Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2014 TCDP 32

Date : le 2 décembre 2014

Numéro du dossier : T1816/4612

Entre :

Ronald Wayne Mattice

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Westower Communications Ltd.

l'intimé

Décision sur requête

Membre : David L. Thomas

 



I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une requête déposée le 15 septembre 2014 par laquelle l’intimée demande le rejet de la plainte la visant. Les moyens invoqués à l’appui de la requête sont que le plaignant ne s’est pas conformé à ses obligations de divulgation, qu’il a omis à maintes reprises de se conformer aux Règles de procédure du Tribunal et que, en raison de son inconduite délibérée, tant le Tribunal que l’intimée ont été contrecarrés dans leurs efforts pour faire avancer le dossier. L’intimée allègue que permettre l’instruction de la plainte constituerait un abus de procédure.

[2]  Pour les motifs exposés ci-dessous, je fais droit à la requête de l’intimée et je rejette la plainte.

II.  Contexte

[3]  La plainte dans la présente affaire a été déposée auprès de la Commission par M. Ronald Wayne Mattice (le plaignant), le 29 septembre 2010. Le 24 avril 2012, la Commission a demandé, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire la plainte. Le plaignant allègue que Westower Communications Ltd. s’était livrée à son endroit à des actes discriminatoires fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique et la couleur, en le traitant d’une manière différente par rapport aux autres employés puis en le congédiant, ce qui contrevient aux articles 7 et 14 de la Loi. Plus particulièrement, il allègue que, lorsqu’il a travaillé pour l’intimée durant la période de septembre 2007 à avril 2010, il faisait l’objet de commentaires racistes méprisants de la part de ses collègues. La plainte laisse entendre qu’il croit avoir été finalement congédié parce qu’il se plaignait de cette situation à la direction.

[4]  Après avoir reçu le mandat d’instruire la plainte, le 8 mai 2012, le Tribunal a écrit à toutes les parties pour leur demander si elles voulaient participer à la procédure de médiation. Le délai imparti pour répondre était le 30 mai 2012. Toutes les parties ont confirmé leur participation avant l’expiration du délai.

[5]  Le 20 juin 2012, le Tribunal a envoyé un courriel aux parties pour leur confirmer que toutes les parties avaient accepté de participer à une conférence de médiation en vue d’un règlement. Le Tribunal a donné deux dates d’échéance aux parties : elles avaient a) jusqu’au 28 juin 2012 pour confirmer leurs dates de disponibilité et b) jusqu’au 29 juillet 2012 pour déposer leur mémoire de médiation.

[6]  Le 26 juin 2012, la Commission a déposé son mémoire de médiation et, le 27 juin 2012, elle a avisé le Tribunal de ses dates de disponibilité.

[7]  Le 27 juin 2012, Westower a informé le Tribunal de ses dates de disponibilité et soumis son mémoire.

[8]  Le 28 juin 2012, M. Mattice a informé le Tribunal de ses dates de disponibilité, en précisant qu’il déposerait sous peu son mémoire et les documents connexes. Or, M. Mattice n’a pas soumis son mémoire dans le délai prévu qui avait été fixé au 29 juillet 2012.

[9]  Le 10 septembre 2012, le Tribunal a envoyé un courriel aux parties pour confirmer qu’il avait reçu les mémoires de médiation de l’intimée et de la Commission, mais pas celui du plaignant.

[10]  Le 27 novembre 2012, le Tribunal a envoyé un courriel à M. Mattice pour s’enquérir de son mémoire de médiation, qu’il n’avait toujours pas déposé.

[11]  Le 5 décembre 2012, M. Mattice a informé le Tribunal qu’il entendait produire son mémoire au plus tard le 28 décembre 2012. Il a également informé le Tribunal qu’il n’avait pas reçu son dernier envoi. Par conséquent, le Tribunal lui a envoyé des copies des documents et de la correspondance par service de messagerie pour s’assurer qu’il aurait tout le dossier en main.

[12]  Le 28 décembre 2012 a passé, et M. Mattice n’avait toujours pas produit son mémoire.

[13]  Le 23 janvier 2013, M. Mattice a communiqué avec le Tribunal pour l’informer qu’il entendait produire son mémoire de médiation au plus tard le 5 février 2013.

[14]  Le 5 février 2013 a passé, et M. Mattice n’avait toujours pas produit son mémoire.

[15]  Le 25 avril 2013, le Tribunal a informé la Commission et l’intimée qu’il s’était de nouveau entretenu avec M. Mattice, qui avait accepté de produire son mémoire le lendemain.

[16]  Le 26 avril 2013 a passé, et M. Mattice n’avait toujours pas produit son mémoire.

[17]  Le 26 juillet 2013, le Tribunal a fixé une nouvelle date pour permettre à M. Mattice de produire son mémoire de médiation : il devait le déposer au plus le 12 août 2013, sans quoi une date serait fixée pour la tenue d’une téléconférence de gestion de cas.

[18]  Le 12 août 2013 a passé, et M. Mattice n’avait toujours pas produit son mémoire.

[19]  Le 15 novembre 2013, le Tribunal a informé les parties que M. Mattice n’avait toujours pas produit son mémoire de médiation. Le Tribunal a envoyé une lettre aux parties le 26 novembre 2013 : une téléconférence de gestion de cas a été fixée au 21 janvier 2014, mais elle n’a pas eu lieu.

[20]  Le 17 janvier 2014, le Tribunal a informé les parties qu’il s’était de nouveau entretenu avec M. Mattice, qui avait promis de soumettre son mémoire le même jour.

[21]  M. Mattice a bel et bien fourni, le 17 janvier 2014, une déclaration écrite concernant sa situation en tant que membre d’une minorité visible. Toutefois, le Tribunal l’a avisé que cette déclaration n’était pas suffisante pour servir de mémoire de médiation et il l’a encouragé à fournir un document plus substantiel.

[22]  Le 6 mars 2014, M. Mattice a produit un très court mémoire, qui faisait environ un paragraphe de long.

[23]  La conférence de médiation a eu lieu le 14 mai 2014, mais elle n’a abouti à aucun règlement. Par conséquent, la plainte est passée à l’étape de la divulgation des documents et de la production de l’exposé des précisions.

[24]  Le 15 mai 2014, le Tribunal a écrit aux parties pour fixer les dates butoirs de la production des exposés de précisions et de la production des documents. Le Tribunal a enjoint à M. Mattice de produire ses documents au plus tard le 23 juin 2014 et à l’intimée de fournir, en réponse, son exposé des précisions au plus tard le 14 juillet 2004.

[25]  Le 23 juin 2014 a passé, et M. Mattice n’avait pas produit sa liste de documents à divulguer ni son exposé des précisions. Il n’avait pas préalablement communiqué avec le Tribunal ou les autres parties pour demander une prorogation du délai.

[26]  Dans une lettre datée du 24 juin 2014, le Tribunal a rappelé à M. Mattice qu’il lui incombait de divulguer ses documents. M. Mattice n’a pas répondu.

[27]  Le 10 juillet 2014, Westower a écrit aux parties et demandé que le Tribunal impose à M. Mattice une date pour la production de son exposé des précisions et la divulgation de ses documents. Westower a également averti les parties que, si M. Mattice continuait de passer outre aux délais fixés par le Tribunal, elle présenterait une requête en rejet de la plainte pour défaut de poursuite.

[28]  Le 17 juillet 2014, le Tribunal a donné à M. Mattice jusqu’au 2 septembre 2014 pour produire son exposé des précisions et divulguer ses documents. Le Tribunal a également demandé que toutes les parties fournissent, au plus tard le 18 juillet 2014, leurs dates de disponibilité en vue de la tenue d’une téléconférence de gestion de cas.

[29]  Le 28 juillet 2014, le Tribunal a confirmé à toutes les parties la tenue d’une téléconférence de gestion de cas le 26 août 2014.

[30]  Le 21 août 2014, l’agent du greffe a parlé à M. Mattice et lui a rappelé que la téléconférence de gestion de cas aurait lieu la semaine suivante et qu’il lui incombait de terminer son exposé des précisions et sa divulgation de documents au plus tard le 2 septembre 2014. M. Mattice a répondu qu’il participerait à la téléconférence de gestion de cas et il n’a pas laissé savoir qu’il aurait de la difficulté à respecter la date butoir du 2 septembre 2014.

[31]  Le 26 août 2014, la téléconférence de gestion de cas a eu lieu, tel qu’il avait été prévu. Toutefois, M. Mattice n’y a pas participé et n’a fourni aucune explication pour justifier son absence. L’agent du greffe a tenté de le joindre par téléphone ce matin-là. Le téléphone de M. Mattice a sonné plusieurs fois, et il n’y a pas eu de réponse. Lorsque l’agent a rappelé quelques minutes plus tard, le téléphone de M. Mattice a sonné deux fois avant que l’appel ne soit acheminé à sa boîte vocale. M. Mattice n’avait pas fait savoir à l’avance qu’il ne participerait pas à la téléconférence de gestion de cas.

[32]  Le 2 septembre  2014, M. Mattice n’avait pas fourni son exposé des précisions ni procédé à la divulgation de ses documents.

[33]  Le 4 septembre 2014, le Tribunal a écrit aux parties pour les informer qu’il avait parlé à M. Mattice et que celui‑ci avait accepté de produire son exposé des précisions et de divulguer ses documents le même jour.

[34]  À la fin de la journée du 4 septembre 2014, M. Mattice n’avait toujours pas produit son exposé des précisions ni divulguer ses documents.

[35]  Le 5 septembre 2014, le Tribunal a confirmé aux autres parties que M. Mattice n’avait toujours pas produit son exposé des précisions et qu’il n’avait pas divulgué ses documents.

[36]  Le 15 septembre 2014, le Tribunal a reçu copie de la requête de l’intimée en rejet de la plainte pour défaut de poursuite.

[37]  Une copie de cette requête a été envoyée à M. Mattice par courriel le 15 septembre 2014 à 16 h 45. L’agent du greffe lui a ensuite parlé au téléphone : il lui a donné des informations sur la requête et dit qu’il était impératif qu’il y réponde.

[38]  Pour s’assurer que M. Mattice reçoive une copie de la requête, le Tribunal a fait affaire avec une entreprise de services professionnels de signification. Le 20 octobre 2014, M. Mattice s’est vu signifier une copie papier de la requête en rejet et une lettre datée du 6 octobre 2014 dans laquelle le Tribunal l’avisait qu’il disposait de sept jours à partir de la date de signification pour répondre à la motion jointe.

[39]  M. Mattice n’a pas répondu à la motion en rejet dans le délai imparti, à savoir au plus tard le 27 octobre 2014, ni par la suite.


 

III.  Analyse

[40]  L’intimée avance que M. Mattice a omis à maintes reprises de se conformer à ses obligations de divulgation et aux Règles de procédure du Tribunal. Westower allègue que M. Mattice a agi de manière délibérée et que, par conséquent, permettre l’instruction de la plainte constituerait un abus de procédure.

[41]  Le Tribunal a le droit de protéger sa procédure contre les abus (Canada (Commission des droits de la personne) c. Société canadienne des postes, 2004 CF 81, au paragraphe 15, conf. par Commission canadienne des droits de la personne c. Société canadienne des postes, 2004 CAF 363). Dans Labelle c. Rogers Communications Inc., 2012 TCDP 4, le Tribunal a examiné en détail les principes applicables à une requête en rejet pour défaut du plaignant de donner suite à sa plainte de manière active (voir les paragraphes 73 à 88). Le Tribunal peut rejeter une plainte lorsque l’affaire demeure trop longtemps au même point parce qu’une partie « ne tient absolument aucun compte » des délais établis par le Tribunal, si bien que le retard occasionné constitue un abus de procédure devant le Tribunal (voir Tourangeau c. Greyhound Canada Transportation Corporation, 2008 TCDP 2, au paragraphe 8; Johnston c. Force armées canadiennes, 2007 TCDP 42, aux paragraphes 29 à 34).

[42]  À mon avis, M. Mattice n’a tenu absolument aucun compte des délais établis par le Tribunal et a abusé de la procédure.

[43]  Il a passé outre cinq fois à la date butoir prévue pour le dépôt d’un mémoire de médiation. Il n’a jamais demandé de prorogation de délai ni donné avis qu’il n’arriverait pas à respecter les dates prévues.

[44]  M. Mattice a fait défaut deux fois de soumettre son exposé des précisions. Là encore, sans demande de prorogation ni préavis.

[45]  Il a également omis de participer à une téléconférence de gestion de cas qui avait été organisée principalement pour régler ses difficultés à se conformer à la procédure. M. Mattice a reçu un préavis de quatre semaines pour cette téléconférence et un appel téléphonique pour la lui rappeler quelques jours avant sa tenue.

[46]  Enfin, malgré le fait qu’on l’ait mis au courant de la requête en rejet de l’intimée, M. Mattice ne s’est pas prévalu de la possibilité d’y répondre.

[47]  Le paragraphe (5) de l’article premier des Règles de procédure du Tribunal prévoit que les dates et les délais fixés par le Tribunal sont obligatoires :

1(5) À moins que le membre instructeur n’accorde une prorogation ou un ajournement, tous les délais établis pour l’observation des présentes règles et toutes les dates fixées relativement à des audiences, à des requêtes ou à des conférences préparatoires sont impératifs.

[48]  M. Mattice n’a pas demandé d’ajournements pour participer à la téléconférence de gestion de cas du 26 août 2014 ni de prorogations de délai pour le dépôt de son mémoire de médiation, la production de son exposé des précisions et la divulgation de documents. Il n’a même pas répondu à la requête en rejet de sa plainte.

[49]  Dans le cours normal de la procédure du Tribunal, un dossier fera l’objet d’une médiation dans les trois à six mois du renvoi, selon le consentement et la disponibilité de toutes les parties intéressées. Généralement, si l’on exclut les questions préliminaires, les exposés des précisions sont communiqués et les dates d’audience sont établies en moins d’un an après le renvoi. La présente plainte outrepasse de beaucoup la période normale de traitement des dossiers du Tribunal : pourtant, aucune question préliminaire ni autre circonstance n’a été soulevée. Le plaignant n’a pas non plus fourni d’explications d’aucune sorte pour justifier ses manquements répétés dans l’observation des délais.

[50]  La plainte a été renvoyée au Tribunal le 24 avril 2012. À partir de cette date, après cinq défauts d’observation des dates butoirs fixées pour le dépôt d’un mémoire de médiation, il a fallu deux ans pour que la plainte de M. Mattice atteigne la médiation. Après une médiation qui s’est soldée par un échec, et malgré les efforts du Tribunal, six autres mois se sont écoulés depuis que l’on a demandé à M. Mattice de produire un exposé des précisions et de divulguer ses documents pour l’audience. Près de trois ans se sont écoulés depuis le renvoi de la plainte au Tribunal, et rien n’indique encore qu’il instruira la plainte dans un proche avenir. À mon avis, la plainte est demeurée trop longtemps au même point parce que le plaignant a fait fi des délais fixés par le Tribunal, et c’est pour cette raison qu’elle devrait être rejetée.

[51]  Le Tribunal est chargé d’instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive, de sorte que les Canadiens puissent se prévaloir des recours prévus par la Loi de manière efficace, rapide et économique (voir le paragraphe 48.9(1)). Le régime juridique canadien en matière de droits de la personne est conçu non seulement pour assurer le respect des droits constitutionnels des plaignants, qui sont parfois des personnes très vulnérables, mais aussi pour protéger certaines valeurs fondamentales de notre société dans leur ensemble. À cet égard, le Tribunal s’emploie dûment à répondre aux besoins des parties qui se représentent elles-mêmes pour leur donner amplement et pleinement la possibilité de présenter leur cause, mais elle ne le fait pas au détriment des autres parties ou du Tribunal. En plus d’instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive, le Tribunal a l’obligation de respecter les principes de justice naturelle. Autrement dit, le Tribunal a le devoir d’agir équitablement envers toutes les parties.

[52]  Il n’est pas impossible d’imaginer qu’une partie à une plainte pourrait délibérément chercher à étirer la procédure simplement dans le but d’infliger des dommages financiers à la partie adverse, sachant que chaque retard ou chaque date butoir manquée fait monter le coût d’une désignation comme partie à la plainte. Les procédures judiciaires qui durent trop longtemps peuvent se révéler coûteuses pour les parties. Ainsi, si une partie a retenu les services d’un conseiller juridique externe, pour chaque retard, chaque date butoir manquée, chaque téléconférence de gestion de cas reportée, toutes les fois qu’une partie de la procédure doit être reprise une seconde, une troisième ou une quatrième fois, cela se traduit par un coût financier réel pour la partie. En plus de voir à ce que les retards soient évités et à ce que les règles de procédure soient observées, le Tribunal doit aussi se prémunir contre ces possibles abus de procédure.

IV.  Décision

[53]  Par conséquent, la plainte est rejetée, parce que M. Mattice a refusé de donner suite à sa plainte de manière active.

Signée par

David L. Thomas

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 2 décembre 2014

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