Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 4/94 Décision rendue le 27 janvier 1994

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: JOHN PAYZANT le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

TONY MCALEER CANADIAN LIBERTY NET HARRY VACCARO

les intimés

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: KEITH C. NORTON, c.r., B.A., LL.B. - Président LEE ONGMAN - Membre LYMAN R. ROBINSON - Membre

ONT COMPARU : Prakash Diar et Eddie Taylor, représentant la Commission canadienne des droits de la personne

Douglas H. Christie, représentant l'intimé, Tony McAleer

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : Du 24 au 27 janvier 1994 Vancouver (Colombie-Britannique)

TRADUCTION

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A. INTRODUCTION

A la suite d'une audience tenue le 1er septembre 1993, au cours de laquelle des questions préliminaires ont été examinées, la présente enquête tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) a duré quatre jours, du 24 au 27 janvier 1994. A la fin de l'enquête, le tribunal a rendu une décision orale portant que la plainte était fondée et il a prononcé une ordonnance enjoignant aux intimés de cesser l'acte discriminatoire.

Voici les motifs à l'appui de cette décision.

B. LES PLAINTES

Un particulier, John Payzant, a porté plainte en l'espèce en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

Le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP), porte ce qui suit :

Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d'un commun accord, d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3.

Le paragraphe 3(1) de la Loi énonce les motifs de distinction illicite suivants : la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Outre ces motifs illicites, la Cour d'appel de l'Ontario a rendu en 1992 une ordonnance [TRADUCTION] «déclarant que la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, [devait être] interprétée, appliquée et administrée comme si elle comportait "l'orientation sexuelle" parmi les motifs de distinction illicite énoncés à l'art. 3» : voir Haig v. Canada (Minister of Justice) (6 août 1992), disponible dans QUICKLAW à [1992] O.J. No. 1609.

Le ministre de la Justice a par la suite annoncé que cette décision ne serait pas portée en appel et qu'elle serait considérée comme représentant le droit au Canada.

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Trois plaintes, identiques quant au fond, ont été portées à la suite du même message transmis par téléphone. Toutefois, dans chaque cas, un intimé différent est désigné.

Aux fins de la présente décision, seuls les détails de la plainte portée contre Tony McAleer seront fournis; les voici :

[TRADUCTION]

Tony McAleer a exercé une discrimination à mon endroit et à celui des gais et des lesbiennes à cause de leur orientation sexuelle, en utilisant ou en faisant utiliser un téléphone de façon répétée pour transmettre des messages susceptibles de nous exposer à la haine ou au mépris, en violation de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'ai composé le numéro de téléphone (604) 572-8863 à diverses reprises entre le 31 décembre 1992 et le 15 janvier 1993, et j'ai entendu des messages incitant à la haine et au mépris des gais et des lesbiennes. J'ai été particulièrement offensé par un message qui disait que les Celtes «avaient l'habitude d'entraîner leurs pédés (queers) dans les marais et de les y piétiner jusqu'à ce que mort s'ensuive» et qui ajoutait que ce n'était pas «une mauvaise idée» d'agir ainsi, et que le «Burns Bog à Delta» était «assez grand pour Vancouver». Le message précise que l'interlocuteur est entré en communication avec le Canadian Liberty Net. Je crois également que Tony McAleer est l'exploitant du Canadian Liberty Net.

Cette plainte était datée du 2 février 1993. Une deuxième plainte datée du même jour désignait l'intimé Harry Vaccaro et une troisième, datée du 25 janvier 1993, désignait l'intimé Canadian Liberty Net.

Les transcriptions du message mentionné ci-dessus ainsi que du deuxième message ont été déposées comme pièces TM-1 et TM-2.

A l'audience du 1er septembre 1993, l'avocat de l'intimé Tony McAleer a identifié les messages et, après quelques corrections faites sur les pièces, il a déclaré [TRADUCTION] «...au nom de Tony McAleer, je suis prêt à admettre que ces messages proviennent de ce dernier». (Transcription, 1er septembre 1993, page 7)

C. LES INTIMÉS

Tony McAleer est un résident de la Colombie-Britannique; il a comparu à l'enquête, représenté par un avocat. Il a déclaré dans son témoignage que le message constituant le motif de la plainte ainsi que le deuxième message versé en preuve étaient les siens.

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Le Canadian Liberty Net (CLN) n'était pas représenté à l'enquête bien que McAleer ait indiqué dans son témoignage qu'il était l'exploitant du CLN et que celui-ci n'a aucun membre.

L'intimé Harry Vaccaro n'a pas comparu, que ce soit en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat. A l'audience du 1er septembre 1993, on a produit des documents qui indiquaient qu'au moins une «Carte de réception [courrier recommandé]» avait été signée et retournée à la Société canadienne des postes, ce qui signifiait que quelqu'un avait accepté une lettre recommandée avisant Harry Vaccaro de la date de l'audience (pièce T-8). Ce dernier ne s'est pas présenté à l'audience.

D. LES QUESTIONS EN LITIGE

Pour déterminer si les plaintes portées en vertu du paragraphe 13(1) de la LCDP sont fondées, il faut examiner diverses questions :

  1. Pour que les dispositions législatives s'appliquent et que le présent tribunal ait compétence, il doit être établi que la communication s'est faite «en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement».
  2. Il doit y avoir suffisamment d'éléments de preuve pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que les intimés susmentionnés, Tony McAleer, le Canadian Liberty Net et Harry Vaccaro, ont «utilis[é] ou [fait] utiliser un téléphone de façon répétée» pour transmettre le message qui fait l'objet de la plainte.
  3. Il faut démontrer que les questions abordées dans le message sont «susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3».

E. EXAMEN DES QUESTIONS EN LITIGE

1) Les messages ont-ils été transmis par l'intermédiaire des services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement?

Tony McAleer a reconnu que les messages faisant l'objet de l'enquête étaient les siens et il a admis qu'il les avait transmis en utilisant son téléphone. La preuve soumise au tribunal indiquait que le code régional du téléphone de Tony McAleer était le 604 et relevait de la société de téléphone de la Colombie-Britannique (B.C. Telephone).

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Le présent tribunal tire la même conclusion que le tribunal qui a statué dans l'affaire Khaki et al. c. Canadian Liberty Net et Derek J. Peterson, D.P. 17/93, à la p. 45, que B.C. Telephone est une entreprise relevant de la compétence du Parlement. Même si B.C. Telephone n'a pas été constituée en société en vertu d'une loi du Parlement du Canada, le présent tribunal est d'avis que l'arrêt de la Cour suprême du Canada Alberta Government Telephone c. CRTC, [1989] 2 R.C.S. 225, entraînerait la même conclusion.

2) Les intimés Tony McAleer, le Canadian Liberty Net et Harry Vaccaro ont-ils «utilis[é] ou [fait] utiliser un téléphone de façon répétée» pour transmettre les messages en cause?

L'intimé Tony McAleer a déclaré dans son témoignage qu'il avait fait utiliser son téléphone pour transmettre ses messages et il a également reconnu ses liens avec le CLN.

Aucun élément de preuve n'a été produit pour établir la participation d'Harry Vaccaro.

3) Les messages étaient-ils «susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3»?

Aux fins de l'analyse de l'effet des messages dont il est question en l'espèce au sens du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le tribunal se reporte aux propos du juge Dickson de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Taylor et le Western Guard c. Commission canadienne des droits de la personne et autres, [1990] 3 R.C.S. 892, où il a dit (aux p. 927 et 928) :

A mon avis, il n'y a aucune incompatibilité entre le fait de donner au par. 13(1) une interprétation qui le rend efficace et la protection de la liberté d'expression garantie par l'al. 2b), pourvu que l'interprétation des mots «haine» et «mépris» repose sur la pleine conscience que l'objectif du Parlement est de protéger l'égalité et la dignité de tous les individus par la réduction des manifestations de l'expression préjudiciable. Telle est la perspective adoptée par le Tribunal des droits de la personne dans Nealy c. Johnston (1989), 10 C.H.R.R. D/6450, la décision la plus récente touchant le par. 13(1), où sont faites les observations suivantes à la p. D/6469 :

Pour le terme «hatred», le tribunal [dans l'affaire Taylor] s'est servi de la définition du Oxford English Dictionary (éd. de 1971), dont voici le texte :

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active dislike, detestation, enmity, ill-will, malevolence, (aversion active, détestation, inimitié, malice, malveillance).

Le tribunal a trouvé également dans cette (sic) ouvrage la définition du terme «contempt» :

the condition of being condemned or despised; dishonour or disgrace (le fait d'être méprisé ou dédaigné; déshonneur, disgrâce).

Comme la [Loi canadienne sur les droits de la personne] ne contient aucune définition des termes «hatred» ou «contempt», il faut s'appuyer sur leur sens ordinaire. De toute évidence, ils peuvent être chargés émotivement, et la façon dont ils sont utilisés par rapport à des situations de fait particulières par différents individus ne sera pas toujours la même. Néanmoins, il existe un tronc commun important aux deux que les définitions du dictionnaire reflètent. Le terme «hatred» connote un ensemble d'émotions et de sentiments comportant une malice extrême envers une autre personne ou un autre groupe de personnes. Quand on dit qu'on «hait» quelqu'un, c'est que l'on ne trouve aucune qualité qui rachète ses défauts. Toutefois, il s'agit d'un terme qui ne fait pas appel nécessairement au processus mental de «regarder quelqu'un de haut». Il est fort possible de «haïr» quelqu'un que l'on estime supérieur à soi en intelligence, en richesse ou en pouvoir. Aucun des synonymes utilisés dans le dictionnaire pour le terme «hatred» ne donne d'indice sur les motifs de la malice. Par contraste, «contempt» est un terme qui suggère le processus mental consistant à «regarder quelqu'un de haut» ou à le traiter comme inférieur. La définition du dictionnaire invoquée dans l'affaire Taylor... rend bien cette idée, car on y trouve les mots «despised» (dédaigné), «dishonour» (déshonneur) ou «disgrace» (disgrâce). Même si la personne peut être «haïe» (c'est-à-dire faire l'objet d'une aversion active) et traitée avec «mépris» (c'est-à-dire regardée de haut), les termes ne se chevauchent pas complètement, car la haine est, en certains cas, le résultat de l'envie de qualités supérieures, ce que le «mépris» ne peut être par définition. [Je souligne.]

Le juge Dickson a également ajouté que l'intention d'établir une distinction n'est pas une condition préalable à la conclusion de discrimination en vertu des dispositions législatives sur les droits de la personne. Exiger une intention subjective au lieu de porter uniquement l'attention sur les effets ferait échec à l'un des principaux objectifs des lois interdisant la discrimination, c'est-à-dire prévenir des effets discriminatoires plutôt que de punir les personnes qui pratiquent la

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discrimination. C'est pour cette même raison qu'il n'y a pas au paragraphe 13(1) d'exception ni de défense de motif justifiable pour les déclarations véridiques.

Enfin, il faut se demander quel est le sens du terme «exposer» au paragraphe 13(1). Dans l'affaire Taylor, le tribunal a examiné le sens de ce terme :

On ne trouve pas habituellement le verbe «exposer» dans les lois destinées à empêcher la propagande haineuse. Par contre, il est dans la majorité des cas question, par exemple dans le Règlement découlant de la Loi sur la radiodiffusion, dans les dispositions de la Loi sur les postes et dans divers articles connexes du Code criminel, de propos insultants ou injurieux, ou de déclarations qui incitent à la haine ou la fomentent.

Le verbe «inciter» veut dire attiser; «fomenter» signifie soutenir activement. Le verbe «exposer» est un terme plus passif, qui semble indiquer que la personne qui transmet le message n'a pas l'intention de susciter une réaction violente chez la personne qui le reçoit. Exposer à la haine implique également un genre de communication plus subtile et indirecte que l'insulte vulgaire ou le langage injurieux non déguisé. Le verbe «exposer» signifie : laisser une personne ou une chose sans protection; laisser sans abri ou défense; soumettre au danger, au ridicule, à la censure, etc. En d'autres termes, si un individu crée les conditions propices à la haine, laisse le groupe identifiable exposé à la rancune ou à l'hostilité, s'il le place dans une situation où il risque d'être haï, ou là où la haine ou le mépris sont inévitables, alors cet individu tombe sous le coup du paragraphe 13(1) de la Loi sur les droits de la personne. (à la p. D/6470)

Une transcription du message qui fait l'objet de la plainte est annexée à la présente décision comme pièce TM-1.

Le message commence par un avertissement au sujet de l'attaque dont feraient l'objet la liberté de parole et la liberté de lire ce que l'on désire. Il signale une publication, le bulletin N.A.M.B.L.A. et, il indique, avec une expression de dégoût, qu'il s'agit d'un [TRADUCTION] «bulletin pour les agresseurs d'enfants» et que l'acronyme N.A.M.B.L.A. signifie North American Man Boy Love Association qui croit à la légalisation des rapports sexuels entre adultes et enfants.

Il précise ensuite que l'atteinte à la liberté est le résultat du mouvement envisageant de criminaliser la possession de tels documents. Il semblerait que ce mouvement rencontre de l'opposition parce que la

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possession de [TRADUCTION] «ces soi-disant écrits haineux» deviendrait aussi un crime.

L'auteur ou l'interlocuteur se dit ensuite d'avis que [TRADUCTION] «le bulletin devrait être permis au Canada, mais que les agresseurs d'enfants, homosexuels ou autres, devraient être exécutés. Cela devrait réduire le nombre de personnes qui possèdent le bulletin au Canada ou en restreindre la circulation». (Pièce TM-1, p. 1)

Vient ensuite le passage qui soulève le plus de controverse :

[TRADUCTION]

Diable, les anciens Celtes avaient l'habitude d'entraîner leurs pédés (queers) dans les marais et de les y piétiner jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée. Nous sommes peut-être enfin tombés sur l'argument qui empêchera la mise en valeur du Burns Bog à Delta, parce qu'il s'agit du seul marais suffisamment grand pour répondre aux besoins de la ville progressiste de Vancouver.

M. Gary Prideaux, professeur de linguistique à l'université d'Alberta, a été cité comme témoin par la Commission. Il avait la compétence requise pour fournir une opinion d'expert en matière de linguistique.

Le professeur Prideaux a dit être d'avis, et le tribunal considère qu'il s'agit d'un fait, que la partie du message qui exprime du dégoût pour les attentats à la pudeur sur des enfants et la pédophilie est utilisée comme «amorce» pour susciter la haine ou le mépris des «pédés» (queers) dont il est question dans la deuxième partie du message qui fait allusion à la prétendue coutume des anciens Celtes qui consistait pour eux à entraîner leurs pédés dans les marais et à les y piétiner jusqu'à ce que mort s'ensuive.

La troisième question formulée à la page 7 de la présente décision comporte deux sous-questions :

  1. Le message était-il susceptible d'exposer des personnes à la haine ou au mépris?
  2. Ces personnes sont-elles identifiables sur la base des critères de distinction illicite énoncés à l'article 3?

En ce qui concerne la première sous-question, le juge Dickson, dans l'arrêt Taylor et le Western Guard c. La Commission canadienne des droits de la personne, précité, a dit que le mot «haine» comporte :

une malice extrême envers une autre personne ou un autre groupe de personnes. Quand on dit qu'on «hait»

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quelqu'un, c'est que l'on ne trouve aucune qualité qui rachète ses défauts.

Le message contenu dans la pièce TM-1 recommandait que les pédés (queers) soient piétinés à mort dans les marais. Il connote clairement une malice extrême envers un autre groupe de personnes, soit les pédés, et laisse entendre que ces personnes n'ont aucune qualité qui rachète leurs défauts.

Dans l'affaire Taylor et le Western Guard c. La Commission canadienne des droits de la personne, le tribunal a défini le verbe «exposer» de la manière suivante :

...crée[r] les conditions propices à la haine, laisse[r] le groupe identifiable exposé à la rancune ou à l'hostilité...

En recommandant que les pédés (queers) soient piétinés à mort dans les marais, le message versé comme pièce TM-1 crée les conditions propices à la haine car il permet les expressions de malice envers les pédés (queers) et il vise à les légitimiser. Une telle recommandation laisse les «pédés» («queers») exposés à d'autres expressions d'hostilité par les personnes qui écoutent le message et qui sont de ce fait encouragées à manifester leur hostilité à leur endroit.

En ce qui concerne la deuxième sous-question, c'est l'arrêt Haig v. Canada (Minister of Justice), précité, qui permet d'inclure l'orientation sexuelle dans les motifs de distinction illicite énoncés à l'article 3 de la Loi. L'avocat de l'intimé McAleer a invité le tribunal à définir le sens et la portée de l'expression «orientation sexuelle». Il est évident que, dans l'arrêt Haig, la Cour d'appel de l'Ontario a considéré que l'orientation sexuelle visait l'homosexualité. Il n'est pas nécessaire en l'espèce d'aller plus loin pour définir la portée de l'expression «orientation sexuelle». En conséquence, un message qui est susceptible d'exposer une ou des personnes à la haine ou au mépris parce qu'elles sont homosexuelles contrevient à l'article 13 de la Loi. Dans le message de la pièce TM-1, le mot anglais «queers» est utilisé comme substantif. Plusieurs dictionnaires contemporains respectés définissent le substantif «queer» comme un terme péjoratif utilisé pour désigner un homosexuel. Le plaignant et deux autres témoins qui sont membres de la communauté homosexuelle de Vancouver ont témoigné au sujet de leurs expériences personnelles relativement à l'usage du terme «queer» comme substantif. M. Harry Grunsky a parlé de ses expériences où le terme «queer» avait été utilisé d'une manière péjorative pour désigner un homosexuel. Une lettre adressée à M. Grunsky, pièce HR-7, est un exemple de l'usage péjoratif de ce terme relativement aux homosexuels. Mme Betty Baxter a déclaré que, suivant son expérience, le mot «queer» est utilisé de manière péjorative

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[TRADUCTION]

«selon l'intention de la personne qui l'utilise ou le contexte dans lequel elle l'utilise».

Le tribunal conclut que le mot anglais «queers», employé comme substantif, est un terme péjoratif utilisé dans le langage ordinaire pour désigner un homosexuel.

En conséquence, le tribunal conclut que le message constituant la pièce TM-1 était susceptible d'exposer les homosexuels à la haine, et que les homosexuels sont des personnes identifiables sur la base d'un critère de distinction illicite, c'est-à-dire l'orientation sexuelle.

Dans son témoignage, l'intimé McAleer a indiqué qu'il s'était inspiré d'un ouvrage de Time Life pour évoquer la coutume des Celtes. Lorsque l'avocat de la Commission a demandé à M. McAleer, lors du contre- interrogatoire, de produire cet ouvrage de Time Life pour pouvoir l'examiner, il est devenu évident que le passage en cause concernait les anciens Celtes qui piétinaient à mort leurs sodomites (sodomites) dans les marais. Le mot anglais «queers» ne figurait pas dans l'ouvrage de Time Life et il a été inséré par M. McAleer. Le mot «queers» n'est manifestement pas un synonyme du mot anglais «sodomites».

L'intimé McAleer a déclaré dans son témoignage qu'il avait tenté de faire de l'humour lorsqu'il a fait allusion dans son message à la manière dont les anciens Celtes auraient traité leurs pédés. Un deuxième message, qui n'est pas visé par la plainte mais qui a été versé comme pièce TM-2, confirme les déclarations de l'intimé McAleer quand il affirme que ce passage se voulait ironique ou humoristique et satirique. Dans l'arrêt cité plus haut, la Cour suprême du Canada a déclaré que l'intention d'établir une distinction n'est pas une condition préalable à la conclusion de discrimination en vertu des dispositions législatives sur les droits de la personne. En conséquence, c'est l'effet du message plutôt que l'intention de son auteur ou de la personne qui le transmet qui doit être apprécié.

Après avoir examiné l'ensemble du message versé comme pièce TM-1, après avoir observé l'amorce qui est faite pour susciter chez l'interlocuteur du dégoût pour la pédophilie, l'hostilité inhérente à la recommandation de les exécuter et, ensuite, les références aux homosexuels et aux pédés et à ce qui semble être une incitation à suivre l'exemple, quoique incorrectement cité, des Celtes - [TRADUCTION] «Ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée». - le tribunal conclut que le message a pour effet d'exposer les homosexuels à la haine ou au mépris.

Il importe peu que la personne ait eu l'intention de faire de l'humour si l'effet est susceptible d'exposer une ou des personnes à la discrimination en vertu du paragraphe 13(1) de la LCDP. Le but des

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dispositions législatives est de prévenir des effets discriminatoires plutôt que de punir les personnes qui pratiquent la discrimination.

L'avocat de l'intimé McAleer a fondé une partie de son argumentation sur la liberté de faire des commentaires loyaux et sur la liberté de parole. L'intimé a certes le droit de faire savoir par téléphone qu'il n'approuve pas l'homosexualité dans la mesure où il ne le fait pas d'une manière qui contrevient au paragraphe 13(1) de la LCDP.

ORDONNANCE

Le tribunal ordonne aux intimés, Tony McAleer et le Canadian Liberty Net, et à toutes les autres personnes qui sont membres de ce groupement ou agissent en son nom ou d'un commun accord avec Tony McAleer ou le Canadian Liberty Net, de cesser d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base d'un critère de distinction illicite, notamment l'orientation sexuelle et, en particulier, l'homosexualité, et de s'abstenir de toute action de ce genre dans l'avenir, partout au Canada.

Fait ce 27e jour de janvier 1994.

Keith C. Norton, président

Lee Ongman, membre

Lyman R. Robinson, membre

NOTE DE LA TRADUCTRICE

OBJET : Payzant et CCDP c. McAleer et autres

J'aimerais signaler deux erreurs qui se sont glissées dans le texte anglais.

1- Page 7, ligne 8 : "...where he stated that: (at p. 937)" : il s'agit plutôt des pages 927 et 928.

2- Page 11, ligne 11 : "In Taylor ... v. The Canadian Human Rights Commission, Dickson J. defined "expose" as : " : il ne s'agit pas d'un extrait de l'arrêt du juge Dickson, mais de la décision du tribunal. Il faut donc remplacer "Dickson J." par "the Tribunal".

Suzanne Bolduc Section économique et juridique Montréal

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