Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

KEITH DREAVER, NORMA FAIRBAIRN,
SUSAN GINGELL, PAMELA IRVINE,
JOHN MELENCHUK, RICHARD ROSS,
AILSA WATKINSON,
HARLAN WEIDENHAMMER,
CARMAN WILLET

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -
JIM PANKIW

l'intimé

DÉCISION

2005 TCDP 28
2005/07/21

MEMBRES INSTRUCTEURS : J. Grant Sinclair, Président

Athanasios D. Hadjis, Membre

Michel Doucet, Membre

[TRADUCTION]

I. COMPÉTENCE EXCLUSIVE DU BUREAU DE RÉGIE INTERNE DE LA CHAMBRE DES COMMUNES

A. La régularité de l'utilisation des ressources de la Chambre

B. Privilège parlementaire ou immunité

II. LA LCDP NE S'APPLIQUE PAS À L'INTIMÉ

III. LA SÉPARATION ENTRE LE POUVOIR LÉGISLATIF ET LE POUVOIR EXÉCUTIF

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

[1] Les plaignants, au nombre de neuf, ont déposé des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne à différentes dates en 2003. L'intimé, Jim Pankiw, était membre du Parlement. Il n'a pas été réélu lors de l'élection générale fédérale de 2004.

[2] Alors qu'il était député, l'intimé a été l'auteur d'une brochure nommée le bulletin parlementaire, une brochure qui était distribuée aux électeurs de sa circonscription de Saskatoon-Humbolt. Le bulletin parlementaire est imprimé et payé sous les auspices de la Chambre des communes. Chaque député a le droit d'envoyer jusqu'à quatre bulletins parlementaires par année.

[3] Les plaignants allèguent qu'en octobre 2003 l'intimé a fait distribuer un bulletin parlementaire qui contenait des commentaires discriminatoires à l'endroit du peuple autochtone, contrevenant aux articles 5, 12 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission a renvoyé les plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) afin qu'une audience soit tenue.

[4] L'intimé a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance déclarant que le Tribunal n'a pas la compétence constitutionnelle pour entendre les plaintes.

I. COMPÉTENCE EXCLUSIVE DU BUREAU DE RÉGIE INTERNE DE LA CHAMBRE DES COMMUNES

A. La régularité de l'utilisation des ressources de la Chambre

[5] Les bulletins parlementaires sont imprimés avec les ressources de la Chambre des communes. Les bulletins parlementaires sont financés par le Bureau de régie interne de la Chambre des communes. Le bureau est constitué suivant les articles 50 et suivants de la Loi sur le Parlement du Canada (LPC). Les membres du bureau incluent des députés du parti gouvernemental et des députés de l'opposition. La présidence du bureau est assumée par le président de la Chambre. Le bureau est chargé des questions financières et administratives intéressant la Chambre des communes, ses locaux, ses services et son personnel de même que les députés.

[6] L'intimé prétend que le bureau a compétence exclusive à l'égard des bulletins parlementaires, notamment à l'égard du contenu de ces bulletins.

[7] Suivant le paragraphe 52.6(1) de la LPC, le bureau a compétence exclusive pour statuer sur la régularité de l'utilisation de fonds, de biens, de services ou de locaux mis à la disposition des députés dans le cadre de leurs fonctions parlementaires.

[8] L'intimé fait valoir que le maintien de liens avec les électeurs constitue l'une des fonctions parlementaires d'un député. Étant donné que la publication d'un bulletin parlementaire permet aux députés de mieux entretenir ces liens, ces communications doivent logiquement constituer également une fonction parlementaire.

[9] L'intimé soutient que si le bureau a compétence exclusive à l'égard de cette fonction parlementaire, alors aucune cour ou aucun autre organisme créé par la loi, y compris le Tribunal, a compétence pour rendre des décisions sur la même question. La prétention de l'intimé à cet égard est assez audacieuse. La Cour suprême du Canada a récemment confirmé une fois de plus dans l'arrêt Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, au paragraphe 81, que la LCDP est un texte quasi constitutionnel et que toute exception à son application doit être énoncée clairement.

[10] Y a-t-il une telle déclaration claire à cet égard dans la LPC? À notre avis, il n'y en a pas. L'intimé fonde sa prétention à l'égard de la compétence exclusive du bureau sur le paragraphe 52.6(1) de la LPC qui énonce ce qui suit :

[11] À première vue, il n'y a pas de mention directe de la non-application de la LCDP ou de l'exclusion de la compétence du Tribunal. L'intimé prétend, cependant, que la compétence exclusive du bureau à l'égard de la régularité de l'utilisation des ressources de la Chambre par un député englobe le contenu de tout document publié avec ces ressources. Il fonde cette prétention sur une interprétation de la version anglaise du paragraphe 52.6(1), dans lequel le terme proper est utilisé. Selon l'Oxford English Dictionary, le mot proper est défini comme [TRADUCTION] convenable, approprié, correct, conformément aux demandes de la société, décent, et respectable. Par conséquent, l'intimé prétend que le bureau a compétence exclusive pour décider si un bulletin parlementaire, notamment son contenu, a dépassé les limites de la régularité de l'utilisation dans le cadre parlementaire.

[12] Le législateur avait-il véritablement l'intention, par l'utilisation du mot proper, de doter le bureau d'une compétence pour statuer sur le caractère convenable, la décence, la conformité aux demandes de la société ou le caractère respectable des bulletins parlementaires? Une lecture de la version française du paragraphe 52.6(1) donne à penser autrement. Le mot proper est rendu par régularité. Le Nouveau Petit Robert définit le mot régularité comme conformité aux règles, soit conformément aux règles. La Commission prétend que ce terme est plus étroitement associé à des notions de régularité administrative et nous sommes de cet avis. Une telle interprétation est compatible avec la directive donnée dans le paragraphe 52.6(1) selon laquelle le bureau devrait, lorsqu'il statue sur la régularité de l'utilisation des ressources de la Chambre, tenir compte de l'esprit et de l'objet des règlements administratifs pris aux termes du paragraphe 52.5(1). Le règlement sur les bureaux des députés, le règlement no 301, traite expressément de l'impression des bulletins parlementaires. Il est évident à la lecture du règlement que son intention et son objet sont de régir l'administration des ressources de la Chambre (par exemple l'achat de matériel de bureau, les imprimés et fournitures, la location de locaux, la rémunération du personnel, etc.). Le règlement ne contient pas de dispositions se rapportant aux principes en matière des droits de la personne ni, d'ailleurs, à ce qui constitue un comportement décent ou respectable, pour utiliser la définition de proper avancée par l'intimé.

[13] La Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt Ontario c. Bernier (1994), 70 O.A.C. 400, et la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt R. c. Fontaine, [1995] A.Q. no 295 (QL), ont tiré la même conclusion. Dans les deux affaires, il y avait en litige la question de savoir si le paragraphe 52.6(1) enlevait aux cours la compétence d'entendre une affaire se rapportant aux accusations selon lesquelles un député avait utilisé les fonds qui lui étaient alloués par le bureau d'une manière qui contrevenait au Code criminel. Les deux cours ont conclu que le paragraphe 52.6(1) n'enlevait pas cette compétence et elles ont statué que ce paragraphe n'accorde au bureau que la compétence de décider si un député de la Chambre des communes a utilisé ces ressources d'une manière compatible avec le règlement. Il est significatif que le terme by-laws du texte anglais des paragraphes 52.5 et 52.6 soit rendu par règlements administratifs dans la version française.

[14] Comme Mme la juge Arbour a déclaré au paragraphe 4 de l'arrêt Bernier, le législateur a établi le bureau pour gérer de façon exclusive le fonctionnement interne de la Chambre des communes. En faisant cela, le législateur n'a pas exprimé une intention d'enlever aux cours leur compétence pour appliquer le Code criminel aux députés. À notre avis, la même conclusion peut être tirée à l'égard de la compétence du Tribunal d'établir si la LCDP a fait l'objet d'une violation. Le législateur n'a pas montré une intention d'exclure les députés, et en particulier leurs bulletins parlementaires, de l'application de la LCDP.

B. Privilège parlementaire ou immunité

[15] Il ne nous semble pas non plus que la LPC, notamment l'article 52.6, étend la portée de tout privilège ou de toute immunité dont les députés peuvent bénéficier. Le privilège parlementaire fournit aux députés une immunité absolue contre les poursuites civiles ou criminelles lorsqu'ils parlent à la Chambre des communes ou participent aux travaux du Parlement (voir J.P.J. Maingot, Parliamentary Privilege in Canada, 2e éd.). L'étendue et la portée du privilège parlementaire revendiqué ont varié au fil des ans. Mais comme la Cour suprême du Canada l'a mentionné dans l'arrêt Vaid (au paragraphe 23), une conception plus étroite s'est développée plus récemment. La Cour a renvoyé à une décision de 1971 rendue par le président de la Chambre qui a déclaré que le privilège parlementaire ne va pas beaucoup au-delà du droit de libre parole à la Chambre et du droit d'un député de s'acquitter de ses fonctions à la Chambre en tant que représentant aux Communes.

[16] L'intimé reconnaît que l'immunité liée au privilège parlementaire ne s'étend pas aux déclarations ou aux publications faites par les députés à l'extérieur de la Chambre ou en dehors des travaux parlementaires. Par conséquent, les membres des législatures ne sont pas immunisés contre les poursuites pénales pour les déclarations faites à la presse à l'extérieur des Chambres du Parlement (voir Re : Ouellet (no 1 et no 2), [1976] C.A. 788) ni contre la responsabilité dans le contexte d'actions en diffamation pour des réponses données à un journaliste à l'extérieur d'une assemblée législative (voir Ward c. Clark, 2000 BCSC 979). Il en résulte qu'il n'y a pas d'immunité à l'égard de l'application de la LCDP.

II. LA LCDP NE S'APPLIQUE PAS À L'INTIMÉ

[17] L'intimé prétend en outre que la LCDP ne s'applique pas à lui parce qu'il n'a pas la qualité fédérale qui le soumettrait au régime législatif fédéral. Il n'a pas un travail fédéral, un engagement fédéral ou une entreprise fédérale et il ne fait pas non plus partie de la Couronne fédérale ou du gouvernement du Canada. Le seul facteur qui le lie à la sphère d'activités fédérales est le fait que lorsqu'il communique avec les électeurs de sa circonscription au moyen d'un bulletin parlementaire, il exécute ses fonctions parlementaires en tant que député de la Chambre des communes. Son argument est fondé sur son affirmation selon laquelle la compétence du Parlement quant à un député de la Chambre des communes se limite à la LPC.

[18] L'objet et la portée de la LCDP sont bien exprimés à l'article 2 et ne sont pas aussi limités que l'intimé le donne à entendre dans ses prétentions. La disposition énonce que l'objet de la LCDP est de donner effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe d'égalité des chances qui y est décrit.

[19] À notre avis, le langage de la LCDP est suffisamment large pour englober également les déclarations faites par des députés dans les bulletins parlementaires publiés et payés par la Chambre des communes, en vertu d'une loi du Parlement, la LPC. Étant donné que le Parlement a promulgué ce cadre législatif, qui en fin de compte régit les bulletins parlementaires, il est clair que la publication et le contenu des bulletins parlementaires doivent nécessairement faire partie du champ de compétence du Parlement du Canada.

III. LA SÉPARATION ENTRE LE POUVOIR LÉGISLATIF ET LE POUVOIR EXÉCUTIF

[20] L'intimé prétend que le Tribunal est un tribunal administratif établi en vertu de la LCDP et, qu'à cet égard, il n'est pas distinct constitutionnellement de l'exécutif. Le fait de permettre au Tribunal d'examiner les communications d'un parlementaire et de décider du contenu de ces communications porterait atteinte à la séparation des pouvoirs enchâssée dans la Constitution.

[21] Comme la Cour suprême du Canada l'a mentionné dans l'arrêt Re: Alberta Legislation, [1938] R.C.S. 100, à la page 133, la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit un Parlement qui fonctionne sous le feu de l'opinion publique et de la libre discussion. L'institution tire son efficacité de la libre discussion des affaires et de [TRADUCTION] l'analyse et de l'examen le plus libre et le plus complet de chaque point de vue énoncé dans les projets politiques. La Cour a ajouté que ce principe était [TRADUCTION] particulièrement vrai en ce qui concerne [TRADUCTION] la façon dont s'acquittent [...] les députés du Parlement de leurs devoirs envers les électeurs. L'intimé prétend que l'expression d'un point de vue par un député de la Chambre des communes est un discours politique et que seulement les électeurs devraient en faire l'examen au moyen du processus démocratique. Aucun tiers, en particulier un représentant du pouvoir exécutif d'un État, ne devrait pouvoir s'ingérer dans ce débat et cet échange d'idées libres et sans entraves au sein d'une législature.

[22] L'intimé a prétendu que le gouvernement ne devrait avoir aucune voix ou aucun contrôle à l'égard de la liberté d'expression d'un député de la Chambre, en particulier d'un député de l'opposition, comme l'intimé. Le fait de permettre que le contenu de bulletins parlementaires et d'autres formes de discours politiques des députés soit examiné limiterait la capacité de ces derniers d'exprimer à fond leurs opinions. Cela aurait ensuite un effet paralysant sur le débat libre et public de diverses opinions. Cela aurait également comme conséquence de priver les électeurs du véritable point de vue du député en empêchant l'accès à tous les renseignements francs requis pour prendre une décision totalement éclairée.

[23] Dans l'arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, au paragraphe 32, la Cour suprême du Canada a mentionné que bien que les tribunaux administratifs chevauchent la ligne de démarcation entre le judiciaire et l'exécutif et exercent une fonction décisionnelle, ils fonctionnent en fin de compte dans le cadre du pouvoir exécutif de l'État, conformément au mandat confié par la législature. Cependant, il convient de noter que cette affaire se rapportait au degré d'indépendance institutionnelle requis d'un bureau des permis dont, selon ce que la Cour a déclaré, sa fonction première est l'octroi des permis et qui est loin de posséder les attributs constitutionnels des tribunaux judiciaires (au paragraphe 33).

[24] Plus récemment, dans l'arrêt Bell c. Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, la Cour suprême a traité de la question de l'indépendance institutionnelle du Tribunal canadien des droits de la personne. La Cour a décrit le Tribunal comme suit :

[25] La principale fonction du Tribunal canadien des droits de la personne est de nature juridictionnelle. Il tient des audiences formelles sur les plaintes dont il est saisi par la Commission. Il détient plusieurs des pouvoirs d'une cour de justice. Il est habilité à statuer sur des faits, à interpréter et à appliquer le droit aux faits qui lui sont soumis et à accorder les redressements appropriés. De plus, ses audiences sont structurées sensiblement de la même façon qu'un procès formel devant une cour de justice. Les parties en présence devant le tribunal présentent une preuve, font entendre et contre-interrogent des témoins, et présentent des observations sur l'application du droit aux faits. Le Tribunal ne participe pas à l'élaboration des politiques et ne mène pas ses propres enquêtes indépendantes sur les plaintes : le législateur a délibérément attribué les fonctions d'enquête et d'élaboration de politiques à un organisme différent, soit la Commission.

[26] La Cour suprême a tiré la conclusion selon laquelle ce tribunal a un degré élevé d'indépendance par rapport à l'exécutif. À notre avis, compte tenu de cette conclusion de la Cour suprême, le fait de traiter le Tribunal comme une branche du gouvernement aux fins de la présente affaire est hautement discutable.

[27] Le principe de la séparation entre les trois pouvoirs - exécutif, législatif et judiciaire - tire sa source du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui exige une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni. Comme la Cour suprême l'a déclaré dans l'arrêt Vaid, au paragraphe 21, chacun des pouvoirs de l'État se voit garantir une certaine autonomie par rapport aux autres. Le privilège parlementaire constitue l'un des moyens qui permettent d'assurer le respect de ce principe. Dans l'arrêt Vaid, la Cour suprême a confirmé la nécessité que la Chambre puisse exercer ses activités législatives libre de toute ingérence de la part d'organismes ou d'institutions externes, y compris les tribunaux. Par exemple, la Cour a mentionné qu'il serait inacceptable qu'un député à qui le président n'aurait pas accordé la parole pendant la période des questions puisse déposer une plainte en matière des droits de la personne en prétendant qu'il a fait l'objet de discrimination ou qu'il puisse demander aux tribunaux ordinaires de déclarer qu'il a été porté atteinte à sa liberté d'expression prévue par la Charte canadienne des droits et libertés (arrêt Vaid, au paragraphe 20). Il s'agit de véritables questions internes relevant de la Chambre que celle-ci doit régler suivant sa propre procédure.

[28] L'intimé a renvoyé le Tribunal à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Taylor c. Canada (Procureur général), [2000] 3 C.F. 298, une affaire dans laquelle une plainte suivant la LCDP avait été déposée contre un juge de la Cour de l'Ontario, Division générale. Le juge avait soi-disant ordonné que le plaignant, qui était assis dans la salle d'audience, enlève le couvre-chef qu'il portait et qui faisait partie de sa pratique religieuse. La Cour d'appel fédérale a statué que le principe de l'immunité judiciaire s'applique afin d'empêcher que des procédures contre des juges soient engagées devant la Commission et en fin de compte devant le Tribunal. Le principe de l'immunité judiciaire existe pour garantir que les juges exécutent leurs fonctions en toute indépendance et sans crainte. L'intimé prétend que tout comme l'indépendance du pouvoir judiciaire, l'indépendance du pouvoir législatif doit être protégée. Le Tribunal n'a par conséquent pas compétence pour s'ingérer dans l'un ou l'autre de ces pouvoirs.

[29] Toutefois, il faut examiner l'arrêt Taylor selon son contexte factuel. La Cour d'appel fédérale a mentionné que la Cour avait un pouvoir inhérent de rendre des ordonnances pour assurer l'ordre et le décorum dans les salles d'audience au cours des débats. Le juge s'était livré à un acte purement judiciaire pour lequel il existe une immunité judiciaire.

[30] Il n'y a pas de doute que des déclarations faites par un membre de la Chambre des communes constituent une fonction législative inhérente qui fait l'objet de l'immunité liée au privilège parlementaire. Aucune autorité extérieure ne peut non plus s'ingérer dans cette activité. Mais comme nous l'avons déjà déclaré, le privilège parlementaire ne se rapporte pas aux déclarations contenues dans les bulletins parlementaires qui sont distribués aux électeurs. À notre avis, cette situation n'est pas analogue à l'exemple donné par la Cour suprême dans l'arrêt Vaid ou aux faits de l'arrêt Taylor.

[31] La présente affaire peut également être distinguée de l'affaire Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) c. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595 (C.A. Ont.). Il était allégué dans une plainte en matière des droits de la personne déposée auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne que la récitation quotidienne du Notre Père par le président de l'Assemblée législative contrevenait au Code des droits de la personne de l'Ontario. L'intimé a renvoyé au paragraphe 19 dans lequel la Cour d'appel de l'Ontario a déclaré que la Commission ontarienne des droits de la personne est simplement une [TRADUCTION] création de la Couronne et est soumise, à tout le moins, aux mêmes restrictions à l'égard de l'Assemblée législative que le sont le judiciaire et l'exécutif. La question à trancher par la Cour était celle de savoir si la récitation quotidienne du Notre Père était une question se rapportant de façon inhérente à la conduite des travaux à l'Assemblée législative. La Cour a conclu que c'était le cas et que le Code ne s'appliquait par conséquent pas en raison de l'immunité parlementaire.

[32] Finalement, nous notons en outre que bien que la Cour suprême, dans l'arrêt Re: Alberta Legislation, ait mis l'accent sur l'importance dans notre démocratie de maintenir le droit à l'opinion publique et le droit à la libre discussion, ces droits ne sont pas absolus. La Cour a reconnu que ces valeurs font l'objet de limites légales, comme les dispositions du Code criminel et la common law. La Charte et la LCDP imposent également des limites légales à l'opinion publique et à la libre discussion.

Pour tous les motifs énoncés, la requête présentée par l'intimé est rejetée.

Signée par

J. Grant Sinclair, Président

Signée par

Athanasios D. Hadjis, Membre

Signée par

Michel Doucet, Membre

Ottawa (Ontario)

Le 21 juillet 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T969/8904
INTITULÉ DE LA CAUSE : K. Dreaver, N. Fairbairn, S. Gingell, P. Irvine,
J. Melenchuk, R. Ross, A. Watkinson,
H. Weidenhammer and C. Willet
v. J. Pankiw
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE : Le 2 mars 2005
Ottawa, Ontario
Saskatoon ( Saskatchewan)
Calgary (Alberta)

(via téléconférence)
DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :
Le 21 juillet 2005
ONT COMPARU:
Ailsa Watkinson, John Melenchuk
Richard Ross, Pamela Irvine
Norma Fairbairn, Susan Gingell
En leurs propres noms
Philippe Dufresne Pour la Commission canadienne des droits de la
personne
Steven Chaplin Pour l'intimé
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