Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 10/ 89 Décision rendue le 25 juillet 1989

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. 1976- 1977, c. 33 version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : ROBERT NEALY, CARMEN W. WALLACE, KEN WASSERMAN, DEBORAH R. GLASER Plaignants

- et

RANDY JOHNSTON, TERRY LONG, CHURCH OF JESUS CHRIST CHRISTIAN- ARYAN NATIONS

Mis en cause

- ET

DAVID GOLDBERG Plaignant - et

CHURCH OF JESUS CHRIST CHRISTIAN- ARYAN NATIONS Mis en cause

TRIBUNAL : JOHN McLAREN NORMAN FETTERLY BRENDA GASH

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU : RENÉ DUVAL et CHERYL CRANE Avocats de la Commission canadienne des droits de la personne

D. MATAS Avocat de K. Wasserman, de D. Glaser et de D. Goldberg

DATES DE L’AUDIENCE : Les 26, 27 et 28 octobre 1988 ainsi que les 17 et 18 novembre 1988 >

1 A. La plainte La présente plainte est déposée par cinq individus en vertu du paragraphe 13( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les plaignants sont M. Robert Nealy, d’Edmonton (Alberta), M. Carmen Wallace, de Blackfalds (Alberta), Mme Deborah Glaser et M. Kenneth Wasserman, d’Edmonton (Alberta), ainsi que M. David Goldberg, de Toronto. Mme Glaser, M. Wasserman et M. Goldberg sont employés ou membres de B’nai Brith, Canada.

Le paragraphe 13( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dispose ce qui suit :

Constitue un acte discriminatoire le fait pour une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite.

Le paragraphe 3( 1) de la Loi énonce les motifs de distinction illicite, soit ceux fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne grâciée ou la déficience.

Le fond des plaintes de quatre des plaignants, dans leur forme finale et modifiée, est identique, exception faite de la date des messages qui constituent le principal point des plaintes, de l’identité des groupes mentionnés dans les messages et des motifs de distinction illicite allégués. Voici le texte de la plainte modifiée de M. Nealy, faite le 27 janvier 1988 :

(traduction)

J’allègue que Randy Johnston, Terry Long et la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations, agissant d’un commun accord, ont utilisé ou fait utiliser un téléphone à plusieurs reprises entre les 16 et 23 février 1987, en particulier le 20 février 1987, et continuent à le faire, en recourant ou en faisant recourir aux services de l’Alberta Government Telephones, entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement, pour diffuser ou faire diffuser un message téléphonique enregistré susceptible d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes d’origine vietnamienne, tamoule et sikh et appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite, soit la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique et la religion, contrairement au paragraphe 13( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

> 2 La plainte de M. Wallace porte sur des messages entendus les 20 et

24 février ainsi que le 12 mars 1987. Les messages visés par la plainte commune de Mme Glaser et de M. Wasserman ont été entendus les 20 et 24 février, le 12 mars 1987 ainsi que le 21 janvier 1988. Ces deux plaintes concernaient les Juifs ainsi que les trois groupes ethniques mentionnés spécifiquement par M. Nealy. Dans leur plainte, Mme Glaser et M. Wasserman ont omis le motif illicite de la religion.

La plainte de M. Goldberg, en date du 13 mars 1987, différait des trois autres, en ce qu’elle n’a pas été modifiée et ne visait que la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations (appelée ci- après l’ Église) et non Terry Long et Randy Johnston. Elle portait sur des messages enregistrés entendus entre les 6 février et 12 mars 1987.

B. Les mis en cause Les trois mis en cause nommés dans toutes les plaintes sauf celle de M. Goldberg sont Terry Long, Randy Johnston et l’Église. Aucun d’entre eux n’a comparu à l’audition des plaintes par le tribunal. L’agente du tribunal, Mme Gwen Zappa, a déposé au nom du tribunal canadien des droits de la personne une série de lettres envoyées par le secrétariat à l’Église, à M. Long et à M. Johnston. Les deux premières lettres, datées du 5 mai 1988 et envoyées par courrier ordinaire, contenaient des renseignements sur la constitution du présent tribunal et l’audience, et demandaient aux mis en cause comment ils comptaient se faire représenter à l’audience (pièces T- 2 et T- 3). Dans le cas de Terry Long et de l’Église, la lettre a été envoyée aux soins de C. P. 464, Caroline (Alberta). La lettre destinée à Randy Johnston a été envoyée à son adresse, au 5111- 49e rue, app. 1, Red Deer (Alberta). Ces lettres n’ont reçu aucune réponse. Une lettre de rappel ainsi qu’un exemplaire de l’original leur ont été envoyés par courrier recommandé avec carte AR, leur demandant de répondre (pièces T- 3 et T- 4). Ces lettres étaient datées du 20 juin 1988. Les avis adressés à Terry Long et à l’Église ont été refusés (pièce T- 5), mais d’autres lettres recommandées envoyées à Long et à l’Église relatives à la notification de renseignements sur l’audience, la procédure de dépôt des documents et l’avis du lieu de l’audience, en date des 16 et 26 ao t, ont été reçues et signées par Mme Long, l’épouse de Terry Long (pièces T- 9 et T- 11). La carte AR de couleur rose utilisée par le bureau de poste pour confirmer la livraison a été signée dans le cas de la lettre du 20 juin envoyée à M. Johnston, indiquant que la lettre a été reçue. Toutefois, la signature est illisible. Une autre lettre qui lui avait été adressée, en date du 16 ao t, portant sur la procédure a été renvoyée, car Johnston avait déménagé dans l’intervalle sans laisser une adresse d’acheminement du courrier (pièce T- 8). Terry Long a accusé réception d’une lettre ultérieure, datée du 26 ao t, qui avait été envoyée aux soins de l’adresse postale de l’Église (pièces T- 10 et T- 12).

> 3 Raminder Singh, agent des droits de la personne au bureau régional de l’Alberta de la Commission canadienne des droits de la personne, a témoigné qu’il avait interrogé Randy Johnston le 9 novembre 1987, à Red Deer (Alberta). Son témoignage se fondait sur des notes qu’il avait prises à ce moment- là (pièce C- 35). M. Singh a informé Johnston que des plaintes avaient été déposées au sujet des messages téléphoniques diffusés par l’Église. A ce moment- là, Johnston a reconnu avoir fait lecture de ces messages depuis le 20 février 1987 et que le téléphone ayant servi à la diffusion des messages avait été loué à son nom. M. Singh l’a informé que son nom serait probablement inclus dans toute plainte officielle qui serait

déposée, car il avait confirmé avoir fait lecture des messages et avoir loué le numéro de téléphone.

Tant M. Duval, pour la Commission canadienne des droits de la personne, que M. David Matas, représentant Deborah Glaser, Ken Wasserman et David Goldberg, ont soutenu que, compte tenu du fait que les mis en cause avaient été d ment notifiés en vertu de la Loi de la procédure et des détails pertinents et avaient décidé de ne pas comparaître, le tribunal avait le droit d’entendre les plaintes et de statuer sur celles- ci en leur absence. Les deux avocats ont signalé des reportages ayant paru dans l’Edmonton Sun et l’Edmonton Journal du 25 octobre 1988, sur une entrevue avec M. Long dans laquelle celui- ci avait déclaré qu’il prévoyait boycotter le tribunal. M. Matas a prétendu que même si M. Johnston semble avoir changé d’adresse pendant qu’on tentait de communiquer avec lui, il ne pouvait pas ne pas savoir ce qui se passait à cause de la publicité entourant l’affaire. Il a également fait remarquer que ni les plaignants ni les avocats ne voulaient appeler MM. Long et Johnston comme témoins et a proposé qu’il ne convenait pas que le tribunal oblige les deux hommes à comparaître contre leur volonté. M. Duval a attiré l’attention du tribunal sur la décision Rodney Rommann v. Sea- West Holdings Ltd., (1984) 5 C. H. R. R. D- 2312 dans laquelle le président, le professeur Frank Jones, après avoir été convaincu que la mise en cause avait été notifiée et avait décidé de ne pas comparaître, a procédé sans elle.

Se fondant sur la preuve produite devant lui, le tribunal a décidé, en vertu du paragraphe 40( 1) de la Loi qui n’exige pas une signification à personne, que les trois mis en cause avaient reçu un avis adéquat de l’audience. En outre, suivant la décision Rommann, le tribunal a décidé de poursuivre sans les mis en cause. Conformément à la procédure adoptée à cette audience, il a ajourné pour s’assurer que M. Long, M. Johnston ou l’Église n’avaient pas décidé de changer d’avis à la dernière minute. Aucun d’entre eux n’a comparu.

> 4 C. Les questions en litige Pour déterminer si les mis en cause sont visés par le paragraphe 13( 1) de la Loi, il faut répondre à certaines questions :

  1. Les mis en cause ont- ils utilis[ é] ou [fait] utiliser un téléphone de façon répétée pour aborder ou faire aborder les messages allégués?
  2. Ont- ils communiqué en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement?
  3. S’agissait- il de questions susceptibles d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes pour des motifs fondés sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique ou la religion?
  4. Enfin, dans l’affirmative, le paragraphe 13( 1) est- il contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et, en particulier, au droit à la liberté d’expression garanti par l’alinéa 2b)? Dans l’affirmative, est- il visé par l’exception prévue à l’article premier de la Charte?

1. Les mis en cause ont- ils utilisé ou fait utiliser un téléphone pour communiquer les messages allégués?

Chacun des plaignants a témoigné avoir entendu un certain nombre de messages téléphoniques diffusés par la Church of Jesus Christme Christian- Aryan Nations au début de 1987 et, dans le cas de Mme Glaser, en janvier 1988. Dans chaque cas, ils avaient remarqué que l’Église avait annoncé un numéro de téléphone que les intéressés pouvaient composer afin d’entendre les messages qu’elle diffusait. Selon le témoignage de M. Wallace et de M. Wasserman, ceux- ci avaient appris l’existence des messages téléphoniques en lisant les petites annonces du Red Deer Advocate, sous le nom de l’Église. M. Richard Sadick, directeur de la publicité du journal, a confirmé dans son témoignage qu’effectivement, un certain Randall Johnston, C. P. 464, Caroline (Alberta) avait fait insérer cette annonce au nom de l’Église, sous la rubrique services personnels du journal, et que l’annonce avait paru du 16 février 1987 jusqu’au 26 mai au moins, de la même année. Il a identifié une copie de l’annonce dont le texte était simplement le suivant :

(traduction)

CHURCH of Jesus Christ Christian- Aryan Nations messages enregistrés- 343- 0216. (Pièce C- 7)

Dans certains cas où les plaignants ont composé le numéro annoncé, les messages étaient enregistrés. M. Wallace a enregistré les sept messages qu’il a entendus lorsqu’il a composé le numéro, à l’aide d’un répondeur téléphonique installé sur sa ligne commerciale. M. Goldberg qui, pour la majeure partie de l’année 1987, était directeur régional de B’nai Brith, Canada et de la League of Human Rights de l’Alberta et de la Saskatchewan, a également fait enregistrer les messages. En tout, dix messages ont été enregistrés. Tous

> 5 avaient été mis sur une bande maîtresse dont des copies ont été envoyées à la Commission canadienne des droits de la personne et à B’nai Brith, Canada.

Outre les enregistrements faits par les plaignants, le personnel du bureau régional de la Commission canadienne des droits de la personne, à Edmonton, a composé le numéro annoncé entre février 1987 et février 1988 et enregistré les messages entendus. M. Marius Begieneman, directeur régional de la Commission canadienne des droits de la personne pour l’Alberta et les Territoires du Nord- Ouest, a témoigné que neuf bandes avaient été faites sous sa surveillance. Une dixième avait été enregistrée par Raminder Singh, en son absence.

Le tribunal a eu la possibilité d’entendre les bandes ou de lire les transcriptions faites au bureau d’Edmonton de la Commission canadienne des droits de la personne ou de lire les transcriptions et de les entendre, pour s’assurer dans chaque cas que l’on n’avait pas touché les bandes en cause et que la transcription représentait assez fidèlement ce qui était dit sur la bande. Certains mots ou certaines expressions étaient inaudibles ou difficiles à comprendre. Dans le cas de chaque message présenté au tribunal, le lecteur précisait que le message était fait au nom des nations aryennes et encourageait l’auditeur à écrire, pour obtenir de plus amples renseignements, à la case postale 464, Caroline (Alberta). Le tribunal a écouté vingt et un (21) messages différents. La dernière bande a été enregistrée le 15 février 1988 (pièce C- 37). Le message énonce clairement qu’il s’agit du dernier de la série des messages enregistrés dont la diffusion avait commencé le 16 février 1987. D’après la bande, le

programme des messages avait été lancé à la suite de l’assemblée annuelle de l’Église, en décembre 1986, parce que l’on estimait qu’il s’agissait là de la seule façon de faire connaître au public ses principes sans que ceux- ci ne soient déformés. Dans le compte rendu que Raminder Singh a fait de sa rencontre avec Randy Johnston, il a indiqué que ce dernier lui avait dit que lui- même, Johnston, allait chercher le message chaque dimanche et que celui- ci était changé chaque semaine. D’après le libellé de l’annonce parue dans le Red Deer Advocate, les références données dans les bandes et les transcriptions ainsi que le compte rendu des déclarations de Randy Johnston, les membres du tribunal ne doutent nullement que les messages téléphoniques ont été diffusés sous le nom de la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations, à plusieurs reprises, entre février 1987 et février 1988.

Examinons maintenant la situation des mis en cause et leur rapport avec les messages téléphoniques. En vertu du paragraphe 13( 1), [ c] onstitue un acte discriminatoire le fait pour une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord de communiquer les renseignements reprochés. Il importe donc de déterminer le rapport, le cas échéant, entre Terry Long et Randy Johnston et les bandes et, en particulier, si l’un et l’autre ont eu un rôle dans la production, la présentation et la diffusion des messages

> 6 téléphoniques. Il faut également examiner la situation et l’organisation de l’Église pour déterminer si celle- ci a été désignée mise en cause à juste titre. Est- ce simplement l’alter ego de Terry Long ou constitue- t- elle un groupe de personnes agissant d’un commun accord aux fins du paragraphe?

La preuve de la participation de Terry Long aux activités de l’Église découle d’un certain nombre de sources. M. Duval a produit le témoignage de la maîtresse de poste de Caroline (Alberta), Mme Bette Nelson. Cette dernière a déclaré que M. Long, qu’elle a identifié à partir d’une photographie ayant paru dans l’Edmonton Sun du 25 octobre 1988 (pièce C- 22), a une case postale à son nom à laquelle du courrier lui est adressé personnellement ainsi qu’aux membres de sa famille. Il s’agit du numéro 464, Caroline (Alberta). Le courrier de l’Église est adressé à la même case postale et est donc livré de la même façon. C’est Terry Long ou sa femme qui va chercher le courrier destiné à la famille Long et à l’Église. Selon les souvenirs de Mme Nelson, ils reçoivent le courrier destiné à l’Église depuis trois ou quatre ans.

Les rapports étroits existant entre l’Église et Terry Long ressortent également des déclarations faites dans la presse et attribuées à M. Long. Des articles sur Long et l’Église provenant de l’Edmonton Journal, du Calgary Herald et du Toronto Sun ont été produits en preuve (C- 64, C- 72 et C- 65); ils rapportaient tous des entrevues avec Long dans lesquelles il confirmait son rôle de chef de l’Église, en Alberta. Toutefois, la preuve la plus évidente est la copie d’une lettre et d’un communiqué de presse produits par M. Alan Shefman, directeur national de la Ligue des droits de la personne et de B’nai Brith, Canada (pièce C- 63). La lettre, en date du 14 novembre 1984, provient du pasteur R. G. Butler, du siège social des nations aryennes, à Hayden Lake (Idaho), et a été écrite sur du papier à en- tête de la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations. L’auteur y déclare que Terry Long est (traduction) un dirigeant de l’armée du Roi des Rois. Mention est faite, à la fin de la lettre, d’une pièce jointe (traduction) Certificat de direction de la Church of Jesus Christ

Christian- Aryan Nations. Voici le début du communiqué de presse signé par Terry Long, sur du papier à en- tête des nations aryennes, où figure également l’adresse postale de Terry Long :

(traduction)

L’Aryan Nations Church of Jesus Christ Christian, ayant son siège social à Hayden Lake (Idaho), est heureuse d’annoncer la nomination de Terry Long, de Caroline (Alberta), à la direction des nations aryennes pour la province de l’Alberta.

La preuve par laquelle est établi le lien entre Terry Long et l’Église ainsi que ces deux derniers et les messages s’appuie sur les déclarations qui, selon Raminder Singh, lui ont été faites lorsque ce dernier a interrogé Randy Johnston, le 9 novembre 1987. Selon M. Singh, Johnston aurait dit que Terry Long lui avait demandé de faire lecture des messages du groupe des nations aryennes et de les enregistrer. Johnston, affirmant qu’il n’avait jamais

> 7 écrit aucun des messages lui- même, a reconnu qu’il recevait un nouveau message dans sa boîte à lettre toutes les semaines, que le message était changé tous les dimanches, que Terry Long avait acheté l’enregistreuse sur laquelle étaient passés les messages et que l’on pouvait entendre ceux- ci en composant son propre numéro, le 343- 0216.

Quant à la participation de Randy Johnston à la diffusion des messages, celui- ci a admis, au cours de son entrevue avec Raminder Singh le 9 novembre 1987, qu’il faisait lecture des messages des nations aryennes, à la demande de Terry Long et d’une autre personne parce que (traduction) sa voix de commentateur leur avait plu. D’après les notes de M. Singh, Johnston a dit également qu’il y avait (traduction) certaines choses dans les messages qu’il recevait de Terry Long qu’il (traduction) refusait de lire. M. Singh a insisté sur ce point, et Johnston a ajouté qu’il avait fait un peu de montage, mais il a précisé qu’il demandait habituellement l’autorisation de Long avant d’apporter les modifications. M. Sadick, directeur de la publicité du Red Deer Advocate, a produit une série de factures dont les dates vont de la mi- février au début d’avril 1987 et qui indiquent que les annonces des messages téléphoniques avaient été placées par Randy Johnston (pièces C- 52 à C- 54). D’après le témoignage d’un représentant de l’Alberta Government Telephone Company, le numéro de téléphone figurant dans l’annonce, sous la rubrique services personnels du journal, était enregistré au nom de Randy Johnston (pièce C- 56).

Le tribunal est convaincu qu’il existe une forte preuve circonstantielle liant Terry Long et Randy Johnston aux messages. Les messages sont diffusés sous le nom de l’ Église des nations aryennes qui utilise la même adresse postale que Terry Long. Le communiqué de presse émanant de ce dernier indique qu’il a été reconnu par le chef de l’Église aux États- Unis, comme le pasteur de l’Église en Alberta et, d’après les aveux faits par Randy Johnston à M. Singh, il semble avoir été l’âme dirigeante de la conception, de la planification et de l’organisation de la diffusion des messages.

Randy Johnston est lié aux messages en ce sens qu’il a fait insérer, au nom de l’Église, l’annonce incitant les gens à appeler et fait enregistrer à son nom le numéro de téléphone donné dans l’annonce. Compte tenu du libellé de l’article 13, d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone, ces circonstances justifient d’elles- mêmes la conclusion selon laquelle

Johnston était impliqué dans l’affaire et qu’un juste motif d’action existait contre lui. Le lien est renforcé par l’aveu de Johnston lui- même à Raminder Singh selon lequel il avait fait lecture des messages, il avait participé à la modification de leur contenu et s’était chargé de leur diffusion. Le compte rendu des commentaires de Randy Johnston par M. Singh laisse entendre également que Johnston et Terry Long ont collaboré pour transformer les messages écrits sous forme de messages téléphoniques, Long y allant de son inspiration, des textes et des ressources et Johnston, des moyens matériels et mécaniques de la communication.

> 8 Toute la preuve relative à la façon dont les messages étaient produits et à tous les détails du genre, par exemple comment ils étaient communiqués, a été transmise au tribunal indirectement, par les commentaires de Randy Johnston rapportés par Raminder Singh, l’enquêteur de la Commission canadienne des droits de la personne. Nous avons déclaré précédemment qu’il ne pouvait identifier la voix entendue sur les bandes à celle de Johnston. Le tribunal s’est demandé s’il est légitime de s’appuyer sur un ensemble de ce qui est, de toute évidence, une preuve par ouï- dire et une preuve circonstantielle, pour faire le lien entre Johnston et Long, et les messages enregistrés.

Dans l’ouvrage The Law of Evidence in Civil Cases (Toronto, Butterworths & Co., 1974), J. Sopinka et S. Lederman font le commentaire suivant sur la règle qui exclut de façon générale la preuve par ouï- dire :

(traduction)

Le principal critère de l’admissibilité de la preuve est la pertinence. Toutefois, les tribunaux ne recevront pas toutes les preuves qui, logiquement, peuvent être considérées comme ayant rapport aux questions en litige. Le droit a posé des restrictions sur la réception de certaines preuves probantes qui sont d’une qualité inhérente peu fiable. Ainsi, les tribunaux ont élaboré une règle d’exclusion afin d’interdire la preuve par ouï- dire en raison du doute et du soupçon qu’une telle preuve peut faire naître quant à sa précision. (P. 39)

Le fait de s’appuyer sur les déclarations faites par Randy Johnston relativement à sa propre participation à la confection et à la communication des messages enregistrés ne pose aucun problème. Ces déclarations sont visées par une exception reconnue à la règle du ouï- dire. Selon la règle générale en matière tant civile que pénale, toute déclaration pertinente faite par une partie constitue une preuve contre elle. Sous le titre (traduction) Aveux d’une partie, Sopinka et Lederman expriment l’exception à la règle de la façon suivante :

(traduction)

Depuis toujours, les affirmations faites hors cour par une partie à la procédure sont considérées comme admissibles à la demande de la partie adverse en tant qu’exception à la règle du ouï- dire [...] (P. 139)

Les auteurs poursuivent en suggérant que les aveux de cette nature ne constituent même pas des exceptions à la règle du ouï- dire parce que le méfait que cette règle était destinée à empêcher n’existe pas.

Cette exception à la règle du ouï- dire ne s’étend pas aux déclarations faites contre les autres. Ce ne serait donc pas une bonne preuve contre Terry Long. Le tribunal est convaincu que la preuve circonstantielle

susmentionnée suffit pour établir un lien entre M. Long et les messages. Cependant, si cette

> 9 conclusion n’est pas justifiée, nous estimons avoir le droit d’accorder de la valeur à ce qui est, à strictement parler, une preuve par ouï- dire.

Il est évident que les tribunaux créés par une loi, même liés par les règles de la justice naturelle, ne le sont pas de façon générale par les règles de preuve strictes qui régissent les procédures des tribunaux judiciaires.

En l’espèce, nous pouvons nous appuyer sur la législation existante. L’alinéa 40( 3) c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne porte précisément sur cette question :

40 (3) Pour la tenue de ses audiences en vertu de la présente Partie, le tribunal a le pouvoir c) de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.

La légitimité de l’assouplissement des règles de preuve a déjà été reconnue par les tribunaux des droits de la personne. Dans l’affaire Julius Israeli v. Canadian Human Rights Commission and Public Service Commission, (1983) 4 C. H. R. R. D/ 1616, le président, le professeur William Tetley, a d répondre à la question de savoir s’il devait accepter une preuve de (traduction) faits similaires produite par le plaignant. L’admissibilité de cette forme de preuve est une question délicate en raison de la possibilité d’un préjudice indu à l’égard de la mise en cause et de collusion entre les témoins. Le président a admis une telle preuve dans l’affaire dont il était saisi, jugeant qu’elle ne portait pas préjudice et était peu susceptible d’inciter à la collusion, parce qu’il voulait laisser le bénéfice du doute au plaignant dans l’établissement de sa cause. Ainsi, il a commenté brièvement les motifs expliquant l’assouplissement des règles de preuve devant les tribunaux administratifs :

(traduction)

Les règles régissant la preuve déposée devant les tribunaux administratifs sont habituellement assouplies, et ce parce que ceux- ci visent des objectifs différents des tribunaux judiciaires, plus précisément ils participent davantage à la formulation de politiques ... Le présent tribunal est de nature administrative, et c’est une autre raison pour laquelle il a admis la preuve de faits similaires. (P. D/ 1618)

Le professeur Tetley a souligné de façon particulière que l’aliné 40( 3) c) de la Loi autorise l’assouplissement des règles de preuve.

Dans une décision d’une commission d’enquête établie en vertu du British Columbia Human Rights Code, Zarankin v. Johnston, (1984) 5 C. H. R. R. D/ 2274,

> 10 qui portait sur une plainte de harcèlement sexuel, la Commission (le

professeur Lynn Smith) a d répondre à la question de savoir si elle devait admettre une preuve par ouï- dire. Le texte législatif de la Colombie- Britannique contenait une disposition similaire à l’alinéa 40( 3) a) de la Loi. Tout en reconnaissant que des raisons valides justifiaient l’exclusion de la preuve par ouï- dire dans certains cas, le professeur Smith a permis le dépôt de telles preuves au nom du mis en cause pour des raisons semblables à celles invoquées par Sopinka et Lederman précédemment et parce qu’une commission ne devait pas (traduction) simplement faire abstraction des règles de preuve élaborées par la common law depuis des siècles. Elle s’est appuyée, pour ce faire, sur le fait que le mis en cause n’était pas représenté par un avocat et ne savait peut- être pas qu’il pouvait appeler à témoigner la personne dont les commentaires faisaient l’objet de la preuve par ouï- dire.

Les professeurs Tetley et Smith ont précisé de façon claire que le critère d’admissibilité d’une telle preuve est sa pertinence à une question substantielle et que si elle est admise, elle doit être étudiée avec soin par rapport à d’autres preuves produites, de sorte qu’on puisse en vérifier la valeur probante. Tous deux ont reconnu que des circonstances peuvent justifier le dépôt de preuves qui pourraient être exclues par un tribunal judiciaire. En l’espèce, nous estimons que la preuve par ouï- dire est fort pertinente par rapport à une question substantielle, c’est- à- dire la question de savoir si Terry Long a participé à la communication ou à l’incitation à la communication de messages téléphoniques susceptibles, a- t- on allégué, d’aborder ou de faire aborder des questions pouvant exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes appartenant à des groupes minoritaires du fait de la race, de l’origine nationale ou ethnique ou de la religion. De plus, nous croyons que les circonstances de l’espèce sont telles qu’il est légitime de fonder des conclusions défavorables à Long sur les preuves par ouï- dire produites. Terry Long n’a pas assisté à la procédure ou n’a pas tenté de quelque façon que ce soit de réfuter les allégations des plaignants ou la preuve présentée par la Commission. Une telle conduite de sa part appelle des conclusions défavorables, car il aurait pu se présenter pour entendre les allégations et la preuve et les réfuter. Son absence et son défaut de témoigner et de se soumettre au contre- interrogatoire permettent au tribunal de conclure que la preuve peut avoir effectivement été à son détriment. Comme Sopinka et Lederman (supra) le déclarent,

(traduction) On peut conclure à l’encontre d’un défendeur si celui- ci refuse de témoigner [...] une fois qu’on a établi un juste motif d’action contre lui. (P. 537)

Les auteurs ajoutent également ce qui suit : (traduction) Une décision défavorable est également justifiée lorsqu’une partie au litige ne témoigne pas ni n’appelle de témoin qui aurait pu connaître les faits et rendre un témoignage favorable important si son argument avait été valable. (P. 145)

Compte tenu de l’absence des mis en cause qui, comme nous l’avons vu, avaient été d ment informés de l’audience, les plaignants et la Commission ont été forcés de s’appuyer sur un ensemble de preuves circonstancielles et par ouï- dire pour établir un lien entre Long et les messages, le présent tribunal

> 11

est convaincu que, pour les motifs donnés, la preuve par ouï- dire qui a été produite a une valeur probante. Elle a été fournie par un enquêteur de la Commission, à l’aide de notes prises au moment où les commentaires ont été faits, et cette personne est, selon nous, un témoin très fiable. Nous acceptons le témoignage de M. Singh relativement à sa conversation avec Randy Johnston, considérant qu’il s’agit d’un compte rendu crédible des commentaires faits par ce dernier qui a déclaré que Terry Long avait organisé la production, la publicité et la diffusion des messages enregistrés. Ce témoignage corrobore effectivement la preuve circonstancielle déposée par les plaignants et la Commission.

Dans les audiences relatives aux droits de la personne, on accepte maintenant la norme de preuve civile, soit la prépondérance de la preuve d’après la prépondérance des probabilités (voir Balbir Basi v. Canadian National Railway, (1988) 9 C. H. R. R. D/ 5029; Corrigan v. Pacific Western Airlines, (1988) 9 C. H. R. R. D/ 4993. Compte tenu de cette norme de preuve, le tribunal conclut que les plaignants et la Commission ont établi le lien nécessaire entre les messages téléphoniques et les intimés, Terry Long et Randy Johnston, pour ce qui est du paragraphe 13( 1) de la Loi dans la production et la diffusion de l’objet de la plainte.

L’Église a également été mentionnée à titre de mise en cause. Nous devons donc examiner sa situation. Aucune preuve n’a été produite visant à établir qu’elle avait été constituée en personne morale et qu’elle a donc une personnalité juridique; aucun détail n’a été donné sur la composition et le nombre de ses membres en Alberta, inutile de mentionner au Canada. Des preuves directes ont été présentées sous forme de bandes et de transcriptions visant à établir que les messages téléphoniques avaient été communiqués en son nom. De plus, le dernier message enregistré diffusé vers la mi- février 1988 (pièce C- 37) révèle que (traduction) le chapitre régulier de la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations avait tenu une assemblée annuelle en décembre 1986 au cours de laquelle la production et la diffusion de messages téléphoniques enregistrés avaient été approuvées, ce qui laisse entendre que d’autres personnes que M. Long font partie de l’Église. Le fait que cet organisme se compose de plus d’une personne est confirmé également par les termes de la lettre, en date du 14 novembre 1984, envoyée par le pasteur Richard Butler à Terry Long, dans laquelle il reconnaît ce dernier comme le chef de l’Église, et le communiqué de presse qui le décrit comme (traduction) le nouveau chef des nations aryennes pour la province de l’Alberta (pièce C- 63).

Même s’il n’y a pas de preuve de la situation, de la composition et du nombre précis des membres de l’Église en Alberta, le tribunal a entendu beaucoup de témoignages, provenant surtout des États- Unis, sur les origines, la philosophie et les activités du mouvement qu’elle représente. M. Alan Shefman, directeur national de la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith, Canada a témoigné sur la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations et sa position au sein du Identification Church Movement en Amérique du Nord. En raison de ses opinions sur le sujet et de sa préoccupation des organismes propageant la haine, en particulier celles qui préconisent l’antisémitisme, M. Shefman a beaucoup étudié ces organismes, leur composition et les objectifs qu’ils visent. Pour ce faire, il s’est inspiré de la nombreuse documentation compilée et publiée par l’Anti- Defamation League, homologue de la League of Human Rights

> 12 aux États- Unis. Il a pu nous montrer des exemples de la documentation

produite par l’Église aux États- Unis et par son groupement secondaire en Alberta. Les grandes lignes de son témoignage sur ce mouvement s’appuient sur l’ouvrage de M. Stanley Barrett paru récemment sur l’extrême droite au Canada et intitulé Is God a Racist? The Right Wing in Canada (Toronto, University of Toronto Press, 1987).

Le Identification Church Movement auquel la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations appartient prend ses racines dans le mouvement anglo- israël qui est apparu en Grande- Bretagne, puis aux États- Unis, à la fin du XIXe siècle. Selon la croyance fondamentale de ses adeptes, les Anglais, leurs cousins de l’Europe du Nord et les populations de race blanche des États- Unis sont les descendants des tribus perdues d’Israël qui, après la captivité babylonienne, se sont rendues, par le Caucase, en Europe en provenance du Proche- Orient. Ces gens sont, prétend- on, le véritable peuple d’Israël. On affirme que les deux autres tribus, celles de Juda, sont retournées dans leurs foyers ancestraux où elles se sont abâtardies par suite d’intermariages et de l’adoption de coutumes étrangères, perdant dans l’intervalle la pureté de leur race. Les descendants de ce dernier groupe sont les Juifs, les usurpateurs d’Israël. Selon M. Shefman, cette théorie prônait et prône toujours que les Juifs constituent une race et, à ce titre, ils ont perdu toute prétention à être le peuple choisi de Dieu. Le reniement des Juifs sous- entendu par ces croyances est scellé par l’argument selon lequel le Christ n’était pas juif, mais qu’il proviendrait plutôt de l’une des dix tribus perdues.

Cette interprétation raciale de l’histoire a connu une certaine renaissance après la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’adoption ouverte de l’antisémitisme et du racisme eugénique des nazis était considérée comme peu politique. Cette renaissance a provoqué l’apparition d’un certain nombre d’Églises de ce genre dispersées et indépendantes qui toutes embrassaient à un degré ou l’autre les théories racistes dont nous venons de parler. De l’une de ces Églises situées en Californie est sorti Richard Butler, fondateur et pasteur de la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations. L’Église, établie à l’origine en Californie, a été déménagée par Butler à Hayden Lake (Idaho), en 1973. Bien que ce mouvement soit fragmenté, phénomène que M. Shefman attribue à l’existence d’un trop grand nombre de personnes voulant être chef, les diverses Églises et leurs ramifications séculières ont des rapports entre elles et se rencontrent pour discuter de stratégies et de problèmes communs. Chaque été, le complexe de Hayden Lake reçoit ces groupes. C’est grâce à ces contacts que les liens ont été établis et que l’on a fait cause commune avec les premiers organismes racistes comme le Ku Klux Klan et divers groupes politiques de droite qui préconisent le nazisme.

Parmi les participants aux réunions privées à Hayden Lake, il y avait un certain nombre de Canadiens, notamment John Ross Taylor, le chef du Western Guard Party ayant son siège en Ontario, et Terry Long, le chef et pasteur de la Church of Jesus Christ Christian, en Alberta. M. Shefman a produit la copie d’une lettre en date du 14 novembre 1984, figurant sur du papier à en- tête des nations aryennes, de Hayden Lake (Idaho), et signée par Richard Butler dans laquelle ce dernier reçoit Terry Long (traduction) dans le rang des chefs de l’armée du Roi des Rois (pièce C- 63). Le communiqué de presse joint à cette

> 13 lettre et provenant de Terry Long au nom de l’Église en Alberta contient un paragraphe énonçant les croyances de l’Église.

(traduction) Les nations aryennes font partie du Identity Christian Movement qui croit que les habitants de l’Europe du Nord, c’est- à- dire ceux d’origine anglo- saxonne, celte, germanique, basque, nordique, slave et lombarde, sont les tribus perdues d’Israël ayant migré dans les lieux où ils vivent actuellement après les deux grandes dispersions de l’Israël biblique survenues en 720 et en 585 av. J.- C. Il existe des documents prouvant que le communisme est d’origine juive et est contrôlé à l’heure actuelle par l’élite juive. Puisque, dans leurs propres publications, les Juifs communistes préconisent la prise et l’annihilation de la civilisation chrétienne occidentale par l’extermination de la race blanche, les nations aryennes, conformément au septième commandement de Dieu, préconisent la pureté de la race de la véritable Israël et travaillent en ce sens.

Le caractère raciste des croyances de la Church of Jesus Christ Christian et d’autres organismes d’extrême droite est développé par M. Barrett dans son livre intitulé Is God a Racist? (1987).

(traduction) Les extrémistes de la droite veulent rien de moins qu’une société complètement blanche. Ils prétendent que les Noirs et les Blancs ne peuvent vivre ensemble en harmonie, que les intermariages sont plus dangereux pour la civilisation que la bombe atomique et qu’un jour viendra où une guerre raciale universelle éclatera, la couleur de la peau déterminant sous quel étendard on combattra. Ils ne sont pas mieux disposés à l’égard des Juifs. Comme on l’a quelquefois répété, les racistes veulent remettre les Noirs à leur place, mais ils désirent que les Juifs cessent d’exister. Ils considèrent les Noirs comme méprisables mais trop faibles d’esprit pour constituer une menace pour les Blancs. Ils estiment que les Juifs sont intelligents, dangereux, amoraux, méprisables et qu’ils conspirent pour s’approprier l’univers. On ne pourra jamais trop le répéter, l’unique thème, le plus important, qui revient chez ces divers organismes radicaux de la droite est l’antisémitisme. (P. viii)

Les pamphlets et la documentation diffusés par les nations aryennes à Hayden Lake confirment cette double obsession de l’intermariage et d’une conspiration juive visant la maîtrise de l’univers. Dans un communiqué non daté de l’Église intitulé sinistrement (traduction) La disparition de la race blanche qui comporte la photographie d’un Noir et d’une Blanche enlacés ainsi que le commentaire suivant (traduction) L’abomination ultime (pièce C- 73), l’auteur avance la thèse selon laquelle la race blanche est en péril parce que son nombre diminue et qu’elle perd sa pureté raciale en raison du croisement entre les races. L’auteur prétend que cette situation a été manigancée par les Juifs qui contrôlent et le gouvernement et les médias, grâce à la promotion de l’intégration des écoles et des quartiers. Le même thème est repris dans une publication intitulée (traduction) Notre nation dont la couverture montre Herman the Cherusk, chef militaire aryen réclamant la mort des hordes juives (pièce C- 74). Le message attribué à Herman est clair : (traduction) Aussi longtemps que l’ennemi occupe

>

14 notre territoire, la haine est notre loi, et la vengeance, notre premier devoir! On y trouve un article écrit par un certain Roy Mansker qui attribue le malaise chez la jeunesse blanche, la drogue, l’ amour libre, l’homosexualité, le mélange des races et (traduction) tous les autres maux qui détruisent l’âme à une conspiration juive. Les Juifs, prétend- il, ont créé le problème, l’État juif a capturé et condamné les jeunes Blancs qu’il garde dans les prisons juives. Pour leur part, les Noirs ont été utilisés par les Juifs pour commettre toutes sortes d’outrages contre les Blancs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des prisons. [Dans ce contexte, le mot juif renvoie à ZOG, le Zionist Occupation Government, ou le gouvernement des États- Unis contrôlé par les Juifs.] L’auteur poursuit en laissant entendre que, dans le processus, les Juifs ont créé un groupe de victimes qui sont prêtes à s’élever et à les tuer tous. Il termine en lançant l’avertissement suivant : tous les Blancs doivent se rendre compte de la réalité de la manipulation juive et cette dernière fait partie d’un plan (traduction) visant à appauvrir et à détruire la nation. Le défi consiste à suivre l’exemple de tous ces jeunes Blancs qui (traduction) mèneront une guerre sans fin et gagneront.

Comme l’indiquent les extraits déjà cités des publications de la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations, un courant sous- jacent de violence se fond dans tout leur discours. Dans son témoignage, M. Shefman a indiqué que la formation paramilitaire est répandue parmi les groupes. Dans certaines publications des nations aryennes, on justifie ce fait en invoquant la défense et la protection de la race blanche contre les attaques de ses ennemis, notamment l’État. Toutefois, il est évident que certains partisans voient dans la violence et l’agression la seule façon d’en arriver à leurs fins. M. Shefman a témoigné au sujet de l’Order, groupe réunissant les jeunes et les associés des nations aryennes, qui collectivement et individuellement ont perpétré une série d’actes de violence aux États- Unis contre les personnes et les biens de ceux qu’ils considèrent comme les ennemis de la race blanche. Effectivement, au cours de l’audience, l’Edmonton Journal du 27 octobre 1988 a fait état de la déclaration de culpabilité prononcée à Boise (Idaho) de quatre membres de l’Order sur des chefs d’accusation de (traduction) racket, conspiration, contrefaçon, attentat à la bombe, possession illégale d’armes et destruction malicieuse de biens fédéraux (pièce C- 61). Il s’agit là d’un cas parmi tant d’autres où des membres de l’Order ont été accusés et, dans certains cas, condamnés pour des crimes impliquant des meurtres, des attentats à la bombe, des vols à main armée et des actes de contrefaçon. Même si Richard Butler, le chef des nations aryennes, a prétendu que l’Order est un groupe en rupture, frustré par l’échec des nations aryennes à prendre l’offensive, M. Shefman a suggéré qu’à son avis, les liens sont toujours intacts et les deux groupes s’apportent un appui mutuel. Citant un extrait d’une publication de l’Anti- Defamation League, Propaganda of the Deed: The Far Right’s Desperate Revolution (pièce C- 68), il a déclaré que Butler avait annoncé qu’on projetait un service en la mémoire de Robert Matthews, l’un des leaders de l’Order tué au cours d’une fusillade avec des agents du F. B. I., sur Whidbey Island (Washington), et qu’il avait décrit Matthews comme (traduction) un homme d’un idéalisme et d’un sens moral très élevé. L’auteur proclame dans la même publication que l’Order avait imprimé certains de ses billets contrefaits sur la presse de Hayden Lake.

> 15 D’après la preuve produite devant le tribunal révélant l’existence d’un groupe d’individus en Alberta dirigé par Terry Long qui souscrit aux valeurs et aux opinions de cette section du Identification Church Movement qui fonctionne sous le nom de Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations, les membres du tribunal sont convaincus que l’Église, en Alberta, a été nommée à juste titre mise en cause dans la présente audience. Même s’il est évident que Terry Long est l’âme dirigeante de l’organisme, celui- ci ne se limite pas à Terry Long et n’est pas identifié uniquement à lui. Malgré l’absence de preuve selon laquelle elle a une personnalité juridique officielle, l’Église ne représente pas un groupe de personnes acceptant un programme social, politique et religieux commun, qui se considèrent comme faisant partie d’un établissement ou d’un mouvement. En outre, de son propre aveu, elle respecte des règles de procédure internes dans ses prises de décisions.

Dans une autre décision d’un tribunal constitué en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui devait étudier une plainte présentée en vertu du paragraphe 13( 1), Commission canadienne des droits de la personne et autres c. Le Western Guard Party et John Ross Taylor, non publiée, Tribunal canadien des droits de la personne, 20 juillet 1979 (J. Francis Leddy, Sidney Lederman et Rose Volpini), malgré le fait que le Western Guard Party n’était pas constitué, le tribunal a conclu sans hésitation, d’après la preuve, qu’il constituait un groupe de personnes agissant d’un commun accord en vertu de la disposition en cause.

[M] ais il n’y a aucun doute qu’il [le Western Guard Party] constitue un groupe de personnes qui se sont organisées sous ce nom. Il a un symbole. Il a du papier à lettre à en- tête. Il a un numéro de boîte postale. Il est un abonné du téléphone et son nom apparaît dans l’annuaire. Il a un compte en banque et une organisation comportant des agents et des chefs. Il se présente comme une unité. (Ross Taylor, p. 42)

En l’espèce, la preuve n’est pas moins claire : la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations est un groupe de personnes agissant d’un commun accord aux fins du paragraphe 13( 1) de la Loi.

2. Les communications ont- elles été transmises au moyen des services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement? Comme l’a fait remarquer Mme Crane pour la Commission, il existe une vaste et noble jurisprudence voulant qu’un système de télécommunication reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au- delà des limites de la province relève de la compétence du Parlement. Ce système est visé par l’alinéa 92( 10) a) de la Loi constitutionnelle de 1867 qui retire ces ouvrages à la compétence provinciale sur les travaux et entreprises d’une nature locale. Le paragraphe 91( 29) de la même Loi confère au Parlement la compétence de faire des lois relativement aux catégories suivantes :

Les catégories de sujets expressément exceptés dans l’énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.

Dans l’affaire City of Toronto v. Bell Telephone Co. of Canada, [1905] A. C. 52 (P. C.), le Conseil privé, invoquant l’alinéa 92( 10) a) et le paragraphe 91( 29), a conclu qu’un système de télécommunication s’étendant au- delà des limites de la province ou reliant la province à une autre ou à d’autres provinces relève de la compétence fédérale.

> 16 En l’espèce, il s’agit de déterminer si Alberta Government Telephones est un système de télécommunication du type visé par l’alinéa 92( 10) a) et par l’affaire City of Toronto. La situation de cette entreprise de télécommunication a été étudiée par la Section de première instance de la Cour fédérale (( 1985) 2 C. F. 472) et la Cour d’appel fédérale (Télécommunications CN- CP c. Alberta Government Telephones et Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1986] 2 C. F. 179.) A. G. T. demandait la délivrance d’un bref de prohibition contre le C. R. T. C. afin de l’empêcher d’entendre une demande présentée par CN- CP visant une ordonnance obligeant A. G. T. à fournir des services d’interconnexion à CN- CP. En première instance, la Cour fédérale a jugé que A. G. T. n’était pas une entreprise de nature locale et était donc assujettie à la législation fédérale. Elle était un mandataire de la Couronne et avait donc droit à l’immunité à l’égard de la législation fédérale. La Cour d’appel fédérale a infirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle A. G. T. jouissait de l’immunité à titre de mandataire de la Couronne, mais elle a accepté et confirmé sa décision voulant que A. G. T. ne soit pas une entreprise locale. La Cour d’appel a décidé d’accueillir la demande de CN- CP, jugeant que A. G. T. relevait de la compétence fédérale en vertu de l’alinéa 92( 10) a) de la Loi constitutionnelle. L’argument de A. G. T. selon lequel, comme ses installations matérielles étaient en Alberta, elle était donc par définition une entreprise d’une nature locale, a été rejeté. La Cour a souligné que les exemptions prévues dans la disposition avait rapport non seulement aux entreprises s’étendant au- delà des limites de la province mais également à celles reliant la province à une autre ou à d’autres provinces. Il n’était donc pas nécessaire qu’il y ait des installations matérielles à l’extérieur des limites de la province. Dans cette affaire, le point important était la nature de l’entreprise et non ses installations matérielles. A. G. T. se servait de ses installations pour fournir à ses clients des services de télécommunication locale, interprovinciale et internationale sans aucune discrimination. En ce sens, ses services étaient intégrés à un système extraprovincial. Les services matériels d’interconnexion ne suffisaient pas nécessairement à modifier le caractère de l’entreprise de A. G. T. en une entreprise relevant de la compétence fédérale, mais le fait qu’elle appartienne au Réseau téléphonique transcanadien, la vouait à une entreprise de télécommunication commune et conjointe. Par conséquent, la Cour a conclu que A. G. T. est une entreprise interprovinciale qui n’est pas d’une nature simplement locale. Même si A. G. T. a le contrôle de ses propres installations matérielles, elle ne pourrait pas, en réalité, se distinguer de l’entreprise commune sans détruire son système de télécommunication dans sa forme actuelle.

La décision de la Cour d’appel fédérale a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada. En l’absence de la décision de cette dernière, la décision de la Cour d’appel fédérale représente un état du droit impératif et final ainsi que l’analyse juridique à appliquer

pour déterminer l’application de l’alinéa 92( 10) a) et du paragraphe 91( 29) à une entreprise de télécommunication. La décision rendue en appel dans A. G. T. c. CN- CP a été suivie par le Conseil canadien des relations du travail dans sa décision Alberta Government Telephones c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 348, (1986) 13 C. L. R. B. R. (N. S.) 31. Le Conseil a déclaré qu’il avait compétence pour entendre les demandes d’attestation présentées par les syndicats qui prétendaient représenter les employés de A. G. T. Pour en arriver à cette décision, il s’est fondé en particulier sur des extraits de la preuve produite devant la Section de première instance de la Cour fédérale, dans l’affaire CN- CP, portant sur la nature des activités de A. G. T. La décision du Conseil a par la suite été confirmée dans un renvoi à la

> 17 Cour d’appel fédérale effectué en vertu du paragraphe 28( 4) de la Loi sur la Cour fédérale. Cette procédure visait à faciliter une audition commune des appels de CN- CP et FIOE par la Cour suprême. Dans ce deuxième appel, Renvoi effectué par le Conseil canadien des relations du travail, non publié, C. A. F., 3 février 1987, no du greffe A- 523- 86, la Cour a confirmé de nouveau ce qu’elle avait déjà dit dans CN- CP.

Mme Crane a soutenu, pour la Commission, qu’il était légitime pour le tribunal, suivant l’exemple du Conseil canadien des relations du travail, d’accepter la preuve sur la nature du système de télécommunication de A. G. T. produite dans l’affaire CN- CP au procès, en particulier parce que A. G. T. n’est pas partie à l’instance. Le tribunal, tentant de se persuader qu’il existe des preuves de fait que les activités de A. G. T. sont les mêmes que celles dont la preuve a été faite dans les affaires antérieures, a hésité. Il voulait obtenir un affidavit d’une personne d’expérience qui décrive les activités de A. G. T., en particulier celles qui mettent en cause un service téléphonique extraprovincial. M. James Pratt, vice- président adjoint des affaires réglementaires et interentreprises, a produit un affidavit. En voici un extrait :

(traduction)

3. les installations de télécommunications de A. G. T. sont reliées aux systèmes de télécommunication d’autres entreprises situées aux limites de la province de l’Alberta soit par micro- ondes, en deux points à la frontière de la Saskatchewan, en deux points à la frontière de la Colombie- Britannique, en un point à la frontière américaine et en un point à la frontière des Territoires du Nord- Ouest, soit par câbles souterrains franchissant les frontières en divers points.

4. A. G. T. reçoit les signaux émis par les téléphones de ses abonnés et les transmet aux limites de l’Alberta où ils sont reçus par les installations d’autres entreprises de l’extérieur de l’Alberta; elle reçoit des signaux en provenance de l’extérieur de l’Alberta et les transmet à leurs destinataires en Alberta et, dans certains cas, elle retransmet à l’extérieur de l’Alberta certaines transmissions provenant elles- mêmes de l’extérieur.

5. Par suite des raccordements susmentionnés, les abonnés de A. G. T. ont accès à des points situés à l’extérieur de

l’Alberta. 6. Une entente de raccordement entre Alberta Government Telephones, Bell Canada, British Columbia Telephone Company, la Société de téléphone du Manitoba, Maritime Telegraph and Telephone Company Ltd., Newfoundland Telephone Company Ltd., Saskatchewan Telecommunications, Telesat Canada, The Island Telephone Company Ltd. et la New Brunswick Telephone Company Ltd. prévoit le raccordement, à la partie voisine, des systèmes de télécommunication appartenant à chacune des parties, le partage des revenus entre chacune et l’établissement de normes et de la qualité de transmission.

L’affidavit fait sous serment par M. Pratt, bien que présenté sous forme résumée, concorde avec la preuve sur laquelle s’est appuyé le juge Reed, en première instance, dans l’affaire A. G. T. c. CN- CP, [1985] 2 C. F. 472

> 18 (1re inst), aux pages 478- 479, et sur laquele s’est fondé le Conseil canadien des relations du travail dans A. G. T. c. FIOE, (1986) 13 C. L. R. R. (N. S.) 313, aux pages 319- 320. Le tribunal est convaincu que les conditions dans lesquelles A. G. T. fonctionne à titre d’entreprise de télécommunication n’ont pas changé depuis les premières décisions. Même si la question de savoir si A. G. T. est un travail ou une entreprise relevant de la compétence du Parlement est en appel devant la Cour suprême du Canada, le présent tribunal doit se prononcer sur les questions constitutionnelles selon le droit actuellement en vigueur. Par conséquent, par application du droit sur la situation constitutionnelle d’une entreprise de télécommunication interprovinciale établi par la Cour d’appel fédérale dans la décision CN- CP à la preuve par affidavit déposée par A. G. T., le tribunal conclut que cette dernière est une entreprise relevant de la compétence du Parlement du Canada et qu’elle est donc visée par le paragraphe 13( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne lorsqu’on utilise ses installations afin de transmettre des communications du type décrit dans cette disposition.

Dans les affaires CN- CP et FIOE, A. G. T. a invoqué l’immunité de la Couronne au motif qu’à titre de mandataire de la Couronne du chef de l’Alberta, elle avait droit à la protection de l’article 16 de la Loi sur l’interprétation fédérale, S. R. C. 1970, c. I- 23, qui accorde l’immunité à la Couronne à l’égard de la législation fédérale à moins que la Couronne ne soit liée par celle- ci de façon explicite. Nous souscrivons à l’argument de Mme Crane selon lequel la question de l’immunité éventuelle de A. G. T. n’est pas liée à l’espèce, car l’entreprise de télécommunication n’est pas partie à la plainte. En effet, personne ne s’est plaint que A. G. T. a commis des actes discriminatoires contrairement au paragraphe 13( 1). Sa situation n’est pertinente que pour déterminer s’il s’agit d’une entreprise relevant de la compétence du Parlement et dont les installations ont servi à diffuser des informations discriminatoires. Même si la question de l’immunité de la Couronne était pertinente, la Cour d’appel fédérale, dans CN- CP et FIOE, a rejeté l’argument de l’immunité de la Couronne invoqué par A. G. T., car si elle l’avait accepté, elle aurait autorisé A. G. T. qui, exploitant une entreprise de nature fédérale, avait outrepassé ses pouvoirs en n’agissant pas

conformément aux fins pour lesquelles elle avait été constituée par la loi provinciale, à se soustraire aux lois fédérales applicables aux entreprises fédérales (voir CN- CP, [1986] 2 C. F. 179 (C. A. F.), à la p. 194; FIOE, non publié, C. A. F., 3 février 1987, no du greffe A- 523- 86, à la p. 2).

3. S’agissait- il de questions susceptibles d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes pour des motifs fondés sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique ou la religion? Soulignons en premier lieu que les tribunaux canadiens, dans leur interprétation de la législation sur les droits de la personne, ont affirmé qu’il faut lire ces textes législatifs de façon libérale et leur prêter une intention. La déclaration faisant autorité en la matière est celle du juge en chef Dickson, s’exprimant au nom d’une cour unanime, dans l’arrêt Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R. C. S. 1114. Lorsqu’il a traité de l’interprétation de la législation sur les droits de la personne, le juge en chef a attiré l’attention sur l’objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en citant l’article 2 et en particulier l’alinéa a), dont voici le texte :

> 19 [T] ous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée ou, en matière d’emploi, de leurs handicaps physiques; (P. 1133)

Le juge en chef a poursuivi en disant que la législation sur les droits de personne vise à favoriser l’essor des droits individuels d’importance vitale. Il a reconnu qu’il faut, en interprétant la loi, donner aux termes qu’elle utilise leur sens ordinaire, mais il a précisé qu’il est important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits en cause. Il a mis en garde contre le fait de chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet. (P. 1134)

L’application du paragraphe 13( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été étudiée dans une décision antérieure. Dans l’affaire Commission canadienne des droits de la personne et autres c. Le Western Guard Party et John Ross Taylor, non publiée, 20 juillet 1979, un tribunal constitué en vertu de la Loi et composé de J. Francis Leddy, Sidney Lederman et Rose Volpini a étudié une plainte présentée en vertu de la disposition portant sur la communication de messages téléphoniques par les défendeurs.

En appliquant le paragraphe 13( 1), ce tribunal a conclu que l’objet de celui- ci est d’empêcher et de considérer comme inacceptable l’utilisation des communications téléphoniques pour diffuser des messages et des idées susceptibles d’exposer des individus et des groupes, identifiables de par leur race, leur origine nationale ou ethnique, leur couleur, leur religion, leur âge, leur sexe, leur état matrimonial ou leur handicap physique à la menace de la violence ou à la perte de l’estime au sein de la société canadienne. Le Parlement a jugé que le risque pour l’intégrité physique, la tranquillité d’esprit

et la dignité humaine des individus ou des groupes diffamés de cette façon justifie une mesure décisive de l’État, même s’il peut en résulter une restriction de la liberté d’expression.

Pour conclure que les messages étaient susceptible[ s] d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes, ce tribunal a étudié le libellé de la disposition, en particulier le sens des mots hatred (haine), contempt (mépris) et expose (exposer). Pour le terme hatred, le tribunal s’est servi de la définition du Oxford English Dictionary (édition de 1971), dont voici le texte :

active dislike, detestation, enmity, ill- will, malevolence, (aversion active, détestation, inimitié, malice, malveillance). (P. 31)

Le tribunal a trouvé également dans cette ouvrage la définition du terme contempt :

the condition of being condemned or despised; dishonour or disgrace, (le fait d’être méprisé ou dédaigné; déshonneur, disgrâce). (P. 31)

> 20 Comme la Loi ne contient aucune définition des termes hatred ou contempt, il faut s’appuyer sur leur sens ordinaire. De toute évidence, ils peuvent être chargés émotivement, et la façon dont ils sont utilisés par rapport à des situations de fait particulières par différents individus ne sera pas toujours la même. Néanmoins, il existe un tronc commun important aux deux que les définitions du dictionnaire reflètent. Le terme hatred connote un ensemble d’émotions et de sentiments comportant une malice extrême envers une autre personne ou un autre groupe de personnes. Quand on dit qu’on hait quelqu’un, c’est que l’on ne trouve aucune qualité qui rachète ses défauts. Toutefois, il s’agit d’un terme qui ne fait pas appel nécessairement au processus mental de regarder quelqu’un de haut. Il est fort possible de haïr quelqu’un que l’on estime supérieur à soi en intelligence, en richesse ou en pouvoir. Aucun des synonymes utilisés dans le dictionnaire pour le terme hatred ne donne d’indice sur les motifs de la malice. Par contraste, contempt est un terme qui suggère le processus mental consistant à regarder quelqu’un de haut ou à le traiter comme inférieur. La définition du dictionnaire invoquée dans l’affaire Taylor rend bien cette idée, car on y trouve les mots despised (dédaigné), dishonour (déshonneur) ou disgrace (disgrâce). Même si la personne peut être haïe (c’est- à- dire faire l’objet d’une aversion active) et traitée avec mépris (c’est- à- dire regardée de haut), les termes ne se chevauchent pas complètement, car la haine est, en certains cas, le résultat de l’envie de qualités supérieures, ce que le mépris ne peut être par définition.

Le présent tribunal accepte les définitions des termes hatred et contempt appliquées par le tribunal dans l’affaire Taylor.

Dans cette décision, le tribunal a également étudié le sens du mot expose (exposer) au paragraphe 13( 1) :

On ne trouve pas habituellement le verbe exposer dans les lois destinées à empêcher la propagande haineuse. Par

contre, il est dans la majorité des cas question, par exemple dans le Règlement découlant de la Loi sur la radiodiffusion, dans les dispositions de la Loi sur les postes et dans divers articles connexes du Code criminel, de propos insultants ou injurieux, ou de déclarations qui incitent à la haine ou la fomentent.

Le verbe inciter veut dire attiser; fomenter signifie soutenir activement. Le verbe exposer est un terme plus passif, qui semble indiquer que la personne qui transmet le message n’a pas l’intention de susciter une réaction violente chez la personne qui le reçoit. Exposer à la haine implique également un genre de communication plus subtile et indirecte que l’insulte vulgaire ou le langage injurieux non déguisé. Le verbe exposer signifie : laisser une personne ou une chose sans protection; laisser sans abri ou défense; soumettre au danger, au ridicule, à la censure, etc. En d’autres termes, si un individu crée les conditions propices à la haine, laisse le groupe identifiable exposé à la rancune ou à l’hostilité, s’il le place dans une situation où il risque d’être haï, ou là où la haine ou le mépris sont inévitables, alors cet individu tombe sous le coup du paragraphe 13( 1) de la Loi sur les droits de la personne. (P. 32)

> 21 Le présent tribunal accepte l’explication donnée dans l’affaire Ross Taylor de l’utilisation du terme expose au paragraphe 13( 1). Comme l’extrait le laisse entendre, nous remarquons qu’il n’y a pas lieu pour les plaignants de faire la preuve d’un effort ou d’une intention active de la part des mis en cause pour produire la conséquence négative visée par la disposition. En outre, du fait de l’utilisation des termes susceptibles d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes, il n’est pas nécessaire de produire une preuve qu’un individu ou un groupe particulier a pris les messages au sérieux et a en fait dirigé sa haine, son mépris ou son ridicule contre d’autres personnes, encore moins que quelqu’un est en fait devenu victime de tels actes. Il suffit simplement d’établir que les questions exposées dans les messages sont plus susceptibles qu’autrement de provoquer une réaction positive chez quelques- uns des auditeurs, réaction qui se manifestera à son tour par la haine, le mépris ou le ridicule envers les cibles visées par le message. En outre, pour faire la preuve de l’impact possible de la question sur les auditeurs, le critère n’est pas l’auditeur raisonnable mais plutôt la question de savoir s’il y a quelqu’un, même la personne la plus malveillante ou la plus sans coeur, qui pourrait être incitée à traiter les cibles visées avec haine, mépris ou ridicule. Enfin, comme l’a affirmé le tribunal dans Ross Taylor, par opposition au paragraphe 281.2( 3) du Code criminel (incitation publique à la haine), un plaignant ne peut invoquer la vérité comme moyen de défense en vertu du paragraphe 13( 1) de la Loi. Comme l’a dit le tribunal,

Le Parlement a jugé que l’utilisation du téléphone pour ce genre de message discriminatoire est répréhensible au point que rien ne justifie les défendeurs de propager ces messages. La seule question en litige consiste donc à établir si les communications téléphoniques des défendeurs

sont susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris. (P. 41)

Analysons maintenant le contenu des messages téléphoniques qui sont l’objet des plaintes de la présente audience et la question de savoir s’ils constituent des questions susceptibles d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite.

Les avocats de la Commission et des plaignants ont fait témoigner de vive voix les plaignants eux- mêmes. M. René Jean Ravault a également témoigné. M. Ravault, titulaire d’un doctorat en communications internationales de l’université de l’Iowa et professeur en maîtrise à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), est un expert en théorie des communications, notamment les formes de communications et leur impact sur ceux qui les reçoivent.

M. Ravault a assisté à toute l’audience et a témoigné non seulement du contenu de certains messages enregistrés dont il avait examiné la transcription avant le procès, mais aussi des messages produits en preuve au cours de l’instance. Il a rédigé un rapport faisant état de l’analyse du contenu des transcriptions susmentionnées, dont l’objet était d’évaluer l’impact des messages sur ceux qui les recevaient (pièce C- 59).

Selon M. Ravault, la communication fonctionne selon un principe à quatre volets destiné à constituer un sens dans l’esprit de ceux qui reçoivent la communication. Il a appliqué ce principe aux messages contenus dans les textes examinés. Le moyen utilisé pour transmettre le message est le premier volet de

> 22 ce principe. En l’espèce, le moyen est d’abord le journal dans lequel ont paru les messages, puis le téléphone par l’intermédiaire duquel les messages étaient transmis. Selon le témoin, le fait que l’auditeur doit faire quelque chose pour avoir accès aux messages en composant le numéro de téléphone figurant dans le journal rend le message plus personnel et plus direct. A l’opposé de la radio ou de la télévision qui peuvent exiger moins d’attention, les messages téléphoniques enregistrés sont susceptibles d’être écoutés avec plus d’attention.

Le deuxième volet est le groupe de référence visé qui doit recevoir la communication. En l’occurrence, l’annonce du journal était publiée sous la rubrique services personnels des annonces classées. Selon M. Ravault, on veut, par le choix de cette rubrique, attirer ceux qui ne sont pas bien intégrés dans leur milieu, ceux qui ne semblent pas appartenir à quelque groupe que ce soit et qui pourraient être à la recherche d’une nouvelle cause ou d’un nouveau groupe de référence. Ils sont peut- être hésitants ou désorientés au sujet de leur propre avenir et de celui des gens qui les entourent et rechercher de l’aide, ou déjà mécontents des solutions économiques, sociales et politiques conventionnelles, frustrés par celle- ci, ils cherchent des panacés plus radicales. D’une façon ou d’une autre, on peut fort bien penser qu’ils sont à la recherche de ceux qui prétendent avoir la réponse à tous les maux de la société.

A un auditeur bien disposé et impressionnable au bout de la ligne, le communicateur doit alors fournir une image qui rend le message plausible et efficace. Il s’agit du troisième volet du principe régissant la communication décrit par M. Ravault. En l’espèce, dans le cas des messages téléphoniques enregistrés, l’utilisation de citations ou de renvois à des sources qui peuvent sembler crédibles à l’auditeur donne aux messages mêmes plus crédibilité. Des renvois tels (traduction) le congrès des chefs de police au Canada, (traduction) les statistiques actuelles aux États- Unis, (traduction) le colonnel Moore, maintenant à la retraite, (traduction) les citoyens concernés de l’université, (traduction) le premier ministre William Lyon MacKenzie King, (traduction) le Scientific Post et en particulier la Bible dans les messages enregistrés sont destinés, selon le témoin, à ajouter un caractère d’authenticité et de crédibilité. On tente d’ajouter du poids aux affirmations faites en juxtaposant à ces flashs positifs ce que M. Ravault décrit comme des (traduction) références négatives, de façon générale des renvois à des aveux supposés des membres des groupes attaqués par les messages de tromperie et de malveillance. Quelle que soit la nature des références, la majorité d’entre elles sont difficiles ou impossibles à retrouver et à vérifier. L’auditeur qui peut être sympathique ou ouvert aux suggestions reste donc avec l’impression d’un argument qui est le produit d’une recherche et d’une réflexion certaines.

Le dernier volet de ce principe de la communication porte sur l’importance des circonstances entourant le message. M. Ravault fait remarquer que les messages seront plus efficaces s’ils portent sur des questions intéressant une bonne partie du grand public et qui ont reçu une grande publicité. Par exemple, si le chômage est perçu comme un problème ou en constitue véritablement un, les messages critiquant la politique en matière d’immigration auront plus d’impact sur l’auditeur. Les messages enregistrés parlaient, par exemple, des (traduction) immigrants vivant dans des hôtels de luxe, de (traduction)

> 23 155 Tamouls à bord d’un bateau allemand et de (traduction) l’arrivée de nouveaux réfugiés du tiers monde à Halifax. Ceux qui cherchent un bouc émissaire relativement à leurs problèmes peuvent être attirés par ces messages, en particulier lorsque c’est à eux de faire le dernier lien entre la portée du message et le problème allégué. D’après M. Ravault, la diffusion de tels messages peut servir non seulement à renforcer les attitudes de ceux qui les entendent et qui sont prédisposés à ce type d’opinions, mais également à confirmer leurs convictions et à les inciter à exprimer plus ouvertement leurs idées.

Dans son témoignage, M. Ravault a fait un examen détaillé des messages téléphoniques faisant l’objet de la plainte. Aux fins de la présente décision, le tribunal a procédé à l’étude de certains d’entre eux. De toute évidence, les groupes cibles sont ceux dont la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur ou la religion les distinguent de la majorité de la population générale aux termes du paragraphe 3( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par exemple, dans la pièce C- 3, le groupe cible est constitué des immigrants du tiers monde. En voici des extraits : (traduction) les 155 Tamouls qui sont entrés sur le sol canadien par le mensonge..., (traduction) les Sikhs impliqués dans l’explosion du 747..., (traduction) 40 groupes

différents du crime organisé, entre autres vietnamiens.... Comme l’a indiqué M. Ravault, le message veut transmettre l’idée qu’une politique nationale d’immigration libérale représente une menace pour le bien- être physique et moral de la race blanche; le but du message est d’exagérer une nouvelle pouvant faire la manchette, ce qui a pour effet d’inquiéter vivement l’auditeur relativement à la politique d’immigration du Canada qui semble mettre en danger chaque Canadien croyant, de sang pur. Toutes les incidences de ce message sont expliquées sur d’autres bandes où l’on considère les races non blanches comme inférieures du point de vue intellectuel et moral (la prétention théologique étant que Dieu les a rejetées avant la création d’Adam et Eve) et comme les dupes des Juifs qui visent à se rendre maîtres de l’univers (pièce C- 13). Ainsi que l’a témoigné M. Ravault, pour les personnes désorientées ou rebelles, ces messages peuvent fort bien renforcer un préjudice naissant ou existant et, dans certains cas, favoriser l’agressivité ou produire de la fureur envers les groupes cibles.

D’autres groupes minoritaires sont visés par les messages de la façon dont nous venons de parler, mais il est évident que les Juifs constituent le principal groupe. La majorité des messages examinés par M. Ravault sont très antisémites et suggèrent une obsession des auteurs des messages qui attribuent l’origine de tous les maux de l’univers et du pays à la conspiration juive qui échappe tout à fait à l’établissement politique judéo- chrétien libéral de race blanche. On voit la fourberie et la sournoiserie des Juifs à tout instant. Les Juifs, prétend- on, ont le pouvoir et la volonté de contrôler tout le commerce pour leurs propres fins, aux dépens du grand public (pièce C- 40); le judaïsme, de son propre aveu, ferme les yeux non seulement sur la tromperie, mais également la négligence et même le meurtre des chrétiens (pièce C- 43); le judaïsme est étiqueté comme anti- chrétien, satanique et synonyme de communisme international (pièces C- 12 et C- 46); loins d’être le peuple choisi d’Israël (récompense réservée aux Israëlites qui ont réussi, en passant par le Caucase, à se rendre dans le nord- ouest de l’Europe et au- delà), les Juifs sont considérés comme des usurtateurs qui n’ont aucun droit à l’Israël moderne (pièce C- 6); les Juifs

> 24 sont accusés de participer à une conspiration bancaire sioniste mondiale visant l’effondrement de l’Occident (pièces C- 6 et C- 50); ils sont également accusés de conspiration afin de débarrasser les États- Unis de la race blanche en manipulant l’immigration et en souillant la pureté raciale en encourageant le croisement entre les races (pièce C- 47); le traitement des Palestiniens par les Juifs est considéré comme barbare (pièce C- 6); le Dr Henry Morgantaler est décrit comme un (traduction) avorteur caanite dont l’objectif est d’exterminer la reproduction des Blancs (pièce C- 50); les conspirations sionistes, prétend- on, ont fait des victimes des patriotes blancs, depuis Jésus- Christ jusqu’à Jim Keegstra, Kurt Waldheim et Malcolm Ross (pièces C- 15 et C- 17).

On pourrait penser que le message antisémite qui est passé est si outrageant qu’il inspire la répulsion plutôt que d’attirer l’attention et la sympathie, mais M. Ravault a pu démontrer que, par l’utilisation de techniques de propagandes très complexes que les auteurs des messages semblent connaître, il est possible de faire naître des

sentiments négatifs dans l’esprit d’un auditeur qui est ouvert aux suggestions au point où ce type de renseignements apporte et confirme des renseignements moins extrêmes et prouve que l’individu a véritablement raison de s’inquiéter. M. Ravault a indiqué comment fonctionnait le processus variable consistant à jouer sur les doutes, les anxiétés et la partialité que peut produire une attitude négative envers une population cible, que ce soit par une seule affirmation ou par une accumulation de déclarations. En voici des exemples : l’utilisation de rumeurs afin de faire naître des sentiments négatifs envers un groupe (les lettres K et U, symboles indiquant la nourriture casher sur les emballages, seraient une preuve du contrôle du marché de l’alimentation par les Juifs); faire ressortir des points sans importance comme les habitudes alimentaires afin de renforcer le stéréotype d’un groupe, prouvant que ce dernier ne veut pas se conformer aux valeurs dominantes de la collectivité; identifier un groupe cible à une philosophie que l’on sait inspirer la désapprobation générale (le judaïsme serait synonyme de bolchevisme); prendre des citations hors contexte ou d’une source difficile à vérifier (l’utilisation de citations alléguées de publications juives des années dix et vingt); la répétition et la corroboration apparente de messages antérieurs afin de leur donner davantage de crédibilité; jouer sur les doutes répandus au sujet de l’opportunité de certaines pratiques sociales, comme les mariages interraciaux. Dans un certain sens, ces messages contiennent quelque chose pour quiconque est prêt à écouter et à accepter la suggestion selon laquelle les Canadiens sont la proie de forces sinistres tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Comme l’indique M. Ravault, on ajoute du piquant aux messages par une certaine forme de psychologie à rebours selon laquelle c’est la race blanche qui a été mise sur la défensive, que ce sont les patriotes blancs qui sont victimes de persécution, les Blancs qui ont été conditionnés par le gouvernement et les médias, tous deux asservis aux intérêts juifs, à ressentir de la honte à l’égard de leur race, et que c’est donc la race blanche qui doit se défendre et prendre la place qui lui revient à bon droit dans le monde, c’est- à- dire la première place.

Comme le paragraphe 13( 1) de la Loi exige que les communications faisant l’objet de la plainte soient susceptibles d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de

> 25 distinction illicite, l’opinion de M. Ravault sur les effets possibles des communications sur les individus recevant les messages est donc cruciale. D’après celui- ci, les communications en cause, même si elles sont considérées par un grand nombre comme répugnantes et illogiques, font plus appel aux émotions qu’à la raison et jouent sur le désir de trouver quelqu’un ou quelque chose à blâmer pour les problèmes que connaît l’individu ou dont la société est affligée. Toujours selon M. Ravault, les messages n’arrêtent pas là cependant. Ils vont plus loin et incitent l’auditeur à avoir des sentiments d’agression ou de violence en essayant de renverser sa perception de l’identité de l’agresseur. Par exemple, il a mentionné que l’un des messages incite (traduction) à renvoyer les immigrants d’où ils viennent et suggère d’exercer une discrimination active contre eux aussi longtemps qu’ils demeureront au pays. D’autres décrivent les minorités comme sournoises et manipulatrices ou les refoulent vers la

(traduction) sous- humanité, ne méritant que la haine ou le mépris, et favorisent la prise de mesures visant à empêcher (traduction) le génocide racial légalisé contre nous, la race blanche. Pour résumer son opinion sur les messages et leurs effets sur certains auditeurs, M. Ravault a qualifié les thèmes des communications de dangereux parce que les solutions qu’elles proposent pour résoudre les problèmes perçus préconisent l’expulsion forcée ou, à tout le moins, une ségrégation des populations immigrantes (traduction) indésirables, c’est- à- dire inacceptables du point de vue racial ou ethnique. En outre, elles prônent la violence comme moyen proactif de défense contre quiconque est considéré comme un ennemi de la pureté raciale. Il estime que les messages sont fort semblables à la propagande nazie et prônent effectivement l’apartheid. Il a terminé son témoignage en exprimant la grande crainte que lui inspire l’impact que pourrait avoir ce type de communications sur le comportement de ceux qui sont frustrés, anxieux, rebelles, sans mentionner les mésadaptés.

Comme nous l’avons noté précédemment, chacun des plaignants et d’autres témoins ont également témoigné du comportement discriminatoire dont ils ont fait l’objet personnellement. M. Nealy est noir et Mme Glaser, MM. Wallace, Wasserman et Goldberg sont juifs. Tous ont fait part de la répulsion qu’ils ont ressentie à l’audition des messages enregistrés qu’ils ont entendus dans l’ordre placé par les mis en cause. De plus, tant les plaignants que les autres témoins ont révélé qu’à titre de membres de groupes minoritaires, ils avaient tous fait l’objet, à certains moments de leur vie, de remarques grossières et de comportements discriminatoires. M. Nealy a déclaré dans son témoignage que ces dernières années, à Edmonton, il avait noté une recrudescence des attaques gratuites de nature raciale dirigées contre lui en tant que Noir. Il a raconté un incident au cours duquel sa bicyclette avait été renversée par une camionnette dont l’occupant l’avait apostrophé ainsi : (traduction) Dommage qu’on t’ait manqué, espèce de nègre. Deborah Glaser, qui est actuellement directrice régionale de l’Ouest de B’nai Brith, Canada, a témoigné qu’au cours de son mandat, soit de décembre 1987 jusqu’à la date de l’audience, ses dossiers indiquaient dix incidents d’antisémitisme en Alberta, notamment de nombreuses activités, comme de la documentation haineuse laissée sur le pare- brise des voitures, des dommages causés à l’extérieur de son bureau à Winnipeg ainsi qu’un complot visant à faire exploser le centre communautaire juif à Calgary. Naturellement, il est impossible d’établir un lien de cause à effet entre les messages en cause et ces incidents déclarés, et nous ne sommes pas tenus de le faire non plus en vertu du paragraphe 13( 1) de la Loi.

> 26 Cependant, ces incidents établissent clairement qu’il existe des individus au sein de la population qui sont très bien disposés à répondre de façon violente et avilissante au type d’affirmations faites dans les messages.

Le tribunal accepte le témoignage de M. Ravault sur l’effet des communications faisant l’objet de la plainte sur ceux qui sont le plus susceptible de les recevoir, ainsi que ceux des plaignants qui révèlent qu’il existe des gens au sein de la collectivité qui sont susceptibles de répondre aux messages en victimisant les membres des groupes cibles. Nous sommes convaincus que la Commission et les plaignants ont établi, d’après la prépondérance des probabilités, que

les communications en cause sont susceptibles d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite, soit la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur ou la religion au sens du paragraphe 13( 1) de la Loi. Les questions abordées reflètent les traits apocalyptiques et racistes associés par M. Shefman et M. Barrett (supra, p. 12- 14) à l’Identification Church Movement aux États- Unis et à l’extrême droite au Canada. En termes simples, elles visent à nier le caractère humain de tout groupe de la société canadienne qui ne se conforme pas aux notions dénaturées de la (traduction) pureté aryenne avancées par leur promoteur et provoquent de ce fait la crainte et l’anxiété chez les membres des groupes cibles.

4. Le paragraphe 13( 1) est- il contraire à la Charte des droits et libertés et, en particulier, à la liberté d’expression prévue à l’alinéa 2b)? Dans l’affirmative, cette disposition est- elle visée par l’exception prévue à l’article premier de la Charte? La liberté d’expression est garantie par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes : [...] b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

En vertu de l’article premier de la Charte, la liberté d’expression ne peut être restreint[ e] que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. En vertu du paragraphe 52( 1) de la Loi constitutionnelle (1982), la Charte rend inopérantes les dispositions de toute autre règle de droit incompatibles avec les droits et libertés garantis par le texte constitutionnel.

L’effet possible de la Charte sur le paragraphe 13( 1) n’a pas été, de toute évidence, débattu à l’audition de l’affaire Ross Taylor en 1979. Toutefois, ses répercussions ont été examinées dans une décision ultérieure de la Cour d’appel fédérale qui a découlé indirectement de la première audience, John Ross Taylor et Western Guard Party c. Commission canadienne des droits de la personne et Procureur général du Canada, [1987] 3 C. F. 593. John Ross Taylor et le Western Guard Party à qui le tribunal avait ordonné, en 1979, [ de cesser] leur pratique discriminatoire en utilisant le téléphone pour transmettre de façon répétée les messages enregistrés mentionnés dans les

> 27 plaintes qu’ils avaient diffusés n’ont pas observé l’ordonnance et ont continué d’agir comme ils le faisaient auparavant. Dans une décision de la Cour fédérale, Commission canadienne des droits de la personne c. John Ross Taylor et le Western Guard Party, [1980] 1 C. H. R. R. D/ 47 (C. F. 1re inst.), le juge Dubé a déclaré les défendeurs coupables d’outrage au tribunal, il a condamné Ross Taylor à une peine d’emprisonnement d’un an et le parti à une amende de 5 000 $, mais les deux peines ont fait l’objet d’un sursis, pour ne devenir applicables que si les intimés continuaient à ne pas respecter l’ordonnance du

tribunal. Les intimés ont continué à communiquer des messages haineux, et la Commission canadienne des droits de la personne, ayant demandé la révocation de la suspension des peines, a eu gain de cause. Au cours de la plaidoirie devant la Cour saisie de la demande, l’avocat des intimés a contesté l’ordonnance au motif que la disposition portant sur le message haineux au paragraphe 13( 1) de la Loi était inconstitutionnelle. Dans cette action, Commission canadienne des droits de la personne c. John Ross Taylor, [1985] C. H. R. R. D/ 2595, la Cour a accueilli l’argument sur la question constitutionnelle. Dans son jugement, le juge en chef adjoint Jerome a conclu que la disposition en cause équivalait à une restriction raisonnable de la liberté de parole :

Il convient que le législateur établisse comme principe que les communications qui ont pour but l’incitation à la haine raciale sont inacceptables dans la société canadienne. C’est là le mal que les articles en cause de la Loi canadienne sur les droits de la personne cherchent à combattre et, pour les motifs que j’ai exposés, je ne suis nullement convaincu que la restriction apportée à la liberté de parole qui en résulte est hors de proportion avec cet objet. Il n’y a donc aucun fondement qui autorise à constater que ces dispositions législatives excèdent des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. (P. D/ 2598)

En appel, John Ross Taylor et Western Guard Party c. Commission canadienne des droits de la personne et Procureur général du Canada, [1987] 3 C. F. 593, la Cour a critiqué le juge de première instance qui s’est prononcé sur la question constitutionnelle, au motif qu’elle n’avait aucun rapport avec la question de l’outrage au tribunal visée par l’ordonnance originale. Toutefois, comme les conclusions du juge sur la constitutionnalité de la disposition portant sur les messages haineux avaient été portées en appel, la Cour d’appel les a examinées sous tous les angles. Comme la Cour d’appel fédérale a décidé de considérer ce qui aurait pu autrement avoir été un obiter dicta comme pouvant faire l’objet d’un appel, nous sommes convaincus que son opinion sur la constitutionnalité du paragraphe 13( 1) de la Loi fait partie des ratio decidendi de sa décision.

En Cour d’appel fédérale, le juge Mahoney a déclaré, au nom de la Cour, que s’il devait confirmer le paragraphe 13( 1), ce serait pas l’invocation de l’article premier de la Charte. Pour évaluer cette disposition, il a appliqué le critère et le mode d’analyse énoncés dans La Reine c. Oakes, [1986] 1 R. C. S. 104 et déclaré que le critère avait été respecté.

> 28 Il est intéressant de souligner que, devant la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Ross Taylor, les avocats de l’appelant et de la Commission ont convenu que le litige devait être résolu par le recours à l’article premier de la Charte. Seul le procureur général du Canada a soutenu que la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte ne pouvait s’appliquer aux messages, s’appuyant pour ce faire sur les déclarations du juge Wilson et du juge en chef Dickson dans les arrêts R. c. Jones, [1986] 2 R. C. S. 284 et R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R. C. S. 713, qui ont affirmé que toute entrave dont

l’effet sur la religion est négligeable, voire insignifiant, ne constitue pas une violation de l’alinéa 2a). Le juge Mahoney a rejeté la comparaison faite par l’avocat entre ces deux déclarations et l’espèce, notant tout simplement qu’ il n’y a rien de négligeable, d’insignifiant, d’indirect ou d’involontaire dans les répercussions du paragraphe 13( 1) sur la liberté d’expression.

On ne peut dire qu’au Canada, les tribunaux se sont prononcés de façon définitive sur la question de savoir si l’expression par laquelle ont répand des mensonges ou on incite à la haine ou au mépris à l’égard d’autres personnes est protégée par l’alinéa 2b) de la Charte. La Cour d’appel de l’Ontario a reconnu à deux reprises que certaines formes d’imprimés qui étaient contraires aux dispositions du Code criminel sur la diffusion volontaire de fausses nouvelles (article 177) et la fomentation volontaire de la haine (paragraphe 281.2( 2)) ne constituent pas une expression aux fins de l’alinéa 2b). Dans R. v. Zundel, (1987) 58 O. R. (2d) 129, soulignant que la liberté d’expression n’a jamais été absolue et doit tenir compte des droits et libertés des autres, la Cour a conclu qu’une publication diffusée par l’accusé qui niait l’existence de l’holocauste n’avait aucun des traits caractérisant une expression légitime et était donc une forme d’expression réglementée à bon droit qui n’était pas protégée par la Constitution. Ce raisonnement a été suivi plus récemment par la Cour dans l’affaire The Queen v. Andrews and Smith, non publiée, 29 juillet 1988, dans laquelle une majorité des juges a confirmé le paragraphe 281.2( 2) du Code criminel au motif qu’il n’attaquait aucune des formes d’expression visée par l’alinéa 2b). Dans cette dernière affaire, l’accusé avait publié et diffusé de la documentation antisémite et portant sur la suprématie de la race blanche.

La Cour d’appel de l’Alberta en est venue à une conclusion contraire dans R. v. Keegstra, [1988] 5 W. W. R. 211. Dans cette affaire, Keegstra était accusé en vertu du paragraphe 281.2( 2) du Code criminel d’avoir fait des déclarations antisémites à ses étudiants en sa capacité d’enseignant à l’école secondaire. La Cour a conclu que cette disposition était incompatible avec l’alinéa 2b) de la Charte parce qu’elle faisait du discours imprudent un crime. Le juge d’appel Kerans, au nom de la Cour, a conclu que (traduction) la fomentation imprudente de la haine est visée par la définition de la liberté d’expression. Dans une opinion dissidente dans l’affaire The Queen v. Andrews and Smith, le juge d’appel Cory, telle était alors sa qualité, s’est dissocié de ses collègues et a conclu que le paragraphe 281.2( 2) était contraire à l’alinéa 2b) de la Charte, s’appuyant pour ce faire sur le fait que la liberté de pensée et d’expression est si cruciale à la forme démocratique du gouvernement qu’ (traduction) il ne devrait pas être facile de réprimer la liberté.

> 29 Le tribunal conclut que le paragraphe 13( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne représente effectivement une violation de la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. Même s’il ne s’agit pas d’une disposition de nature pénale qui, pouvons- nous le prétendre de façon logique, soulève plus de problèmes au sujet de la réduction du discours politique en raison des peines qui y sont attachées, c’est une disposition qui peut avoir une portée plus large que les dispositions du Code criminel étudiées dans les affaires Zundel et Andrews and Smith. Comme nous l’avons déjà déclaré

dans la présente décision, le libellé du paragraphe 13( 1) de la Loi révèle un rapport étroit entre cette disposition et son objet, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de faire la preuve d’une intention de communiquer des messages haineux ou méprisants, d’une réponse haineuse ou méprisante donnée par quelqu’un qui entend les messages, ou de l’existence effective d’une victime de la haine ou du mépris. Il s’agit d’une disposition fondée de façon beaucoup plus évidente sur des critères objectifs que les infractions créées par l’article 177 et le paragraphe 281.2( 2) du Code criminel. Cette situation correspond tout à fait aux objectifs généraux de la Loi qui doit régir les comportements qui ont un effet ou des incidences discriminatoires, même si ce n’était pas l’intention voulue. Toutefois, il s’ensuit que des messages peuvent être visés qui, donnant l’impression d’être peu délicats, grossiers et même acerbes, peuvent sembler à première vue ne pas présenter un caractère de mépris ou de haine ouverte. Nous souscrivons aux commentaires du juge Mahoney, de la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Ross Taylor, selon lequel l’impact du paragraphe 13( 1) de la Loi sur la liberté d’expression n’a rien de négligeable, d’insignifiant, d’indirect ou d’involontaire et lorsqu’il conclut que c’est une mesure qui doit être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

Dans l’affaire John Ross Taylor et Western Guard Party c. Commission canadienne des droits de la personne et Procureur général du Canada, [1987] 3 C. F. 593, le juge Mahoney, pour la Cour d’appel fédérale, en appliquant le critère établi par l’arrêt Oakes, a d’abord examiné l’objectif législatif du paragraphe 13( 1) et conclu qu’il est en soi urgent et important pour une société libre et démocratique d’éviter la propagation de la haine visant de telles cibles [pour les motifs énoncés dans la Loi] (p. 611). Il a expliqué ainsi la justification de la disposition :

Il me semble que la préoccupation de toute société libre et démocratique d’éviter la diffamation de particuliers ou de groupes en raison de leur race ou de leur religion va de soi. La population du Canada, tout particulièrement, se compose d’immigrants et de descendants d’immigrants de nombreuses races et de diverses religions ainsi que d’une communauté autochtone de races différentes de la vaste majorité de la population immigrante. Le Canada reconnaît son multiculturalisme non seulement comme une réalité mais comme une caractéristique positive de sa personnalité nationale.

Il ne me semble pas nécessaire que la diffamation en raison de la race ou de la religion soit répandue ou fasse l’objet d’un intérêt attentif et général du public pour qu’il devienne urgent et important d’essayer de l’éviter. (P. 610)

> 30 L’engagement du Canada, à titre de nation, envers le multiculturalisme a été développé par le juge d’appel Cory dans sa dissidence, dans l’affaire Andrews and Smith. Expliquant sa conclusion selon laquelle les objectifs législatifs du paragraphe 281.2( 2) justifient la violation de la liberté d’expression, il a déclaré ce qui suit :

(traduction)

L’article 27 de la Charte dispose que Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec

l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. Ce sont nos antécédents multiculturels qui donnent de la richesse, de la profondeur et de la résonnance à la société canadienne. La Charte a reconnu et fait ressortir l’importance de nos antécédents en prévoyant que sa propre interprétation devait viser à promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel. En soi, cette disposition indique de façon très claire que l’article premier devrait être appliqué en l’espèce. Cette disposition, dans le cadre du patrimoine multiculturel canadien, indique de façon très nette qu’il faut appliquer l’article premier. (P. 26- 27)

Le juge d’appel Cory a poursuivi en étudiant les incidences qu’aurait l’annulation d’une disposition comme le paragraphe 281.2( 2) du Code criminel :

(traduction)

Le multiculturalisme ne peut être maintenu ni même valorisé si l’on donne libre cours à la fomentation de la haine contre certains groupes identifiables. Quelle étrange contradiction serait- ce si la Charte devait servir et être interprétée de façon à annuler une loi destinée à préserver notre patrimoine multiculturel en limitant d’une façon très restreinte et raisonnable la liberté d’expression. Une telle interprétation de la Charte serait contraire à l’article 27. (P. 31)

Le présent tribunal estime que l’invocation de l’article 27 de la Charte par le juge Cory afin de justifier le paragraphe 281.2( 2) du Code criminel s’applique également au paragraphe 13( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le paragraphe 281.2( 2) ne vise pas les communications téléphoniques qui transmettent un message de haine ou de mépris à l’égard des membres des minorités visibles et religieuses. Le paragraphe 13( 1) de la Loi est le moyen utilisé par le législateur pour s’attaquer à ce problème. Même si ses termes ne sont pas synonymes de ceux du paragraphe 281.2( 2) du Code et même si ses objectifs visent plus la réparation que la sanction, ils sont d’inspiration identique, soit une préoccupation de faire ressortir la dignité et la valeur humaine de tous les individus qui composent la mosaïque canadienne, quels que soient leurs antécédents raciaux, ethniques ou religieux.

Le juge Cory a également étudié les objectifs législatifs du paragraphe 281.2( 2) et s’est demandé s’ils justifient une violation de la liberté d’expression compte tenu du contexte historique de la propagande haineuse :

(traduction)

Je pense qu’il suffit d’examiner la quintessence du mal qui s’est manifesté dans le troisième Reich et sa propagande haineuse pour constater les effets destructifs de la fomentation de la haine. Cette obscure partie de l’histoire fournit des preuves irréfutables des résultats catastrophiques des formes d’expression qui fomentent la haine.

> 31 Le Parti socialiste national était minoritaire dans la république de Weimar lorsqu’il a pris le pouvoir. La répétition des messages répugnants de la propagande nazie a provoqué une escalade cruelle et rapide des événements, allant du bris des

vitrines des marchands juifs jusqu’à la dépossession des Juifs de leurs biens et de leurs professions, et l’établissement de camps de concentration et de chambres à gaz. L’horreur du génocide entraîné par l’holocauste a été rendue possible par l’incitation délibérée à la haine contre les Juifs et les autres peuples minoritaires. (P. 28)

Les politiques inhumaines du socialisme national en Allemagne n’ont pas été imitées au Canada, mais pendant de nombreuses décennies, notre pays a fait preuve d’intolérance raciale, ce qui était officiellement approuvé et institutionnalisé. Qu’il suffise de mentionner l’hostilité à l’égard des citoyens et des résidents chinois, japonais et indiens orientaux de la côte du Pacifique, pendant quatre- vingt ans, à compter de 1865, pour constater que la tolérance raciale et l’engagement du Canada envers le multiculturalisme sont d’origine récente et, dans une grande mesure, assurés uniquement par la répugnance qu’inspirent les actes du troisième Reich accomplis au nom du racisme et de la suprématie raciale. C’est la reconnaissance du fait que la tolérance raciale est un objectif politique et social exigeant plus qu’une réflexion abstraite qui a amené le Comité spécial de la propagande haineuse au Canada, dans son rapport de 1966 (le Rapport Cohen), à déclarer qu’il était légitime de placer des limites législatives raisonnables à la liberté d’expression :

Bref, on ne saurait appliquer à tous les aspects de la liberté d’expression les solutions simples d’il y a un siècle. Ceux qui, à cette époque, voulaient permettre aux hommes de s’exprimer en toute liberté, quelles qu’en soient les répercussions, étaient bien persuadés que rien n’arriverait. Nous ne pouvons être aussi confiants aujourd’hui. Nous savons qu’il y a, outre les intérêts particuliers, des intérêts sociaux à protéger, et que ces derniers ne sont pas toujours protégés par une liberté individuelle illimitée. Les succès remportés par le fascisme en Italie et le nazisme en Allemagne à la suite d’une propagande effrontément fausse nous ont démontré la fragilité des sociétés libérales trop tolérantes dans certaines circonstances. Ils nous ont montré également la grande part d’irrationalité existant dans la nature humaine, ce qui rend les gens très vulnérables à la propagande en temps d’effort ou de crise. L’expérience et l’évolution de notre époque nous obligent à surveiller avec minutie les abus de la liberté de parole. (P. 9)

Comme le juge Cory l’a souligné dans Andrews and Smith, le Rapport Cohen justifie de façon éclatante l’intervention du législateur afin de prévenir la diffusion de la propagande haineuse :

[L] es Canadiens, membres de groupes identifiables au Canada, ont le droit de jouir des libertés et des privilèges des Citoyens canadiens, protégés contre toute propagande de haine odieuse et méthodique. Dans une société démocratique, la liberté de parole n’implique pas le droit de diffamation. Le nombre des organismes visés ou des individus atteints n’est pas un critère : en dernière analyse, dans une société libre, on ne saurait prétendre que le problème est résolu en simplifiant les données et en

> 32 affirmant que les assailants et leurs victimes sont peu nombreux.

Ce qui compte, c’est que la malveillance et la brutalité naissantes, inhérentes à la propagande haineuse, doivent préoccuper la nation. (P. 28- 29, citation du Rapport Cohen, p. 25)

Dans ce dernier extrait, le défi posé par le Rapport Cohen n’est pas passé inaperçu. Tous au pays se sont entendus pour avoir recours à la loi afin de prévenir et, au besoin, de punir l’emploi de la liberté d’expression afin de fomenter ou d’encourager la haine contre les individus et les groupes du fait, entre autres, de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur ou de leur religion. Le paragraphe 13( 1) de la Loi et le paragraphe 281.2( 2) du Code criminel sont les principaux instruments de cette politique.

Dans le jugement qu’il a rendu dans l’affaire Andrews and Smith, le juge d’appel Cory s’est également efforcé de souligner les engagements internationaux pris par le Canada afin d’éliminer la propagande haineuse. Il a cité notamment l’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (résolution 2106 A de l’Assemblée générale des Nations- Unies (XX), le 21 décembre 1965). En voici un extrait :

Article 4 Les États parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui s’inspirent d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une certaine couleur ou d’une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales; ils s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination, ou tous actes de discrimination, et, à cette fin, tenant d ment compte des principes formulés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et des droits expressément énoncés à l’article 5 de la présente Convention, ils s’engagent notamment :

a) A déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité raciale ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement; (P. 31- 32 du jugement)

Cet engagement international du Canada appuie et justifie, selon le juge Cory, le paragraphe 281.2( 2) du Code criminel. A notre avis, l’article 4 de la Convention ajoute également du poids au paragraphe 13( 1) de la Loi en tant que limite raisonnable posée à la liberté d’expression. Il nous semble particulièrement approprié, à cet égard, que le Comité des droits de l’homme des Nations- Unies a eu l’occasion d’examiner le paragraphe 13( 1) et a conclu qu’il concorde avec les obligations prises par le Canada en vertu d’un autre engagement international, soit le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (résolution 2200 A de l’Assemblée générale des Nations- Unies (XXI), le 16 décembre 1966). Dans l’affaire John Ross Taylor and the Western Guard v. Canada, (1984) 5 C. H. R. R. D/ 2097 (Comité des droits de l’homme des

> 33 Nations- Unies), l’infatiguable John Ross Taylor et le Western Guard Party, non satisfaits de la façon dont ils avaient été traités par les tribunaux canadiens, ont cherché à déposer une plainte devant le Comité, alléguant la violation de leur (traduction) droit à avoir et à professer leurs opinions sans aucune intervention, en violation du paragraphe 19( 1) du [...] Pacte [...] et de leur droit à la liberté d’expression ainsi que celui de chercher, de recevoir et de diffuser des renseignements et des idées de toutes sortes par l’intermédiaire des médias de leur choix, en violation du paragraphe 19( 2) du Pacte. Dans sa décision, qui portait uniquement sur la question de l’admissibilité, le Comité a souligné que Ross Taylor avait fait passer des messages enregistrés sur le système téléphonique et que ces messages étaient changés périodiquement mais que le fond restait fondamentalement le même, à savoir avertir ceux qui appelaient (traduction) des risques que la communauté juive qui contrôle les finances internationales mène le monde à des guerres, au chômage et à l’inflation ainsi qu’à l’éclatement des valeurs et des principes universels. Selon le Comité, ces actes ont entraîné la suppression du service téléphonique des plaignants en raison des violations du paragraphe 13( 1). Après un examen attentif des renseignements dont il a été saisi, le Comité a décidé, entre autres, que Ross Taylor avait épuisé les recours disponibles au Canada et que les opinions qu’il cherchait à diffuser n’étaient pas compatibles avec les dispositions du Pacte. Le Comité a déclaré plus précisément ce qui suit :

(traduction) Les opinions que M. Taylor cherche à diffuser par l’intermédiaire du système téléphonique constituent de toute évidence une fomentation de la haine raciale ou religieuse que le Canada a l’obligation, en vertu du paragraphe 20( 2) du Pacte, d’interdire. (P. D/ 2097)

Les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne sont régies du point de vue national, au niveau tant fédéral que provincial, par des initiatives législatives modifiant le droit pénal du pays et créant des organismes des droits de la personne chargés de l’administration des lois anti- discriminatoires. Comme l’indique la décision du Comité des droits de l’homme des Nations- Unies, le paragraphe 13( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est un élément important de la réponse du Canada au défi que posent les obligations internationales en matière de droits de la personne et prime toute mesure visant à protéger la diffusion de messages haineux. Il serait paradoxal que les objets d’une telle disposition, qui reflètent le consensus de la collectivité internationale ainsi qu’un idéal de démocratie responsable dans le cadre duquel il convient de respecter la dignité de l’individu et du groupe, puissent être attaqués parce qu’ils seraient contraires aux valeurs d’une société libre et démocratique.

Pour les motifs déjà mentionnés, nous concluons que les objectifs législatifs du paragraphe 13( 1) de la Loi visent une préoccupation qui est urgente et réelle, pour reprendre les termes du juge en chef Dickson dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R. C. S. 103. A notre avis, la disposition est visée par les réflexions du juge en chef du Canada lorsqu’il a déterminé le sens à donner aux termes société libre et démocratique :

> 34 Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l’être humain, la promotion de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. (P. 136)

Nous ne voyons aucun élément de notre conclusion sur l’application de l’article premier de la Charte qui soit contraire à la décision prise par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire R. v. Keegstra, [1988] 5 W. W. R. 211. Dans cette affaire, la Cour a annulé le paragraphe 281.2( 2) du Code criminel, le considérant contraire à l’alinéa 2b) de la Charte et ne constituant pas une limite raisonnable à la liberté garantie par l’article premier. Toutefois, on a invoqué comme motif de cette décision que la promotion de la disposition portant sur la haine dans le Code ne répondait pas à l’exigence du critère de proportionnalité prévu dans l’arrêt Oakes. Le juge d’appel Kerans, au nom de la Cour, a reconnu qu’on pouvait justifier certaines limites à la liberté d’expression imposées par suite d’une préoccupation de protéger les individus et les groupes contre la haine :

(traduction)

J’accepte la réalité de la douleur subie par les victimes et le fait que cette douleur peut porter un préjudice grave. Il se peut même que ce type de préjudice soit sous- jacent aux articles 15 et 27 de la Charte, comme le juge Quigley [juge de première instance dans l’affaire Keegstra] l’a prétendu. L’établissement de distinctions injustes ou futiles est une attaque à la dignité de la victime et peut entraîner un sens d’aliénation décourageant de la part de la société. (P. 230)

Le juge Kerans a poursuivi ainsi : (traduction) A mon sens, la nécessité de protéger les groupes cibles mentionnés spécifiquement à l’article 281.2 contre les préjudices graves non physiques ou les atteintes à la réputation est une raison suffisante pour limiter le discours imprudent. En d’autres termes, j’accepte qu’à l’occasion, le mal est tel qu’il justifie une limite des abus. Si j’ai raison, il s’agit véritablement d’évaluer la proportionnalité de l’atteinte et non de s’élever contre toutes les atteintes.

Ayant conclu que l’objectif du paragraphe 13( 1) de la Loi est suffisamment important pour justifier la supression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution, passons maintenant à la question de la proportionnalité. Dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R. C. S. 103, le juge en chef Dickson a indiqué que le critère de la proportionnalité contient trois éléments :

Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif en question.

> 35 Deuxièmement, même à supposer qu’il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question [...]. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l’objectif reconnu comme suffisamment important.

Dans l’affaire John Ross Taylor et Western Guard Party c. Commission canadienne des droits de la personne et Procureur général du Canada, [1987] 3 C. F. 179, le juge Mahoney, au nom de la Cour d’appel fédérale, a statué sans l’ombre d’un doute que le paragraphe 13( 1) de la Loi répondait au critère de la proportionnalité :

Le libellé du paragraphe 13( 1) révèle un rapport étroit entre cette disposition et son objet. Son lien rationnel avec l’objectif recherché ne pourrait guère être plus manifeste. La limite qu’il impose à la liberté d’expression vise précisément les pratiques particulières de ceux qui abusent de leur liberté en utilisant le téléphone pour transmettre de façon répétée des messages haineux. (P. 611)

Nous sommes tout à fait d’accord avec cette évaluation. Comme nous l’avons déjà indiqué, la disposition est libellée de façon que la responsabilité et l’intention, pas plus que l’application et les incidences, lesquelles sont des faits prouvables, ne sont liées. A notre avis, selon l’opinion du juge Mahoney, ce dernier a utilisé les mots rapport étroit entre cette disposition et son objet non par suite d’une évaluation abstraite du sens, mais en faisant un lien net avec le contexte particulier des messages haineux transmis au moyen des installations de télécommunication. Ce qu’il voulait dire, croyons- nous, c’est que le libellé ne révèle pas un rapport plus large qu’il ne le faut pour atteindre le but de la disposition. Deux arguments convainquants appuient cette thèse. En premier lieu, il s’agit d’une disposition qui fait partie d’un régime législatif plus vaste, dont l’objet, comme l’a précisé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Action Travail des Femmes c. C. N. R., [1987] 1 R. C. S. 1114, à la p. 1134, n’a pas pour objet de punir la faute, mais bien de prévenir la discrimination. Par conséquent, il faut porter son attention sur les répercussions de la conduite attaquée, c’est- à- dire son effet discriminatoire. En outre, le juge en chef a eu de la difficulté à expliquer, dans l’arrêt Action Travail des Femmes (aux pages 1134- 1138), qu’il est notoirement difficile d’appliquer les notions d’intention et de faute à une conduite qui a un effet discriminatoire. Par conséquent, on recommande d’avoir recours à une évaluation plus objective de la discrimination alléguée. Le libellé du paragraphe 13( 1) de la Loi reflète la préoccupation du législateur de mettre l’accent sur les incidences discriminatoires que subit le plaignant plutôt que sur la culpabilité du mis en cause.

A l’opposé des autres dispositions de la Loi portant sur la discrimination, le paragraphe 13( 1) prévoit la responsabilité lorsqu’il existe un effet discriminatoire non prouvé ou non prouvable. Cet argument nous mène au deuxième motif, plus précis dans le contexte, qui justifie la portée de la disposition, c’est- à- dire le médium par lequel les messages haineux sont communiqués. Nous avons

fait ressortir précédemment l’important témoignage de > 36 M. Ravault pour souligner les avantages que représente la communication téléphonique pour les racistes et ceux qui prônent la suprématie de la race blanche, qui veulent communiquer avec ceux qui, au sein de la collectivité, pour une raison ou une autre sont perturbés ou mécontents du fait des événements et des forces sur lesquels ils sentent n’avoir aucune maîtrise et qui veulent les influencer. M. Ravault a également été en mesure d’établir comment les auteurs des messages haineux peuvent, par une manipulation et une juxtaposition subtiles des messages, donner une apparence de crédibilité au contenu des messages. La combinaison du moyen téléphonique et du message est, à notre avis, particulièrement insidieuse parce que, même s’il s’agit d’un moyen de communication public, ce moyen donne à l’auditeur l’impression d’un contact direct, personnel, presque privé avec le locuteur, qui ne fournit aucun moyen réaliste de contester les renseignements ou les opinions présentés et ne peut être soumis à aucun contre- argument dans le contexte de ces communications particulières. De plus, sauf les archives compilées par la compagnie de téléphone, il n’existe aucun moyen facile d’accès pour évaluer le nombre de personnes exposées aux messages, sans mentionner les répercussions que ces derniers peuvent avoir. A notre avis, ces considérations justifient l’extension de la responsabilité prévue au paragraphe 13( 1) aux cas où il n’y a aucun effet discriminatoire réel non prouvé ou non prouvable. Le fait d’en limiter la portée aux cas où un effet discriminatoire pourrait être prouvé lui aurait enlevé toutes ses dents et, certainement, toute valeur proactive.

Le paragraphe 13( 1) répond aux premier et deuxième éléments du critère de la proportionnalité. Nous estimons également qu’il satisfait au troisième, proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l’objectif reconnu comme suffisamment important. Les effets nuisibles liés à la violation de la disposition sont bien adaptés à sa fonction. Nous souscrivons à l’évaluation du juge Mahoney, dans l’appel Ross Taylor, selon laquelle le régime législatif fait montre de modération plutôt que de sévérité (p. 611). Le juge n’a laissé plané aucun doute que les dispositions relatives à l’audition des plaintes en vertu de la Loi, portant appel, ordonnance et peines sont prévues avec soin et bien mesurées.

La décision qu’une personne ou un groupe a contrevenu au paragraphe 13( 1) est rendue par un tribunal à la suite d’une audience qui doit se dérouler selon les préceptes de la justice naturelle. Une plainte ne peut pas être renvoyée à un tribunal sans que le présumé transgresseur ait été informé - et puisse jouir - de la possibilité de réfuter cette plainte ainsi que les éléments de preuve sur lesquels la Commission va se fonder pour décider de l’opportunité de constituer un tribunal. A moins que le tribunal se compose lui- même de trois membres, l’appel est soumis à un tribunal d’appel de trois membres. Les deux sont assujettis à la surveillance judiciaire quant au déroulement de leurs audiences, et la décision finale est susceptible de contrôle judiciaire. La seule ordonnance qui puisse être rendue est une ordonnance de cesser et de s’abstenir. C’est seulement

après que l’ordonnance a été déposée au greffe de la Cour et que le contrevenant, après avoir eu la possibilité de comparaître à une audience de justification, a été déclaré coupable dans le cadre d’une

> 37 poursuite judiciaire d’avoir continué d’enfreindre l’ordonnance de cesser et de s’abstenir, qu’une peine peut être infligée. La peine maximale prévue actuellement est une amende de 5 000 $ ou une année d’emprisonnement, mais non les deux à la fois.

Le présent tribunal estime que le libellé du paragraphe 13( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne répond aux exigences du critère énoncé dans l’arrêt Oakes et représente une limite justifiable à la liberté d’expression prévue par l’article premier de la Charte.

D. La conclusion Le présent tribunal est convaincu que, d’après la preuve produite devant lui et les arguments des avocats de la Commission et des plaignants, les trois mis en cause, Terry Long, Randy Johnston et la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations, contreviennent au paragraphe 13( 1) de la Loi et qu’aucun fondement constitutionnel valide n’attaque cette disposition. Il nous reste maintenant à traiter de la question de la réparation. En vertu du paragraphe 42( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, [ l] e tribunal qui juge fondée une plainte tombant sous le coup de l’article 13 ne peut rendre que l’ordonnance prévue à l’alinéa 41( 2) a). Voici le texte d’un extrait de cette dernière disposition :

(2) A l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire [souligné par le tribunal] a) de mettre fin à l’acte

E. Ordonnance Nous ordonnons aux mis en cause, Terry Long, Randy Johnston et la Church of Jesus Christ Christian- Aryan Nations, de cesser leur acte discriminatoire d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée pour aborder ou faire aborder des questions du type ayant fait l’objet de l’espèce, c’est- à- dire susceptibles d’exposer à la haine, au mépris ou au ridicule des personnes identifiables du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur ou de leur religion et, si les messages de ce type ne sont pas actuellement communiqués, de s’abstenir de tels actes dans l’avenir.

Fait à Victoria (Colombie- Britannique), le 31 mai 1989. (Signature) John P. S. McLaren, président

(Signature) Norman Fetterly

(Signature) Brenda Gash

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