Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Mohamed Yaffa

le plaignant

- et -

Canadian Human Rights Commission

la Commission

- et -

Air Canada

l’intimée

Décision sur requête

Numéro du dossier : T1863/9312

Membre : David Thomas

Date : le 8 août 2014

Référence : 2014 TCDP 22

 



I.  La plainte et les requêtes en divulgation

  • [1] Le plaignant est un Canadien musulman de descendance africaine, qui se décrit lui-même comme ayant la peau foncée. Conformément à l’alinéa 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H‑6 (la Loi), il allègue avoir été défavorisé à l’occasion de la fourniture d’un service offert par l’intimée. En résumé, il prétend que le transporteur aérien intimé lui a fait subir un contrôle de sécurité approfondi du fait de sa race, de son origine nationale ou ethnique, de sa couleur et de sa religion, et ce, à six reprises différentes entre les mois de mars et de juin 2010. L’intimée soutient qu’elle n’a pas fait preuve de discrimination à l’encontre du plaignant et que, dans ses rapports avec le plaignant, elle se conformait simplement aux exigences américaines et canadiennes en matière de sécurité aérienne, ce qui inclut les [traduction] « listes d’interdiction de vol ».

  • [2] En prévision de l’audition de la présente affaire, chaque partie a déposé une requête en divulgation de renseignements. C’est sur ces requêtes que porte la présente décision.

  • [3] Aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi, les parties qui se présentent devant le Tribunal doivent bénéficier de la possibilité pleine et entière de présenter leurs arguments. À cette fin, chaque partie a besoin, notamment, que les renseignements potentiellement pertinents qui se trouvent en la possession ou sous la garde de la partie adverse lui soient divulgués avant l’audition de l’affaire. De pair avec les faits et les questions que présentent les parties, la divulgation de renseignements permet à chacune de connaître les éléments qui lui sont reprochés et, ainsi, de se préparer convenablement à l’audition. Pour cette raison, s’il existe un lien logique entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par les parties en cause, ce document doit être communiqué en application des alinéas 6(1)d) et e) des Règles de procédure (03-05-04) du Tribunal (voir Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, au paragraphe 42 [Guay]; Rai c. Gendarmerie royale du Canada, 2013 TCDP 6, au paragraphe 28; et Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18, au paragraphe 6).

  • [4] Cependant, il ne faut pas que la demande de divulgation soit hypothétique ou qu’elle équivaille à une recherche à l’aveuglette. Les documents demandés doivent être mentionnés avec une précision raisonnable. C’est-à-dire que la demande ne devrait pas obliger un étranger ou une partie au litige à se soumettre à une « recherche onéreuse et fort étendue de documentation » (voir Guay, au paragraphe 43).

  • [5] Il convient par ailleurs de signaler que la divulgation de renseignements potentiellement pertinents ne veut pas dire que ces derniers seront admis en preuve au stade de l’audition de l’affaire ou qu’on leur accordera un poids important lors du processus décisionnel (voir Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28, au paragraphe 4).

  • [6] L’intimée souhaite obtenir les dossiers médicaux et le dossier des ressources humaines du plaignant, ainsi que ses déclarations de revenus et ses avis de cotisation. De la Commission, elle souhaite également recevoir les renseignements relatifs à la plainte que le plaignant a déposée contre l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (l’ACSTA).

  • [7] La demande de l’intimée au sujet des dossiers médicaux est la suivante :

II.  Les principes de la divulgation

III.  La requête en divulgation de l’intimée

A.  Les dossiers médicaux

[traduction

  • a) que le plaignant produise une liste des spécialistes des soins de santé, dont des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux ou des conseillers, qu’il a consultés pour des symptômes liés à l’anxiété, à la dépression, à l’insomnie ou à toute autre affection, ou pour leur traitement, depuis janvier 2006;

  • b) que le plaignant produise aux parties tous les documents médicaux qu’il a en sa possession et qui proviennent des personnes ou des organismes précisés ci-dessous, et qu’il fournisse une autorisation permettant à l’intimée d’obtenir les dossiers complets de ces mêmes personnes ou organismes, et ce, depuis janvier 2006, relativement aux traitements qu’il a reçus, ou qu’il les obtienne lui-même :

  • (i) Centre de santé communautaire de North End;

  • (ii) M. Glen Campbell;

  • (iii) M. Gerald Hann;

  • (iv) Mme Rose;

(v)  Dr Woods.

[8]  Selon l’intimée, le plaignant prétend qu’en raison du prétendu acte discriminatoire il a subi des dommages, dont un préjudice personnel, comme de la dépression, de l’anxiété, de l’insomnie et une perte d’estime de soi, dommages pour lesquels il souhaite obtenir une indemnisation pour souffrance morale et physique. De ce fait, d’après l’intimée, le plaignant a directement mis en cause ses antécédents médicaux avant et après les présumés incidents et, dans ce contexte, elle a besoin des documents médicaux demandés pour pouvoir se défendre comme il faut contre les allégations que le plaignant a soulevées.

[9]  De plus, l’intimée déclare qu’elle a demandé à maintes reprises au plaignant de produire ses documents médicaux; cependant, ce dernier n’a fourni à ce jour que des documents médicaux restreints, lesquels se composent principalement de lettres de compte rendu dans lesquelles il semble que l’on ait expressément demandé à des professionnels de la santé de ne traiter que des questions demandées par le plaignant. Selon l’intimée, aucun des documents produits n’inclut des notes de consultation, des notes et des dossiers cliniques ou un sommaire des examens effectués en fonction des préjudices que le plaignant aurait subis.

[10]  Le plaignant croit que la demande concernant ses renseignements médicaux est d’une trop grande portée, qu’elle déborde le cadre de l’affaire et qu’elle empiète sur sa vie privée. Il prétend avoir déjà produit des documents qui sont directement liés à l’effet que ses allégations ont eu sur lui. Il soutient qu’il n’a pas créé ces documents, mais qu’il s’agit plutôt de témoignages de professionnels de la santé et de la médecine.

[11]  La Commission fait écho aux observations du plaignant. D’après elle, le plaignant n’allègue pas que les actes en question ont exacerbé une affection qui existait déjà avant les prétendus incidents, mais que les actes allégués lui ont causé de la détresse, de l’anxiété, du stress, de l’insomnie et un état d’appréhension chronique dans les aéroports. La Commission déclare que, de ce fait, le dossier médical tout entier du plaignant, qui remonte à 2006, de même que les dossiers des six personnes nommées, dépassent de loin ce qui est pertinent à l’égard des faits et des questions qui sont soulevés en l’espèce. De l’avis de la Commission, si le Tribunal faisait droit à la demande de l’intimée concernant les dossiers médicaux, il faudrait qu’elle se limite aux prétendues souffrances morales et physiques et qu’elle ne vise pas la période antérieure à celle qui est en litige.

[12]  Le Tribunal reconnaît qu’un plaignant a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité quand il est question de ses dossiers médicaux (voir Beaudry c. Canada (Procureur général), 2002 CanLII 61851 (TCDP), au paragraphe 7 [Beaudry]; McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd., 2001 CanLII 38296 (TCDP), au paragraphe 3 [McAvinn]). Mais il est possible que ce droit s’éteigne lorsque cette personne met son état de santé en cause (voir McAvinn, au paragraphe 4; Guay, au paragraphe 45; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Bell Canada, 2005 TCDP 9, aux paragraphes 9 à 11; voir également Frenette c. Metropolitan Life Insurance Co., [1992] 1 RCS 647; et M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 RCS 157 [M. (A.)]). Cela dit, « le besoin de découvrir la vérité et d’éviter une injustice n’écarte pas automatiquement la possibilité d’une protection contre une divulgation complète » (M. (A.), au paragraphe 33). Dans les affaires où le Tribunal a ordonné la divulgation de dossiers médicaux, il a habituellement assorti cette divulgation de conditions de manière à protéger la vie privée de la personne et la confidentialité des renseignements, comme restreindre les personnes pouvant les consulter et les copier (voir par exemple Guay, au paragraphe 48; McAvinn, aux paragraphes 19 et 20; Beaudry, aux paragraphes 7 et 9; Palm c. International Longshore and Warehouse Union, Local 500 et al., 2012 TCDP 11, au paragraphe 19; et Rai c. Gendarmerie royale du Canada, 2013 TCDP 6, au paragraphe 37).

[13]  Le plaignant a mis son état de santé en cause en disant qu’il s’est fait traiter pour de la dépression, de l’anxiété, de l’insomnie et une perte d’estime de soi en raison des présumés actes discriminatoires. À cet égard, il réclame aussi des dommages-intérêts pour souffrance morale et physique. Je suis donc d’avis que les dossiers médicaux du plaignant qui se rapportent au traitement de la dépression, de l’anxiété, de l’insomnie ou de la perte d’estime de soi sont potentiellement pertinents à l’égard de la présente plainte, car ils permettraient à l’intimée de répondre convenablement aux allégations concernant les effets des prétendus actes discriminatoires sur le plaignant. Cela oblige également le plaignant à produire une liste des spécialistes des soins de santé, dont des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux ou des conseillers, qu’il a consultés pour le traitement de la dépression, de l’anxiété, de l’insomnie ou de la perte d’estime de soi.

[14]  L’intimée demande des dossiers médicaux qui remontent à 2006. Rien n’indique pourquoi cette période précise est demandée. Cependant, il est raisonnable que l’intimée puisse évaluer si l’un des symptômes que le plaignant a ressentis en 2010 et par la suite avait un lien avec une affection médicale préexistante ou une expérience traumatisante antérieure. Il se peut toutefois que la période commençant en 2006 soit d’une portée excessive. Il convient donc de communiquer les dossiers médicaux susmentionnés qui s’appliquent à la période commençant en janvier 2008.

[15]  Pour protéger le droit du plaignant à la confidentialité de ses dossiers médicaux, les documents seront communiqués aux avocats de l’intimée et de la Commission seulement, et à nulle autre personne sans obtenir au préalable l’autorisation du Tribunal et sans en aviser le plaignant. Les documents ne pourront servir à aucune fin autre que la présente instruction. Si le plaignant estime que l’un de ces documents est de nature personnelle et n’est pas potentiellement pertinent, je lui donnerai le choix de me le transmettre à l’avance et je déciderai s’il y a lieu de le communiquer ou non. Si le plaignant se prévaut de cette possibilité, un avis de mon examen de ces documents sera signifié aux autres parties.

B.  Le dossier des ressources humaines

[16]  Pour ce qui est du dossier des ressources humaines, l’intimée demande :

[traduction

a)  que le plaignant produise aux parties le dossier complet des ressources humaines que tient son employeur ou qu’il donne l’autorisation de l’obtenir.

[17]  La demande de l’intimée concernant le dossier des ressources humaines du plaignant est fondée sur les énoncés suivants, qui figurent dans la plainte ainsi que dans l’exposé des précisions du plaignant :

[traduction
La situation s’est répercutée sur mon travail ainsi que sur mes collègues, car je m’inquiète souvent des perceptions et de la stigmatisation qui s’y rattachent.

J’ai puisé dans ma banque de jours de congé pour poursuivre ma guérison. Depuis le début de cette épreuve, j’ai pris plus que le nombre moyen de jours de maladie au travail […]

[18]  L’intimée soutient qu’elle ne peut vérifier la véracité de ces allégations que si on lui permet de consulter le dossier des ressources humaines du plaignant. Il lui serait dans ce cas possible de comparer les dates de vacances à celles où le plaignant a reçu des traitements et de vérifier s’il a vraiment été affecté par la situation au travail.

[19]  Le plaignant soutient qu’il est disposé à demander à son directeur de produire une comparaison entre ses congés de maladie et une représentation statistique générale des congés de maladie d’autres personnes occupant un poste semblable au sein de son service, à compter du mois de mars 2010. Il laisse aussi entendre que, si la plainte atteint le stade de l’instruction, on pourrait aussi appeler le directeur à témoigner.

[20]  La Commission soutient que la communication du dossier des ressources humaines tout entier du plaignant excède de loin ce qui est pertinent à l’égard des faits et des questions qui sont soulevés en l’espèce. Selon elle, les problèmes d’emploi associés aux souffrances physiques et morales dont le plaignant fait état sont liés au fait qu’ils causent des problèmes d’absentéisme. Le plaignant n’allègue pas que les actes en question ont exacerbé des problèmes qui existaient déjà au travail ou que son rendement au travail en a souffert. Par conséquent, de l’avis de la Commission, l’intimée a tout au plus droit aux documents d’emploi établis depuis les prétendus incidents. La Commission ajoute également que, pour des raisons de comparaison, l’intimée peut aussi avoir droit à certains documents liés à la période directement antérieure au mois de mars 2010, celui où le premier incident aurait eu lieu. Cependant, elle soutient que les documents d’emploi communiqués devraient se limiter aux présences, car il s’agit là du seul aspect sur lequel, d’après le plaignant, les prétendus actes discriminatoires ont eu une incidence.

[21]  Je suis d’avis que le dossier des ressources humaines du plaignant est potentiellement pertinent à l’égard de sa prétention selon laquelle les prétendus actes discriminatoires ont eu une incidence sur lui au travail. L’intimée demande le dossier des ressources humaines complet du plaignant. Même si celui-ci ne dit pas précisément quelle a été l’incidence de la situation sur son travail, il allègue bel et bien qu’il y a eu une telle incidence. Il est donc raisonnable, je crois, que le plaignant communique l’ensemble de son dossier des ressources humaines afin que l’intimée puisse évaluer une période raisonnable qui précède et qui suit le prétendu comportement discriminatoire. Ce dossier devrait être complet et comporter la totalité des renseignements qui s’appliquent à la période de janvier 2007 à décembre 2013. Il devrait aussi inclure un compte rendu des congés de maladie que le plaignant a pris au cours de la même période, car cette information est potentiellement pertinente à des fins comparatives. Par ailleurs, comme le plaignant soutient qu’il s’est servi de jours de congé pour poursuivre sa guérison, je crois qu’il est potentiellement pertinent que le plaignant divulgue les dates auxquelles il a pris congé depuis le mois de mars 2010, soit celui où le premier incident aurait eu lieu.

C.  Les déclarations de revenus et les avis de cotisation

[22]  Le plaignant déclare qu’à cause des actes discriminatoires allégués :

[traduction]

J’ai annulé ou manqué de nombreuses occasions de voyager à divers endroits pour mon avantage personnel et celui de ma famille et j’ai donc subi des pertes sérieuses sur le plan de mon bien-être et de celui de ma famille.

[23]  Selon l’intimée, le plaignant n’a pas donné de détails sur ce qu’il considère comme des occasions manquées ou sur la façon dont ces occasions auraient été à son avantage ou à celui de sa famille. Le plaignant n’a pas non plus précisé si ces occasions manquées ont occasionné une perte pécuniaire. L’intimée demande donc :

[traduction

a)  que le plaignant produise aux parties ses déclarations de revenus et ses avis de cotisation depuis l’année 2006;

[24]  L’intimée demande que ces documents soient produits afin que l’on puisse vérifier si le plaignant a subi des pertes de nature pécuniaire quelconques en raison des prétendus incidents.

[25]  Tant le plaignant que la Commission soutiennent que les documents relatifs à l’impôt sur le revenu sont sans rapport avec les questions qui sont en litige en l’espèce. La Commission fait remarquer que l’indemnisation réparatrice que demande le plaignant se limite à des souffrances physiques et morales ainsi qu’à une discrimination délibérée et inconsidérée, qu’il n’y a pas de demande d’indemnisation pour perte de salaire, pas plus que le plaignant n’allègue que les prétendus actes discriminatoires ont occasionné une perte de revenus. De ce fait, selon la Commission, il y a lieu de rejeter la demande de l’intimée concernant les déclarations de revenus et les avis de cotisation.

[26]  Je ne vois pas la prétendue pertinence des déclarations de revenus et des avis de cotisation du plaignant, car la présente demande n’inclut pas de réclamation pour perte de salaire ou de revenu par suite du prétendu comportement discriminatoire. Si la demande comprenait une telle réclamation, il aurait été potentiellement pertinent, selon moi, de produire les documents relatifs à l’impôt sur le revenu. Comme ce n’est actuellement pas le cas, la demande de l’intimée en vue d’obtenir les déclarations de revenus et les avis de cotisation du plaignant est rejetée.

D.  La plainte déposée contre l’ACSTA

[27]  L’intimée soutient que ce qu’elle a reçu jusqu’ici comporte de nombreux documents faisant référence à une autre plainte déposée par le plaignant contre l’ACSTA. L’intimée affirme que, dans les documents qu’elle a reçus, le plaignant confirme que les allégations portées contre l’ACSTA ont eu lieu entre ou pendant les formalités d’enregistrement et de sécurité qui précèdent l’embarquement à bord d’un aéronef, et ce, à au moins deux des mêmes dates que celles des incidents dont il est question en l’espèce. De plus, l’intimée soutient que ces documents comprenaient une note au dossier précisant que l’ACSTA avait fourni des détails ou des documents qui impliquaient l’intimée dans les prétendus incidents. De l’avis de cette dernière, les allégations évoquées dans les deux plaintes sont inextricablement liées parce qu’elles ont eu lieu en même temps et qu’une part importante de la présente plainte est liée à un contrôle secondaire que l’ACSTA a mené.

[28]  L’intimée soutient que, de ce fait, les renseignements figurant dans le dossier de l’ACSTA jetteraient de la lumière sur les circonstances factuelles qui ont donné lieu à la présente plainte et qu’ils lui donneraient aussi la possibilité d’examiner toutes les répercussions qui lui sont reprochées. Elle ajoute qu’étant donné que les circonstances des deux plaintes sont semblables, elle aimerait aussi vérifier si le plaignant souhaite obtenir des dommages-intérêts à la fois de l’ACSTA et de l’intimée pour les mêmes prétendus préjudices. Si c’est le cas, soutient l’intimée, elle ne peut pas être tenue responsable de préjudices pour lesquels l’ACSTA peut être – ou a déjà été – déclarée responsable.

[29]  Cela étant, l’intimée demande les documents suivants à la Commission :

[traduction

a)  que la Commission produise le dossier complet sur la plainte que le plaignant a déposée contre l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (l’ACSTA) pour les mêmes dates de voyage que celles dont il est question dans la présente plainte;

b)  subsidiairement, que la Commission fournisse des détails sur les allégations que le plaignant a portées contre l’ACSTA pour les mêmes dates de voyage que celles qui sont l’objet de la présente plainte, de même que l’état de la plainte déposée contre l’ACSTA.

[30]  L’intimée affirme avoir demandé le consentement du plaignant et de l’ACSTA au sujet de la production du dossier que tient cette dernière. Selon l’intimée, l’ACSTA a fait savoir qu’elle consentira à la communication à la condition qu’on lui donne la possibilité d’examiner les documents afin de vérifier s’ils comportent des renseignements sensibles sur le plan de la sécurité et de proposer peut-être des mesures visant à les protéger.

[31]  La Commission prétend que son dossier, dans la plainte portée contre l’ACSTA, n’est pas pertinent à l’égard de la plainte dont il est question en l’espèce. Selon elle, les allégations faites en l’espèce ne visent que les mandataires de l’intimée. Bien que le plaignant fasse mention à plusieurs reprises de l’ACSTA dans ses documents, selon la Commission, ces mentions concernent presque entièrement des allégations selon lesquelles l’intimée l’a ciblé en vue d’un contrôle secondaire effectué par l’ACSTA. En outre, la Commission soutient que les mesures de redressement que souhaite obtenir le plaignant visent entièrement les actes de l’intimée. Elle signale également que les plaintes portées contre l’ACSTA et l’intimée ont été traitées comme des dossiers distincts, qu’elles ont fait l’objet d’une enquête distincte et que, en fin de compte, la plainte portée contre l’ACSTA a été rejetée.

[32]  La Commission ajoute que, si l’intimée obtient l’accord de l’ACSTA et du plaignant pour ce qui est de la divulgation des renseignements figurant dans le dossier, ces derniers seront fournis.

[33]  Bien que la Commission s’oppose à ce que l’on communique les documents relatifs à la plainte portée contre l’ACSTA pour cause d’absence de pertinence, elle est tout de même disposée à fournir les renseignements si l’ACSTA et le plaignant y souscrivent. L’ACSTA a donné son accord. Par conséquent, le seul obstacle à la divulgation de ces renseignements est le plaignant. Dans sa réponse à la requête de l’intimée, le plaignant n’a pas dit pourquoi il s’oppose à la divulgation de ces renseignements. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que ces renseignements sont potentiellement pertinents.

[34]  Les procédures de sécurité qui sont appliquées depuis l’étape de l’enregistrement à l’aéroport, qu’exécute l’intimée, jusqu’à celle du contrôle de sécurité, qu’exécute l’ACSTA, se succèdent et il semble y a voir des liens entre les procédures distinctes. Vu la position qu’adopte l’intimée en réponse à la présente plainte, à savoir qu’elle n’a fait que suivre les règlements canadiens et américains en matière de sécurité dans la façon dont elle a censément traité le plaignant, je crois qu’il serait potentiellement pertinent de connaître le point de vue de l’ACSTA sur les circonstances de la présente affaire, y compris la manière dont elle perçoit le rôle que l’intimée a joué dans le prétendu traitement du plaignant. Compte tenu de la prétention de l’intimée selon laquelle les allégations évoquées dans les deux plaintes paraissent semblables, je crois aussi que les renseignements figurant dans le dossier de l’ACSTA peuvent être potentiellement pertinents pour mieux comprendre les circonstances factuelles qui ont donné lieu à la présente plainte. De plus, comme on laisse entendre que l’ACSTA a sous-entendu que l’intimée avait commis des actes répréhensibles, il est donc juste que l’intimée soit elle aussi mise au courant de ces actes. Je suis donc d’avis qu’il faudrait divulguer les renseignements que détient la Commission dans son dossier sur la plainte portée par le plaignant contre l’ACSTA.

IV. La requête en communication du plaignant

[35]  Le plaignant demande que l’intimée fournisse quatre types de documents. Deux des demandes peuvent être qualifiées de renseignements concernant la formation dispensée aux employés de l’intimée. Le plaignant souhaite aussi obtenir des documents faisant état de la position de l’intimée à propos des droits de la personne ainsi que des renseignements sur des plaintes semblables à celles dont il est question en l’espèce qui auraient été portées contre l’intimée.

A.  Les renseignements concernant la formation dispensée aux employés de l’intimée

[36]  Le texte intégral des demandes que le plaignant a formulées sous cette rubrique est le suivant :

[traduction
1. Toutes les ressources pertinentes concernant l’établissement d’une capacité organisationnelle en matière de diversité et de compétences culturelles, y compris, notamment, les stratégies, les programmes de formation, les politiques, les énoncés de principe sur la diversité, l’inclusion et les compétences culturelles, de même que toute étude connexe.

2. Tous les documents relatifs aux activités de formation sur la sensibilisation aux réalités culturelles et les compétences culturelles qu’ont suivies les membres du personnel et les personnes qui ont eu affaire avec moi à l’aéroport, de même que le contenu de ces programmes.

[37]  Dans le même ordre d’idées, la requête en communication de la Commission porte également sur :

[traduction

d. Les renseignements concernant la formation dispensée aux employés de l’intimée sur la manière de répondre aux plaintes de passagers soumis à un interrogatoire plus précis ou à un contrôle de sécurité approfondi ou interdits de vol à cause de prétendues préoccupations sur le plan de la sécurité.

e.  Les renseignements concernant la formation dispensée aux employés d’Air Canada sur les droits de la personne ou sur la formation à la sensibilité que dispense Air Canada à ses employés qui s’occupent, directement ou indirectement, du contrôle de sécurité des passagers.

[38]  Selon le plaignant, la position qu’adopte une organisation et la stratégie qu’elle suit sur le plan de la sensibilisation aux réalités culturelles ont une incidence directe sur les attitudes et le comportement des membres de son personnel. Le plaignant parle d’une atmosphère de crainte à l’égard des musulmans à la suite des tragiques événements du 11 septembre 2001 et, de ce fait, il croit qu’il est important de savoir ce que l’intimée a fait pour s’assurer que ses employés sont ouverts aux différences culturelles. Si l’on fournit bel et bien une formation de sensibilisation aux différences culturelles aux employés de l’intimée, le plaignant aimerait également savoir si les membres du personnel qui ont pris part aux prétendus incidents en l’espèce l’ont suivie, et quand.

[39]  Pour sa part, la Commission demande que l’intimée fournisse tous les documents de formation demandés ou confirme par écrit qu’il n’existe aucun document de ce genre. À son avis, ces renseignements sont potentiellement pertinents parce que les allégations, en partie, concernent directement les rapports entre le plaignant et les membres du personnel de l’intimée qui ont pris des mesures de sécurité additionnelles ou qui ont répondu aux questions du plaignant sur ces mesures.

[40]  Par ailleurs, la Commission est d’avis que la plainte soulève un certain nombre d’indices dénotant qu’il y a vraisemblablement en cause des questions systémiques. Premièrement, elle affirme que l’intimée prétend avoir tout simplement appliqué les exigences législatives et réglementaires des États-Unis et du Canada dans la façon dont elle a traité le plaignant. Par conséquent, selon elle, l’intimée se conformait à une politique ou à une pratique, qu’elle a appliquée au plaignant et qui comporte vraisemblablement des répercussions systémiques. De l’avis de la Commission, ce fait est renforcé par le caractère répétitif des contrôles de sécurité additionnels auxquels le plaignant a été soumis, le fait qu’au cours de la même période que celle qui est en litige, le plaignant a voyagé à bord d’un aéronef d’un autre transporteur, mais sans être soumis à d’autres mesures de sécurité, et le fait que l’intimée a été l’objet de plaintes d’autres personnes évoquant les mêmes allégations que celles dont il est question en l’espèce. La Commission soutient qu’il y a vraisemblablement des questions systémiques qui sont en jeu dans la présente plainte et elle estime que le fait de connaître les activités de formation fournies aux employés de l’intimée aidera le Tribunal à déterminer s’il est possible de tirer des inférences de discrimination au sujet de la conduite de ces employés ou mandataires, ainsi qu’à décider quelles mesures de redressement d’intérêt public sont appropriées si la plainte est fondée.

[41]  Pour ce qui est des droits de la personne ou de la formation de sensibilisation aux réalités culturelles, l’intimée fait valoir que ni le plaignant ni la Commission n’ont fourni une preuve quelconque qui établit l’existence d’une différence de traitement fondée sur la race ou la religion. L’intimée soutient que, dans ce contexte, la pertinence des documents de formation demandés sur la [traduction] « sensibilisation aux réalités culturelles et les compétences culturelles » n’a aucune incidence sur la principale question de savoir si le plaignant a fait l’objet d’une différence de traitement ou si ce qu’il a subi était dû à un protocole normalisé. Par conséquent, de l’avis de l’intimée, les documents demandés seraient peu pertinents, à moins d’établir l’existence d’un lien logique qui justifierait leur communication.

[42]  Pour ce qui est d’autres documents de formation, l’intimée soutient qu’elle ne s’occupe pas du contrôle de sécurité des passagers. Elle est plutôt tenue de contrôler chacun de ces derniers en fonction de procédures fixées par le gouvernement du Canada et celui des États-Unis. L’intimée décrit ces procédures en ces termes :

[traduction

Lorsque le nom d’un passager présente une correspondance étroite avec un nom quelconque qui apparaît dans la liste d’interdiction de vol ou la liste de personnes sélectionnées des États-Unis ou du Canada, une invite automatique apparaît à l’écran de l’agent, précisant que ce passager est considéré comme étant à « risque élevé ». L’agent est ensuite tenu de communiquer avec une division du Service de sécurité générale de l’intimée, appelé le Centre de sécurité des opérations (le CSO). L’agent du CSO demande ensuite d’autres renseignements sur le passager, ce qui amène souvent un agent en poste à l’aéroport à interroger le passager en question à des fins d’identification. Il est possible que le CSO ait besoin d’une confirmation de l’instance gouvernementale chargée de la liste applicable, à la suite de quoi le CSO prescrit si une carte d’embarquement sera remise sans restriction, si elle sera remise à la suite d’un contrôle secondaire ou si elle ne sera pas remise du tout. L’agent en poste à l’aéroport et le transporteur aérien n’auraient pas accès aux discussions entre le CSO et les organismes gouvernementaux compétents. De plus, elle ne prend part à aucune décision ou n’exécute aucune des mesures de sécurité additionnelles qui peuvent être exigées.

[43]  À cet égard, l’intimée soutient qu’elle a déjà fourni tous les renseignements potentiellement pertinents, dont un document intitulé [traduction] « Autorisation sécuritaire des passagers considérés comme étant à risque élevé – Politique et conditions » de même que ses [traduction] « Politique et lignes directrices sur la conduite des opérations de l’entreprise ».

[44]  Les demandes de documents de formation qu’ont présentées le plaignant et la Commission sont semblables, et peuvent être considérées ensemble. L’intimée fait valoir que ni le plaignant ni la Commission n’ont fourni une preuve quelconque qui établit l’existence d’une différence de traitement fondée sur la race ou la religion. De ce fait, de l’avis de l’intimée, tout document de formation portant sur les droits de la personne ou la sensibilisation aux réalités culturelles n’est pas pertinent. Cependant, au stade de la communication, il n’est pas nécessaire que le plaignant ou la Commission prouvent ou justifient leurs allégations pour avoir droit à ce que l’intimée leur transmette des documents. La seule exigence applicable, comme nous l’avons vu plus tôt, est que les renseignements doivent être potentiellement pertinents.

[45]  À cet égard, je crois que les documents de formation qu’ont demandés le plaignant et la Commission sont potentiellement pertinents, car certaines des allégations du plaignant portent sur les actes et les déclarations des employés de l’intimée. Par ailleurs, ces renseignements sont potentiellement pertinents à l’égard des allégations de discrimination systémique que la Commission a exposées et, s’il s’avère que la plainte est fondée, à l’égard des mesures de redressement connexes.

[46]  L’intimée soutient avoir déjà communiqué des renseignements potentiellement pertinents à ce sujet, mais sa réponse n’indique pas clairement si ses employés suivent bel et bien une formation sur la manière de se comporter avec les voyageurs dans le cadre des procédures de sécurité ou une formation sur les droits de la personne ou la sensibilisation aux réalités culturelles. Les réponses de l’intimée aux demandes ne permettent pas précisément de dire s’il existe de telles activités de formation. On peut donc présumer, d’après les réponses de l’intimée, qu’aucune activité de cette nature n’est offerte à ces employés. Je crois toutefois qu’il serait préférable que l’intimée confirme si les activités de formation existent ou pas et, dans l’affirmative, qu’elle divulgue les renseignements potentiellement pertinents aux autres parties.

[47]  En conséquence, pour répondre aux demandes du plaignant et de la Commission, je prescrirais que l’intimée : 1) confirme si elle dispense ou non une formation à ses employés de première ligne qui sont en poste dans les aéroports, comme ceux qui ont eu affaire au plaignant, sur la façon de répondre aux plaintes des passagers que l’on soumet à un interrogatoire plus détaillé ou à un contrôle de sécurité approfondi ou qui sont interdits de vol en raison de prétendues préoccupations relatives à la sécurité; et, si elle dispense bel et bien une telle formation, qu’elle communique les documents de formation connexes; et 2) qu’elle confirme si elle dispense ou non une formation à ses employés de première ligne qui sont en poste dans les aéroports, comme ceux qui ont eu affaire au plaignant, sur les droits de la personne ou sur la sensibilisation aux réalités culturelles; et, dans l’affirmative, qu’elle communique les documents de formation connexes.

B.  Les documents faisant état de la position de l’intimée sur les droits de la personne

[48]  Le plaignant demande :

[traduction]

Tous les documents, électroniques ou autres, faisant état de la position de l’intimée sur les droits de la personne ou d’une préoccupation « sérieuse » à l’égard des violations des droits de la personne, lors des négociations, des communications ou des réunions qui ont été tenues entre l’intimée et les instances qui se soucient de la sécurité, au pays et à l’étranger, et qui ont mené à l’adoption des prétendues mesures de sécurité, lesquelles sont citées comme prémisse de la manière dont moi-même et d’autres personnes avons été traités.

[49]  Le plaignant justifie sa demande en ces termes :

[traduction]

Il incombe à Air Canada de veiller à ce que les négociations visant à entreprendre n’importe quelle opération ne comportent aucune violation directe ou indirecte des lois canadiennes. Au cours de la présente affaire, l’intimée a systématiquement justifié sa responsabilité à l’égard de la sécurité et ses prétendues mesures. Ce dont nous n’avons pas entendu parler beaucoup est l’exercice de mise en balance de la responsabilité à l’égard des droits de la personne dans le cadre de ce processus ou les efforts qu’Air Canada a faits pour préserver les droits de la personne. Il est essentiel de savoir à quel stade, le cas échéant, Air Canada a fait montre de sérieuses préoccupations et a adopté une position claire à l’égard des droits de la personne au cours du processus susmentionné. Existe-t-il des documents, des déclarations publiques, etc., qui le prouvent? Dans l’affirmative, quelles parties de ces documents peuvent être communiquées? Quelles préoccupations, s’il y en a, justifieraient la non‑communication de la totalité ou d’une partie d’un tel document?

[50]  L’intimée soutient que la demande du plaignant n’est pas claire et qu’elle a reçu peu d’informations pour l’aider à déchiffrer exactement ce qui est demandé. Cela étant, elle soutient qu’elle n’a pas pu examiner comme il faut la demande du plaignant et vérifier sa position quant à la question de savoir si les documents demandés seraient potentiellement pertinents à l’égard des questions qui sont en litige en l’espèce.

[51]  Je ne suis pas tout à fait sûr non plus de ce que le plaignant demande ici et, de ce fait, il me faut rejeter cette demande à ce stade-ci. Cependant, il est loisible au plaignant d’éclaircir sa demande et de la présenter de nouveau à l’intimée ou de procéder par voie d’avis de requête. L’intimée aurait alors la possibilité d’examiner la demande et de faire part de ses observations, le cas échéant.

C.  Les renseignements sur les plaintes semblables portées contre l’intimée

[52]  Plus précisément, le plaignant demande :

[traduction]

Toutes les plaintes portées contre l’intimée pour de prétendu actes discriminatoires fondés sur la religion islamique/musulmane et aussi d’autres religions, l’origine ethnique, la race ou d’autres caractéristiques protégées, entre le 11 septembre 2001 et l’année 2013, inclusivement, ainsi que pour la période de même durée qui précède le 11 septembre 2001.

[53]  La requête de la Commission contient elle aussi une demande semblable pour la divulgation des plaintes :

[traduction]

Les renseignements concernant les plaintes de passagers au sujet de questions liées à la manière dont Air Canada applique les listes de sécurité imposées par le gouvernement, comme les références faites à des questions plus détaillées ou un contrôle de sécurité approfondi et les voyageurs interdits de vol à cause de prétendues préoccupations sur le plan de la sécurité, de même que les renseignements concernant les solutions et les issues systémiques qui se rapportent aux plaintes de cette nature.

[54]  Le plaignant soutient que sa plainte soulève la question sérieuse de savoir si le prétendu traitement qu’il a subi était un incident isolé ou s’il s’agit d’une forme de discrimination systémique. À son avis, par conséquent, des renseignements sur d’autres plaintes semblables à la sienne seraient potentiellement pertinents pour établir si cette forme de discrimination systémique existe effectivement.

[55]  Comme il a été mentionné plus tôt, au paragraphe 40, la Commission est d’avis que la présente plainte soulève un certain nombre d’indices dénotant qu’il y a de fortes chances que des questions de nature systémique soient en cause en l’espèce. Elle soutient que, s’il existe effectivement des problèmes de nature systémique, la divulgation de plaintes antérieures faisant état des mêmes allégations qu’en l’espèce, ou d’allégations semblables, aiderait à mieux saisir l’étendue du problème : savoir si les politiques et les pratiques de l’intimée ont un effet défavorable disproportionné sur des personnes identifiées par les motifs illicites qui sont cités dans la plainte. De plus, la Commission dit que, s’il s’avère que la plainte est fondée, ce type de renseignements sera important pour que le Tribunal établisse une mesure de redressement, car il lui faudra examiner le système tout entier.

[56]  Pour ce qui est de la vie privée des parties qui ont formulé les plaintes, ni le plaignant ni la Commission ne cherchent à savoir leurs noms ou leurs renseignements personnels.

[57]  Là encore, l’intimée fait valoir qu’aucune preuve ne donne à penser que le rôle joué par l’intimée dans les contrôles de sécurité ou le traitement préjudiciable qu’elle a fait subir au plaignant était fondé sur la race et la religion. Selon elle, tant que la Commission ou le plaignant n’a pas justifié les faits importants qui se rapportent au rôle joué par l’intimée sur ce plan, leurs requêtes en divulgation de plaintes semblables sont prématurées. L’intimée croit qu’à défaut de tout fondement valide de ce genre, la demande de divulgation équivaudrait à une [traduction] « recherche à l’aveuglette », ce qui ne saurait justifier une communication de documents.

[58]  L’intimée fait valoir que, même si les plaintes semblables étaient pertinentes à l’égard des questions soulevées en l’espèce, la demande du plaignant est d’une portée excessive, car ce dernier souhaite obtenir des documents portant sur plus de dix ans et ne fournit aucun renseignement additionnel sur le contexte dans lequel les plaintes semblables ont été formulées. De plus, l’intimée soutient qu’il lui est interdit de divulguer les renseignements, car ceux-ci contiendraient des éléments privés et confidentiels au sujet de tiers non visés, et que ces renseignements ne peuvent pas être retranchés des documents.

[59]  Là encore, au stade de la divulgation, il n’est pas nécessaire que le plaignant ou la Commission prouvent ou justifient leurs allégations pour avoir le droit de recevoir des renseignements de l’intimée. La seule exigence est que ces derniers soient potentiellement pertinents.

[60]  Je conviens que les plaintes déposées antérieurement contre l’intimée qui soulèvent les mêmes allégations qu’en l’espèce, ou des allégations semblables, y compris leur issue, sont potentiellement pertinentes pour la question de la discrimination systémique. Cependant, je m’inquiète du fait que la demande, telle qu’elle est actuellement formulée, en matière de période et de spécificité, est d’une portée excessivement large. À mon avis, pour être potentiellement pertinentes à l’égard de la présente plainte, les plaintes antérieures doivent faire état d’actes discriminatoires, ou d’un ou plusieurs des mêmes motifs que ceux du plaignant (race, origine nationale ou ethnique, couleur ou religion), et elles doivent découler de la manière dont l’intimée applique des listes de sécurité imposées par le gouvernement.

[61]  Pour ce qui est de la période visée, je signale ce qui suit, tiré de l’exposé des précisions de l’intimée :

[traduction
48.  En 2007, le Canada et les États-Unis ont conclu un traité bilatéral portant, notamment, sur la sécurité aérienne. […] L’article 14 de ce document traite expressément de questions liées à la sécurité aérienne, y compris aux paragraphes 3 et 4 :

[...]

4) Chaque partie convient que ses exploitants d’aéronefs peuvent être tenus d’observer les dispositions en matière de sécurité aérienne que prescrit l’autre partie pour pouvoir entrer sur le territoire de cette autre partie, le quitter ou s’y poser. Chaque partie doit veiller à ce que l’on prenne sur son territoire des mesures efficaces pour protéger les aéronefs, inspecter les passagers et les objets qu’ils transportent, ainsi que soumettre à des contrôles appropriés les membres d’équipage, les cargaisons (y compris les bagages) et les fournitures des aéronefs avant et pendant les opérations d’embarquement ou de débarquement. Chaque partie doit aussi répondre favorablement à toute demande de l’autre partie concernant la prise de mesures de sécurité spéciales et raisonnables visant à répondre à une menace particulière. [Non souligné dans l’original.]

[62]  Pour ce qui est de la propre « liste d’interdiction de vol » du Canada, l’exposé des précisions de l’intimée fait état de ce qui suit :

[traduction
6. Le gouvernement canadien a dressé une liste de personnes présentant un intérêt dans le cadre du Programme de protection des passagers (la Liste canadienne).

Ce programme vise à identifier les personnes susceptibles de présenter une menace pour la sécurité aérienne et les empêche de causer des difficultés en recourant à diverses mesures, comme les empêcher de monter à bord d’un aéronef.

[...]

50. La liste canadienne a été mise en œuvre par l’intermédiaire de la Loi sur l’aéronautique et du Règlement sur le contrôle de l’identité. Le paragraphe 3(1) du Règlement sur le contrôle de l’identité prescrit :

Le transporteur aérien effectue le contrôle de toute personne qui semble être âgée de 18 ans ou plus en comparant son nom avec ceux des personnes qui lui sont précisées par le ministre en application de l’alinéa 4.81(1)b) de la Loi avant de lui remettre une carte d’embarquement.

[63]  Le Règlement sur le contrôle de l’identité a été enregistré le 26 avril 2007 (Règlement sur le contrôle de l’identité, DORS/2007-82, et il est possible de le consulter sur le site Web du ministère de la Justice, à : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/reglements/DORS-2007-82/).

[64]  De ce fait, comme l’intimée est obligée d’appliquer la liste de sécurité imposée par le gouvernement depuis, semble-t-il, 2007, je crois qu’il s’agit d’une limite de temps raisonnable pour divulguer des plaintes semblables.

[65]  En conséquence, j’ordonnerais à l’intimée de divulguer les plaintes antérieures que des passagers ont déposées contre elle, depuis mars 2007, qui font état d’actes discriminatoires fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur ou la religion, et qui résultent de l’application, par l’intimée, des listes de sécurité imposées par le gouvernement. Si l’intimée possède des renseignements sur l’issue de ces plaintes, ces derniers seraient eux aussi potentiellement pertinents. Pour protéger l’identité et les renseignements personnels des personnes visées par ces plaintes, il faudrait que l’intimée retranche tout renseignement personnel des documents divulgués.

V.  La requête en divulgation de la Commission

[66]  Outre les demandes déjà analysées plus tôt, la Commission demande également, dans sa requête en divulgation, les renseignements qui obligent l’intimée à soumettre certains passagers inscrits sur les [traduction] « listes de passagers précisés » à un contrôle de sécurité additionnel, ainsi que les renseignements ou les ententes entre l’intimée (ou les sociétés aériennes de façon plus générale) et divers gouvernements qui précisent que l’intimée n’est plus tenue de soumettre certains passagers à des contrôles de sécurité approfondis.

A.  Les renseignements qui obligent l’intimée à soumettre certains passagers inscrits sur les « listes de passagers précisés » à un contrôle de sécurité additionnel

[67]  La Commission soutient qu’elle n’a pas reçu de l’intimée toutes les sources législatives ou réglementaires pertinentes des États-Unis et du Canada qui l’obligent à procéder au type de contrôle de sécurité des passagers qui est en litige en l’espèce. Elle fait valoir que ces renseignements sont potentiellement pertinents, car l’intimée prétend qu’elle se conformait simplement aux exigences tant américaines que canadiennes dans ses rapports avec le plaignant. Elle ajoute qu’elle est en droit de connaître la totalité des exigences de nature réglementaire et législative qui, selon l’intimée, étaient en vigueur à l’époque où ont eu lieu les prétendus incidents, de même que les changements, s’il y en a, que l’on a apportés par la suite au régime de sécurité.

[68]  Dans sa requête, la Commission précise ce qu’elle croit être certaines des sources canadiennes et américaines pertinentes qui se rapportent à la conduite de l’intimée; cependant, elle cherche à obtenir la divulgation des lois, des règlements et des règles qui, selon l’intimée, s’appliquaient à elle à l’époque où le plaignant a formulé ses allégations, de même que la connaissance qu’a l’intimée de la manière dont ces lois, ces règlements et ces règles ont changé depuis ce temps. La Commission demande qu’on lui fournisse les parties pertinentes de ces documents, en plus des autres lois ou règlements canadiens et américains pertinents.

[69]  L’intimée soutient que l’on a déjà répondu à cette demande. Dans sa réponse à la requête, elle énumère les lois qui, selon elle, ont été citées et fournies à la Commission. De plus, elle soutient avoir produit une lettre de la Transportation Security Administration du Department of Homeland Security des États-Unis, qui décrit plus en détail la nature de la « liste d’interdiction de vol » et de la [traduction] « liste de personnes sélectionnées », de même que la responsabilité qu’ont les transporteurs aériens de vérifier la totalité des passagers par rapport à ces deux listes. Selon l’intimée, cette lettre fait de plus état des lois américaines pertinentes. Elle ajoute qu’elle n’est au courant d’aucune décision jurisprudentielle qui conclurait qu’une loi, même si elle est publiquement accessible à toutes les parties depuis de nombreuses sources, doit être produite par une partie en particulier.

[70]  À mon avis, il n’incombe pas aux parties de produire une copie des dispositions législatives qu’elle invoque. Elles sont tenues de divulguer et de produire les documents qui sont en leur possession (voir l’alinéa 6(1)d) et le paragraphe 6(4) des Règles de procédures (03‑05‑04) du Tribunal), mais je ne crois pas que l’on puisse qualifier à juste titre les dispositions législatives accessibles au public de documents en la possession d’une partie. On peut en dire autant du fait de se fonder sur de la jurisprudence et de la citer. Si la disposition législative ou le fondement juridique en question n’est pas accessible au public, il pourrait s’agir d’une affaire différente, mais ce n’est pas ce que l’on fait valoir en l’espèce.

[71]  Cela dit, l’alinéa 6(1)b) des Règles de procédure (03-05-04) du Tribunal requiert que chaque partie fasse état dans son exposé des précisions de sa position sur les questions de droit que soulève la cause. Conformément à cet alinéa, je m’attendrais à ce que l’intimée ait exposé et cité dans son exposé des précisions la totalité des sources législatives ou réglementaires américaines et canadiennes qui, selon elle, l’obligent à procéder au type de contrôle de sécurité des passagers qui est en litige en l’espèce. En réponse à la requête de la Commission, l’intimée soutient qu’elle l’a fait. Cela suffit pour garantir que la Commission est au courant de ce qu’on lui reproche. Il n’y a donc aucune raison, selon moi, pour accéder à la demande de la Commission.

[72]  Cependant, nous rappelons à l’intimée qu’une partie qui ne soulève pas une question en vertu de l’article 6 des Règles ne peut la soulever à l’audience (voir l’alinéa 9(3)a) des Règles de procédure (03-05-04) du Tribunal). S’il existe effectivement d’autres sources législatives ou réglementaires américaines et canadiennes qui, d’après l’intimée, l’obligent à procéder au type de contrôle de sécurité des passagers dont il est question en l’espèce, il faudrait qu’elles soient divulguées avant l’audience.

B.  Renseignements ou ententes entre l’intimée (ou les sociétés aériennes de façon plus générale) et divers gouvernements qui précisent que l’intimée n’est plus tenue de soumettre certains passagers à des contrôles de sécurité approfondis

[73]  À l’instar de son argument portant sur la divulgation de l’élément précédent, la Commission soutient qu’elle est en droit de connaître le cadre tout entier dans lequel l’intimée est tenue d’exécuter certaines procédures de contrôle de sécurité, car cela concerne directement les faits et les questions qui sont soulevés dans la présente plainte. Pour cette demande particulière, la Commission est d’avis que le cadre qui prescrit à l’intimée de procéder à certaines opérations de contrôle de sécurité a changé à un certain nombre de reprises au cours des dix dernières années. Elle estime également qu’il y a eu certaines exceptions pour les sociétés aériennes canadiennes et mexicaines exploitant des vols intérieurs qui survolent le territoire continental des États-Unis, de même que des changements aux exigences relatives aux vols internationaux. Elle considère donc que sa demande a trait aux changements apportés au cadre réglementaire et législatif en vigueur aux États-Unis et au Canada, plutôt qu’aux ententes conclues entre ces gouvernements et les sociétés aériennes. Cependant, elle soutient que, s’il existe de telles ententes, de telles exceptions spéciales ou de telles modalités qui concernent l’intimée et le rôle qu’elle joue sur le plan des contrôles de sécurité, ces renseignements seraient eux aussi potentiellement pertinents.

[74]  L’intimée est d’avis que toutes les dispositions législatives pertinentes, y compris les changements apportés au cadre réglementaire et législatif, ont déjà été fournies. Selon elle, cela inclut certains éléments figurant à l’annexe A de son exposé des précisions, lesquels éléments concernent le [traduction] « Programme de la sécurité des vols » ainsi que d’autres changements mis en œuvre en 2011, relativement aux manifestes électroniques de contrôle.

[75]  Là encore, conformément à l’alinéa 6(1)b) des Règles de procédure (03-05-04) du Tribunal, je m’attendrais à ce que l’intimée ait exposé et cité dans son exposé des précisions le cadre juridique tout entier dans lequel elle affirme qu’elle est tenue d’exécuter certaines procédures de contrôle de sécurité, y compris tous les changements apportés à ce cadre depuis qu’ont eu lieu les incidents allégués dans la plainte. L’intimée dit l’avoir fait. Il n’y a donc pas lieu selon moi d’accéder à la demande de la Commission. Toutefois, je répète qu’une partie qui ne soulève pas une question en vertu de l’article 6 des Règles ne peut la soulever à l’audience (voir l’alinéa 9(3)a) des Règles de procédure (03-05-04) du Tribunal).

VI. La décision

[76]  Conformément aux motifs qui précèdent, le Tribunal ordonne :

1)  Le plaignant est tenu de produire une liste contenant les noms et les adresses de tous les spécialistes des soins de santé qu’il a consultés, dont des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux ou des conseillers, pour des symptômes de la dépression, de l’anxiété, de l’insomnie ou d’une perte d’estime de soi, ainsi que pour leur traitement, et ce, depuis janvier 2008.

2)  Le plaignant est tenu d’obtenir et de produire, ou d’autoriser l’intimée à obtenir et à produire, tous les documents médicaux, sous forme imprimée ou électronique, auprès des professionnels des soins de santé énumérés au point 1) qui précède, relativement aux symptômes ou au traitement de la dépression, de l’anxiété, de l’insomnie ou de la perte d’estime de soi, et ce, depuis janvier 2008.

3)  Pour protéger le droit du plaignant à la confidentialité de ses dossiers médicaux, les documents ne seront communiqués qu’aux avocats de l’intimé et de la Commission seulement, et à nulle autre personne sans obtenir au préalable l’autorisation du Tribunal et sans en aviser le plaignant. Les documents ne pourront servir à aucune fin autre que le présent examen. Si le plaignant est d’avis que l’un de ces documents est de nature personnelle et n’est pas potentiellement pertinent, je lui donnerai le choix de me faire part de ce document à l’avance et je déciderai s’il y a lieu de le communiquer ou non. Si le plaignant se prévaut de cette possibilité, un avis de mon examen de ces documents sera signifié aux autres parties.

4)  Le plaignant est tenu d’obtenir et de produire son dossier de ressources humaines complet que tient son employeur pour la période de janvier 2007 à décembre 2013. Ce dossier doit aussi inclure un compte rendu des congés de maladie que le plaignant a pris pendant la même période et préciser les dates auxquelles il a pris congé depuis mars 2010, soit le mois où le premier incident aurait eu lieu.

5)  La Commission est tenue de produire son dossier concernant la plainte que le plaignant a déposée contre l’ACSTA pour les mêmes dates de voyage que celles sur lesquelles porte la présente plainte.

6)  L’intimée est tenue de : 1) confirmer si elle dispense ou non une formation à ses employés de première ligne qui sont en poste dans les aéroports, comme ceux qui ont eu affaire au plaignant, sur la façon de répondre aux plaintes des voyageurs qui sont soumis à un interrogatoire plus détaillé ou à un contrôle de sécurité approfondi ou qui sont interdits de vol en raison de prétendues préoccupations relatives à la sécurité; et, si elle fournit bel et bien une telle formation, qu’elle communique les documents de formation connexes; et 2) confirmer si elle dispense ou non une formation à ses employés de première ligne qui sont en poste dans les aéroports, comme ceux qui ont eu affaire au plaignant, sur les droits de la personne ou sur la sensibilisation aux réalités culturelles; et, dans l’affirmative, qu’elle communique les documents de formation connexes.

7)  L’intimée est tenue de divulguer les plaintes antérieurement déposées contre elle, depuis 2007, faisant état d’actes discriminatoires fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur ou la religion, et découlant de l’application, par l’intimée, de listes de sécurité imposées par le gouvernement. Si l’intimée possède des renseignements sur l’issue de ces plaintes, ces derniers doivent être eux aussi divulgués.

8)  Pour protéger l’identité et les informations personnelles des parties visées par les plaintes antérieures qui peuvent être divulguées en application du point 7 qui précède, l’intimée est tenue de retrancher toutes les informations personnelles qui figurent dans les documents divulgués.

Signée par

David Thomas

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 8 août 2014

 

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