Tribunal canadien des droits de la personne

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Entre :

Keith Dreaver, Norma Fairbairn, Susan Gingell,
Pamela Irvine, John Melenchuk, Richard Ross,Ailsa Watkinson,
Harlan Weidenhammer,Carman Willet

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Jim Pankiw

l'intimé

- et -

la Chambre des communes

la partie intéressée

Décision

Membre : J. Grant Sinclair, Karen A. Jensen et Edward P. Lustig
Date : Le 6 mars 2009
Référence : 2009 TCDP 8

Table des matières

I Introduction. 1

A. L’article 5 de la LCDP s’applique-t-il aux bulletins parlementaires ?.

B. L’article 12 de la LCDP s’applique-t-il aux bulletins parlementaires?.

C. L’article 14 de la LCDP s’applique-t-il à la présente affaire ?.

D. Les questions constitutionnelles.

II Conclusion.

I. Introduction

[1] Si vous faisiez partie de la circonscription électorale fédérale de Saskatoon-Humbolt en 2002-2003, vous avez reçu par la poste, tout comme des millions d’autres ménages au Canada, votre lot habituel de factures, d’annonces, d’envois personnels et d’envois d’affaires.

[2] Par contre, en 2002-2003, vous avez reçu à quelques reprises un autre type d’envoi : trois bulletins parlementaires contenant des messages de votre député, M. Jim Pankiw, votre représentant à Ottawa, c’est-à-dire votre voix à la Chambre des communes. Les messages semblaient avoir obtenu l’imprimatur de cette institution, revêtant ainsi un caractère de légitimité et de respectabilité.

[3] Un bulletin parlementaire est une brochure imprimée envoyée par un député aux ménages de sa circonscription. Les ressources permettant de créer les bulletins sont fournies par la Chambre des communes. Chaque député a le droit de poster quatre bulletins par année; ceux‑ci permettent aux députés de se faire encore mieux connaître au sein de leur circonscription en faisant rapport de leurs activités parlementaires et en transmettant leurs opinions sur diverses questions.

[4] Sur quoi portaient les bulletins parlementaires de M. Pankiw? L’un d’eux avait pour titre le slogan [Traduction] Mettons fin aux crimes indiens . Il y était dit que le gouvernement fédéral ferme les yeux sur les [Traduction] crimes indiens et donne un [Traduction] laissez-passer de sortir de prison aux Autochtones. Sur ce même bulletin figurait l’image d’une personne censée être un [Traduction] terroriste indien . Dans un autre bulletin, il était déclaré que les enfants autochtones [Traduction] bénéficient de privilèges en raison de leur race et que ce n’était pas le cas pour les enfants non autochtones. On y condamnait les pratiques [Traduction] racistes des lobbyistes indiens qui faisaient chanter les contribuables canadiens et leur extorquaient des millions de dollars. Les bulletins parlementaires établissaient un lien entre certains Canadiens d’origine autochtone et des taux de criminalité élevés, l’absence de responsabilité quant à leur criminalité, l’extorsion, le chantage et le terrorisme. Les messages exhortaient le lecteur à réagir à ces déclarations.

[5] Certains électeurs ont été profondément offusqués par ces messages véhiculés par leur député. Neuf d’entre eux, y compris plusieurs personnes d’ascendance autochtone, ont intenté des procédures en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[6] À diverses dates en 2003, ils(elles) ont déposé des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) dans lesquelles ils(elles) soutiennent que les opinions exprimées dans les bulletins parlementaires étaient discriminatoires envers les membres des Premières Nations et contrevenaient aux articles 5, 12 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP ou La loi).

[7] La Loi énonce le principe suivant : le droit de tous les individus à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment de considérations fondées, entre autres, sur la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique.

[8] Plus particulièrement, la Loi offre un recours aux personnes qui sont victimes d’un traitement préjudiciable ou de harcèlement lors de la fourniture de services fondé, entre autres, sur le fait qu’elles sont de descendance autochtone. De plus, la Loi sanctionne la publication d’affiches exprimant des actes discriminatoires ou encourageant la perpétration de tels actes envers les Autochtones. Selon les neufs plaignant(e)s, les trois bulletins parlementaires envoyés par leur député entraient dans cette catégorie.

[9] Tous les actes discriminatoires ne sont pas visés par la Loi. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal a conclu que les trois bulletins parlementaires envoyés par M. Pankiw ne sont pas visés par les dispositions de la Loi. Par conséquent, les plaintes ne sont pas fondées et sont alors rejetées.

A. L’article 5 de la LCDP s’applique-t-il aux bulletins parlementaires ?

[10] L’article 5 de la Loi prévoit ce qui suit : constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public de défavoriser un individu à l’occasion de leur fourniture.

[11] Les plaignant(e)s et la Commission soutiennent que la communication de renseignements au moyen de bulletins parlementaires constitue un service destiné au public, au sens de l’article 5 de la Loi. De plus, selon eux, les bulletins dénigrent les membres des Premières Nations en raison de leur race, ce qui constitue un traitement défavorable fondé sur un motif de distinction illicite. Par conséquent, ils affirment que M. Pankiw a violé l’article 5 de la LCDP en envoyant les bulletins parlementaires.

[12] La première question en litige est de savoir si la création de bulletins parlementaires et leur envoi par la poste aux électeurs constituent des services au sens de la Loi. Pour trancher cette question, il importe de souligner que le contenu des trois bulletins n’est pas pertinent; c’est-à-dire que la question en cause est de savoir si les bulletins, sans égard à leur contenu, constituent un service, terme qui n’est pas défini dans la LCDP.

[13] Il est mentionné dans la jurisprudence que le terme services ne comprend pas uniquement les activités commerciales sur le marché, mais peut s’étendre à tous les services offerts par le gouvernement ou des fonctionnaires dans l’exécution de leurs fonctions; voir Singh (Re), [1989] 1 C.F. 430 (C.A.F.).

[14] Cependant, selon certains précédents, le sens du terme services est plus restreint. Dans Watkin c. Procureur général du Canada, 2008 CAF 170, au paragraphe 31, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, bien que de nombreux pouvoirs publics fournissent ou peuvent fournir des services pour s’acquitter des fonctions que la loi leur confie, tous ne le font pas. La Cour d’appel affirme que le terme services visé à l’article 5 s’entend de quelque chose d’avantageux qui est offert au public ou mis à sa disposition. Par conséquent, avant de pouvoir dire qu’un pouvoir public fournit des services, il faut d’abord établir que l’acte accompli procure un avantage ou une aide à quelqu’un.

[15] La question à trancher dans Watkin était de savoir si la réglementation des produits à base d’herbes médicinales prévu par la Loi sur les aliments et drogues constituait un service au sens de l’article 5 de la Loi. La Cour d’appel a conclu qu’il était impossible de considérer les activités d’application de la loi exercées par Santé Canada comme étant des services, parce que ces activités ne procuraient aucun avantage au public; elles constituaient des mesures coercitives visant à assurer le respect de la Loi.

[16] Dans Watkin, la Cour d’appel a présenté les exemples suivants de services qui sont fournis par des pouvoirs publics :

  1. communication des décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu (Agence des douanes et du revenu du Canada);
  2. publication des bulletins météorologiques et des rapports sur l’état des routes (Environnement Canada);
  3. action d’inciter les Canadiens à s’occuper activement de leur santé en s’adonnant davantage à l’exercice physique et en s’alimentant mieux;
  4. prestation de conseils aux immigrants sur la procédure à suivre pour devenir un résident canadien.

[17] Dans les exemples susmentionnés, les services offerts procurent à leurs destinataires un avantage ou une aide quelconque; ces services répondent à un besoin ou à un désir des membres de la société.

[18] Dans le même ordre d’idées, dans Okanagan Rainbow Coaltion c. Kelowna (City), 2000 BCHRT 21, le Tribunal des droits de la personne de la Colombie‑Britannique a conclu que la définition ou le sens ordinaire du terme services est large et comprend, entre autres, un avantage apporté à quelqu’un, un acte profitable à quelqu’un ou une aide offerte à quelqu’un.

[19] L’affaire Okanagan est intéressante parce que, suivant l’exemple de trois autres affaires, the Tribunal a conclu que la proclamation d’un maire était considérée comme étant un service destiné au public ; voir Oliver c. Hamilton (City) (1995), 24 C.H.R.R. D/298 (Commission d’enquête de l’Ontario); Hudler c. London (City) (1997), 31 C.H.R.R. D/500 (Commission d’enquête de l’Ontario); Hill c. Woodside (1998), 33 C.H.R.R. D/349 (Commission d’enquête du N.-B.).

[20] Dans l’affaire Okanagan, le maire avait accepté de proclamer une journée des gais et lesbiennes, mais avait refusé d’ajouter le mot fierté à sa proclamation. Dans Oliver, Hudler et Hill, les maires avaient refusé de proclamer une journée ou semaine de la fierté des gais et lesbiennes.

[21] La proclamation d’un maire a été qualifiée de service parce qu’elle [Traduction] est généralement perçue dans la collectivité comme un avantage apporté aux groupes qui la sollicitent et, par conséquent, elle devrait être considérée comme étant un privilège légitime auquel les citoyens ont droit sans crainte de faire l’objet de discrimination (Oliver, précitée, à D/302). Dans ces quatre affaires, il a été conclu que le refus de faire les proclamations demandées constituait un acte discriminatoire lors de la fourniture de services destinés au public.

[22] Cependant, tous les actes accomplis par des fonctionnaires qui procurent un avantage ou une aide à quelqu’un ne sont pas réputés être des services au sens de l’article 5. Par exemple, dans Forward and Forward c. Citoyenneté et Immigration Canada (Forward and Forward), 2008 TCDP 5, le Tribunal s’est penché sur la question de savoir si l’octroi de la citoyenneté canadienne constitue un service destiné au public.

[23] On peut soutenir que l’octroi de la citoyenneté canadienne à quelqu’un lui procure un avantage. Cependant, le Tribunal a déclaré que le fait de qualifier la citoyenneté de simple service ferait fi du rôle fondamental qu’elle joue dans la définition de la relation entre les personnes et l’État; voir également Canada (Procureur général) c. McKenna, [1999] 1 C.F. 401, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a exprimé un doute que la citoyenneté constituait un service au sens de l’alinéa 5b) de la Loi.

[24] Ce qui ressort de cette analyse du droit, c’est que pour pouvoir déterminer si les actes accomplis par un fonctionnaire constituent un service au sens de l’alinéa 5b) de la Loi, il faut se demander si l’activité en cause procure un avantage ou une aide aux gens concernés. Il s’ensuit qu’il faut aussi se demander si qualifier l’activité de service correspond essentiellement à la nature de l’activité.

[25] Les bulletins parlementaires de M. Pankiw ont-ils procuré un avantage à ses électeurs dans le sens qu’ils ont répondu à un besoin ou à désir? Ou encore, est-ce qu’ils ont aidé les électeurs à atteindre un objectif, comme il en avait été le cas pour les groupes qui avaient sollicité les proclamations dans les affaires susmentionnées?

[26] Il est permis de penser qu’un bulletin parlementaire procure un avantage ou une aide aux électeurs en les renseignant sur les opinions, le programme et les activités de leur représentant élu. En ce qui concerne les bulletins de M. Pankiw, il semble que les documents envoyés offraient aussi aux électeurs la possibilité de faire part de leurs commentaires et suggestions à leur député sur les opinions qui y étaient exprimées. Si Environnement Canada fournit un service au sens de l’article 5 de la Loi lorsqu’il publie des bulletins météorologiques et des rapports sur l’état des routes (selon Watkin), ne serait-il pas possible de dire que M. Pankiw fait de même en publiant son point de vue sur des conditions sociales – telles selon lui ?

[27] Le Tribunal n’est pas d’accord. Bien que ces bulletins parlementaires puissent procurer un certain avantage à certains électeurs, il ne s’agit pas de leur objectif fondamental et de leur nature. La Chambre des communes offre un soutien financier à tous les députés grâce à l’allocation budgétaire visant les bulletins parlementaires, afin de les aider à réaliser leurs communications politiques; l’expéditeur des documents en est le bénéficiaire principal.

[28] Les fonds accordés pour les bulletins parlementaires constituent un accessoire de la charge élective. On s’attend à ce que chacun des représentants élus s’explique sur ses actes auprès de ses électeurs; les bulletins parlementaires subventionnés leur facilitent donc la tâche. Il est impossible de mettre l’information transmise dans un bulletin parlementaire par M. Pankiw, ou par tout autre député, sur le même pied que l’information communiquée par Environnement Canada dans un bulletin météorologique. Pour ce qui est du bulletin parlementaire, bien qu’il puisse s’appuyer sur des faits, il est un document politique partisan conçu principalement pour influencer le comportement des électeurs dans le processus démocratique au bénéfice de l’expéditeur. Quant au bulletin météorologique, il émane de l’administration publique, il est de nature opérationnelle et il est conçu uniquement au profit des destinataires.

[29] Dans la présente affaire, les bulletins parlementaires de M. Pankiw lui ont permis de faire connaître ses opinions politiques et d’obtenir l’appui des gens. Dans ces bulletins, M. Pankiw a affirmé que les situations politique et économique ainsi que la situation en matière de criminalité seraient meilleures si les membres des Premières Nations étaient traités de la même manière que les non-membres.

[30] Les bulletins de M. Pankiw comportaient un questionnaire par lequel il encourageait les gens à lui faire part de leurs réactions. Il a témoigné qu’il s’agissait de la partie la plus importante des bulletins. Grâce aux questionnaires remplis appuyant ses opinions, il pouvait dire en Chambre que ses électeurs partageaient ses points de vue. Par conséquent, les bulletins constituaient des messages politiques qui procuraient un avantage principalement à M. Pankiw. Pour ce motif, le Tribunal juge que les bulletins parlementaires ne constituent pas des services au sens l’article 5 de la Loi.

[31] Cependant, même si les bulletins étaient considérés comme un service au sens de l’article 5 de la Loi, le Tribunal devrait tout de même passer à la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’article 5, soit de déterminer si le service donne lieu à une relation publique entre le fournisseur du service et l’utilisateur du service; voir Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571, le juge La Forest au paragraphe 69 (Gould); Watkin c. Procureur général du Canada, 2008 CAF 170, au paragraphe 31.

[32] Dans Gould, la Cour suprême a donné d’importantes directives pour trancher cette question. L’affaire portait sur une plainte déposée par Mme Gould selon laquelle on avait refusé de l’admettre comme membre dans le Yukon Order of Pioneers (l’Ordre) en raison de son sexe. Il s’agissait d’un ordre masculin qui se consacrait à la collecte et à la conservation de documents et d’anecdotes concernant l’histoire du Yukon. Ces documents historiques étaient mis à la disposition du public.

[33] Mme Gould a soutenu que la collecte et la création des documents historiques ayant été des activités exclusivement assignées aux membres de l’Ordre, qui étaient tous de sexe masculin, il en avait résulté de la discrimination. L’intervenant, le Yukon Status of Women Council, avait affirmé que, compte tenu des activités de l’Ordre et de sa place au sein de la collectivité, l’appartenance à celui-ci était en soi un service offert au public et, par conséquent, le refus d’admettre les femmes comme membres constituait un acte discriminatoire.

[34] La majorité des juges de la Cour suprême ont conclu que la collecte et la création des documents historiques pouvaient être considérées comme étant des services offerts au public si le processus avait lieu dans le contexte d’une relation publique. Cependant, les faits de l’affaire ne se prêtaient pas à cette interprétation. Dans Gould, le service offert au public était le produit final, soit les données ou documents historiques produits. La majorité des juges ont conclu que ce produit avait été offert au public sans donner lieu à de la discrimination, c’est-à-dire que le produit n’avait été refusé à personne en raison d’un motif de distinction illicite. Par conséquent, la Loi n’avait pas été transgressée.

[35] Souscrivant à l’issue, le juge La Forest a également conclu que la collecte et la compilation de documents historiques réalisées par l’Ordre n’avaient pas donné lieu à une relation publique. Ces activités avaient été entreprises par un historien bénévole, qui était aussi membre de l’Ordre. Rien ne démontrait que l’Ordre avait mis à la disposition du public ses installations destinées à la collecte et à la compilation de données sur l’histoire du Yukon. Par conséquent, la collecte et la création des documents historiques n’avaient pas donné lieu à une relation publique.

[36] En se fondant sur le raisonnement de la Cour suprême dans Gould, la création du contenu des bulletins parlementaires dans la présente affaire ne serait pas visée par la Loi, sauf si le public avait la possibilité de participer au processus. Le public n’a pas été invité à participer à la création des bulletins (et donc, ni à l’élaboration de leur contenu). La partie du processus qui a clairement occasionné une relation entre M. Pankiw et le public était la distribution des bulletins. Aucun acte discriminatoire n’a été commis dans cette partie du processus; tous les électeurs ont reçu les bulletins indépendamment de leur race. De plus, il n’y a eu aucun traitement défavorable dans le processus de distribution.

[37] En outre, lorsqu’on compare les versions française et anglaise de l’alinéa 5b) de la LCDP, il est évident que la disposition ne peut pas être interprétée de manière à s’appliquer à la création du contenu des bulletins parlementaires.

[38] La version française de l’article 5 prévoit ce qui suit : constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de services destinés au public de défavoriser un individu à l’occasion de leur fourniture.

[39] Quant à la version anglaise de cet article, elle traite d’un acte discriminatoire in the provision of […] services . Le sens que les deux versions officielles ont en commun, c’est que le fournisseur de services n’est visé par l’article 5 que lorsque le service est fourni aux destinataires.

[40] Effectivement, dans Gould, le juge La Forest a conclu que le terme fourniture dans l’expression relativement à l’offre ou à la fourniture […] de services employé dans la Loi sur les droits de la personne du Yukon (terme également employé dans la version française de l’alinéa 5b) de la Loi) signifiait que ce n’est qu’une fois que le service, le logement, l’installation, etc., passe par le fournisseur et qu’il est mis à la disposition du public qu’il est visé par l’interdiction de la discrimination ; voir Gould, paragraphe 55. Par conséquent, la création des bulletins parlementaires ou leur contenu ne serait pas visé par l’alinéa 5b) de la Loi; seulement leur distribution le serait.

Interprétation de l’article 5 dans le contexte d’autres dispositions de la LCDP

[41] Lorsque l’alinéa 5b) est interprété dans le contexte d’autres dispositions de la Loi, comme le prescrit la Cour suprême dans Gould, il semble peu probable que le législateur ait voulu que la Loi s’applique à la communication de messages politiques effectuée au moyen d’un média comme des bulletins parlementaires; voir Gould, précité, au paragraphe 7.

[42] D’une part, l’article 5 de la Loi donne, entre autres, une définition de ce qui constitue un acte discriminatoire dans la fourniture de services au public. D’autre part, l’article 13 de la Loi donne une définition de ce qui constitue un acte discriminatoire dans la communication de messages. L’article 13 prévoit que le fait pour une personne d’utiliser un téléphone ou un ordinateur afin de communiquer tout renseignement ou document susceptible d’exposer à la haine ou au mépris une autre personne constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite.

[43] L’article 12 prévoit ce qui suit : constitue un acte discriminatoire le fait de publier ou d’exposer des affiches, des écriteaux, des insignes, des emblèmes, des symboles ou autres représentations qui expriment ou suggèrent des actes discriminatoires ou des intentions de commettre de tels actes, ou encore, qui visent à en encourager l’accomplissement.

[44] Il ressort clairement du témoignage des plaignant(e)s en l’espèce qu’ils(elles) se préoccupent principalement du fait que les bulletins parlementaires sont susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris les membres des Premières Nations et les personnes d’ascendance autochtone. Cependant, étant donné que, à l’article 13, la définition de ce qui constitue un acte discriminatoire dans la communication de messages ne traite que des messages transmis par téléphone ou par Internet, cet article ne s’applique pas aux faits de la présente affaire.

[45] La portée de l’article 5 ne doit pas être étendue de manière à s’appliquer aux communications écrites telles que des bulletins parlementaires. Autrement, cela repousserait les limites établies par le législateur quant à savoir ce qui constitue une communication discriminatoire. Le législateur a volontairement traité de la communication discriminatoire aux articles 12 et 13 de la Loi. Élargir la portée de l’article 5 de sorte qu’il vise toute activité essentiellement de nature communicative irait à l’encontre de l’intention réputée du législateur, soit de limiter la question de la communication discriminatoire aux articles 12 et 13. Le Tribunal ne peut pas interpréter l’article 5 de la Loi de manière à étendre la protection qu’il offre au-delà de celle prévue par le législateur; voir Gould, au paragraphe 50.

B. L’article 12 de la LCDP s’applique-t-il aux bulletins parlementaires?

[46] L’article 12 de la LCDP prévoit ce qui suit : constitue un acte discriminatoire le fait de publier ou d’exposer en public des affiches, des écriteaux, des insignes, des emblèmes, des symboles ou autres représentations qui, selon le cas : a) expriment ou suggèrent des actes discriminatoires au sens des articles 5 à 11 ou de l’article 14 ou des intentions de commettre de tels actes, b) en encouragent ou visent à en encourager l’accomplissement.

[47] À l’audience, la Commission a déclaré que l’article 12 de la Loi ne s’appliquait pas en l’espèce, contrairement à ce qu’elle avait présenté dans son exposé des précisions. Toutefois, les plaignant(e)s affirment que cet article s’applique. Selon eux, les bulletins parlementaires constituent des représentations au sens de l’article 12 de la Loi.

[48] Les plaignant(e)s soutiennent que M. Pankiw a laissé entendre dans ses bulletins qu’il n’offrirait aucun service à ses électeurs des Premières Nations. Vu que, en tant que député, l’une des responsabilités de M. Pankiw est d’offrir des services à ses électeurs, le fait de refuser de le faire pour ses électeurs des Premières Nations en raison de leur race constituerait une violation de l’article 5 de la Loi. Pour ce motif, les plaignant(e)s sont d’avis qu’il a violé l’article 12.

[49] Il existe des fondements solides dans la jurisprudence qui permettent d’affirmer que le terme représentation employé dans la législation sur les droits de la personne, comme dans l’article 12 de la Loi, ne s’applique pas au contenu de documents écrits tels que des articles de presse et, par extension, au contenu des publications comme des bulletins parlementaires. Dans Re Warren and Chapman (1984), 11 D.L.R. (4th) 474 (B.R. Man.), la Cour du Banc de la Reine du Manitoba devait décider si un article de presse était visé par l’expression un avis, une affiche, un symbole, un emblème ou une autre représentation qui figure au paragraphe 2(1) de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba. Elle a conclu que les articles de presse ne constituaient pas une représentation . Pour arriver à sa conclusion, la cour a appliqué la règle ejusdem generis, c’est-à-dire que le sens des mots est tiré de ceux avec lesquels ils sont employés.

[50] Le mot représentation est employé avec les mots avis, affiche, symbole et emblème dans l’ancienne Loi sur les droits de la personne du Manitoba et avec les mots affiches, écriteaux, insignes, symboles et emblèmes dans la Loi actuelle. La Cour du Banc de la Reine, dans Re Warren and Chapman, a déclaré que ces mots signifiaient [Traduction] une image, un portrait ou une reproduction . Le sens du terme représentation est tiré de son emploi avec des mots semblables. Par conséquent, la cour a conclu que le mot représentation ne comprenait ni les articles ni les déclarations écrites étant donné que ceux-ci ne s’apparentent pas à une image, à un portrait ou à une reproduction.

[51] La même interprétation a été donnée à une disposition semblable dans Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Engineering Students’ Society (1989), 56 D.L.R. (4th) 604 (C.A. Sask.), demande d’autorisation d’appel rejetée : [1989] 1 R.C.S. xiv. La question en litige dans cette affaire était de déterminer si certains articles publiés dans la revue des étudiants en génie violaient le paragraphe 14(1) du Saskatchewan Human Rights Code (le Code). Cette disposition interdisait la publication ou l’exposition [Traduction] d’avis, d’affiches, de symboles, d’emblèmes ou autres représentations qui exposent une personne à la haine, ou tendent à le faire, la ridiculisent, la déprécient ou portent atteinte à sa dignité, en raison d’un motif de distinction illicite.

[52] Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que les articles ou les déclarations n’étaient pas des représentations au sens du Code. Par conséquent, les déclarations écrites ou orales donnant lieu à de la discrimination n’étaient pas visées par le Code. La cour a affirmé que la portée de la disposition n’était pas suffisamment large pour comprendre les déclarations ou les articles. Autrement, le terme représentation s’appliquerait aux déclarations formulées dans les journaux, les magazines, les livres, les films, les chansons, les pièces de théâtre, les spectacles, les dissertations et autres communications du même genre. Selon la cour, il ne s’agissait pas de ce qu’il fallait comprendre des quelques mots ou signes graphiques qui constituaient un avis, une affiche, un symbole, un emblème ou une autre représentation.

[53] Tout comme la législation du Manitoba et de la Saskatchewan sur les droits de la personne à l’époque, l’article 12 de la Loi traite de la publication ou de l’exposition d’affiches, d’écriteaux, d’insignes, d’emblèmes, de symboles ou d’autres représentations. Comme dans Forward and Forward, où le Tribunal a appliqué la règle ejusdem generis au terme services employé dans l’article 5 de la Loi, le Tribunal dans la présente affaire conclut qu’en appliquant cette règle au terme représentations employé dans l’article 12, il est impossible d’interpréter ce terme de manière à ce qu’il s’applique au contenu écrit des bulletins.

[54] Il importe de souligner que, subséquemment, le paragraphe 14(1) du Saskatchewan Human Rights Code a été modifié et que les mots [Traduction] articles et [Traduction] déclarations y ont été ajoutés de sorte que le contenu écrit (p. ex. des articles de presse) soit dorénavant visé par cette disposition. Certaines provinces ont également ajouté des termes semblables dans leurs lois, notamment la Colombie-Britannique et l’Alberta, où les termes [Traduction] déclarations et publications ont été ajoutés à leurs dispositions qui sont semblables à l’article 12 de la Loi. Quant au Manitoba, le paragraphe 2(1) de la Loi sur les droits de la personne de cette province a été modifié et le mot déclaration y a été ajouté de sorte que le contenu des déclarations écrites et orales soit dorénavant visé par la disposition relative à la publicité.

[55] Par contre, l’article 12 de la Loi n’a pas été modifié et des mots tels que déclarations , articles ou publications n’y figurent pas. Si le législateur avait voulu que l’article 12 s’applique aux déclarations écrites semblables à celles en cause, il aurait pu faire comme la Saskatchewan et le Manitoba et ajouter un terme indiquant clairement que les articles ou les déclarations sont visés par cet article. Il ne l’a pas fait.

C. L’article 14 de la LCDP s’applique-t-il à la présente affaire ?

[56] L’article 14 de la Loi prévoit ce qui suit : constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public.

[57] Le Tribunal a conclu que les bulletins parlementaires ne constituent pas des services destinés au public . Dans ses conclusions finales, la Commission a admis que, si les bulletins n’étaient pas considérés être des services, alors l’article 14 ne s’appliquerait pas. Le Tribunal est d’accord. Étant donné que les bulletins ne sont pas considérés comme étant des services, personne n’a été victime de harcèlement lors de la fourniture de services en raison d’un motif de distinction illicite. Par conséquent, l’article 14 ne s’applique dans cette instance.

D. Les questions constitutionnelles

[58] La Chambre des communes a obtenu le statut de partie intéressée dans la présente affaire afin de présenter des observations sur les limites constitutionnelles qui peuvent ou devraient s’appliquer aux communications entre les députés et leurs électeurs. Cependant, vu la conclusion du Tribunal selon laquelle les bulletins parlementaires ne sont visés ni par le terme services employé dans les articles 5 et 14 de la Loi ni par le terme représentations employé dans l’article 12, il n’y a pas lieu de se pencher sur les questions constitutionnelles dans cette instance.

II. Conclusion

[59] Pour les motifs susmentionnés, les plaintes dans la présente affaire sont rejetées.

Signée par

J. Grant Sinclair
Président

Karen A. Jensen
Membre du tribunal

Edward P. Lustig
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 6 mars 2009

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T0969/8904

Intitulé de la cause : Keith Dreaver, Norma Fairbairn, Susan Gingell,Pamela Irvine, John Melenchuk, Richard Ross,Ailsa Watkinson, Harlan Weidenhammer et Carman Willett c. Jim Pankiw

Date de la décision du tribunal : Le 6 mars 2009

Date et lieu de l’audience : Les 20, 21 et 22 octobre 2008

Saskatoon (Saskatchewan)

Comparutions :

Susan Gingell, John Melenchuk, Richard Ross et Ailsa Watkinson, pour eux-mêmes

Aucune comparution, pour les plaignants, Keith Dreaver, Norma Fairbairn, Pamela Irvine, Harlan Weidenhammer et Carman Willett

Daniel Poulin, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jay D. Watson, pour l'intimé

Steven R. Chaplin, pour la partie intéressée

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