Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

RICHARD WARMAN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MARC LEMIRE

l'intimé

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

CANADIAN ASSOCIATION FOR FREE EXPRESSION

CANADIAN FREE SPEECH LEAGUE

CONGRÈS JUIF CANADIEN

FRIENDS OF SIMON WIESENTHAL CENTER FOR HOLOCAUST STUDIES

LEAGUE OF HUMAN RIGHTS OF B'NAI BRITH

les parties intéressées

DÉCISION SUR REQUÊTE

2006 TCDP 32
2006/08/16

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[TRADUCTION]

I. LES ORDONNANCES DEMANDÉES DANS L'AVIS DE REQUÊTE VISANT

D'AUTRES PRÉCISIONS ET UNE DIVULGATION ADDITIONNELLE

A. Les articles a), b), c), d) et e)

B. L'article f)

C. L'article g)

D. L'article h)

E. L'article i)

II. LES ORDONNANCES DEMANDÉES DANS L'AVIS DE REQUÊTE VISANT LA PRODUCTION DE DOCUMENTS (QUESTIONS RELATIVES À LA CONSTITUTION)

[1] L'intimé, Marc Lemire, a déposé deux avis de requête. Dans la première requête, il demande [traduction] d'autres précisions et une divulgation additionnelle de la part du plaignant, Richard Warman, et de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans la deuxième requête, il demande [traduction] de la part du plaignant et de la Commission, la production de documents touchant les [traduction] questions relatives à la Constitution. Les deux requêtes se rapportent par conséquent au respect par les parties de l'article 6 des Règles de procédure du Tribunal.

[2] Selon le paragraphe 6(1) des Règles, chaque partie doit signifier et déposer un exposé des précisions indiquant :

6(1)a) les faits pertinents que la partie cherche à établir à l'appui de sa cause;

6(1)d) les divers documents qu'elle a en sa possession - pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n'est invoqué - et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l'occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d'autres parties en vertu de cette règle.

[3] Une copie de tout document dont il est fait mention conformément à l'alinéa 6(1)d) des Règles doit être fournie aux autres parties (paragraphe 6(4) des Règles).

[4] M. Lemire allègue essentiellement ce qui suit : a) que les faits pertinents énoncés dans l'exposé des précisions établi conjointement par la Commission et M. Warman sont insuffisants ou présentent des lacunes à certains égards; b) que la Commission et M. Warman n'ont pas divulgué certains documents qui auraient dû être divulgués suivant l'alinéa 6(1)d) des Règles.

[5] Dans la décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (Ministre du Personnel), [1999] D.C.D.P. no 8 (T.C.D.P.) (QL), le Tribunal a mentionné que les précisions ont pour but de définir les questions, d'éviter les surprises, de permettre aux parties de se préparer au procès, et de faciliter l'audience. À l'égard précisément de la communication des faits pertinents, le Tribunal a déclaré que [l]a règle de base est que les parties devraient dévoiler suffisamment de faits pour permettre aux autres parties de se préparer à l'audience. Toutefois, une partie n'a droit qu'aux faits pertinents sur lesquels l'autre partie s'appuie. Elle n'a pas droit à un résumé de la preuve que l'autre partie entend présenter ni à ses arguments et à son raisonnement.

[6] À l'égard de la divulgation de documents, l'alinéa 6(1)d) des Règles dicte que les documents se rapportant à des faits, à des questions et à des redressements demandés dans l'affaire doivent être divulgués. Le critère qui s'applique à l'égard de la pertinence consiste à déterminer si les documents en question sont potentiellement pertinents quant à l'audience (voir Bushey c. Sharma, [2003] D.C.D.P. no 7 (T.C.D.P.) (QL), au paragraphe 4). Le Tribunal a traité de la question de la pertinence dans la décision Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier c. Bell Canada, [2005] D.C.D.P. no 34 (T.C.D.P.) (QL). Le Tribunal a mentionné, en renvoyant aux conclusions de la Cour suprême dans l'arrêt Smith & Nephew c. Glegg, [2005] 1 R.C.S. 724, qu'à l'égard de la question de la pertinence, une partie doit démontrer que la divulgation d'un document est utile, appropriée, susceptible de faire progresser le débat, et repose sur un objectif acceptable qu'il cherche à atteindre dans le dossier, et que le document se rapporte au litige.

[7] En ayant ces considérations en tête, je vais maintenant traiter des demandes précises contenues dans les requêtes de M. Lemire.

I. LES ORDONNANCES DEMANDÉES DANS L'AVIS DE REQUÊTE VISANT D'AUTRES PRÉCISIONS ET UNE DIVULGATION ADDITIONNELLE

[8] À la fin de cet avis de requête, M. Lemire a compilé une liste d'ordonnances qu'il cherche à obtenir du Tribunal. Je vais traiter de ces demandes, article par article.

A. Les articles a), b), c), d) et e)

[9] Les articles a) jusqu'à e) sont de nature semblable. Les ordonnances demandées sont rédigées comme suit :

[traduction]

  1. Que le plaignant donne les noms des fournisseurs de services Internet qu'il utilisait pour accéder aux sites freedomsite.org, stormfront.org et jrsbookonline.com en 2003 et 2004, et les noms de comptes qu'il utilisait.
  2. Que le plaignant indique le lieu où se trouvaient les ordinateurs qu'il utilisait pour accéder au site freedomsite.org (c'est-à-dire la maison ou les bureaux de la Commission).
  3. Que le plaignant fournisse le ou les courriels qu'il utilisait pour obtenir l'accès au babillard électronique du site freedomsite.org.
  4. Que le plaignant fournisse le ou les mots de passe qu'il utilisait pour obtenir l'accès au babillard électronique du site freedomsite.org.
  5. Que le plaignant fournisse les noms (ou pseudonymes) qu'il utilisait pour ouvrir une session de bavardage sur le babillard électronique du site freedomsite.org.

[10] Ces demandes semblent être des demandes visant à obtenir d'autres précisions, par opposition à des demandes de divulgation de documents précis. M. Warman et la Commission déclarent, dans la section se rapportant aux faits pertinents de l'exposé des précisions qu'ils ont établi conjointement en date du 7 décembre 2005, que M. Warman a vu sur les sites freedomsite.org, stormfront.org et jrsbooksonline.com, en novembre 2003 et en octobre 2004, la prétendue propagande haineuse.

[11] M. Lemire prétend que pour avoir accès à ces sites Web et aux lignes de bavardage qui s'y trouvent, il faut s'inscrire sur le babillard électronique ou entrer en tant qu'invité en utilisant un ordinateur avec une seule adresse de protocole Internet. Il faut, pour obtenir un accès complet, fournir une adresse de courriel valide. M. Lemire prétend qu'il demande les précisions qu'il cherche à obtenir suivant ces articles de sa requête afin de [traduction] vérifier le fichier journal du babillard électronique et de [traduction] confirmer que M. Warman dit la vérité.

[12] À mon avis, les faits pertinents fournis par M. Warman et la Commission à l'égard des sites Web visités et des dates des visites suffisent pour permettre à M. Lemire de se préparer à l'audience. M. Lemire a effectivement été avisé que M. Warman entend prouver qu'il a visité ces sites et qu'il a vu la prétendue propagande haineuse. Il appartient à M. Warman et à la Commission de prouver ces faits. M. Lemire pourra de façon plus appropriée approfondir toute question se rapportant à l'exactitude ou à la véracité de la preuve à l'égard de ces visites lors d'un contre-interrogatoire.

[13] Les ordonnances demandées aux articles a), b), c), d) et e) sont par conséquent refusées.

B. L'article f)

[14] La demande à l'article f est rédigée comme suit :

[traduction]

f) Que le plaignant fournisse des copies de toutes les versions papier qu'il a faites au cours de ses visites du site freedomsite.org et de son babillard électronique.

[15] Au soutien de cette demande, M. Lemire a prétendu dans sa requête que M. Warman [traduction] a pu faire des versions papier d'autres messages qu'il a choisi de ne pas utiliser dans la plainte et que [traduction] s'il a imprimé d'autres messages du babillard Web, pourquoi ne les a-t-il pas inclus dans la plainte?

[16] Une réponse évidente peut être que M. Warman n'estimait pas que les autres documents contrevenaient à la Loi canadienne sur les droits de la personne et qu'il ne les a par conséquent pas inclus dans la plainte. Néanmoins, je suis disposé à accepter que tous les documents qu'une partie a en sa possession et qui se rapportent aux messages mentionnés dans la plainte puissent être potentiellement pertinents quant aux faits en cause dans la présente affaire. J'ordonne par conséquent à M. Warman de divulguer, conformément à l'alinéa 6(1)d) et au paragraphe 6(4) des Règles, des copies de toutes les versions papier qu'il a en sa possession et qu'il a imprimées au cours de ses visites du site freedomsite.org et de son babillard électronique, avant le dépôt de sa plainte.

C. L'article g)

[17] La demande à l'article g est rédigée comme suit :

[traduction]

g) Que le plaignant fournisse des copies de tous les messages qu'il a affichés sur les babillards électroniques des sites freedomsite.org et stormfront.org, ou toutes les réponses aux messages qu'il a affichées sur ces babillards Web.

[18] M. Lemire prétend dans sa requête que dans la présente affaire il est en quelque sorte pertinent de savoir si M. Warman a essayé de réfuter les prétendues communications de propagande haineuse ou d'informer les participants au babillard électronique que certains des messages affichés étaient racistes. Avec déférence, je ne vois pas comment cette question est pertinente quant aux points soulevés dans la plainte. Si la preuve établit que M. Lemire a communiqué ou fait communiquer de la propagande haineuse de la manière envisagée par l'article 13 de la Loi, sa responsabilité sera engagée indépendamment des actes ou omissions de M. Warman.

[19] Cependant, M. Lemire dit ensuite qu'il se peut que la manière et la facilité avec lesquelles les individus qui ont des opinions contraires peuvent participer à ces babillards électroniques soient pertinentes quant aux points qu'il a soulevés à l'égard de la validité sur le plan constitutionnel de l'article 13 de la Loi. J'accepte que les affichages faits par M. Warman sont potentiellement pertinents à cet égard.

[20] J'ordonne par conséquent à M. Warman de fournir toutes les copies, qu'il a en sa possession, des messages qu'il a affichés sur les babillards électroniques des sites freedomsite.org et stormfront.org ou toutes les réponses qu'il a affichées sur ces babillards.

D. L'article h)

[21] La demande à l'article h est rédigée comme suit :

[traduction]

h) Que le plaignant et la Commission canadienne des droits de la personne produisent tous les documents, qu'ils ont en leur possession ou dont ils obtiendront la possession, se rapportant à l'identité de la personne qui a affiché les messages sur le babillard électronique du site de l'intimé sous le nom de Craig Harrison.

[22] Dans sa réplique aux observations des autres parties, datée du 29 juin 2006, M. Lemire a reconnu qu'il était en train de recevoir les documents demandés suivant cet article. Je ne peux que tenir pour acquis que cette demande est par conséquent retirée.

E. L'article i)

[23] La demande à l'article i est rédigée comme suit :

[traduction]

i) Que le plaignant et la Commission produisent une compilation des messages qui constituent, selon ce qu'ils allèguent, de la propagande haineuse au sens de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en y marquant de façon appropriée les portions sur lesquelles ils appuient expressément leur prétention selon laquelle elles exposent des personnes à la haine ou au mépris.

[24] M. Lemire souligne dans sa requête que la Commission et M. Warman ont produit plus de 133 pages de messages lors de leur divulgation de documents, dans lesquelles on retrouve des centaines de messages. Aucun des messages n'a de soulignement ou de marque indiquant les portions qui exposent soi-disant des groupes à la haine ou au mépris.

[25] M. Warman soutient qu'il a fourni suffisamment de précisions. Il mentionne dans ses observations que sa plainte initiale expose 29 exemples du type d'éléments qu'on retrouve dans les documents divulgués qui, selon ce qu'il allègue, contreviennent à l'article 13 de la Loi. Il soutient que ces exemples sont suffisants quant à ses obligations de divulgation et qu'ils fournissent à M. Lemire la possibilité de connaître la preuve contre laquelle il doit se défendre.

[26] Je ne partage pas son opinion. Produire plus de cent pages de messages puis se réserver le droit de choisir n'importe lequel de ces messages et prétendre lors de l'audience qu'il constitue une violation au paragraphe 13(1) de la Loi privent M. Lemire d'une possibilité véritable et efficace de connaître la preuve contre laquelle il doit se défendre. Si la Commission et M. Warman adoptent la position que chaque message qu'on trouve sur chacune des pages divulguées constitue de la propagande haineuse, alors ils devraient le dire expressément. M. Lemire pourra alors se considérer comme prévenu et se préparer en conséquence.

[27] Cependant, si la Commission et M. Warman croient de bonne foi que seulement certains des messages contenus dans les pages divulguées contreviennent à la Loi, alors ils devraient agir ouvertement en déclarant leur position à l'autre partie et en lui donnant des détails à cet égard.

[28] J'ordonne par conséquent à la Commission et à M. Warman d'indiquer expressément les messages qui, selon ce qu'ils allèguent, constituent de la propagande haineuse au sens de l'article 13 de la Loi.

II. LES ORDONNANCES DEMANDÉES DANS L'AVIS DE REQUÊTE VISANT LA PRODUCTION DE DOCUMENTS (QUESTIONS RELATIVES À LA CONSTITUTION)

[29] Le 25 novembre 2005, M. Lemire a déposé dans la présente affaire un avis de question relative à la Constitution dans lequel il alléguait que l'article 13 et le paragraphe 54(1)(1.1) de la Loi contreviennent aux alinéas 2a) et b), et aux articles 7, 26 et 31 de la Charte canadienne des droits et libertés, et que ces contraventions ne sont pas visées par les restrictions prévues à l'article 1. Il allègue également qu'il y a eu contravention aux alinéas 1d) et f) de la Déclaration canadienne des droits.

[30] Dans cet avis de requête, M. Lemire allègue que la Commission a omis de divulguer des documents qui sont pertinents et utiles quant à la question relative à la Constitution qui a été soulevée. En particulier, il demande que la Commission divulgue des documents à l'égard des activités de la Commission qui intéressent l'article 13 de la Loi.

[31] M. Lemire souligne que le Tribunal, lors de son analyse de la question relative à la Constitution, peut être tenu d'examiner la question de savoir si la contravention alléguée aux droits et libertés garantis par la Constitution que l'on invoque est justifiée suivant l'article 1 de la Charte. Il a renvoyé aux critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, et en particulier au critère de proportionnalité dont il a été traité aux paragraphes 70 et 71 de l'arrêt. La Cour suprême a mentionné qu'il faut, lors de l'analyse, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. Il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif des mesures. La Cour suprême a ajouté que l'analyse des effets est très large. Il est possible que compte tenu de la gravité des effets préjudiciables d'une mesure sur des particuliers ou des groupes, la mesure ne soit pas justifiée par les objectifs qu'elle est destinée à servir.

[32] M. Lemire soutient que les effets préjudiciables de l'article 13 de la Loi s'étendent au-delà des ordonnances que le Tribunal peut rendre après qu'il a statué sur une plainte. Il allègue que la Commission, dans l'exercice de ses pouvoirs prévus par la Loi, s'est livrée à des activités qui ont eu l'effet préjudiciable de restreindre les droits et libertés garantis par la Charte, hors de l'étendue du processus d'audience du Tribunal. Par exemple, M. Lemire prétend que la Commission a pu influencer les fournisseurs de services Internet (FSI) d'une manière à les pousser à retirer des sites Web jugés répréhensibles par la Commission, sans qu'une plainte en matière des droits de la personne ait été déposée contre l'exploitant du site Web.

[33] Dans les faits, la Commission obtiendrait par conséquent une interdiction extrajudiciaire de matériel expressif. M. Lemire prétend qu'il s'agit d'un effet préjudiciable de l'article 13 qui doit être examiné lors de l'analyse du critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt Oakes.

[34] La position de la Commission, en réplique, comporte fondamentalement deux volets : d'abord que la demande de documents est [traduction] exagérée et ambiguë - une question que je traiterai séparément ci-après - puis que les documents demandés ne sont pas potentiellement pertinents quant à la question relative à la Constitution. À mon avis, la Commission ne traite pas directement de l'argument soulevé par M. Lemire. La Commission n'a pas établi la raison pour laquelle les prétentions de M. Lemire à l'égard de la pertinence de l'analyse en matière constitutionnelle sont dénuées de fondement.

[35] Comme je l'ai déjà souligné, selon l'article 6 des Règles, des documents qui se rapportent à une question en litige, qu'il s'agisse d'une question soulevée par l'une partie ou par l'autre, doivent être divulgués. Dans la présente affaire, M. Lemire a soulevé une question quant à la validité sur le plan constitutionnel de l'article 13 et il se peut, lors de l'analyse de cette question, qu'il soit nécessaire que les effets préjudiciables de l'article 13 soient examinés. Cela pourrait inclure la manière selon laquelle ces effets entraînent la violation de droits et libertés garantis par la Charte par des moyens autres que les ordonnances du Tribunal rendues après qu'il a statué sur une plainte. Ces effets se rapportent à une question définie par une partie dans la présente affaire et par conséquent tout document se rapportant à ces effets doit être divulgué.

[36] Le procureur général du Canada, dans ses observations quant à la présente requête, présente un argument différent de celui de la Commission. Le procureur général soutient que M. Lemire, en soulevant à titre de question litigieuse [traduction] la manière selon laquelle la Commission s'acquitte de son mandat, tente de contester en se fondant sur la Charte, l'interprétation et l'application de l'article 13 de la Loi que la Commission fait en s'acquittant de son mandat suivant l'article 27 et le paragraphe 49(1). Il prétend que les seules façons par lesquelles M. Lemire peut faire une telle contestation sont un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale ou une demande ou une action présentée devant une cour supérieure provinciale en vue d'obtenir une déclaration.

[37] M. Lemire répond qu'il ne cherche pas à obtenir du Tribunal un examen du caractère licite des activités de la Commission. Plutôt, il cherche à obtenir un examen de la question de savoir si les [traduction] effets préjudiciables que la Loi a sur la liberté d'expression surpassent les effets bénéfiques.

[38] À mon avis, les deux parties soulèvent des points intéressants qui peuvent être correctement présentés devant le Tribunal qui statue sur le bien-fondé de la contestation constitutionnelle et de la plainte dans l'ensemble. À l'étape actuelle de l'instance, cependant, la question qui m'est soumise est une question très élémentaire : les documents demandés se rapportent-ils à une question qui a été soulevée par l'une des parties dans la présente affaire?

[39] J'accepte la prétention de M. Lemire selon laquelle il existe un lien entre la question de la constitutionnalité de l'article 13 et du paragraphe 54(1)(1.1) de la Loi et tout document se rapportant à quelque activité de la Commission qui peut avoir un effet sur les droits et libertés garantis par la Charte. Les documents doivent par conséquent faire l'objet d'une divulgation conformément à l'article 6 des Règles.

[40] Mais cela ne met pas fin à l'affaire. La Commission soutient que les demandes de production de documents présentées par M. Lemire sont exagérées et ambiguës. À mon avis, l'évaluation que fait la Commission à cet égard semble particulièrement applicable aux demandes sous les titres (h), (k) et (n), du paragraphe 37 de l'avis de requête, qui sont rédigées comme suit :

[traduction]

h) Tous les documents internes se rapportant à la haine et à Internet à compter de 1993 (à l'exclusion des documents déposés au Tribunal dans les instances suivant l'article 13 de la Loi, des transcriptions de telles instances ou de la correspondance interne de l'avocat se rapportant à ces dossiers).

k) Tous les documents se rapportant à la formation et aux procédures de l'équipe spéciale anti-haine constituée afin de traiter les plaintes suivant l'article 13, notamment toute directive visant à déterminer ce qui constitue de la haine ou du mépris et à former du personnel pour déterminer ce qui constitue de la haine au sens de l'article 13.

n) Tous les documents concernant les activités de la Commission suivant l'article 27 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui ont un lien avec la haine sur Internet.

[41] Comme le Tribunal a mentionné dans la décision Bell Canada, précitée, aux paragraphes 12 à 14, des demandes de divulgation qui sont exagérées et qui ne sont pas précises, et qui équivalent fondamentalement à un proverbial interrogatoire à l'aveuglette, seront rejetées.

[42] À mon avis, les articles (h), (k) et (n) font partie de cette catégorie. Les demandes sont d'une nature excessivement générale et comprennent des aspects des activités de la Commission qui ne sont pas susceptibles de se rapporter aux questions en litige. Par exemple, il n'est aucunement clair de quelle façon les documents se rapportant aux activités internes de la Commission peuvent avoir un effet préjudiciable sur les droits et libertés garantis par la Charte pour les personnes à l'extérieur de la Commission. Ce n'est qu'une fois que l'activité de la Commission s'étend à l'extérieur de l'organisation et touche des droits ou libertés garantis par la Charte qu'un document s'y rapportant devient potentiellement pertinent quant à la question définie par M. Lemire.

[43] Par contre, j'accepte que les demandes des articles (j), (l) et (m) sont potentiellement pertinentes et ne sont pas exagérées ou ambiguës :

[traduction]

j) Tous les documents se rapportant aux relations de la Commission avec les fournisseurs de services Internet, notamment ceux se rapportant aux tentatives visant à exercer une pression sur les FSI pour qu'ils ferment les sites Web ou les retirent.

l) Tous les documents se rapportant à des réunions, à du réseautage et à de la consultation avec tout groupe représentant un des groupes protégés contre la discrimination suivant la Loi canadienne sur les droits de la personne, et avec tout service de police ou toute agence gouvernementale ayant un lien avec la haine sur Internet.

m) Tous les documents se rapportant aux activités éducatives ou publicitaires de la Commission à l'égard de la haine.

[44] M. Lemire avait initialement demandé la production de deux autres séries de documents (les articles (i) et (o)), mais il semble, selon sa correspondance subséquente avec le Tribunal, qu'il a obtenu ces documents d'autres sources. Je tiens pour acquis par conséquent que ces demandes ont été retirées.

[45] En résumé, par conséquent, à l'égard du deuxième avis de requête, j'ordonne à la Commission de divulguer tous les documents qu'elle a en sa possession se rapportant aux articles (j), (l) et (m), comme cela est précédemment mentionné, selon ce qui est énuméré au paragraphe 37 de l'avis de requête de M. Lemire présenté en vue d'obtenir la production de documents (questions relatives à la Constitution), daté du 17 mai 2006.

[46] Un échéancier quant à la divulgation de ces documents pourra être établi lors d'une prochaine conférence téléphonique sur la gestion du cas.

Athanasios D. Hadjis

Ottawa (Ontario)

Le 16 août 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1073/5405

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Richard Warman c. Marc Lemire

DATE DE LA DÉCISION DU
TRIBUNAL :

Le 16 août 2006

ONT COMPARU :

Richard Warman

Pour lui-même

Giacomo Vigna / Ikram Warsame

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Barbara Kulaszka

Pour l'intimé

Simon Fothergill

Pour le Procureur général du Canada

Paul Fromm

Pour Canadian Association for Free Expression

Douglas H. Christie

Pour Canadian Free Speech League

Marvin Kurz

Pour League for Human Rights of B'nai Brith

Joel Richler / Courtney Harris
Steven Skurka

Pour le Congrès juif canadien Pour Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies

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