Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

RICHARD WARMAN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

JESSICA BEAUMONT

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

2009 TCDP 32
2009/10/23

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[1] Le 26 octobre 2007, j'ai rendu une décision quant au bien-fondé de la plainte déposée par Richard Warman à l'encontre de Jessica Beaumont (2007 TCDP 49). J'ai conclu que la plainte de M. Warman, qui alléguait qu'il y avait eu violation de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), était fondée, et par conséquent ordonné l'application de mesures de réparation. Mme Beaumont n'a pas demandé que cette décision fasse l'objet d'un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Pendant toute la durée de l'instruction du Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP), elle était représentée par un agent, Paul Fromm.

[2] Le 2 septembre 2009, le TCDP a publié la décision que j'ai rendue dans le cadre d'une autre affaire, Warman c. Lemire, 2009 TCDP 26. Un des moyens de défense de M. Lemire a consisté à remettre en question la constitutionnalité de l'article 13 et des dispositions connexes portant sur les réparations. Soit dit en passant, Mme Beaumont n'a pas usé de ce type d'argument lors de l'audition de la plainte déposée contre elle. À la lumière de la preuve et des arguments qui m'ont été présentés dans la cause de M. Lemire, j'ai finalement conclu que les dispositions de la LCDP n'étaient pas compatibles avec les libertés garanties par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), et que les restrictions qu'elles imposaient ne constituaient pas une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte. Je me suis par conséquent refusé à appliquer ces dispositions dans le cadre de la plainte déposée contre M. Lemire et je n'ai pas rendu d'ordonnance de réparation contre lui. Le 1er octobre 2009, la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) a demandé à la Cour fédérale d'effectuer le contrôle judiciaire de cette décision.

[3] Après la publication de la décision Lemire, M. Fromm a écrit au TCDP afin de réclamer qu'à la lumière de ces conclusions, j'[traduction] infirme l'ordonnance rendue à l'égard de Mme Beaumont, laquelle imposait à cette dernière de cesser et de s'abstenir de communiquer des messages haineux du type de ceux qui ont été définis dans la plainte déposée contre elle. M. Fromm a également demandé que j'[traduction] annule l'indemnité spéciale et les pénalités que j'ai imposées à Mme Beaumont.

[4] En fait, M. Fromm m'a demandé de revenir sur la décision définitive que j'ai rendue dans l'affaire concernant Mme Beaumont et de réexaminer les conclusions que j'ai tirées. En vertu du principe de droit de functus officio (s'étant acquitté de sa charge), en règle générale, les tribunaux ne peuvent revenir sur une décision définitive, sauf lorsqu'il y a eu un lapsus lors de sa rédaction, ou lorsqu'il y a eu une erreur dans l'expression de l'intention manifeste du tribunal (Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848). Dans l'arrêt Chandler, la Cour suprême du Canada a déclaré que le principe de functus officio s'appliquait également aux tribunaux administratifs, encore que son application puisse y être plus souple. Ainsi, il est possible qu'un tribunal revienne sur une décision si sa loi habilitante porte à croire que cela lui permettra d'exercer les fonctions que ladite loi lui confère. En outre, le tribunal peut pour [compléter] la tâche que lui confie la loi rouvrir sa décision s'il a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans la procédure et qu'il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante.

[5] Dans la décision Grover c. Canada (Conseil national de recherche), [1994] A.C.F. n° 1000 (QL), la Cour fédérale a déclaré que bien que la LCDP ne contienne aucune disposition autorisant expressément le TCDP a réexaminer ses décisions, le fait que la LCDP investisse le TCDP de larges pouvoirs, ajouté au fait que la LCDP devrait être interprétée de manière large de façon à donner pleinement effet aux droits qu'elle protège, permet au TCDP de réserver sa compétence sur certains points afin de veiller à ce que les plaignants jouissent effectivement de la réparation qu'il leur a accordée. Dans la décision Grover, la Cour fédérale a conclu que le TCDP avait réservé expressément sa compétence sur toute question relative à la mise en application d'une des mesures de réparation qu'il avait ordonnées en statuant sur la plainte. Par conséquent, le TCDP avait la compétence de rouvrir sa décision et d'entendre de nouveaux éléments de preuve.

[6] De même, dans la décision Canada (Procureur général) c. Moore, [1998] 4 C.F. 585, la Cour fédérale a remarqué que, dans le cadre de cette affaire, le TCDP avait également déclaré explicitement, en rendant son ordonnance de réparation, qu'il conserverait sa compétence au cas où les parties n'arriveraient pas à mettre au point [l]es détails afférents aux réparations. La Cour fédérale a par conséquent conclu que le TCDP avait le pouvoir de rouvrir l'instance et réexaminer son ordonnance antérieure.

[7] En accord avec ce raisonnement, dans la décision Goyette c. Syndicat des Employés Terminus Voyageur Colonial, 2001 CanLII 8495 (T.C.D.P.), le TCDP a reconnu que le principe de functus officio l'empêchait de rouvrir une instruction quant à une question à l'égard de laquelle il n'avait pas réservé sa compétence.

[8] En l'espèce, je n'ai plus la compétence d'entendre des questions relatives à la décision que j'ai rendue le 26 octobre 2007, qu'elles portent sur les réparations ou sur d'autres sujets. Cette décision était clairement définitive.

[9] En outre, Mme Beaumont n'a pas démontré qu'une des exceptions au principe de functus officio qui ont été énoncées dans l'arrêt Chandler s'appliquait, à savoir que le TCDP avait omis de trancher une question qui avait été soulevée dans la procédure, qu'il y avait eu un lapsus dans la rédaction de la décision ou encore que le TCDP avait commis une erreur dans l'expression de son intention manifeste.

[10] Mme Beaumont me demande essentiellement d'annuler ma décision du fait de conclusions tirées deux ans plus tard dans le cadre d'une plainte sans rapport avec la sienne, faisant intervenir un intimé différent, et dans laquelle les faits et les points en litige ont été étudiés et débattus de manière distincte, notamment en ce qui a trait à la remise en question formelle de la constitutionnalité des dispositions applicables de la LCDP, un point que Mme Beaumont n'a jamais soulevé dans le cadre de l'affaire qui la concernait. Il ne s'agit pas d'un fondement valable en droit permettant à un tribunal de rouvrir sa décision et de réexaminer ses conclusions.

[11] Par conséquent, je rejette la demande de Mme Beaumont.

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 23 octobre 2009

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1106/8705

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Richard Warman c. Jessica Beaumont

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE
DU TRIBUNAL :

Le 23 octobre 2009

ONT COMPARU :

Richard Warman

Pour lui-même

Daniel Poulin

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Paul Fromm

Pour l'intimée

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