Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

RICHARD WARMAN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MARC LEMIRE

l'intimé

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

CANADIAN ASSOCIATION FOR FREE EXPRESSION

CANADIAN FREE SPEECH LEAGUE

CONGRÈS JUIF CANADIEN

FRIENDS OF SIMON WIESENTHAL CENTER FOR HOLOCAUST STUDIES

LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH

les parties intéressées

DÉCISION SUR REQUÊTE

2007 TCDP 16
2007/05/07

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[TRADUCTION]

[1] La Commission canadienne des droits de la personne a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance portant que des mesures spéciales soient adoptées quant aux témoignages prochains des trois personnes suivantes : Hannya Rizk, Harvey Goldberg et Dean Steacy.

[2] Ces personnes sont des employés de la Commission. Les circonstances ayant donné lieu au fait que M. Goldberg et M. Steacy soient appelés à témoigner ont trait aux affidavits qu'ils ont tous les deux signés peu de temps avant le début de l'audience. Ces affidavits ont été produits par la Commission à l'appui de son argument qu'elle s'est conformée à ses obligations de divulgation, une position contestée par M. Lemire. L'avocate de M. Lemire, Mme Barbara Kulaszka, a donc demandé l'autorisation au Tribunal de contre-interroger ces personnes au sujet de leurs affidavits. Compte tenu que les affidavits ont été déposés 17 jours avant le début de l'audience, j'ai ordonné que si Mme Kulaszka voulait contre-interroger les auteurs des affidavits, elle n'avait tout simplement qu'à les appeler à témoigner à l'audience.

[3] Mme Rizk, pour sa part, est apparemment l'employé de la Commission qui a enquêté sur la plainte de M. Warman. M. Lemire prétend que, durant son enquête, elle a été incapable de trouver un certain nombre des documents contestés que M. Warman prétend avoir visionnés sur Internet. M. Lemire prétend également que Mme Rizk enquêtait sur ses activités sur Internet bien avant que M. Warman ne dépose la présente plainte.

[4] La question du témoignage des trois personnes susmentionnées a été discutée à l'ouverture de l'audience, le 29 janvier 2007, à Toronto. Mme Kulaszka a confirmé son intention de faire témoigner les trois personnes susmentionnées, lesquelles résident apparemment toutes dans la région de la Capitale nationale. Afin de faciliter les choses, Mme Kulaszka a proposé que celles-ci rendent leurs témoignages à Ottawa. Les parties n'ont soulevé aucune objection quant à ce choix du lieu des témoignages et j'ai accepté la proposition de Mme Kulaszka. Les témoins étaient censés rendre leurs témoignages après la fin des quatre semaines d'audience à Toronto, c'est-à-dire après le 2 mars 2007. Les dates de leurs témoignages ont finalement été fixées au 9, 10 et 11 mai 2007, dans les bureaux du Tribunal, au centre-ville d'Ottawa.

[5] La Commission demande maintenant l'adoption de mesures spéciales concernant le témoignage des personnes susmentionnées, à savoir qu'il leur soit permis de témoigner par vidéoconférence à partir d'un autre endroit que la salle d'audience du Tribunal. Elles pourront être vues par le Tribunal et par les avocats sur un écran, alors que les autres personnes, notamment M. Lemire, seront assises dans une autre salle d'où ils ne pourront entendre que la partie sonore des témoignages.

[6] Au cours des quatre semaines d'audience à Toronto, la Commission n'a présenté aucune demande quant aux mesures spéciales qu'elle désire maintenant obtenir. Toutefois, le 2 mars 2007, la Commission a déposé une requête en annulation des assignations à témoigner. J'ai rejeté cette requête le 14 mars 2007.

[7] La Commission a déposé des copies de nombreux messages affichés sur Internet qui, selon elle, montre qu'elle a [traduction] des motifs raisonnables de craindre pour la santé et la sécurité de ses employés. Certains de ces messages sont répugnants et très troublants. Ils comprennent notamment un récit fictif d'une fusillade à l'audience du Tribunal, des appels au meurtre à l'endroit de M. Warman, des juges ainsi que des membres du Tribunal et des détails concernant l'adresse domiciliaire de M. Warman. Tous ces messages ne portent, évidemment, aucune signature ou portent la signature d'une personne utilisant un pseudonyme. Je crois comprendre qu'ils ont été affichés sur des sites Web basés au États-Unis. Je ne suis saisi d'aucun élément de preuve qui permet d'établir un lien entre ces documents et M. Lemire.

[8] Des photos de M. Warman ont également été affichées sur le Web, ainsi que des photos d'une personne qui appartiendrait à un groupe appelé Anti-Racist Action. En 2006, avant le début de l'audience, des photos de tous les futurs témoins experts en l'espèce (les témoins de M. Lemire, ceux de la Commission ainsi que ceux du procureur général) ont vraisemblablement été affichées par M. Lemire sur une page Web traitant principalement de la présente cause. Cette page Web figure dans le site Web freedomsite.org. La photo de Madame Karen Mock, l'experte de la Commission, a été modifiée d'une manière qui, selon elle, est inacceptable. La Commission a fait part de ses objections et, si je comprends bien, au moment où l'audience a commencé, la photo de Madame Karen Mock avait été retirée.

[9] La Commission prétend que la preuve qu'elle a déposée fournit un motif raisonnable de crainte quant à la sécurité personnelle et professionnelle des témoins de la Commission. Cependant, les mesures spéciales que la Commission demande au Tribunal d'adopter n'ont pas trait à la sécurité des témoins à l'audience. Dans une décision antérieure, j'ai clairement indiqué à toutes les parties qu'aucune perturbation et aucune intimidation, à l'intérieur ou à l'extérieur de la salle d'audience, ne seraient tolérées et que je prendrais les mesures appropriées pour qu'il n'y en ait aucune. En effet, comme le Tribunal l'a toujours fait dans les cas de plainte déposée en vertu de l'article 13, des mesures de sécurité additionnelles ont été prises en l'espèce. De plus, il était évident à l'audience que la Commission avait mis en place ses propres mesures de sécurité additionnelles en ce qui avait trait à son avocat et à ses témoins.

[10] Le problème pour la Commission ne semble donc pas être la sécurité à l'audience mais plutôt la question de l'identité des témoins ou, plus précisément, la saisie et la publication d'images visuelles des trois témoins. La Commission explique la principale raison de sa demande de la façon suivante :

[traduction]

L'apparence physique et l'identité de ses employés assignés à témoigner par l'intimé doivent être protégées et ne doivent pas être révélées afin que ceux-ci ne puissent pas être reconnus dans leurs vies de tous les jours et qu'ils ne soient pas vulnérables lorsqu'ils sont en société et (ou) afin que leurs photos ne soient pas affichées sur Internet comme, selon la preuve fournie dans les pièces produites, ce fut le cas pour les experts et pour M. Warman.

[11] Il est intéressant de souligner qu'aucune demande similaire n'a été faite lorsque M. Warman et les témoins experts ont témoigné à Toronto, il semble cependant que leurs photos figuraient déjà sur Internet.

[12] La Commission m'a renvoyé à un certain nombre de décisions dans lesquelles les tribunaux ont ordonné que des mesures spéciales soient prises concernant les témoins. Je souligne toutefois que les mesures spéciales prises dans ces causes ont trait à la non-divulgation des noms des témoins. En l'espèce, non seulement nous connaissons les noms des témoins, mais nous savons que ce sont des employés de la Commission.

[13] Le choix proposé par la Commission aurait pour effet que M. Lemire se verrait priver de la possibilité d'être présent dans la salle d'audience pendant que les témoins déposent. Le paragraphe 52(1) mentionne que l'instruction du Tribunal est publique. Le Tribunal peut, sur demande, prendre toute mesure pour assurer la confidentialité de l'instruction si le Tribunal est convaincu que certaines conditions sont présentes :

52. (1) L'instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l'instruction s'il est convaincu que, selon le cas :

52. (1) An inquiry shall be conducted in public, but the member or panel conducting the inquiry may, on application, take any measures and make any order that the member or panel considers necessary to ensure the confidentiality of the inquiry if the member or panel is satisfied, during the inquiry or as a result of the inquiry being conducted in public, that

a) il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique;

(a) there is a real and substantial risk that matters involving public security will be disclosed;

b) il y a un risque sérieux d'atteinte au droit à une instruction équitable de sorte que la nécessité d'empêcher la divulgation de renseignements l'emporte sur l'intérêt qu'a la société à ce que l'instruction soit publique;

(b) there is a real and substantial risk to the fairness of the inquiry such that the need to prevent disclosure outweighs the societal interest that the inquiry be conducted in public;

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d'empêcher leur divulgation dans l'intérêt des personnes concernées ou dans l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt qu'a la société à ce que l'instruction soit publique;

(c) there is a real and substantial risk that the disclosure of personal or other matters will cause undue hardship to the persons involved such that the need to prevent disclosure outweighs the societal interest that the inquiry be conducted in public; or

d) il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d'une personne puisse être mise en danger par la publicité des débats.

(d) there is a serious possibility that the life, liberty or security of a person will be endangered.

(2) Le membre instructeur peut, s'il l'estime indiqué, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu'il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de la demande visée au paragraphe (1).

(2) If the member or panel considers it appropriate, the member or panel may take any measures and make any order that the member or panel considers necessary to ensure the confidentiality of a hearing held in respect of an application under subsection (1).

[14] Il est important de souligner que les mesures prévues à l'article 52 visent à assurer la confidentialité de l'instruction. Ce qui est limité en vertu de l'article 52, c'est l'accès du public à l'instance et non pas l'accès d'une partie à l'instance. Généralement, les mesures adoptées par le Tribunal afin d'assurer la confidentialité lorsque cela est justifié sont des mesures qui ont pour effet que l'audience est tenue à huis clos.

[15] Ce n'est pas ce que la Commission demande en l'espèce. Sa demande va bien au-delà de ça. Si elle est accueillie, M. Lemire sera exclu de l'audience dans laquelle on examine sa présumée conduite. Il n'aura pas la possibilité d'examiner la preuve. Il sera limité dans l'aide qu'il pourra apporter à son avocate et dans les directives qu'il pourra lui donner. Le paragraphe 50(1) prévoit que toutes les parties doivent avoir la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations. Comme le juge Mackay l'a souligné dans Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes c. Canada (Tribunal des droits de la personne) (1re inst.) (Deegan), [1991] 1 C.F. 141, page 153, (C.F. 1re inst.) :

À mon avis, la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations sous-entend la nécessité de connaître les éléments de preuve et les observations des autres pour y répondre de façon pertinente dans le contexte de l'enquête menée par le tribunal.

[16] L'emploi du mot avocat à l'article 50 vise à garantir à une partie son droit d'être représentée par un avocat. La présence d'un avocat n'annule pas le droit d'une partie d'être présente. Chaque partie a le droit d'être présente à l'instruction, peu importe qu'elle soit ou non représentée par un avocat. Ce droit découle non seulement du paragraphe 50(1) mais également de la justice naturelle.

[17] Je souligne que M. Lemire n'est pas demeuré passif au cours de la présente instance même s'il était représenté par une avocate. J'ai constaté cela tout au long des quatre semaines d'audience. Il a aidé Mme Kulaszka de toutes sortes de manière; il a classé pour elle les nombreux documents et les nombreuses pièces, il a pris des notes, il lui a proposé des questions à poser, il a même, à l'occasion, présenté des observations au Tribunal. À cet égard, j'estime que les conclusions tirées par la Cour dans Deegan, précitée, aux pages 153 et 154, sont révélatrices :

[L]es parties à une plainte devraient pouvoir assister à l'audience et entendre la preuve présentée et ne devraient pas être exclues sans leur consentement en vertu d'une ordonnance d'exclusion générale des témoins, qu'elles se représentent elles-mêmes ou qu'elles soient représentées par un avocat, et que l'efficacité de celui-ci ne devrait pas être restreinte par l'exclusion comme témoin possible d'une partie qui seule peut donner des directives à l'avocat.

[Non souligné dans l'original.]

[18] À l'extérieur de l'audience, M. Lemire a parfois communiqué directement avec le greffe du Tribunal, notamment en ce qui avait trait à l'organisation et au format des pièces.

[19] Dans les observations qu'elle a présentées quant à la présente requête, Mme Kulaszka conclut que, dans les circonstances, M. Lemire devrait avoir le droit de voir les témoins, de voir leurs réactions aux questions et de donner des directives à son avocate concernant les questions qui sont soulevées durant leurs témoignages. Je souscris à cette opinion. J'ajouterais que je ne vois par conséquent aucune raison pour laquelle les dépositions des témoins ne pourraient pas être faites en présence de toutes les parties, dans les bureaux du Tribunal à Ottawa.

[20] Cela dit, les inquiétudes de la Commission ne sont pas sans un certain fondement. La preuve indique que des photos du représentant de Anti Racist Action ont été prises pendant qu'il assistait à une autre audience du Tribunal portant sur une plainte déposée en vertu de l'article 13. Ces photos ont apparemment été affichées plus tard sur le Web. Selon la Commission, les trois témoins craignent que, si leurs photos sont affichées, leur capacité à enquêter sur la diffusion de propagandes haineuses sur Internet puisse être compromise. Mme Kulaszka souligne que la photo d'au moins un des trois témoins est déjà affichée sur Internet. Néanmoins, j'estime que cet aspect de la demande de la Commission n'est pas déraisonnable. Je soulignerais toutefois qu'on ne m'a soumis aucune preuve selon laquelle des photos qui auraient été prises au cours des quatre semaines d'audience de la présente plainte auraient été affichées sur Internet. Il existe cependant une exception. La page Web traitant de la présente affaire qui figure sur le site Web freedomsite.org comprend des photos prises dans la salle d'audience, au cours d'une pause durant l'instance, de personnes identifiées comme étant l'équipe de la défense, notamment Mme Kulaszka, Paul Fromm (représentant la partie intéressée, CAFE) et M. Lemire.

[21] Dans les circonstances, j'ordonne donc qu'on ne permette à personne d'apporter, dans la salle d'audience, des caméras, peu importe la sorte, y compris des caméras d'ordinateur, des caméras vidéos et des téléphones munis de caméra. La saisie de toute image visuelle sera interdite. J'ordonne au greffe du Tribunal de prendre les mesures nécessaires à l'exécution de la présente ordonnance.

[22] La Commission, à titre accessoire, demande que l'on ordonne que toutes les questions posées aux témoins [traduction] relèvent des paramètres stricts de la question constitutionnelle en litige, sauf dans le cas de Mme Hannya Rizk qui se fera poser des questions concernant son enquête sur la présente plainte.

[23] La demande est rejetée. Les objections que pourraient soulever les parties concernant la portée des dépositions des témoins seront traitées par le Tribunal au fur et à mesure qu'elles seront soulevées.

[24] La requête de la Commission, telle que présentée, est rejetée.

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 7 mai 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1073/5405

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Richard Warman c. Marc Lemire

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 7 mai 2007

ONT COMPARU :

Richard Warman

Pour lui-même

Giacomo Vigna

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Barbara Kulaszka

Pour l'intimé

Simon Fothergill

Pour le Procureur général du Canada

Paul Fromm

Pour la Canadian Association for Free Expression

Douglas Christie

Pour la Canadian Free Speech League

Joel Richler

Pour le Congrès juif canadien

Steven Skurka

Pour les Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies

Marvin Kurz

Pour la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith

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