Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Richard Warman

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Marc Lemire

l'intimé

- et –

Procureur général du Canada

Canadian Association for Free Expression

Canadian Free Speech League

Congrès juif canadien

Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies

Ligue des droits de la personne de B’nai Brith

les parties intéressées

Décision

Membre : Athanasios D. Hadjis

Date : Le 2 septembre 2009

Référence : 2009 TCDP 26

Table des matières

I. Introduction.

II. Qu’est ce qui constitue un acte discriminatoire au sens de l’article 13 de la Loi?.

III. Quels sont en l’espèce les prétendus documents discriminatoires et ceux‑ci  constituent‑ils des messages haineux au sens de la Loi?.

A. Les documents affichés dans JRBooksonline.com.

(i) La Commission a-t-elle établi que M. Lemire a transmis, ou fait transmettre, au sens de l’article 13, les documents qui figuraient sur le site Web JRBooksonline ?.

(ii) La preuve de Bernard Klatt concernant les recherches effectuées dans le bottin électronique WHOIS et concernant JRBooksonline.com..

(iii) Conclusions concernant le site Web JRBooksonline.com..

B. Les documents figurant dans le site Web Stormfront.org.

(i) M. Lemire a-t-il transmis les documents en litige en les affichant dans le site Web Stormfront.org?.

(ii) Les documents en litige sont‑ils susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de motifs de distinction illicite ?.

C. Les documents figurant dans le site Web Freedomsite.org.

(i) Le babillard électronique du site Web Freedomsite.

(a) Les messages affichés par Craig Harrisson sur le babillard électronique du site Web Freedomsite.

1. M. Lemire a-t-il transmis, au sens de l’article 13, les messages de M. Harrison?

2. M. Lemire a-t-il fait transmettre, au sens de  l’article 13, les messages en litige?.

a) M. Lemire était‑il au courant de l’existence des messages de M. Harrison?.

b) Est‑il nécessaire que M. Lemire ait été au courant de l’existence des messages affichés par M. Harrison pour qu’il puisse être conclu qu’il les a fait transmettre au sens de l’article 13?.

c) Quelle est l’incidence des autres décisions du Tribunal en matière de responsabilité des administrateurs de sites Web ?.

d) La responsabilité des utilisateurs de babillards électroniques peut‑elle être attribuée aux administrateurs de babillards électroniques à titre de responsabilité du fait d’autrui ?.

e) La conclusion concernant les messages de M. Harrison.

(b) Les messages affichés sur le babillard électronique de Freedomsite par des personnes autres que M. Lemire ou M. Harrison.

1. M. Lemire a-t-il transmis ces messages ou les a-t-il fait transmettre ?

(c) Les messages affichés par M. Lemire sur le babillard électronique du site Web Freedomsite.

1. Le communiqué de presse du Heritage Front concernant les audiences portant sur la réforme de l’immigration.

2. L’article d’Ian Macdonald.

3. Le communiqué de presse du Heritage Front concernant un article du Toronto Star.

(d) La section du site Web Freedomsite intitulée Controversial Columnists (chroniqueurs controversés)

1. La chronique de Doug Collins.

a) Quel document figurant dans la chronique de M. Collins est en litige ?.

b) Le document est-il susceptible d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite ?

2. L’article intitulé Ottawa is Dangerous (Ottawa est dangereux)

a) L’article est‑il susceptible d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite?

3. L’article intitulé Aids Secrets (Les secrets du sida)

a) Que contiennent les propos en litige qui figurent dans l’article intitulé Aids Secrets?.

b) L’article est‑il susceptible d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite?

c) L’article a‑t‑il été communiqué en utilisant ou en faisant utiliser un téléphone de façon répétée ou en recourant ou  en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du  Parlement au sens du paragraphe 13(1)?.

IV. La question constitutionnelle.

A. La liberté d’expression (alinéa 2b) de la Charte)

(i) Le jugement rendu par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor.

(a) L’objectif visé par le paragraphe 13(1) se rapporte‑t‑il toujours à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique (le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Oakes)?.

(b) La deuxième étape de l’analyse proposée dans l’arrêt Oakes – La mesure est‑elle proportionnelle à l’objet visé par l’article 13.

1. La mesure choisie a‑t‑elle un lien rationnel avec l’objectif?.

2. L’article 13 porte‑t‑il une atteinte minimale à la liberté d’expression garantie par la Charte?.

a) Les mots haine et mépris sont‑ils vagues et imprécis?.

b) L’article 13 exige‑t‑il la preuve de l’intention?.

c) La vérité invoquée comme justification.

3. Les effets.

(c) Les conclusions concernant l’allégation de violation de la liberté d’expression.

B. Liberté de conscience et de religion (alinéa 2a), de la Charte)

C. La vie, la liberté et la sécurité de la personne (article 7 de la Charte)

D. La Déclaration canadienne des droits.

V. Conclusion.

I. Introduction

[1] Le plaignant, Richard Warman, prétend que l’intimé, Marc Lemire, a transmis ou a fait transmettre à maintes reprises des messages haineux sur Internet, et ce, en violation de l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). M. Warman prétend que ces messages constituent des actes discriminatoires fondés sur la religion, la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique et l’orientation sexuelle contre des personnes ou des groupes de personnes parce que les questions abordées dans les messages exposent les Italiens, les Mexicains, les Portoricains, les Haïtiens, les francophones, les Noirs, les personnes appartenant aux Premières nations, les personnes d’Asie de l’Est, les personnes de couleur, les Juifs et les homosexuels, à la haine ou au mépris, et ce, au sens du paragraphe 13(1) de la Loi.

[2] M. Lemire nie ces allégations. Il prétend qu’il n’a pas transmis ou fait transmettre la majorité des messages en litige et que, quoiqu’il en soit, aucun des messages n’est discriminatoire.

[3] De plus, M. Lemire a présenté une requête en vue de faire déclarer inopérant, en vertu des paragraphes 24(1) et 52(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), l’article 13 de la Loi et ses dispositions réparatrices connexes (le paragraphe 54(1) et le paragraphe 54(1.1)). Il prétend que ces dispositions de la Loi violent la liberté de conscience et de religion ainsi que la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression garanties par les alinéas 2a) et 2b) de la Charte. M. Lemire prétend également que l’article 13 viole le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte et qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Il prétend qu’aucune de ces violations ne peut être justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[4] M. Lemire prétend de plus que l’article 13 et les paragraphes 54(1) et 54(1.1) de la Loi violent également les alinéas 1d), 1f), et l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits.

[5] Hormis M. Warman, M. Lemire et la Commission, un certain nombre d’autres parties ont participé à l’audience relative à la présente plainte. Le procureur général du Canada a exercé le droit qui lui est conféré par l’article 57 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, de participer et de présenter des éléments de preuve à l’audience ainsi que de formuler des observations quant à la question constitutionnelle. De plus, la Canadian Association for Free Expression Inc. (CAFE), la Canadian Free Speech League (CFSL), ainsi qu’un groupe composé de la League of Human Rights of B’Nai Brith Canada, le Congrès juif canadien (CJC) et les Amis du Centre Simon Wiesenthal pour les Études sur l’Holocauste se sont vus accordés le statut de personnes intéressées en l’espèce, mais seulement en ce qui a trait à la question de la constitutionnalité de l’article 13 et de toute disposition connexe de la Loi.

[6] Dans la présente décision, avant d’analyser les documents en litige, j’examine d’abord l’article 13 et son interprétation par le Tribunal et par les cours de justice et je conclus en bout de ligne que M. Lemire a violé l’article 13 dans un seul des cas allégués contre lui. J’examine ensuite la contestation de M. Lemire de la validité constitutionnelle de l’article 13 et des paragraphes 54(1) et 54(1.1) et je conclus que ces dispositions sont incompatibles avec l’alinéa 2b) de la Charte et que les restrictions imposées aux libertés de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression ne constituent pas une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte.

II. Qu’est ce qui constitue un acte discriminatoire au sens de l’article 13 de la Loi?

[7] L’article 13 figure parmi les dispositions qui énoncent les actes discriminatoires au sens de la Loi. Il est ainsi libellé :

Propagande haineuse

13. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord, d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.

Interprétation

(2) Il demeure entendu que le paragraphe (1) s’applique à l’utilisation d’un ordinateur, d’un ensemble d’ordinateurs connectés ou reliés les uns aux autres, notamment d’Internet, ou de tout autre moyen de communication semblable mais qu’il ne s’applique pas dans les cas où les services d’une entreprise de radiodiffusion sont utilisés.

Interprétation

(3) Pour l’application du présent article, le propriétaire ou exploitant d’une entreprise de télécommunication ne commet pas un acte discriminatoire du seul fait que des tiers ont utilisé ses installations pour aborder des questions visées au paragraphe (1).

Hate messages

13. (1) It is a discriminatory practice for a person or a group of persons acting in concert to communicate telephonically or to cause to be so communicated, repeatedly, in whole or in part by means of the facilities of a telecommunication undertaking within the legislative authority of Parliament, any matter that is likely to expose a person or persons to hatred or contempt by reason of the fact that that person or those persons are identifiable on the basis of a prohibited ground of discrimination.

Interpretation

(2) For greater certainty, subsection (1) applies in respect of a matter that is communicated by means of a computer or a group of interconnected or related computers, including the Internet, or any similar means of communication, but does not apply in respect of a matter that is communicated in whole or in part by means of the facilities of a broadcasting undertaking.

Interpretation

(3) For the purposes of this section, no owner or operator of a telecommunication undertaking communicates or causes to be communicated any matter described in subsection (1) by reason only that the facilities of a telecommunication undertaking owned or operated by that person are used by other persons for the transmission of that matter.

Par conséquent, afin de justifier le dépôt d’une plainte de discrimination en vertu du paragraphe 13(1), on doit établir l’existence des éléments suivants :

  • Une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord;
  • ont utilisé ou ont fait utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement;
  • pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.

Le paragraphe 13(2) précise que le paragraphe 13(1) s’applique à l’utilisation d’Internet.

[8] Comment les cours de justice et le Tribunal ont‑ils interprété l’expression haine ou mépris? Dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, à la page 902, la Cour suprême a affirmé que la question en litige avait trait à la diffusion de la propagande haineuse, une expression que la Cour utilise pour désigner l’expression destinée à disséminer des sentiments extrêmes d’opprobre et d’inimitié contre un groupe racial ou religieux. La Cour a poursuivi en citant avec approbation l’interprétation donnée à l’expression haine ou mépris par le Tribunal canadien des droits de la personne dans Nealy c. Johnson (1989), 10 C.H.R.R. D/6450, à la page D/6469 (T.C.D.P.). Le Tribunal a conclu que le terme “hatred” connote un ensemble d’émotions et de sentiments comportant une malice extrême envers une autre personne ou un autre groupe de personnes. Le Tribunal a ajouté que lorsque l’on dit qu’on hait quelqu’un, c’est que l’on ne trouve aucune qualité qui rachète ses défauts. Le Tribunal a toutefois souligné qu’il s’agit d’un terme qui ne fait pas appel nécessairement au processus mental de regarder quelqu’un de haut car il est fort possible de haïr quelqu’un que l’on estime supérieur à soi en intelligence, en richesse ou en pouvoir. En revanche, contempt (mépris) est un terme qui suggère le processus mental consistant à regarder quelqu’un de haut ou à le traiter comme inférieur.

[9] La Cour Suprême, à la page 928 de l’arrêt Taylor, a souligné que, dans la décision Nealy, on dit de la haine qu’il s’agit d’une malice extrême et d’une émotion qui n’admet chez la personne visée aucune qualité qui rachète ses défauts. La Cour a également souligné que le mépris paraît être considéré comme un sentiment tout aussi extrême. Par conséquent, la Cour a conclu que le paragraphe 13(1) vise des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation. La Cour a souligné, à la page 929, que le Tribunal tiendra compte de la nature à la fois virulente et extrême des sentiments évoqués par les termes haine ou mépris et ne permettra pas qu’une opinion subjective quant au caractère offensant vienne se substituer à la véritable signification du paragraphe en cause. Dans la décision Nealy, le Tribunal a également souligné que l’utilisation des mots susceptible d’exposer qui figurent au paragraphe 13(1), signifie qu’il n’est pas nécessaire de produire une preuve que la transmission a eu pour effet qu’un individu ou un groupe particulier a pris les messages au sérieux et a en fait dirigé sa haine, son mépris ou son ridicule contre d’autres personnes, encore moins que quelqu’un est en fait devenu victime de tels actes.

[10] En règle générale, les plaignants dans les affaires relatives aux droits de la personne doivent établir une preuve prima facie de discrimination (Ont. Human Rights Comm. c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28 (l’arrêt O’Malley)). Dans ce contexte, la preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l’absence de réplique de la partie intimée. Dès qu’une preuve prima facie a été établie, il incombe alors à la partie intimée de fournir une explication raisonnable quant au comportement par ailleurs discriminatoire. Si la partie intimée fournit une explication raisonnable, il incombe au plaignant de démontrer que l’explication était un prétexte et que le véritable motif des actes de la partie intimée était, en fait, discriminatoire.

III. Quels sont en l’espèce les prétendus documents discriminatoires et ceux‑ci constituent‑ils des messages haineux au sens de la Loi?

[11] La plainte de M. Warman ne fait mention que des documents qui figurent sur un site Web connu sous le nom de Freedomsite.org. Il prétend dans sa plainte que M. Lemire est le propriétaire ainsi que le webmestre de ce site Web. Les documents mentionnés dans la plainte consistent principalement en des messages affichés sur le babillard électronique de ce site Web par les utilisateurs inscrits du site.

[12] Toutefois, à l’audience portant sur la plainte, M. Warman et la Commission ont étendu la question en litige et y ont inclus des documents qui ont été affichés sur des sites Web appelés JRBooksonline.com et Stormfront.org. Ils prétendent que M. Lemire était le propriétaire inscrit de JRBooksonline.com et qu’il était donc responsable de son contenu. En ce qui concerne Stormfront.org, ils prétendent que M. Lemire a affiché sur le babillard électronique de ce site Web des messages qui violaient l’article 13 de la Loi.

[13] Je vais examiner à tour de rôle chacun des ensembles de messages en litige.

A. Les documents affichés dans JRBooksonline.com

[14] Comme je viens de le mentionner, ces documents n’étaient pas mentionnés dans le formulaire de plainte que M. Warman a déposé le 24 novembre 2003. C’est à la fin de mars 2004 que M. Lemire a été informé par la Commission de la plainte relative aux droits de la personne déposée par M. Warman. La conseillère juridique de M. Lemire (Barbara Kulaszka) a répondu par écrit à la Commission le 23 avril 2004. Elle a souligné que tous les documents mentionnés dans la plainte provenaient du site Web Freedomsite et que, dans tous les cas sauf un, ils provenaient du babillard électronique de ce site Web. Mme Kulaszka a reconnu ouvertement que M. Lemire était le webmestre et le propriétaire du site Web Freedomsite et elle a ajouté que, quelques mois plus tôt, avant de recevoir avis de la plainte relative aux droits de la personne déposée par M. Warman, il avait retiré au complet le babillard électronique du site Web principal Freedomsite. En conséquence, le babillard électronique ne figurait plus sur Internet. Elle a ajouté que son client, M. Lemire, avait retiré du site Web Freedomsite, après le dépôt de la plainte, le dernier article mentionné plus récemment dans la plainte qui figurait encore sur le site Web. Par conséquent, aucun des documents mentionnés dans la plainte ne figuraient encore sur Internet. Elle a donc exprimé le souhait que les parties se rencontrent et règlent la plainte.

[15] Ainsi, à ce stade, les documents figurant sur JRBooksonline.com n’étaient pas encore visés par la plainte. Alors, quand et comment ces documents se sont‑ils retrouvés devant le Tribunal? Hanya Rizk est l’employée de la Commission qui a été chargée d’enquêter sur la plainte de M. Warman. Mme Rizk a affirmé dans son témoignage que, le 13 septembre 2004, elle a reçu un appel téléphonique de la part de M. Warman. Son enquête sur la plainte était toujours en cours à ce moment‑là. M. Warman l’a informée qu’il était tombé sur le site Web JRBooksonline.com qui, selon lui, était exploité par M. Lemire. M. Warman a demandé à la Commission d’inclure les documents émanant du site Web à titre de preuve additionnelle contre M. Lemire. Selon une note que Mme Rizk a écrite dans son dossier après l’appel téléphonique, M. Warman a également demandé à la Commission de [Traduction] retarder d’informer M. Lemire qu’elle était au courant de l’existence du site web, et ce, [Traduction] jusqu’à ce que la police l’ait examiné attentivement. Le 20 octobre 2004, M. Warman a envoyé à Mme Rizk des documents à l’appui de ces nouvelles allégations.

[16] En effet, la Commission n’a pas informé M. Lemire de ce nouvel élément de preuve et ne lui a pas demandé de lui faire part de ses commentaires avant la publication du rapport d’enquête de Mme Rizk le 14 avril 2005. Mme Rizk a affirmé dans son témoignage à l’audience que, avec le recul, elle estimait qu’elle aurait dû faire part à M. Lemire de ces nouvelles allégations avant de rédiger son rapport. Mme Rizk a joint à son rapport d’enquête une section intitulée [Traduction] Marc Lemire et www.JRBooksonline.com et www.Stormfront.org. Elle a décrit certains des documents qu’elle avait examinés sur le site web JRBooksonline. Elle a ensuite ajouté que la preuve [Traduction] sembl[ait] étayer les allégations de M. Warman selon lesquelles les documents figurant [Traduction] dans le site Web de Marc Lemire et les messages affichés dans les autres sites Web (non souligné dans l’original) étaient susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris pour les motifs énumérés dans la Loi. Elle a donc recommandé que la Commission demande la constitution d’un tribunal chargé d’enquêter sur la plainte. L’utilisation du pluriel (les sites Web) donne à penser que Mme Rizk a estimé que les documents figurant dans JRBooksonline.com et dans Stormfront.org étaient également visés par la plainte.

[17] Après le renvoi de la plainte au Tribunal, M. Warman et la Commission ont déposé, en conformité avec les Règles de procédure du Tribunal, un exposé conjoint des précisions daté du 7 décembre 2005. Ils ont déclaré dans cet exposé conjoint des précisions que [Traduction] en octobre ou vers octobre 2004, M. Warman a visité les sites Web JRBooksonline et Stormfront. Ils ont ensuite allégué que M. Lemire avait transmis, ou fait transmettre, les [Traduction] documents qui étaient mentionnés dans la plainte et qui figuraient dans les sites Web susmentionnés (non souligné dans l’original). Dans un mémoire descriptif qui a ultérieurement été soumis au Tribunal (le 2 octobre 2006), M. Warman a mentionné que, en ce qui avait trait aux [Traduction] documents relatifs aux messages haineux, en plus des documents figurant dans Freedomsite, il allait invoquer, [Traduction] le contenu de JRBooksonline dans son intégralité ainsi que les messages affichés par M. Lemire dans Stormfront.org.

[18] Par conséquent, bien que M. Warman n’ait fait aucune mention de JRBooksonline.com et de stromfront.org dans sa plainte, au moment où l’affaire approchait de l’instruction, la Commission et M. Warman ont ajouté des documents figurant dans ces sites à la preuve qu’ils se proposaient de déposer contre M. Lemire. Le Tribunal n’a été saisi d’aucune procédure visant à faire exclure ces documents. Par conséquent, à l’audience, la Commission a produit en preuve les documents figurant dans JRBooksonline que M. Warman prétend avoir examinés en octobre 2004.

(i) La Commission a-t-elle établi que M. Lemire a transmis, ou fait transmettre, au sens de l’article 13, les documents qui figuraient sur le site Web JRBooksonline ?

[19] M. Warman a affirmé dans son témoignage qu’il a commencé à examiner le site Web JRBooksonline.com après avoir vu un message affiché quelque part sur le Web par une personne non désignée nommément qui prétendait que M. Lemire était le propriétaire de ce site Web. Le 11 octobre 2004, M. Warman a effectué une recherche dans le bottin Internet WHOIS qui figure sur le site Web checkdomain.com. Il a expliqué dans son témoignage qu’une recherche dans le bottin électronique WHOIS qui permet d’accéder à des renseignements publics concernant les titulaires d’enregistrement et les personnes‑ressources pour les questions administratives des sites Web. La recherche effectuée par M. Warman a révélé que le titulaire de l’enregistrement et la personne‑ressource pour les questions administratives de JRBooksonline.com était Marc Lemire. L’adresse de courrier électronique et l’adresse municipale de M. Lemire étaient identiques à celles que M. Lemire avaient affichées sur le site Web Freedomsite. M. Warman a donc estimé que M. Lemire était le propriétaire et l’exploitant de JRBooksonline.com et il a fait part de ses conclusions à Mme Rizk.

[20] Comme je l’ai déjà mentionné, Mme Rizk n’a pas informé M. Lemire quant aux nouvelles allégations de M. Warman avant de les joindre à son rapport d’enquête le 14 avril 2005. Le 25 avril 2005, Mme Kulaszka a répondu à la Commission quant au rapport. Elle a manifesté son étonnement lorsqu’elle a appris que l’enquêteur s’était fié à de nouveaux documents figurant dans le rapport d’enquête sans avoir d’abord donné à M. Lemire l’occasion de répondre. Le 3 juin 2006, Mme Kulaszka a envoyé à la Commission une autre lettre dans laquelle elle a expliqué que M. Lemire n’était pas le propriétaire de JRBooksonline.com, qu’il ne savait pas ce que ce site Web contenait et qu’il n’avait rien à voir avec la création ou la publication de documents sur celui‑ci. Mme Kulaszka a expliqué que, en décembre 2000, M. Lemire avait aidé une personne qu’il avait rencontrée aux États‑Unis à enregistrer le nom de domaine JRBooksonline.com. Après avoir reçu le rapport de la Commission, M. Lemire a communiqué avec la Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet (ICANN) afin de faire corriger les données erronées figurant dans le bottin Internet WHOIS quant au site Web. La recherche dans WHOIS a permis de constater qu’un certain Jonathan Richardson, de Orlando (Floride), était le titulaire de l’enregistrement ainsi que la personne‑ressource pour les questions administratives et techniques du site Web. M. Warman a vérifié ces nouvelles données et a découvert, à l’aide d’un service de cartographie en ligne et du site Web du service postal des États‑Unis, que l’adresse municipale n’existait pas. Les numéros de téléphone mentionnés étaient manifestement faux (123-123-1234).

[21] La Commission et M. Warman prétendent que les renseignements obtenus dans WHOIS en octobre 2004 suite à la recherche effectuée quant au nom de domaine constituent une preuve prima facie démontrant que M. Lemire était la personne ou la personne faisant partie d’un groupe de personnes qui a transmis les documents affichés sur le site Web JRBooksonline. Ils prétendent également qu’aucune explication raisonnable n’a été offerte quant à cet élément de preuve. Je ne suis toutefois convaincu par aucune de ces affirmations.

[22] D’abord, selon moi, le peu d’éléments de preuve présentés par M. Warman en vue de lier M. Lemire à JRBooksonline.com n’établit pas prima facie que M. Lemire a commis l’acte discriminatoire visé par l’article 13. Le simple fait que le bottin Internet WHOIS mentionnait que M. Lemire était le titulaire de l’enregistrement et la personne‑ressource pour les questions administratives du site Web ne démontre pas, prima facie, que c’était lui qui transmettait ou faisait transmettre les documents en litige sur le site Web. Je souligne qu’un avertissement qui accompagnait les résultats de la recherche effectuée dans WHOIS déposés en preuve mentionnait clairement que les données n’étaient fournis qu’à titre de renseignement quant aux [Traduction] dossiers d’enregistrement de noms de domaine. Il était explicitement mentionné dans le bottin Internet WHOIS qu’aucune garantie n’était donnée quant à l’exactitude des renseignements.

[23] Ces documents obtenus suite à une recherche dans WHOIS ne démontrent pas que le titulaire de l’enregistrement ou que la personne‑ressource pour les questions administratives exerce un tel contrôle sur le contenu des documents affichés dans un site Web qu’on pourrait conclure que c’est elle qui les transmet ou les fait transmettre.

[24] Lorsque, par le passé, le Tribunal a conclu qu’une personne avait transmis des documents au sens de l’article 13 grâce à un site Web qui était sous son contrôle, ces conclusions n’ont jamais été fondées que sur le fruit d’une recherche dans WHOIS (voir, par exemple, Warman c. Kyburz, 2003 TCDP 18 (Kyburz), aux paragraphes 7 et 8; Warman c. Warman, 2005 TCDP 36 (Eldon Warman no 1), aux paragraphes 16 à 18; Warman c. Kulbashian, 2006 TCDP 11 (Kulbashian), aux paragraphes 65 et suivants).

[25] M. Lemire a bel et bien admis, par l’entremise de sa conseillère juridique, qu’il avait participé à la création du site Web. Toutefois, y‑a‑t‑il des indices qu’il existe un autre lien avec le site Web? M. Warman n’a présenté aucun élément de preuve additionnel, sauf affirmer que M. Lemire devait être la personne qui a transmis les documents compte tenu qu’il [Traduction] participe depuis longtemps de façon importante au mouvement néonazi. M. Warman a également prétendu que les documents figurant sur le site Web cadrent avec les messages haineux qui figurent sur le site Web Freedomsite que M. Lemire admet volontiers posséder et exploiter.

[26] Il est contestable que je sois saisi d’éléments de preuve qui étayent vraiment que M. Lemire participe depuis longtemps de façon importante au mouvement néonazi. Même si je détenais de tels éléments de preuve et même s’il était démontré que le site Web Freedomsite cadre avec JRBooksonline, je ne vois pas comment ces facteurs contribueraient à établir prima facie que M. Lemire est la personne qui a affiché les documents sur JRBooksonline. La Commission a présenté des éléments de preuve tirés de données compilées par le Centre Simon Wiesenthal selon lesquelles, entre 1999 et 2006, le nombre de sites Web haineux figurant dans Internet était passé de 1 400 à plus de 6 000, donc M. Lemire, si on conclut qu’il a affiché des documents qui cadrent avec JRBooksonline.com., ne serait pas la seule personne a avoir fait une chose semblable. De plus, comme je l’ai déjà mentionné, la Commission et M. Warman n’ont présenté comme élément de preuve que le résultat de la recherche effectuée dans WHOIS qui liait M. Lemire au site Web JRBooksonline.com. Rien ne prouve que son nom ou que d’autres renseignements permettant de l’identifier figuraient quelque part sur le site Web ou qu’il existait, par exemple, un lien cliquable vers le site Web Freedomsite ou un lien cliquable avec l’adresse électronique de M. Lemire. Rien ne prouve, d’ailleurs, l’existence à quelque part sur le site Web Freedomsite d’un quelconque renvoi à JRBooksonline.com.

[27] Selon moi, la preuve produite par la Commission et M. Warman n’est pas, pour paraphraser l’arrêt O’Malley, complète et suffisante pour justifier une conclusion selon laquelle M. Lemire est l’exploitant du site Web JRBooksonline et encore moins qu’il a transmis ou fait transmettre les documents qui figuraient sur ce site Web. Il n’a donc pas été établi prima facie que M. Lemire a commis l’acte discriminatoire visé par l’article 13 relativement au site Web JRBooksonline. Toutefois, même si une preuve prima facie avait été établie, je conclurais que M. Lemire a fourni une explication raisonnable.

[28] Mme Kulaszka a expliqué à la Commission, dans sa lettre du 3 juin 2005, que, en 2000, M. Lemire avait aidé une personne qu’il avait rencontrée aux États‑Unis à enregistrer le nom de domaine du site Web et que M. Lemire n’était pas le propriétaire du site Web et qu’il n’avait rien à voir avec les documents qui y figuraient. Comme M. Lemire a choisi de ne pas témoigner à l’audience, la seule source quant à cette explication demeure la lettre de Mme Kulaszka. M. Warman prétend que je devrais tirer une conclusion défavorable du fait que M. Lemire a choisi de ne pas témoigner. Sa décision mine sa capacité à présenter une défense légitime. M. Warman a attiré l’attention sur les commentaires que j’ai formulés dans Warman c. Kulbashian, 2006 TCDP 11, à la page 115, où j’ai conclu qu’un tribunal ne peut pas faire le point sur de simples suggestions ou insinuations qui ont pu être lancées par une partie intimée au moyen de questions suggestives formulées au cours de son contre-interrogatoire des témoins des autres parties.

[29] Je ne souscris pas à l’argument de M. Warman. D’abord, un tribunal peut recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire (alinéa 50(3)c) de la Loi). Rien n’empêche donc le Tribunal d’examiner la lettre de Mme Kulaszka à titre d’élément de preuve en l’espèce. De plus, M. Lemire a bel et bien présenté, grâce à son interrogatoire et son contre‑interrogatoire des témoins, une preuve visant à étayer son explication. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas de simples suggestions ou insinuations. Comme il a été souligné dans Première Nation des Chippewas de Kettle et de Stony Point c. Shawkence, 2005 CF 823, aux paragraphes 38 à 46, le décideur n’est pas légalement tenu de tirer une conclusion défavorable d’une omission de témoigner. En outre, il ne s’agit pas d’une instance criminelle. Rien n’empêchait M. Warman ou la Commission d’assigner M. Lemire à témoigner et de répondre à des questions concernant ses liens avec JRBooksonline.com s’ils estimaient que son témoignage leur permettrait d’établir que l’explication de M. Lemire constituait un prétexte (voir Première Nation des Chippewas de Kettle et de Stony Point, au paragraphe 41). Par conséquent, selon moi, il n’y a aucun motif valable de tirer une conclusion défavorable du fait que M. Lemire a omis de témoigner.

[30] Hormis le rapport tiré du bottin Internet WHOIS, rien ne prouve qu’il existe un lien entre le site Web JRBooksonline et M. Lemire. M. Warman a admis en contre‑interrogatoire qu’il n’a jamais effectué une recherche électronique sur le site Web de JRBooksonline en relation avec le nom de M. Lemire tout en reconnaissant qu’il ne se souvenait pas d’avoir vu quelque mention que ce soit du nom de M. Lemire lorsqu’il a consulté ce site Web. Cette affirmation contraste nettement avec les documents relatifs à M. Lemire qui figuraient sur les sites Web Freedomsite et Stormfront. M. Lemire inscrit généralement son nom au complet dans ses messages et les messages qu’il affiche sur des babillards électroniques comprennent généralement une photo de lui alors que la majorité des participants à des babillards électroniques utilisent plutôt un dessin, un logo ou une autre image (avatar). Le site Web Freedomsite contient de nombreuses photos de M. Lemire. L’adresse municipale du centre d’exploitation du site Web Freedomsite où l’on peut envoyer des dons pour l’entretien du site Web est mentionnée à plusieurs endroits sur le site Web. M. Lemire a également inscrit cette adresse dans le message affiché dans Stormfront.org qui constitue l’un des messages haineux en litige en l’espèce. M. Lemire a également inscrit son adresse électronique, dans laquelle figure son nom au complet, dans les messages qu’il a affichés. Il est loin de cacher son identité. La Commission a déposé en preuve une pétition en ligne tirée d’un site Web qui n’a rien à voir avec la présente plainte. M. Lemire a signé la pétition avec son nom au complet et, à titre d’adresse électronique personnelle, il a inscrit l’adresse électronique webmaster@Freedomsite.org.

[31] Il est donc évident que M. Lemire n’a pas caché son identité ou ses liens avec le site Web Freedomsite.org où figurent tous les documents invoqués contre lui dans la plainte signée par M. Warman.

[32] Par contre, je ne suis saisi d’aucune preuve démontrant que le nom de M. Lemire a déjà figuré dans le site Web JRBooksonline.com. M. Warman a affirmé dans son témoignage que, pour sa part, il ne voyait sur le site Web aucune mention du nom de M. Lemire, ni rien qui indique qu’il est le propriétaire du site Web. M. Warman a également déclaré qu’il n’a pas essayé de cliquer sur le lien contact du site Web pour envoyer un message au site Web, ce qui aurait peut‑être permis de découvrir quelques indices quant à l’identité du propriétaire, du webmestre ou de l’exploitant du site Web.

(ii) La preuve de Bernard Klatt concernant les recherches effectuées dans le bottin électronique WHOIS et concernant JRBooksonline.com

[33] Par conséquent, la seule preuve liant M. Lemire à JRBooksonline.com dont nous sommes saisis est le rapport de recherches effectuées dans le bottin électronique WHOIS d’octobre 2004 dans lequel figurent les coordonnées du titulaire de l’enregistrement et de la personne‑ressource pour les questions administratives du site Web. Bernard Klatt a été reconnu à titre de témoin expert en matière d’Internet et d’informatique, notamment en ce qui a trait aux fonctions des fournisseurs d’accès Internet (FAI). Il a affirmé dans son témoignage que les recherches effectuées dans le bottin électronique WHOIS ne font qu’indiquer précisément si le nom de domaine d’un site Web est enregistré auprès de l’autorité compétente qui régit ces enregistrements, c’est‑à‑dire ICANN. Si le nom n’a pas été enregistré, quelqu’un d’autre peut l’utiliser à des fins d’enregistrement. Toutefois, les autres renseignements qui accompagnent un enregistrement de nom de domaine ne prouvent pas qui est propriétaire du site Web ou qui télécharge des données sur le site Web comme en témoignent les avertissements qui accompagnent les recherches effectuées dans le bottin électronique WHOIS et qui mentionnent que les renseignements sont fournis tels quels sans aucune garantie quant à leur fiabilité. Mme Rizk a affirmé dans son témoignage qu’on lui a dit, lors de la formation qu’elle a suivie à la Commission sur l’utilisation des recherches effectuées dans le bottin Internet WHOIS dans le cadre des enquêtes sur des plaintes relatives à des sites Web, que les résultats indiquaient seulement qui, pourrait être, est le propriétaire du site Web. Il ne s’agissait que de l’un des moyens permettant de déterminer qui est le propriétaire d’un site Web.

[34] Afin de démontrer à quel point ces renseignements peuvent être peu fiables, deux recherches effectuées dans le bottin Internet WHOIS dans lesquelles figuraient des renseignements concernant les enregistrements des noms de domaine de deux sites Web ont été déposées en preuve. Les deux recherches effectuées dans le bottin Internet WHOIS indiquaient que M. Warman était le titulaire de l’enregistrement de ces deux sites Web. M. Warman a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait jamais entendu parler auparavant de ces sites Web. En effet, comme M. Klatt l’a expliqué dans son témoignage, il a vu M. Lemire créer ces deux enregistrements. Par conséquent, même si les deux recherches effectuées dans le bottin Internet WHOIS indiquaient que M. Warman était le titulaire de l’enregistrement des noms de domaine des deux sites Web, il n’avait, en fait, rien à avoir avec ceux‑ci.

[35] M. Klatt a également affirmé dans son témoignage qu’il se servait d’un service de traçage pour déterminer quel FAI était l’hôte du site Web JRBooksonline.com. Ces renseignements peuvent être obtenus à partir de l’adresse IP (composée d’une série de chiffres) qui est attribuée à chaque site Web. M. Klatt a conclu que l’adresse de JRBooksonline.com se trouvait dans la fourchette des adresses détenues ou hébergées par une société de Dallas (Texas). L’adresse IP de Freedomsite.org ne figurait pas dans cette fourchette et, en fait, Mme Rizk a affirmé dans son témoignage que lorsqu’elle a effectué une demande de trace relativement au site Web Freedomsite, elle a découvert qu’il était hébergé par une société de Denver (Colorado).

[36] En contre‑interrogatoire, M. Warman a reconnu que le site Web Freedomsite.org était différent du site Web JRBooksonline.com sur le plan de la convivialité et de la présentation. Le site Web Freedomsite était plus encombré et il contenait des fichiers audio et vidéo ainsi qu’une boutique en ligne et un lien pour faire des dons. Aucun de ces éléments ne figurait dans JRBooksonline.com. M. Warman a décrit ce site Web comme étant un site Web assez simple. M. Klatt a fait une comparaison semblable. Il a souligné que les aspects visuels des deux sites Web étaient très différents. Le site Web Freedomsite.org comportait une bannière contenant une composition d’images (plusieurs images apparaissent comme étant une seule), du JAVAscript (qui permet le surlignement des mots lorsque l’utilisateur passe un curseur sur eux), un format de présentation comprenant une colonne à la droite de l’écran et une feuille de style en cascade (qui contrôlait la manière selon laquelle les renseignements étaient présentées). Cependant, selon M. Klatt, le site Web JRBooksonline.com était beaucoup plus rudimentaire ou beaucoup plus simple en ce qui avait trait aux éléments stylistiques utilisés dans le cadre de la présentation des renseignements. Sa page d’accueil était relativement longue, ce qui est signe d’une sophistication moins grande, le positionnement des éléments graphiques était plus simple et il contenait de grands blocs de texte affichés sur une seule image d’arrière‑plan couvrant l’ensemble de la page Web.

[37] Ces différences donnent à penser que la personne qui est à l’origine de la création du site Web JRBooksonline.com et de l’affichage des documents qu’il contient n’est pas la même personne qui est à l’origine du site Web Freedomsite.org (c’est‑à‑dire M. Lemire, et ce, de son propre aveu).

[38] Le témoignage d’expert de M. Klatt n’a été contredit par aucun témoignage présenté à l’audience. En fait, ni la Commission, ni M. Warman n’a présenté de témoin expert en matière d’Internet ou d’informatique. Selon moi, le témoignage de M. Klatt est très crédible. Ses réponses ont été directes. Il a franchement déclaré qu’il ne pouvait fournir aucun renseignement quant aux domaines à l’égard desquels il ne possédait pas une connaissance approfondie, notamment en ce qui a trait au fonctionnement interne de certains fournisseurs de services Internet à l’égard desquels il a été interrogé. Toutefois, M. Warman a prétendu avec vigueur dans sa plaidoirie finale que je ne devrais tenir aucun compte du témoignage de M. Klatt, principalement en raison des conclusions tirées des décisions antérieures par le Tribunal et, dans un cas, par la Cour fédérale. M. Warman prétend que ces conclusions [Traduction] enlèvent toute crédibilité que pouvait avoir M. Klatt et qu’elles auraient dû [Traduction] mettre fin à sa capacité de témoigner à titre de témoin objectif.

[39] Toutefois, un tribunal ne devrait pas refuser d’apprécier la crédibilité des témoins qui déposent devant lui tout simplement parce que celle‑ci a été jugée insatisfaisante dans une autre instance. Comme la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan l’a déclaré dans Huziak c. Andrychuk (1977), 1 C.R. (3d) 132 (citée avec approbation dans Canada (Procureur général) c. Grover, 2004 CF 704, au paragraphe 44; Grover c. Conseil national de recherches du Canada, 2009 TCDP 1, au paragraphe 103) :

Le fait qu’un juge ne croit pas un témoin dans une affaire ne signifie pas nécessairement qu’il ne croira pas le même témoin s’il comparaît dans une autre affaire [...] Chaque cas est un cas d’espèce.

[40] De plus, après un examen approfondi, il est clair que les décisions antérieures n’enlevaient pas toute crédibilité à M. Klatt. Dans Citron c. Zündel (2002), 41 C.H.R.R. D/274, M. Klatt a témoigné à titre d’expert dans le domaine des télécommunications et d’Internet. Apparemment, son témoignage a principalement porté sur la question en litige dans cette affaire, à savoir si les communications par téléphonie englobaient les communications Internet. Cette affaire a pris naissance avant que soient apportées à la Loi les modifications qui ont explicitement étendu l’application de l’article 13 à Internet. Le témoignage de M. Klatt a apparemment été contredit par le témoignage d’un témoin expert cité par la Commission. Le Tribunal a préféré le témoignage du témoin de la Commission à celui de M. Klatt car il a conclu que ce dernier soutenait la thèse de l’intimé (c’est‑à‑dire que les communications téléphoniques ne servent qu’à transmettre la voix ou le son) et s’était montré argumenteur, évasif et incapable de répondre à des questions élémentaires dans son domaine. En revanche, M. Klatt ne s’est aucunement comporté de cette façon lorsqu’il a témoigné devant moi. De plus, comme je l’ai déjà mentionné, le témoignage d’opinion qu’il a rendu devant moi n’a pas été contredit. Il portait sur un domaine d’expertise technique qui était quelque peu différend de celui dont il était question dans la décision Citron.

[41] M. Warman m’a également renvoyé à la décision rendue par le Tribunal dans Schnell c. Machiavelli, (2002), 43 C.H.R.R. D/453, où l’on fait mention, pour utiliser les mots de M. Warman, du [Traduction] lien d’affaires de M. Klatt avec les sites Web haineux. Ce lien a également été examiné lors du contre‑interrogatoire de M. Klatt, qui a eu lieu devant moi, quant à ses compétences à titre d’expert. L’extrait tiré de la décision Schnell, cité par M. Warman, explique que, au milieu des années 1990, M. Klatt avait accepté, au nom de la liberté d’expression, que son entreprise de FAI héberge certains sites Web qui étaient controversés ou interdits dans d’autres pays (Schnell, au paragraphe 132). Certains groupes (notamment le Centre Simon Wiesenthal) se sont mobilisés pour l’empêcher de continuer à offrir ses services à ces sites Web. M. Klatt a en fin de compte vendu son entreprise et il a prétendu qu’il avait perdu son statut dans sa communauté. Ce témoignage m’a également été soumis durant le contre‑interrogatoire de M. Klatt et j’en ai tenu compte lorsque j’ai tiré mes conclusions quant à sa crédibilité.

[42] M. Warman a également affirmé à tort dans ses observations que j’avais déjà conclu, dans CRARR c. www.bcwhitepride.com, 2007 TCDP 20, que M. Klatt manquait de crédibilité. En fait, il s’agissait d’une décision préliminaire rendue par un autre membre instructeur, Pierre Deschamps, qui a conclu que M. Klatt s’était montré à tout le moins évasif dans ses réponses quant à ses liens et à son association avec le mouvement de suprématie blanche (paragraphe 53), et quant à la relation qu’il entretenait avec l’intimé dans cette affaire. En l’espèce, je n’ai pas été saisi de questions semblables. M. Klatt s’est montré honnête et franc, lors de son interrogatoire principal et lors de son contre‑interrogatoire, quant à ses liens avec l’une ou l’autre des personnes à propos desquelles on l’interrogeait, notamment le représentant de CAFE à l’audience (Paul Fromm) et M. Lemire. Selon moi, les réponses de M. Klatt n’ont pas été évasives.

[43] Enfin, M. Warman a fait mention de certains commentaires qui ont été formulés par la Cour fédérale dans la décision Zündel (Re), 2005 CF 295, au paragraphe 41. La Cour a déclaré ce qui suit :

Si, comme le prétend M. Zündel, ce n’est pas une bonne idée d’utiliser des sites Web pour diffuser des messages de haine raciale et pour inciter à la violence au nom des objectifs de la suprématie blanche, non plus que d’afficher sur l’Internet un guide pratique de la révolution aryenne contenant des chapitres sur les assassinats, les attentats à la bombe, les actes de sabotage et les guerres racistes, pourquoi alors qualifierait‑il d’homme très comme il faut Bernard Klatt, à qui est attribué l’affichage de ce guide, et pourquoi serait‑il en rapport avec M. Klatt depuis des années?

Je ne vois pas en quoi, en l’espèce, ces remarques nous sont particulièrement utiles pour les besoins de l’appréciation de la crédibilité de M. Klatt à titre d’expert en matière d’Internet et d’informatique.

[44] De plus, l’extrait susmentionné est tiré d’une décision de la Cour fédérale dans laquelle celle‑ci se prononce sur le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité délivré par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le solliciteur général du Canada (les ministres) contre Ernst Zündel, en 2003, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C., 2001, ch. 27. La Cour a déclaré que, eu égard à la preuve digne de foi, qui a été produite à huis clos, elle croyait que M. Zündel avait entretenu d’étroites relations avec M. Klatt, dont la société fournissait des services Internet à au moins 12 groupes haineux et groupes de défense de la suprématie blanche (paragraphe 52). M. Klatt a déclaré dans son témoignage devant moi qu’il n’a jamais été appelé à témoigner dans l’instance Zündel (Re) et qu’aucun organisme d’enquête n’avait communiqué avec lui relativement à cette affaire. La Cour fédérale a souligné dans sa décision que la preuve produite à huis clos par les ministres n’avait pas été communiquée à M. Zündel. En 2007, la Cour suprême du Canada a conclu que cette façon de procéder était inconstitutionnelle car elle avait privé les personnes ayant fait l’objet d’un certificat de sécurité de la justice fondamentale garantie par l’article 7 de la Charte (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9). Selon moi, il ne convient pas, dans les circonstances, de tirer quelque conclusion que ce soit quant à la crédibilité d’un témoin en fonction d’une décision découlant d’un processus que la Cour suprême a en fin de compte jugé inconstitutionnel.

[45] Enfin, un motif additionnel de ne pas faire peu de cas du témoignage d’expert de M. Klatt est le fait que son témoignage (comme je l’ai déjà mentionné) a été corroboré dans plusieurs cas par d’autres témoins, à savoir Mme Rizk (l’enquêteuse de la Commission) et M. Warman lui‑même.

[46] Je rejette donc la prétention de M. Warman selon laquelle le témoignage de M. Klatt ne devrait pas être pris en compte.

(iii) Conclusions concernant le site Web JRBooksonline.com

[47] En résumé, j’estime que la preuve est insuffisante pour établir, même prima facie, que M. Lemire ou un groupe de personnes dont il fait partie, a transmis ou a fait transmettre, au sens de l’article 13, les documents qui figuraient dans le site Web JRBooksonline.com. Aucun élément de preuve ne lie M. Lemire à ce site Web hormis la recherche effectuée dans le bottin Internet WHOIS dont le contenu est peu fiable par nature. La preuve, même si l’on y ajoute foi, ne suffit pas à confirmer les allégations qui ont été formulées. De plus, selon moi, une explication raisonnable, qui n’est pas un prétexte, a été avancée pour expliquer la présence du nom de M. Lemire dans la recherche effectuée en 2004 dans le bottin Internet WHOIS. Je suis donc convaincu que M. Lemire n’a pas commis l’acte discriminatoire allégué par M. Warman relativement au site Web JRBooksonline.com.

B. Les documents figurant dans le site Web Stormfront.org

[48] Selon, M. Warman, Stormfront.org est un site Web qui est exploité à partir des États‑Unis. Il contient un babillard électronique (qu’on appelle parfois forum) où les membres du site Web peuvent afficher des messages. Il semble que quiconque accède à Stormfront.org par Internet peut voir le contenu du babillard électronique. M. Warman prétend que le 9 février 2004, M. Lemire a affiché dans le forum de Stormfront.org un message qui, selon M. Warman, constitue un message haineux au sens de la Loi.

[49] Les babillards électroniques sont souvent divisés en plusieurs catégories (ou forums) et en diverses sous‑catégories qu’on appelle également sujets de discussion ou fils de discussion. Un utilisateur peut créer un nouveau fil de discussion dans une catégorie existante. Stormfront.org comprenait une sous‑catégorie titrée Stormfront Canada qui figurait dans une section du forum appelée Stormfront White Nationalist Community – International. Le message en litige a été affiché dans un nouveau fil de discussion titré Canadian Immigrant Poem créé sous la rubrique Stormfront Canada. Le message consistait uniquement en un poème composé de 18 strophes. La copie papier du message (telle que déposée par la Commission) révèle que trois autres personnes ont ajouté leurs commentaires au fil de discussion après que le poème fut affiché.

[50] Le poème est ainsi rédigé :

[Traduction]

Poème de l’immigrant au Canada

Je traverse l’océan,
pauvre et fauché,
je prends l’autobus,
je rencontre un type de l’Emploi.

Un brave type qui
m’accueille bien,
je lui dis que je
veux voir le type
du Bien‑être

Le type du Bien‑être
me dit Tu n’as plus besoin
de te présenter,
nous t’enverrons
de l’argent chez toi
.

Les chèques du Bien-être
m’enrichissent,
l’assurance‑maladie me
garde en santé!

Au bout d’un certain
temps,
j’ai plein d’argent,
grâce à vous,
Canadiens fantoches.

J’écris à mes amis
dans mon pays
et je leur dit Amenez‑vous
le plus vite possible
.

Ils arrivent enturbannés
dans des camions Ford,
j’achète une grosse maison
avec l’argent du Bien‑être

Ils viennent ici,
nous vivons ensemble,
davantage de chèques de bien‑être,
ça va de mieux en mieux!

Quatorze familles,
elles emménagent,
mais la patience des voisins
est à bout.

Enfin, amis blancs
allez‑vous en,
j’achète maintenant
sa maison, puis je dis,

Trouvons plus d’étrangers
pour leur louer la maison
.
et dans la cour
j’installe une tente.

Je fais venir la famille
ils cassent tout,
mais eux aussi
ils reçoivent l’argent du
Bien‑être!

Tout va très bien,
et bientôt nous possédons
le quartier.

Nous avons un passe‑temps
qui s’appelle la reproduction,
le Bien‑être paye
la nourriture pour
les bébés.

Les enfants doivent aller
chez le dentiste?
L’épouse a besoin de
médicaments?
C’est gratuit!
Pas de factures!

Pauvre Canadien!
Il paye toute l’année,
pour faire fonctionner
le Bien‑être.

Le Canada
est un sacré bon
endroit!
Trop bon pour
la race blanche.

S’ils ne nous aiment pas
ils n’ont qu’à
foutre le camp,
il y a plein de place
au Pakistan.

(i) M. Lemire a-t-il transmis les documents en litige en les affichant dans le site Web Stormfront.org?

[51] M. Warman a affirmé dans son témoignage qu’il a accédé au site Web Stormfront.org par un autre site Web appelé the‑cloak.com. Pour ce motif, les mots the‑cloak.com précèdent le nom de domaine Stormfront.org au bas de la copie papier déposée en preuve, là où figure d’habitude l’adresse de page Web (ou localisateur de ressources uniformes (URL)). M. Klatt a expliqué dans son témoignage que des services comme cloak.com sont des intermédiaires grâce auxquels une personne peut accéder à un autre site Web. L’intermédiaire sert de tiers pour le compte de la personne qui veut accéder au site Web. De cette façon, la personne peut cacher son identité au site Web visité. Selon M. Klatt, le contenu téléchargé à partir de sites Web visités grâce à ces intermédiaires n’est probablement pas modifié au cours du processus.

[52] Le logo de Stormfront.org figure au haut de la copie papier du message contenant le poème qui a été déposée par la Commission. M. Lemire a déposé en preuve, lorsqu’il a contre‑interrogé M. Warman, un grand nombre d’extraits tirés du site Web Stormfront.org. L’authenticité de ces extraits n’est pas contestée. Le logo et l’aspect général de ces extraits, hormis le nom de domaine comprenant les mots the cloak.com, sont identiques à ceux du message contenant le poème de l’immigrant canadien déposé par la Commission. Je suis convaincu que la copie papier déposée par la Commission reflète fidèlement ce qui figurait sur le site Web Stormfront.org le 9 février 2004.

[53] En quoi M. Lemire est‑il lié à ce message? Sur le babillard électronique de Stormfront.org, l’identité des personnes qui affichent un message figure dans la marge de gauche. Comme il ressort des extraits d’autres fils de discussion de Stormfront.org soumis en preuve, la majorité des participants au forum utilisent des pseudonymes et affichent des dessins ou des caricatures à titre de logo ou d’avatar. Ce n’est pas ce qui s’est passé dans le cas du poème. Le nom de la personne qui a affiché le poème est Marc Lemire. Une photo claire de M. Lemire, en veston et cravate, est également affichée. La date (juin 2002) à laquelle M. Lemire a commencé à participer au forum de Stormfront.org et le lieu (Toronto (Canada) où il l’a fait sont également mentionnés. À la fin du poème figure un renvoi au site Web Freedomsite.org ainsi que des liens vers un certain nombre de pages Web de ce site. On incite le lecteur à [Traduction] visiter le FREEDOM-SITE!. Une adresse de messagerie est mentionnée et elle est identique à l’adresse de Toronto que M. Lemire utilise dans l’ensemble du site Web Freedomsite.

[54] Comme je l’ai déjà mentionné dans mes propos antérieurs au sujet des documents affichés dans le site Web JRBooksonline.com, M. Warman, dans sa plainte initiale, n’a fait aucune mention du message affiché dans Stormfront.org. En fait, ce message a été affiché après le dépôt de la plainte. M. Warman a envoyé une copie du message à Mme Rizk le 20 octobre 2004, c’est‑à‑dire presqu’un an après le dépôt de la plainte, et, conformément à la demande de M. Warman, Mme Rizk n’a fait aucune mention du message de Stormfront.org à M. Lemire avant de publier son rapport d’enquête le 14 avril 2005. Toutefois, Mme Rizk a affirmé dans son témoignage que, au cours de l’enquête, lorsqu’elle a tenté de lire le message dans Internet, elle a été incapable de le trouver. Ses recherches dans le site Web Stormfront ne lui ont permis que de confirmer que M. Lemire participait au forum de Stormfront.

[55] M. Klatt a affirmé dans son témoignage que lorsqu’il a tenté de trouver le poème en 2006 en se servant de la fonction recherche du site Web Stormfront, lequel comprend un archivage des messages affichés, il a également été incapable de trouver le message dans lequel figurait le poème.

[56] Ainsi, M. Lemire prétend que la Commission n’a pas établi que c’est bel et bien lui qui a affiché le poème. Je ne souscris pas à cette affirmation. M. Warman a affirmé que, le 9 février 2004, il a vu le message (au moyen du service d’intermédiaire de the‑cloak.com) et l’a imprimé. L’aspect de la copie papier et les indicateurs figurant dans le message permettant de lier ce dernier à M. Lemire cadrent tout à fait avec les autres messages que M. Lemire a affichés sur le babillard électronique de Stormfront.org. De plus, aucun élément de preuve contredisant cette conclusion n’a été présenté. Les témoignages de Mme Rizk et de M. Klatt ne font que démontrer que le message contenant le poème ne figurait pas dans Internet au moment où Mme Rizk a commencé à faire enquête sur celui‑ci car il avait vraisemblablement été retiré à ce moment‑là. M. Klatt a affirmé dans son témoignage que les babillards électroniques permettent généralement aux utilisateurs qui ont affiché des messages de les supprimer par la suite. Par conséquent, la preuve concorde tout simplement avec la possibilité que le message ait été retiré après qu’il fut affiché. Elle ne contredit pas le témoignage de M. Warman selon lequel il a vu le message en février 2004.

[57] De ce fait, je suis persuadé que M. Lemire a bel et bien affiché le poème de l’immigrant canadien sur le babillard électronique de Stormfront.org et que celui‑ci pouvait être consulté dans Internet, à tout le moins lorsque M. Warman l’a vu (le 9 février 2004). Par conséquent, je conclus que M. Lemire a transmis ou a fait transmettre, au sens de l’article 13 de la Loi, le message dans Internet.

(ii) Les documents en litige sont‑ils susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de motifs de distinction illicite ?

[58] M. Warman a affirmé dans son témoignage que, selon lui, le message insultant véhiculé par le poème était que les immigrants de couleur, peut‑être plus particulièrement les immigrants de couleur provenant du Pakistan, sont [Traduction] des exemples types de personnes qui font un usage abusif du régime d’aide social et qui font venir leurs familles élargies au Canada et rendent le système davantage exsangue. Le mot déchet est utilisé pour décrire les familles des immigrants. Ces immigrants sont décrits comme étant des gens qui ont comme passe‑temps la reproduction. Ils font baisser le prix des maisons dans les quartiers où ils vivent et ils font fuir les résidents de race blanche. Les Canadiens de race blanche sont traités de fous qui permettent que cela se produise, et s’ils n’aiment pas la situation, ils se font dire de foutre le camp.

[59] La Commission prétend que le poème n’est qu’une [Traduction] grossière caricature des Pakistanais et des autres immigrants de l’Asie orientale, qu’il équivaut à de la malice extrême et à un mépris absolu et qu’il expose à la haine ou au mépris, au sens de l’article 13, des personnes appartenant à ces groupes.

[60] M. Lemire réplique que le poème est un [Traduction] commentaire satirique et cinglant qui décrit comment les immigrants au Canada vivent aux crochets des contribuables canadiens. Il prétend que le poème constitue [Traduction] fondamentalement un commentaire politique à propos des politiques du Canada en matière d’immigration. M. Klatt a affirmé dans son témoignage que grâce à une recherche effectué avec le moteur de recherche Google, il a pu trouver le poème de l’immigrant au Canada, vraisemblablement affiché par des personnes autres que M. Lemire, dans au moins 397 autres sites Web, y compris les sites Web Discover Vancouver et Country Living, Country Skills. M. Lemire prétend que cela démontre que de nombreux Canadiens souscrivent au message véhiculé dans le poème quant aux politiques du Canada en matière d’immigration – des politiques qui font l’objet de critiques. Je ne suis toutefois pas convaincu que parce qu’un texte figure sur de nombreuses pages Web, il traduit forcément une opinion répandue et ne constitue pas un message haineux au sens de l’article 13.

[61] Selon M. Warman, le poème constitue effectivement un message haineux. Il prétend qu’il comporte certaines des caractéristiques des messages haineux relevées au fil des ans dans la jurisprudence relative à l’article 13 (voir Warman c. Kouba, 2006 TCDP 50 (Kouba), aux paragraphes 22 à 81, pour un résumé de ces caractéristiques). M. Warman prétend notamment que le poème décrit les immigrants comme constituant une menace terrifiante qui empêchera les Canadiens de gagner leur vie. Toutefois, cette caractéristique est tirée de décisions comme Citron. Il a été conclu dans cette affaire que l’intimé avait exposé des théories de conspirations secrètes conçues par des Juifs dans le but d’extorquer de l’argent et d’exercer un énorme pouvoir et un énorme contrôle à l’échelle planétaire. Le Tribunal a conclu que le ton des documents soumis en preuve, les propos extrêmement dénigrants et extrêmement diffamatoires à l’égard des Juifs qui y figuraient, excluaient ces documents des documents acceptables en vertu de la Loi. Selon moi, le poème qui a été affiché par M. Lemire sur Stormfront.org ne comporte pas un ton comme celui qui a été utilisé dans les documents en litige dans l’affaire Citron et il ne comporte pas de propos extrêmement dénigrants à l’égard de qui que ce soit.

[62] M. Warman prétend que le poème est également caractérisé par un langage incendiaire et méprisant qui crée un climat de haine et de mépris extrême (Kouba, au paragraphe 67). Il souligne l’utilisation de mots comme déchet, reproduction et fantoches (ce qualificatif semble cependant être attribué aux Canadiens de race blanche). Il souligne également que le poème laisse entendre que les immigrants de couleur escroquent le régime d’aide sociale et qu’ils ne savent pas parler anglais. Ces expressions sont certainement provocatrices et insultantes, mais elles n’équivalent pas au genre de langage extrême susceptible d’exposer des personnes à la haine ou au mépris relevé dans la jurisprudence relative à l’article 13. Le poème ne comprend aucune des terribles injures racistes qui figurent si souvent dans les documents produits dans d’autres affaires relatives à l’article 13.

[63] La caricature des immigrants qui figure dans le poème est grossière et elle est susceptible d’offenser. Toutefois, je ne suis pas persuadé que ces remarques comportent une malice extrême et des émotions qui n’admettent chez les personnes visées aucune qualité qui rachète leurs défauts comme l’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt Taylor. La Cour a affirmé que le paragraphe 13(1) ne vise que des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation, se traduisant par des calomnies et la diffamation (à la page 929) et que le Tribunal doit tenir compte de la nature à la fois virulente et extrême des sentiments évoqués par les mots haine ou mépris. Selon moi, ces genres d’émotion ne sont pas exprimés dans le poème et celui‑ci n’est pas susceptible de disséminer des sentiments extrêmes d’opprobre et d’inimitié contre des personnes appartenant à un groupe identifiable.

[64] Il convient de souligner que l’article 13 ne proscrit pas des situations dans lesquelles des personnes pourraient faire l’objet d’actes discriminatoires. L’article 13 ne vise que les situations dans lesquelles des personnes ou un groupe de personnes pourraient être exposés à la haine ou au mépris. Selon moi, il est instructif de comparer cette disposition, en ce sens, avec l’article 12 de la Loi selon lequel constitue un acte discriminatoire le fait de publier ou d’exposer en public, ou de faire publier ou exposer en public des affiches, des écriteaux, des insignes, des emblèmes, des symboles ou autres représentations qui, selon le cas, expriment ou suggèrent des actes discriminatoires au sens des articles 5 à 11 ou de l’article 14 ou des intentions de commettre de tels actes en encouragent ou visent à en encourager l’accomplissement :

Divulgation de faits discriminatoires, etc.

12. Constitue un acte discriminatoire le fait de publier ou d’exposer en public, ou de faire publier ou exposer en public des affiches, des écriteaux, des insignes, des emblèmes, des symboles ou autres représentations qui, selon le cas :

a) expriment ou suggèrent des actes discriminatoires au sens des articles 5 à 11 ou de l’article 14 ou des intentions de commettre de tels actes;

b) en encouragent ou visent à en encourager l’accomplissement.

Publication of discriminatory notices, etc.

12. It is a discriminatory practice to publish or display before the public or to cause to be published or displayed before the public any notice, sign, symbol, emblem or other representation that

(a) expresses or implies discrimination or an intention to discriminate, or

(b) incites or is calculated to incite others to discriminate

if the discrimination expressed or implied, intended to be expressed or implied or incited or calculated to be incited would otherwise, if engaged in, be a discriminatory practice described in any of sections 5 to 11 or in section 14.

[65] Bien sûr, l’article 12 traite de moyens de communication différents de ceux dont il est question en l’espèce (l’exposition en public d’affiches, d’écriteaux, etc., plutôt que l’affichage de messages dans Internet), mais si on analyse le poème à travers le prisme de l’article 12, il se peut que l’on conclue qu’il sous‑entend la discrimination ou qu’il incite à la discrimination, en raison de la couleur, de la race, ou de l’origine nationale ou ethnique au sens des articles 5 à 11 et 14 de la Loi, contre certaines personnes qui immigrent ou qui cherchent à immigrer au Canada. Toutefois, l’acte discriminatoire proscrit à l’article 13 est différent : seuls les propos qui sont susceptibles d’exposer ces personnes ou groupes de personnes à la haine ou au mépris sont visés. Ce critère est très différent du critère prévu à l’article 12. Cela a également été souligné dans la récente décision rendue par le Tribunal dans Dreaver c. Pankiw, 2009 TCDP 8 (un contrôle judiciaire est en instance à la Cour fédérale) aux paragraphes 41 à 43.

[66] Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, je conclus que le poème affiché sur Stormfront.org n’est pas susceptible d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des motifs de distinction illicite. Par conséquent, l’allégation selon laquelle M. Lemire a commis un acte discriminatoire en affichant le poème sur le babillard électronique de Stormfront.org n’a pas été prouvée.

C. Les documents figurant dans le site Web Freedomsite.org

[67] M. Warman a affirmé dans son témoignage qu’il a visité le site Web Freedomsite et son babillard électronique dès décembre 2002. Il a examiné les documents qui, selon lui, violaient l’article 13 de la Loi et il a décidé de rédiger une plainte relative aux droits de la personne qu’il a signée le 23 novembre 2003. M. Warman a conclu que plusieurs des messages offensants figurant sur le babillard électronique ont été affichés par un certain Craig Harrison. Par conséquent, M. Warman a désigné M. Lemire et M. Harrison comme intimés dans sa plainte. La Commission a décidé un peu plus tard de poursuivre chaque intimé séparément. La preuve contre M. Harrison a été renvoyée au Tribunal en 2005 et un jugement concluant que les messages de M. Harrison violaient l’article 13 a été rendu le 15 août 2006 (Warman c. Harrison, 2006 TCDP 30).

[68] Comme je l’ai déjà mentionné, M. Lemire a ouvertement reconnu qu’il avait participé au Freedomsite.org dès qu’il a été mis au courant de la plainte déposée par M. Warman contre lui. Mme Kulaszka a reconnu dans la première lettre qu’elle a adressée à la Commission (le 23 avril 2004) que M. Lemire était le webmestre et le propriétaire de Freedomsite.org qu’elle a décrit comme étant un site Web [Traduction] principalement consacré à des discussions portant sur les politiques en matière d’immigration […] et sur la restriction de la liberté d’expression au Canada. Elle a ajouté que le site Web était [Traduction] une source différente importante de nouvelles et de commentaires et que, depuis qu’il était entré en exploitation en 1995, il a fait l’objet de 10 millions de visites.

[69] Comme la majorité des sites Web, Freedomsite.org était divisé en plusieurs sections. Les liens vers ces sections, lesquels étaient, semble‑t‑il, au nombre de 16, figuraient dans un bandeau électronique qui se trouvait dans les marges des pages du site Web. Les titres de ces sections étaient Home (accueil), Search (recherche), Site Map (plan du site), Online Store (boutique virtuelle), Radio Freedom (radio liberté), Columnists (chroniqueurs) (également appelée Controversial Columnists (chroniqueurs controversés), Activists (activistes), Picture Library (images), History (historique) et Message Board (babillard électronique). Les documents en litige mentionnés dans la plainte de M. Warman figuraient tous dans la section babillard électronique ou dans la section chroniqueurs. Aucun document provenant des autres sections n’a été soumis par M. Warman ou par la Commission dans le cadre de la plainte déposée en vertu de l’article 13.

(i) Le babillard électronique du site Web Freedomsite

[70] Le babillard électronique du site Web Freedomsite fonctionnait d’une façon semblable au babillard électronique du site Web Stormfront.org dont j’ai déjà fait la description. Les personnes qui visitaient le site Web Freedomsite pouvaient cliquer sur le bouton lien du babillard électronique figurant dans la marge et arriver à la page d’accueil du babillard électronique. Toutefois, les visiteurs ne pouvaient pas voir sur la page d’accueil les messages affichés sur le babillard électronique. Ils étaient plutôt invités à ouvrir une session en inscrivant leur nom et leur mot de passe. Seuls les utilisateurs inscrits étaient autorisés à afficher des messages et à consulter des messages sur le babillard. Les utilisateurs non inscrits disposaient de deux possibilités. Ils pouvaient cliquer sur un bouton afin de devenir de nouveaux utilisateurs, c’est‑à‑dire s’enregistrer et créer un compte de profil personnalisé ou cliquer sur un deuxième bouton sur lequel était inscrit guest (invité).

[71] Les invités qui entraient dans les forums du babillard électronique (c’est‑à‑dire le premier niveau des catégories sous lesquelles des messages pouvaient être affichés) étaient informés qu’ils étaient limités à l’accès en lecture seule, ce qui voulait dire qu’ils ne seraient autorisés qu’à lire les messages et qu’ils ne seraient pas autorisés à en afficher. Les utilisateurs qui désiraient créer un compte devaient remplir divers champs, notamment un champ de nom d’utilisateur et un champ d’adresse électronique valide, et le site Web envoyait ultérieurement un mot de passe. L’utilisateur nouvellement inscrit pouvait ensuite ouvrir une session en entrant son nom d’utilisateur ainsi que son mot de passe.

[72] M. Klatt a affirmé dans son témoignage que cette exigence avait une incidence importante sur l’accessibilité aux moteurs de recherche Internet, comme Google, du babillard électronique. Ces moteurs de recherche utilisent des inforobots de recherche Web pour indexer le contenu des sites Web qui figurent sur Internet. Lorsque les inforobots de recherche Web repèrent des sites Web qui exigent un nom d’utilisateur, un mot de passe ou une action lancé par un utilisateur comme un clic de souris sur une icône (comme le bouton invité de Freedomsite), ils ne tentent pas d’entrer dans le site Web. Par conséquent, un moteur de recherche n’accèdera pas au contenu de ce type de babillard électronique et le contenu du babillard électronique ne figurera pas dans les résultats obtenus suite à une recherche Internet effectuée avec un moteur de recherche typique comme Google.

[73] Après avoir ouvert une session, un utilisateur inscrit arrivait à une page d’accueil intitulée Freedom-site InterACTIVE. Une liste des forums offerts figurait dans la marge de gauche, avec un symbole plus (+) à côté du nom de chaque forum. Un clic sur le symbole faisait apparaître la liste des sujets offerts dans chacun des forums. Dans la page d’accueil, sont énumérées un certain nombre de règles concernant la participation :

[Traduction]

Nos règles sont simples :

• Faites preuve de politesse dans les discussions.

• N’affichez que dans les forums pertinents.

• NE PRÉCONISEZ NI NE PROPOSEZ aucune activité illégale en vertu du droit canadien.

Si vous désirez formuler des plaintes ou si vous désirez signaler des problèmes, veuillez envoyer un courriel à

Freedom-Site Webboard Admin

[74] Un clic sur les mots Freedom-Site Webboard Admin faisait apparaître une autre page Web qui permettait à l’utilisateur de communiquer avec l’administrateur du site Web (c’est‑à‑dire M. Lemire). Les utilisateurs inscrits pouvaient afficher leurs propres messages à la fin des fils de discussion existants ou ils pouvaient créer de nouveaux fils de discussion, sous des titres de sujet qu’ils composaient, dans lesquels ils affichaient le premier message.

[75] Les messages affichés sur le babillard électronique qui, selon M. Warman, constituaient des messages haineux au sens de l’article 13, peuvent être séparés en plusieurs catégories :

  • les messages affichés par M. Harrison,
  • les messages affichés par des personnes autres que M. Lemire ou M. Harrison,
  • les messages affichés par M. Lemire.

(a) Les messages affichés par Craig Harrisson sur le babillard électronique du site Web Freedomsite

[76] Les parties ne contestent pas que M. Harrison a affiché des messages sur le babillard électronique de Freedomsite sous les pseudonymes rump et realcanadianson (voir les conclusions tirées par le Tribunal dans la décision Harrison, aux paragraphes 21 à 47).

[77] M. Harrison a affiché en tout 71 messages sur une période de neuf jours, entre mai 2002 et janvier 2003. Ces neuf jours sont répartis sur trois périodes (du 13 au 21 mai 2002 (45 messages), le 13 novembre 2002 (trois messages) et du 19 au 21 janvier 2003 (26 messages)). Certains jours, M. Harrisson a affiché une énorme quantité de messages. Par exemple, le 14 mai 2002, M. Harrison a écrit 24 messages distincts. Tous sauf quatre messages ont été écrits dans divers forums, sous différents titres de sujet.

[78] M. Warman a produit à l’audience, à l’appui de sa plainte déposée en vertu de l’article 13 contre M. Lemire, 31 des 71 messages affichés par M. Harrison. Le Tribunal, dans la décision Harrison, a explicitement renvoyé à 22 de ces messages. Le Tribunal a conclu que les messages étaient susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de motifs de distinction illicite (Harrison, aux paragraphes 55 à 66).

1. M. Lemire a-t-il transmis, au sens de l’article 13, les messages de M. Harrison?

[79] Rien ne prouve que M. Lemire a écrit ou affiché l’un ou l’autre des messages de M. Harrison. Il est reconnu qu’ils ont tous été affichés par M. Harrison. Le paragraphe 13(1) mentionne toutefois que constitue un acte discriminatoire le fait, pour un groupe de personnes agissant d’un commun accord, de transmettre des messages au sens prévu par cette même disposition. Existe‑t‑il des éléments de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle M. Harrison, lorsqu’il a transmis ou fait transmettre les messages, a agi d’un commun accord avec M. Lemire?

[80] Dans la décision Taylor (publiée sous la référence Smith c. Western Guard Party, 1979 CanLII 1 (T.C.D.P.)), le Tribunal énumère certains des critères servant à déterminer quand des groupes de personnes agissent d’un commun accord aux fins de l’article 13. Le Tribunal a conclu que l’un des intimés, le Western Guard Party, constituait un groupe de personnes agissant d’un commun accord. Le Tribunal a souligné que le parti était composé d’un groupe de personnes qui s’étaient regroupées sous un même nom et qui s’étaient dotées d’un papier à en‑tête et d’un logo. Elles avaient ouvert un compte de banque, s’étaient dotées d’une case postale, de lignes téléphoniques et s’étaient procurées une liste téléphonique, tout cela, pour le compte du parti.

[81] Nous ne sommes en présence d’aucun de ces éléments en l’espèce ni d’aucun lien entre les deux hommes. En fait, Mme Rizk a fait mention dans son témoignage d’une conversation qu’elle avait eue avec M. Harrison au cours de son enquête sur la plainte déposée contre lui. Celui‑ci lui a dit qu’il ne savait pas qui possédait ou contrôlait Freedomsite.org et qu’il ne savait pas qui s’occupait de l’affichage ou du contrôle du contenu de ce site Web. Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission a décidé, à la suite de son enquête, de scinder la plainte que M. Warman avait initialement déposée contre M. Harrison et M. Lemire, conjointement, et de les traiter séparément.

[82] Selon moi, il n’a pas été établi que M. Lemire et M. Harrison constituaient un groupe agissant d’un commun accord en vue de transmettre les messages de M. Harrison.

2. M. Lemire a-t-il fait transmettre, au sens de l’article 13, les messages en litige?

[83] Pour répondre à cette question, il faut d’abord déterminer si M. Lemire était au courant de l’existence ou de la présence des messages de M. Harrison sur le babillard électronique de Freedomsite.

a) M. Lemire était‑il au courant de l’existence des messages de M. Harrison?

[84] Aucune preuve démontre que M. Lemire a bel et bien vu les messages affichés par M. Harrison ou était vraiment au courant de leur existence avant de recevoir, en mars 2004, une copie de la plainte relative aux droits de la personne déposée par M. Warman. Celui‑ci a souligné que M. Lemire, entre 1999 et 2003, a affiché 212 messages sur le babillard électronique, dont 87 ont été affichés après que M. Harrison eut affiché ses premiers messages sur le babillard en mai 2002. Les messages de M. Lemire étaient affichés sous différents sujets, dans de nombreux forums du babillard électronique. De plus, ce n’est qu’au cours de 51 jours, sur les cinq ans d’existence du babillard électronique (1999-2003), que M. Lemire a affiché des messages.

[85] Toutefois, la preuve révèle également que M. Lemire n’a affiché aucun message dans l’un ou l’autre des fils de discussion dans lesquels M. Harrison avait déjà affiché des messages. M. Harrison a affiché des messages dans deux fils de discussion dans lesquels M. Lemire avait déjà affiché un message, mais, dans le premier cas, M. Harrison a affiché son message trois ans après M. Lemire et, dans l’autre cas, un an après.

[86] En fait, il n’était pas inhabituel que M. Harrison affiche des messages dans des fils de discussion où il n’y avait pas eu d’activité depuis un certain temps (communément appelés fils morts). Les pièces déposées par la Commission comprenaient habituellement des copies papier des messages de M. Harrison seulement, mais dans six des sept extraits où l’historique du fil de discussion est visible, les messages de M. Harrison ont été affichés dans une période de temps allant de quatre mois à trois ans après l’affichage du message précédent. Toutes les copies papier des messages soumises en preuve comprennent, au haut, un chiffre indiquant le nombre total de messages figurant dans le fil de discussion ainsi que le classement, dans la liste, du message en question. Douze des treize messages affichés par M. Harrison figuraient en deuxième parmi les deux seuls messages affichés dans le fil de discussion. Personne d’autre n’a affiché de message dans ces fils de discussion après que M. Harrison eut affiché ses messages. L’absence d’activité dans ces fils de discussion, si on fait abstraction des messages affichés par M. Harrison, donne à penser que les fils de discussion n’intéressaient pas les autres utilisateurs du babillard électronique, comme M. Lemire, et que, par conséquent, seulement un petit nombre d’utilisateurs ont vu les messages affichés par M. Harrison.

[87] Une copie de la table des matières du babillard électronique, qui a été imprimée le 11 novembre 2003, révèle que, à cette date, 20 forums étaient offerts dans le babillard électronique et que celui‑ci contenait au moins 3 162 messages. Le nombre exact de fils de discussion figurant dans les 20 forums n’a pas été produit en preuve, mais un tableau produit par la Commission révèle que 212 messages affichés par M. Lemire sur le babillard électronique entre 1999 et 2003 étaient répartis sur 198 fils de discussion différents. M. Harrison a affiché en tout 71 messages dans 69 fils de discussion différents. Comme je viens de le mentionner, seulement deux des messages de M. Harrison ont été affichés dans l’un ou l’autre des 198 fils de discussion auxquels M. Lemire avait déjà participé. Les extraits tirés du babillard électronique produits en preuve donnent à penser que les fils de discussion sont habituellement courts. Comme je l’ai déjà mentionné, plusieurs fils de discussion ne contenaient que deux messages et tous les fils produits en preuve (y compris les fils de discussion dans lesquels M. Harrison n’a affiché aucun message), sauf deux, contenaient en tout huit messages ou moins.

[88] Le site Web Freedomsite (c’est‑à‑dire la combinaison de l’ensemble des 16 sections, y compris le babillard électronique) semble d’envergure. La Commission a produit la page d’accueil de la section historique du site Web qui a été imprimée le 28 janvier 2007. La page d’accueil mentionne que, en date du 17 décembre 2000, 3 ans avant le dépôt de la plainte, le site Web Freedomsite contenait déjà 435 mégaoctets de documents en ligne consistant en 2 031 pages Web, 2 005 symboles graphiques et 143 fichiers audio et vidéo.

[89] M. Warman prétend que, compte tenu des sujets du babillard électronique sous lesquels M. Lemire a affiché des messages, on peut présumer que celui‑ci était au courant de la présence des prétendus messages haineux affichés par M. Harrison et d’autres personnes sur le babillard électronique. Il s’agit notamment des messages suivants : Does the Canadian Jewish Congress understand democracy? (Le Congrès juif canadien comprend‑t‑il la démocracie), Origin of SARS – Chinese eating cats (L’origine du SRAS – les Chinois qui mangent des chats), Anti‑racism is a form of mental illness (La lutte contre le racisme est une forme de maladie mentale), Immigration can kill you (L’immigration peut vous tuer), The Asian invasion (L’invasion asiatique) et Question about the holohoax (Question concernant l’holofraude). Toutefois, la seule preuve que M. Lemire a affiché des messages dans ces fils de discussion consiste en un index qui énumère tous les fils de discussion auxquels M. Lemire a participé. M. Warman n’a pas produit les messages que M. Lemire a affichés dans ces fils de discussion. M. Warman a affirmé dans son témoignage qu’il n’a pas lu tous les messages de M. Lemire, mais qu’il a lu le message que M. Lemire a affiché dans le fil de discussion Immigration can kill you (L’immigration peut vous tuer). M. Warman n’a cependant pas prétendu que le message était discriminatoire ou qu’il violait l’article 13 et il n’a pas non plus choisi de le déposer en preuve.

[90] Quelle conclusion M. Warman me demande‑t‑il donc de tirer? Ni lui, ni la Commission ne m’a demandé de conclure que ces titres de sujet constituent des messages haineux au sens de l’article 13. Ce n’est pas parce qu’une personne affiche un message dans un fil de discussion portant un titre dont on peut dire qu’il est provocateur que nous devons présumer que la personne a lu les 3 000 quelques autres messages qui figurent sur la babillard électronique. Même si ces titres de fil de discussion sont, comme l’a affirmé M. Warman dans son témoignage, problématiques, pour autant que nous sachions, les messages affichés par M. Lemire dans ces fils de discussion ne violaient pas l’article 13.

[91] Dans les circonstances, je ne vois pas en quoi les éléments de preuve susmentionnés me permettent de conclure que M. Lemire était au courant de l’existence des messages affichés par M. Harrison, même prima facie.

b) Est‑il nécessaire que M. Lemire ait été au courant de l’existence des messages affichés par M. Harrison pour qu’il puisse être conclu qu’il les a fait transmettre au sens de l’article 13?

[92] M. Warman et la Commission prétendent que les mots fait transmettre élargissent la portée de l’article 13 aux personnes autres que celles qui accomplissent les actes exigés pour transmettre les documents (comme taper un message à la machine et cliquer sur un icône figurant sur un écran d’ordinateur afin d’envoyer le message sur un babillard électronique où il peut être lus par d’autres personnes). Ils prétendent, notamment, que la participation de M. Lemire à la création et à l’exploitation du site Web Freedomsite et de son babillard électronique ont pour conséquence qu’il a fait transmettre les messages de M. Harrison en lui fournissant le véhicule grâce auquel il les a transmis. Comme M. Lemire exerçait le contrôle administratif du site Web, ils prétendent qu’il est implicite qu’il a fait transmettre les messages, peu importe qu’il fut oui ou non au courant de la présence des documents sur le site Web.

[93] M. Lemire rétorque que pour conclure qu’un intimé a fait transmettre un message haineux, celui‑ci doit être au courant de l’existence du message qui est transmis et doit consentir à sa transmission. M. Lemire souligne que lorsque l’article 13 a été adopté en 1978, dans le cadre de la Loi, le principal moyen qui servait à transmettre les messages haineux et qui était visé par l’article 13 était les services de messagerie téléphoniques, comme celui dont il est question dans l’arrêt Taylor. Dans cette affaire, n’importe quel membre du public pouvait composer le numéro de téléphone du service et écouter des messages préenregistrés par l’intimé, John Ross Taylor, le chef reconnu du Western Guard Party (Smith, précitée, à la page 2).

[94] Le Tribunal qui a entendu la cause de M. Taylor a conclu que les méthodes adoptées par les intimés pour transmettre leurs messages étaient particulièrement insidieuses parce que, même s’il s’agissait d’un moyen de communication public, celui‑ci donnait à l’auditeur l’impression d’un contact direct, personnel, presque privé avec le locuteur, qui ne fournissait aucun moyen réaliste de contester les renseignements ou les opinions. Les messages ne pouvaient être soumis à aucun contre‑argument dans le contexte particulier de ces communications.

[95] La Cour suprême, dans l’arrêt Taylor, à la page 938, a souscrit aux commentaires formulés par le Tribunal lorsque celui‑ci a tranché si le paragraphe 13(1) constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression au sens de l’article premier de la Charte. La Cour a déclaré que, selon elle, les commentaires du Tribunal étaient utiles pour réfuter la prétention que la nature privée des conversations téléphoniques rendait particulièrement difficile l’imposition de restrictions valides du point de vue constitutionnel à l’activité d’expression au téléphone. La Cour a conclu que ceux qui transmettent de façon répétée des messages susceptibles d’exposer d’autres personnes à la haine ou au mépris pour des motifs de race ou de religion cherchent à faire adhérer des gens à leur point de vue. La Cour a ensuite déclaré, à la page 939, que, en insistant sur la répétition des messages téléphoniques, le paragraphe 13(1) vise la dissémination publique et de grande envergure de la propagande haineuse, soit le type même d’utilisation du téléphone qui menace le plus la réalisation de l’objet de la Loi.

[96] M. Lemire prétend donc que si, pour conclure qu’un intimé a commis un acte discriminatoire au sens de l’article 13, il faut démontrer que des messages ont été transmis de façon répétée dans le contexte d’une dissémination publique et de grande envergure de propagande haineuse, alors, les plaignants ou la Commission doivent démonter, à tout le moins, que les intimés sont au courant de l’existence des messages qui constituent le fondement des allégations d’acte discriminatoire formulées à leur sujet. Comment une personne qui n’est pas au courant de l’existence d’un message peut‑elle être tenue responsable de sa transmission? Dans le contexte du système de répondeur téléphonique utilisé par les intimés dans l’affaire Taylor, il ne faisait aucun doute que la transmission des messages comprenait la connaissance de la teneur des messages transmis et le consentement à cette teneur

[97] La Commission et M. Warman prétendent qu’il importe peu que M. Lemire ait été au courant ou non de l’existence des messages affichés par M. Harrison car M. Lemire aurait dû savoir que, de par sa nature, le Freedomsite attirerait sur son babillard électronique des commentaires qui sont quasiment susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris en raison de leur race, de leur origine nationale ou ethnique ou de leur religion. Le babillard électronique, selon M. Warman, [Traduction] faisait partie intégrale du principal véhicule utilisé par M. Lemire pour héberger des documents émanant du mouvement pour la suprématie blanche et du mouvement néonazi, c’est‑à‑dire son Freedomsite. M. Warman ajoute que ce site Web n’a pas été créé [Traduction] pour discuter de chiots ou de bicyclettes. À ce titre, M. Lemire a fait transmettre les messages de M. Harrison.

[98] Des copies papier de la boutique en ligne du site Web Freedomsite ont été déposées en preuve. Les articles en vente dans la boutique comprenaient des livres portant des titres comme My Awakening : A Path to Racial Understanding (Mon éveil : comment j’ai pu finalement comprendre les autres races, écrit par David Duke, un ancien dirigeant du Klu Klux Klan, ainsi que des livres écrits par Ernst Zündel. Toutefois, le contenu de ces livres ne pouvait pas être visionné sur le site Web et il n’a donc pas été déposé en preuve. De nombreux articles relatifs au Heritage Front (que M. Warman a décrit comme étant un groupe néonazi) étaient également offerts en vente. Des boutons liens qui amènent le lecteur vers le site Web du Heritage Front figurent ailleurs sur le site Web. La description qui figure à côté du bouton lien mentionne que le Heritage Front est l’organisme raciste le plus important au Canada et qu’il a comme mandat de [Traduction] protéger notre héritage – sans ménagement, de manière pro‑blanche et de manière positive. Des photos de David Duke et d’Ernst Zündel ainsi que des documents relatifs au Heritage Front figurent sur le site.

[99] La liste des articles qui figurent dans la section Controversial Columnists (chroniqueurs controversés) du site Web comprend un document intitulé Sikh power triumphs in B.C. race (Élections en C.‑B. : Le pouvoir sikh l’emporte haut la main) et un autre document intitulé An Eye for an Eye (Jewish revenge on Germans) (Œil pour œil (Les Juifs prennent leur revanche sur les Allemands)). La section Text Library (bibliothèque de textes) du site Web comprend des articles portant des titres comme Universities are outbidding each other for their share of blacks to meet government RACE QUOTAS (Les universités se livrent à des enchères afin d’obtenir leur pourcentage de Noirs exigé dans le cadre des QUOTAS RACIAUX fixés par le gouvernement) ainsi qu’un autre article concernant David Duke. Dans la section Picture Library (photothèque) figure un document qui porte le titre Schindler’s List exposed as a FICTIONAL ACCOUNT (…) Only when it comes to the Holocaust (tm) can things become FACT by mere repetition (La Liste de Schindler : un RÉCIT FICTIF (…) Ce n’est que lorsqu’il est question de l’Holocauste (md) que les choses peuvent devenir des FAITS par la simple répétition). Le contenu de ces articles n’a toutefois pas été déposé en preuve.

[100] L’index du site Web Freedomsite renvoie également au titre d’un article intitulé Scott Brokie – Christian Victim of Militant Homosexual Lobby and their Human Rights Commission Allies (Scott Brokie – un chrétien victime du lobby extrémiste homosexuel et de son alliée, la Commission des droits de la personne). Un autre article parle ainsi du conseiller juridique de l’une des parties intéressées dans la présente instance : Kurz of B’nai Brith wants calling Jews parasites and swindlers illegal (Kurz du B’nai Brith veut faire déclarer illégaux les propos traitant les Juifs de parasites et de fraudeurs). Ces articles n’ont pas non plus été déposés en preuve.

Voici les titres d’autres articles qui figurent sur le site susmentionné :

  • Asian illegals flooding West Coast (Une vague d’immigrants illégaux asiatiques déferle sur la côte Ouest)
  • Karrachi? Kabul? No George Hees’ old riding – East End Toronto (Karrachi? Kabul? Non, c’est le bon vieux compté de George Hees – Toronto‑Est).
  • The Myths of Immigration (There are no differences between the races) (Les mythes en matière d’immigration (il n’y aucune différence entre les races)).
  • Immigration can kill you – the health effects of Canada’s mass immigration policy (L’immigration peut vous tuer – les effets sur la santé de la politique du Canada en matière d’immigration massive) (Ce dernier article a été déposé en preuve et il fait l’objet d’une discussion plus loin dans la présente décision).

[101] Par conséquent, la Commission et M. Warman affirment que M. Lemire a commis un acte discriminatoire au sens de l’article 13 (c’est‑à‑dire qu’il a fait transmettre des messages haineux) parce qu’il a créé un site Web qui, par nature, incite les autres personnes, comme M. Harrison, à commettre des actes discriminatoires en affichant des messages susceptibles de constituer des messages haineux sur le babillard électronique du site Web. Les mots fait transmettre équivalent‑ils au mot incitation? Il est une fois de plus utile de lire le paragraphe 13(1) dans le contexte de la disposition de la Loi qui le précède immédiatement. Dans l’article 12, dont le libellé figure à nouveau ci‑dessous, le législateur a utilisé des mots très clairs pour proscrire les actes qui incitent les autres à la discrimination :

Divulgation de faits discriminatoires, etc.

12. Constitue un acte discriminatoire le fait de publier ou d’exposer en public, ou de faire publier ou exposer en public des affiches, des écriteaux, des insignes, des emblèmes, des symboles ou autres représentations qui, selon le cas :

a) expriment ou suggèrent des actes discriminatoires au sens des articles 5 à 11 ou de l’article 14 ou des intentions de commettre de tels actes;

b) en encouragent ou visent à en encourager l’accomplissement.

Publication of discriminatory notices, etc.

12. It is a discriminatory practice to publish or display before the public or to cause to be published or displayed before the public any notice, sign, symbol, emblem or other representation that

(a) expresses or implies discrimination or an intention to discriminate, or

(b) incites or is calculated to incite others to discriminate

if the discrimination expressed or implied, intended to be expressed or implied or incited or calculated to be incited would otherwise, if engaged in, be a discriminatory practice described in any of sections 5 to 11 or in section 14.

[102] L’utilisation explicite, à l’article 12, du mot encouragent révèle que le législateur voulait véritablement interdire les comportements qui encouragent ou incitent l’accomplissement d’un acte discriminatoire. Bien que je sois conscient que l’article 12 a trait aux communications faites à l’aide d’un moyen différent de celui dont il est question à l’article 13, il est intéressant de constater que le législateur n’a pas interdit l’incitation à la transmission de messages haineux par Internet d’une manière aussi explicite.

[103] Si les mots faire utiliser n’englobent pas l’incitation à la transmission de messages haineux, à quoi servent‑ils? On trouve un exemple dans la décision Citron. Dans cette affaire, M. Zündel n’avait pas affiché ses écrits directement dans Internet. Il avait écrit ses articles à la main et les avait transmis par télécopieur à une femme en Californie qui les avait tapés grâce à un logiciel de traitement de texte, puis les avait affichés sur un site Web. Par conséquent, bien que M. Zündel n’ait pas directement transmis les messages par Internet, il les a fait transmettre en transmettant les documents à son assistante technique et en lui demandant de les afficher dans Internet. Il était parfaitement au courant de l’existence des messages et de leur teneur et il s’est employé résolument à les transmettre par les moyens prévus à l’article 13. Je souligne toutefois que dans la décision Citron, le Tribunal a également conclu que M. Zündel contrôlait le site Web, ce qui étaye davantage la conclusion du Tribunal qu’il a fait transmettre les documents.

[104] On trouve un autre exemple évident de comment une personne peut faire aborder des questions au sens de l’article 13 dans les faits de l’affaire Taylor. M. Taylor avait rédigé et enregistré des messages sur un répondeur téléphonique. Des cartes ont ensuite été distribuées publiquement et des annonces encourageant les gens à composer le numéro du répondeur téléphonique et à écouter les messages ont été placées dans des bottins téléphoniques. M. Taylor n’avait pas vraiment transmis les messages aux appelants en leur parlant directement au téléphone et il n’avait pas non plus composé leurs numéros de téléphone afin d’établir des communications téléphoniques. Il avait fait transmettre les messages aux appelants grâce à un répondeur téléphonique. Le point important est que les messages qu’il avait enregistrés avaient été composés par lui‑même, et que, de toute évidence, il était tout à fait au courant de leur existence. En l’espèce, comme je l’ai souligné à maintes reprises, il n’a pas été établi que M. Lemire était au courant de la teneur ni même de l’existence des messages affichés par M. Harrison.

[105] Les faits de l’espèce mettent également en cause l’affirmation selon laquelle le site Web de M. Lemire n’attire que les personnes qui sont susceptibles d’afficher des messages haineux. Il y a de nombreux exemples, dans les extraits du babillard électronique déposés par la Commission, de messages affichés dans lesquels les opinions et les commentaires de M. Harrison sont manifestement contestés. Un utilisateur du babillard électronique dit à M. Harrison qu’il est ignorant, un autre utilisateur le traite de pauvre type et se moque de lui en affirmant qu’il appartient au Klu Klux Klan. Un autre participant au babillard électronique affirme que M. Harrison est un adolescent immature alors qu’un autre participant le traite de débile et prétend que l’immigration asiatique a été bénéfique pour l’économie canadienne. Un participant a prévenu M. Harrison que ses commentaires pourraient lui attirer des démêlés avec la justice.

[106] La preuve indique même que des personnes particulièrement opposées à M. Lemire et à ses opinions ont affiché des messages hostiles sur le babillard électronique. Dans la liste des fils de discussion dans lesquels M. Lemire a affiché des messages, il y a avait un message intitulé [Traduction] Marc Lemire est gai, il aime sucer […]. Le contenu du fil de discussion n’a pas été déposé en preuve mais, comme l’a prétendu Mme Kulaszka, le ton du titre donne à penser qu’il visait à injurier M. Lemire.

[107] Par conséquent, bien que le site Web Freedomsite ait pu présenter un seul point de vue dans son contenu global, les participants au babillard électronique pouvaient vraisemblablement exprimer n’importe quelle opinion. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait aucune règle concernant l’affichage sur le babillard. Sur la page d’accueil, les utilisateurs étaient prévenus qu’ils devaient faire preuve de politesse dans leurs discussions et de ne préconiser ni ne proposer aucune activité illégale en vertu du droit canadien. Il a été souligné que cet avertissement ne mentionnait pas précisément que les utilisateurs ne devaient afficher aucun message haineux, mais, selon moi, cet argument est plus que futile. L’impression qu’aurait un utilisateur qui participe au babillard électronique serait qu’il ne doit pas contrevenir au droit canadien, ce qui comprend vraisemblablement la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le message mentionnait également que les personnes qui désiraient se plaindre de quelque chose ou qui désiraient signaler un problème n’avaient qu’à envoyer un courriel à l’administrateur du babillard électronique (c’est‑à‑dire M. Lemire).

[108] La Commission prétend que cette mesure était insuffisante. Elle prétend que les exploitants de babillards électroniques doivent voir à ce que leurs forums [Traduction] respectent la Loi. Mais cette exigence est‑elle prévue à l’article 13? Le législateur veut que les intermédiaires comme les exploitants de babillards électroniques puissent être tenus responsables en vertu du paragraphe 13(1) pour le simple fait de ne pas avoir pris des mesures visant à empêcher l’affichage de messages haineux. Je souligne que le paragraphe 13(3) tend à indiquer que ce n’était pas l’intention du législateur. La disposition mentionne qu’il ne peut pas être conclu que le propriétaire et exploitant d’une entreprise de télécommunication a transmis ou a fait transmettre des messages haineux du seul fait que des tiers ont utilisé ses installations pour transmettre des messages haineux. Ceci doit être interprété dans le contexte des technologies de communication qui étaient prédominantes lorsque la disposition est entrée en vigueur en 1977. À l’époque, la seule tierce partie qui a participé à la communication téléphonique d’un message qui peut raisonnablement affirmer qu’elle n’était pas au courant de la teneur du message aurait été, d’ordinaire, une société téléphonique ou une société de télécommunication comme Bell Canada. Le paragraphe 13(2) exclut spécifiquement les entreprises de radiodiffusion de l’application de la disposition.

[109] La technologie a beaucoup évolué depuis ce temps. Les télécommunications par Internet voyagent par différents types de moyen de transmission. Les utilisateurs peuvent se brancher à Internet par téléphone, par câble, par réseau cellulaire, par satellite, etc. Alors que dans le passé, la personne qui recevait un message le recevait vraisemblablement par le même type de moyen de transmission que celui par lequel il avait été envoyé (c’est‑à‑dire par transmission vocale effectuée par un service téléphonique fourni par une société téléphonique tierce), les messages envoyés par Internet peuvent être transmis et reçus de différentes façons (en échangeant des courriels et des messages instantanés, en visionnant des sites Web Internet et des carnets Web, en participant à des services de réseautage social, et, évidemment, en affichant sur des babillards, pour ne nommer que ces moyens). Tout comme les sociétés téléphoniques s’occupaient, par le passé, de la transmission des prétendus messages haineux à titre d’intermédiaires qui fournissaient des services de télécommunication au public, plusieurs de ces services sont aujourd’hui fournis par un nouveau groupe d’intermédiaires (des fournisseurs d’accès Internet, des services de courriel, y compris ceux qui sont exploités par des organismes comme MSN (hotmail), Yahoo (Yahoo mail), ou Google (gmail), des sites Web comme Facebook, Twitter, etc.). Ces entités devraient‑elles être tenues responsables en vertu de l’article 13 des messages transmis dans le cadre de leurs activités? Logiquement, elles devraient jouir de la même protection que celle qui est accordée par le paragraphe 13(3) et qui, initialement, semblait ne s’appliquer qu’aux entreprises comme les sociétés téléphoniques ou les sociétés de télégraphe.

[110] Je n’ai pas, dans le cadre de la présente enquête, évidemment, à déterminer si l’ensemble des diverses formes de communication qui existent aujourd’hui constituent des entreprise[s] de télécommunication au sens du paragraphe 13(3), mais, selon moi, la présence du paragraphe 13(3) précise le paragraphe 13(1) pour ce qui est de déterminer si M. Lemire, à titre d’exploitant de babillard électronique, a fait transmettre les messages de M. Harrison.

[111] La Commission a prétendu que cette interprétation fournirait un billet gratuit aux personnes qui cherchent à transmettre des messages haineux, mais qui, dans le but de se dégager de toute responsabilité en vertu de l’article 13, créeraient des babillards électroniques afin de faire transmettre des messages haineux. Selon moi, cette inquiétude est injustifiée car elle peut‑être facilement dissipées par d’autres moyens. L’objectif sous‑jacent visé par le paragraphe 13(3) est que les entreprises de télécommunication ne devraient pas être tenues responsables quant à la transmission, par l’entremise de leurs installations, de messages discriminatoires par des tiers et dont elles ne connaissent pas l’existence. Si un plaignant ou la Commission soupçonne qu’une entreprise de communication permet sciemment que ces messages soient transmis, alors la complicité de l’entreprise peut être établie tout simplement en l’informant de l’existence des messages problématiques et en examinant ses réactions. Si l’entreprise de communication continue de permettre la transmission des messages, alors on pourrait prétendre que l’entreprise n’ignore plus l’existence des prétendus messages haineux et que, malgré cela, elle continue de permettre leur transmission. On ne pourrait plus prétendre que l’entreprise transmet le message pour la seule raison qu’une autre personne se servait de ses installations. La communication se produit actuellement avec la connaissance et, par conséquent, avec le consentement tacite de l’entreprise.

[112] Cette façon de voir les choses est quelque peu semblable à l’obligation de notification prévue dans le droit en matière de diffamation. En Ontario, par exemple, la Loi sur la diffamation, L.R.O. 1990, ch. L.12 (la LD), prévoit que nulle action découlant d’un libelle diffamatoire imprimé dans un journal, ou radiodiffusé ou télédiffusé n’est recevable à moins que le demandeur, dans les six semaines après que le fait diffamatoire allégué a été porté à sa connaissance, n’ait donné au défendeur un avis écrit précisant le fait diffamatoire dont il se plaint (article 5). Dans un certain nombre de décisions récentes, concernant par coïncidences M. Warman, il a été affirmé que la portée de la LD ne s’étend aux communications par Internet (Warman c. Grosvenor (2008), 92 O.R. (3d) 663 (J.C.S.); Warman c. Fromm, [2007] O.J. no 4754 (J.C.S.)(Q.L.)), mais le principe sous‑jacent à l’obligation de notification est utile dans le cas de la présente discussion. Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a souligné dans l’arrêt Grosman c. CFTO T.V. Ltd. (1982), 39 O.R. (2d) 498, le but de la notification est de porter les prétendus propos diffamatoires à l’attention des diffuseurs. Ceux‑ci peuvent ensuite faire enquête et ils peuvent, s’ils l’estiment opportun, publier une correction, une rétractation ou des excuses qui pourront permettre une réduction des dommages‑intérêts payables. Le plaignant peut également retirer un avantage d’une correction, d’une rétractation ou d’excuses présentées en temps opportun, ce qui constitue souvent une meilleure réparation que des dommages‑intérêts.

[113] Les exploitants d’un babillard électronique peuvent, dans un certain sens, être comparés à des éditeurs. Tout comme les écrivains ou les rédacteurs peuvent composer et publier des documents dans une publication sans que l’éditeur soit nécessairement au courant du contenu, un utilisateur de babillard électronique peut afficher un message sans que l’exploitant du babillard en ait connaissance. En effet, il se peut qu’il y ait plus de chance que l’exploitant d’un babillard électronique ne soit pas au courant des messages affichés par des utilisateurs inconnus se servant de pseudonymes qu’un éditeur dont les écrivains et les rédacteurs sont susceptibles d’être ses employés.

[114] Les objectifs mentionnés dans Grossman trouvent écho en matière de droits de la personne. La Loi est de nature réparatrice. La Cour suprême, dans l’arrêt Taylor, a souligné que le but et le rôle de l’article 13 sont de prévenir les effets discriminatoires de la propagande haineuse plutôt que de punir et de stigmatiser les personnes qui pratiquent la discrimination (à la page 933). La Cour a souligné que la nature conciliatoire de la procédure dans le domaine des droits de la personne ainsi que l’absence de sanctions criminelles font que le paragraphe 13(1) est particulièrement bien conçu pour encourager le diffuseur de propagande haineuse à s’amender. Aviser dûment les exploitants de babillards électroniques de la présence de messages haineux sur leurs babillards serait donc une façon productive d’empêcher la dissémination de la propagande haineuse. Le préjudice potentiel qui peut être causé par la propagande prendrait fin plus tôt si les messages Web étaient retirés rapidement.

[115] En l’espèce, M. Warman n’a pas prévenu le webmestre de Freedomsite (M. Lemire) de la présence des messages de M. Harrison sur le babillard électronique. En fait, M. Warman a affirmé dans son témoignage qu’il avait surveillé le site Web Freedomsite (notamment les messages de M. Harrison) depuis au moins décembre 2002 (c’est‑à‑dire 11 mois avant le dépôt des plaintes) mais il n’a fait aucun effort pour communiquer avec M. Lemire afin de se plaindre de la présence des messages et de demander qu’ils soient retirés. M. Warman affirme que, selon lui, une telle tentative ne serait pas productive. Mais, l’objectif visé par le législateur en adoptant l’article 13, comme l’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt Taylor à la page 924, est de diminuer la propagande haineuse. Cet objectif aurait pu facilement être atteint par l’envoi d’un avis à l’exploitant du babillard électronique de Freedomsite. Cette action aurait pu aboutir au retrait des messages haineux. Aucun avis n’a été donné. En fin de compte, M. Lemire a de toute façon retiré son babillard électronique et a retiré les autres documents figurant dans Freedomsite qui ont été mentionnés dans la plainte.

[116] La Commission a prétendu que, afin de se conformer à la Loi, M. Lemire (ainsi que les autres exploitants de babillard électronique) doit faire davantage que tout simplement faire part aux utilisateurs des politiques du babillard électronique en matière d’utilisation et afficher un lien pouvant être utilisé pour la dénonciation d’abus. Le Tribunal, dans la décision Guille, a mentionné, au paragraphe 123, qu’un exploitant de site Web peut mettre en place sur son site des contrôles qui empêchent la transmission de messages haineux. Le Tribunal n’a pas précisé en quoi pourraient consister ces contrôles. Certains témoins en l’espèce ont fait allusion à deux sortes de filtres, ceux qu’un exploitant de babillard électronique mettrait en place et ceux qui seraient installés par les utilisateurs d’Internet sur leurs propres ordinateurs.

[117] La preuve relative aux filtres de babillard électronique est trop faible pour que je puisse tirer des conclusions déterminantes quant à leur efficacité. Toutefois, certains éléments de preuve indiquent que ces filtres comportent certaines lacunes.

[118] Par exemple, certains éléments de preuve démontrent que des filtres, installés sur des babillards électroniques, qui empêchent l’affichage de messages contenant certains mots clés peuvent malheureusement éliminer des messages qui ne sont aucunement susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris. Un extrait d’un article paru dans le National Post en 2004 qui mentionnait que des filtres appliqués au babillard électronique de la CBC avaient créé un problème inattendu a été déposé en preuve. La CBC aurait filtré des messages contenant les mots Juif, juif et Israël, après qu’un certain nombre de messages antisémites eurent été affichés sur le babillard. Par conséquent, le système d’autofiltration de la CBC a empêché l’affichage de messages qui étaient positifs à l’endroit d’Israël et qui n’étaient aucunement antisémites, tout simplement parce qu’ils contenaient l’un des mots susmentionnés. Dans l’intervalle, le système a permis l’affichage d’autres messages qui contenaient des mots qui, utilisés d’une certaine façon, pouvaient être manifestement désobligeants. Le mot frogs (grenouilles), par exemple, qui est utilisé pour décrire les Canadiens français. On n’a présenté aucun élément de preuve expliquant comment la CBC a éventuellement réglé ce problème.

[119] L’autre sorte de filtre est installée par les utilisateurs d’Internet eux‑mêmes. Il consiste en un logiciel de sécurité Internet, comme Cyberpatrol et NetNanny, qui comprend des listes mises à jour de sites Web dans lesquelles figurent des éléments néfastes. Le logiciel empêche l’ordinateur de l’utilisateur d’accéder à ces sites Web. Sur l’une des pages Web de Freedomsite figure un avertissement selon lequel plusieurs sociétés de logiciel de sécurité surveillent volontairement le site Web. L’avis mentionne que bien que le site Web ne s’estime pas obscène, il a participé à cette patrouille afin de [Traduction] protéger la liberté d’expression sur Internet. M. Klatt a affirmé dans son témoignage que cela signifiait que ces sociétés de logiciel avaient examiné l’ensemble du contenu de Freedomsite.org et l’avaient ajouté à une ou plusieurs des catégories de site Web que les produits de ces sociétés insèrent dans une liste de blocage. Par exemple, les parents qui utilisent ces logiciels de sécurité ont la possibilité de bloquer le site Web Freedomsite ou les catégories sous lesquels il a été inséré.

[120] Le procureur général a appelé M. Alexander Tsesis à témoigner à titre d’expert en histoire du droit afin de discuter des effets à long terme des messages haineux et d’appliquer son analyse à Internet. Il a affirmé dans son témoignage que ces types de filtres utilisateurs commerciaux [Traduction] ne permettent pas de bloquer adéquatement le sectarisme parce qu’ils [Traduction] ratissent trop large. Par exemple, lorsque le logiciel de America On‑Line (AOL) tentait d’empêcher des gens d’accéder aux sites Web contenant le mot sein dans le but d’interdire l’accès aux sites Web pornographiques, il bloquait également les sites contenant de l’information sur le cancer du sein. L’utilisation de blocs de mots semblables concernant la propagande haineuse pourrait également empêcher les chercheurs d’accéder à des renseignements historiques et sociologiques essentiels sur Internet. Des étudiants pourraient ne pas avoir accès à des sites qui ne visent pas à dégrader ou à causer du tort mais qui contiennent des termes péjoratifs. Je souligne que la majorité des décisions du Tribunal portant sur des plaintes déposées en vertu de l’article 13 font mention d’un certain nombre des documents en litige. L’accès au site Web du Tribunal, où ses décisions sont affichées, pourrait également être refusé par des filtres utilisateurs.

[121] On a également abordé, dans la preuve, la question de la surveillance des babillards électroniques. Pour qu’une telle mesure puisse permettre d’empêcher l’affichage de messages haineux, il faudrait que les exploitants de babillards électroniques surveillent chaque message affiché en tout temps, par les utilisateurs, 24 heures par jour, et prendre des décisions immédiates quant à savoir si les messages respectent l’article 13. Mme Karen Mock, que la Commission a appelée à témoigner comme expert quant à la présence de la haine sur Internet, a déclaré que, en ce qui concerne certaines blagues affichées sur le Web, on peut devoir recourir à l’opinion d’un expert pour déterminer si celles‑ci dépassent les limites et deviennent susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris. Comme M. Klatt l’a souligné, une surveillance 24 heures sur 24 (par une personne qui possède les compétences pour prendre de telles décisions) est une solution envisageable pour un organisme d’envergure, mais les ressources exigées pour fournir un tel service imposeraient un fardeau trop lourd aux innombrables organismes moins importants qui exploitent des forums Web au Canada.

[122] En l’espèce, M. Lemire exerçait une forme de contrôle sur son babillard électronique. Il informait explicitement les utilisateurs du babillard électronique quant aux règles du site Web en matière de conduite admissible et a établi un système de dénonciation très simple qui permettait aux invités et aux utilisateurs de dénoncer toute transgression. Cela, selon moi, constituait un contrôle raisonnable. Par conséquent, s’il était prouvé que M. Lemire n’a pas tenu compte de dénonciations de messages mal inspirés contenant des documents susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris au sens de l’article 13, on aurait pu conclure qu’il a fait transmette des messages dont il connaissait pleinement l’existence. Toutefois, rien ne prouve que M. Lemire a reçu des plaintes à propos des messages de M. Harrison (de la part de M. Warman ou de la part de quelqu’un d’autre), encore moins qu’il a refusé de s’occuper du problème.

c) Quelle est l’incidence des autres décisions du Tribunal en matière de responsabilité des administrateurs de sites Web ?

[123] La Commission souligne que le Tribunal, dans plusieurs de ses décisions, a tenu des administrateurs de sites Web responsables en vertu de l’article 13 quant à la présence de messages haineux dans leurs sites Web. Je conclus, toutefois, que les faits dans ces affaires sont différents des faits en l’espèce, et même si ces différences ne sont pas importantes, je n’estime pas que je suis lié par les conclusions du Tribunal, compte tenu notamment de la preuve et des arguments formulés en l’espèce (voir également Jam Industries Ltd. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2007 CAF 210, aux paragraphes 20 et 21).

[124] L’une des décisions mentionnées par la Commission est Kulbashian, précitée, que j’ai rendue en 2006. Toutefois, dans cette décision, il n’était pas question de babillard électronique, comme c’est le cas en l’espèce, mais plutôt de nombreux sites Web à l’égard desquels il avait été conclu qu’ils contenaient des messages haineux. J’ai conclu que ces sites Web étaient exploités par un certain nombre de groupes et qu’ils étaient hébergés par une société dirigée par l’un des intimés. Celui‑ci était membre actif d’au moins l’un de ces groupes. Il a écrit des articles pour son site Web et lui a servi de rédacteur. Il a participé à la création de ces sites Web grâce à sa société d’hébergement de sites Web. J’ai donc conclu que cette participation démontrait qu’il connaissait l’existence des documents affichés. On ne dispose en l’espèce d’aucune preuve semblable quant aux messages de M. Lemire et de M. Harrison.

[125] Les documents en litige dans Warman c. Wilkinson, 2007 TCDP 27 (une autre décision que j’ai rendue) étaient des messages affichés sur un babillard électronique intitulé The Canadian Nazi Party Forum (Le forum du parti nazi canadien). J’ai conclu que M. Wilkinson était l’administrateur du forum et qu’il avait fait transmettre, au sens de l’article 13, les messages en litige dans cette affaire. Toutefois, j’ai conclu que M. Wilkinson avait affiché plusieurs des messages haineux en litige dans cette affaire et qu’il avait participé aux groupes de discussion dans le cadre desquels d’autres personnes avaient déjà affiché des messages haineux. J’ai conclu qu’il avait dû lire tous les messages en litige, mais qu’il n’avait fait aucun effort pour les retirer. Par contre, rien ne prouve que M. Lemire a affiché l’un ou l’autre des messages de M. Harrison, ni qu’il a participé à l’un ou l’autre des fils conducteurs après que les messages de ce dernier furent affichés. Il convient de souligner que M. Wilkinson ne s’est pas présenté à l’audience et que, en conséquence, la décision a été rendue uniquement en fonction de la preuve et des arguments soumis par la Commission et M. Warman.

[126] Dans la récente décision Warman c. Ouwendyk, 2009 TCDP 10, les documents en litige consistaient principalement en des messages affichés sur le babillard électronique figurant dans le site Web d’un groupe appelé Northern Alliance. L’intimé était membre et porte‑parole du groupe ainsi que webmestre et administrateur du site Web. Le Tribunal a conclu qu’il avait transmis ou fait transmettre les messages en litige. Toutefois, le Tribunal a souligné que la preuve démontrait clairement qu’il avait affiché lui‑même certains des documents en litige. Par contre, rien ne prouve que M. Lemire a affiché l’un ou l’autre des messages de M. Harrison.

[127] Dans Warman c. Western Canada for Us, 2006 TCDP 52 (Western Canada for Us), il y avait deux cointimés, Glenn Bahr et Western Canada for Us (le WCFU). Le Tribunal a conclu que le WCFU était un groupe de personnes agissant d’un commun accord au sens de l’article 13. M. Bahr était le leader et le fondateur du groupe. Les documents en litige dans cette affaire étaient des textes extraits d’un certain nombre de livres et qui pouvaient être consultés sur le site Web du WCFU ainsi que certains messages qui avaient été affichés sur le babillard électronique du site Web. Tous les messages, sauf deux, qui sont mentionnés dans la décision ont été écrits par M. Bahr. Le Tribunal a conclu que les documents constituaient des messages haineux au sens de l’article 13. Le Tribunal a également conclu que le WCFU s’occupait de transmettre ou de faire transmettre les documents en litige affichés sur le babillard électronique. Le Tribunal a affirmé que le site avait été manifestement conçu dans le but de susciter des discussions susceptibles d’être de nature haineuse. Les messages haineux étaient un résultat possible ou inévitable. Le Tribunal a décidé que le comportement du WCFU à titre de propriétaire ou d’exploitant de services de télécommunication n’avait pas [Traduction] un caractère anodin et que, par conséquent, la défense figurant au paragraphe 13(3) ne s’appliquait pas.

[128] Cette affaire peut être distinguée de la présente espèce. M. Bahr semble avoir été l’esprit dirigeant derrière les activités du WCFU. Les messages de haine dans cette affaire, sauf dans deux cas particuliers, ont été placés sur Internet par M. Bahr. Par conséquent, il ne faisait aucun doute que le WCFU et M. Bahr étaient au courant de l’existence des messages dans le site Web. Comme je l’ai déjà mentionné, la même conclusion ne peut pas être tirée en ce qui concerne M. Lemire.

[129] Dans Warman c. Canadian Heritage Alliance, 2008 TCDP 40, la cointimée, Melissa Guille, était l’administratrice du site Web en litige. Les documents en litige dans cette affaire consistaient en des articles qu’elle avait téléchargés sur le site Web ainsi qu’en des messages affichés sur le babillard électronique par des personnes autres que Mme Guille. Le Tribunal l’a tenue responsable, à titre d’administratrice du site Web sur lequel elle avait pleine autorité, quant à l’affichage des documents.

[130] Je souligne toutefois que, contrairement au cas de M. Lemire et Freedomsite.org, Mme Guille avait affiché des messages dans des fils de discussion où figuraient certains des documents en litige. Ses messages ont été ajoutés après que les documents en litige eurent été affichés. Mme Guille avait également révisé certains des articles que d’autres personnes avait écrits et qu’elle avait affichés dans le site Web. De ce fait, le Tribunal a apparemment conclu qu’elle était au courant de l’existence des documents en litige qui figuraient dans le site Web. Par contre, rien ne prouve que M. Lemire a ultérieurement affiché des messages dans l’un ou l’autre des fils de discussion dans lesquels M. Harrison avait affiché ses messages.

[131] Donc, selon moi, les conclusions tirées dans ces affaires concernant la responsabilité des administrateurs de babillards électroniques ne sont pas particulièrement utiles en l’espèce.

d) La responsabilité des utilisateurs de babillards électroniques peut‑elle être attribuée aux administrateurs de babillards électroniques à titre de responsabilité du fait d’autrui ?

[132] Dans ses observations finales, l’avocat de la Commission a attiré l’attention du Tribunal sur la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84. Cette affaire portait sur une plainte déposée par une employée contre son employeur dans laquelle elle prétendait que son surveillant l’avait harcelée sexuellement. La seule question dont la Cour était saisie était de savoir si les actes du surveillant pouvaient être imputés à l’employeur. L’affaire s’est produite avant qu’une disposition précise concernant le harcèlement (article 14) et la disposition prévoyant que les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés avoir été commis par l’employeur (article 65) ne soient introduites dans la Loi.

[133] La Cour a conclu que la Loi vise l’imposition de la responsabilité sur les employeurs quant à tous les actes commis par leurs employés dans le cadre de [leur] emploi (un renvoi au libellé de l’article 7 de la Loi). La Cour a souligné que les objectifs réparateurs de la Loi perdraient toute leur valeur si les redressements qu’elle prévoit ne pouvaient pas être obtenus contre l’employeur.

[134] La Commission semble prétendre qu’une conclusion semblable peut être tirée quant aux actes commis par les administrateurs de babillards électroniques qui devraient exercer leurs activités en conformité avec la loi et qui devraient retirer les messages haineux qui se retrouvent par inadvertance sur les babillards électroniques. La Commission prétend que les administrateurs de babillards électroniques sont tenus d’empêcher que des messages haineux soient affichés par des tiers sur leurs babillards électroniques.

[135] Toutefois, cette obligation ne ressort pas de manière évidente de la Loi, dans sa version actuelle. Comme je l’ai déjà mentionné, dès qu’un administrateur de babillard électronique apprend l’existence d’un message haineux sur son site Web, dépendamment des faits de l’espèce, il pourrait se faire présumer d’avoir fait transmettre le message au sens de l’article 13. Mais lorsque, comme en l’espèce, il n’y a aucune preuve que l’administrateur du babillard électronique était au courant de l’existence des messages ou pouvait déduire que les messages existaient, je ne vois pas comment il peut lui être imputé quelque responsabilité que ce soit en vertu de la disposition.

[136] Selon moi, il est utile d’examiner comment le législateur a finalement traité la question de l’attribution de responsabilité aux employeurs. En 1983, le législateur a modifié la Loi et a adopté, à l’article 65, la disposition susmentionnée relative à la responsabilité des employeurs quant aux actes commis par leurs employés, mandataires, administrateurs ou dirigeants (L.C. 1980-81-82-83, ch. 143, article 23). Selon le paragraphe 65(2), l’employeur peut invoquer en défense que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement et qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets. De plus, la Cour fédérale a déclaré depuis ce temps que, pour que l’on impute une telle responsabilité à un employeur, l’équité exige que l’employé, lorsque cela est possible, mette l’employeur au courant de la présumée conduite offensante (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 C.F. 653 (1re inst.) (Franke), à la page 670. Dans le même ordre d’idées, je ne vois pas comment on pourrait imputer à un administrateur de babillard électronique la responsabilité relative à l’affichage de messages haineux par des tiers anonymes ou des tiers se servant de pseudonymes s’il n’a pas été établi qu’il était au courant de l’existence de ces messages.

e) La conclusion concernant les messages de M. Harrison

[137] Comme je l’ai déjà mentionné, selon moi, pour conclure que M. Lemire a fait transmettre les messages de M. Harrison, la Commission et M. Warman doivent prouver qu’il avait une connaissance réelle, ou par présomption, de l’existence des messages. Cette connaissance ne peut tout simplement pas être déduite du fait que l’intimé était l’administrateur du babillard électronique, sauf si les circonstances donnent à penser le contraire ou si la preuve révèle qu’il a été informé de l’existence des messages haineux. En l’espèce, il n’existe aucune preuve, réelle ou présumée, démontrant, même prima facie, que M. Lemire était au courant de l’existence des messages de M. Harrison ou que M. Lemire avait été informé de leur existence. L’allégation selon laquelle M. Lemire a transmis les messages de M. Harrison ou les a fait transmettre, au sens de l’article 13, n’a donc pas été prouvée.

(b) Les messages affichés sur le babillard électronique de Freedomsite par des personnes autres que M. Lemire ou M. Harrison

[138] La deuxième catégorie de documents affichés sur le babillard électronique que la Commission a déposés en preuve, et qui ont été soulignés par M. Warman au cours de son témoignage, consistent en des messages affichés par des personnes autres que M. Lemire ou M. Harrison. Il s’agit des documents suivants :

  • Un message affichés sur le babillard électronique, dans le forum intitulé General Messages (messages généraux). C’est le premier message d’un nouveau fil de discussion intitulé Canadian Politics, a Lost Cause for Whites (La politique canadienne : une cause perdue pour les Blancs) et il a été affiché le 28 janvier 2002. Au total, six messages ont été affichés dans ce fil de discussion et quatre d’entre eux ont été affichés par M. Harrison. M. Warman prétend que le premier message qui a été affiché, sous le pseudonyme Renegade, contient des messages haineux au sens de l’article 13. Le message a trait à la nomination, à l’époque, d’un ministre fédéral qui était d’origine philippine. Il est qualifié de gook immigrant (immigrant chinetoque) et de gook invader (envahisseur chinetoque). Le message critique les libéraux et les alliancistes qu’il qualifie de anti‑White (anti‑Blancs). Rien ne prouve que M. Lemire a affiché des messages dans ce fil de discussion et rien ne prouve qu’il était au courant de son contenu.
  • Un message affiché dans un forum intitulé Immigration (immigration). Il s’agit du troisième message figurant dans un fil de discussion intitulé Info Wanted On Mountie With Turban (On demande des renseignements sur l’agent de la GRC qui porte un turban) et il a été affiché le 5 février 2001. Le fil de discussion comprenait quatre messages en tout. Le sujet du fil de discussion portait apparemment sur le port du turban par des membres de la GRC. Le troisième message est écrit par une personne qui utilise le pseudonyme Klankid et qui critique la décision de changer [Traduction] l’uniforme traditionnel pour des stupides immigrants pakistanais débiles!. La personne qui a écrit le message invite tout le monde à [Traduction] remettre le Blanc dans le Grand nord blanc. Rien ne prouve que M. Lemire a affiché des messages dans ce fil de discussion et rien ne prouve qu’il était au courant de son contenu.
  • Un message affiché dans une conférence intitulée Freedom-Site Canada. Il s’agit du quatrième message figurant dans un fil de discussion intitulé Life is not only a racial question (La vie n’est pas seulement une question de race) et il a été affiché le 1er mai 2001. Il y avait cinq messages dans ce fil de discussion. Le premier message critiquait les décisions économiques de leaders comme George W. Bush et insistait sur la formation d’un [Traduction] nouveau style de gouvernement. Le quatrième message a été écrit par une personne se servant du pseudonyme Deleted User. Celui‑ci a écrit que le Parti Québécois, en tentant d’augmenter le nombre d’immigrants francophones, avait fait venir des Haitian niggers (nègres haïtiens) afin de sauver la langue française. La personne qui a écrit ce message prétend que cela n’a pas permis de protéger la langue des Québécois mais que cela a plutôt [Traduction] détruit la race blanche. Rien ne prouve que M. Lemire a affiché des messages dans ce fil de discussion rien ne prouve qu’il était au courant de son contenu.
  • Un message affiché dans une conférence intitulé Religion. Il s’agit du deuxième message affiché dans un fil de discussion intitulé ADL vs WCOTC (ADL c. WCOTC) et il a été affiché le 4 décembre 2002. Il n’y avait que deux messages dans ce fil de discussion et ils ont tous les deux été écrits par une personne se servant du pseudonyme JDoe. Le premier message du fil de discussion est une copie d’un communiqué de presse concernant un litige en matière de marque de commerce aux États‑Unis entre un groupe appelé Church of the Creator et un autre groupe appelé World Church of the Creator (WCOTC). Un tribunal américain avait ordonné à la WCOTC de cesser d’utiliser le nom Church of the Creator. Dans le deuxième message du fil de discussion, JDoe affiche ce qui semble être une déclaration de la WCOTC selon laquelle elle ferait fi de l’ordonnance du tribunal. La WCOTC affirme dans sa déclaration que l’objectif principal de la religion de la WCOTC (créativité) est la survie, l’augmentation et la promotion de la race blanche. La WCOTC poursuit en affirmant que [Traduction] si le gouvernement d’occupation juif [GOJ] se sert de la force pour violer ses droits constitutionnels […] pour distribuer [sa] Bible de l’Homme Blanc et favoriser la pratique de sa religion, alors elle a parfaitement le droit de les déclarer criminels violant la Constitution. Il est également mentionné dans la déclaration qu’ils sont de toute évidence des criminels et qu’ils peuvent être traités [par la WCOTC] comme des [Traduction] salauds de criminels qu’ils sont et [la WCOTC] se fera justice à elle‑même, et qu’[Traduction] [elle] répliquera par la force […] et que la saison de la chasse aux Juifs sera ouverte. Plus loin dans la déclaration il est mentionné, en faisant référence à l’ordonnance du tribunal, que les bibles de la WCOTC seront confisquées, qu’[Traduction] [elle] ne peut pas distribuer [ses] Bibles de l’Homme Blanc si elles ont été envoyées dans les flammes de l’autel juif. Vers la fin du message, il y a une déclaration adressé au GOJ selon laquelle il est mentionné que la WCOTC défendra son droit de pratiquer librement sa religion [Traduction] par la force si la force est utilisée contre ses adeptes pour faire appliquer cette ordonnance inconstitutionnelle. Rien ne prouve que M. Lemire a affiché des messages dans ce fil de discussion et rien ne prouve qu’il était au courant de son contenu.
  • De nombreux messages affichés dans une conférence intitulée Jokes and Trivia (blagues et questions anecdotiques). Les messages ont été affichés dans de nombreux fils de discussion différents figurant dans le forum. Ces fils de discussion portaient des titres comme Black jokes (blagues sur les Noirs), More Black jokes (d’autres blagues sur les Noirs), Jewish Jokes (blagues sur les Juifs), Nordic goddess seeking her Aryan prince […] (déesse nordique cherche prince aryen), niggers (nègres), Strange Fruit Song of the South (Fruit étrange, Chanson du sud), et The Wet Back and the Spick (Les immigrants illégaux et les Latinos). Chacun de ces fils de discussion pouvait comprendre entre un et six messages, et certains de ces messages étaient composés de nombreuses soi‑disantes blagues. La Commission et M. Warman prétendent que ces blagues exposent les Noirs, les Juifs, les Portoricains et les peuples autochtones à la haine et au mépris en raison de leur race, de leur couleur, de leur religion et de leur origine nationale ou ethnique car elles sont semblables aux blagues qui ont été jugées dans les affaires Kulbashian et Harrison comme constituant des messages haineux au sens de l’article 13. Rien ne prouve que M. Lemire a affiché l’un ou l’autre des messages figurant dans le forum Jokes and Trivia et rien ne prouve qu’il était au courant du contenu du forum.
1. M. Lemire a-t-il transmis ces messages ou les a-t-il fait transmettre ?

[139] Rien ne prouve que l’un ou l’autre de ces messages a été affiché par M. Lemire et, comme je l’ai déjà mentionné, on ne peut pas conclure que celui‑ci les a transmis au sens de l’article 13. Les a‑t‑il fait transmettre du fait de sa fonction d’administrateur du site Web ? Il faudrait prouver qu’il savait, directement ou par inférence, ce que contenaient les messages. En conformité avec mon analyse antérieure concernant les messages affichés par M. Harrison, je conclus également qu’il n’a pas été prouvé que M. Lemire était au courant ou était réputé être au courant de l’existence des documents et que, par conséquent, la prétention selon laquelle il a fait transmettre les messages n’est pas étayée.

[140] Tout comme dans le cas des messages de M. Harrison, rien ne prouve, même prima facie, que M. Lemire a déjà visité les fils de discussion en question, encore moins après que les messages en litige furent affichés. Ces fils de discussion sont relativement courts (ils comprennent de un à six messages) et l’index déposé par la Commission révèle que M. Lemire n’a jamais affiché un seul message dans l’un ou l’autre de ces fils de discussion. En fait, rien ne prouve que M. Lemire a affiché des messages dans ces fils de discussion ou dans le forum Jokes and Trivia. Rien ne prouve également que M. Warman, avant le dépôt de la plainte, a informé M. Lemire d’une façon quelconque de la présence des messages en litige. Au moment où la Commission a informé M. Lemire quant à la plainte, le babillard électronique avait déjà été complètement retiré du site Web.

[141] La Commission a déposé en preuve une liste de forums figurant dans le babillard électronique. Cette liste a été imprimée en novembre 2003. Dans la copie papier, la rubrique Jokes and Trivia a vraisemblablement été cliqué avec le pointeur dans le but de voir les noms des fils de discussion offerts dans le forum. Les fils de discussion avaient des noms comme Black Jokes (blague sur les Noirs), Jewish Jokes (blague sur les Juifs), Spook Jokes (blagues sur les Noirs), niggers (nègres), The Wet Back and the Spick (Les immigrants illégaux et les Latinos) et Who let the blacks out (Qui a laissé sortir les Noirs). M. Warman a prétendu que ces titres de fil de discussion, à eux seuls, [Traduction] dénotent un sectarisme manifeste et annoncent la probabilité que les messages affichés sous les rubriques contiennent des messages haineux. M. Warman affirme de nouveau que l’on peut conclure que M. Lemire, à un certain moment, a vu ces titres de fil de discussion – sinon les fils de discussion eux‑mêmes. Selon M. Warman, si M. Lemire a vu les titres, il aurait dû savoir que les messages figurant dans les fils de discussion violaient probablement l’article 13.

[142] Je ne peux pas tirer cette conclusion compte tenu des circonstances dont j’ai déjà fait part dans la discussion concernant les messages de M. Harrison. Rien ne prouve que M. Lemire a affiché des messages dans le forum Jokes and Trivia. Des milliers de messages ont été affichés sur le babillard électronique. Au cours des cinq années d’existence du site Web, M. Lemire n’a affiché des messages sur le babillard électronique qu’au cours de 51 journées distinctes. Le site Web est de taille. En plus du babillard électronique, il comprend de nombreuses autres sections. Il ressort de la preuve que l’activité principale de M. Lemire, à titre d’administrateur du site Web, consistait à télécharger des documents vers ces autres sections. Ceux‑ci composent la majeure partie du site Web. Ces documents téléchargés comprennent des articles dont nous traiterons plus loin dans la présente décision.

[143] Rien ne prouve que M. Lemire a été informé à un moment ou l’autre de l’existence des documents en litige et du fait qu’ils violaient peut‑être l’article 13. Si M. Warman voulait prouver, par exemple, que M. Lemire a permis, en connaissance de cause, que les documents relatifs aux blagues soient transmis, il n’avait qu’à prévenir l’administrateur du site Web de la présumée violation de l’article 13. Ce geste aurait pu entraîner le retrait rapide d’Internet des soi‑disantes blagues ou, à défaut, aurait prouvé que M. Lemire a continué à permettre, en connaissance de cause, que les documents soient transmis par Internet. Au lieu de cela, les documents sont demeurés sur le Web pendant au moins un an après que M. Warman les eut lus et ils étaient toujours accessibles aux utilisateurs d’Internet de partout dans le monde.

[144] Afin de démonter que M. Lemire a fait transmettre ces messages, M. Warman et la Commission devaient prouver, prima facie, que M. Lemire, à tout le moins, était au courant de l’existence des messages ou bien ils devaient produire certains éléments de preuve à partir desquels cette connaissance pouvait être déduite. Ils ne l’ont pas fait. Le volet de la plainte concernant les documents affichés sur le babillard électronique par des personnes autres que M. Lemire et M. Harrison n’a donc pas été prouvé.

(c) Les messages affichés par M. Lemire sur le babillard électronique du site Web Freedomsite

1. Le communiqué de presse du Heritage Front concernant les audiences portant sur la réforme de l’immigration

[145] Le 21 septembre 1999, M. Lemire a affiché une copie d’un communiqué de presse daté du 2 mars 1998. Le communiqué a été affiché dans un fil de discussion intitulé Media Release: Immigration Legislation Hearings (Communiqué de presse : Audiences sur les lois en matière d’immigration) figurant dans le forum du babillard électronique intitulé Heritage Front. Le communiqué de presse a apparemment été émis par le Heritage Front et il comprenait une copie d’une lettre que Wolfgang Droege, le directeur national du Heritage Front, avait envoyée au Comité de révision de la législation sur l’immigration, lequel, semble‑t‑il, a tenu des audiences, à Toronto en mars 1998, sur la réforme de l’immigration. M. Warman prétend que des parties de cette lettre contiennent des propos qui constituent des messages haineux au sens de l’article 13.

[146] La lettre figurant dans le communiqué de presse propose qu’il y ait un moratoire sur l’immigration jusqu’à ce que l’étendue de l’appui ou de la désapprobation quant aux politiques en matière d’immigration soit établie. La tenue d’un référendum exécutoire est proposée afin de sonder les opinions des Canadiens sur la question, mais la lettre mentionne que ce référendum ne devrait être tenu que lorsque le gouvernement aura fait une [Traduction] divulgation complète des incidences de l’immigration sur le plan social et sur le plan financier, notamment une divulgation des statistiques criminelles et des [Traduction] profils des usagers de l’aide sociale. On fait valoir dans la lettre que les collectivités devraient avoir la possibilité de [Traduction] protéger leur caractère traditionnel et on prétend qu’il n’existe dans le monde aucun pays ni aucune société où des [Traduction] races ou des peuples différents ont réussi à vivre ensemble. On fait également valoir dans la lettre que les seuls pays qui respectent les droits de la personne sont les [Traduction] pays à majorités blanches. On conclut en affirmant que sans une réforme des politiques en matière d’immigration, la société subira des changements irréversibles.

[147] M. Warman prétend que la lettre comporte l’une des caractéristiques des messages haineux soulignées dans la décision Kouba. Il prétend que les immigrants sont décrits comme étant une menace terrifiante qui prive les autres de leurs moyens de subsistance, de leur sécurité et de leur bien‑être général. L’immigration de personnes de couleur est notamment présentée comme étant un problème en raison des questions de criminalité et de santé et comme étant une menace envers les emplois et les salaires des Canadiens de race blanche.

[148] Toutefois, j’estime que, comme dans le cas du poème que M. Lemire a affiché dans Stormfront.org, les documents en l’espèce ne véhiculent pas les émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation, les calomnies et la diffamation visés par les mots haine ou mépris figurant à l’article 13. Aucun terme particulièrement incendiaire ou désobligeant, y compris des épithètes, n’est utilisé et aucune des autres caractéristiques relevées dans la décision Kouba ne figure dans le texte. Le ton de la lettre est relativement poli et bien que la lettre offre un point de vue pessimiste de la coexistence pacifique entre peuples d’origine différente, elle ne vise aucun groupe ni aucune race en particulier.

[149] Pour ces motifs, je conclus que les documents ne sont pas susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris au sens de l’article 13. La plainte, à cet égard, n’est pas fondée.

2. L’article d’Ian Macdonald

[150] Le 13 février 2001, M. Lemire a lancé un fil de discussion sur le babillard électronique de Freedomsite, dans le forum intitulé History and Historical Revisionism (L’histoire et le révisionnisme historique). Il a affiché un article écrit par Ian V. Macdonald, un ancien diplomate canadien. M. Lemire ne semble avoir ajouté aucun commentaire à l’article. Il a donné le titre suivant au fil de discussion : IAN MACDONALD: Holocaust Statistics (IAN MACDONALD : Statistiques sur l’Holocauste). L’article se veut une réponse à un autre article qui a été publié par l’Associated Press (AP) et qui, apparemment concernait les efforts déployés par le Congrès juif mondial, dirigé par Edgar Bronfman, en vue d’obtenir la restitution des biens saisis aux Juifs en Europe durant la Seconde Guerre mondiale. L’article mentionne ce qui suit :

[Ttraduction]

Dans l’article de l’Associated Press portant sur une autre escroquerie de restitution à la Bronfman (17 janvier 2001) figure la vague déclaration suivante : Les armées d’Hitler […] ont exterminé six millions de Juifs et cinq millions d’autres personnes et ont réduit 12 millions de personnes en esclavage afin de les faire travailler dans le cadre de l’effort de guerre de l’Allemagne.

Il est incontestable que, 55 ans après la fin de la guerre, rien ne justifie de tenter de perpétuer cette vicieuse propagande haineuse antiallemande. Elle est même peut‑être interdite par la loi, sauf si les Allemands sont exclus de la protection prévue dans les lois relatives aux droits de la personne. De toute façon, le mensonge des six millions est discrédité depuis longtemps, d’abord par l’ouvrage classique de Winston Churchill intitulé Mémoires sur la deuxième guerre mondiale dans lequel celui‑ci a soigneusement omis de parler des chambres à gaz d’extermination, un sujet sur lequel il aurait été très bien informé par les services de renseignements britanniques et il en aurait beaucoup parlé si elles avaient existé.

D’autres historiens, moins méticuleux, tentant de rentrer dans les bonnes grâces d’éventuels bienfaiteurs, ont choisi d’accorder foi à l’histoire des chambres à gaz (ou plutôt aux histoires car les témoignages personnels diffèrent radicalement), mais jusqu’à maintenant, personne n’a pu produire la moindre preuve médicolégale qu’un seul Juif est mort par asphyxie au gaz ou par tout autre instrument de génocide planifié. Si cela s’était produit, de toute évidence, comme tout exploitant de crématorium ou comme tout médecin peut le confirmer, il y aurait eu, littéralement, une multitude d’éléments de preuve confirmant le fait, particulièrement lorsque les seules sources de combustible étaient le charbon et le bois et que plusieurs milliers de victimes ont brûlé dans des trous dans lesquels la combustion n’aurait pas été complète.

En ce qui concerne les 12 millions d’esclaves, il y a également un manque d’éléments de preuve à l’appui de cette histoire. Un très grand nombre de non‑Allemands ont travaillé à l’effort de guerre allemand, mais selon le professeur A. S. Millward (Université d’Édimbourg et Université de Stanford), le plus grand expert sur le sujet et l’auteur de l’ouvrage The German Economy at War (L’économie allemande en guerre), les travailleurs étrangers n’étaient pas des esclaves. La majorité d’entre eux n’étaient pas non plus des prisonniers. La plupart d’entre eux, tout comme aujourd’hui, étaient attirés par les occasions d’emploi et les salaires élevés ainsi que par la résistance au communisme.

Le renvoi, dans l’article de l’AP, à cinq millions d’autres personnes n’est pas clair. Il est certain que des millions de personnes sont mortes au cours de la guerre et immédiatement après la guerre, une bonne partie d’entre elles ont été tuées par notre brillant allié russe qui a fait preuve d’un barbarisme inégalé dans l’histoire de l’Europe moderne en massacrant les personnes d’origine allemande, ukrainienne, balte et autres minorités en quête de liberté. L’exécuteur en chef de Stalin, ironiquement mais pas par hasard, était Ilya Ehrenberg qui, tout comme une bonne partie des commissaires sanguinaires, était Juif.

Pas très loin dans ce jeu de massacre, on retrouve Winston Churchill, le héros de guerre reconnu et sauveur de l’empire britannique, mentor du Maréchal de l’air Bombardier Harris qui, je dois malheureusement le dire, lorsqu’il était membre de l’ARC, a attaqué des femmes et des enfants sans défense et en a tués plusieurs centaines de milliers tout en détruisant joyeusement un héritage inestimable de trésors architecturaux européens. Le caractère pervers des bombardements barbares contre des cibles civiles est accentué par le fait que l’Allemagne a offert à l’Angleterre une paix honorable en 1940 et que, pour faire preuve de sa bonne foi, elle a permis l’évacuation des troupes britanniques à Dunkirk. Faisant preuve d’une perfidie sans précédent, le seigneur de la guerre Churchill a rejeté avec mépris l’offre de paix, il a condamné l’Angleterre à perdre son statut de puissance mondiale et il a préparé le terrain qui a mené à la conquête éventuelle, par Stalin, de l’Europe de l’Est, et aux bouleversements internationaux d’après‑guerre, qui ne présentent aucun signe d’affaiblissement.

Le génocide perpétré contre des civils allemands par les Alliés a été rationalisé par des historiens antiallemands comme étant un dommage collatéral inévitable ou, parfois, comme étant une tentative de démoraliser l’ennemi. Les équipages de l’ARC et de la RAF qui ont effectué les raids ne savaient pas que le but était de tuer de braves femmes et enfants chrétiens et de sacrifier aveuglement leurs vies et le bonheur de leurs familles au profit d’une campagne de bombardement diabolique. Toutefois, vers la fin de la guerre, la vérité a commencé à apparaître. Par exemple, l’équipage du commandant d’escadre de l’ARC, Giff Gifford, a été informé par son agent de renseignement britannique qui a dit ce qui suit : Messieurs, nous avons une vraie belle cible pour vous ce soir. Il s’agit de Dresde et elle est pleine de réfugiés. Le spectre de ces femmes et de ces enfants désespérés fuyant la tuerie et les viols des Soviétiques pour finalement être horriblement tués par nous dans un véritable holocauste a hanté Gifford jusqu’à la fin de ses jours. (Cette anecdote faisait partie du témoignage qu’il a rendu dans le cadre du documentaire de la CBC intitulé Valour and the Horror (La bravoure et le mépris) qui a été réalisé peu de temps avant sa mort.)

Lorsque la véritable histoire de l’origine sinistre de la Seconde Guerre mondiale et de son objectif sera révélée, si jamais cela arrive, on aura une idée fort différente de celle d’un combat visant à sauver le monde civilisé de la tyrannie nazie. On apprendra que l’Allemagne était notre alliée naturelle, qu’elle a été victime d’une guerre inventée par une minorité assoiffée de vengeance, que le communisme expansionniste athée et le sionisme cupide étaient les véritables ennemis de l’humanité, que la civilisation occidentale a été perdante et que les seuls gagnants, comme c’est le cas dans presque toutes les guerres, ont été les changeurs de monnaie qui, comme le démontre Bronfman de façon très éhontée, continuent de s’enrichir.

Ian V. Macdonald, ancien diplomate canadien

[151] Directement à la suite du message contenant l’article de Macdonald, une autre personne a affiché un message dans lequel elle critiquait l’article et contestait l’affirmation selon laquelle il n’existe aucune preuve médicolégale de l’existence de l’Holocauste.

[152] La Commission et M. Warman prétendent que l’article de Macdonald comporte les caractéristiques des messages haineux relevées dans la jurisprudence et décrites dans la décision Kouba, particulièrement en ce qui concerne sa description des Juifs comme constituant une menace terrifiante et son affirmation qu’ils sont en train de prendre le contrôle des institutions les plus importantes de la société et qu’ils privent les autres de leurs moyens de subsistance, de leur sécurité, de leur liberté d’expression et de leur bien‑être général.

[153] Dans la décision Kouba, le Tribunal a souligné les conclusions tirées dans l’affaire Citron comme parfait exemple de cette caractéristique. Dans cette affaire, les documents avaient comme thème principal l’expression d’un doute concernant l’exactitude de l’opinion générale concernant le traitement des Juifs par les Allemands (Citron, au paragraphe 119). Ces contestations étaient accompagnées par la thèse que les Juifs, individuellement et collectivement, ont délibérément véhiculé une fausse version de l’histoire afin de réaliser un gain personnel grâce aux réparations. La Commission et M. Warman prétendent que l’article de Macdonald soutient une thèse semblable. Ils soulignent les passages de l’article dans lesquels Macdonald prétend que l’Holocauste n’a jamais eu lieu, que les Juifs n’ont pas été victimes d’un génocide et que les seuls gagnants de la guerre ont été les changeurs de monnaie qui continuent de s’enrichir. Le nom de la personne qui a dirigé les efforts visant à obtenir restitution est mentionné dans ces passages. Le sionisme cupide est décrit comme étant l’ennemi de l’humanité. Une minorité assoiffée de vengeance (on parle peut‑être des juifs compte tenu du contexte du paragraphe) est accusé d’avoir inventé la guerre. Les Juifs sont également associés aux sanguinaires commissaires stalinistes.

[154] Il y a cependant des distinctions à faire entre les messages en litige dans l’affaire Citron et l’article de Macdonald. Les documents en litige dans l’affaire Citron consistaient apparemment en une partie importante de l’ensemble du contenu du site Web. Le Tribunal a affirmé que les documents soumis en preuve ne pouvaient être cités intégralement ou mis en annexe à la décision parce qu’ils étaient trop volumineux et trop longs. L’article de Macdonald, par contre, ne comprend que huit paragraphes et traite non seulement des Juifs et de l’Holocauste, mais également des actions commises par le Royaume‑Uni, par l’Union soviétique et par d’autres pays.

[155] Le Tribunal, dans la décision Citron, a souligné qu’il y avait, dans les documents dont il était saisi, une éternelle remise en question de la vérité quant au degré de persécution des Juifs dans l’Allemagne nazie. Dans ces documents, on faisait sans cesse état des avantages personnels et collectifs que les Juifs et Israël avaient retirés en continuant de promouvoir leur version de l’holocauste. Les Juifs sont traités de menteurs, d’escrocs et d’extorqueurs. Les Juifs sont décrits comme des criminels et des parasites qui s’emploient à l’échelle du globe à accroître leur influence et leur richesse. Le peuple juif est l’objet, dans le Zundelsite, d’attaques vicieuses en raison de ses liens religieux et culturels. Le Tribunal a ajouté que les messages transmis dans les documents comportent des affirmations très précises – toutes aussi malveillantes les unes que les autres – au sujet des Juifs et de leur comportement. Les Juifs sont vilipendés avec une hargne et une malice extrêmes, qui n’admettent chez eux aucune qualité qui rachète leurs défauts. Par conséquent, le Tribunal, dans la décision Citron, au paragraphe 140, a été persuadé que le critère énoncé dans la décision Nealy, et sanctionné dans l’arrêt Taylor, avait été satisfait. Le Tribunal, dans la décision Citron, a conclu que les messages créaient un climat susceptible d’exposer les Juifs à des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation.

[156] Bien que l’article de Macdonald reflète, dans plusieurs de ses thèses, des notions semblables à celles avancées dans l’affaire Citron, je n’estime pas qu’il vilipende les Juifs avec une hargne et une malice extrêmes comme le Tribunal l’a conclu dans l’autre décision. Bien que le thème dominant de l’article soit sa discussion historique à propos de la Seconde Guerre mondiale, il ne s’agit pas, dans l’ensemble, d’une critique violente dirigée contre un seul groupe particulier. Il s’agit d’une attaque en règle contre les communistes, Stalin, le Royaume‑Uni, l’Union Soviétique, les sionistes, les Juifs, voire même contre Winston Churchill et le Maréchal de l’air Harris. Tous ces gens sont accusés d’avoir maltraité les Allemands à tort durant la Seconde guerre et après la Seconde Guerre.

[157] L’article, évidemment, offense et blesse probablement les personnes qui ont été personnellement touchées par la Seconde Guerre et le nazisme et, notamment, par l’Holocauste. Mme Mock à témoigné quant à une lettre écrite par Ernst Zündel qui a été publiée dans le London Free Press en 1993. Dans cette lettre, M. Zündel a froidement énoncé, de façon plus élaborée cependant, plusieurs des affirmations faites par M. Macdonald dans son article (c’est‑à‑dire qu’il a mis a doute le nombre de personnes qui sont mortes dans le cadre de l’Holocauste et il a mis en doute les versions des événements qui se sont déroulés dans les camps de concentration nazis en renvoyant à de prétendues études qui étaieraient son point de vue). L’article ne comprenait aucune exhortation à agir, ni aucune épithète ni aucune comparaison grotesque. Mme Mock a affirmé dans son témoignage que, connaissant d’expérience la douleur que ressent une personne qui a perdu des parents, il lui a été douloureux de lire la lettre de Zündel. Toutefois, elle a reconnu que la lettre en soi ne constituait pas un message haineux.

[158] L’opinion de Mme Mock concorde avec les commentaires formulés par la Cour Suprême dans l’arrêt Taylor. La Cour Suprême a affirmé que seuls les messages exprimant une malice extrême et une émotion qui n’admet chez la personne visée aucune qualité qui rachète ses défauts peuvent être considérés comme étant haineux et méprisants au sens de l’article 13. Les messages doivent susciter des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation. L’objectif de l’élimination de la discrimination visé par la disposition doit donc être soupesé avec la nécessité de protéger la liberté d’expression (arrêt Taylor, à la page 930). Cette affirmation a été reprise par le Tribunal dans la décision Citron, aux paragraphes 153 et 154. Le Tribunal a souligné que bien qu’il soit difficile de soulever des questions concernant l’exactitude historique d’événements comme l’Holocauste, la norme pour déterminer si on a fomenté la haine ou le mépris doit être appliquée avec circonspection afin de ne pas perdre de vue le droit à la liberté de parole.

[159] Selon moi, bien que M. Macdonald, dans son article, fait preuve de ressentiment à l’égard des Juifs, ses déclarations ne cadrent pas avec l’interprétation de l’article 13 qui a été adoptée par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor. Par Conséquent, le bien‑fondé de la plainte déposée contre M. Lemire parce qu’il a affiché cet article sur le babillard électronique de Freedomsite n’a pas été prouvé.

3. Le communiqué de presse du Heritage Front concernant un article du Toronto Star

[160] Le 22 février 2001, M. Lemire a créé un nouveau fil de discussion en affichant un message dans le forum intitulé Heritage Front. Il a intitulé le fil de discussion comme suit : Toronto Star on HF [Heritage Front] Health Alert (L’article du Toronto Star sur l’alerte médicale du HF [Heritage Front]). Il ne semble avoir ajouté au message, lequel semble être un communiqué de presse, aucun commentaire portant sa marque.

[161] Le communiqué contient ce qui semble être une copie intégrale d’un article publié dans le Toronto Star le 21 février 2001. Cet article portait sur les brochures que le Heritage Front distribuait à l’extérieur d’un hôpital de Hamilton où une femme d’origine congolaise était traitée pour une maladie qui était possiblement liée au virus d’Ebola. Les brochures contenaient apparemment une demande de déclaration d’[Traduction] alerte médicale dans la collectivité et un avertissement portant ce qui suit : [Traduction] L’immigration peut vous tuer. L’article du Star traitait ensuite des demandes, présentées par les activistes antiracisme, que la ville prenne des mesures visant à protéger les minorités visibles et combatte le racisme.

[162] Dans le communiqué de presse, le Heritage Front critique l’article du Star en faisant allusion aux efforts déployés par les [Traduction] maniaques des droits en vue de faire [Traduction] gaspiller d’avantage […] l’argent des contribuables. Le communiqué de presse critique ensuite le fait que le libellé des brochures n’a pas été cité dans l’article du Star, sauf la première phrase et que [Traduction] toutes les bonnes parties […] où [il est exposé] en détail comment l’immigration PEUT tuer [les gens] ont été enlevées et qu’on ne fait allusion qu’au Mouvement pour la suprématie blanche. Le communiqué de presse fait ensuite mention d’une adresse Web où la brochure peut être consultée et exhorte les lecteurs à l’imprimer et à la distribuer.

[163] M. Warman a écrit dans ses observations finales que ces documents, en affichant le slogan [Traduction] L’immigration de couleur peut vous tuer transmettent l’idée que seul le bannissement, la ségrégation ou l’éradication de ce groupe de personnes (immigrants de couleur) sauvera les autres (vraisemblablement les Canadiens de race blanche) du tort causé par ce groupe. Selon la décision Kouba, cette idée est l’une des caractéristiques des messages haineux qui ont été relevées par la jurisprudence relative à l’article 13.

[164] Bien que le slogan L’immigration peut vous tuer puisse être interprété comme donnant à penser que le Canada devrait refuser l’entrée à certain groupes, selon moi, il ne suscite pas des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation au sens des mots employés par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor. Ces propos peuvent favoriser la xénophobie, mais je ne suis pas convaincu qu’ils sont susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris au sens de l’article 13.

[165] M. Warman a également semblé donner à penser dans ses observations écrites que ces documents constituaient un appel à commettre des actes de violence contre le groupe ciblé. Je ne vois cependant pas comment. Je soupçonne que cet argument a probablement d’avantage trait au message qui a été affiché par M. Harrison dans le même fil de discussion environ 15 mois plus tard et qui a été déposé en preuve avec le communiqué de presse du Heritage Front. J’ai déjà conclu que M. Lemire n’a aucune responsabilité à l’égard des messages affichés par M. Harrison.

[166] Je conclus donc que le bien‑fondé de la plainte relative au communiqué de presse du Heritage Front n’a pas été prouvé.

(d) La section du site Web Freedomsite intitulée Controversial Columnists (chroniqueurs controversés)

[167] La preuve de la Commission comprenait trois articles qui figuraient dans la section Controversial Columnists du site Web Freedomsite. Les articles semblent avoir été écrits par des personnes autres que M. Lemire. Toutefois, contrairement au babillard électronique où les utilisateurs pouvaient afficher directement leurs messages eux‑mêmes, ces documents ne pouvaient être affichés sur le site Web que par le webmestre de Freedomsite, c’est‑à‑dire M. Lemire. Une annotation à la fin de chacun des trois articles posait la question suivante : [Traduction] Écrivez‑vous? Soumettez‑nous vos articles, nous les afficherons sur la page Controversial Columnists! Envoyez‑les par courrier électronique à l’adresse webmaster@Freedomsite.org.

[168] M. Lemire a admis qu’il était l’administrateur ou le webmestre du site Web Freedomsite. De plus, comme je l’ai déjà mentionné, une copie d’une pétition en ligne que M. Lemire avait signée a été produite à l’audience. M. Lemire a écrit son nom ainsi que l’adresse électronique susmentionnée après son inscription dans la pétition.

[169] Je suis persuadé, prima facie, que chacun de ces articles ne pouvait avoir été affiché qu’avec la participation de M. Lemire, l’administrateur du site Web. Par conséquent, on peut raisonnablement déduire que celui‑ci était au courant du contenu des articles. M. Lemire n’a fourni aucun élément de preuve démontrant ou expliquant qu’il n’était pas au courant de l’existence des documents. Je suis donc convaincu que M. Lemire a fait transmettre ces articles au sens de l’article 13.

1. La chronique de Doug Collins

[170] Cet article, vraisemblablement écrit par une personne appelée Doug Collins, est intitulé Freedom is as Freedom Doesn’t (La liberté, telle que la liberté n’est pas) et il est daté du 4 avril 2001. M. Warman n’a pas fait mention de cet article dans sa plainte du 24 novembre 2003 qu’il a déposée contre M. Lemire. L’article a toutefois été mentionné, sous la rubrique Other Material Found on the Website (Autres documents figurant dans le site Web), dans le rapport d’enquête de la Commission de Mme Rizk du 14 avril 2005. Mme Rizk a écrit qu’elle avait visité le site Web Freedomsite en novembre 2004 et qu’elle avait vu le document. M. Warman a affirmé dans son témoignage que l’article lui a été divulgué [Traduction] avec le rapport d’enquête de la Commission.

[171] À la suite de la publication du rapport d’enquête, Mme Kulaszka s’est plainte à la Commission, dans sa lettre du 25 avril 2005, que l’enquêteuse [Traduction] s’était mise à tenter de trouver d’avantage de documents par elle‑même et qu’elle les avait insérés dans le rapport, sans d’abord informer M. Lemire des nouvelles allégations ou sans tenter de lui donner l’occasion de répondre. Ces documents ont éventuellement été insérés dans la preuve soumise à l’audience par la Commission.

[172] En passant, il semble que M. Lemire a retiré la chronique de M. Collins du site Web après que la Commission eut distribué son rapport d’enquête. M. Klatt a affirmé dans son témoignage que les fichiers journaux du site Web Freedomsite indiquaient que le dossier contenant l’article n’était plus accessible après le 28 août 2005. Ni la Commission, ni M. Warman ne m’ont soumis une preuve démontrant que l’article n’avait pas vraiment été retiré à cette date.

a) Quel document figurant dans la chronique de M. Collins est en litige ?

[173] La chronique est ainsi libellée :

[Traduction]

LA LIBERTÉ, TELLE QUE LA LIBERTÉ N’EST PAS

Doug Collins

Les sinistres attaques qui sont présentement dirigées contre la liberté d’expression en Occident font l’objet d’applaudissements plutôt que de condamnations, en bonne partie grâce aux médias et grâce aux politiciens serviles. En même temps, tout le monde prétend être en faveur de la liberté. C’est ce que Disraeli a appelé de l’hypocrisie organisée.

Deux sujets figurent au premier plan de la liste interdite : la race et l’holocauste. Vous avez le droit d’être antiraciste, évidemment, et vous êtes libres d’approuver la version officielle de l’holocauste. Mais, si vous croyez que l’immigration peut détruire votre pays ou que le nombre de victimes juives est inférieur à six millions, alors là, planquez‑vous.

Le Canada occupe une place privilégiée dans le royaume de ce genre de rectitude politique. Les livres désapprouvés par les groupes de pression comme le Congrès juif canadien et B’Nai Brith sont interdits; Ernst Zundel et son avocat n’ont pas accès aux édifices du Parlement à Ottawa (et ce, avec l’approbation unanime de nos députés!); et les dissidents peuvent être traduits devant des tribunaux fantoches, appelés tribunaux des droits de la personne, pour avoir blessé les Juifs et les immigrants.

Les lois contre la propagande haineuse sont des lois anti‑libre expression, c’est pourquoi elles figurent dans notre Code criminel. Elles ne font jamais l’objet de critiques dans les principaux médias à cause, notamment, du contrôle de plus en plus important exercé par les Juifs. Elles s’inscrivent dans l’esprit qui anime notre époque.

Pour un exposé fascinant sur ce qui se passe dans le monde, veuillez lire Return to the Dark Ages, un article paru dans le numéro de mars de American Renaissance magazine (AR). En Allemagne, en France, en Espagne, en Suisse, en Pologne, en Autriche et en Lituanie, l’Holocauste juif est devenu le seul événement historique que l’on peut imposer à l’opinion publique. La prison, l’exile ou les amendes prohibitives attendent les personnes qui expriment leur dissidence.

L’article mentionne qu’Aujourd’hui en Europe, il existe des lois aussi mauvaises que George Orwell pouvait en imaginer. Les faits sont impertinents et certaines choses ne peuvent pas être dites, peu importe qu’elles soient vraies ou fausses […] C’est la tyrannie de la gauche pratiquée par les mêmes personnes qui se disent choquées par les tactiques de Joe McCarthy.

Des centaines de personnes se révoltent contre cette tyrannie, mais, contrairement à ce qui s’est passé lorsque McCarthy était déchaîné, leur sort n’intéresse guère nos chiens de garde libéraux. Au contraire, ces victimes sont d’ordinaire traitées de Nazis, de néonazis, de fascistes, de tenants de la suprématie blanche, etc.

Le meilleur exemple est celui de Germar Rudolf, un jeune Allemand titulaire d’un doctorat en chimie qui a examiné les chambres à gaz à Birkenau et qui a conclu qu’elles n’ont pas pu servir à des exécutions en masse. Il a été renvoyé du prestigieux Institut Max Planck et il a été condamné à 14 mois de prison. Il s’est enfui en Angleterre où les groupes juifs ont demandé son extradition vers l’Allemagne. Il demande maintenant l’asile politique aux États‑Unis. Je me souviens que des communiqués figurant dans les journaux du Groupe Telegraph de Londres, qui appartenait à Conrad Black, l’ont traité de crypto‑nazi, et ce, sans le moindre élément de preuve.

La Suisse n’est pas mieux que l’Allemagne. En 1995, elle a adopté la censure du déni de l’holocauste et elle envoie maintenant les contrevenants en prison ou elle les oblige à s’exiler. Selon AR, il y a eu depuis 200 procès et 100 condamnations dans ce pays.

Juergan Graf, un enseignant hautement qualifié qui a écrit un ouvrage révisionniste, a été condamné à 15 mois d’emprisonnement. Son éditeur a été condamné à un an d’emprisonnement, même si l’ouvrage a été publié avant que la loi n’entre en vigueur. Comme ce fut le cas en Allemagne, leurs avocats n’ont pas pu les défendre correctement sans qu’ils se fassent eux‑même poursuivre pour cause de déni. Graf s’est enfui en Iran et il enseigne maintenant dans les universités iraniennes.

En France, Brigitte Bardot est devenue une criminelle haineuse. Non pas parce qu’elle a parlé contre les juifs, mais parce qu’elle aime les animaux et qu’elle s’oppose à l’abatage rituel de moutons par des musulmans français. Elle s’est également plainte que la France est envahie par une surpopulation d’étrangers.

Le Canada est mentionné dans l’article. Cela fait maintenant près de 20 ans que nous pratiquons la censure et Ernst Zuendel est notre plus célèbre criminel dont le crime consiste à penser.

Comme la plupart d’entre nous le savent, Zuendel a subi une interminable audience en matière de droits de la personne dans laquelle il était question de plaintes formulées par des Juifs quant à un site Web portant son nom, mais qui est exploité aux États‑Unis. Voilà ce qu’on peut appeler charrier! Mais l’élasticité n’inquiète pas le président du tribunal. La vérité non plus. Celui‑ci a déclaré ce qui suit : La vérité n’est pas la question dont nous sommes saisie. La seule question consiste à savoir si ces communications sont SUSCEPTIBLES d’exposer une ou des personnes à la haine ou au mépris.

Selon AR, la censure est en marche en Europe et elle lorgne nos frontières (la frontière avec les États‑Unis) et la véritable honte est comment si peu de gens sont prêts à s’opposer à cette atteinte à la liberté.

En effet. Ils n’en ont rien à foutre.

[174] Un dessin humoristique est inséré dans le libellé de la chronique. Il montre un homme en train de chanter l’hymne national dans un stade de baseball. Le texte suivant, représentant les paroles chantées par l’homme, figure dans le dessin : [Traduction] Oh Canada-a-a- mon pays dominé par les sionistes […]

b) Le document est-il susceptible d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite ?

[175] La Commission prétend que le contenu de l’article de M. Collins et la manière selon laquelle le message est formulé sont susceptibles d’exposer les Juifs à la haine ou au mépris du fait de leur race, de leur religion ou de leur origine ethnique. La Commission prétend que le document avance des assertions non fondées de contrôle ou d’influence de la part des Juifs et qualifie les racistes et les personnes qui nient l’existence de l’Holocauste de victimes de tyrans libéraux et Ernst Zündel de victime des plaintes des Juifs. La Commission prétend que des messages semblables ont été décrits dans la décision Citron comme étant des figures de rhétorique pour cibler et déprécier les Juifs et que, tout comme dans la décision Citron, le ton et la teneur du message formulé dans l’article de M. Collins sont à ce point malveillants dans la représentation qu’ils font des Juifs qu’ils constituent des messages haineux au sens de la Loi. M. Warman, quant à lui, a prétendu que le qualificatif de fantoches attribué par M. Collins aux tribunaux des droits de la personne fait preuve d’un mépris systématique envers les lois adoptées par les Canadiens afin de protéger les droits de la personne. Il a ajouté que la défense par M. Collins de personnes comme Ernst Zündel renforce l’idée que le déni de l’Holocauste constitue de quelque manière un intérêt légitime.

[176] M. Lemire rétorque que cet article constitue un [Traduction] commentaire politique fondamental qui dénonce les limites imposées à sa liberté ainsi qu’à celle des autres de pouvoir s’exprimer librement, même lorsqu’il s’agit de l’Holocauste. Comme je l’ai déjà mentionné, les affirmations selon lesquelles l’Holocauste ne s’est pas produit ou selon lesquelles les statistiques relatives à celui‑ci ont été exagérées sont extrêmement blessantes, mais elles n’exposent pas nécessairement les personnes qu’elles visent à la haine ou au mépris au sens de l’article 13, particulièrement en l’absence de diffamation extrême envers les Juifs ou d’autres groupes.

[177] M. Lemire ajoute que l’article 13 de la Loi n’interdit pas la remise en question de la nécessité d’avoir des lois qui limitent la liberté d’expression. M. Lemire prétend que les liens entre la communauté juive et les plaintes en matière de droits de la personne concernant les messages haineux sont justes. Dans la décision Citron, on a précisé que la plaignante avait mentionné qu’elle était juive. M. Warman a renvoyé dans ses observations finales à une cause de la Colombie‑Britannique en matière de droits de la personne dans laquelle M. Collins était l’intimé; Abrams c. North Shore Free Press Ltd. (no 3) (1999), 33 C.H.R.R. D/435 (BCHRT). Le tribunal a mentionné que le plaignant dans cette affaire était un membre actif de la communauté juive. Une autre plainte a également été déposée contre M. Collins, à peu près en même temps, par le CJC (Canadian Jewish Congress c. North Shore Free Press Ltd. (no 7) (1997), 30 C.H.R.R. D/5 (BCHRT)).

[178] Toutefois, l’article de M. Collins va plus loin que tout simplement souligner la participation de membres de la communauté juive à des instances en matière de droits de la personne. Il fait allusion au contrôle de plus en plus important exercé par les Juifs sur les principaux médias qui limitent la critique des lois en matière de messages haineux. Le dessin humoristique laisse entendre que le Canada est dominé par des sionistes. M. Lemire a produit des extraits tirés d’un certain nombre de dictionnaires qui définissent le sionisme comme étant essentiellement un mouvement favorisant la création et l’accroissement d’une nation juive dans ce qui s’appelle aujourd’hui Israël. Bien qu’il s’agisse peut‑être de la définition officielle de ce terme, compte tenu du contexte de l’article de M. Collins, on peut raisonnablement déduire que son utilisation dans le dessin est une allusion à la communauté juive du Canada ou est un euphémisme pour la communauté juive du Canada.

[179] Toutefois, dans l’ensemble, les propos figurant dans l’article de M. Collins constituent‑ils un message haineux au sens de la Loi? Plutôt que de constituer des figures de rhétorique pour cibler et déprécier les Juifs, le thème général de l’article consiste à critiquer l’utilisation du droit relatif aux droits de la personne et l’utilisation du droit criminel pour censurer les personnes qui transmettent des messages portant sur des sujets comme l’Holocauste et l’immigration. Afin d’être en mesure de déterminer si ce document constitue un message haineux au sens de l’article 13, on doit à nouveau avoir recours à l’orientation fournie par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor. Le document exprime‑t‑il des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation? Le document est‑il susceptible d’exposer les Juifs à une malice extrême qui n’admet chez la personne visée aucune qualité qui rachète ses défauts?

[180] Tout compte fait, selon moi, ce document ne satisfait pas aux critères formulés dans l’arrêt Taylor. Contrairement aux documents soumis au Tribunal dans l’affaire Citron, les Juifs ne sont pas l’objet d’attaques vicieuses. Ils n’ont pas été traités de menteurs, d’escrocs, d’extorqueurs, de criminels et de parasites qui s’emploient à l’échelle du globe à accroître leur influence et leur richesse. L’article ne comprend aucun appel à l’action (violente ou autre) contre eux et il ne comprend aucune injure, ni aucun épithète. Certes, les renvois aux Juifs dans la critique formulée par M. Collins à l’égard des lois en matière de messages haineux sont tout à fait gratuits. Ses opinions auraient certainement pu être exprimées sans soulever aucun stéréotype négatif de contrôle par les Juifs des principaux médias et de la politique publique. Le discours est inutilement provocateur. Néanmoins, l’article n’exprime pas, et n’est pas susceptible de susciter, les émotions extrêmes visées par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor.

[181] Par conséquent, en réponse aux observations formulées par la Commission à l’égard de la chronique de M. Collins, j’estime que l’article n’est pas à ce point malveillant dans la représentation qu’il fait des Juifs qu’il constitue un message haineux au sens de la Loi.

2. L’article intitulé Ottawa is Dangerous (Ottawa est dangereux)

[182] Cet article a vraisemblablement été composé en janvier 2001 et il a été reproduit dans le site Web sous un titre plus élaboré - Vox Populi – The Voice of the People (Vox populi – La voix du peuple). Le nom de son auteur est mentionné tout simplement comme étant John de Vancouver. Tout comme dans le cas de la chronique de M. Collins, ce document n’a pas été mentionné dans la plainte de M. Warman, mais il a été mentionné à titre d’autre document par Mme Rizk dans son rapport d’enquête. M. Klatt a affirmé dans son témoignage que les fichiers des blogues de Freedomsite révélaient également que le fichier contenant l’article n’était plus accessible après le 28 août 2005. Cet élément de preuve n’a pas été contredit par la Commission ou par M. Warman.

[183] L’article consiste en des remarques concernant les résultats de l’élection fédérale de 2000. L’auteur est manifestement déçu que le Parti libéral ait remporté une majorité de sièges et il est particulièrement irrité par les habitudes de vote à l’extérieur de l’Ouest du Canada. Il se demande comment il se fait que [Traduction] Les citoyens anglophones de l’Ontario peuvent être simplets au point d’élire une bande aussi odieuse de Français dégénérés. Il affirme ensuite que les Québécois ont salué le retour des libéraux parce que la province est peuplée de Français et il ajoute le commentaire suivant : [Traduction] Qui sait pourquoi les francophones font n’importe quoi.

[184] L’auteur semble ensuite confondre les Québécois avec les citoyens de la France lorsqu’il écrit ce qui suit : [Traduction] la dernière fois que les Français ont vraiment obtenu du succès en politique est lorsqu’ils ont importé un truand corse afin de les aider à dévaster le reste de l’Europe. En parlant de la libération de la France par les forces alliées durant la Seconde Guerre mondiale, l’auteur affirme que, n’eut été des [Traduction] pays anglophones du monde, les Français boiraient aujourd’hui du schnapps plutôt que du vin et leurs enfants se rendraient à l’école en marchant au pas de l’oie et, aujourd’hui, ces renifleurs de fromage ingrats votent pour les libéraux,.

[185] L’auteur parle ensuite de l’Ontario et décrit le fait qu’elle a élu 101 députés libéraux comme étant quelque chose d’incompréhensible. Il affirme avec ironie que les Ontariens aiment payer la TPS et croient probablement que les soins de santé dans leur province sont bons. Il ajoute que les Ontariens aiment probablement les [Traduction] multitudes d’immigrants heureux qu’ils reçoivent, particulièrement d’Haïti, de la Chine et de la Jamaïque. Il affirme que le nombre de cas de tuberculose a augmenté en Ontario et il ajoute que [Traduction] comme on pouvait s’y attendre, 90 p. 100 des cas de tuberculose proviennent des réfugiés et des nouveaux immigrants qui vivent dans la région de Toronto. L’auteur termine en critiquant d’avantage le gouvernement au pouvoir quant à son dossier en matière de justice pénale et de dépenses et il conclut que le [Traduction] Canada sera confronté au fait que l’Ontario ne votera pour un leader que s’il est un avocat québécois.

c) L’article est‑il susceptible d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite?

[186] M. Warman prétend que les propos qui figurent dans cet article comportent certaines des caractéristiques des messages haineux mentionnées dans la décision Kouba. Les immigrants (particulièrement ceux qui proviennent des pays qui ont été mentionnés) sont traités comme constituant une menace terrifiante et qu’ils privent les autres de leurs moyens de subsistance, de leur sécurité et de leur bien‑être général. De plus, l’auteur tient les immigrants responsables des problèmes qui sévissent actuellement dans la société. M. Warman semble affirmer dans ses observations que les [Traduction] députés francophones du gouvernement libéral sont également tenus responsables de ces problèmes et que l’auteur tient à leur sujet des [Traduction] propos très incendiaires et très désobligeants.

[187] Bien que je convienne que les mots utilisés à l’égard de ces députés sont cruels et malveillants et que les remarques ultérieures formulées par l’auteur transmettent le message que ces nouveaux immigrants au Canada ne sont pas les bienvenus, celles‑ci n’expriment pas les émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation, se traduisant par des calomnies et la diffamation visées par l’article 13 dont parle la Cour suprême dans l’arrêt Taylor. Le ton de l’article n’est pas assimilable à la malveillance, à l’hystérie et à l’intempérance visées par l’article 13. Il n’y a aucun appel à l’action et les quelques épithètes qui sont utilisés (p. ex., imbéciles ou renifleurs de fromage) ne visent pas des groupes particuliers et n’invoquent pas des responsabilités historiques. Je conclus donc que le bien‑fondé de la plainte relative à l’article Vox Populi n’a pas été prouvé.

3. L’article intitulé Aids Secrets (Les secrets du sida)

[188] Cet article est intitulé Aids Secrets: What the Government and the Media Don’t Want You to Know (Les secrets du sida : ce que le gouvernement et les médias ne veulent pas ce que vous sachiez) et il est manifestement composé du texte d’une allocution prononcée par Kevin Alfred Strom, le 10 juillet 1993, sur les ondes d’une émission de radio américaine. M. Warman a consulté l’article sur le site Web Freedomsite et l’a imprimé le 15 novembre 2003. Il a fait mention de l’article dans sa plainte. Mme Rizk a écrit dans son rapport d’enquête qu’elle a pu accéder, en décembre 2003, à l’article intitulé Aids Secrets sur le site Web Freedomsite, mais elle a ajouté que l’article semblait avoir été ultérieurement retiré. M. Klatt a affirmé dans son témoignage que les fichiers journaux du site Web révélaient que l’article avait été retiré du site Web Freedomsite le 9 avril 2004, c’est‑à‑dire quelques semaines après que M. Lemire eut reçu copie de la plainte de M. Warman. Ce témoignage n’a pas été contredit et, en fait, M. Warman a confirmé dans son témoignage que l’article ne figure plus sur le site Web, mais qu’il ne savait pas depuis quand.

d) Que contiennent les propos en litige qui figurent dans l’article intitulé Aids Secrets?

[189] L’auteur commence son article en déclarant que ce qu’il va dire est choquant et troublant et fera craindre le pire à ses lecteurs quant à leurs proches. Il affirme ensuite qu’il y a un [Traduction] tueur en liberté dans le pays qui [Traduction] tue tous ceux qu’il touche. Il mentionne, dans le premier paragraphe, que si le tueur vous touche ou touche votre enfant, vous mourrez tous les deux. Il ajoute que ses victimes [Traduction] connaissent une mort souffrante lente et horrible et que rien ne peut être fait pour les sauver. L’auteur mentionne ensuite que le tueur porte le nom de virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

L’article mentionne ensuite ce qui suit :

[Traduction]

Le tueur est apparu dans notre monde il y a plus de 10 ans, il est sorti comme un ange de la mort des rivières débordantes des fluides corporelles qui ont coulé comme des chutes d’eau fétides dans les rues de l’Amérique à partir des bordels sordides et dégueulasses des homosexuels libérés.

[190] Les autorités médicales et les autorités en matière de santé publique sont critiquées pour n’avoir pris aucune mesure visant à empêcher l’exposition des personnes non infectées au VIH et pour avoir plutôt consacré leurs efforts à la protection de la confidentialité des renseignements personnels des personnes infectées. Selon l’article, la raison de leur [Traduction] trahison et de leurs [Traduction] mensonges est l’[Traduction] énorme pouvoir des homosexuels organisés qui [Traduction] jouissent d’une aide considérable de la part des médias contrôlés. Aux yeux de la [Traduction] puissante minorité qui contrôle les médias américains, les homosexuels font partie des nombreuses [Traduction] minorités opprimées qu’il est interdit de critiquer sous peine de perdre son emploi ou de faire l’objet de diffamation.

L’article mentionne ensuite :

[Traduction]

Oui, le pouvoir de la perversion organisé est un facteur de suppression de la vérité concernant le SIDA. Certes, c’est un fait que les déviants chéris font partie de l’effort déployé par les médias en vue de détruire l’Amérique. Mais, cela va plus loin. Si la vérité non censurée concernant le SIDA était révélée au public américain, le plan qui consiste à immerger l’Amérique dans un Nouvel Ordre Mondial multiculturel serait peut‑être déjoué de façon définitive. L’Amérique endormie se réveillerait peut‑être – et nos maîtres à Washington, New York et Tel Aviv ne permettront pas que cela se produise.

[191] L’auteur parle ensuite des mensonges répandus par le gouvernement et les médias, notamment du mensonge qui consiste à dire que les pratiques sexuelles sans risque peuvent empêcher la transmission du VIH. Les propos d’un rédacteur en chef d’une revue scientifique sont cités. Celui‑ci a apparemment conclu que les condoms ne permettent pas d’empêcher la transmission des fluides corporels. Un autre des présumés mensonges était que l’approvisionnement en sang de l’Amérique était sûr. En ce qui concerne ce dernier point, l’auteur affirme ce qui suit :

[Traduction]

Certaines personnes à la FDA et dans les Centers for Disease Control ont affirmé que les banques de sang pourraient éliminer 80 p. 100 du sang contaminé par le VIH en analysant tout le sang donné pour l’hépatite B dont 80 p. 100 des personnes homosexuelles de sexe masculin sont infectées en raison de leurs pratiques dégueulasses et en rejetant tout le sang dont l’analyse a donné un résultat positif, mais les dirigeants des deux organismes ont refusé de rendre cette analyse obligatoire. Des dizaines de milliers de personnes ont été condamnées à mort par cette décision. Pourquoi? Parce que les homosexuels ne veulent subir aucun test, ils ne veulent pas que leur identité soit révélée et ils ne veulent pas que la moindre limite soit apportée à leurs appétits sexuels tordus. Les homosexuels et des forces puissantes favorables à l’homosexualisation de l’Amérique ont réussi à mettre cette proposition en échec ainsi que plusieurs autres propositions sensées visant à nous protéger du SIDA.

[192] L’auteur explique que, en mai 1985, un test sanguin pour l’infection par VIH a été conçu, mais il souligne également que ce test ne permettait pas de détecter le virus pendant une période de temps allant de plusieurs semaines jusqu’à trois ans après l’infection. Cette période a été appelée la période de séroconversion. L’auteur propose donc que les personnes qui reçoivent des transfusions utilisent leur propre sang ou le sang d’un donneur qui n’est pas infecté par le VIH. L’auteur mentionne également que [Traduction] des factions d’homosexuels radicaux ont publiquement menacé de donner délibérément du sang infecté si certaines de leurs demandes ne sont pas satisfaites. Il prétend que ce sang contaminé ne sera peut‑être pas écarté s’il est examiné durant la période de séroconversion.

[193] L’auteur de l’article est également irrité par le fait que des personnes qui travaillent dans des domaines où elles peuvent facilement transmettre le virus à d’autres personnes (par ex. des dentistes, des médecins) ne soient pas tenues de prévenir qui que ce soit qu’elles sont porteuses du VIH. Il écrit ce qui suit :

[Traduction]

Le virus du SIDA est le seul virus qui jouit de droits civils. Des innocents doivent mourir, de telle sorte que la minorité perverse puisse continuer à s’adonner à ses jeux sexuels dépravés. […] L’imposition d’un test de dépistage à tout le monde et l’imposition de la quarantaine dans les cas opportuns mettrait fin au plaisir anal et nous ne pouvons pas, nous ne pouvons tout simplement pas tolérer cela. Eux, les infectés, ont tous les droits. Et nous, les non infectés, n’en avons aucun. Tout le contraire de ce que le système de santé public est censé être!

[194] L’auteur critique les gouvernements pour avoir étouffé dans l’œuf le progrès des études qui prouveraient que le virus peut être transmis même par contact de la peau, pas seulement avec le sang, mais par toute forme de fluides corporels, humides ou sec.

L’auteur prétend ensuite discuter des [Traduction] cas de SIDA parmi les différentes races :

[Traduction]

Jusqu’à présent, les renseignements cachés à propos de cette maladie que j’ai soulignés sont cachés, en partie du moins, sur l’ordre de la très puissante perversion organisée qui a de puissants amis au sein des médias contrôlés et même au sein de la Maison‑Blanche. Je veux cependant que vous réalisiez que les menteurs des médias ne mentent pas que pour protéger les soi‑disants droits de la personne des homosexuels. Ils mentent également dans le but de protéger leur ordre du jour de monde unique multiculturel.

[195] L’auteur affirme ensuite que les [Traduction] données relatives aux hétérosexuels atteints du SIDA révèlent que les Noirs [Traduction] sont de 14 à 20 fois plus susceptibles d’être infectés que les Blancs et que [Traduction] même si les Noirs ne comptent que pour environ 12 p. 100 de la population des États‑Unis, ils comptent pour 90 p. 100 des cas de SIDA chez les hétérosexuels. L’auteur renvoie à un rapport publié dans l’American Journal of Public Health dans lequel on aurait conclu que [Traduction] 42 p. 100 des Américains hétérosexuels de race blanche atteints du SIDA ont été infectés en ayant des relations sexuels avec des personnes de couleur. L’auteur renvoie également à une autre étude dans laquelle on aurait conclu que 83 p. 100 des patients hétérosexuels atteints du SIDA dans la [Traduction] très blanche Belgique étaient des immigrants africains de race noire et que la majorité des [Traduction] hommes de race blanche atteints du SIDA avaient vécu en Afrique centrale ou s’étaient rendus régulièrement en Afrique centrale. On a prétendu que 70 p. 100 des personnes appartenant à ce groupe avaient eu des relations sexuelles avec des femmes de race noire en Afrique.

L’auteur résume comme suit la discussion :

[Traduction]

Notre jeunesse doit être informée quant à ces faits. Il s’agit de risques concrets auxquels elle est confrontée dans ce pauvre monde que nous avons bâti pour eux. C’est une chose criminelle que de leur cacher ces renseignements tout simplement parce que les conclusions que l’on peut tirer de ceux‑ci ne correspondent pas à l’ordre du jour d’un monde unique multiculturel que les troupes du libéralisme nous poussent dans la gorge. Nous devons crier sur tous les toits la vérité à propos du SIDA.

[196] La dernière partie du discours est intitulée Protect yourself and your loved ones (Protégez‑vous et protégez vos proches). L’auteur fait part de son opinion sur ce qui peut être fait [Traduction] pour sauver [nos] familles et [notre] pays de cette épidémie mortelle :

[Traduction]

Évitez tout contact avec les homosexuels reconnus. S’il existe un quartier homosexuel reconnu dans votre région, n’y allez pas. Évitez autant que possible le quartier en vogue de votre ville. C’est souvent là que l’on trouve le plus haut pourcentage d’homosexuels. Évitez notamment d’utiliser les toilettes publiques ou de manger dans les restaurants de ces quartiers.

Si vous vivez en région rurale ou dans une petite ville qui a conservé ses valeurs traditionnelles américaines, restez‑y. Si vous vivez dans une région où ces valeurs ont disparu, où les parades de la fierté gaie ont remplacé les parades du Jour de l’Indépendance et où l’invasion du Tiers Monde bat son plein, examinez soigneusement les choix qui s’offrent à vous. Vous devriez songer à déménager dans une région plus saine sur le plan de la race, sur le plan de la culture et sur le plan médical.

Choisissez soigneusement les personnes que vous fréquentez sur le plan social et sur le plan professionnel. Même si vous devez sacrifier votre statut social ou votre rémunération pour le faire, il est sage d’éviter d’entretenir des rapports étroits avec les personnes qui appartiennent aux groupes à risque élevé, notamment les Noirs, les immigrants du Tiers Monde, les homosexuels et les drogués. Autant que possible, ne permettez pas à vos enfants de fréquenter des personnes qui appartiennent à ces groupes. Lors de vos déplacements, contournez les régions où ces groupes constituent un pourcentage élevé de la population, même si cela vous demande plus de temps et plus d’essence. Rappelez‑vous que seuls les fluides corporels peuvent transmettre le virus et qu’il est impossible de prédire si vous aurez un accident d’automobile, si vous serez impliqué dans une altercation, si vous devrez utiliser des toilettes insalubres ou si vous serez obligé de séjourner dans un hôpital situé dans une zone très infectée, alité à côté d’un patient atteint du SIDA en phase terminale.

[197] L’auteur conclut en mentionnant ce qui suit : [Traduction] Ce que vous devez faire avant tout pour mettre fin à la propagation de cette maladie parmi nous, c’est participer le plus possible à l’effort de sensibilisation constitué par la présente émission radiophonique.

e) L’article est‑il susceptible d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable pour un motif de distinction illicite?

[198] J’accepte les observations formulées par la Commission et par M. Warman selon lesquels l’article intitulé AIDS Secrets est susceptible d’exposer les homosexuels et les Noirs à la haine ou au mépris parce qu’ils appartiennent à un groupe identifiable du fait de l’orientation sexuelle, de la couleur et de la race, qui sont des motifs de distinction illicite visés par l’article 3 de la Loi.

[199] La Commission et M. Warman soulignent que cet article comporte plusieurs des caractéristiques des messages haineux au sens de l’article 13 qui ont été déjà été relevées dans des décisions du Tribunal et dans des décisions des cours de justice et qui ont été résumées dans la décision Kouba. L’article fait état de présumés faits authentiques et il renvoie à des sources dignes de confiance dans le but d’encourager les lecteurs à accepter, tels quels, de grossières généralisations et des stéréotypes présentés à propos du groupe particulier, notamment que les homosexuels ont des comportements sexuels débridés et déviants (Kouba, au paragraphe 30). L’utilisation de présumés faits authentiques pour justifier des conclusions extrêmement négatives à propos des membres du groupe identifiable constitue un moyen puissant d’exposer ceux‑ci à la haine parce que certains lecteurs croiront que les conclusions sont justifiées compte tenu des éléments de preuve fournis par les récits et les rapports (Kouba, au paragraphe 38).

[200] L’article mentionne également que les homosexuels et les Noirs constituent des menaces terrifiantes sur le plan social et qu’ils privent les autres (notamment nos familles et nos enfants) de leur sécurité et de leur bien‑être en, notamment, conspirant pour empêcher les autorités et la science de mettre au point des moyens de combattre le VIH (Kouba, au paragraphe 24). La responsabilité à l’égard de l’un des problèmes les plus importants au monde qui peut avoir des conséquences mortelles, c’est‑à‑dire la propagation du SIDA, est rejetée presque entièrement sur les épaules des homosexuels et des Noirs (Kouba, au paragraphe 45). Les homosexuels sont des personnes dangereuses et immorales (Kouba, au paragraphe 49) qui, en étant motivées par un désire égoïste de se livrer à leurs pratiques sexuelles déviantes et en ne faisant pas analyser leurs dons de sang, sont responsables de la mort de milliers de personnes. L’auteur prétend que certains d’entre eux ont menacé de donner sciemment du sang contaminé qui sera transfusé à d’autres personnes qui ne sont pas infectées.

[201] L’auteur demande finalement que l’on évite tout contact avec les groupes à risque élevé, notamment les Noirs, les immigrants du Tiers Monde et les homosexuels, afin de mettre fin à la propagation de cette maladie parmi nous, c’est‑à‑dire, vraisemblablement, les hétérosexuels de race blanche. Le message transmet donc l’idée que la séparation de ces groupes de la population hétérosexuelle de race blanche est la solution qui permettra de [Traduction] sauver nos familles et notre pays de cette épidémie mortelle. Comme il a été souligné dans la décision Kouba, au paragraphe 57, le Tribunal, dans la décision Nealy, a conclu que de tels messages prônaient le recours à la violence comme moyen proactif de défense contre quiconque est considéré comme un ennemi de la pureté raciale.

[202] De plus, l’article est imprégné d’un langage particulièrement incendiaire et désobligeant (Kouba, au paragraphe 67). Les homosexuels sont qualifiés de pervers et de déviants sexuels et il est mentionné que le VIH/sida est sorti de leurs bordels sordides et dégueulasses […] comme un ange de la mort des rivières débordantes des fluides corporelles qui ont coulé comme des chutes d’eau fétides dans les rues de l’Amérique. Les homosexuels sont décrits comme une minorité perverse qui s’adonne à des jeux sexuels dépravés et à des pratiques dégueulasses et qui a des appétits sexuels tordus.

[203] M. Lemire prétend que les affirmations figurant dans l’article intitulé AIDS Secrets sont fondées sur des faits authentiques dont j’ai déjà fait mention. Il a produit des copies des rapports et des études mentionnés dans l’article qui, par exemple, font état de statistiques démontrant que les Noirs américains et les hispaniques sont plus susceptibles de contracter le sida et que le virus de l’immunodéficience acquise est [Traduction] exceptionnellement stable à la température ambiante, ce qui [Traduction] peut expliquer l’apparition de certains cas de sida dans les groupes qui ne sont pas à risque. M. Lemire a également renvoyé au rapport de la Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada (La Commission Krever) qui a conclu que 75 p. 100 des personnes atteintes du VIH/sida étaient des hommes homosexuels ou bisexuels et qui a souligné que la National Hemophilia Foundation avait recommandé que, dans certaines circonstances, on interdise aux hommes homosexuels de donner du sang ou du plasma. Un document publié par la Société canadienne du sang indique que la Société interdit aux hommes de donner du sang s’ils ont eu des relations sexuelles, même une seule fois, avec un autre homme depuis 1977. La politique mentionne que, selon les statistiques compilées par l’Agence de la santé publique du Canada pour l’année 2005, le nombre de cas d’infection au VIH est beaucoup plus élevé chez les hommes qui ont eu des relations sexuelles avec d’autres hommes.

[204] M. Lemire a prétendu que l’article écrit par M. Strom est une discussion du danger posé par le VIH/sida à ses lecteurs et qu’il ne vise qu’à [Traduction] susciter une discussion fondée sur les recherches personnelles de l’auteur. Il prétend que M. Strom n’a pas recommandé que l’on fasse du tort aux personnes infectées par le VIH/sida. Il a plutôt recommandé à ses lecteurs d’être prudents et d’éviter d’entretenir des rapports étroits avec les personnes qui appartiennent aux groupes à risque élevé.

[205] Comme je l’ai déjà mentionné dans la présente décision, le Tribunal, dans la décision Citron, a souligné, aux paragraphes 153 et 154, qu’un débat portant sur des sujets délicats comme l’Holocauste, ou comme en l’espèce, le VIH/sida, peut être tout à fait légitime. Bien qu’il puisse être pénible pour certaines personnes que des questions concernant de tels sujets soient abordées, la norme pour déterminer si on a fomenté la haine ou le mépris doit être appliquée avec circonspection afin de ne pas perdre de vue le droit à la liberté de parole (Citron, au paragraphe 153). Toutefois, lorsque la discussion dénigre de façon excessive des personnes ou des groupes de personnes pour des motifs de distinction illicite, les propos cessent d’être acceptables au sens de l’article 13 de la Loi. Ils ne peuvent plus être considérés comme une expression publique fondamentale, comme M. Lemire décrit l’article intitulé AIDS Secrets.

[206] La question de savoir si les opinions exprimées dans un tel article inacceptable sont fondées sur des faits n’est pas déterminante. Comme la Cour suprême l’a mentionné dans l’arrêt Taylor, à la page 935, la Charte n’exige pas une exception pour les déclarations vraies dans le contexte de l’article 13 de la Loi. Il s’ensuit que si des déclarations conformes aux faits sont utilisées d’une façon qui est susceptible d’exposer des personnes ou des groupes de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs de distinction illicite, alors elles violeront l’article 13.

[207] Selon moi, les propos figurant dans l’article intitulé AIDS Secrets expriment des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation envers les homosexuels en particulier. L’article contient de nombreuses exagérations et de nombreuses condamnations morales. Les homosexuels et, dans une moindre mesure, les Noirs, sont discrédités parce qu’ils seraient des pourvoyeurs d’un tueur qui est en liberté et qui détruit de façon atroce les vies d’enfants et d’adultes américains. Des propos extrêmes sont utilisés pour les diffamer, eux et leurs modes de vie. Ils sont décrits comme constituant une force puissante qui conspire en vue de faire du tort aux autres. Plutôt que d’utiliser les statistiques et les études d’une façon scientifique objective, l’article adopte un ton alarmiste, presque hystérique, qui, combiné avec les caractéristiques susmentionnées, est susceptible de les exposer à la haine ou au mépris.

f) L’article a‑t‑il été communiqué en utilisant ou en faisant utiliser un téléphone de façon répétée ou en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement au sens du paragraphe 13(1)?

[208] Le paragraphe 13(2) prévoit que le paragraphe 13(1) s’applique aux propos communiqués par Internet, ce qui, par conséquent, comprend les messages transmis grâce au site Web Freedomsite. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné dans la présente décision, Mme Rizk a conclu que le site Web Freedomsite était hébergé par une société de Denver (Colorado) aux États‑Unis. De plus, l’examen effectué par M. Klatt des blogues du site Web a révélé que plus de 84 p. 100 des personnes qui ont consulté l’article (c.‑à‑d. 799 personnes) y ont accédé à partir des États‑Unis. Seuls un peu moins de 2 p. 100 des personnes qui ont consulté l’article (c.‑à‑d. huit personnes) l’ont fait à partir du Canada. Par conséquent, M. Lemire a prétendu que comme le site Web était situé aux États‑Unis et que presque que toutes les personnes qui ont consulté l’article se trouvaient à l’extérieur du Canada, la communication n’a pas pu se faire grâce aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement.

[209] Toutefois, M. Lemire est le webmestre/administrateur avoué du site Web Freedomsite, et j’ai déjà conclu que c’était lui qui avait affiché dans le site Web le document intitulé Controversial Columnists dans lequel figure l’article intitulé AIDS Secrets. Au cours de l’audience tenue par le Tribunal, il a été très clairement mentionné que M. Lemire réside au Canada et que son lieu de résidence a été pris en compte dans le cadre du choix du lieu de l’audience. L’adresse mentionnée dans le site Web où l’on pouvait, par exemple, envoyer des contributions financières visant à maintenir le site Web en exploitation, était située à Toronto. Aucun de ces éléments de preuve n’a été contredit.

[210] Par conséquent, la prépondérance de la preuve démontre que M. Lemire administrait, du Canada, le site Web Freedomsite (tâche qui pouvait comprendre le téléchargement de documents sur le serveur), et ce, peu importe que le site Web soit exploité ou non grâce à un serveur situé aux États‑Unis. Comme le Tribunal l’a souligné dans la décision Zündel, au paragraphe 110, bien que le raccordement des internautes canadiens puisse faire appel jusqu’à un certain point à des services extra‑territoriaux, le libellé anglais du paragraphe 13(1) précise que la communication doit être acheminée in whole or in part (en totalité ou en partie) par une entreprise de télécommunication sous réglementation fédérale. Je rejette donc la prétention de M. Lemire à cet égard.

[211] En ce qui concerne la question de savoir si les messages ont été communiqués de façon répétée, M. Warman a affirmé dans son témoignage que n’importe quel membre du public qui se sert d’Internet peut accéder à la section Controversial Columnists du site Web. Dans ces circonstances, je conclus que les messages peuvent être considérés comme ayant été communiqués de façon répétée au sens de l’article 13 (voir Warman c. Winnicki, 2005 CF 1493, au paragraphe 32, Kulbashian, au paragraphe 62, Warman c. Beaumont 2007 TCDP 49, aux paragraphes 51 à 57).

[212] Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, je conclus que l’article intitulé AIDS Secrets contient des propos qui sont susceptibles d’exposer les homosexuels et les Noirs à la haine ou au mépris et que M. Lemire les a communiqués au sens de l’article 13 de la Loi. La plainte est fondée à cet égard.

IV. La question constitutionnelle

[213] Avant le début de l’audience, M. Lemire a déposé une requête visant à faire déclarer l’article 13, le paragraphe 54(1) et le paragraphe 54(1.1) de la Loi inopérants pour des motifs d’ordre constitutionnel. J’ai statué qu’il serait préférable de traiter la requête après la tenue de l’audience car nous disposerons alors d’une preuve complète. L’inclusion, en l’espèce, de la question constitutionnelle a suscité la participation du procureur général du Canada ainsi que celle des cinq parties intéressées. M. Warman, toutefois, a décidé de ne formuler aucune observation quant à la question constitutionnelle.

[214] Bien que M. Lemire ait fait mention, dans sa requête, de la liberté de conscience garantie par l’alinéa 2a) de la Charte et des droits à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne garantis par l’article 7 de la Charte, il a fait principalement mention de la violation de la liberté d’expression que lui garantit l’alinéa 2b) de la Charte. Je traiterai tour à tour de chacune de ces prétentions.

A. La liberté d’expression (alinéa 2b) de la Charte)

[215] M. Lemire fait valoir que le paragraphe 13(1) de la Loi viole sa liberté d’expression. La Commission et le procureur général reconnaissent que le contenu des messages affichés dans Internet dont fait état la Commission en l’espèce est une forme d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte, que l’alinéa 2b) est violé, et que l’analyse qu’il convient d’appliquer porte sur la question de savoir si l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[216] Ce n’est évidemment pas la première fois que la validité de l’article 13 au regard de la Charte est contestée. Dans l’arrêt Taylor, rendu par la Cour suprême en 1990, les juges de la majorité ont conclu que la disposition impose une limite raisonnable à la liberté de croyance, d’opinion et d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. En 1999, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt McAleer c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Payzant), [1999] A.C.F. no 1095, a conclu que les conclusions tirées dans l’arrêt Taylor s’appliquent également aux questions qui exposent des personnes à la haine ou au mépris pour des motifs autres que ceux qui ont été soulevés dans l’arrêt Taylor (la race et la religion). C’est l’orientation sexuelle qui était le motif de distinction dont il était question dans l’arrêt McAleer.

[217] Le Tribunal, dans deux décisions ultérieures (Citron et Schnell), a statué sur les contestations soulevées par les intimés quant à la constitutionalité de la disposition. Les contestations ont été rejetées dans les deux décisions, lesquelles ont été rendues en 2002. La Commission et le procureur général prétendent que M. Lemire n’a pas réussi à réfuter les conclusions tirées dans l’arrêt Taylor et dans les autres décisions susmentionnées.

[218] Depuis l’arrêt Taylor, un certain nombre de modifications ont été apportées à l’article 13 et à ses dispositions réparatrices énoncées au paragraphe 54(1). En vertu de la version de la Loi examinée dans l’arrêt Taylor, le Tribunal, après avoir conclu qu’une plainte déposée en vertu de l’article 13 était fondée, ne pouvait que rendre l’ordonnance dont il est question à l’alinéa 53(2)a) de la Loi. Par conséquent, on ne pouvait ordonner à une personne qui commet cet acte discriminatoire que de cesser de le commettre (grâce à ce que l’on appelle une ordonnance de cesser et de s’abstenir) et de prendre des mesures en consultation avec la Commission en vue d’empêcher que le même acte soit commis dans l’avenir. En 1998 (L.C. 1998, ch. 9, art. 28), le paragraphe 54(1) a été remplacé par une disposition mentionnant que le Tribunal pouvait rendre l’ordonnance prévue à l’alinéa 53(2)a), mais qu’il pouvait aussi ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire

  • de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré, et ce, en vertu du paragraphe 53(3),
  • de payer une sanction pécuniaire d’au plus 10 000.

[219] De plus, l’article 13 a été modifié en 2001 (L.C. 2001, ch. 41, art. 88) par l’ajout d’un paragraphe (la version actuelle du paragraphe 13(2)) précisant que l’acte discriminatoire s’applique à l’utilisation d’un ordinateur, d’un ensemble d’ordinateurs connectés ou reliés les uns aux autres, notamment d’Internet.

[220] Par conséquent, M. Lemire prétend que ces modifications apportées après que l’arrêt Taylor fut rendu soulèvent de nouveaux motifs qui justifient un réexamen de la constitutionalité des dispositions de la Loi en matière de messages haineux. De plus, il ajoute que certaines des conclusions tirées par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor, notamment celles qui concernent les objectifs visés par l’article 13, étaient des [Traduction] erreurs fondamentales qui justifient [Traduction] l’invalidation de la disposition.

[221] Bien que je sois disposé à examiner les observations formulées par M. Lemire, je partage l’opinion formulée par le Tribunal dans la décision Schnell, au paragraphe 141, qu’il ne convient pas de réexaminer toute la question du caractère justifiable du paragraphe 13(1) de la Loi au regard de l’article premier de la Charte. Je suis lié par la décision rendue à majorité par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor. Cette décision fut suivie dans l’arrêt McAleer. Par conséquent, sauf si M. Lemire est capable de faire une distinction entre les circonstances de l’espèce et celles de l’arrêt Taylor, je ne peux pas mettre en doute les conclusions de la Cour afin de corriger une présumée erreur fondamentale.

[222] En ce qui concerne les conclusions tirées par le Tribunal dans les décisions Citron et Schnell, je souligne que dans la première décision, le Tribunal a conclu que la plainte a été déposée avant les modifications et que, par conséquent, elle ne s’appliquait pas à cette instance. Bien que le Tribunal ait formulé certains commentaires quant à l’incidence des modifications, ceux‑ci n’étaient essentiellement que des remarques incidentes. En ce qui concerne la décision Schnell, bien que les modifications furent applicables, le Tribunal a précisé que l’un des éléments clés des modifications de 1998, c’est‑à‑dire la possibilité d’imposition d’une sanction à l’auteur de l’acte, n’était pas en litige dans cette instance. Par conséquent, les commentaires formulés par le Tribunal concernant l’incidence de la nouvelle disposition prévoyant une sanction pécuniaire sur les conclusions tirées dans l’arrêt Taylor sont également, dans un certain sens, des remarques incidentes. De plus, comme je l’ai déjà mentionné, je ne suis aucunement lié par les conclusions tirées dans les autres décisions du Tribunal.

(i) Le jugement rendu par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor

[223] Dans l’arrêt Taylor, la Cour suprême a conclu que le paragraphe 13(1) viole l’alinéa 2b), ce qui, comme je viens de le mentionner, a également été reconnu par la Commission et par le procureur général dans le contexte des communications de M. Lemire en l’espèce. La Cour a ensuite porté son attention sur la question de savoir si on pouvait démontrer, en appliquant le critère énoncé dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, que cette violation était justifiée au regard de l’article premier de la Charte. L’article premier de la Charte est ainsi libellé :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

[224] Le critère énoncé dans l’arrêt Oakes comporte deux volets. En premier lieu, l’objectif que doivent servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte doit être suffisamment important pour justifier que celui‑ci ou celle‑ci soit supprimé. À tout le moins, l’objectif doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique. Deuxièmement, la partie qui invoque l’article premier doit démontrer que les mesures sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cette démonstration comporte un critère de proportionnalité à trois volets : les mesures doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif, elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté garantis en question et il doit y avoir proportionnalité entre l’effet direct des mesures choisies et l’importance de l’objectif visé – plus les effets préjudiciables d’une mesure sont graves, plus l’objectif doit être important. Dans l’arrêt Taylor, la Cour suprême a conclu que le paragraphe 13(1) satisfaisait aux deux volets du critère énoncé dans l’arrêt Oakes.

[225] Bien que, d’ordinaire, il incombe à la personne qui invoque l’article premier de démontrer que le critère énoncé dans l’arrêt Oakes a été satisfait, selon moi, en l’espèce, compte tenu des conclusions claires tirées par la Cour suprême sur la question, M. Lemire doit d’abord me convaincre que la preuve et les circonstances de l’espèce sont telles qu’il y a lieu de faire une distinction entre l’arrêt Taylor et la présente espèce. S’il y a lieu de faire une distinction, il incombera alors à la Commission, au procureur général et aux parties intéressées qui invoquent l’article premier de démontrer que le critère énoncé dans l’arrêt Oakes est toujours satisfait, malgré ces facteurs de distinction.

(a) L’objectif visé par le paragraphe 13(1) se rapporte‑t‑il toujours à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique (le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Oakes)?

[226] Dans l’arrêt Taylor, la Cour suprême a déclaré que l’objectif législatif visé par le paragraphe 13(1) ressort de l’objectif de la Loi énoncé à l’article 2, c’est‑à‑dire l’égalité des chances indépendamment de considérations fondées notamment sur la race ou la religion. Par conséquent, le législateur a affirmé que les messages visés par le paragraphe 13(1) sont contraires à la promotion de cette égalité.

[227] La Cour a ajouté que la crainte du législateur que la diffusion de la propagande haineuse n’aille à l’encontre de l’objet général de la Loi n’est pas sans fondement. La Cour a renvoyé aux conclusions, tirées en 1966, par le Comité spécial de la propagande haineuse au Canada (communément appelé le comité Cohen). Le comité Cohen a fait remarquer que les individus soumis à la haine raciale ou religieuse risquent d’en subir une profonde détresse psychologique, les conséquences préjudiciables pouvant comprendre la perte de l’estime de soi, des sentiments de colère et d’indignation et une forte incitation à renoncer aux caractéristiques culturelles qui les distinguent des autres. Le comité a également fait remarquer que la propagande haineuse peut parvenir à convaincre les auditeurs, fût‑ce subtilement, de l’infériorité de certains groupes raciaux ou religieux. La Cour a souligné que cela peut entraîner un accroissement des actes de discrimination, se manifestant notamment par le refus de respecter l’égalité des chances dans la fourniture de biens, de services et de locaux, et même par le recours à la violence. La Cour a également renvoyé à un certains nombre d’autres études, effectuées dans les années 80, qui ont repris la conclusion du comité Cohen selon laquelle la propagande haineuse représente une menace importante pour la société.

[228] La Cour suprême a conclu que les messages constituant de la propagande haineuse portent atteinte à la dignité et à l’estime de soi des membres du groupe cible et, d’une façon plus générale, contribuent à semer la discorde entre divers groupes raciaux, culturels et religieux, minant ainsi la tolérance et l’ouverture d’esprit qui doivent fleurir dans une société multiculturelle vouée à la réalisation de l’égalité. Par conséquent, la Cour a conclu que l’objet que vise le paragraphe 13(1) est de toute évidence suffisamment urgent et réel pour justifier certaines restrictions à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte.

[229] M. Lemire prétend que la conclusion tirée par la Cour suprême était une erreur fondamentale. Il prétend que l’article 13 est essentiellement une [Traduction] réincarnation de l’ancienne infraction de libelle séditieux prévue par la common law, à savoir [Traduction] des propos qui engendrent ou qui tendent à engendrer entre différentes classes des sujets de Sa Majesté des sentiments de haine et d’inimitié. Toutefois, l’article 13 ne comprend pas les moyens de défense que pouvait invoquer une personne accusée de cette infraction criminelle ni les garanties procédurales connexes. M. Lemire prétend que la Cour suprême, dans l’arrêt Taylor, a commis une erreur en examinant l’article 2 de la Loi en vue de discerner l’objet visé par l’article 13. La Cour aurait plutôt dû examiner l’article 13 lui‑même afin de découvrir son objet, lequel est, selon M. Lemire, d’empêcher les types de communications et de témoignages qui, autrefois, étaient traitées comme des libelles séditieux (voir R. c. Boucher, [1951] R.C.S. 265).

[230] M. Lemire souligne que la modification apportée au paragraphe 13(2) en 2001, qui étendait explicitement la portée du paragraphe 13(1) aux messages Internet, a été adoptée dans le cadre de la Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, démontrant ainsi que l’article 13 fait partie de la stratégie de l’État visant à éradiquer le terrorisme et à protéger la sécurité politique, sociale et économique du Canada. Il ne s’agit donc pas d’une loi réparatrice visant à empêcher la discrimination. Elle vise plutôt à contrôler l’opposition aux politiques qui peut créer des inimitiés entre des groupes de la société et mener à l’opposition aux politiques gouvernementales comme les politiques en matière de multiculturalisme et d’immigration en provenance du Tiers Monde.

[231] Selon moi, ce rappel par M. Lemire quant à la manière selon laquelle la modification apportée à la Loi en 2001 a été adoptée ne fait état d’aucun changement dans les circonstances qui justifierait que je réexamine les conclusions tirées par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor quant à l’objet visé par le paragraphe 13(1). Les comparaisons faites par M. Lemire avec le libelle séditieux et son interprétation de l’objet visé par l’article 13 valaient autant pour la version antérieure de la disposition. La nouvelle disposition législative ne change pas la situation qui existait lorsque l’arrêt Taylor a été rendu et elle ne justifie pas que l’on conclue que les conclusions tirées par la Cour suprême concernant les objets visés par la disposition devraient être réexaminés.

[232] En outre, comme le procureur général l’a souligné, les débats de la Chambre des communes qui ont précédé l’adoption de la Loi antiterroriste (projet de loi C‑36) confirment que l’objet visé par la loi, et notamment par les modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne, était d’établir un juste équilibre entre les droits individuels, y compris le droit d’être protégé contre la discrimination et la protection de la société. Le 16 octobre 2001, l’honorable Anne McLellan, qui était alors ministre de la Justice et procureure générale du Canada, a déclaré que le projet de loi réaffirme l’égalité de droit de tout citoyen, sans égard à la religion, la race ou l’origine ethnique, de jouir de la sécurité, des protections et des libertés que partagent tous les Canadiens (Débats de la Chambre des communes, no 095 (16 octobre 2001), page 6164 (l’honorable Anne McLellan)). Elle a également souligné que la Loi était modifiée afin d’établir clairement que la communication de propagande haineuse au moyen de la nouvelle technologie, comme Internet, constituait un acte discriminatoire. La ministre a souligné que bien que l’on considérait déjà discriminatoire une telle communication, ces modifications rendraient la loi plus certaine et plus claire.

[233] La dernière déclaration de la ministre est en fait confirmée par le libellé du paragraphe 13(2) qui commence par les mots Il demeure entendu […]. De plus, nonobstant les objectifs généraux visés par la Loi antiterroriste, selon l’article 42 de la Loi d’interprétation, L.R.C. ch. I‑21, le texte modificatif, dans la mesure compatible avec sa teneur, fait partie du texte modifié. Comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt Taylor, l’objet visé par la Loi canadienne sur les droits de la personne est l’égalité des chances indépendamment de considérations fondées notamment sur la race ou la religion. Je ne suis donc pas convaincu par la prétention de M. Lemire selon laquelle l’objet visé par l’article 13 a été modifié suite à la modification de 2001.

[234] Toutefois, M. Lemire soulève un autre domaine où il prétend que de nouvelles circonstances remettent en question les conclusions tirées dans l’arrêt Taylor concernant le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Oakes. Il prétend qu’il a été prouvé que les conclusions tirées par le comité Cohen mentionnées dans l’arrêt Taylor étaient inexactes. M. Lemire a produit le témoignage de Michael Persinger, un professeur de psychologie à l’Université Laurentienne, dans le but de contester ces conclusions. M. Persinger a examiné la partie du rapport du comité Cohen qui a été écrite par Harry Kaufmann, PhD., et qui porte sur la détresse psychologique occasionnant la perte de l’estime de soi et sur les sentiments de colère dont peuvent souffrir les individus soumis à la haine raciale ou religieuse.

[235] M. Persinger a affirmé dans son témoignage que les conclusions tirées par M. Kaufmann étaient périmées et étaient fondées sur des théories psychologiques inexactes. Toutefois, bien que M. Persinger ait fait mention des progrès technologiques en neuroscience et en neuropsychologie qui ont permis aux chercheurs de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau, la plupart de ses critiques semblaient viser la méthode suivie par M. Kaufmann afin d’arriver à ses conclusions plutôt que les progrès scientifiques. Plus particulièrement, M. Persinger a critiqué M. Kaufmann pour s’être fié à des études corrélationnelles plutôt qu’à des preuves expérimentales directes et pour avoir utilisé des termes comme estime de soi et détresse psychologique (M. Persinger a décrit ces termes comme ayant une portée trop large, comme étant vagues et dépourvus de signification) et pour ne pas avoir tenu compte de variables importantes : l’agressivité provoquée par la frustration, qui est ressentie par une personne lorsqu’elle n’a aucune occasion de répondre librement à la propagande haineuse et, deuxièmement, le fait que des personnes font preuve d’outrage et se comportent de façon émotive lorsque leurs convictions ne sont plus récompensées par le consensus du groupe.

[236] Selon moi, les critiques de M. Persinger auraient très bien pu être lancées en 1990 lorsque l’arrêt Taylor a été rendu. Cette tentative de réexamen des conclusions de la Cour quant au rapport du comité Cohen n’est pas fondée sur les modifications apportées ultérieurement aux dispositions de la Loi en matière de messages haineux et la preuve ne démontre pas de façon convaincante qu’il y a eu des changements majeurs dans la science applicable pour que je sois justifié de ne pas tenir compte des conclusions tirées dans l’arrêt Taylor quant au premier volet de l’analyse au regard de l’article premier énoncé dans l’arrêt Oakes.

[237] En outre, selon moi, les observations formulées par M. Lemire à cet égard sont fondées sur une interprétation erronée de l’analyse effectuée dans l’arrêt Taylor. La Cour a fait une distinction entre l’objet visé par le paragraphe 13(1) et celui visé par l’article 2 de la Loi (la disposition portant sur l’objet) et non pas seulement entre l’objet visé par le paragraphe 13(1) et les conclusions du comité Cohen. Bien que la Cour ait mentionné que les conclusions du comité ont fourni certains éléments justifiant le désir du législateur d’atteindre cet objet, la Cour a également fait mention d’un certain nombre d’autres rapports étayant sa conclusion. M. Lemire n’a soumis aucune preuve mettant en doute la validité de ces rapports.

[238] De plus, la Cour suprême a également souligné que la position prise par la communauté internationale dans le domaine de la protection des droits de la personne est également très pertinente aux fins de l’appréciation de l’importance d’un objectif gouvernemental. La Cour a fait mention d’instruments internationaux et de causes de jurisprudence démontrant que l’engagement de la communauté internationale envers l’élimination de la discrimination va jusqu’à l’interdiction de la diffusion d’idées fondées sur la notion de supériorité raciale ou religieuse (Taylor, aux pages 919 à 920). Cette preuve, selon la Cour, souligne l’importance capitale qu’il faut accorder au but de prévenir les préjudices causés par la propagande haineuse.

[239] La Cour suprême a également conclu que les valeurs de l’égalité et du multiculturalisme, qui se trouvent consacrées aux articles 15 et 27 de la Charte, servent à mettre en relief l’importance de l’objectif visé par le législateur fédéral quand il a adopté le paragraphe 13(1). La Cour a souligné qu’il se dégage de ces dispositions de la Charte que, parmi les principes directeurs de l’analyse fondée sur l’article premier, figurent notamment le respect de la dignité et de l’égalité de l’individu et la reconnaissance que la conception qu’on se fait de soi‑même peut dépendre dans une large mesure de l’appartenance à un groupe culturel particulier. La Cour a donc conclu que comme le préjudice découlant de la propagande haineuse va à l’encontre de ces principes fondamentaux inhérents à la Charte, l’importance de prendre des mesures en vue de limiter les effets pernicieux de cette propagande est évidente (Taylor, aux pages 920 et 921).

[240] Il est donc évident que les conclusions tirées par la Cour suprême quant à l’objectif visé par le législateur en adoptant l’article 13 n’étaient pas entièrement fondées sur le rapport du comité Cohen, mais étaient également fondées sur d’autres considérations. Même si les conclusions du comité Cohen sont inexactes comme le prétend M. Lemire, cela ne justifie pas que je réexamine les conclusions tirées par la Cour suprême quant à cette étape de l’analyse proposée dans l’arrêt Oakes.

(b) La deuxième étape de l’analyse proposée dans l’arrêt Oakes – La mesure est‑elle proportionnelle à l’objet visé par l’article 13

1. La mesure choisie a‑t‑elle un lien rationnel avec l’objectif?

[241] Selon la méthode analytique proposée dans l’arrêt Oakes, la première étape dans le cadre de l’analyse effectuée en vue de savoir si la mesure est proportionnelle à son objectif consiste à déterminer s’il existe un lien entre la mesure et l’objectif de manière que cette mesure ne puisse être qualifiée d’arbitraire, d’injuste ou d’irrationnelle (Taylor, à la page 921).

[242] Dans l’arrêt Taylor, la Cour a conclu que dès lors qu’on accepte que la propagande haineuse produit des effets qui portent atteinte aux principes directeurs énoncés à l’article 2 de la Loi, il n’y a plus à douter que le paragraphe 13(1) a un lien rationnel avec l’objectif de limiter les activités qui s’opposent à la promotion de l’égalité et de la tolérance dans notre société. La Cour a ajouté que quand on y joint les dispositions réparatrices de la Loi, le paragraphe 13(1) joue de manière à supprimer la propagande haineuse et à écarter ses conséquences préjudiciables et il a donc un lien rationnel avec la réalisation de l’objet visé par le législateur fédéral.

[243] Je ne suis pas convaincu que les circonstances ont changé depuis l’arrêt Taylor et qu’il serait justifié que je réexamine la conclusion de la Cour à cet égard. La Cour a souligné que le processus consistant à entendre une plainte déposée en vertu du paragraphe 13(1) (et, si la plainte est fondée, à rendre une ordonnance d’interdit), rappelle aux Canadiens notre engagement fondamental envers l’égalité des chances et l’élimination de l’intolérance raciale et religieuse, c’est‑à‑dire l’objectif réel et urgent de la disposition.

[244] Cette observation est toujours valable même si le Tribunal, depuis 1998, peut ordonner à un intimé de payer une sanction pécuniaire et une indemnité spéciale. L’existence de ces formes additionnelles de réparation n’a aucune incidence sur les conclusions de la Cour. Ces mesures plus récentes ont un lien rationnel avec l’objectif de diminution de la propagande haineuse au Canada. La Cour a déclaré que la nature conciliatoire de la procédure dans le domaine des droits de la personne ainsi que l’absence de sanctions criminelles font que le paragraphe 13(1) est particulièrement bien conçu pour encourager le diffuseur de propagande haineuse à s’amender. Toutefois, la Cour a ensuite souligné, à la page 924, en faisant mention du paragraphe 319(2) dont la constitutionalité a été confirmée par la Cour dans R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, que même les réparations prévues par le droit criminel [ont] une certaine importance dans la réinsertion sociale des contrevenants. Il s’ensuit que l’imposition de sanctions pécuniaires et la délivrance d’ordonnances de paiement d’une indemnité spéciale contre les personnes à l’égard desquelles il a été conclu qu’elles ont transmis des messages haineux au sens de l’article 13 ont un lien rationnel semblable avec l’objectif de la disposition.

[245] M. Lemire a prétendu que le fait que la portée de l’article 13 a été étendue à Internet démontre une absence de lien rationnel entre la disposition et ses objectifs. Selon lui, le caractère arbitraire, inéquitable et irrationnel de l’article 13 ressort clairement du fait que bien qu’un document donné puisse être considéré comme étant un message haineux lorsqu’il est transmis sur Internet, le même document peut être obtenu sans difficulté dans une librairie.

[246] Cet argument ne me convainc pas, et ce, pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord, je ne dispose d’aucun élément de preuve concernant l’accessibilité en dehors d’Internet du seul message qui, selon moi, a été transmis, au sens de l’article 13, par M. Lemire (l’article intitulé AIDS Secrets). De plus, la transmission de documents imprimés qui sont susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris pourrait toujours constituer un acte discriminatoire en vertu des lois provinciales car ces transmissions ne relèveraient vraisemblablement pas du pouvoir constitutionnel du législateur fédéral. La prémisse de l’argument de M. Lemire n’est peut‑être pas fondée. Enfin, la transmission sous forme de document imprimé ne sera pas nécessairement répétée au sens du paragraphe 13(1). Les transmissions par Internet, par contre, ont toujours été considérées comme étant des transmissions répétées au sens de la disposition. Par conséquent, les transmissions électroniques sur Internet ne sont pas nécessairement comparables aux messages transmis sous forme d’imprimé par des moyens traditionnels.

[247] M. Lemire n’a donc pas prouvé le présumé caractère irrationnel. En résumé, je conclus qu’il n’y a aucun changement dans les circonstances qui justifierait que je réexamine la conclusion, tirée dans l’arrêt Taylor, de lien rationnel entre les mesures prévues à l’article 13 et l’objectif.

2. L’article 13 porte‑t‑il une atteinte minimale à la liberté d’expression garantie par la Charte?

[248] Le prochain volet du critère de proportionnalité énoncé dans l’arrêt Oakes consiste à déterminer s’il a été prouvé que la disposition législative contestée porte une atteinte minimale aux droits ou aux libertés garantis par la Charte. Pour répondre à cette question, la Cour suprême, dans l’arrêt Taylor, a examiné trois arguments. Premièrement, que les mots haine et mépris qui figurent au paragraphe 13(1) sont vagues et imprécis et ne définissent pas la portée de la restriction imposée à la liberté d’expression. Deuxièmement, que le paragraphe 13(1) ne comporte aucune exigence d’intention. Troisièmement, il ne renferme aucune exception pour les déclarations vraies. M. Lemire a soulevé les mêmes arguments en l’espèce.

g) Les mots haine et mépris sont‑ils vagues et imprécis?

[249] La Cour, dans l’arrêt Taylor, à la page 927, a réitéré le principe bien établi selon lequel les droits énumérés dans les lois relatives aux droits de la personne devraient être pleinement reconnus et appliqués grâce à une interprétation juste, large et libérale. Toutefois, cette interprétation en fonction de l’objet visé ne saurait aller jusqu’à permettre que soit imposée à un droit où à une liberté garantis par la Charte une restriction qui, par ailleurs, n’est pas justifiée en fonction de l’article premier.

[250] Selon la Cour, il n’y a aucune incompatibilité entre le fait de donner au paragraphe 13(1) une interprétation qui le rend efficace et la protection de la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b), pourvu que l’interprétation des mots haine et mépris repose sur la pleine conscience que l’objectif du législateur est de protéger l’égalité et la dignité de tous les individus par la réduction des manifestations de l’expression préjudiciable. La Cour a ajouté qu’une telle perspective a été utilisée dans les définitions de haine et de mépris adoptées par le Tribunal dans la décision Nealy que j’ai examinée en détail au début de la présente décision. La Cour était d’avis que ces définitions n’étaient pas particulièrement larges et elle a ajouté que tant que le Tribunal demeurera bien conscient de l’objet du paragraphe 13(1) et tiendra compte de la nature à la fois virulente et extrême des sentiments évoqués par les termes haine et mépris, il y a peu de danger qu’une opinion subjective quant au caractère offensant vienne se substituer à la véritable signification du paragraphe en cause.

[251] M. Lemire prétend que l’expression haine ou mépris n’a aucune signification, et ainsi personne ne peut savoir quelle expression est visée par l’article 13. La Cour suprême, dans l’arrêt Taylor, n’a manifestement pas souscrit à cette interprétation, et M. Lemire n’a pas démontré en quoi les modifications apportées à la Loi depuis ce jugement ont eu une incidence sur les conclusions de la Cour. Il a souligné que plusieurs des experts qui ont témoigné en l’espèce ont exprimé des opinions personnelles différentes quant à la définition de l’expression, mais je ne suis pas convaincu que ces opinions pourraient mettre en doute les descriptions explicites formulées dans l’arrêt Taylor. De plus, la conclusion tirée par la Cour dans l’arrêt Taylor, dans le cadre de son analyse constitutionnelle, selon laquelle l’expression haine ou mépris n’est pas vague et est essentiellement une conclusion de droit qui ne peut pas être contestée par la réunion de nouveaux éléments de preuve.

[252] De plus, les nombreuses décisions rendues par le Tribunal depuis l’arrêt Taylor ont plutôt permis de mieux comprendre cette expression. Dans la décision Kouba, le Tribunal a regroupé les conclusions tirées dans la jurisprudence et les a classées, en fonction de caractéristiques communes, en plusieurs catégories dans le but d’aider tous les intéressés à savoir si une expression donnée peut contrevenir au paragraphe 13(1). Le rejet de plusieurs des allégations formulées dans la présente décision peuvent également servir d’outil d’interprétation. De plus, les cours de justice, à plusieurs reprises, ont confirmé l’appréciation faite par le Tribunal quant à savoir si l’affaire dont il était saisi exposait des personnes à la haine ou au mépris au sens du paragraphe 13(1) (voir Tremaine c. Warman, 2008 CF 1032; McAleer, précité, confirmant McAleer c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Payzant), [1996] 2 C.F. 345 (C.F.P.I.)). Ces opinions judiciaires, compte tenu de leur force obligatoire sur les décisions rendues ultérieurement par le Tribunal, apportent une certitude additionnelle.

[253] Je conclus donc que M. Lemire n’a pas écarté les conclusions tirées dans l’arrêt Taylor quant au présumé caractère vague de l’expression haine ou mépris.

h) L’article 13 exige‑t‑il la preuve de l’intention?

[254] Dans l’arrêt Taylor, la Cour suprême a réitéré que l’intention d’établir une distinction n’est pas une condition préalable à la conclusion de discrimination en vertu des lois relatives aux droits de la personne. Inclure dans des dispositions relatives aux droits de la personne l’exigence subjective de l’intention, au lieu de permettre aux tribunaux de porter uniquement leur attention sur les effets, ferait donc échec à l’objectif d’élimination de la discrimination systémique dans notre société, laquelle est beaucoup plus répandue que la discrimination intentionnelle (Taylor, à la page 931).

[255] La Cour a toutefois reconnu que ne pas tenir compte de l’intention pour déterminer si un acte discriminatoire a été commis au sens du paragraphe 13(1) accroît le degré de restriction apporté à la liberté d’expression garantie par la Constitution. Cela résulte de ce que l’on sait qu’un individu risquant la condamnation ou la censure, parce que ses propos peuvent avoir une conséquence non voulue, exercera probablement une plus grande prudence par auto‑censure.

[256] Néanmoins, la Cour a conclu que l’exigence de l’atteinte minimale énoncée dans l’arrêt Oakes n’est pas transgressée par l’absence de l’exigence d’une intention et elle a souligné que dans le contexte d’une loi relative aux droits de la personne, contrairement au contexte de dispositions pénales comme l’article 319 C.cr., la paralysie de la libre expression dans un tel contexte sera normalement moins grave. Toute déclaration de culpabilité, au pénal, s’accompagne de stigmates et de peines importants, alors que l’opprobre attaché à une conclusion de discrimination est beaucoup moins grand et, en outre, les mesures réparatrices visent plutôt la compensation et la protection de la victime. La Cour, citant le jugement qu’elle a rendu dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, à la page 1134, a souligné que l’objet de la Loi n’est pas d’attribuer une responsabilité morale ou de la punir.

[257] La Cour suprême a décrit son interprétation du processus relatif aux plaintes en matière de droits de la personne qui était en place à l’époque en citant un passage tiré de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans le dossier (cité dans l’arrêt Taylor, aux pages 909 à 910). Par conséquent, il a été expliqué qu’une plainte ne peut pas être renvoyée à un tribunal sans que le présumé transgresseur ait été informé – et puisse jouir – de la possibilité de réfuter cette plainte ainsi que les éléments de preuve sur lesquels la Commission va se fonder pour décider de l’opportunité de constituer un tribunal. Les décisions du Tribunal sont susceptibles de contrôle judiciaire. La seule ordonnance qui pouvait être rendue à l’époque était une ordonnance de cesser et de s’abstenir. Ce n’est seulement qu’après que l’ordonnance a été déposée à la Cour fédérale et que le contrevenant, après avoir eu la possibilité de comparaître à une audience de justification, a été déclaré coupable dans le cadre d’une poursuite judiciaire d’avoir continué d’enfreindre l’ordonnance de cesser et de s’abstenir, qu’une peine peut être infligée. La peine maximale prévue était une amende de 5 000 $ ou une année d’emprisonnement.

[258] La Cour suprême a par conséquent réitéré que l’effet du paragraphe 13(1) est moins conflictuel que s’il s’agissait d’une interdiction pénale, car le cadre législatif favorise un règlement par conciliation et n’autorise l’imposition d’une amende ou de l’emprisonnement que si la personne accomplit intentionnellement les actes prohibés par une ordonnance inscrite en Cour fédérale. (Taylor, aux pages 935 et 936.)

[259] Dans ce contexte, la Cour a conclu, à la page 933, que l’absence d’intention au paragraphe 13(1) n’avait pas d’incidence si préjudiciable sur la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) que la présence de la disposition contestée devenait intolérable dans une société libre et démocratique.

[260] M. Lemire prétend que les conclusions de la Cour à cet égard ont été annulées par les modifications apportées à la Loi en 1998, à savoir l’ajout de la disposition pénale à l’article 54. Il prétend que des conséquences pénales, des stigmates et de la culpabilité morale ont donc été attribués à l’article 13, transformant ainsi la disposition en une infraction quasi criminelle. Il attire également l’attention sur la preuve soumise en l’espèce démontrant que le processus dans sa cause relative à l’article 13 et dans d’autres causes relatives à l’article 13 n’a pas été conciliant comme le cadre législatif donne à penser. Par conséquent, M. Lemire prétend que l’article 13 n’est plus utilisé comme disposition réparatrice et ne possède plus sa nature conciliatoire sur lequel la Cour suprême a fondé sa conclusion selon laquelle la disposition était justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Les montants des sanctions pécuniaires imposées par le Tribunal depuis l’ajout de cette disposition dans la Loi ont varié entre 1 000 $ et 7 500 $. La Commission et le plaignant ont demandé l’imposition d’une sanction pécuniaire dans chaque affaire qui a été soumise au Tribunal depuis que la première plainte soumise après l’introduction des modifications fut tranchée en 2002 (c’est‑à‑dire la plainte dont il était question dans la décision Schnell).

[261] Il est évident que l’ajout de la sanction pénale a une incidence sur les conclusions tirées dans l’arrêt Taylor relativement à l’absence d’intention. À cette époque, le Tribunal ne pouvait ordonner aux intimés, à la suite de son enquête sur une plainte, que de cesser et de s’abstenir de commettre l’acte discriminatoire consistant à transmettre des messages haineux et de prendre des mesures avec la Commission en vue d’empêcher la récurrence de l’acte discriminatoire. À ma connaissance, cette dernière ordonnance n’a jamais été rendue dans le cadre d’une affaire relative à l’article 13.

[262] Le fait que l’ordonnance de cesser et de s’abstenir était le seul recours possible a été décrit comme étant représentatif du caractère conciliatoire, préventif et réparateur de l’article 13 sur lequel la Cour suprême a fondé sa conclusion selon laquelle la disposition avait une incidence minimale sur la liberté d’expression. Toutefois, les choses à cet égard ont beaucoup changé depuis lors avec l’ajout de la disposition pénale. Par conséquent, le danger d’une possible paralysie de la libre expression a pu augmenter. De ce fait, les conclusions de la Cour quant à savoir si l’absence d’une condition d’intention contrevient à l’exigence d’atteinte minimale peuvent être réexaminées.

[263] Quelle est alors l’incidence de la disposition prévoyant une sanction pécuniaire qui figure à l’alinéa 54(1)c) sur l’analyse relative à l’intention figurant dans l’arrêt Taylor, qui fait partie de l’analyse de la Cour relativement à l’atteinte minimale? Le Tribunal, dans la décision Eldon Warman no 1, précitée, a examiné certaines des conséquences. Dans cette décision, le membre instructeur Paul Groarke a exprimé un certain nombre de réserves quant à la sanction pécuniaire de 10 000 $ (le montant maximum) dont la Commission a demandé l’imposition à l’intimé dans cette affaire. Le Tribunal s’est demandé en quoi l’alinéa 54(1)c) s’intègre dans le régime de réparation de la Loi (aux paragraphes 68 et 69) et il a souligné que la sanction pécuniaire est intrinsèquement punitive et qu’elle vise à décourager les personnes qui voudraient porter atteinte à l’égalité vitale sur laquelle les relations dans la société sont fondées. M. Groarke a souligné que la sanction pécuniaire n’a rien d’insignifiant et qu’elle est payable au receveur général et qu’elle doit être versée au compte des recettes générales et non pas à l’éducation, ni à un fonds de victimes, ni à une mesure d’indemnisation quelconque.

[264] Dans cette affaire, le Tribunal était également préoccupé par la répartition ordinaire des fonctions décisionnelles dans notre système de justice (aux paragraphes 71 et 72). D’ordinaire, on laisse aux cours criminelles la tâche de punir les personnes qui commettent des préjudices moraux. Il existe des mesures de protection institutionnelles au sein du processus criminel qui en font une juridiction plus indiquée pour la poursuite d’une sanction contre une personne. Les instances devant le Tribunal sont de nature civile. M. Groarke a fait remarquer que, comme il a été reconnu dans l’arrêt Taylor, l’objet visé par la tenue d’une instruction en vertu de la Loi n’est pas de mesurer le blâme moral associé aux actes d’un intimé. Elle vise à remédier à la discrimination. La tâche d’imposer un châtiment et d’évaluer une sanction pécuniaire ne relève pas du champ normal d’application des responsabilités du Tribunal prévues dans la Loi. De plus, en cours criminelles, les faits doivent être établis hors de tout doute raisonnable plutôt que selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, même si un Tribunal a certains doutes quant à la culpabilité d’un intimé, il peut malgré cela imposer la sanction pécuniaire prévue à l’alinéa 54(1)c).

[265] Le Tribunal a ajouté que les garanties procédurales et institutionnelles qui existent normalement en matière criminelle, notamment la preuve d’intention et l’application stricte des règles de preuve, n’existent pas. L’alinéa 50(3)c) de la Loi prévoit que le Tribunal peut recevoir des éléments de preuve ou des renseignements qu’il estime indiqués, qu’ils soient admissibles ou non devant une cour de justice.

[266] Après avoir soulevé ces réserves dans sa décision, M. Groarke a demandé à la Commission et au plaignant de lui formuler des observations (l’intimé dans cette affaire a choisi de ne pas assister à l’audience). Toutefois, la Commission a décidé de se désister de sa demande d’imposition d’une sanction pécuniaire et, par conséquent, le Tribunal a déclaré l’affaire close (Richard Warman c. Eldon Warman, 2005 TCDP 43 (Eldon Warman no 2)).

[267] En l’espèce, M. Warman a demandé qu’une sanction pécuniaire de 7 500 $ soit imposée à M. Lemire. La Commission, dans ses observations écrites, a demandé que l’on impose à M. Lemire une sanction pécuniaire d’un montant indéterminé. Au cours de sa plaidoirie finale, l’avocat de la Commission a affiné cette demande en déclarant que la Commission demandait l’imposition de la sanction pécuniaire parce que le site Web JRBooksonline.com existait toujours, alors que les documents affichés sur le babillard électronique de Freedomsite.org ont été retirés. En réponse à une question du Tribunal, l’avocat de la Commission a précisé que la Commission ne demandait pas l’imposition d’une sanction pécuniaire si la plainte contre M. Lemire concernant les documents de JRBooksonline.com était jugée non fondée.

[268] J’exprime les mêmes réserves que celles qui ont été soulevées dans la décision Eldon Warman no 1. Dans l’arrêt Taylor, la Cour suprême a conclu que l’absence de l’élément d’intention au paragraphe 13(1) ne soulève aucun problème en matière d’atteinte minimale car l’objectif de cette disposition est d’empêcher la discrimination (ainsi que dédommager et protéger la victime) plutôt que d’attribuer une responsabilité morale ou de la punir. Les considérations mentionnées par M. Groarke démontrent que, depuis les modifications de 1998, le paragraphe 13(1) a perdu les éléments compensatoires et préventifs exclusifs qui le caractérisaient aux yeux des juges majoritaires dans l’arrêt Taylor. À la suite du raisonnement de la Cour, on ne peut plus conclure que la disposition porte une atteinte minimale à la liberté d’expression garantie par la Charte.

[269] M. Lemire a évoqué les nombreuses façons par lesquelles la sanction pécuniaire a modifié l’article 13. Il a souligné que, parmi tous les actes discriminatoires interdits énoncés aux articles 5 à 14.1 de la Loi, les messages haineux ressortent comme étant les seuls actes discriminatoires pour lequel une amende payable à l’État peut être imposée par le Tribunal. Les seules conséquences pénales qui peuvent être engendrées relativement aux autres actes discriminatoires ont uniquement trait à la procédure pour outrage aux ordonnances du Tribunal, et celle‑ci est introduite devant la Cour fédérale (comme ce fut le cas dans l’arrêt Taylor) et non pas devant le Tribunal.

[270] M. Lemire a souligné que, en anglais, le mot penalty (sanction) constitue par définition une [Traduction] punition pour une violation de la loi, et le terme punish (punir) signifie [Traduction] faire souffrir un délinquant pour une infraction [ou] infliger une peine en représailles ou comme mise en garde contre une future inconduite (The New Shorter Oxford English Dictionary, 1993). Même si aucune des parties n’a fait mention de la version française de l’alinéa 54(1)c), je souligne qu’il prévoit l’imposition d’une sanction pécuniaire. Le mot sanction est défini comme étant une mesure répressive infligée par une autorité pour […] l’inobservation d’un règlement, d’une loi ou comme étant une peine prévue pour réprimer l’inexécution d’une loi, d’un règlement, d’une obligation (Le Petit Larousse illustré 2007). Selon moi, les mots anglais et français sont synonymes, comme le voulait sans doute le législateur. Toutefois, même si l’expression sanction pécuniaire était perçue comme étant plus large, mais englobant la définition du mot anglais penalty, il me semble que la version anglaise doit être privilégiée car elle est commune aux deux versions ou car elle est la plus restrictive des deux versions (R. c. Daoust, 2004 CSC 6, aux paragraphes 26 à 29.

[271] Par conséquent, compte tenu de l’ensemble des circonstances, M. Lemire prétend que la sanction imposée par le paragraphe 54(1) de la Loi engendre une véritable conséquence pénale, qui a été décrite par la juge Wilson dans l’arrêt R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, au paragraphe 24, comme étant l’emprisonnement ou une amende qui par son importance semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général.

[272] L’intérêt de société dans l’imposition de la sanction prévue à l’alinéa 54(1)c) de la Loi a été reconnu par le Tribunal dans la décision Schnell, au paragraphe 163. Le Tribunal a souligné que la sanction ne vise pas à indemniser la victime, mais représente plutôt l’expression de l’opprobre de la société envers le comportement du discriminateur. Cette observation a été reprise par le Tribunal dans la décision Kyburz, aux paragraphes 93 et 94. Celui‑ci a souligné que l’inclusion de la disposition prévoyant une sanction pécuniaire dans les modifications apportées à la Loi en 1998 représente une rupture importante par rapport à l’approche traditionnelle voulant que les dédommagements dans les affaires de droits de la personne visent d’abord et avant tout à redresser plutôt qu’à punir.

[273] Le procureur général a contesté l’interprétation que M. Lemire avait faite de l’arrêt Wigglesworth. Il a prétendu que celui‑ci avait confondu les notions de mesures pénales et de mesures qui, bien que contraignantes pour un intimé, sont de nature administrative plutôt que de nature pénale. Dans l’arrêt Martineau c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2004] 3 R.C.S. 737, au paragraphe 24, la Cour suprême a déclaré que les objectifs d’une sanction et le processus menant à son imposition doivent être examinés afin de déterminer sa nature. Le procureur général a comparé la sanction qui figure à l’alinéa 54(1)c) de la Loi avec la disposition en litige dans l’arrêt Martineau (article 124 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.)), en vertu de laquelle le ministre du Revenu national avait demandé le paiement de plus de 300 000 $ à un exportateur pour avoir fait de fausses déclarations. C’est ce qu’on appelle une confiscation compensatoire. La Cour suprême a conclu que cette mesure ne visait pas à punir le contrevenant afin de produire un effet dissuasif et de réparer un tort causé à la société, mais visait plutôt à assurer le respect de la Loi sur les douanes. La mesure n’est donc pas de nature pénale, malgré l’importance du montant réclamé ou malgré l’effet dissuasif qu’elle exerce sur les autres qui était nécessaire afin d’assurer la viabilité d’un système qui dépendait de la déclaration volontaire par les exportateurs. Par conséquent, la Cour a en fin de compte conclu que la personne de laquelle le paiement était réclamée n’était pas une inculpée au sens de l’alinéa 11c) de la Charte et qu’elle ne pouvait pas invoquer la protection garantie par cette disposition.

[274] Le procureur général a prétendu que, indépendamment de l’importance du montant qu’un intimé dans une affaire relative à l’article 13 peut être tenu de payer en vertu de l’alinéa 54(1)c) de la Loi et de l’effet dissuasif de la disposition sur les autres, la sanction qui figure à l’alinéa 54(1)c) n’est qu’une sanction administrative qui ne vise qu’à assurer le respect de la Loi.

[275] Cette prétention, toutefois, ne tient pas compte d’un certain nombre de distinctions importantes entre les deux mécanismes. Dans l’arrêt Martineau, au paragraphe 45, la Cour a souligné que la procédure de confiscation compensatoire et la procédure pénale ont peu en commun. Au pire des cas, si la personne redevable refuse de payer, elle risque d’être contrainte civilement de le faire. Par contre, dans le cas de l’alinéa 54(1)c), si un intimé refuse de se conformer à l’ordonnance du Tribunal de payer une amende, il est passible de poursuites pour outrage au tribunal devant la Cour fédérale, ce qui peut entraîner son incarcération. De nombreux intimés dans des affaires relatives à l’article 13 ont déjà été incarcérés pour ne pas avoir respecté une ordonnance de cesser et de s’abstenir (p. ex, John Ross Taylor, Tomasz Winnicki). Dans l’arrêt Martineau, au paragraphe 52, la Cour a également souligné que la Loi sur les douanes ne qualifiait pas d’amende la somme perçue grâce au mécanisme de confiscation compensatoire, mais utilisait plutôt le mot montant qui, en soi, est plus neutre. L’alinéa 54(1)c), par contre, utilise l’expression sanction pécuniaire, qui est beaucoup moins neutre. J’ai déjà traité de la définition de cette expression.

[276] Il est également important de souligner que la Cour, dans l’arrêt Martineau, au paragraphe 62, fait une distinction entre le mécanisme de confiscation compensatoire et une amende en soulignant que le montant imposé est purement économique car il est déterminé par un simple calcul mathématique plutôt qu’en tenant compte des facteurs et des principes pertinents en matière de détermination de la peine qui sont associés étroitement à des mesures pénales. À l’opposé, les facteurs énumérés au paragraphe 54(1.1) de la Loi présentent une ressemblance frappante avec ceux qui sont pris en compte par les cours investies d’une compétence pénale lorsqu’elles fixent le montant de l’amende ou de la sanction pécuniaire que sera tenue de payer la personne qui a été déclarée coupable d’une infraction. L’alinéa 54(1.1)a) fait mention de la nature et de la gravité de l’acte discriminatoire ainsi que des circonstances l’entourant, qui sont des facteurs qu’une cour pénale examineraient également relativement à l’infraction commise par l’accusé (voir par analogie l’article 718.1 C.cr.). L’alinéa 54(1.1)b) fait ensuite mention, à titre de facteurs, de la nature délibérée de l’acte discriminatoire de l’intimé (voir par analogie le sous‑alinéa 718.2a)(i) C.cr.), des antécédents discriminatoires de l’intimé (voir par analogie l’article 727 C.cr.) et de sa capacité de payer (voir par analogie le paragraphe 734(2) C.cr.). Ce sont tous des facteurs dont on tient habituellement compte dans le cadre de la détermination de la peine. Ce ne sont guère des facteurs de nature civile, comme les calculs concernant le mécanisme de confiscation compensatoire ont été décrits dans l’arrêt Martineau. De plus, ces facteurs donnent à penser que la sanction pécuniaire, plutôt que de ne viser qu’à dissuader la commission d’autres fautes, punit l’auteur de la faute. Par conséquent, plus la nature, l’étendue ou la gravité du message haineux transmis est importante, plus l’amende sera importante, peu importe que l’amende aura ou non un effet dissuasif sur l’intimé ou sur les autres.

[277] Enfin, la Cour, dans l’arrêt Martineau, au paragraphe 65, a également souligné que la personne qui reçoit un avis de réclamation écrit, dans le cadre du mécanisme de confiscation compensatoire, n’est pas stigmatisée par le processus qui n’a pas pour but de punir le contrevenant ou de susciter la réprobation sociale. Le mécanisme n’a ni l’apparence ni les caractéristiques distinctives de la réparation d’un tort causé à la société. Toutefois, selon moi, la sanction pécuniaire prévue à l’alinéa 54(1)c) comporte ces caractéristiques. Comme le Tribunal, dans les décisions Schnell et Kyburz, l’a fait remarquer, cette disposition est une expression de l’opprobre de la société envers le comportement du discriminateur. Il est difficile d’imaginer que les personnes qui font l’objet d’une telle condamnation ne soient pas stigmatisées par le processus.

[278] Je souligne également, au passage, que, dans les arrêts Wigglesworth et Martineau, les personnes qui ont fait l’objet d’une quelconque procédure administrative (procédure disciplinaire professionnelle dans l’arrêt Wigglesworth et procédure de confiscation compensatoire dans l’arrêt Martineau) ont prétendu qu’elles avaient le droit d’invoquer les droits garantis par l’article 11 de la Charte. Le procureur général a prétendu que les circonstances du dossier de M. Lemire ne l’autorisent pas à invoquer l’un ou l’autre des droits garantis par l’article 11 de la Charte, lesquels, de toute façon, il n’a pas fait valoir à un moment ou l’autre de la présente instance.

[279] Cette question, toutefois, n’est pas pertinente dans le cadre de la présente discussion. Ce que je veux dire c’est que, lorsque l’article 11 est apprécié en fonction des caractéristiques des dispositions prévoyant une sanction énumérées dans ces décisions, il est évident que le paragraphe 13(1) est devenu davantage à caractère pénal (peu importe que les droits garantis par l’article 11 de la Charte soient ou non nécessairement déclenchés). La disposition ne peut plus être considérée comme ayant le caractère exclusivement réparateur, préventif et conciliatoire, qui était au cœur de la conclusion tirée par la Cour dans l’arrêt Taylor selon laquelle la justification de la restriction apportée par le paragraphe 13(1) à la liberté d’expression peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique et, ainsi, elle est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[280] L’avocat du procureur général a prétendu que la sanction pécuniaire figure à l’extrémité du continuum du processus relatif aux droits de la personne et que, par conséquent, elle ne sera appliquée que dans les cas qui ne se règlent pas au cours du processus. La sanction pécuniaire est réservée aux intimées irréductibles qui ne veulent pas changer leurs habitudes. Comme je le précise plus loin, la preuve en l’espèce donne à penser que les plaintes tombant sous le coup de l’article 13 sont instruites et que des sanctions pécuniaires sont demandées, même dans les cas où les documents en litige ne sont plus transmis depuis longtemps. Toutefois, plus important encore, la Loi ne fait aucune mention du consentement des intimés à changer leurs habitudes dans la liste des facteurs dont le tribunal doit tenir compte lorsqu’il détermine le montant de la sanction pécuniaire (paragraphe 54(1.1)).

[281] Le Tribunal, dans la décision Schnell, au paragraphe 159, a affirmé que [b]ien que la Loi ait perdu une petite partie de son caractère conciliatoire, l’effet a été amélioré grâce aux exigences de prouver l’intention aux alinéas 54(1)b) et c) et à d’autres facteurs dont doit tenir compte le Tribunal. Cette conclusion ne me paraît pas aussi évidente. L’alinéa 54(1.1)b) fait mention de la nature délibérée de l’acte parmi les facteurs qu’il énumère. La preuve de l’existence de ce facteur est faite selon la prépondérance des probabilités. Le Tribunal a ordonné à des intimés de payer des sanctions pénales lorsqu’il n’a pas été saisi d’une preuve concernant la capacité de payer de la personne. Faut‑il en déduire qu’un tribunal peut, de façon similaire, imposer une sanction pénale à un intimé en l’absence de preuve quant à la nature délibérée de son acte? La réponse n’est pas claire.

[282] De plus, qu’est‑ce qui constitue exactement l’intention requise? Englobe‑t‑elle les cas où l’intimé, au départ, transmet sciemment un message, mais au moment où la plainte est déposée, ou peu après, cesse ses transmissions, comme c’est le cas en l’espèce? L’article 13 retrouve‑t‑il un caractère conciliatoire par le simple fait qu’il a été prouvé que l’intimé a sciemment effectué la transmission initiale, mais qu’il a maintenant cessé de transmettre des messages? Quel degré d’intention est exigé de la part d’un intimé pour que l’on conclue que la Loi est assez améliorée pour retrouver son caractère conciliatoire? Ces questions démontrent comment l’ajout de la sanction pécuniaire a occasionné l’érosion du caractère conciliatoire de l’article 13.

[283] M. Lemire prétend également que non seulement la présence de la disposition prévoyant une sanction pécuniaire a modifié le caractère du paragraphe 13(1), mais que la manière selon laquelle le paragraphe 13(1) a été appliqué, particulièrement en l’espèce, donne à penser que le processus n’a pas toujours été conciliatoire. Par exemple, la Commission a traité la plainte de M. Warman et l’a renvoyée au Tribunal même si la plupart des autres documents en litige mentionnés dans la plainte avaient été retirés et que le babillard électronique de Freedomsite.org était hors service avant que la plainte ne soit déposée. Le dernier article qui restait a été retiré quelques mois plus tard. Le problème avait donc déjà été éliminé, mais la plainte a continué d’être traitée. Dans au moins une autre affaire relative à l’article 13 (Western Canada for Us, précitée), une plainte portant sur des documents qui ne figuraient plus dans Internet avant le dépôt de la plainte a été renvoyée au Tribunal, et dans la décision Wilkinson, précitée, la plainte a été renvoyée même si le site Web en question avait été fermé avant que la plainte soit signifiée à l’intimé.

[284] M. Lemire a officiellement demandé à plusieurs reprises, sans succès, par l’entremise de son conseiller juridique, qu’on lui donne la possibilité de conclure un règlement relativement à la plainte. M. Warman a affirmé dans son témoignage qu’il avait refusé de participer à toute discussion relative à un règlement parce que le site Web JRBooksonline.com (qui, comme je l’ai déjà mentionné, n’avait même pas fait l’objet d’une mention dans la plainte relative aux droits de la personne) a continué d’être accessible dans Internet, et parce qu’il était convaincu que M. Lemire était la personne en charge de son contenu. Évidemment, M. Warman n’était pas obligé de participer à une séance de médiation, mais la Commission avait toujours le pouvoir, en vertu de l’article 57 de la Loi, de nommer un conciliateur.

[285] Il a été mis en preuve que seulement environ 11 p. 100 du nombre total de l’ensemble des plaintes relatives aux droits de la personne déposées, entre 2002 et 2006, auprès de la Commission, n’avaient pas été réglées et avaient en bout de ligne été renvoyées au Tribunal pour enquête. Toutefois, 68 p. 100 des plaintes relatives à l’article 13 déposées au cours d’une période, certes, très longue (1997 à 2007) ont été renvoyées au Tribunal pour instruction. Seulement 4 p. 100 des plaintes ont fait l’objet d’un règlement. Dans un document intitulé Regarding Hate on the Internet and the Canadian Human Rights Commission – Questions and Answers (La haine dans Internet et la Commission canadienne des droits de la personne – Questions et Réponses) qu’elle a affiché dans son site Web, la Commission a écrit que bien que, d’ordinaire, elle offre de servir de médiateur dans le cadre du règlement des plaintes, elle ne le fait d’ordinaire pas dans les cas de plaintes relatives à des messages haineux.

[286] L’avocat du procureur général a affirmé catégoriquement que le Tribunal n’a pas compétence pour réexaminer les décisions prises par la Commission, un point de vue auquel je souscris volontiers. Il a de plus prétendu que toute erreur qui pourrait être commise par les autorités administratives chargées de l’application de l’article 13 n’a aucun effet sur l’analyse de la constitutionalité de la disposition. L’erreur n’est pas une conséquence nécessaire des lois contestées.

[287] Même s’il est vrai qu’une disposition doit, en elle‑même, respecter la Constitution, le contexte réel et factuel dans lequel elle existe et dans lequel elle est appliquée ne peut tout simplement pas être ignoré. Dans l’arrêt Taylor, ce n’est certainement pas ce que la Cour suprême a fait. Les juges majoritaires était clairement d’avis, et ils se sont fiés à leur perception, que de nombreuses mesures conciliatoires prévues dans la Loi, sinon toutes, se retrouvent dans toutes les instances relatives à l’article 13. Par conséquent, la Cour a souligné, aux pages 917, 935 et 936, que contrairement aux dispositions du droit pénal, les dispositions des lois sur les droits de la personne tendent plutôt, en règle générale, à éviter ce genre d’affrontement en permettant autant que possible un règlement par voie de conciliation et, lorsqu’il y a discrimination, en prévoyant des redressements destinés davantage à indemniser la victime. À la page 924, la Cour a encore une fois souligné que la nature conciliatoire de la procédure dans le domaine des droits de la personne ainsi que l’absence de sanctions criminelles font que le paragraphe 13(1) est particulièrement bien conçu pour encourager le diffuseur de propagande haineuse à s’amender.

[288] Dans l’arrêt Taylor, les juges majoritaires n’ont pas exposé en détail leur interprétation de la procédure prévue dans la Loi, mais les motifs dissidents nous fournissent certains renseignements à cet égard. À la page 963 de la décision, la juge McLachlin (maintenant juge en chef) a écrit que les défenseurs de la disposition on fait valoir que le processus envisagé par la Loi élimine le danger que cette disposition soit appliquée de manière à englober une conduite qui dépasse les objets de la disposition. Par conséquent, elle a écrit qu’on avait prétendu que, après le dépôt de la plainte, la Commission ne fait pas qu’enquêter; elle fait une tentative de conciliation. Elle a ensuite déclaré que [s]i le prétendu contrevenant est prêt à faire des concessions et à changer sa conduite, l’affaire est réglée. Si, par contre, le contrevenant se montre intransigeant dans son inobservation de la loi, un tribunal peut être constitué pour entendre la plainte, et que, [é]tant donné la nature publique et l’inconvénient d’une audience, nombre de contrevenants choisissent de changer leur conduite volontairement.

[289] Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises dans la présente décision, M. Lemire a non seulement modifié sa conduite en retirant les documents en litige, mais il a également fait une demande de conciliation et de médiation dès qu’il a appris qu’une plainte avait été déposée contre lui. Ce que M. Lemire a vécu ne correspond pas au processus que la Cour suprême avait à l’esprit.

[290] Selon moi, il est clair que la conclusion de la Cour dans la décision Taylor, selon laquelle le processus relatif aux droits de la personne prévu dans la Loi ne vise que la prévention de la discrimination et l’indemnisation des victimes, découlait directement de l’absence d’une disposition pénale semblable à celle qui figure à l’alinéa 54(1)c), ainsi que de la conviction que non seulement le processus lui‑même était structuré, mais qu’il fonctionnait de la manière la plus conciliatrice possible. La preuve qui m’a été soumise démontre que la situation n’est pas ce que la Cour envisageait sur ces deux points. Par conséquent, selon le raisonnement du juge Dickson, à la page 933, on ne peut plus affirmer que l’absence d’un élément d’intention au paragraphe 13(1) ne soulève aucun problème en matière d’atteinte minimale et n’a pas d’incidence si préjudiciable sur la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) que la présence de la disposition contestée devient intolérable dans une société libre et démocratique. Pour ce motif, je conclus que le critère de l’atteinte minimale énoncé dans l’arrêt Oakes n’a pas été satisfait et que le paragraphe 13(1) va au delà de ce qui peut être justifié au regard de l’article premier de la Charte, en tant que limite raisonnable à la liberté d’expression.

i) La vérité invoquée comme justification

[291] Dans l’arrêt Taylor, la Cour a conclu, suivant le raisonnement de l’arrêt Keegstra, que la Charte ne soustrait pas une personne qui utilise intentionnellement des déclarations conformes aux faits pour transmettre des messages haineux de l’obligation de ne pas violer le paragraphe 13(1) de la Loi. Dans ses observations, M. Lemire a affirmé qu’en ne permettant pas aux intimés de présenter une défense de vérité dans leurs messages, le paragraphe 13 ne satisfait pas au critère de la proportionnalité appliqué en vertu de l’article premier de la Charte. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées dans la section qui précède selon lesquelles le critère de l’atteinte minimale n’a pas été satisfait, il n’est pas nécessaire que je traite de cet argument.

3. Les effets

[292] Le troisième volet du critère de la proportionnalité à trois volets énoncé dans l’arrêt Oakes consiste à évaluer la proportionnalité entre les effets de la mesure législative restrictive et l’objectif en cause. Dans l’arrêt Taylor, la Cour a conclu, aux pages 939 et 940, que les effets du paragraphe 13(1) sur la liberté d’expression ne sont pas si dommageables qu’ils rendent son existence intolérable dans une société libre et démocratique. La Cour a souligné que le paragraphe 13(1) vise un objectif gouvernemental d’une grande importance et limite une expression qui n’a que des liens ténus avec le fondement de la garantie de la liberté d’expression. Toutefois, la Cour a ajouté que puisqu’il s’applique dans le contexte des dispositions de la Loi relatives à la procédure et aux dispositions réparatrices, le paragraphe 13(1) a peu d’effet sur l’imposition de sanctions morales, financières ou d’incarcération, son but premier étant de profiter directement à ceux qui sont susceptibles d’être exposés aux maux de la propagande haineuse.

[293] Comme je l’ai déjà conclu, ce contexte a changé avec l’introduction de la sanction pénale à l’alinéa 54(1)c). Le paragraphe 13(1) joue maintenant un rôle important, plus que minimal dans l’imposition de sanctions morales et financières.

[294] Toutefois, compte tenu de mes conclusions antérieures concernant le critère de l’atteinte minimale, il n’est pas nécessaire que j’élabore davantage sur la question de l’analyse des effets préjudiciables.

(c) Les conclusions concernant l’allégation de violation de la liberté d’expression

[295] Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, je conclus que le paragraphe 13(1) porte atteinte au droit à la liberté d’expression de M. Lemire garanti par l’alinéa 2b) de la Charte et que cette atteinte ne peut pas se justifier au regard de l’article premier de la Charte.

B. Liberté de conscience et de religion (alinéa 2a), de la Charte)

[296] M. Lemire a prétendu dans sa requête fondée sur la Constitution que l’article 13 portait également atteinte à sa liberté de conscience ou de religion garantie par l’alinéa 2a) de la Charte. Je souscris toutefois aux observations formulées par la Commission et par le procureur général que M. Lemire n’a pas démontré comment l’application de l’article 13 aux messages en litige en l’espèce (particulièrement l’article intitulé Aids Secrets, qui, comme je l’ai conclu, est le seul message haineux qui a été transmis au sens de l’article 13 par M. Lemire) limite sa liberté de conscience et de religion ou celle des autres. Rien ne prouve que M. Lemire ou une autre personne a affiché les messages en litige en l’espèce pour des raisons de conscience ou de religion.

[297] La prétention de M. Lemire à cet égard est donc rejetée.

C. La vie, la liberté et la sécurité de la personne (article 7 de la Charte)

[298] M. Lemire a également prétendu dans sa requête que les articles 13 et 54 de la Loi violaient le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et le droit qu’il ne soit pas porté atteinte à celui‑ci sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte. Les arguments formulés à l’appui de cette observation sont sommaires.

[299] Dans la requête elle‑même, M. Lemire a écrit que [Traduction] constitue une violation de la justice fondamentale, le fait que, au Canada, une personne peut être incarcérée pour avoir refusé d’obéir à une ordonnance qui viole sa conscience. Il semble avoir fait allusion à la possibilité qu’un intimé dans une affaire relative à l’article 13, s’il ne tient pas compte d’une ordonnance du Tribunal, soit passible d’être poursuivi pour outrage au tribunal devant la Cour fédérale qui pourrait ordonner que l’intimé soit incarcéré pour outrage au tribunal. Ce n’est pas le cas en l’espèce car je ne prononce aucune ordonnance contre M. Lemire.

[300] Dans ses observations finales, M. Lemire a écrit que la Loi est utilisée [Traduction] d’une façon qui empiète sur la liberté d’expression et sur le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 de la Charte. La façon mentionnée comprend les efforts déployés par certains groupes en vue de déposer des accusations criminelles contre Ernst Zündel, les démonstrations faites par certains groupes contre les intimés dans les affaires relatives à l’article 13 et contre leurs partisans, le fait de traiter certaines de ces personnes de semeurs de haine et même les actes de vandalisme commis sur la voiture de M. Lemire (le mot nazi a été gravé sur le capot de sa voiture).

[301] Dans l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 47, la Cour suprême a fait remarquer que si le droit de l’intimé à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne n’est pas en cause, l’analyse fondée sur l’article 7 prend fin. Dans les incidents mentionnés par M. Lemire, le seul qui le concerne semble être l’acte de vandalisme commis sur sa voiture. Je ne suis pas persuadé que cela met en cause sa vie, sa liberté ou la sécurité de sa personne. De plus, il n’a pas expliqué comment cet incident ou les autres incidents mentionnés ont été occasionnés par la disposition en litige ou par un acte de l’État (voir l’arrêt Blencoe, aux paragraphes 58 et suivants).

[302] La CFSL, dans ses observations finales écrites, a laissé entendre que la Commission échangeait des renseignements et collaborait avec les organismes d’application de la loi relativement aux éventuels intimés dans des affaires relatives à l’article 13. Certains de ces organismes ont obtenu des renseignements, notamment des renseignements personnels contenus dans des disques durs d’ordinateurs qui n’avaient aucune pertinence quant à la plainte relative à l’article 13, et ce, grâce à l’utilisation de leur pouvoir de fouille, de perquisition et de saisie prévu au Code criminel. La CFSL a prétendu que ce processus [Traduction] entièrement approuvé par la loi constitue une violation importante de l’article 7 qui n’est pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Elle a affirmé que le processus créait un [Traduction] état policier et [Traduction] transférait ces pouvoirs à une commission qui n’est soumise à aucun examen de la part du Tribunal.

[303] Il ne s’agit pas là non plus de circonstances pertinentes à la plainte déposée contre M. Lemire. Il n’est nullement prouvé, ni même allégué, que la police a participé à la cueillette d’éléments de preuve déposés contre M. Lemire dans le cadre de la plainte relative à l’article 13. M. Warman a examiné et téléchargé les documents par lui‑même. Je ne vois pas en quoi le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de M. Lemire est concerné.

[304] Il n’a donc pas été prouvé que les droits garantis à M. Lemire par l’article 7 de la Charte ont été violés. Les observations formulées par ce dernier à cet égard sont donc rejetées.

D. La Déclaration canadienne des droits

[305] Dans sa requête, M. Lemire a également prétendu que l’article 13 viole la Déclaration canadienne des droits, et ce, pour les mêmes motifs qu’il a invoqués dans son argument relatif à la Charte. Il a ajouté que [Traduction] ces motifs n’ont pas à être répétés. Aucune des observations finales formulées par M. Lemire n’avait trait à la Déclaration canadienne des droits.

[306] Compte tenu que j’ai déjà examiné dans la présente décision les arguments relatifs à la Charte et compte tenu que M. Lemire n’a formulé aucune observation supplémentaire relativement à la Déclaration canadienne des droits, je ne vois pas pourquoi je traiterais davantage de cette question. La demande de réparation fondée sur la Déclaration canadienne des droits présentée par M. Lemire est rejetée.

V. Conclusion

[307] J’ai conclu que M. Lemire a contrevenu à l’article 13 de la Loi dans un seul des cas mentionnés par M. Warman, à savoir dans le cas de l’article intitulé AIDS Secrets. Toutefois, j’ai également conclu que le paragraphe 13(1) et les paragraphes 54(1) et 54(1.1) sont incompatibles avec l’alinéa 2b) de la Charte qui garantit la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. La limite imposée par ces dispositions n’est pas une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte. Comme une déclaration formelle d’invalidité ne peut être prononcée par le Tribunal (voir l’arrêt Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5), je refuse tout simplement d’appliquer ces dispositions pour les besoins de la plainte déposée contre M. Lemire et je ne délivre aucune ordonnance réparatrice contre lui (voir Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, aux paragraphes 26 et 27).

Signée par

Athania
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 2 septembre 2009

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1073/5405

Intitulé de la cause : Richard Warman c. Marc Lemire

Date de la décision du tribunal : Le 2 septembre 2009

Date et lieu de l’audience :

Les 29 janvier au 2 février 2007
Les 5 au 9 février 2007

Toronto (Ontario)

Les 19 au 23 février 2007
Les 26 au 28 février 2007

Mississauga (Ontario)

Le 1er mars 2007
Les 9 au 11 mai 2007

Ottawa (Ontario)

Les 25 au 27 juin 2007

Oakville (Ontario)

Le 25 mars 2008

Ottawa (Ontario)

Les 15 au 17 septembre 2008

Ottawa (Ontario)

Comparutions :

Richard Warman, pour lui même

Margot Blight, Giacomo Vigna, Philippe Dufresne et Ian Fine, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Barbara Kulaszka, pour l’intimé

Simon Fothergill et Alysia Davies, pour le Procureur général du Canada

Paul Fromm, pour la Canadian Association for Free Expression

Douglas Christie, pour la Canadian Free Speech League

Joel Richler, Ryder Gilliland et Charlotte Kanya-Forstner, pour le Congrès juif canadien

Steven Skurka, pour les Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies

Marvin Kurz, pour la Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith

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