Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

RICHARD WARMAN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MARC LEMIRE

l'intimée

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

CANADIAN ASSOCIATION FOR FREE EXPRESSION

CANADIAN FREE SPEECH LEAGUE

CONGRÈS JUIF CANADIEN

FRIENDS OF SIMON WIESENTHAL CENTER FOR HOLOCAUST STUDIES

LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH

les parties intéressées

DÉCISION SUR REQUÊTE

2007 TCDP 21
2007/05/17

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

[1] Marc Lemire a demandé que je délivre un subpoena enjoignant à Bell Canada de produire [traduction] tous les documents et renseignements concernant l'adresse IP 70.48.181.203.

[2] Pendant l'interrogatoire d'un employé de la Commission canadienne des droits de la personne, Dean Stacey, le 10 mai 2007, un élément de preuve a été produit concernant des messages affichés sur le babillard électronique du site Stormfront.org par une personne utilisant le nom de Jadewarr. M. Lemire prétend que cette personne est en fait un employé de la Commission. Il fonde sa conclusion sur le témoignage donné par Richard Warman dans le cadre d'une autre audience devant le Tribunal, ainsi que sur un certain nombre de documents ayant été produits en l'espèce. Selon M. Lemire, cette preuve démontre que la Commission a [traduction] participé activement sur les babillards électroniques avec lui et d'autres personnes qui sont intimées dans d'autres affaires portant sur les droits de la personne. Selon lui, cela donne à penser que les activités de la Commission sont [traduction] beaucoup plus qu'une tentative d'enrayer la discrimination et ont des répercussions sur l'équité de ses procédures, sur les droits tant des plaignants que des intimés et sur les droits garantis par la Charte. En outre, cet élément de preuve viendrait contredire le témoignage de M. Stacey selon lequel la Commission ne participe pas aux discussions sur les babillards électroniques.

[3] Apparemment, M. Lemire a en sa possession d'autres documents indiquant que l'adresse IP assignée à l'ordinateur à partir duquel Jadewarr a affiché ses messages était 70.48.181.203. Je déduis que le fournisseur d'accès Internet ayant attribué cette adresse à l'utilisateur final était Bell Canada. Par conséquent, M. Lemire désire que le Tribunal enjoigne à un représentant de Bell Canada d'apporter à l'audience tous les documents et les renseignements concernant l'adresse IP, afin de peut-être établir définitivement si un employé de la Commission a affiché des messages sur le babillard électronique sous le nom de Jadewarr.

[4] La Commission s'est opposée formellement à la divulgation de ces renseignements en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5 (LPC). Dans une lettre de son avocat principal par intérim, Philippe Dufresne, la Commission [traduction] certifie au Tribunal que ces renseignements ne devraient pas être divulgués, dans l'intérêt du public, car leur divulgation porterait préjudice à la méthode d'enquête de la Commission.

[5] Les dispositions pertinentes de l'article 37 de la LPC sont ainsi libellées

RENSEIGNEMENTS D'INTÉRÊT PUBLIC

37. (1) Sous réserve des articles 38 à 38.16, tout ministre fédéral ou tout fonctionnaire peut s'opposer à la divulgation de renseignements auprès d'un tribunal, d'un organisme ou d'une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que, pour des raisons d'intérêt public déterminées, ces renseignements ne devraient pas être divulgués.

(1.1) En cas d'opposition, le tribunal, l'organisme ou la personne veille à ce que les renseignements ne soient pas divulgués, sauf en conformité avec la présente loi.

(2) Si l'opposition est portée devant une cour supérieure, celle-ci peut décider la question.

(3) Si l'opposition est portée devant un tribunal, un organisme ou une personne qui ne constituent pas une cour supérieure, la question peut être décidée, sur demande, par :

  1. la Cour fédérale, dans les cas où l'organisme ou la personne investis du pouvoir de contraindre à la production de renseignements sous le régime d'une loi fédérale ne constituent pas un tribunal régi par le droit d'une province;
  2. la division ou le tribunal de première instance de la cour supérieure de la province dans le ressort de laquelle le tribunal, l'organisme ou la personne ont compétence, dans les autres cas.

[...]

SPECIFIED PUBLIC INTEREST

37. (1) Subject to sections 38 to 38.16, a Minister of the Crown in right of Canada or other official may object to the disclosure of information before a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information by certifying orally or in writing to the court, person or body that the information should not be disclosed on the grounds of a specified public interest.

(1.1) If an objection is made under subsection (1), the court, person or body shall ensure that the information is not disclosed other than in accordance with this Act.

(2) If an objection to the disclosure of information is made before a superior court, that court may determine the objection.

(3) If an objection to the disclosure of information is made before a court, person or body other than a superior court, the objection may be determined, on application, by

  1. the Federal Court, in the case of a person or body vested with power to compel production by or under an Act of Parliament if the person or body is not a court established under a law of a province; or
  2. the trial division or trial court of the superior court of the province within which the court, person or body exercises its jurisdiction, in any other case.

[...]

[6] L'article 36.1 de la LPC énonce que le terme fonctionnaire a le même sens qu'à l'article 118 du Code criminel, lequel précise que le terme fonctionnaire désigne toute personne qui détient une charge ou un emploi ou est nommée pour remplir une fonction publique. Je suis convaincu que M. Dufresne, en sa qualité d'avocat principal par intérim de la Commission, est une personne nommée pour remplir une fonction publique au sens de l'article 118. De plus, j'ajouterais que ce n'est pas la première fois que les avocats de la Commission invoquent l'article 37 afin de prévenir la divulgation d'information en l'espèce. Les parties n'ont jamais soutenu que l'avocat de la Commission n'est pas un fonctionnaire au sens de l'article 37.

[7] Dès qu'un fonctionnaire fait part de son opposition en vertu du paragraphe 37(1) de la LPC, le tribunal, l'organisme ou la personne qui reçoit l'opposition veille à ce que les renseignements ne soient pas divulgués sauf en conformité avec la LPC (paragraphe 37(1.1)). Dans le cas d'audiences devant le Tribunal canadien des droits de la personne, la question de l'opposition ne peut être décidée, sur demande, que par la Cour fédérale (alinéa 37(3)a)).

[8] L'une des parties au présent litige, la Canadian Association for Free Expression (CAFE), soutient que l'opposition de la Commission est prématurée. Elle soutient que le libellé de l'article 37 n'interdit pas [traduction] l'obtention de renseignements, mais seulement leur production en preuve. Je ne souscris pas à cette opinion. Le paragraphe 37(1) prévoit qu'un fonctionnaire peut s'opposer à la divulgation de renseignements auprès d'un tribunal, d'un organisme ou d'une personne. La restriction n'est pas limitée à la production en preuve. En outre, le Tribunal tient son pouvoir de délivrer le subpoena que demande M. Lemire de l'alinéa 50(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lequel énonce que le Tribunal a le pouvoir d'assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les pièces qu'il juge indispensables à l'examen complet de la plainte. Par conséquent, le subpoena que M. Lemire cherche à obtenir obligerait le représentant de Bell Canada à comparaître à l'audience et à produire les documents portant sur l'adresse IP susmentionnée, et ne ferait pas que permettre à M. Lemire d'obtenir des renseignements.

[9] De son côté, M. Lemire prétend que, puisque le paragraphe 37(1) prévoit qu'un fonctionnaire peut s'opposer à la divulgation de renseignements auprès d'un tribunal, d'un organisme ou d'une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, l'opposition ne peut être exprimée que lorsque le témoin de Bell Canada comparaîtra, en personne, devant le Tribunal à l'audience.

[10] Je ne souscris pas non plus à cette affirmation. Le paragraphe 37(1), à mon avis, est explicite à cet égard. L'expression auprès d'un tribunal, d'un organisme ou d'une personne a trait à la divulgation de renseignements. C'est à la divulgation des renseignements auprès du tribunal, de l'organisme ou de la personne que le fonctionnaire peut s'opposer. En outre, selon le paragraphe 37(1), un fonctionnaire peut s'opposer verbalement ou par écrit. Si l'opposition prévue au paragraphe 37(1) ne pouvait être exprimée qu'à l'audience publique, pourquoi le législateur aurait-il permis aux fonctionnaires de s'opposer par écrit? En toute logique, cette disposition doit prévoir la possibilité qu'un fonctionnaire puisse s'opposer avant le moment où les renseignements doivent être divulgués. L'opposition de M. Dufresne n'est donc pas prématurée.

[11] En outre, selon l'attestation écrite de l'opposition de M. Dufresne, les renseignements précis dont il est question dans la demande de subpoena ne devraient pas être divulgués, et ce, pour des raisons d'intérêt public précises. Dans ces circonstances, il serait absurde que le Tribunal cite un témoin à comparaître et le contraigne à produire des documents qui, comme nous le savons, font l'objet d'une opposition en vertu de l'article 37. Étant donné que le témoin, selon la demande de subpoena, n'aurait aucun autre élément de preuve à présenter, je ne crois pas que son témoignage ou ses documents soient indispensables à l'examen complet de la plainte au sens de l'alinéa 50(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comme l'ont souligné Alan W. Mewett et Peter J. Sankoff dans Witnesses, (f. mobiles, Toronto, Carswell, 2004) à la page 7-17, no 104, dans les cas où il est clair qu'un témoin ne peut apporter aucun élément de preuve admissible parce que, par exemple, cet élément de preuve est confidentielle, le subpoena peut être annulé.

[12] Par conséquent, la demande de subpoena de M. Lemire pour que Bell Canada produise [traduction] tous les documents et renseignements concernant l'adresse IP 70.48.181.203 est rejetée.

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 17 mai 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1073/5405

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Richard Warman c. Marc Lemire

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 17 mai 2007

ONT COMPARU :

Richard Warman

Pour lui-même

Giacomo Vigna / Philippe Dufresne

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Barbara Kulaszka

Pour l'intimé

Simon Fothergill

Pour le Procureur général du Canada

Paul Fromm

Pour la Canadian Association for Free Expression

Douglas Christie

Pour la Canadian Free Speech League

Joel Richer

Pour le Congrès juif canadien

Steven Skurka

Pour les Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies

Marvin Kurz

Pour la Ligue des droits de la personne de B'nai Brith

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