Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

CENTRE DE RECHERCHE-ACTION SUR LES RELATIONS RACIALES

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

WWW.BCWHITEPRIDE.COM

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE

2007 TCDP 11
2007/04/12

MEMBRE INSTRUCTEUR : Pierre Deschamps

[1] Au début du contre-interrogatoire de M. Martinez par M. Fromm, M. Vigna a soulevé une question de sécurité en rapport avec une question posée à M. Martinez par M. Fromm quant aux antécédents scolaires de M. Martinez, plus précisément quant à l'université où il a obtenu son baccalauréat ès arts.

[2] M. Martinez a affirmé dans son témoignage que la divulgation de ce renseignement aurait une incidence sur sa sécurité. Il a affirmé qu'il craignait que ce renseignement soit diffusé sur le Web et qu'on puisse l'utiliser pour obtenir des renseignements personnels supplémentaires sur lui, lesquels renseignements pourraient être utilisés à son détriment.

[3] M. Martinez a notamment mentionné que M. Fromm, dans une émission de radio diffusée le soir sur le site Web de Stormfront, a déjà parlé du témoignage de M. Martinez dans la présente instance.

[4] Cette question de sécurité a fait place à une question plus générale portant sur le contre-interrogatoire de M. Martinez, plus particulièrement sur la question de savoir si oui ou non le contre-interrogatoire de M. Martinez devait se dérouler à huis clos ou faire l'objet d'une interdiction de publication.

[5] Après avoir entendu les parties quant aux questions susmentionnées, M. Vigna a proposé que, afin de traiter la question de sécurité soulevée par lui-même et par M. Martinez, le Tribunal visionne le DVD qui a été transmis à M. Vigna par M. Fromm et que M. Fromm avait l'intention d'utiliser au cours du contre-interrogatoire de M. Martinez. Le Tribunal a accepté et a visionné le DVD en question, en présence de l'ensemble des parties, au cours d'une séance à huis clos.

[6] Le DVD produit en preuve comme pièce V-1 que le Tribunal a visionné comprend des séquences de différents événements ayant trait à des rassemblements ou à des protestations tenus en 2004 par le groupe de M. Fromm (Canadian Association for Free Expression) en appui à la remise en liberté de Ernst Zundel. Les deux premières parties du DVD ont été filmées par M. Jurgen Neumann. La troisième partie a été produite par la CBC et a été diffusée sur NERVE, un programme de télévision de la CBC. Deux autres parties traitent d'autres protestations auxquelles l'ARA (Anti Racist Action) a participé.

[7] M. Fromm a déclaré que le DVD a été réalisé et monté par M. Marc Lemire. Au début du DVD, le nom de M. Martinez apparaît. Celui-ci est décrit comme étant un fanatique et un terroriste.

[8] La partie visionnée montre, notamment, M. Fromm qui s'adresse à une foule qui manifeste en appui à la remise en liberté de Ernst Zundel et montre également des opposants à la manifestation. On peut voir M. Martinez, dont le visage est en partie couvert, en train de manifester avec le groupe ARA (Anti Racist Action).

[9] En plus du DVD, M. Vigna a déposé en preuve des extraits tirés de différents sites Web (pièces V-2 à V-6).

[10] La pièce V-2 comprend trois images de M. Martinez. Ces images faisaient partie du DVD visionné par le Tribunal. Elles ont été affichées sur le site Web de Canadian Redwatch.

[11] En ce qui concerne les pièces V-3 à V-6, elles comprennent un certain nombre de messages affichés sur le site Web de Stormfront. Certains de ces messages ont été affichés par M. Fromm. Ils comprennent des propos peu flatteurs à l'égard de M. Martinez. La pièce V-5 comprend une publicité figurant sur un DVD portant sur Shane Ruttle Martinez. M. Martinez y est décrit comme étant un des dirigeants de l'ARA, un communiste et un terroriste. Il y est mentionné que le DVD se vend au coût de 20 $.

[12] Le Tribunal doit trancher la question de sécurité soulevée par M. Vigna et M. Martinez au cours du contre-interrogatoire de ce dernier par M. Fromm quant à savoir si le contre-interrogatoire de M. Martinez devait se dérouler à huis clos ou si une interdiction de publication devait être ordonnée, empêchant ainsi la diffusion du contenu du contre-interrogatoire sur le Web.

[13] À l'audience, en rapport avec la question que le Tribunal doit trancher, M. Vigna a renvoyé au paragraphe 52(1) et aux alinéas 52(1)c) et d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lesquels sont ainsi libellés :

L'instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l'instruction s'il est convaincu que, selon le cas :

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d'empêcher leur divulgation dans l'intérêt des personnes concernées ou dans l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt qu'a la société à ce que l'instruction soit publique;

d) il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d'une personne puisse être mise en danger par la publicité des débats.

[14] Il ressort de la preuve que M. Martinez est un défenseur des droits de la personne membre de l'ARA et qu'il a par le passé participé à des rassemblements et à des protestations organisés par des groupes militant en faveur de la liberté d'expression en rapport avec Ernst Zundel. La séquence visionnée par le Tribunal montre que M. Martinez a participé activement à ces événements et qu'il ne craignait pas d'afficher publiquement ses opinions.

[15] Il ressort également de la preuve que M. Martinez a fait l'objet de nombreux messages affichés sur des sites Web. Ces messages n'étaient pas très flatteurs à son égard. Celui-ci a déclaré qu'il avait été offensé et qu'il s'était senti avili par le contenu de ces messages. Selon lui, ces messages sont insultants et diffamatoires.

[16] M. Martinez a toutefois reconnu que, en soi, les messages ne comprenaient aucune menace directe quant à sa sécurité, mais il estimait néanmoins que sa sécurité serait compromise si son contre-interrogatoire était affiché sur le Web, compte tenu des renseignements qui figurent sur lui dans différents sites Web.

[17] Le Tribunal estime que les messages affichés ne constituent pas une menace directe et immédiate à la sécurité de M. Martinez de telle sorte que leur existence justifierait une interdiction de publication quant au témoignage que rendra M. Martinez au cours du contre-interrogatoire mené par M. Fromm.

[18] Comme on l'a déjà affirmé, le DVD visionné par le Tribunal décrit M. Martinez, dans son introduction, comme étant un fanatique ainsi qu'un terroriste. Il semble que cela suscite des craintes quant à la sécurité de M. Martinez.

[19] Il convient de préciser que ce qui est en litige en rapport avec la demande d'interdiction de publication n'est pas la diffusion du DVD mais la publication du témoignage que rendra M. Martinez lors du contre-interrogatoire mené par M. Fromm.

[20] La preuve entendue en rapport avec la présente requête révèle que M. Martinez a déjà fait part publiquement de ses opinions concernant certains groupes et certaines questions et fait déjà l'objet d'animosité et de ressentiment. L'imposition d'une interdiction de publication du contenu de son contre-interrogatoire ne changera rien à cet état de chose.

[21] Il faut rappeler que les instances en matière de droits de la personne sont publiques et que ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que le Tribunal devrait tenir des séances à huis clos ou imposer une interdiction de publication.

[22] Somme toute, eu égard à la preuve produite, le Tribunal conclut que la Commission et M. Martinez n'ont pas réussi à démontrer que la sécurité de M. Martinez serait compromise si une interdiction de publication n'était pas ordonnée en rapport avec le témoignage qu'il rendra dans le cadre du contre-interrogatoire mené par M. Fromm.

[23] Il convient de souligner que l'interrogatoire principal de M. Martinez a eu lieu au cours d'une audience publique et qu'il ne fut pas demandé à ce moment-là que l'audience se tienne à huis clos ou qu'une interdiction de publication soit ordonnée.

[24] Cela dit, si au cours du contre-interrogatoire de M. Martinez des questions de sécurité surgissent, le Tribunal traitera ces dernières au fur et à mesure qu'elles se présenteront et, le cas échéant, rendra des ordonnances afin de voir à ce que des renseignements personnels confidentiels ne soient pas diffusés si le Tribunal estime que la diffusion de ces renseignements pourrait compromettre de façon sérieuse la sécurité de M. Martinez.

[25] Pour les motifs susmentionnés, la demande d'interdiction de publication du témoignage que rendra M. Martinez au cours du contre-interrogatoire mené par M. Fromm est rejetée.

Pierre Deschamps

OTTAWA (Ontario)
Le 12 avril 2007


PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1120/0206

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Centre de recherche-action sur les relations raciales c. www.bcwhitepride.com

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE DU TRIBUNAL :

Le 12 avril 2007

ONT COMPARU :

Fo Niemi

Pour le plaignant

Giacomo Vigna

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Paul Fromm

Pour l'intimé

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