagnes de vie. C.D. est également une amie du couple.

[59]           Mme Cunha a témoigné sur son expérience en ce qui concerne les femmes enceintes chez Eazy Express. Elle a mentionné trois cas différents.

[60]           Dans le premier cas, une chauffeuse s’était présentée à Mme Cunha vers le cinquième mois de sa grossesse pour lui expliquer que son médecin lui avait dit qu’en raison de complications médicales, elle ne pouvait pas continuer à travailler comme chauffeuse. Elle a donné un préavis de deux semaines à Eazy Express et est allée travailler pour une société de taxis. Cette chauffeuse est revenue par la suite travailler pour Eazy Express et s’est vu confier un circuit à temps plein.

[61]           Le deuxième cas était celui de Mme Guenther. Mme Cunha a expliqué que Mme Guenther avait décidé de travailler jusqu’à la naissance de son enfant, qu’elle avait pris deux jours de congé et qu’elle ensuite était revenue au travail. Suivant Mme Cunha, Mme Guenther avait pris des dispositions pour confier son circuit à quelqu’un de sa famille pendant son congé de deux jours parce qu’elle ne voulait pas perdre d’argent.

[62]           Le troisième cas de grossesse dont Mme Cunha a parlé était celui de Mme Bilton. Mme Cunha se souvient de la conversation qu’elle avait eue avec Mme Bilton au sujet de la grossesse de cette dernière. Elle a expliqué que Mme Bilton était venue lui parler de sa grossesse et lui avait demandé quels avantages sociaux Eazy Express pouvait lui offrir. Mme Cunha a raconté qu’elle avait expliqué à Mme Bilton qu’en tant qu’entrepreneure autonome, elle n’avait pas droit à des prestations de maternité au titre du régime d’assurance-emploi. Elle a informé Mme Bilton qu’à sa connaissance, la seule façon pour elle d’obtenir des prestations de maternité était de se trouver un emploi où elle pourrait être inscrite sur une liste de paye pendant un certain nombre de semaines. Mme Cunha a répondu qu’elle était disposée à permettre à Mme Bilton de continuer à travailler pour Eazy Express si elle le souhaitait, mais que Mme Bilton avait décidé d’aller travailler pour une agence de placement temporaire afin d’avoir droit à des prestations de maternité au titre du régime d’assurance-emploi. Mme Cunha affirme qu’elle ne faisait que donner des conseils d’amie à Mme Bilton pour qu’elle puisse obtenir des prestations de maternité au titre du régime d’assurance-emploi pendant son congé de maternité. Mme Cunha nie avoir parlé à Mme Bilton d’une employée de Cambridge qui avait fait une fausse couche ou que M. Brooks n’avait pas d’assurance qui couvrait les cas de grossesse. Elle a ajouté qu’elle ignorait si la société avait une assurance couvrant ce risque.

[63]           Mme Cunha a expliqué qu’à l’été ou à l’automne 2008, elle avait passé beaucoup de temps au bureau de Guelph parce qu’elle formait de nouveaux chauffeurs et qu’il y avait une grève à Postes Canada. Elle a expliqué qu’à l’époque, elle avait été informée par Postes Canada d’un nombre élevé d’erreurs de balayage faites par la plaignante. Mme Cunha se souvient d’avoir abordé la plaignante à deux ou trois reprises pour lui parler de ses erreurs de balayage. Elle a raconté qu'au cours de ces rencontres, elle avait montré à la plaignante un relevé indiquant ses erreurs. Suivant Mme Cunha, la plaignante ne semblait pas se souvenir d’avoir fait des erreurs. Elle semblait distraite et ne semblait de façon générale pas en mesure de donner des explications raisonnables au sujet des erreurs en question.

[64]           Mme Cunha a expliqué qu’il n’y avait pas eu d’échange de lettres ou de documents écrits entre Postes Canada et Eazy Express au sujet des erreurs de balayage de la plaignante. De plus, les rapports d’erreurs de balayage ont été déchiquetés.

[65]           Mme Cunha a également témoigné au sujet des plaintes reçues par la direction des relations avec la clientèle au sujet de la plaignante dans lesquelles des clients se plaignaient de l'absence de tentative de livraison. Suivant Mme Cunha, lorsqu’elle abordait la plaignante au sujet des plaintes en question, la plaignante niait avoir fait des erreurs.

[66]           Mme Cunha a également expliqué qu’elle avait eu une discussion avec Mme Frandsen à leur domicile le soir du 21 novembre 2008 au sujet du licenciement de la plaignante. Suivant Mme Cunha, Mme Frandsen lui a dit que M. Brooks lui avait donné pour instruction de congédier la plaignante en raison de ses erreurs de balayage. Mme Cunha a également expliqué que Mme Frandsen lui avait dit qu’immédiatement après avoir avisé la plaignante de son congédiement, celle‑ci avait informé Mme Frandsen qu’elle était enceinte, que son mari était sans travail, que Noël approchait et qu’elle ne serait pas capable de subvenir aux besoins de ses deux enfants. Mme Cunha a expliqué qu’elle n’avait appris qu’à ce moment‑là que la plaignante était de nouveau enceinte. Mme Frandsen avait alors dit à Mme Cunha qu’elle avait téléphoné à M. Brooks pour lui expliquer la situation et que Mme Brooks avait confirmé l’annulation de son circuit à temps plein, mais que, compte tenu de la situation, il avait offert de la garder au service d’Easy Express en tant que chauffeuse de relève pour la période de Noël. Mme Cunha a alors expliqué que Mme Frandsen lui avait dit que M. Brooks avait donné pour instruction à Mme Frandsen d’aider la plaignante avec son travail de balayage pendant son travail de relève compte tenu des erreurs de balayage de la plaignante.

(ix)             Glenda Frandsen

[67]           Mme Frandsen travaille pour Eazy Express depuis 2004. Elle est devenue superviseure au bureau de Guelph en 2006. En sa qualité de superviseure, elle agit comme agente de liaison entre Postes Canada et les chauffeurs d’Eazy Express et s’assure que les chauffeurs suivent les bonnes méthodes et notamment les méthodes de balayage. Elle relevait de M. Brooks jusqu’au décès de ce dernier en décembre 2012. Suivant Mme Frandsen, M. Brooks était la seule personne qui avait le pouvoir d’embaucher et de congédier des employés chez Eazy Express.

[68]           Mme Frandsen a expliqué qu’elle a elle-même des enfants et que beaucoup de femmes qui travaillaient pour Eazy Express devenaient enceintes.

[69]           Mme Frandsen a reçu la plaignante en entrevue relativement à un poste au sein d’Eazy Express et a recommandé à M. Brooks de l’engager, après quoi ce dernier a finalement décidé de l'embaucher. Suivant Mme Frandsen, la plaignante était au départ une chauffeuse dont le rendement était très satisfaisant, qui commettait peu d’erreurs de balayage et qui semblait bien s’entendre avec les autres chauffeurs. Elle a pour cette raison recommandé qu’on lui confie un circuit à temps plein en mars 2008 et M. Brooks a autorisé sa nomination.

[70]           Mme Frandsen a expliqué que Postes Canada publiait chaque jour un rapport indiquant les erreurs de balayage des chauffeurs. Ces rapports signalaient les erreurs commises par les chauffeurs dans les 48 dernières heures. Les chauffeurs pouvaient consulter ces relevés chaque jour. Les relevés demeuraient la propriété de Postes Canada et étaient détruits après six mois. Mme Frandsen a ajouté que Postes Canada transmettait également à Eazy Express les plaintes soumises à la direction des relations avec la clientèle qui indiquaient les situations dans lesquelles un chauffeur avait omis de faire une tentative de livraison.

[71]           Mme Frandsen a expliqué que le dossier de balayage de la plaignante était passé de [traduction] « impeccable au départ » à [traduction] « mauvais » au milieu de l’été 2008, époque à laquelle [traduction] « des erreurs quotidiennes » ont commencé à être commises. Elle a expliqué qu’au début de juillet 2008, Postes Canada a communiqué avec elle pour lui expliquer qu’Eazy Express devait travailler avec la plaignante pour l’aider à commettre moins d’erreurs de balayage. Mme Frandsen a vérifié le rapport d’erreurs de balayage de cette date et a constaté que la plaignante avait fait six ou sept erreurs. Suivant Mme Frandsen, il était raisonnable de commettre une ou deux erreurs par semaine, mais commettre six ou sept erreurs en un seul jour était assez inusité. Elle a affirmé qu’elle avait montré à la plaignante le relevé d’erreurs et qu’elle avait demandé des explications à la plaignante, qui n’avait rien répondu. Mme Frandsen a expliqué qu’elle avait travaillé en collaboration avec la plaignante pour trouver des façons de corriger la situation.

[72]           Mme Frandsen a expliqué qu’à la fin de juillet au début d’août 2008, il y avait des rumeurs et des insinuations au travail au sujet des problèmes personnels et familiaux de la plaignante, y compris un conflit avec C.D. et avec une autre collègue. Mme Frandsen a expliqué que cette situation créait des tensions parmi les chauffeurs et entre la plaignante et C.D. Mme Frandsen a informé M. Brooks de la situation. Il lui a répondu d’inviter la plaignante et C.D. à être plus professionnelles dans leurs relations au travail. À la demande de M. Brooks, Mme Frandsen a rencontré la plaignante et C.D. pour leur demander de demeurer professionnelles et de ne pas créer de tensions au travail en raison de leurs problèmes personnels. Suivant Mme Frandsen, elles lui ont assuré leur collaboration et ont promis de cesser de parler de leurs problèmes personnels au travail.

[73]           Au début d’août 2008, quelques jours après sa rencontre avec la plaignante et C.D., la plaignante a informé Mme Frandsen qu’elle était enceinte (la première grossesse). Mme Frandsen a expliqué qu’à l’époque, elle avait demandé à la plaignante si elle pouvait continuer à s’acquitter de ses tâches et qu’elle lui avait demandé si le poids des colis posait problème et l’avait invitée à venir lui demander de l’aide si certains colis étaient trop lourds. Suivant Mme Frandsen, la plaignante lui aurait répondu qu’elle n’avait aucun problème et qu’elle la remerciait pour son offre.

[74]           Mme Frandsen a expliqué que le lundi suivant le week-end des 22, 23 et 24 août 2008, la plaignante l’avait abordée pour l’informer qu’elle avait fait une fausse couche. Elle a offert à la plaignante de prendre un congé si elle en avait besoin. La plaignante a refusé son offre. Mme Frandsen a invité la plaignante à s’adresser à elle si la situation changeait.

[75]           En octobre 2008, Mme Frandsen a été informée par Postes Canada que la plaignante avait commis 25 erreurs de balayage en un seul jour. Suivant Mme Frandsen, Postes Canada avait également expliqué qu’en raison du nombre d’erreurs commises, le circuit de la plaignante était [traduction] « sur le point d’être sacrifié ». Par conséquent, Mme Frandsen craignait que les erreurs de balayage de la plaignante compromettent le contrat d’Eazy Express avec Postes Canada.

[76]           Mme Frandsen a informé M. Brook de la situation. M. Brooks lui a donné pour instruction de donner un dernier avertissement à la plaignante.

[77]           Mme Frandsen a expliqué que le même jour, elle a rencontré la plaignante, lui a dit qu’elle devait cesser de commettre autant d’erreurs et l’a informée qu’il s’agissait d’un avertissement final. Suivant Mme Frandsen, la plaignante a fondu en larmes, l’a informée que son mari ne travaillait pas, qu’elle était la seule personne à subvenir aux besoins de la famille et qu’elle tenterait de limiter le nombre d’erreurs.

[78]           Mme Frandsen a raconté qu’au cours des deux semaines suivantes, les erreurs de balayage de la plaignante semblaient avoir diminué. Toutefois, environ quatre plaintes auraient été, selon Postes Canada, déposées à la direction des relations avec la clientèle au cours des six semaines suivantes au sujet des livraisons effectuées par la plaignante.

[79]           En novembre 2008, Postes Canada a de nouveau parlé à Mme Frandsen pour l’informer que 13 erreurs avaient été commises en un seul jour sur le circuit effectué par la plaignante et que le chauffeur qui effectuait ce circuit devait être remplacé. Mme Frandsen a informé M. Brooks de la situation. Il lui a demandé si elle croyait qu’elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour aider la plaignante; elle a répondu par l’affirmative. Il lui a alors dit qu’il fallait [traduction] « s’en débarrasser ». Mme Frandsen a compris que M. Brooks lui donnait pour instruction de mettre fin au contrat de la plaignante avec Eazy Express.

[80]           Le même jour, à la fin de la journée de travail, Mme Frandsen a rencontré la plaignante. Elle explique qu’elle a informé la plaignante de la situation qui existait avec Postes Canada et de la décision de M. Brooks. Mme Frandsen explique qu’à ce moment‑là, la plaignante a commencé à pleurer et qu’elle a expliqué à Mme Frandsen qu’elle était enceinte. La plaignante était également inquiète au sujet de ses enfants et du fait que Noël approchait.

[81]           Mme Frandsen a expliqué que c’était la première fois qu’elle apprenait que la plaignante était de nouveau enceinte. Mme Frandsen était surprise parce que la plaignante venait tout juste de lui dire quelques semaines plus tôt qu’elle avait fait une fausse couche. Mme Frandsen a expliqué qu’elle avait dit à la plaignante qu’elle parlerait à M. Brooks pour voir s’il était possible de mettre en place une entente temporaire.

[82]           À la suite de sa rencontre avec la plaignante, Mme Frandsen a expliqué qu’elle avait téléphoné à M. Brooks pour l’informer que la plaignante était enceinte. Il a autorisé Mme Frandsen à offrir un poste de relève à la plaignante pour l’aider à passer la période des Fêtes, à la condition toutefois que Mme Frandsen aide la plaignante avec son balayage.

[83]           Mme Frandsen explique que ce soir‑là, elle a téléphoné à la plaignante pour l’informer que M. Brooks avait autorisé du travail de relève.

[84]           Suivant Mme Frandsen, la plaignante a travaillé comme chauffeuse de relève jusqu’au 31 décembre 2008.

[85]           Mme Frandsen nie avoir entendu toute conversation entre Mme Bilton et Mme Cunha au sujet de la grossesse de Mme Bilton.

[86]           Elle nie également avoir suggéré d’amener la plaignante dans une clinique pour se débarrasser du problème. Elle ajoute qu’elle est contre l’avortement et qu’elle ne ferait jamais un tel commentaire.

[87]           Mme Frandsen nie également avoir donné à M. Bunnaman des motifs justifiant la cessation du contrat de la plaignante. Elle affirme qu’elle n’a pas coutume de discuter avec les chauffeurs des motifs ou des circonstances entourant la cessation du contrat d’autres chauffeurs.

V.                La plaignante a‑t‑elle établi une preuve prima facie de discrimination?

[88]           Comme nous l’avons déjà mentionné, pour établir une preuve prima facie de discrimination, la plaignante doit démontrer qu’elle possédait une caractéristique protégée par la LCDP contre la discrimination, qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore, par. 33).

[89]           Il est acquis aux débats que les deux premiers éléments de cette analyse ont été satisfaits. La plaignante a perdu son emploi à temps plein. Elle était enceinte au moment où elle a perdu son emploi. La grossesse est protégée contre la discrimination par le paragraphe 3(2) de la LCDP. La dernière question est celle de savoir si la grossesse est un facteur qui a joué dans la perte de son circuit à temps plein.

E.                 La grossesse est‑elle un facteur qui a joué dans le licenciement de la plaignante?

[90]           Eu égard aux circonstances de l’espèce, pour que la grossesse constitue un facteur qui a joué dans le licenciement de la plaignante, il faut qu’il y ait une certaine indication qu’Eazy Express était au courant de sa grossesse. Si Eazy Express n’était pas au courant de la grossesse de la plaignante, elle ne pouvait en tenir compte, et ce facteur ne pouvait entrer en ligne de compte lors de la décision de licencier la plaignante. Suivant mon appréciation de la preuve de la plaignante, je ne crois pas, à première vue, que l’intimée était au courant de la grossesse de la plaignante lorsqu’elle a mis fin à son emploi.

[91]           La plaignante a admis qu’elle n’avait pas informé Mme Frandsen, sa supérieure immédiate, de sa grossesse avant son licenciement parce qu’elle n’avait aucune raison de le faire. Plus tard, elle a expliqué qu’elle n’en avait pas informé Mme Frandsen en raison de ses présumés commentaires au sujet de sa grossesse précédente (« conduisez-la [la plaignante] à une clinique et débarrassez-vous du problème »). En tout état de cause, il est évident que la plaignante n’a pas directement informé Eazy Express de sa deuxième grossesse. La plaignante a tenu pour acquis que son employeur était au courant de sa deuxième grossesse étant donné qu’elle en avait informé huit collègues de travail. Elle a présumé que sa grossesse était un fait notoire dans son milieu de travail. Toutefois, le fait de croire abstraitement quelque chose sans qu’il existe un certain fait qui le confirme n’est pas suffisant (Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, aux paragraphes 41 à 43, conf. par 2006 CF 785).

[92]           La plaignante affirme qu’elle a surpris des collègues de travail en train de parler de son congédiement et qu’ils lui ont dit qu’elle avait été congédiée parce qu’elle était enceinte. Il est toutefois difficile d’accorder quelque valeur que ce soit à ce témoignage parce qu’aucun des collègues de travail en question n’a été cité à témoigner et qu’aucun contexte n’a été fourni pour expliquer le fondement de cette affirmation. Sur quoi se sont fondés les collègues de travail en question pour conclure que la plaignante avait été congédiée en raison de sa grossesse? En ont‑ils été informés par un superviseur? L’ont‑ils présumé en raison du moment où ce licenciement est survenu? Ou s’agissait‑il tout simplement de ragots de bureau? En dernière analyse, ce témoignage laisse le tribunal devant une autre hypothèse non étayée.

[93]           Le seul autre élément de preuve soumis par la plaignante ou par la Commission pour confirmer que l’intimée était au courant de la grossesse de la plaignante et qu’elle a tenu compte de ce fait pour mettre fin à l’emploi de la plaignante est le témoignage de M. Bunnaman. Toutefois, son témoignage est contradictoire sur la question. D’une part, M. Bunnaman a énuméré une liste de raisons que lui aurait données Mme Frandsen pour justifier la résiliation du contrat de la plaignante, et notamment le fait qu’elle était enceinte et, d’autre part, il s’en tient à la déclaration antérieure qu’il avait faite devant la Commission suivant laquelle la plaignante avait démissionné et n’avait pas été congédiée. À cet égard, je signale que M. Bunnaman avait fait cette déclaration à la Commission avant son propre congédiement. Au cours de son témoignage, M. Bunnaman a admis qu’il considérait que son propre congédiement était injustifié et qu’il restait amer à ce sujet, ce qui me donne à penser qu’il avait peut-être des raisons de prendre position en faveur de la plaignante. De plus, j’ai du mal à croire que Mme Frandsen, la supérieure de M. Bunnaman, lui aurait fourni une liste de toutes les raisons justifiant la résiliation du contrat d’une employée et notamment qu’elle aurait admis avoir commis un acte discriminatoire, et ce, d’autant plus lorsque les témoins appelés par la plaignante et par la Commission, y compris la plaignante et M. Bunnaman, ont expliqué qu’ils s’entendaient bien avec Mme Frandsen et qu’elle était une superviseure équitable. Compte tenu de ce qui précède, je n’accorde aucune valeur à la déclaration faite par M. Bunnaman au sujet des motifs du congédiement de la plaignante.

F.                 L’intimée avait‑elle l’habitude de licencier les femmes enceintes ou de les inciter à démissionner?

[94]           Les autres témoignages présentés par la plaignante et la Commission, en l’occurrence ceux de Mmes Guenther et Bilton, visaient à démontrer que l’intimée congédie les messagères ou les incite à démissionner lorsqu’elles deviennent enceintes. Les commentaires entendus par Mme Rideout sembleraient également relever de cette allégation. L’argument avancé ici est qu’il existe un usage systémique qui peut également être invoqué pour prouver que la plaignante a été victime personnellement de discrimination. Toutefois, à mon avis, la preuve n’appuie pas les allégations de la plaignante.

[95]           Mmes Guenther et Bilton ont eu plusieurs grossesses alors qu’elles travaillaient pour Eazy Express. Mme Guenther a expliqué qu’elle croyait comprendre qu’en tant qu’entrepreneure autonome, il lui incombait de se trouver un remplaçant pour effectuer son parcours lorsqu’elle avait besoin de congés, y compris de congés de maternité. Pendant chacune de ses trois grossesses, elle avait pris l’initiative de demander à un membre de sa famille de la remplacer pour effectuer son parcours. Elle n’avait pas été congédiée ou incitée à démissionner pendant ou après ses grossesses. La Commission soutient que Mme Guenther a agi ainsi parce qu’elle aurait perdu son circuit si elle n’avait pas trouvé de remplacement, ce qui semble être également ce que Mme Guenther croyait. Toutefois, Mme Guenther a également expliqué dans son témoignage qu’elle n’a pas abordé la direction d’Eazy Express pour discuter de cette hypothèse ou de mesures d’accommodement de façon générale.

[96]           Mme Bilton a expliqué que, lorsqu’elle était devenue enceinte en 2006, elle avait eu une conversation avec Mmes Frandsen et Cunha au sujet de la possibilité de recevoir des prestations d’assurance-emploi, des contraintes physiques de son travail et des conséquences éventuelles de ces contraintes sur sa grossesse et du fait que la compagnie n’avait pas d’assurance pour couvrir les cas de grossesse. Au cours de cette conversation, elle a appris que, compte tenu du fait qu’elle était une entrepreneure autonome, elle n’avait pas droit à des prestations de maternité au titre du régime d’assurance-emploi. Mme Bilton a expliqué qu’on lui avait dit que, si elle voulait recevoir de telles prestations, il était préférable qu’elle postule un emploi qui la rendrait admissible à de telles prestations. C’est effectivement ce qu’elle a fait. Elle n’entretient aucun sentiment négatif envers Eazy Express ou ses superviseurs en raison de cette situation et elle est par la suite revenue travailler pour cette compagnie. Elle a fait la même chose lors de sa deuxième grossesse, qui est également survenue alors qu’elle travaillait pour Eazy Express.

[97]           Je ne vois rien de discriminatoire dans cette conversation. En l’invitant à se trouver un emploi couvert par l’assurance-emploi qui lui permettait de percevoir des prestations de maternité, il semble que l’on ait donné à Mme Bilton des conseils dans son intérêt supérieur et pour des raisons économiques valables d’abord et avant tout. Si d’autres questions ont été soulevées, ce que nie l’intimée, Mme Bilton n’a pas mentionné qu’elle pensait qu’elles étaient soulevées dans le but de l’inciter à remettre sa démission. Au bout du compte, Mme Bilton n’a pas été congédiée et c’est de son propre chef qu’elle a décidé de se trouver un autre emploi qui lui permettrait d’être admissible à l’assurance-emploi. 

[98]           En ce qui concerne les présumés propos tenus par Mme Frandsen à un autre collègue de travail que Mme Rideout aurait entendus au sujet de la présumée première grossesse de la plaignante (« conduisez-la [la plaignante] à une clinique et débarrassez-vous du problème »), il est difficile d’accorder beaucoup de poids à ce témoignage, compte tenu du fait que le collègue de travail qui a participé à cette conversation n’a pas été appelé à témoigner et qu’aucun contexte n’a été fourni au sujet de cette conversation. En tout état de cause, je ne suis pas certain des inférences que l’on pourrait tirer des présumés propos tenus, compte tenu du fait qu’aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet d’actes discriminatoires dont la plaignante aurait été victime en ce qui concerne sa présumée première grossesse. Même si la demanderesse a informé ses collègues de travail, y compris ses supérieurs, de sa présumée première grossesse, elle n’avait pas été congédiée et aucun élément de preuve n’a été présenté qui tendrait à démontrer qu’elle avait été incitée à démissionner.

G.                Conclusion sur la preuve prima facie

[99]           Par conséquent, pour les motifs qui précèdent, le tribunal ne dispose pas de suffisamment de preuves pour appuyer l’allégation de la plaignante suivant laquelle la grossesse est un facteur qui a joué dans la décision de l’intimée de mettre fin à son contrat comme chauffeuse à temps plein. Il n’y a également pas suffisamment de preuves pour appuyer l’allégation selon laquelle l’intimée congédie les messagères ou les incite à démissionner lorsqu’elles deviennent enceintes. Par conséquent, la plaignante n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination au sens des articles 7 ou 10 de la LCDP et sa plainte est rejetée.

VI.             L’intimée a‑t‑elle fourni une explication raisonnable pour justifier sa décision de mettre fin au contrat de la plaignante?

[100]       Bien que la plaignante n’ait pas établi une preuve prima facie, j’accepte également l’explication fournie par l’intimée pour justifier sa décision de congédier la plaignante.

[101]       Mme Cunha, Mme Frandsen et C.D. ont expliqué que la plaignante avait fait de nombreuses erreurs de balayage entre les mois de juillet et de novembre 2008.

[102]       Mme Cunha affirme qu’elle a discuté de la situation avec la plaignante à quelques reprises et que celle‑ci a réagi en expliquant qu’elle ne se rappelait pas avoir fait d'erreurs de balayage, qu’elle semblait distraite et qu’elle n’était de façon générale pas en mesure de donner d’explications raisonnables pour ses erreurs.

[103]       Mme Frandsen a expliqué qu’elle avait reçu de nombreuses plaintes de la part de Postes Canada au sujet des erreurs de balayage de la plaignante. Lorsqu’elle a rencontré la plaignante et lui a réclamé des explications, elle n’en a reçu aucune. Elle affirme également qu’elle avait travaillé avec la plaignante pour l’aider à diminuer ses erreurs. Toutefois, la situation n’a semblé s’améliorer que pendant un court laps de temps.

[104]       Le témoin C.D. a expliqué qu’à de nombreuses reprises, alors qu’elle consultait le rapport d’erreurs de balayage quotidien, elle avait constaté que la plaignante faisait beaucoup d’erreurs de balayage, parfois jusqu’à 15 en une seule journée.

[105]       Le témoignage de Mmes Cunha, Frandsen et C.D. confirme les explications de l’intimée suivant lesquelles la plaignante a été congédiée en raison de ses nombreuses et continuelles erreurs de balayage. Bien que l’intimée n’ait pas soumis de preuve documentaire confirmant sa décision de congédier la plaignante, et notamment aucun des rapports d’erreurs de balayage ni aucun relevé des conversations entre la plaignante et ses superviseurs ou des conversations avec Postes Canada, je suis convaincu que le témoignage donné par Mmes Cunha, Frandsen et C.D. est crédible et fiable. Elles ont systématiquement donné la même version des faits; leurs réponses sont, en règle générale, claires et brèves, et, malgré le fait que C.D. ait eu des problèmes personnels avec la plaignante et le fait que Mmes Cunha et Frandsen travaillent toujours pour l’intimée, rien ne me permet de croire qu’elles ont donné un témoignage intéressé. De plus, le témoignage suivant lequel les erreurs de la plaignante se sont aggravées et ont atteint leur paroxysme à une époque où elle était confrontée à de nombreux événements importants dans sa vie rend le témoignage de Mmes Cunha, Frandsen et C.D. encore plus plausible dans les circonstances.

[106]       La plaignante soutient qu’elle n’a jamais eu accès aux rapports concernant les erreurs de balayage et qu’on ne lui a jamais parlé de ses erreurs de balayage. Toutefois, bon nombre des témoins remettent cette affirmation en question. Mmes Frandsen et Cunha ont expliqué que Postes Canada publiait chaque jour des rapports d’erreurs de balayage que tous les chauffeurs pouvaient consulter. Mmes Cunha et Frandsen ont expliqué que, lorsque Postes Canada leur a signalé les erreurs de balayage de la plaignante, elles les ont relayées à la plaignante, lui ont demandé des explications et ont tenté de collaborer avec elle pour corriger le problème. Le témoin C.D. a indiqué qu’elle consultait le rapport d’erreurs de balayage régulièrement et qu’elle avait remarqué que la plaignante faisait beaucoup d’erreurs de balayage. Mme Rideout a expliqué qu’il incombait à Mme Frandsen de faire un suivi relativement aux erreurs de balayage. Enfin, M. Bunnaman a expliqué qu’un relevé était mis à la disposition de tous les chauffeurs pour qu’ils vérifient leurs erreurs de balayage de la veille. M. Bunnaman a ajouté qui lui arrivait parfois de faire des erreurs de balayage, qui lui étaient signalées par Mmes Cunha et Frandsen, qui lui demandaient alors de faire plus attention.

[107]       La plaignante et la Commission affirment également que le fait que la plaignante a pu continuer à travailler comme chauffeuse de relève après son congédiement remet en question les explications données par l’intimée pour justifier son congédiement. Si Eazy Express était préoccupée par les erreurs de balayage de la plaignante, pourquoi alors a‑t‑elle continué à l’employer dans un travail qui nécessitait du balayage?

[108]       Là encore, j’accepte le témoignage de M. Frandsen sur cette question. Elle a expliqué qu’après l’avoir informée de son congédiement, la plaignante lui a alors fait savoir qu’elle était enceinte, que son mari était en chômage et qu’elle devait s’occuper de leurs deux enfants et qu’elle était désespérée en raison de l’approche de la période des Fêtes. Mme Frandsen a alors dit à la plaignante qu’elle parlerait à M. Brooks pour voir si l’on pouvait trouver une solution temporaire. M. Brooks a autorisé un travail de relève pour la plaignante pour la période achalandée des Fêtes, à condition toutefois que Mme Frandsen aide la plaignante avec le balayage.

[109]       La version des faits de la plaignante n’est pas très différente de celle de Mme Frandsen. Elle a expliqué que Mme Frandsen lui avait simplement offert du travail de relève après qu’elle lui a annoncé sa grossesse. Par la suite, elle a toutefois admis qu’il était possible que Mme Frandsen ait communiqué avec elle en soirée ce jour‑là pour lui offrir du travail de relève après avoir parlé à M. Brooks. En tout état de cause, il est évident que le travail de relève a été offert en réponse à l’annonce, par la plaignante, du fait qu’elle était enceinte et qu’elle avait diverses préoccupations. De plus, le fait que Mme Frandsen devait aider la plaignante avec le balayage rend encore plus probables les motifs du licenciement de la plaignante et l’offre d’emploi subséquente.

[110]       À titre de commentaire final et pour évaluer la preuve dans son ensemble, je tiens à signaler que j’ai des réserves au sujet de la crédibilité de la plaignante en général. Hormis certaines des contradictions déjà relevées (les raisons pour lesquelles elle n’a pas informé Mme Frandsen de sa deuxième grossesse, au par. 91 et le fait qu’elle dit n’avoir jamais eu accès aux rapports d’erreurs de balayage, au par. 106), j’ai été frappé par les contradictions entre la version des faits de la plaignante et le témoignage de Mme Desaulniers. La plaignante a dit à ses collègues de travail et à Eazy Express qu’elle était enceinte en août 2008 et qu’elle avait fait une fausse couche. Elle a maintenu cette version des faits devant le tribunal jusqu’à ce que le témoignage de Mme Desaulniers ait été entendu. Mme Desaulniers a expliqué que la plaignante s’était présentée à l’hôpital en mai 2008 pour une entorse à la cheville. Toutefois, la plaignante a expliqué que, même si elle s’était foulé la cheville vers le 16 juin 2008, elle ne s’était pas présentée à l’hôpital. Aucune explication n’a été fournie pour expliquer ces contradictions. Bien qu’aucune des contradictions portant sur la première grossesse ou sur l'entorse à la cheville ne soit entrée en ligne de compte directement dans mon analyse des questions en litige dans la présente plainte, j’estime que ces problèmes supplémentaires de crédibilité renforcent davantage mes conclusions, selon la prépondérance des probabilités.

[111]       Par conséquent, pour ces motifs supplémentaires, même si la plaignante avait établi une preuve prima facie de discrimination, je conclus que l’intimée a fourni une explication raisonnable pour justifier le congédiement de la plaignante et que cette explication n’était pas un prétexte lui permettant de poser des actes discriminatoires.

VII.          Décision

[112]       Pour les motifs qui ont été exposés, je conclus que l’intimée, Eazy Express Inc., n’a commis aucun acte discriminatoire pour le motif de distinction illicite fondé sur le sexe (la grossesse) au titre de l’article 7 de la LCDP, lorsqu’elle a mis fin à l’emploi de la plaignante le 21 novembre 2008.

[113]       Je conclus également que l’intimée n’a pas appliqué une ligne de conduite, au sens de l’article 10 de la LCDP, consistant à congédier les messagères à temps plein ou à les inciter à démissionner lorsqu’elles deviennent enceintes.

[114]       Comme la plainte n’est pas fondée, le tribunal n’accorde aucune réparation à la plaignante.

Signé par

Réjean Bélanger

Membre instructeur

Ottawa (Ontario)

Le 10 décembre 2014

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1798/2812

Intitulé de la cause : A.B. c. Eazy Express Inc.

Date de la décision du tribunal : Le 10 décembre 2014

Dates et lieu de l’audience : Les 22, 23 et 24 octobre 2013
                                                Les 8, 9 et 10 avril 2014
                                                Le 12 août 2014     

Guelph (Ontario)

Comparutions :

A.B., pour son propre compte

Giacomo Vigna, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Thomas A. Stefanik, pour l’intimée

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