Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

RICHARD WARMAN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MARC LEMIRE

l'intimé

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
CANADIAN ASSOCIATION FOR FREE EXPRESSION
CANADIAN FREE SPEECH LEAGUE
CONGRÈS JUIF CANADIEN
FRIENDS OF SIMON WIESENTHAL CENTER FOR HOLOCAUST STUDIES
LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH

les parties intéressées

DÉCISION SUR REQUÊTE

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

2006 TCDP 48
2006/10/26
[TRADUCTION]

[1] L'intimé, Marc Lemire, a déposé une requête dans laquelle il demande qu'il soit ordonné que le plaignant, Richard Warman, soit ajouté à titre d'intimé dans la présente affaire.

[2] Selon la plainte en matière des droits de la personne déposée par M. Warman, datée du 23 novembre 2003, M. Lemire est le propriétaire d'un site Web appelé freedomsite.org, sur lequel il était soi-disant possible de voir des messages de propagande haineuse (c'est-à-dire du matériel qui est interdit suivant l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne). M. Warman prétend de plus dans la plainte que M. Lemire a affiché lui-même ce genre de matériel.

[3] M. Lemire tente en fait par la présente requête de présenter sa propre plainte en matière des droits de la personne contre M. Warman. Il prétend que M. Warman a écrit et a affiché ses messages de propagande haineuse sur ce même site Web, freedomsite.org. M. Lemire soutient que M. Warman devrait par conséquent être ajouté à titre d'intimé additionnel dans la présente affaire.

Le Tribunal a-t-il compétence pour ajouter une partie à une instruction existante?

[4] La Loi n'énonce pas expressément que le Tribunal a le pouvoir d'ordonner l'adjonction d'une partie à une instruction qu'il tient, mais l'alinéa 48.9(2)b) prévoit que le président du Tribunal peut faire des règles de procédure régissant l'adjonction de parties ou d'intervenants à l'affaire.

[5] Dans une décision rendue de vive voix, Desormeaux c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton (2 octobre 2002), Ottawa, T701/0602 (T.C.D.P.), mentionnée dans la décision Brown c. Commission de la capitale nationale, 2003 TCDP 43, et dans la décision Syndicat des employés d'exécution de Québec-Téléphone, section locale 5044 du SCFP c. Telus Communications (Québec) Inc., 2003 TCDP 31 (Telus), Mme Mactavish, alors présidente du Tribunal, a noté la manière selon laquelle l'alinéa 48.9(2)b) de la Loi prévoit expressément l'adjonction de parties et d'intervenants aux instructions existantes du Tribunal. Compte tenu du libellé de cet alinéa, elle a conclu que l'intention du législateur était de donner au Tribunal le pouvoir d'ajouter des parties à une instruction suite à une requête lorsque le Tribunal le juge approprié.

[6] Le 3 octobre 2002, dans la même affaire, la présidente Mactavish a rendu de vive voix une décision subséquente dans laquelle elle a mentionné que le contexte législatif entourant le pouvoir discrétionnaire d'ajouter des parties donne à penser que tout tel pouvoir discrétionnaire devrait être exercé avec prudence. L'adjonction d'une partie au cours d'une instruction peut priver le nouvel intimé du bénéfice de certaines garanties procédurales. Ces garanties incluraient la possibilité de convaincre la Commission au cours de son processus d'enquête qu'elle devrait refuser de traiter la plainte parce que, par exemple, la plainte n'est pas fondée ou parce qu'elle a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée (alinéa 41(1)e)). Ainsi, le Tribunal a conclu que même si le texte de loi l'autorise à ajouter un intimé, les cas où il sera permis de le faire sont passablement limités compte tenu de la perte de garanties procédurales qui pourrait résulter d'une telle décision.

[7] Le Tribunal, dans la décision Telus au paragraphe 30, a souscrit à la démarche prudente énoncée dans la décision Desormeaux et a conclu que l'adjonction forcée d'un nouvel intimé serait appropriée dans les cas où il est établi que la présence d'une nouvelle partie est nécessaire pour disposer de la plainte dont il est saisi et qu'il n'était pas raisonnablement prévisible une fois la plainte déposée auprès de la Commission que l'adjonction d'un nouvel intimé serait nécessaire pour disposer de la plainte. Comme cela a été mentionné dans la décision Brown, au paragraphe 20, il s'agit d'un énoncé décrivant l'état du droit sur la question.

L'adjonction de M. Warman à titre d'intimé est-elle nécessaire pour disposer de la plainte dont le Tribunal est saisi?

[8] M. Lemire ne m'a pas convaincu qu'il était nécessaire que M. Warman soit ajouté à titre d'intimé pour disposer de la plainte dont le Tribunal est maintenant saisi. Il est allégué dans la plainte que M. Lemire est le propriétaire inscrit du site Web freedomsite.org et qu'il a exercé à l'endroit de personnes ou de groupes de personnes de la discrimination fondée sur des motifs illicites par la communication de façon répétée de messages de propagande haineuse, en sa qualité d'administrateur et de propriétaire de ce site Web, et par ses affichages personnels sur le site Web.

[9] De quelle manière le fait d'inclure M. Warman à titre d'intimé additionnel aide-t-il à disposer de la plainte? Le seul argument de M. Lemire sur ce point semble être que M. Warman a affiché ses présumés messages de propagande haineuse comme moyen de piéger des individus comme M. Lemire, contre lesquels il a par la suite déposé des plaintes en matière des droits de la personne. Je crois comprendre que ce que prétend M. Lemire c'est que M. Warman, en faisant ces présumés affichages sur le site Web, a en quelque sorte incité d'autres individus à afficher leurs propres messages de propagande haineuse.

[10] Il m'apparaît que cet argument est présenté comme moyen de défense aux allégations d'actes discriminatoires contenues dans la plainte. Si un tel moyen de défense est fondé suivant la Loi, il me semble qu'il pourrait être soulevé par un intimé indépendamment du fait que le soi-disant instigateur à commettre l'acte discriminatoire soit nommé ou non à titre d'intimé additionnel dans l'affaire.

[11] M. Lemire prétend que la décision Brown, dans laquelle le Tribunal a permis l'adjonction d'une tièrce partie à la plainte, appuie sa position. Cependant, les circonstances de l'affaire Brown sont très différentes de celles de la présente affaire. Le plaignant, M. Brown, souffrait d'une déficience. Il avait soutenu que la Commission de la capitale nationale (CCN) avait exercé de la discrimination à son endroit par son omission de lui avoir fourni un accès en fauteuil roulant à un parc d'Ottawa qui relevait de la CCN. Il prétendait que le seul accès offert était par un escalier de plusieurs marches, connu sous le nom d'escalier de la rue York. Au cours de l'audience, on a présenté des éléments de preuve donnant à penser qu'une solution possible au problème était de fournir un accès public à un ascenseur situé dans un édifice voisin, appartenant au ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux (Travaux publics). La Commission a présenté une requête dans laquelle elle demandait que le Tribunal ordonne l'adjonction de Travaux publics à titre de co-intimé.

[12] Le Tribunal a statué que dans l'éventualité où il était décidé que la plainte de M. Brown était fondée, l'adjonction de Travaux publics pourrait être nécessaire pour mettre en uvre une solution viable au problème résultant de l'escalier de la rue York. Compte tenu de la preuve selon laquelle l'ascenseur dans l'édifice de Travaux publics pourrait fournir l'accès dont on avait besoin pour remédier à l'acte discriminatoire, Travaux publics aurait un rôle indispensable à jouer pour résoudre tout problème de discrimination (Brown, au paragraphe 43). Par conséquent, dans l'affaire Brown, le Tribunal se heurtait à la réelle possibilité que sans la pleine participation à l'affaire de la partie adjointe, il aurait été incapable d'ordonner un redressement efficace à l'acte discriminatoire.

[13] On ne peut pas dire la même chose dans la présente affaire. On ne m'a pas démontré de quelle manière la capacité du Tribunal de rendre contre M. Lemire des ordonnances de redressement efficaces suivant la Loi sera entravée si M. Warman n'est pas ajouté à titre d'intimé dans la présente affaire pas plus qu'on ne m'a démontré que la participation de M. Warman à titre d'intimé est nécessaire ou indispensable pour trancher toute question de discrimination soulevée dans la plainte de M. Warman.

[14] Si M. Lemire est d'avis que M. Warman a contrevenu à la Loi, il est libre de déposer auprès de la Commission sa propre plainte en matière des droits de la personne. Cependant, pour le moment, le Tribunal est saisi d'une plainte déposée par M. Warman contre M. Lemire. L'adjonction de M. Warman à titre d'intimé n'est pas nécessaire pour disposer de la plainte. La requête de M. Lemire est rejetée.

[15] Finalement, je remarque qu'une grande portion des observations des parties à l'égard de la requête traite du fonctionnement administratif du site Web et de la présumée preuve des visites de M. Warman sur le babillard électronique du site Web. Compte tenu de mes conclusions à l'égard du caractère inapproprié de l'adjonction de M. Warman à titre d'intimé dans la présente affaire, ces observations n'ont pas à être traitées pour le moment.

Athanasios D. Hadjis

Ottawa (Ontario)

Le 26 octobre 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1073/5405
INTITULÉ DE LA CAUSE : Richard Warman c. Marc Lemire
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 26 octobre 2006
ONT COMPARU :
Richard Warman Pour lui-même
Giacomo Vigna / Ikram Warsame Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Barbara Kulaska Pour l'intimé
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