Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

Levan Turner

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l’intimée

Décision

Numéro du dossier : T1248/6007

Membre instructeur : Wallace G. Craig

Date : Le 7 mars 2014

Référence : 2014 TCDP 10

 


Table des matières

 

I.......... Introduction. 1

II........ Le jugement de la Cour d’appel fédérale. 2

III....... Le cadre juridique. 8

A.           La preuve prima facie. 8

B.           La « subtile odeur » de discrimination. 10

C.           La déficience perçue. 11

D.           Le recoupement 12

E.           Le racisme et le stéréotypage au Canada. 13

IV....... Les éléments de preuve. 14

A.           La déclaration préliminaire du plaignant 14

B.           La réponse de l’avocat de l’intimée. 17

C.           Le témoin Christopher James Hughes. 19

Le courriel de M. Klassen. 22

Le concours Vancouver 1002 – la restriction à l’admissibilité. 23

La plainte déposée auprès de la Commission de la fonction publique. 29

Le contexte des listes d’admissibilité et des répertoires de candidats préqualifiés. 33

Le contre-interrogatoire de M. Hughes. 34

Le nouvel interrogatoire de M. Hughes. 42

Les démêlés de M. Hughes avec Revenu Canada. 44

D.           Le témoin Levan Turner 46

L’expérience de travail en tant qu’inspecteur des douanes. 47

La première saison en tant qu’inspecteur des douanes, de mai à octobre 1998. 47

La deuxième saison en tant qu’inspecteur des douanes, du 29 décembre 1998 à octobre 1999  50

La troisième saison en tant qu’inspecteur des douanes, d’avril 2001 à octobre 2002. 53

Les concours. 56

Le contre-interrogatoire de Levan Turner 65

La preuve prima facie – le seuil en matière de preuve. 72

E.           Le témoin Terry Berent Klassen. 72

F.            Le témoin Trevor Baird. 77

La pertinence des examens du rendement positifs de M. Turner 89

Le courriel de M. Klassen. 92

M. Baird, sur la véracité de M. Turner 94

G.           Le témoin Nina Patel 95

Le contre-interrogatoire de Mme Patel 98

Les conclusions découlant du témoignage de Mme Patel 101

H.           Le témoin Shalina Sharma. 102

L’origine de la restriction à l’admissibilité dans le concours Vancouver 1002. 102

Les concours de dotation sont soumis à leurs propres règles. 104

Les éléments de compétence qu’un comité d’entrevue devrait prendre en considération  106

L’analyse du témoignage de Mme Sharma. 110

I.             Le témoin Ronald Paul Tarnawski 111

Le contre-interrogatoire de M. Tarnawski 116

L’analyse de la dernière question posée à M. Tarnawski en contre-interrogatoire. 122

V........ Analyse. 122

A.           Préface aux motifs de décision. 122

L’avis de M. Turner sur la raison pour laquelle on l’a empêché de continuer à travailler 123

Les décisions : les concours Vancouver 1002 et Victoria 7003. 124

La crédibilité des témoins. 124

B.           L’analyse du concours Victoria 7003. 129

C.           L’analyse du concours Vancouver 1002. 131

D.           L’application du droit pertinent 135

La décision Shakes. 135

E.           La réponse de l’employeur à la preuve prima facie. 138

Le concours Vancouver 1002. 138

Le concours Victoria 7003. 139

VI....... Les conclusions. 140

VII..... La décision. 141

 


I.                   Introduction

[1]               Dans une plainte datée du 8 février 2005 et déposée en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), Levan Turner a allégué que l’intimée, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), qui portait à l’époque le nom d’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC), a commis un acte discriminatoire fondé sur l’âge, la race, l’origine nationale ou ethnique et la couleur en cours d’emploi. Dans son exposé des précisions, le plaignant a soulevé une question supplémentaire, liée à une déficience perçue : l’obésité.

[2]               La plainte de M. Turner découle de la façon dont il a été exclu de deux processus de dotation concernant un emploi d’inspecteur des douanes auprès de l’ADRC et de l’entité qui l’a remplacée dans le secteur des douanes et de l’immigration, l’ASFC. Suivant son entrevue, il a été déclaré que M. Turner ne remplissait pas les conditions requises pour une offre d’emploi à Victoria affichée le 11 octobre 2003 (le concours Victoria 7003) et il a été déclaré comme non admissible après une première entrevue menée dans un autre processus, une offre d’emploi à Vancouver affichée le 9 juin 2003 (le concours Vancouver 1002).

[3]               Le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a procédé à l’instruction de la plainte à Victoria (C.-B.) du 17 au 21 novembre 2008 ainsi que du 19 au 22 janvier 2009, et il l’a conclue par voie de conférence téléphonique le 17 mars 2009.

[4]               Le 10 juin 2010, le Tribunal a rejeté la plainte de M. Turner :

[183] Je conclus que l’ASFC a fourni une explication raisonnable au fait que M. Turner ne s’est pas qualifié pour un poste d’inspecteur des douanes ni dans le concours Vancouver 1002, ni dans le concours Victoria 7003. Je conclus aussi que rien dans la preuve ou dans les explications de l’ASFC ne donne à penser qu’il s’agissait d’un prétexte.

[184] Pour ces motifs, je conclus que la plainte de M. Turner n’est pas justifiée. Par conséquent, elle est rejetée.

[5]               Dans sa décision, le Tribunal n’a pas fait mention d’une déficience perçue, un point que le plaignant avait soulevé dans son témoignage et son argumentation, avec les motifs de l’âge, de la race et de l’origine nationale et ethnique.

II.                Le jugement de la Cour d’appel fédérale

[6]               Dans un jugement unanime que le juge Mainville a rendu le 30 mai 2012, la Cour d’appel fédérale a annulé le jugement prononcé par la Cour fédérale à la suite d’une demande de contrôle judiciaire et elle renvoyé la plainte de M. Turner au Tribunal pour nouvel examen par un membre différent.

[7]               Les paragraphes 3 à 11 de la décision de la Cour d’appel fédérale résument les circonstances de base qui sont pertinentes pour ce qui est d’un nouvel examen de la part du Tribunal.

[3] L’appelant se décrit comme un homme corpulent de race noire. Il travaille maintenant pour Service Canada. La plainte de l’appelant découle de deux concours visant à combler des postes d’inspecteur des douanes à temps plein à l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), remplacée par l’Agence des services frontaliers du Canada. À l’époque où il a posé sa candidature dans le cadre de chacun des deux concours, l’appelant travaillait comme inspecteur des douanes saisonnier à Victoria, en Colombie-Britannique, comme il l’avait fait de 1998 à 2003. En tant qu’inspecteur des douanes saisonnier, l’appelant avait toujours reçu des examens de rendement écrits positifs de la part de ses superviseurs.

[4] Le premier concours, affiché par l’ADRC le 9 juin 2003, visait à combler un poste d’inspecteur des douanes à Vancouver. Le deuxième concours, affiché le 11 octobre 2003, visait à combler un poste similaire à Victoria (Victoria 7003).

[5] En plus des critères habituels à remplir, une restriction à l’admissibilité a été ajoutée pour le concours de Vancouver, selon laquelle [traduction] « [l]es candidats qui ont passé une entrevue pour ce poste depuis le 1er janvier 2002 ne seront pas admissibles au présent processus » (p. 822 du dossier d’appel (DA)). L’appelant n’ayant pas passé d’entrevue pour un poste d’inspecteur des douanes à Vancouver, il s’est considéré admissible au concours et a donc posé sa candidature. Il a réussi le test d’inspecteur des douanes que devaient passer tous les candidats. La phase suivante du processus de concours comportait deux entrevues. L’appelant a été convoqué à la première entrevue, qui a eu lieu le 26 avril 2004, et il a réussi cette épreuve. Cependant, un des membres du comité d’entrevue a reconnu l’appelant comme ayant auparavant échoué l’épreuve de l’entrevue dans le cadre d’un processus de concours visant à combler des postes d’inspecteur des douanes à Victoria. Bien que l’appelant ait réussi l’épreuve de la première entrevue du concours visant à doter le poste de Vancouver, sa candidature a été ultérieurement rejetée au motif qu’il était visé par la restriction à l’admissibilité susmentionnée.

[6] L’appelant a été le seul candidat exclu du concours de Vancouver en raison de la restriction à l’admissibilité. Au moins un autre candidat avait également postulé sans succès pour les postes d’inspecteur des douanes à Victoria. Il y a eu un cas dans lequel la candidate avait échoué à l’examen sur dossier de son portefeuille de compétences pour un poste à Victoria et n’avait donc pas été convoquée en entrevue pour ce poste. Cette candidate n’a pas été exclue du concours de Vancouver. Un autre candidat du même nom que celui d’une personne qui avait échoué à l’épreuve de l’entrevue dans le cadre d’un concours pour Victoria n’a pas non plus été exclu du concours de Vancouver; toutefois, il y avait une certaine confusion quant à son identité.

[7] Compte tenu de ce qui précède, l’appelant a eu un doute quant aux motifs de son exclusion, et il a demandé de plus amples renseignements à l’ADRC. Il n’a reçu aucune réponse à sa demande.

[8] L’appelant remplissait les critères pour le concours Victoria 7003, mais il a échoué à l’épreuve de l’entrevue dans le cadre de ce concours. L’entrevue a eu lieu le 13 décembre 2003. Le jury de sélection du concours a jugé l’appelant inhabile au regard de deux compétences : a) la communication interactive efficace et b) le travail d’équipe et la collaboration.

[9] Avant ces entrevues, le superviseur de l’appelant avait envoyé un long courriel à plusieurs membres du groupe de gestion de l’ADRC exposant ce qu’il considérait être les faiblesses de l’appelant. Le courriel était daté du 4 octobre 2003; il a donc été envoyé environ deux mois avant l’entrevue de l’appelant dans le cadre du concours Victoria 7003 et un peu moins de sept mois avant son entrevue dans le cadre du concours de Vancouver. Ce courriel indiquait que l’appelant était perçu comme quelqu’un qui [traduction] « évite parfois les tâches plus difficiles, ou qui connaît la bonne procédure (liée à la tâche difficile), mais qui demande l’avis du surintendant, espérant que le surintendant utilisera son pouvoir discrétionnaire et choisira la voie la plus facile. Il a aussi été mentionné que d’autres inspecteurs s’étaient plaints du fait qu’il laissait les encaissements pour les prochaines personnes plutôt que de les effectuer pendant son quart de travail ». Le courriel indiquait également qu’[traduction] « une partie de [l’appelant] cherche effectivement la solution de facilité. […] » : p. 321 et 322 du DA.

[10] L’appelant a vigoureusement contesté les allégations formulées dans ce courriel, qui contredisaient les évaluations écrites officielles positives qu’il avait reçues de tous ses superviseurs, y compris de celui qui avait rédigé le courriel. L’appelant était le seul employé saisonnier à avoir fait l’objet d’un tel courriel.

[11] Compte tenu de ses années de service comme inspecteur des douanes saisonnier à Victoria, de ses évaluations d’emploi positives et de son expérience passée dans le cadre d’activités reliées à l’application de la loi, l’appelant en est venu à croire que son exclusion du concours de Vancouver et son échec à l’épreuve de l’entrevue dans le cadre du concours Victoria 7003 s’expliquaient par le fait qu’il avait été victime de préjugés injustes au sein de l’ADRC selon lesquelles il était un gros Noir paresseux. Il a donc déposé une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission canadienne des droits de la personne (Commission) a par la suite renvoyée au Tribunal.

[8]               L’appelant a soulevé un certain nombre d’arguments devant la Cour d’appel fédérale, mais celle‑ci a conclu qu’elle n’avait à examiner que le « principal moyen d’appel » – l’argument selon lequel le Tribunal n’avait pas tenu compte de la déficience perçue en tant que motif de discrimination. La Cour d’appel fédérale a conclu que cet argument était bien fondé (paragraphe 2).

[9]               La Cour d’appel fédérale a fait remarquer que le Tribunal n’avait pas fait état d’une « déficience perçue liée au poids » (paragraphe 21), même si ce motif avait été évoqué dans le formulaire de plainte et l’exposé des précisions de M. Turner, même s’il avait été question de ce motif à de nombreuses reprises au cours de l’instance et même s’il avait été « abordé comme un point important dans les observations écrites qu’il a présentées au Tribunal » (paragraphe 46). La Cour a conclu que « le membre du Tribunal a indiqué qu’il avait compris que l’appelant soulevait la déficience perçue » (paragraphe 26). Compte tenu de ce qui précède, la Cour d’appel fédérale a conclu que le silence du Tribunal sur cette question était troublant :

[33 Dans ce contexte, le silence absolu du Tribunal sur la question de la déficience perçue est troublant. Le Tribunal a-t-il refusé d’examiner ce motif de discrimination parce qu’il estimait qu’il n’avait pas compétence pour le faire? Ou le Tribunal était-il d’avis qu’une déficience perçue liée au poids ne constitue pas un motif de discrimination visé par la Loi canadienne sur les droits de la personne? Ou encore le Tribunal a-t-il conclu que l’appelant n’avait pas réussi à établir une preuve prima facie de discrimination fondée à l’égard de ce motif? Dans l’affirmative, pourquoi le Tribunal n’a-t-il pas tenu compte des arguments de l’appelant concernant l’importance des motifs interreliés ou combinés de discrimination et les principes énoncés dans la décision Radek? Ou encore le Tribunal a-t-il tout simplement oublié d’aborder ces questions? En l’absence d’une analyse quelconque dans les motifs du Tribunal, nous ne connaissons tout simplement pas les réponses à ces questions.

[10]           Compte tenu de ces diverses possibilités, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que le fait que le Tribunal conclue qu’il n’avait pas compétence pour examiner le motif de la déficience perçue dans cette affaire soulèverait de « sérieuses questions […] quant au bien-fondé d’une telle conclusion compte tenu de la jurisprudence même du Tribunal » et susciterait aussi des préoccupations en matière d’équité « compte tenu de la demande expresse de l’appelant d’être autorisé à proposer une modification dans l’éventualité d’une telle conclusion » (paragraphe 34). Par ailleurs, en l’absence d’une conclusion sur le fait de savoir si la question de la déficience perçue avait été invoquée régulièrement devant le Tribunal, « la conclusion [du Tribunal] selon laquelle il existait une explication non discriminatoire peut être remise en question, étant donné qu’il se peut que le Tribunal ait tiré cette conclusion dans des circonstances où les motifs allégués de discrimination n’ont pas tous été examinés convenablement » (paragraphe 47).

[11]           Si, subsidiairement, le Tribunal a conclu implicitement que l’appelant n’avait pas établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur une déficience perçue, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’« il n’a pas exposé les motifs pour lesquels il a tiré cette conclusion » (paragraphe 36). Le fait de ne pas avoir traité comme il faut de ce motif est la raison pour laquelle la Cour d’appel fédérale a annulé la décision du Tribunal :

[50] À mon avis, la plainte de l’appelant selon laquelle il a également été victime de discrimination fondée sur une déficience avait été présentée devant le Tribunal, et cette question était suffisamment importante pour que le Tribunal ait l’obligation de statuer sur celle-ci ou d’expliquer pourquoi il ne pouvait en traiter. En l’absence de motifs dans la décision du Tribunal ou d’une réponse claire qui se dégage du dossier, il n’appartient pas à la cour de révision de deviner les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas statué sur la question de la déficience perçue ou quelle conclusion le Tribunal aurait tirée s’il avait abordé la question. Dans la mesure où la cour de révision a des préoccupations raisonnables quant à l’issue qu’aurait pu connaître l’instance si le Tribunal avait abordé la question, la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

[12]           La Cour d’appel fédérale a conclu qu’elle n’était pas en mesure d’examiner la question juridique consistant à savoir si une déficience perçue liée au poids était un motif de distinction illicite visé par la LCDP, car, en l’absence d’une décision motivée de la part du Tribunal sur ce point, il s’agirait là d’hypothèses (paragraphe 35).

[13]           Outre la manière dont le Tribunal avait traité du motif d’une déficience perçue, la Cour d’appel fédérale a porté une attention considérable à l’argument du plaignant concernant les motifs combinés ou interreliés de discrimination, dont, selon elle, le Tribunal n’avait pas tenu compte (paragraphe 33, précité). La Cour d’appel fédérale a fait remarquer ce qui suit :

[48] Dans les observations écrites qu’il a présentées au Tribunal, l’appelant a également évoqué la notion de motifs combinés ou interreliés de discrimination, selon laquelle, pour l’essentiel, lorsque des motifs multiples de discrimination sont présents, leur effet combiné peut être plus grand que la somme de leurs effets individuels. Toujours selon la notion des motifs combinés ou interreliés, des analyses distinctes de chacun de ces motifs multiples minimisent ce qui, en fait, constitue de la discrimination composée. Lorsqu’ils sont analysés séparément, il se peut que chacun des motifs pris individuellement ne justifie pas une conclusion de discrimination, mais lorsque les motifs sont pris ensemble, il se peut qu’un tableau différent s’en dégage.

[14]           La Cour d’appel fédérale a fait référence à une approche multidimensionnelle à l’égard de la définition d’une déficience, décrite par la Cour suprême dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27 (l’arrêt Boisbriand) :

[…] une approche multidimensionnelle qui tienne compte de l’élément socio‑politique du motif de discrimination, et qui mette l’accent sur la dignité humaine, le respect et le droit à l’égalité, plutôt que sur la condition biomédicale tout court. Ainsi que l’a fait remarquer la juge L’Heureux-Dubé au paragraphe 77 des motifs de cet arrêt : « [C]ette approche reconnaît que les attitudes de la société et de ses membres contribuent souvent à l’idée ou à la perception d’un ‘handicap’. Ainsi, une personne peut n’avoir aucune limitation dans la vie courante sauf celles qui sont créées par le préjudice et les stéréotypes. » (paragraphe 30)

[15]           La Cour d’appel fédérale a fait remarquer que l’article 3.1 de la LCDP « prévoit expressément qu’un acte discriminatoire comprend notamment les actes fondés sur l’effet combiné de plusieurs motifs de distinction illicite », et elle a signalé que l’analyse du principal motif d’une plainte ne doit pas faire abstraction des autres motifs ni de « l’existence possible de la discrimination composée résultant de la combinaison de ces motifs » (paragraphe 49). Au paragraphe 31, elle a cité en y souscrivant l’analyse qu’a faite le Tribunal des droits de la personne de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd. and Securiguard Services Ltd. (No. 3), 2005 BCHRT 302 (Radek), aux paragraphes 464 et 465 :

[traduction]
[464] La corrélation qui existe entre plusieurs motifs combinés ou interreliés de discrimination est parfois désignée le « recoupement ». La notion de recoupement a été examinée dans plusieurs décisions récentes, notamment : Morrison v. Motsewetsho (2003), 48 C.H.R.R. D/51 (T.D.P. Ont.), Comeau v. Cote, [2003] BCHRT 32, et Baylis-Flannery v. DeWilde (No. 2) (2003), 48 C.H.R.R. D/197 (T.D.P. Ont.). Suivant la décision Baylis-Flannery : « L’analyse du recoupement dans la discrimination est un exercice axé sur les faits dans le cadre duquel sont évalués la pertinence et les effets disparates de l’existence possible d’une discrimination composée » : au paragraphe 143. Dans cette affaire, il était question de harcèlement sexuel à l’endroit d’une femme noire, et le Tribunal a affirmé que la connaissance des effets de la discrimination composée était nécessaire pour éviter :

de s’appuyer sur un mode singulier d’analyse en présence de motifs multiples de discrimination, lequel tend à minimiser ou même à oblitérer les effets de la discrimination raciale sur les femmes de couleur qui ont été victimes de discrimination pour d’autres motifs, plutôt que de reconnaître l’existence possible de la discrimination composée (au paragraphe 144).

[465] On peut affirmer la même chose en l’espèce relativement à la race, la couleur, l’ascendance et la déficience. Bien que la plainte individuelle de Mme Radek soit principalement fondée sur sa race, sa couleur et son ascendance, l’analyse de ces motifs ne doit pas faire abstraction de sa déficience et de l’existence possible de la discrimination composée.

[16]           La Cour d’appel fédérale a également conclu que d’autres aspects de la décision du Tribunal posaient problème : le choix du Tribunal de ne pas conclure si l’on avait établi l’existence d’une preuve prima facie fondée sur les motifs de la race ou de l’origine nationale et ethnique, mais plutôt de tenir pour acquis qu’une telle preuve avait été établie et d’examiner si l’employeur avait donné une explication raisonnable (paragraphes 14 et 15); il y avait aussi le fait de ne pas avoir tiré de conclusion de fait « quant à la véracité des faiblesses alléguées de l’appelant décrites dans le courriel de son superviseur » et « quant à savoir comment et dans quelle mesure ce courriel [avait] pu influer sur le processus de sélection » (paragraphe 15).

[17]           La présente décision du Tribunal, ordonnée en appel et rendue par le membre instructeur Wallace Gilby Craig, repose sur un examen de la totalité des témoignages de vive voix, des pièces pertinentes, des déclarations préliminaires et des arguments (écrits et oraux) des avocats, et, plus particulièrement, des plaidoiries que ces derniers ont faites à Victoria, les 20 et 21 novembre 2013.

III.             Le cadre juridique

A.                La preuve prima facie

[18]           Dans une affaire de discrimination visée par la LCDP, le fardeau de preuve initial oblige le plaignant à produire des éléments de preuve dignes de foi qui établissent, directement ou par inférence, qu’il a été victime d’un acte discriminatoire au sens de la LCDP. La norme prima facie a été établie par la Cour suprême dans l’arrêt CODP et O’Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, (O’Malley) :

[28] […] [J]e suis d’accord avec la commission d’enquête pour dire que chaque cas se ramène à une question de preuve et donc que, dans ces affaires comme dans toute instance civile, il doit y avoir reconnaissance et attribution claires et nettes du fardeau de la preuve. À qui doit‑il incomber? Suivant la règle bien établie en matière civile, ce fardeau incombe au demandeur. Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Donc, selon la règle énoncée dans l’arrêt Etobicoke quant au fardeau de la preuve, savoir faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de l’existence d’un cas de discrimination, je ne vois aucune raison pour laquelle cela ne devrait pas s’appliquer dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. […]

[19]           Dans l’arrêt Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), [2005] A.C.F. no 731 [CAF] (Morris), aux paragraphes 27 et 28, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :

[27] […] [L]a définition juridique de la preuve prima facie n’exige pas que la Commission soumette un type particulier de preuve afin d’établir les faits nécessaires en vue de démontrer que le plaignant a été victime d’un acte discriminatoire selon la définition figurant dans la Loi. L’alinéa 7b) exige uniquement que l’on défavorise une personne en cours d’emploi pour un motif de distinction illicite. La question de savoir si la preuve qui est fournie dans un cas donné est suffisante afin d’établir que l’on défavorise une personne pour un motif de distinction illicite, si l’on y ajoute foi et si l’intimé ne donne pas d’explications satisfaisantes, est une question mixte de fait et de droit.

[28] Un critère juridique souple, en ce qui concerne l’établissement de la preuve prima facie, permet mieux que d’autres critères plus précis de promouvoir l’objet général sous-tendant la Loi canadienne sur les droits de la personne, à savoir l’élimination, dans la sphère de compétence législative fédérale, de la discrimination en matière d’emploi ainsi que de la discrimination en ce qui concerne la fourniture de biens, de services, d’installations et d’habitations. La discrimination prend des formes nouvelles et subtiles. En outre, comme l’avocate de la Commission l’a signalé, il est maintenant reconnu que la preuve comparative de discrimination revêt des formes beaucoup plus nombreuses que la discrimination particulière identifiée dans la décision Shakes.

[20]           Une fois qu’une preuve prima facie est établie, il revient alors à l’intimé de fournir une explication raisonnable montrant que les prétentions relatives au présumé acte discriminatoire ne sont pas fondées ou que la conduite reprochée était d’une façon ou d’une autre non discriminatoire : Morin c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 41, au paragraphe 189; Canada (Procureur général) c. Lambie, (1996) 124 F.T.R. 303, au paragraphe 16.

[21]           Si l’on donne une explication raisonnable, le plaignant doit dans ce cas montrer qu’elle n’est qu’un prétexte : Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] T.C.D.P. no 2, au paragraphe 38474 (Basi).

B.                 La « subtile odeur » de discrimination

[22]           Le fait que la discrimination s’exerce souvent de manière subtile dans un processus par ailleurs approprié est un point que l’on a examiné dans l’affaire Basi :

La discrimination fondée sur la race ou la couleur se pratique souvent de manière subtile. Rares sont les cas de discrimination pratiqués ouvertement. Dans les cas où il n’existe pas de preuves directes, il revient alors à la Commission de conclure à la discrimination à partir de la conduite présumée discriminatoire de la ou des personnes en cause. Ce n’est pas toujours une tâche facile. Il faut analyser soigneusement la conduite présumée discriminatoire dans le contexte dans lequel elle a pris naissance.

[23]           Dans la décision Basi, il a été conclu que de « subtiles odeurs de discrimination » imprégnaient la façon dont le mis en cause avait traité le plaignant. Le Tribunal a conclu que la seule inférence que l’on pouvait tirer dans les circonstances était que la raison pour ne pas embaucher M. Basi était un prétexte.

La manière dont le CN a tenté de justifier ses actes à l’égard de M. Basi auprès de la Commission des droits de la personne comporte franchement de subtiles odeurs de discrimination. Je ne peux que conclure que la raison de ne pas embaucher M. Basi, comme l’a expliqué M. Symenuk, n’était pas aussi transparente, directe ou raisonnable qu’il l’avait d’abord laissé entendre. D’après les explications fournies à la Commission et les renseignements contenus dans les dossiers du CN, j’ai l’impression que le mis en cause tentait de justifier les actions de M. Symenuk. Les contradictions constatées me portent à conclure, de manière non seulement hautement probable [sic] [m]ais aussi contraignante, que les explications de M. Symenuk sur son mode de sélection et les explications ultérieures concernant les qualifications, entre autres, sont des prétextes.

[24]           Le Tribunal a pris en compte et suivi la décision Basi dans l’affaire Maillet c. Canada (PG), 2005 TCDP 48, au paragraphe 6 :

[6] La discrimination n’est pas une pratique qu’on devrait s’attendre à voir ouvertement. Un tribunal devrait par conséquent examiner toutes les circonstances lorsqu’il établit l’existence de ce qui a été décrit comme une subtile odeur de discrimination. Dans des affaires comportant de la preuve circonstancielle, une inférence de discrimination peut être tirée lorsque la preuve présentée au soutien de l’allégation de discrimination rend une telle inférence plus probable que le font les autres inférences ou hypothèses possibles […]

[25]           Par exemple, un acte discriminatoire peut être exercé de pair avec une mesure de dotation en matière d’emploi par ailleurs appropriée. Dans de tels cas, l’explication officiellement donnée pour justifier la décision de ne pas embaucher une personne équivaut à un prétexte qui dissimule la nature discriminatoire de la décision d’embauche. Le Tribunal applique un critère à trois volets pour décider si une preuve prima facie de discrimination a été établie dans le contexte d’une embauche. Comme il est énoncé dans les décisions Florence Shakes c. Rex Pak Limited, (1982) 3 C.H.R.R. D/1001 (Shakes) et Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne et Commission de la fonction publique, (1983) 4 C.H.R.R. D/1616 (Israeli), le plaignant doit montrer que :

1)      il était qualifié pour occuper l’emploi en question;

2)      il n’a pas été embauché;

3)      une personne qui n’était pas mieux qualifiée que lui, mais qui ne présentait pas les caractéristiques sur lesquelles ce dernier avait fondé sa plainte relative aux droits de la personne, a obtenu le poste.

[26]           Ce critère ne s’applique pas automatiquement à toutes les affaires d’embauche (voir, par exemple, la décision Premakumar c. Air Canada, [2002] T.C.D.P. no 3, au paragraphe 77), mais je suis convaincu qu’en l’espèce il constitue un moyen utile d’évaluer si le plaignant a établi ou non l’existence d’une preuve prima facie de discrimination.

C.                La déficience perçue

[27]           Dans sa plaidoirie, l’avocat du plaignant a fait valoir que, même s’il était évident en soi que M. Turner était obèse, il était néanmoins capable d’accomplir la totalité des fonctions d’un inspecteur des douanes. Pourtant, malgré cela, les surintendants de Victoria ont considéré, de façon stéréotypée, que M. Turner était paresseux et ne disait pas la vérité.

[28]           Ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, la Cour d’appel fédérale s’est demandé si la question d’une déficience perçue liée au poids avait été portée régulièrement devant le Tribunal. Cela soulève la question juridique de savoir si une déficience perçue liée au poids est un motif de distinction illicite qu’envisage la LCDP.

[29]           La déficience est un motif de distinction illicite aux termes de l’article 3 de la LCDP. D’après l’analyse qu’a effectuée la Cour suprême dans l’arrêt Boisbriand, précité, il est évident qu’une discrimination fondée sur la déficience peut être exercée même en l’absence d’une restriction physique ou mentale concrète des activités, en se fondant uniquement sur les perceptions qu’a la société au sujet des restrictions d’une personne. En appliquant ce raisonnement, je conclus que le motif de la déficience dont il est question à l’article 3 de la Loi englobe la déficience tant perçue que réelle. Il est également bien établi que le poids d’une personne est une caractéristique qui peut justifier une plainte de discrimination pour cause de déficience : Bouchard c. Forces armées canadiennes, [1990] D.T. 12/90 (TCDP); Hamlyn v. Cominco Ltd., [1989] B.C.C.H.R.D. No. 29. L’effet conjugué de ces principes est que, selon moi, une déficience perçue liée au poids est un motif de distinction illicite qu’envisage la LCDP.

[30]           Je conclus également que ce motif de distinction est porté régulièrement devant le Tribunal en l’espèce, qu’il a été soulevé dans la plainte que M. Turner a déposée auprès de la Commission ainsi que dans l’exposé des précisions qui a été soumis au Tribunal, qu’il a été plaidé dans les observations écrites de l’appelant au Tribunal et qu’il en a été question à maintes reprises dans les plaidoiries.

D.                Le recoupement

[31]           Comme il a été mentionné plus tôt, l’article 3.1 de la Loi dispose expressément qu’« il est entendu que les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite ou l’effet combiné de plusieurs motifs ». À mon avis, cette disposition reflète une préoccupation semblable à celle dont il a été question dans la décision Radek, précitée, au sujet de la notion de recoupement : les tribunaux administratifs devraient être conscients de [traduction] « [l]a corrélation qui existe entre plusieurs motifs combinés ou interreliés de discrimination » (Radek, au paragraphe 464). Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans la présente affaire, l’analyse du motif principal d’une plainte ne doit pas faire abstraction des autres motifs qui y sont soulevés, ni de « l’existence possible de la discrimination composée résultant de la combinaison de ces motifs » (paragraphe 49).

E.                 Le racisme et le stéréotypage au Canada

[32]           L’avocat du plaignant a fait valoir que le racisme et le stéréotypage sont des facteurs pertinents pour ce qui est d’évaluer le caractère approprié des processus d’embauche qui sont en litige en l’espèce. Il a cité, à cet égard, la décision Sinclair c. London (City), 2008 HRTO 48 (Sinclair), ainsi que l’acceptation par l’arbitre, au paragraphe 18, du fait que [traduction] « […] le racisme anti-Noir et ses manifestations subtiles sont bien reconnues dans le droit canadien, et les preuves d’expert du genre de celles qui ont été présentées en l’espèce, bien qu’elles soient utiles, ne sont pas nécessaires pour que le Tribunal en considère les effets […] ».

[33]           Dans la décision Sinclair, l’arbitre s’est fondé sur l’arrêt R. c. Spence, 2005 CSC 71, aux paragraphes 31 à 33, ainsi que sur le fait que la Cour suprême du Canada avait souscrit aux conclusions de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Parks, (1993), 84 C.C.C. (3d) 353 :

[31] Dans l’affaire Parks, un Noir était accusé du meurtre au deuxième degré d’un Blanc. Comme en l’espèce, rien n’indiquait qu’il s’agissait d’un crime raciste ou que la race jouerait un rôle dans la défense (p. 361). Le juge Doherty a néanmoins conclu à la première étape que [traduction] « [l]e racisme, en particulier le racisme anti‑Noirs, est partie intégrante de la mentalité de notre société » (p. 369). Il a ajouté :

[traduction] Une couche importante de la société professe ouvertement des vues racistes. Une couche plus large encore est inconsciemment influencée par des stéréotypes raciaux négatifs. De surcroît, nos institutions, y compris la justice pénale, reflètent ces stéréotypes négatifs qu’elles perpétuent. Ces éléments se conjuguent pour propager le fléau du racisme dans la société entière. Les Noirs sont parmi les principales victimes de ce fléau. [p. 369]

[34]           Dans la décision Sinclair, l’arbitre a expliqué le pouvoir discrétionnaire qu’avait le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario pour ce qui était de déterminer l’influence qu’exerçaient la racialisation et les stéréotypes dans la situation particulière qui était prise en considération : [traduction] « […] L’évaluation de la dynamique de ce qui s’est passé de même que la crédibilité des témoins sont des questions que le Tribunal doit trancher, au moyen d’une analyse des éléments de preuve qui ont été admis d’une manière conforme aux règles du Tribunal. L’opinion de Mme Henry au sujet du rôle que les stéréotypes peuvent avoir joué dans les actes qu’ont posés les témoins de la Ville en l’espèce ou la façon dont des caractéristiques générales peuvent s’être manifestées dans le cas présent ne relève pas de son expertise ou n’a pas été prise en compte de manière appropriée par le Tribunal […] » (paragraphe 22).

IV.             Les éléments de preuve

A.                La déclaration préliminaire du plaignant

[35]           Au début de l’instruction du Tribunal, l’avocat du plaignant, Me Yazbeck, a déclaré que M. Turner avait travaillé pour l’ADRC comme employé saisonnier à Victoria (C.-B.), de 1998 à 2003. Il a qualifié le régime d’embauche que l’on appliquait à cette époque de processus concurrentiel dans le cadre duquel on établissait des listes d’admissibilité de toutes les personnes qualifiées, classées par ordre de mérite, lequel processus avait été remplacé en 1999 par le mécanisme actuel, qui crée des répertoires de candidats préqualifiés à partir desquels les gestionnaires de l’ASFC (autrefois partie de l’ADRC) peuvent décider de manière discrétionnaire quels candidats embaucher.

[36]           Pour aider le Tribunal, l’avocat a fait un survol du dossier du plaignant :

[traduction
[…] Mais l’essentiel, pour le moment, est que M. Turner exerçait les fonctions liées à ce poste. Il connaît le travail, il est qualifié. Et vous entendrez des témoignages, et verrez des évaluations de son rendement faites durant toute cette période, qui montrent que son rendement était bon. Il était un employé dévoué, bien apprécié, un travailleur assidu, plein de ressources, et ainsi de suite.

Transcription : volume I, section I, page 16, lignes 22 à 25; page 17, lignes 1 à 4.

[traduction
[…] Il ne s’agit pas ici d’une affaire où, malheureusement pour moi, je puis invoquer une preuve irréfutable et dire : il s’agit d’un cas type de discrimination. Comme vous le savez, nous sommes ici à la recherche d’odeurs subtiles.

Et ce qui est arrivé, c’est que l’on a un employé qui travaille bien, qui a un bon rendement. Mais quand vient le temps d’être inscrit dans les répertoires de candidats préqualifiés en […] 2003 et ensuite en 2004, ce qui lui permettrait peut‑être d’avoir un emploi d’une durée indéterminée, un emploi sûr et de longue durée, quelque chose se produit. Tout à coup, voilà qu’on détermine qu’il ne possède pas les qualités requises.

Et, ceci étant dit avec égards pour le Tribunal, je vous demanderai de vous poser la question, de vous poser cette question : pourquoi? Pourquoi est-ce arrivé? Pourquoi un employé, qui avait un bon rendement, qui n’avait pas de lacunes sur le plan du rendement, pourquoi cet employé n’est-il, tout à coup, plus qualifié?

Le plaignant, Monsieur, s’appelle Levan Turner. Il s’agit d’un homme noir d’âge mûr, et il est d’avis que ces facteurs, de même que sa taille, sont les raisons pour lesquelles on lui a refusé cet emploi.

Transcription : volume I, section I, page 17, lignes 6 à 25; page 18, lignes 1 à 3.

[37]           L’avocat du plaignant a attiré l’attention du Tribunal sur la pièce C‑2 (le recueil de documents du plaignant, volume 2, onglet 33), qui est particulièrement pertinent pour le processus qui a été suivi à Victoria :

[traduction
[…] Il s’agit d’un échange de courriels entre M. Klassen, qui était chargé d’évaluer les capacités de M. Turner, son rendement […] Il s’agit d’un courriel adressé à lui-même, comme une note au dossier.

Et ensuite, ce qu’il a fait, c’est envoyer une copie du courriel aux autres personnes que vous verrez énumérées ici. Un grand nombre de ces personnes étaient des gestionnaires supérieurs, et leurs noms seront mentionnés lors de la présente audience comme des personnes qui ont pris part aux processus de sélection auxquels nous avons affaire.

Ce qui est important, M. Sinclair, c’est d’examiner certaines des choses que dit cet homme, M. Klassen, à propos de M. Turner […]

Si vous jetez un coup d’œil au deuxième paragraphe […] On commence à y parler de la façon dont il est perçu. Du fait qu’il s’abstient parfois d’exécuter les tâches les plus difficiles, ou qu’il connaît la bonne procédure à suivre, mais demande conseil au surintendant.

Vous constaterez plus loin que le propre compte rendu de M. Klassen au sujet de cette discussion est que M. Turner a été stupéfait d’apprendre cela, mais n’a pas adopté une position défensive.

Paragraphe suivant […] « J’ai ensuite expliqué que cette perception existait depuis quelques étés et qu’il s’agissait là d’une chose qu’il devrait améliorer l’année prochaine. » Là encore, une perception. Et, ensuite, à la fin du paragraphe, à la phrase suivante : « Je lui ai rappelé que ce n’est pas ainsi qu’on le perçoit tout le temps. »

Transcription : volume I, section I, page 19, lignes 18 à 25; page 20, ligne 1

[…] Quelle est cette perception? Quelle est cette image? Et, en fin de compte, je crois que ce que vous allez conclure, Monsieur, c’est qu’il s’agit de la perception d’un homme d’âge mûr de race noire qui est corpulent. Vous constaterez également à la lecture du formulaire de plainte que la taille de M. Turner est également évoquée comme motif.

C’est donc dire que la crédibilité des processus de dotation est fort douteuse. Et si vous avez un processus comme celui-ci, et vous entendrez dire à quel point il était déficient – si vous avez un processus qui peut aussi facilement ne pas respecter certaines des règles de base qui régissent la dotation en personnel dans la fonction publique fédérale, il n’est pas surprenant que ce processus permette d’exclure quelqu’un parce qu’il s’agit d’un employé d’âge mûr, noir et corpulent. Ce n’est pas un système rigoureux que l’Agence applique.

[…] Et, comme vous le savez, d’après la jurisprudence du Tribunal ainsi que celle de la Cour fédérale, dans ces circonstances, il y aura présentation d’une preuve, une preuve prima facie de discrimination qui n’aura pas été réfutée.

Le président : Quelle est la preuve prima facie que vous soulevez?

Me Yazbek : La preuve prima facie, Monsieur, est que nous avons ici un employé qui a clairement posé sa candidature pour le poste, qui était qualifié pour ce dernier, qu’on a privé du ou des postes en question, mais qu’on a privé de ces postes pour des raisons qui sont des prétextes. Et la preuve prima facie est qu’il n’y a aucune explication autre que la race ou l’âge de l’employé, ou sa déficience perçue, c’est-à-dire son poids.

Transcription : volume I, section I, page 29, lignes 1 à 15

B.                 La réponse de l’avocat de l’intimée

[38]           Après la déclaration préliminaire du plaignant, l’avocat de l’intimée s’est contenté d’y répondre avant que le surintendant Ronald Paul Tarnawski commence à témoigner. À ce moment, le président a demandé à l’avocat de l’intimée si le témoignage de M. Tarnawski se limiterait à la restriction à l’admissibilité au concours Vancouver 1002.

[traduction
Me Stark : Oui […] il y a quelques renseignements de base essentiels qui, selon moi, seront utiles pour expliquer le contexte et la manière dont ces concours sont conçus. Il a aussi été affecté à la section du recrutement qui a été créée à la même époque environ – avant ces concours, disons. Et une bonne partie de l’uniformisation et des compétences dont nous avons traité, il est en mesure de les expliquer et de dire ce qui les justifie.

Le président : Pourquoi est-ce pertinent? À ce stade, compte tenu de tous les éléments de preuve que nous avons entendus, s’agira-t-il d’éléments utiles? Je suis sûr que vous avez déjà réfléchi à votre argumentation à ce stade-ci. S’agit-il d’éléments de preuve utiles?

Me Stark : Eh bien, voici ce que je dirais : ce qui est en cause dans la présente affaire est un point intéressant, en ce sens que ces deux processus de sélection sont – essentiellement, ils sont semblables à ceux de n’importe quel autre office fédéral sur le plan de la sélection et pour ce qui est de savoir si les candidats sont qualifiés par rapport aux compétences exigées.

[…]

Le président : […] si j’ai bien compris, la question en litige va être de nature circonstancielle parce que personne n’a dit que M. Turner n’était pas admissible au processus de Victoria parce qu’il est noir, parce qu’il a une déficience ou à cause de son âge. Il faut donc que l’on tire de la preuve une inférence quelconque, c’est bien cela?

Me Stark : Oui.

Le président : Maintenant, il y a le processus de Vancouver pour lequel il s’est qualifié, sauf qu’ils ont appris plus tard, par erreur, qu’il n’aurait même pas dû y participer parce qu’il n’était pas admissible, selon leur interprétation des restrictions.

Me Stark : Je crois qu’il faut faire attention à cet égard par contre parce que le processus de Vancouver – là encore, je paraphrase ce que le témoin dira au tribunal –, mais le processus de Vancouver, contrairement à celui de Victoria, était un processus en deux étapes. La première entrevue ne portait que sur la CIE, la communication interactive efficace. Et comme l’indique la feuille maîtresse, M. Turner a obtenu la simple note de passage de 70 %.

Vous vous souviendrez probablement du témoignage de M. Turner, soit qu’au cours de cette entrevue, on lui a posé des questions sur la restriction à l’admissibilité. À la suite de la discussion qui a eu lieu au cours de cette première entrevue, des vérifications ont été faites et on a découvert qu’en fait il avait été interviewé sans succès dans d’autres processus depuis le 1er janvier 2002.

Le président : Donc, quelle est la question en litige selon vous? […] S’agit-il du fait qu’il n’a pas passé avec succès le processus de Vancouver?

Me Stark : C’est exact.

Le président : Et la raison pour laquelle il n’a pas […] d’après les témoignages que j’ai entendus, je n’ai pas entendu M. Tarnawski, est qu’il n’était pas admissible à cause de la restriction […]

Me Stark : C’est exact.

Le président : Et, selon moi, la question en litige consiste à savoir si cette restriction – qui, à première vue, ne semblait pas l’exclure, et il ne pensait pas qu’il était exclu – a été appliquée d’une manière différente. Et il s’agit là de la question qui a peut-être été appliquée irrégulièrement ou interprétée irrégulièrement.

Mais il ne s’agit pas là d’un point que le tribunal peut régler. Il est nécessaire de démontrer qu’on l’a appliqué à M. Turner à titre de subterfuge de façon à ce qu’il ne puisse pas obtenir le poste parce qu’il est noir, qu’il a une déficience ou qu’il est trop âgé.

Me Stark : Il faut qu’il y ait un prétexte.

Le président : Oui.

Me Stark : Un prétexte que l’on peut prouver.

Transcription : 22 janvier 2009; page 111, lignes 1 à 25; page 112, lignes 2, 3 et 17 à 25; page 113, lignes 1 à 25; page 114; lignes 1 à 12.

C.                Le témoin Christopher James Hughes

[39]           M. Hughes a témoigné au sujet des efforts qu’il a faits pour retrouver du travail auprès de l’intimée dans le cadre du concours Vancouver 1002, affiché le 9 juin 2003, et dans celui du concours Victoria 7003, affiché le 11 octobre 2003. À titre de premier témoin dans la présente plainte, M. Hughes a parlé de manière précise du traitement des demandes qu’il avait présentées pour les deux offres d’emploi; il a également parlé de questions qui, d’après lui, constituaient de la manipulation de concours de la part de la direction.

[40]           En 1995, M. Hughes était au service de Revenu Canada à Victoria (C.-B.), à titre d’agent de recouvrement. Tout d’abord employé nommé pour une période déterminée, il a acquis le statut d’employé nommé pour une période indéterminée en 1996. En mars 2001, il a posé sa candidature, laquelle a été retenue, et, en 2002, il a été embauché à titre d’inspecteur des douanes saisonnier (de mai à octobre), ce qui lui a permis de continuer à travailler l’hiver à titre d’agent de services aux entreprises auprès de Revenu Canada. M. Hughes a soutenu que l’on avait mis fin à son emploi le 30 septembre 2004, après qu’il eut commencé à souffrir d’une dépression qui l’empêchait de travailler.

[41]           M. Hughes a déclaré que, dans le cadre de son travail d’inspecteur des douanes, il avait appris à bien connaître un collègue inspecteur, le plaignant Levan Turner. M. Hughes a expliqué quelles étaient les fonctions des inspecteurs des douanes à Victoria :

[traduction
Nous étions affectés au secteur maritime, et nous travaillions donc à l’extérieur. Nos fonctions consistaient à vérifier des gens, des véhicules et des bateaux, tout ce qui arrivait à Victoria. Les navires de croisière aussi. Donc, le Clipper qui arrivait de Seattle, le Coho qui arrivait de Port Angeles, ainsi que tous les passagers et tous les véhicules qui en descendaient. Il y avait aussi le terminal pour navires de croisière se trouvant à Ogden Point.

Et nous étions affectés soit à la ligne primaire, c’est-à-dire la première personne que l’on voit lorsqu’on se présente aux douanes et qui pose les premières questions. Et ensuite nous étions affectés par roulement à la ligne secondaire, celle où l’on fouille davantage les personnes, comme une fouille à nu, ou leurs bagages, et c’est à cet endroit qu’ont lieu les arrestations et les saisies de drogue.

Et nous travaillions aussi par roulement comme agent de caisse. S’il y avait quelqu’un qui avait des droits ou des taxes à payer, nous nous occupions de la caisse. Et, à tour de rôle aussi, nous nous occupions du dédouanement des hydravions qui arrivaient de Seattle. Il s’agissait donc d’emplois très variés, qui comportaient de nombreuses fonctions.

Transcription : volume I, section I, page 33, lignes 2 à 23

[42]           Il a été demandé à M. Hughes s’il avait entendu quelqu’un faire des commentaires à M. Turner sur son poids.

[traduction]

Le poids de M. Turner était l’objet de très nombreux commentaires. Et les gens étaient inquiets du fait qu’il risquait d’avoir une crise cardiaque et ils lui demandaient de perdre du poids. Bien des blagues au sujet des Américains obèses ont été faites en sa présence.

Et bien des agents des douanes plus jeunes et en forme m’ont taquiné. Ils faisaient des blagues au sujet du fait que je prenais du poids. Et les deux qui me taquinaient ont fini par être embauchés de façon permanente; mais pas moi.

Q. De qui s’agissait-il?

R. Trent Van Helvoirt et Harper Ecare.

Transcription : volume I, section I, page 36, lignes 5 à 9 et 14 à 20.

[43]           Une question a été posée à M. Hughes au sujet des étudiants salariés et du fait de savoir s’ils étaient devenus des employés nommés pour une période déterminée ou des employés permanents :

[traduction
D’après mon expérience, et au moyen de mes recherches, j’ai trouvé beaucoup de renseignements. Et j’ai découvert que presque chacun des étudiants avec lesquels j’avais travaillé en 2002, en 2003 et en 2004 qui voulaient devenir des employés permanents ont été embauchés par l’ASFC en 2004, en 2005 et en 2006.

Et, selon moi, il est évident que l’on embauche de préférence des jeunes, soit dans le cadre des processus de sélection, soit dans le cadre du régime de transition des étudiants.

Et le programme pour étudiants lui-même est surutilisé. Plus de 50 % des employés d’été sont des étudiants. Et on ne voit ça nulle part ailleurs au gouvernement fédéral. À l’époque où j’ai travaillé à l’ARC, il y avait peut‑être un ou deux étudiants au sein d’un service qui comptait une centaine d’employés.

Transcription : volume I, section I, page 36, ligne 25, page 37, lignes 1 à 14.

[44]           Quand on lui a demandé de relater l’expérience directe qu’il avait eue avec M. Turner, M. Hughes a dit du plaignant qu’il avait une attitude professionnelle et l’esprit d’équipe.

[traduction
Je l’ai vu prendre part à de nombreuses mesures d’application de la loi. Il y avait une personne que j’avais orientée vers la ligne secondaire et c’était lui qui avait saisi la marijuana. Je l’ai vu prendre part à une arrestation – une personne qui faisait l’objet d’un mandat non exécuté – avec Terry Klassen. Je sais qu’il s’est servi du dispositif de détection de preuve en vue d’intercepter des conducteurs soupçonnés d’être en état d’ébriété.

Et, dans toutes les activités de formation que nous avons suivies, il était l’un des meilleurs apprenants et il comprenait bien les renseignements. Et je ne crois pas, jamais je n’ai entendu parler d’une plainte déposée contre lui pour ses interactions avec le public voyageur.

Et, à ma connaissance, il était toujours ponctuel et prenait des pauses-repas qui convenaient aux gestionnaires. Je ne l’ai pas vu faire un usage abusif du temps dont il disposait.

Transcription : volume I, section I, page 38, lignes 23 à 25, page 39, lignes 1 à 12.

Le courriel de M. Klassen

[45]           Il a été demandé à M. Hughes de parler de l’onglet 33, un courriel transmis par le surintendant intérimaire M. Klassen à d’autres surintendants, qui exposait en détail leur impression que M. Turner était une personne que le travail rebutait.

[traduction
Q. M. Hughes, étiez-vous présent dans la salle quand j’ai fait ma déclaration préliminaire?

R. Oui.

Q. Oui. Et j’ai cité un extrait d’un courriel que M. Klassen avait écrit et dans lequel il faisait état d’une certaine perception de M. Turner. Êtes-vous personnellement au courant d’une perception de ce genre?

R. Tous ceux qui travaillaient avec lui savaient qu’il était un bon travailleur. Les gens qui ne travaillaient pas avec lui avaient le sentiment qu’il était paresseux et que, en raison de sa taille, il ne pouvait pas faire ce travail. […]

R. Oui, je peux en donner un exemple. Lorsqu’on exerce les fonctions d’agent de caisse pendant le quart de nuit, s’il s’agit de plus qu’un certain montant d’argent, on est censé payer en argent comptant. Par contre, s’il n’y a pas assez d’argent pour constituer un fonds de caisse approprié, on ne paie pas en argent comptant.

Je me souviens que les gens du quart de jour se sont plaints à trois ou quatre reprises que Levan Turner ne payait pas en argent comptant. Cependant, il n’avait pas l’argent nécessaire pour constituer un fonds de caisse approprié. Et c’est ce qui a probablement donné lieu à certaines des perceptions erronées.

Et je sais pertinemment que l’équipe de jour s’en est plainte à Terry Klassen. Il est arrivé à de nombreuses reprises que moi non plus je ne paie pas en argent comptant, mais on ne m’a jamais posé de questions à ce sujet.

Transcription : volume I, section I, page 39, lignes 13 à 24; page 40, lignes 11 à 24.

Le concours Vancouver 1002 – la restriction à l’admissibilité

[46]           L’avocat du plaignant a soumis à M. Hughes la question de la restriction à l’admissibilité qui figurait dans l’avis d’emploi relatif au concours Vancouver 1002 et il lui a demandé comment il l’interprétait et s’il en avait parlé avec d’autres employés.

[traduction
Q. Et ensuite – il y a une phrase en caractères gras au milieu du paragraphe : « Les candidats qui ont été interviewés pour ce poste depuis le 1er janvier 2002 ne sont pas admissibles au concours. » Avez-vous remarqué cette phrase lorsque vous avez vu ce paragraphe pour la première fois?

R. Oui. Tous les candidats qui se trouvaient à Victoria en ont parlé. Cela concernait le concours de Vancouver. […] On nous avait informés à l’avance, par voie interne, que ce concours serait lancé. Tous l’ont donc remarqué le premier jour ou le lendemain. Et il en a beaucoup été question parmi les gens du bureau.

Transcription : volume I, section I, page 45, lignes 7 à 15.

[traduction]

Le président : Que voulait donc dire, selon vous, cette restriction?

R. Selon moi, elle voulait dire que, si l’on avait présenté une demande depuis le 1er janvier 2002 en vue d’un concours à Vancouver, on ne pouvait pas en présenter une autre. Et c’est habituellement ce qui était fait dans le passé; on mettait l’accent sur l’emplacement. Et cela a aussi été fait plus tard.

Le président : De quoi vous préoccupiez-vous donc?

R. Je me préoccupais du fait que la portée de cette définition serait élargie de façon à englober n’importe quel concours, tenu n’importe où au Canada, pour les postes d’inspecteur des douanes. C’est ce qui a été fait pour exclure Levan, mais moi aussi j’aurais dû être exclu, et cela n’a pas été fait.

Le président : […] autrement dit, votre inquiétude était que, si vous aviez présenté votre candidature pour un poste, un poste d’inspecteur des douanes PM‑02, pas seulement à l’aéroport de Vancouver, mais n’importe où au Canada, vous n’auriez pas été admissible?

R. C’est – oui, c’est exact. Parce que c’est ambigu.

Transcription : volume I, section I, page 49, lignes 2 à 22.

[47]           M. Hughes a déclaré qu’il avait posé sa candidature pour le concours Vancouver 1002 et avait été présélectionné, qu’il avait rempli un portefeuille de compétences qui avait été noté et accepté, et qu’il avait été interviewé à deux reprises. Il a déclaré qu’il avait aussi posé sa candidature à Victoria en vue d’un emploi offert dans le cadre du concours Victoria 7003 et qu’il avait été interviewé en décembre 2003 pour un poste d’inspecteur des douanes PM‑02. Le président lui a ensuite demandé s’il s’était inquiété du fait que la restriction à l’admissibilité que comportait le concours de Vancouver pouvait s’appliquer à lui :

[traduction
R. : Oui, j’ai été interviewé à deux reprises, et en février 2003 aussi. C’était en fait avant que l’on affiche cet avis. Il s’agit donc de l’entrevue qui aurait pu m’exclure.

Q. (L’avocat du plaignant) Vous avez donc posé votre candidature – pour ce concours, ce processus de sélection?

R. Oui.

Q. Et qu’est-il arrivé de votre demande?

R. J’ai été présélectionné et j’ai rempli le portefeuille écrit. J’ai passé cette étape avec succès et on m’a convoqué à une entrevue.

Q. À un point quelconque, au moment de votre présélection ou au moment de votre convocation à une entrevue ou même au cours de l’entrevue, avez‑vous pris part à une entrevue?

R. Oui.

Q. Très bien.

R. Deux entrevues.

Q. Est-ce que – vous a‑t‑on demandé si vous aviez été interviewé pour un autre poste PM‑02 depuis le 1er janvier 2002?

R. On ne m’a pas demandé si j’avais été interviewé depuis janvier 2002. Mais il ressortait clairement de mon CV que cela avait été le cas.

Transcription : volume I, section I, page 50, lignes 10 à 13 et 21 à 24; page 51, lignes 1 à 7.

[48]           La pièce « Onglet 28 » a été présentée à M. Hughes. Il s’agit d’un document supplémentaire à la pièce « Onglet 29 », un énoncé des exigences en matière de dotation de l’ADRC. M. Hughes avait vu ce document et on lui a demandé quels renseignements il en avait tiré.

[traduction
R. Je devais m’assurer que mon CV portait sur les facteurs liés à l’expérience. Je devais m’assurer que je traitais de l’exigence relative aux études. Et ce document devait aussi […] il montre les critères de placement.

Q. Et pouvez‑vous tout simplement me donner une explication concernant la référence à un examen d’inspecteur des douanes qui est faite au bas de la première page de ce document, au bas de la page 224?

R. Oui, j’ai passé cet examen en 1997.

Q. Cela – pouvez‑vous me dire brièvement de quoi il s’agissait?

R. Il s’agit d’un examen de quatre heures et demie, l’un des plus difficiles que j’ai eu à subir. Et cet examen vérifie votre aptitude à analyser et à décider, votre aptitude à vous souvenir de choses. Il y a quelques communications écrites, quelques calculs. Et il est conçu pour voir si vous êtes un bon – si vous avez ce qu’il faut pour être un bon agent des douanes.

Q. Maintenant, vous l’avez passé en 1997. Avez-vous dû le reprendre?

R. Non, il suffit d’obtenir une note de passage et on peut s’en servir pendant un temps indéfini.

Transcription : volume I, section I, page 52, lignes 13 à 25; page 53, lignes 1 à 11.

[49]           M. Hughes a déclaré qu’il avait été interviewé à deux reprises dans le cadre du concours Vancouver 1002, la première fois en avril 2004 par M. Tarnawski et Holly Freeland, et ensuite en mai 2004 par M. Tarnawski, Mark Northcote et Karen Warren.

[50]           L’avocat du plaignant a demandé à M. Hughes si, lors des deux entrevues concernant le concours de Vancouver, on lui avait posé des questions sur des faits qu’il avait mentionnés dans sa réponse écrite au portefeuille de compétences, et pourquoi il pensait que ses réponses écrites démontraient sa compétence.

[traduction
R. Dans les deux, le jury en choisissait un ou deux et ne parlait que d’un ou deux, peut‑être trois, tout au plus. Et il a fallu que je développe ce que j’avais écrit et que j’essaie de me souvenir de plus d’informations. Et parfois, cela a été difficile.

Transcription : volume I, section I, page 57, lignes 2 à 6.

[51]           L’avocat du plaignant a ensuite orienté M. Hughes vers la pièce « Onglet 24 » (volume 2), le concours Victoria 7003 affiché le 7 octobre 2003 et comportant, comme date de clôture, le 17 octobre 2003. M. Hughes a reconnu l’avis d’emploi et il a déclaré que celui-ci ne comportait aucune restriction à l’admissibilité, qu’il avait posé sa candidature, qu’il avait été présélectionné et qu’il avait reçu le portefeuille écrit de compétences avant de recevoir celui qui s’appliquait au concours Vancouver 1002, qu’il avait passé l’examen écrit et qu’il avait été invité à une entrevue qui a eu lieu le 16 décembre 2003; M. Hughes a également déclaré qu’il avait été évalué dans le cadre du concours de Victoria avant de l’être dans le cadre du concours de Vancouver.

[traduction
Q. Et, au cours de l’entrevue du 16, que s’est-il passé? Comme vous l’avez mentionné plus tôt, que vous demandiez toujours ce pourquoi on vous évaluait ou on vous notait, que s’est‑il passé à ce moment‑là?

R. Eh bien, une partie de – dans ce processus de sélection, j’ai découvert en fait que ma rétroaction, la façon dont elle était notée. Mais c’est sûr que la communication orale était notée, et je crois que deux ou trois compétences ont été choisies pour en parler afin que l’efficacité de mes communications puisse être notée.

Et, quand j’ai parlé de ma rétroaction, on m’a expliqué que l’entrevue aussi – si on vous invite à l’entrevue, vous avez réussi à toutes les compétences d’après les résultats à l’examen écrit et il est simplement question d’obtenir une note entre 70 et 100 % pour les autres compétences s’il est possible de fournir plus de détails.

Transcription : volume I, section I, page 60, lignes 19 à 25; page 6, lignes 1 à 10.

[traduction
Q. […] Que vouliez‑vous dire en disant que vous aviez réussi? Pouvez-vous simplement le confirmer de nouveau?

R. Eh bien, dans le portefeuille écrit lui‑même, il est dit que – si vous ne répondez pas à l’exigence minimum, qui est de 70 %, votre portefeuille est exclu et vous avez échoué. Il faut donc obtenir au moins 70 % à l’égard de chaque compétence pour être simplement invité à une entrevue. Et il faut que cela soit démontré lors de l’examen écrit, dans le portefeuille des compétences.

Transcription : volume I, section I, page 61, lignes 18 à 25; page 62, lignes 1 à 2.

[52]           L’avocat du plaignant a renvoyé le témoin à la pièce « Onglet 43 » (volume 2).

[traduction
Q. Il s’agit là d’une chose qui concerne M. Turner. Mais cela indique que, lors d’une entrevue, il n’a pas satisfait à deux des compétences ici; comprenez‑vous? Et vous verrez qu’il y a deux personnes du nom de Mme Pringle et M. Baird qui ont pris part à l’entrevue?

R. Non, ce n’est pas le cas. D’après la façon dont on m’a expliqué le fonctionnement de ce concours, la seule compétence à laquelle il aurait pu échouer est la communication interactive efficace, car il aurait obtenu une note minimum de 70 avant de passer l’entrevue. Et, on n’a pas parlé d’une question de travail d’équipe ou de collaboration qui était différente de celle dont il était question dans le portefeuille écrit, et c’était exactement la même chose.

[…] R. Parce qu’avant l’entrevue, chacun avait obtenu au moins une note de 70 % à l’examen écrit. Et cela m’a été expliqué par Trevor Baird, le président du jury, lors de ma séance de rétroaction.

Le président : Cela veut‑il dire que la communication interactive efficace n’était pas l’une des sept compétences?

R. Non. Parce que la communication écrite était exclue; il s’agissait strictement de la communication orale.

Le président : Donc, vous dites que le travail d’équipe et la collaboration étaient une compétence écrite?

R. Oui, c’était le cas.

Le président : Et, pour – vous deviez obtenir au moins 70 % pour les sept compétences?

R. Pour être invité à l’entrevue. Oui.

Le président : L’entrevue. Donc, ce que vous dites […] c’est que, si le résultat est de 40, vous êtes d’avis qu’une fois que vous obteniez 70, il était impossible d’obtenir un chiffre inférieur?

R. Exact. Parce qu’on m’a parlé du portefeuille lui‑même, on ne m’a pas dit : donnez‑nous un exemple différent de travail d’équipe; on m’a dit : très bien, jetez un coup d’œil à votre présentation écrite et parlez‑nous en.

Le président : La seule possibilité était donc d’obtenir un résultat supérieur?

R. Exactement.

Le président : Est‑ce votre opinion?

R. C’est ce que je crois, oui. Et M. Baird m’a dit que c’était pour rehausser les notes, il n’a pas parlé de les baisser. […]

(L’avocat du plaignant a renvoyé le témoin à la page 308 de la pièce « Onglet 43 ».)

[traduction
Q. Est‑ce de cela dont vous parlez?

R. C’est exact. Les règles relatives à ce concours étaient que la communication interactive efficace exclut toute forme de communication écrite.

Le président : Où est‑ce qu’on dit cela?

L’avocat du plaignant : Vous verrez le titre, M. le président, il y a un paragraphe et ensuite une note. On y décrit la compétence comme étant une communication simultanée entre deux personnes ou plus, et on dit ensuite que cette compétence exclut toute forme de communication écrite.

Le président : C’est donc dire que la communication interactive efficace ne faisait pas partie de la communication écrite?

Le témoin : C’est exact. […] On nous a fait parler de trois des compétences pour lesquelles nous avions réussi afin de noter notre aptitude à nous exprimer oralement. Il y avait un double objectif : rehausser les notes concernant les trois dont nous parlions et noter la communication interactive efficace.

Transcription : volume I, section I, page 66, lignes 1 à 5 et 14 à 25; page 67, lignes 1 à 17; page 68, lignes 9 à 20; page 69, ligne 5

La plainte déposée auprès de la Commission de la fonction publique

[53]           L’avocat du plaignant a présenté à M. Hughes un rapport d’enquête daté du 31 mai 2006 (reçu et désigné en tant que pièce « onglet 77 » (un document inclus dans le recueil de documents du plaignant)). M. Hughes a confirmé que le rapport de l’enquêteur faisait suite à la plainte qu’il avait déposée auprès de la Commission de la fonction publique à propos d’irrégularités commises lors du concours Vancouver 1002 et du concours Victoria 7003. Pendant une discussion entre le président et l’avocat du plaignant au sujet de l’admissibilité du rapport, l’avocat de l’intimée, qui s’opposait au départ à ce que M. Hughes commente ce document, a convenu qu’il était pertinent.

[traduction]

Me Stark : […] Je ne conteste pas qu’il s’agit d’un document pertinent. L’enquêteur de la Commission de la fonction publique est un enquêteur désigné en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Ces enquêteurs sont tenus par la loi de faire manifestement enquête quand un processus d’embauche soulève des interrogations.

Et je n’ai rien contre la conduite de cela et je reconnais entièrement que cela dénote qu’il y a eu des irrégularités dans les concours, tant pour le répertoire de candidats préqualifiés de Vancouver que pour le répertoire de candidats préqualifiés de Victoria qui sont en litige ici aujourd’hui.

Le président : Est‑ce que l’intimée admet cela?

Me Stark : Oui.

Le président : Y a‑t‑il des irrégularités?

Me Stark : Oui, comme l’enquêteur l’a conclu.

Le président : Mais admettez-vous qu’il y a eu des irrégularités dans le processus suivi?

Me Stark : Oui. Et je n’ai pas l’intention de débattre à nouveau de ces questions, l’enquêteur de la Commission de la fonction publique a tiré des conclusions et, en fait, la Commission de la fonction publique elle-même a donné suite à ces conclusions.

Et elle a pris des mesures correctives relativement à ces deux concours. Et nous produirons quelques éléments de preuve sur la nature de ces mesures correctives. Je ne conteste donc pas que ses conclusions sont essentiellement pertinentes et qu’elles vous fourniront quelques renseignements sur les faits qui sont survenus.

Transcription : volume I, section I, page 74, lignes 2 à 25; page 75, lignes 1 à 9.

[traduction
[…] Il est admis qu’il y a eu des problèmes dans la façon dont ces répertoires de candidats préqualifiés ont été établis dans les faits. Et ils n’étaient pas conformes à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

Maintenant, par ailleurs, vous entendrez aussi dire également que ces répertoires de candidats préqualifiés ont en fait été établis en vertu d’une loi différente, appliquée par l’Agence du revenu du Canada. Et les irrégularités dont vous parlez en général sont considérées comme des irrégularités au regard de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, mais elles n’étaient pas considérées comme telles au regard de la loi antérieure.

Et tout ça, c’est bien compliqué, mais, essentiellement, l’Agence des services frontaliers du Canada a, dès sa création, pris en charge les fonctions relatives aux points d’entrée. Et il y a – ce que je ferai valoir, c’est qu’il règne une grande confusion au sein des Ressources humaines quant à la façon de composer avec le changement dans la législation applicable. […] Je ne tiens pas à débattre de nouveau des questions dont l’enquêteur de la Commission de la fonction publique était saisi; les irrégularités sont admises. Il y a certaines des questions de fait que je ne souhaite pas concéder. Mais il est certain que je n’ai rien à redire aux conclusions.

Transcription : volume I, section I, page 78, ligne 25; page 79, lignes 1 à 23.

[54]           M. Hughes a déclaré qu’on l’avait exclu à tort du concours Vancouver 1002 à cause de son aptitude à faire face à des situations difficiles et de son degré de confiance en soi, des questions qui, selon lui, ne faisaient pas partie du portefeuille des compétences à Vancouver.

[traduction
Me Yazbeck : Très bien. Et, M. le président, j’attire seulement votre attention sur la page 612, paragraphe 95. Il y est question de ce dont le témoin vient tout juste de parler également, les définitions du professionnalisme et de l’application de la loi, qui ne sont pas énoncées dans le portefeuille de compétences ou la trousse d’évaluation. Et il n’a pas non plus été mentionné que les candidats n’avaient jamais été informés de la manière dont on évaluerait ces qualifications quand ils avaient reçu leurs portefeuilles de compétences, et les membres du jury de sélection n’avaient pas en main les définitions de ces deux qualifications lorsqu’ils ont évalué les candidats.

Le président : Vous dites donc qu’il s’agissait là des deux – de deux des compétences à l’égard desquelles on vous a évalué à votre seconde entrevue, mais que cela avait déjà été fait à Victoria?

M. Hughes : C’est à l’égard de ces compétences qu’ils ont rejeté ma candidature. Mais, en fait, on a substitué ces deux-là aux trois autres. Je n’ai donc jamais été vraiment évalué au chapitre du professionnalisme et de l’application de la loi. Je demandais donc de refaire cette partie du concours de façon à ce que je puisse vraiment être évalué sur les compétences à l’égard desquelles on était censé m’évaluer.

Le président : Quelles sont les trois compétences qui ont été remplacées?

R. Il s’agissait du traitement des situations difficiles, de la prise de décisions et de la confiance en soi. Et ces trois-là n’étaient pas inscrites dans l’avis d’emploi. Et on a essayé de me dire que c’était la même chose que le professionnalisme et l’application de la loi.

Le président : Quand vous a-t-on évalué relativement à ces trois compétences?

R. En février, dans le cadre de l’examen écrit et, de nouveau, lors de l’entrevue en mai 2004.

[…]

Le président : M. Hughes, est-ce que ces cinq compétences apparaissaient sur l’avis d’emploi?

R. Non.

Le président : Donc, quelles étaient les trois, lesquelles l’étaient et lesquelles ne l’étaient pas?

R. Le traitement des situations difficiles, la prise de décisions et la confiance en soi ne figuraient pas sur l’avis. […] le professionnalisme et l’application de la loi, l’étaient. […]

Le président : Il y avait donc quelque chose dans l’avis d’emploi au sujet des compétences écrites? Est-ce exact?

R. […] Sur l’avis d’emploi on disait qu’on évaluerait le professionnalisme et l’application de la loi.

[55]           M. Hughes a témoigné qu’à la première entrevue qu’il avait passée dans le cadre du concours Vancouver 1002, il avait été évalué de vive voix relativement à la communication efficace, mais que, par la suite, à la seconde entrevue, dans laquelle il devait être évalué par rapport au professionnalisme et à l’application de la loi, on lui avait posé des questions sur le traitement des situations difficiles, la prise de décisions et la confiance en soi, et que, malgré cela, il avait été noté pour le professionnalisme et l’application de la loi. Quand le président lui a demandé comment il savait que c’était le cas, M. Hughes a répondu :

[traduction
À cause de mes résultats, c’était indiqué 50 à côté du professionnalisme et 50 à côté de l’orientation en matière d’application de la loi. Mais, quand j’ai vérifié à quoi cela correspondait, cela correspondait au traitement des situations difficiles et à la confiance en soi. Le professionnalisme ou l’orientation en matière d’application de la loi n’ont donc jamais été évalués, mais on a tenté de dire que cela avait été fait.

Transcription : volume I, section I, page 99, lignes 1 à 25; page 100, lignes 1 à 10; page 101, lignes 1 à 11 et 22 à 25.

Le contexte des listes d’admissibilité et des répertoires de candidats préqualifiés

[56]           Le président a demandé à M. Hughes d’expliquer si l’ADRC s’était servie de répertoires de candidats préqualifiés. Il a déclaré que l’ADRC l’avait fait, mais qu’il y avait eu des changements quand l’Agence était devenue assujettie à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

[traduction
Le président : J’ai donc lu quelque chose au sujet de M. Turner et de la liste d’admissibilité qui était censée durer quelques années; elle a été prolongée et il a été inscrit sur cette liste, mais son nom en a ensuite été rayé. Y a-t-il donc quelque chose à propos de la liste d’admissibilité, ou parlons-nous seulement du répertoire de candidats préqualifiés? Ou le savez-vous?

R. Je croyais avoir situé le contexte de la plainte, que M. Turner avait été inscrit sur une liste d’admissibilité et, ensuite, dans un répertoire de candidats préqualifiés en 2000 et que, entre 2000 et 2003, on aurait pu l’embaucher sans concours, soit à partir de ce répertoire soit à partir du programme de dotation de l’ADRC.

Le président : Mais savez-vous quand le répertoire de candidats préqualifiés est entré en vigueur?

R. Oui, l’ADRC l’a adopté immédiatement, vers la fin de 2001, je crois; elle a commencé à établir des répertoires de candidats préqualifiés.

Le président : Très bien, une dernière question. Donc, si vous étiez inscrit sur la liste d’admissibilité – pourquoi apparaîtriez-vous sur la liste d’admissibilité et dans un répertoire de candidats préqualifiés?

R. Il existe une disposition selon laquelle, quand l’ADRC a vu le jour, il était toujours possible d’utiliser les listes d’admissibilité. Il y a donc eu un certain chevauchement pendant un temps.

Le président : Et cela – la liste d’admissibilité n’existe plus?

R. Non. Elles ont pris fin à la fin de 1995 – ou, excusez-moi, 2005. C’est à ce moment que la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (1985) a été abrogée, mais, parce que l’ADRC a été créée, on a cessé de l’utiliser en novembre 1999, sauf pour les cas où il y avait un chevauchement.

Me Stark : M. Sinclair, il faut peut-être que j’intervienne ici. Le témoin fait systématiquement référence à l’ADRC et je crois qu’il veut dire en fait l’ASFC. Et cela ajoute peut-être à la confusion. C’est l’ASFC qui a été créée en 2003, en décembre, et les concours se sont chevauchés entre l’Agence du revenu du Canada, telle qu’elle était à l’époque, et, ensuite, après le 18 décembre 2003, les répertoires de candidats préqualifiés ont essentiellement relevés de l’ASFC.

Le contre-interrogatoire de M. Hughes

a)                  La Commission de la fonction publique – le rapport de l’enquêteur

[57]           Malgré son opposition initiale lors de l’interrogatoire principal quant au fait que M. Hughes commente les conclusions de l’enquêteur de la Commission de la fonction publique, l’avocat de l’intimée s’est engagé dans cette voie lors de son contre-interrogatoire.

[traduction
Q. M. Hughes, passons à l’onglet 77 du volume 3. Je voudrais simplement vous amener au rapport de l’enquêteur et en particulier au paragraphe 91 que mon collègue vous a demandé de consulter. Voyons le paragraphe précédent, le 90, et je vais vous le lire parce qu’on y trouve quelques renseignements de l’enquêteur.

« Il est clair que quelque temps après l’affichage de l’avis de concours, le gestionnaire recruteur, M. Flagel, a jugé qu’il était insatisfait des critères d’évaluation qui avaient été établis. »

Et je m’arrête là. Cela a trait au répertoire de candidats préqualifiés de Vancouver; est-ce exact?

R. C’est vrai.

Q. Très bien.

« À cause du nombre croissant de plaintes de voyageurs, dont un grand nombre concernent les actes et les comportements d’inspecteurs des douanes relativement nouveaux, il estimait qu’il était nécessaire, au moment d’évaluer les candidats, de traiter de certains critères non inclus dans l’énoncé des exigences en matière de dotation. Comme il l’a fait remarquer, il estimait que le traitement des situations difficiles devait être l’une des qualifications. »

L’avocat de l’intimée : Pourriez-vous dire au Tribunal qui (est) M. Flagel […]

R. Oui, M. Flagel est le directeur de district chargé de l’Aéroport international de Vancouver.

Q. Très bien. Et l’enquêteur poursuit, au paragraphe 91 :

« De ce fait, il a ordonné aux membres du jury de sélection de définir ou de préciser les qualités de professionnalisme et d’orientation en matière d’application de la loi en fonction des trois critères suivants : traitement des situations difficiles, confiance en soi et prise de décisions. »

« Son intention était de veiller à ce que le jury de sélection axe son évaluation des facteurs du professionnalisme et de l’orientation en matière d’application de la loi sur les éléments de chacun qui étaient les plus importants pour faire en sorte que l’on embauche des inspecteurs des douanes compétents.

L’intention était noble, mais elle n’a pas été exécutée d’une manière juste ou transparente pour les candidats existants et potentiels, ni conformément au principe du mérite. »

Maintenant – et vous, dans votre témoignage, est-ce là le mécanisme, la substitution, si vous préférez, dont vous parliez relativement à l’évaluation de critères qui ne figuraient pas sur l’avis, l’avis d’emploi?

R. C’est exact.

[…]

Q. Vous convenez donc avec moi, dans ce cas, que les candidats inscrits à ce concours ont tous été évalués de manière égale et par rapport aux mêmes critères d’évaluation?

R. Ils ont été – nous n’avons jamais su si la notation était raisonnable, car […] l’enquêteur a décidé de ne pas examiner le caractère raisonnable de la notation vu que j’avais eu gain de cause pour les deux premières allégations.

Q. […] Passons au paragraphe 104, l’allégation 3.

« […] Comme je l’ai expliqué lors de la première réunion d’établissement des faits, la preuve qu’il a présentée n’étayait pas l’allégation de partialité; elle a plutôt mis en doute le caractère raisonnable de l’évaluation des deux compétences. »

Q. Vous conviendrez avec moi que l’enquêteur a conclu qu’il n’y avait pas eu de partialité.

R. Exact. Parce qu’il a dit, ce que je voulais dire c’était le caractère raisonnable. Le paragraphe suivant précise donc qu’il n’a pas examiné la question parce que j’avais déjà eu gain de cause pour les deux allégations précédentes et que – pour autant que nous le sachions, il aurait pu y avoir un tas de notes incohérentes, mais il estimait que cela ne valait pas la peine d’examiner la question parce que le processus était irrémédiablement vicié.

[…]

Q. Donc, là encore, vous n’avez aucune preuve à fournir au Tribunal qui pourrait […] donner à penser que des candidats en particulier, dans ce répertoire de candidats préqualifiés, ont été traités de manière différente? Ont-ils tous été évalués de la même façon?

R. Non, je dirais que Trent Van Helvoirt et Brianna Hewson ont certainement été traités de manière différente.

Q. Et en quoi ont-ils été traités de manière différente?

R. Eh bien, j’ai passé en revue leurs deux portefeuilles et les deux comportent de nombreuses lacunes.

Q. Donc – et les deux ont été embauchés, à en juger par votre –

R. Les deux ont été embauchés à titre permanent, oui.

[58]           Plusieurs mois après le dépôt du rapport de l’enquêteur, la Commission de la fonction publique a publié des directives concernant la mise en œuvre de mesures correctives. Un aspect en particulier était que le poste d’inspecteur des douanes PM‑02 avait été remplacé par le statut de PM‑03 pour les agents des services frontaliers.

[traduction
Q. Maintenant, dans ce compte rendu de motifs, au paragraphe 3, l’enquêteur fait référence à ce qui suit :

« […] la version révisée de l’énoncé de qualités concernant les postes d’agent des services frontaliers PM‑03 contient les mêmes qualifications supplémentaires que l’ASFC avait évaluées par erreur dans le cadre du processus de sélection de PM‑02. À première vue, il serait redondant et inefficace à ce stade-ci d’exiger que l’ASFC réévalue des qualifications que l’on n’exige plus pour le poste actuel. […] Maintenant, pour ce qui est de la propre situation du plaignant, la preuve a établi qu’il n’est pas parvenu à obtenir la note de passage pour les qualifications concernant le traitement des situations difficiles et la confiance en soi, deux des qualités que l’on requiert maintenant pour les postes d’agent des services frontaliers PM‑03. De ce fait, il n’est pas nécessaire de prendre d’autres mesures correctives relativement à ses circonstances précises (celles de M. Hughes). »

Q. Maintenant, souscrivez‑vous à cette conclusion selon laquelle il s’agissait là des deux secteurs – deux critères auxquels vous avez essentiellement échoué lors du concours?

R. Eh bien, en fait, je ne souscris pas du tout à cela. Comme vous le savez, j’ai présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette question. L’enquêteur n’a jamais examiné le caractère raisonnable du facteur de la confiance en soi et du traitement des situations difficiles, ni tenu compte du fait que j’avais réussi sur le plan de ces compétences à Victoria. Je ne souscris pas du tout à cet énoncé.

[…]

Q. Donc, ces types de concours, les répertoires de candidats préqualifiés, sont la façon dont l’Agence embauche des personnes au niveau d’entrée?

R. Parfois. Comme je l’ai dit auparavant, elle engage plus d’une centaine d’étudiants. Et elle a utilisé aussi des processus non annoncés, et sans concours aussi.

Transcription : volume I, section I; page 194, lignes 21 à 25; page 177, lignes 22 à 25; page 178, lignes 1 à 6, 9 à 10 et 18 à 25; page 179, lignes 1 à 6; page 189, lines10 à 23; page 194, lignes 1 à 25; page 195, lignes 1 à 19; page 196, lignes 23 à 25; page 197, lignes 1 à 5.

b)                 Le Programme de transition à l’intention des étudiants

[59]           En contre-interrogatoire, quand on lui a demandé de décrire le Programme de transition à l’intention des étudiants, M. Hughes en a fait une description succincte et a également fait part de son opinion sur son utilisation.

[traduction
R. Il est conçu par le gouvernement fédéral pour procurer une certaine souplesse aux ministères et leur permettre d’embaucher des étudiants exceptionnels, qui ont montré qu’ils sont d’excellents travailleurs.

Et il semble, après avoir examiné les données de l’ASFC, que l’Agence a eu recours de manière abusive à cette formule et ne s’en est pas seulement servie pour combler ses besoins en dotation, au lieu de s’en servir pour les étudiants exceptionnels.

Q. Et quelle preuve en avez-vous?

R. Eh bien, j’ai une copie de tous les contrats qu’elle a passés au cours des dernières – depuis 2004 jusqu’à 2007. Et elle a embauché, je pense, plus d’une centaine de personnes par l’intermédiaire du Programme. Et je pense qu’il y en a eu une poignée au cours des quatre années précédentes.

Q. […] Quand vous dites « une poignée », de quelle période s’agit-il?

R. Quand c’était l’ADRC qui avait le contrôle, elle utilisait très rarement cette fonction et elle embauchait des employés par l’intermédiaire de processus externes qui comportaient une norme de compétence supérieure. Quand l’ASFC l’a remplacée, elle a commencé à embaucher de très nombreux étudiants et, pour être un étudiant, il n’est pas nécessaire de satisfaire à une norme aussi stricte pour le devenir; ensuite l’Agence les a en quelque sorte embauchés par la porte arrière, par l’intermédiaire de ce programme de transition, selon moi.

Q. […] Mais quand ce mouvement a-t-il commencé à prendre de l’ampleur?

R. À la fin de 2004, au début de 2005.

Q. Cela aurait donc eu lieu après le délai dont il est question dans la présente plainte?

R. Non, si vous jetez un coup d’œil à […] si Levan avait été inscrit dans le répertoire comme il aurait dû l’être, il aurait été admissible à une embauche un an et demi, deux ans après cela.

Q. Exact. Mais ce que je veux dire c’est tout simplement que l’on n’a pas commencé à utiliser plus souvent le Programme de transition à l’intention des étudiants après la fin de ces périodes de plainte. Nous parlons de concours qui ont commencé en 2003 et ont pris fin en – au printemps 2004.

R. Eh bien, l’Agence n’a pas cessé de le faire avant le milieu de l’année 2007, après les mesures correctives.

Q. Très bien.

R. Je suis donc en désaccord avec vous.

Transcription : volume I, section I, page 151, ligne 22 à 25; page 152, lignes 1 à 25; page 153, lignes 1 à 16.

[60]           On a demandé à M. Hughes comment il avait établi que 50 % du personnel d’été étaient des étudiants. Il a répondu que, d’après son expérience personnelle, à Victoria, de nombreux quarts de travail comportaient plus de 50 % d’étudiants.

[traduction
Q. Avez-vous tenu des relevés de cela, ou s’agit-il simplement d’un chiffre que vous avez établi mentalement?

R. Non. J’ai tenu des feuilles de temps de 2002 et de 2004 qui le montrent.

Q. Très bien. Et pourquoi avez-vous tenu ces feuilles de temps, M. Hughes?

R. Après mon expérience à l’Impôt en 2001 j’ai commencé à tenir des documents sur à peu près n’importe quoi.

Q. Serait-il juste de dire qu’après votre expérience auprès de l’ADRC vous vous êtes mis à tenir des documents sur tout parce que vous vous préoccupiez de votre situation d’emploi?

R. Je m’inquiétais du fait que des gens essaieraient peut-être de changer les choses plus tard. Je voulais donc tenir un compte rendu exact et factuel de ce qui se passait.

Q. Croyiez-vous que vos employeurs en avaient contre vous?

R. Pas à l’ASFC. Non, je n’ai eu ce sentiment qu’après mon échec à Vancouver, alors que j’avais presque terminé mon troisième contrat.

Q. Et pourquoi avez-vous eu cette impression? Pourquoi cela vous est-il venu à l’esprit?

R. Parce que, comme je l’ai dit plus tôt, les entrevues et les portefeuilles écrits étaient exactement les mêmes. J’ai utilisé exactement les mêmes présentations. Je me suis dit, si j’ai réussi à Victoria et s’ils savent que je suis un agent des douanes à Victoria inscrit dans un répertoire, pourquoi me feraient-ils échouer à Vancouver? Cela n’avait tout simplement aucun sens.

[…]

Q. […] Et vous avez été inscrit dans le répertoire, mais vous n’avez jamais été nommé à partir de celui-ci?

R. Non, je ne l’ai pas été.

Transcription : volume I, section I, page 154, lignes 24 à 25; page 155, lignes 1 à 25; page 156, lignes 1 à 12.

c)                  L’interprétation de la restriction à l’admissibilité concernant le concours Vancouver 1002

[61]           M. Hughes a été contre-interrogé au sujet de la restriction à l’admissibilité concernant le concours Vancouver 1002 et on lui a demandé comment il interprétait cette restriction.

[traduction
Q. Très bien. Maintenant, vous dites que, selon vous, à la suite d’une discussion, cela voulait dire que ce n’était que les personnes qui avaient posé antérieurement leur candidature à des concours à Vancouver qui n’étaient plus – ou qui ne seraient pas admissibles?

R. C’est ainsi que je l’ai compris, oui.

Q. Pouvez-vous préciser, comment dire, pourquoi cela vous est venu à l’esprit?

R. Parce que Vancouver mettait toujours sur pied ses propres jurys et que les concours n’étaient toujours ouverts qu’au Lower Mainland, nous ne pouvions jamais poser notre candidature dans le passé. Et pour Victoria, c’était un peu la même chose, les concours n’étaient ouverts qu’à Victoria, ils ne laissaient personne du Lower Mainland s’inscrire. Nous étions donc toujours séparés. C’était donc la première fois qu’on ouvrait le concours jusqu’à l’ouest des Rocheuses. Et, de ce fait, jamais nous n’avions posé auparavant notre candidature auprès d’un jury de Vancouver. C’est ainsi que nous avons interprété la situation.

Q. Vous a-t-il semblé étrange, cependant, qu’on ouvre un processus dans le cadre duquel on rejetterait des candidats qui avaient peut-être posé auparavant leur candidature à Vancouver, mais pas des candidats qui avaient peut‑être posé auparavant leur candidature ailleurs?

R. Non. Parce que des gens avaient été évalués à Vancouver et que je peux comprendre pourquoi ils ne voudraient pas réévaluer une personne qui, comme ils l’auraient eux-mêmes déterminé, ne faisait pas l’affaire. Mais, s’ils ne nous avaient jamais évalués auparavant, nous aurions dû pouvoir – pouvoir leur montrer ce que nous valions.

[…]

Q. Donc, à part la possibilité qu’ils aient voulu jeter un coup d’œil à des candidats de l’extérieur de la région de Vancouver, rien n’explique vraiment pourquoi ils auraient fait cette distinction?

R. Oui, je ne m’expliquais pas pourquoi ils avaient fait cela. C’est-à-dire, il y avait – c’était ambigu, c’est ça que je voulais dire. Je sais ce qu’ils voulaient.

Q. Que voulaient-ils?

R. Eh bien, comme les jurys antérieurs, ils avaient l’intention d’exclure les gens du Lower Mainland qui avaient posé leur candidature.

Q. N’est-il pas plus logique de dire que ce qu’ils essayaient de faire, c’était d’exclure les candidats qui avaient été récemment évalués par rapport aux mêmes qualifications par d’autres jurys de sélection?

R. Pas forcément. Parce que, comme j’ai entendu des gens des Ressources humaines le dire, un processus différent, des questions différentes, cela pouvait mener à un résultat différent.

Q. Qui a dit cela?

R. J’ai entendu Barbara Lennox le dire, Shaliva Sharma le dire, et je crois que Ron Tarnawski l’a dit.

Transcription : volume I, section I, page 164, lignes 1 à 25; page 165, lignes 1 à 4 et 10 à 25; page 166, lignes 1 à 5.

Le nouvel interrogatoire de M. Hughes

[62]           L’avocat du plaignant a interrogé M. Hughes sur ce qu’il avait déclaré à propos du fait que deux personnes avaient été traitées de manière différente lors du concours Vancouver 1002.

[traduction
Q. Et vous avez donné l’exemple de deux personnes, Trent Van Helvoirt et Brianna Houston, que l’on avait traitées de manière différente?

R. Oui, je l’ai fait.

Q. Avez-vous évoqué cette question auprès de l’Agence au moment de ces concours ou à peu près à ce moment‑là?

R. Je l’ai fait, oui.

Q. Et qu’est-ce que l’Agence a fait à ce sujet?

R. Je pense que l’enquête était déjà en cours – je ne pense pas avoir évoqué la question directement. C’était au cours de l’enquête.

Q. Voulez-vous dire cette enquête de la Commission de la fonction publique?

R. Oui.

Q. Et vous dites avoir relevé de nombreuses lacunes dans leur – leurs demandes, je suppose?

R. Je l’ai fait.

Q. De quoi parliez-vous?

R. Je parlais des notes que Karen Morin avait prises pour Brianna Houston, qui indiquaient qu’elle avait déclaré au jury que sa surintendante lui avait dit qu’elle devrait envisager une autre carrière, et il y a aussi de nombreuses notes négatives au sujet de son aptitude à communiquer; pourtant, elle avait réussi sur le plan de l’aptitude à communiquer et, avant d’être embauchée, elle travaillait à temps partiel comme pompiste de sorte que, non – elle n’avait pas d’antécédents en matière d’application de la loi, et elle était âgée de dix-huit ou dix-neuf ans.

Q. Et mon collègue vous a posé un certain nombre de questions, surtout sur l’allégation de partialité, et vous vous souviendrez peut-être que, dans votre témoignage vous, souvent, vous avez fait référence au paragraphe 1-0-5 et vous avez dit, oui il fallait lire tout cela ensemble; et au paragraphe 1-0-5 l’enquêteur déclare : « Il n’était pas donc nécessaire que le soussigné examine plus avant cette partie de l’allégation, ou tire une conclusion sur l’affaire ».

R. C’est exact.

Q. Très bien, une autre personne ou un autre organisme ont-ils fait une enquête plus poussée sur cette allégation ou sont-ils arrivés à une conclusion au sujet de l’affaire?

R. Non, cela n’a pas été le cas, à part la Commission des droits de la personne qui a effectivement conclu qu’il s’agissait là de l’une des raisons pour renvoyer l’affaire ici.

Le président : De quelle affaire s’agit-il?

R. L’affaire soumise au Tribunal.

Le président : donc, votre allégation de partialité est le fondement, l’une des raisons pour lesquelles M. Turner […]

R. Non, la façon dont Brianna Houston a été traitée lors du concours.

Le président : Y a-t-il une raison pour laquelle la plainte de M. Turner a été renvoyée devant le Tribunal?

R. L’une des irrégularités dans le – oui – parce qu’elle était âgée de dix-huit ou dix-neuf ans, pas très qualifiée; les notes indiquaient qu’elle aurait dû échouer, mais sa candidature a été retenue.

Transcription : volume I, section II, page 9, lignes 7 à 25; page 10, lignes 1 à 25; page 11, lignes 1 à 11.

Les démêlés de M. Hughes avec Revenu Canada

[63]           En contre-interrogatoire, l’avocat de l’intimée a interrogé M. Hughes sur les griefs qu’il avait déposés contre Revenu Canada.

[traduction
Q. Pendant ce temps, avez-vous eu des problèmes et des désaccords avec Revenu Canada au sujet de votre emploi […] au cours de cette période de 2003-2004?

[…]

R. Il y a une enquête en cours pour harcèlement, un certain nombre de griefs et une enquête des affaires internes que j’avais demandée (en) […] au début de 2004. […] À la fin de 2004, au début de 2005, il y a eu une plainte relative aux droits de la personne que j’ai déposée contre l’ARC […] pour cause de déficience […] dépression et stress.

Transcription : volume I, section I, page 138, lignes 14 à 25.

Q. Faisons un retour en arrière. Pour ce qui des premiers griefs, quand la relation d’emploi avec Revenu Canada a-t-elle commencé à tourner au vinaigre?

R. Eh bien, les choses ont commencé à mal tourner en 2001. Et, ensuite, elles se sont calmées au cours des années 2002 et 2003, puis elles ont empiré de nouveau. […] Il faut en fait remonter à septembre 2000, c’est la date où cela a commencé. Et c’est là où j’ai mis fin à un acte illégal à l’ADRC […] un agent de recouvrement avait fait saisir par erreur le compte d’un administrateur d’une société à cause des dettes de cette dernière, ce qu’il est interdit de faire.

Transcription : volume I, section I, page 139, lignes 1 à 25.

Et cette personne avait été […] sous le coup de la saisie pendant près d’un an, une somme de 5 000 $ probablement avait été illégalement prélevée sur son revenu d’emploi. Et un certain nombre de chefs d’équipe le savaient, mais ils n’y avaient pas mis fin.

Q. Et qu’avez-vous fait?

R. J’ai mis à contribution mon chef d’équipe et l’agent des relations avec les médias afin de m’assurer que l’on mette fin à la saisie et que l’argent soit remboursé.

Q. Est-ce que cela est vraiment arrivé?

R. Oui, effectivement.

Q. Maintenant, qu’est-ce qui s’est passé et pourquoi les griefs ont-ils été déposés?

R. Eh bien, quatre ou cinq mois plus tard, tout à coup, on a commencé à faire obstacle à des promotions et à me traiter de manière très négative. Et je crois que c’était en guise de représailles pour la dénonciation.

Q. Avez-vous une preuve quelconque de cela?

R. Pas avec moi. Il y en a des tonnes devant d’autres tribunaux administratifs et commissions.

Transcription : volume I, section I, page 140, lignes 3 à 22.

[…]

Le président : Je ne suis pas sûr de comprendre ce – vers où l’on se dirige. On peut considérer cela comme un signe de crédibilité de M. Hughes. Mais je n’ai rien entendu – dans le témoignage d’aujourd’hui qui ne soit pas crédible en ce sens que – et il peut dire que cette personne en particulier a obtenu un emploi et – que le processus n’a pas été suivi pour cette personne en particulier ou que des étudiants ont obtenu un emploi et ont ensuite échoué ou font partie de ce programme particulier, etc.

[…]

[…] Je crois que la crédibilité de M. Hughes ne pose pas vraiment problème pour ce qui est d’une grande part du témoignage qu’il a fait. Ce que je veux dire c’est qu’il a peut-être contesté ses employeurs et que ceux-ci ne l’ont pas apprécié, de sorte qu’ils lui ont fait subir toutes sortes de choses, ou bloqué ses promotions, etc. Mais cela n’est pas un point litigieux dans le cas présent.

Transcription : volume I, section I, page 141, lignes 18 à 25; page 142, ligne 25; page 142, lignes 1 à 6

[64]           Je partage l’avis du président que M. Hughes a été un témoin crédible dont le témoignage n’a pas été ébranlé en contre-interrogatoire. Le compte rendu détaillé qu’il a fait des méthodes d’embauche et du processus de sélection de l’intimée a servi de contexte utile pour examiner la plainte de M. Turner.

D.                Le témoin Levan Turner

[65]           M. Turner, originaire de Toronto, a déménagé avec son épouse à Victoria en décembre 1995, à la recherche d’un emploi. Il a déclaré qu’il souhaitait devenir inspecteur des douanes ou agent de conservation; cependant, son premier emploi a été celui de gardien de sécurité au Centre Eaton de Victoria. Son travail de gardien de sécurité comportait une formation en matière de recours à la force, de techniques à appliquer en vue d’effectuer une arrestation appropriée, ainsi que de menottage d’un suspect en ne recourant qu’au degré de force pouvant être raisonnablement nécessaire.

[66]           La disposition de M. Turner à travailler comme gardien de sécurité était une progression logique par rapport aux services bénévoles antérieurs qu’il avait fournis à titre d’agent de police auxiliaire auprès du Service de police de Toronto. Il a expliqué le processus de sélection que suivait le Service en vue d’établir les aptitudes d’éventuels agents auxiliaires, ainsi que la formation qu’il avait suivie en vue de devenir un tel agent : une formation policière de base comprenant les techniques de contrôle à mains nues, les arrestations tactiques, le menottage ainsi que l’utilisation appropriée d’un bâton. Il a également expliqué qu’à titre d’agent auxiliaire, il portait un uniforme semblable à l’uniforme ordinaire de la police et qu’il donnait un coup de main lors d’activités publiques et, à l’occasion, il accompagnait des agents ordinaires dans leur véhicule : [traduction] « J’ai donc pris part à toutes sortes d’appels, des appels ordinaires au Service de police, en compagnie d’un agent de police ordinaire, et j’ai acquis en leur compagnie une expérience précieuse ». Transcription : volume I, section II, page 26, lignes 14 à 16.

[67]           M. Turner a décrit un incident dans lequel un collègue agent auxiliaire et lui-même avaient désarmé un suspect et procédé à son arrestation : [traduction] « […] parce que, à titre d’agents auxiliaires, nous étions autorisés à l’époque à procéder à une arrestation, mais nous devions aussitôt remettre la personne à un agent de police ordinaire, parce que c’est cela que nous étions censés faire et, avant que cet agent nous ait rejoints nous avions pu obtenir tous les renseignements nécessaires de cette personne et faire un contrôle dans les systèmes informatiques, et elle a été arrêtée et emmenée. » Transcription : volume I, section II, page 28, lignes 4 à 11.

[68]           Quand on lui a demandé pourquoi il voulait devenir agent des douanes, M. Turner a répondu :

[traduction
J’adore rencontrer des gens, comme vous pouvez le voir, à cause aussi de mes antécédents d’auxiliaire. […] l’application de la loi m’intéresse […] et l’interaction avec le public. Étant cela et étant gardien de sécurité, cela m’a donné en quelque sorte le meilleur des deux mondes, être capable de faire cela.

Et, en fait, à cause de mes antécédents avec ma famille, et je pourrais vous en parler plus tard si vous le voulez […] Je crois vraiment, vous savez, être citoyen canadien, c’est important pour, comment dire, protéger votre pays. Et c’est la raison pour laquelle je voulais être inspecteur des douanes.

Transcription : volume I, section II, page 5, ligne 1; page 56, lignes 1 à 12.

L’expérience de travail en tant qu’inspecteur des douanes

[69]           En 1998, M. Turner a répondu à une annonce de recrutement d’éventuels agents des douanes en envoyant son curriculum vitæ par la poste. Il a été invité à passer un examen écrit, le Test d’inspecteur des douanes (le TID), qu’il a passé avec succès; il a ensuite été interviewé et a alors été inscrit au 10e rang sur une liste d’admissibilité. L’avocat a demandé s’il se souvenait qui l’avait interviewé, et M. Turner a répondu : [traduction] « Oui, croyez-le ou non, oui je m’en souviens. Cela fait longtemps. Il s’agissait de Joanne Deans (ph.) qui était inspectrice des douanes, ainsi que de Catherine Pringle, qui était surintendante. » Transcription : volume I, section II, page 53, lignes 7 à 9.

[70]           M. Turner a été embauché à titre d’employé nommé pour une période déterminée, au poste d’inspecteur des douanes P‑1, au sein de la Section du secteur maritime, pour la période de mai 1998 au 15 octobre 1998.

La première saison en tant qu’inspecteur des douanes, de mai à octobre 1998

[71]           Au cours de sa première année de travail saisonnier à titre d’inspecteur des douanes, M. Turner a travaillé au 816, rue Government, à Victoria, au sein de la Section du secteur maritime. Cette dernière, selon lui, était chargée des navires faisant régulièrement la navette entre Victoria et Port Angeles (le Coho) et Seattle (le Clipper). Il a décrit ses longues journées de travail, qui consistaient à parler avec beaucoup de gens, en tenant à la main une planchette à pince sur laquelle étaient notés des détails concernant certaines personnes et certains véhicules pour lesquels on avait prévenu la Section du secteur maritime de fallait garder l’œil ouvert, une tâche appelée familièrement [traduction] « avis de surveillance ». M. Turner a déclaré que le dédouanement des personnes arrivant à Victoria était un processus en deux étapes : une inspection primaire et une inspection secondaire :

[traduction
Q. J’ai entendu ces termes auparavant, mais pourriez-vous simplement nous décrire tout d’abord ce qu’est l’inspection primaire?

R. Fort bien, pas de problème. La ligne primaire ou la ligne d’inspection primaire comme on l’appelle – c’est ce qu’on appelle la LIP. Cette ligne, c’est le premier contact qu’ont les gens lorsqu’ils descendent du traversier. Il s’agirait donc de la première guérite d’inspection primaire, tout comme on le ferait si l’on arrive en automobile à un poste frontalier, la guérite de la LIP serait l’inspection primaire ou la première ligne de contact avec les Douanes. Et ce serait à cet endroit que vous feriez votre déclaration, ou l’endroit où les Douanes vous poseraient des questions, de sorte que ce serait le premier agent avec lequel vous entreriez en contact.

Et au moment où vous atteindriez cette guérite […] l’agent des douanes déterminerait à ce moment si vous seriez admis au Canada ou si vous seriez orienté vers la ligne secondaire en vue d’un examen plus approfondi.

Q. Quel critère utilisiez-vous pour prendre cette décision?

R. Eh bien, nous sommes formés pour poser essentiellement, vous savez, des questions types […] d’où venez-vous, depuis combien de temps avez-vous quitté le Canada, quelle est votre destination. Et nous sommes à la recherche d’indices, vous savez, si nous croyons ce que déclarent les visiteurs, la rapidité avec laquelle ils répondent à la question, s’ils paraissent évasifs, ce qui, en quelque sorte, amènerait à conclure qu’il serait justifié de les renvoyer à un examen secondaire ou qu’il suffirait simplement de les admettre au Canada.

Et, en général, nous prenons, vous savez, cela dépend bien sûr des circonstances, mais je présume que nous essayons de faire passer les gens le plus rapidement possible.

Q. Et quand vous travailliez au niveau secondaire, quelles étaient vos fonctions?

R. L’examen secondaire serait, ce que nous faisions si une personne était renvoyée au secondaire, c’était remplir une feuille de renvoi, c’est-à-dire une feuille de papier jaune. Et, sur cette feuille jaune, nous inscrivions la déclaration de la personne, ce qu’elle avait dit et depuis combien de temps elle avait quitté le Canada, ce qu’elle apportait au Canada. Parce qu’il s’agissait d’un document juridique disant : eh bien, voici ce que la personne que vous avez vue a déclaré au sujet du contenu de son véhicule. C’est cela que nous devions faire.

Et, une fois rendu au secteur secondaire, l’agent de la ligne d’inspection secondaire prenait cette feuille de renvoi, l’examinait et vérifiait ensuite ce qui avait été déclaré à la guérite d’inspection primaire par rapport à ce qui figurait sur la feuille de renvoi. Et, ensuite, nous prenions les mesures nécessaires, s’il y avait quoi que ce soit d’autre que nous trouvions, nous prenions les mesures qui s’imposaient.

Q. Et quand vous dites prendre les mesures qui s’imposaient, de quel type de mesure pourrait-il s’agir?

R. Tout dépend de quoi il s’agit. Il pourrait s’agir de percevoir des droits et des taxes, pour l’Immigration, si nous trouvions des documents qui étaient dissimulés et qui prouveraient que ce qui avait été déclaré à la ligne d’inspection primaire était inexact, dans ce cas nous prendrions les mesures qui convenaient.

Q. Vous venez tout juste de mentionner l’Immigration. […] Quels étaient les cas dont vous vous occupiez?

R. Si nous trouvions, disons que des personnes se présentaient, ou des voyageurs arrivaient au Canada, et que ces personnes disaient qu’elles ne venaient ici qu’en visite, mais que, entre-temps, nous avions des documents montrant que ces personnes possédaient une maison ici au Canada; en fait, elles ne venaient pas en visite, en fait il se pouvait qu’elles viennent ici vivre dans leur maison – au Canada, il s’agirait là du genre de situation que nous renvoyions à l’Immigration, parce que ces personnes, peut-être, n’étaient pas des visiteurs véritables ou valides. Il se pouvait que ces personnes vivent en fait ici au Canada, mais, vous savez, qu’elles déclarent qu’elles venaient ici simplement en visite. C’était donc là une situation que nous renvoyions à l’Immigration.

[…]

Q. Vous avez aussi dit que vous faisiez des fouilles et que vous arrêtiez des personnes. Avez-vous eu l’occasion de le faire?

R. Des fouilles, oui nous en avons fait. Je n’ai arrêté personne à l’époque.

Q. Très bien. Avez-vous eu des problèmes de rendement durant cette période?

R. Non.

Transcription : volume I, section II, page 44, lignes 13 à 25; page 45, lignes 1 à 25; page 46, lignes 1 à 25; page 47, lignes 1 à 16 et lignes 19 à 25; page 48, ligne 1.

La deuxième saison en tant qu’inspecteur des douanes, du 29 décembre 1998 à octobre 1999

[72]           À la fin de son contrat de 1998 auprès de l’ADRC, M. Turner a trouvé du travail à l’Agence canadienne d’inspection des aliments à titre d’inspecteur des végétaux. Cette agence avait besoin d’employés temporaires pour faire face à une situation d’urgence : une épidémie de spongieuse. M. Turner a été interviewé au téléphone, embauché et formé, et il avait pour tâche d’inspecter et de certifier des propriétés forestières de production d’arbres de Noël. Cependant, ce travail hivernal a été interrompu par une nouvelle offre d’emploi temporaire auprès de l’ADRC.

[73]           À la fin de décembre 1998, Diana Kavalaars, chef de l’ADRC à Victoria, a téléphoné à M. Turner et l’a informé qu’il était le suivant sur la liste d’admissibilité à un poste d’inspecteur des douanes temporaire. Elle lui a demandé s’il était disposé à revenir au travail à ce moment-là et elle lui a offert un poste au Centre de déclaration par téléphone (le CDT), où il s’occuperait du dédouanement de bateaux et d’aéronefs à l’arrivée. M. Turner a accepté l’offre, a mis fin à l’emploi qu’il exerçait auprès de l’Agence canadienne d’inspection des aliments le 28 décembre 1998 et a repris son emploi saisonnier d’une durée déterminée auprès de l’ADRC le 29 décembre 1998, et ce, jusqu’à l’automne 2000. Il a déclaré avoir accepté ce poste dans l’espoir que cela le mène en fin de compte à un poste d’inspecteur des douanes à temps plein.

[traduction
Le président : N’avez-vous eu à subir aucun test ou aucune entrevue?

R. Je n’ai subi aucun test du tout.

Le président : Elle vous a donc offert ce poste, de décembre à octobre?

R. C’est exact.

Transcription : volume I, section II, page 55, lignes 8 à 14.

[74]           Au cours de la deuxième saison passée au service de l’ADRC, M. Turner a été affecté au CDT, où il s’occupait du dédouanement de bateaux et d’aéronefs à l’arrivée. Il a décrit ce travail comme un service de communication fonctionnant 24 heures sur 24, qui permet aux capitaines de bateau et aux pilotes d’aéronef de demander par téléphone l’autorisation d’entrer au Canada. Il a expliqué qu’un inspecteur des douanes travaillant au CDT poserait à ces capitaines et à ces pilotes les mêmes questions qu’à un point d’entrée au Canada et qu’il déciderait si ces personnes étaient autorisées à entrer au pays ou pas. S’il était nécessaire de procéder à une inspection secondaire, les aéronefs arrivants étaient orientés vers un aéroport désigné, doté d’un bureau des Douanes, et ils y restaient jusqu’à l’arrivée d’un inspecteur des douanes.

[75]           M. Turner a expliqué que le manque de contacts directs avec les arrivées était réglé par le recours à des systèmes informatiques de l’ADRC qui permettaient de déterminer si la personne en question avait déjà été renvoyée auparavant au niveau secondaire, ou si l’aéronef ou le bateau en question avait eu des problèmes antérieurement. M. Turner a affirmé qu’il avait la compétence requise pour utiliser le Système intégré d’exécution des douanes (le SIED) ainsi que le système du Centre d’information de la police canadienne (le CIPC) de façon à pouvoir déterminer si un voyageur quelconque faisait l’objet d’un mandat d’arrestation non exécuté, ou à relever d’autres renseignements relatifs à des questions juridiques antérieures les concernant.

[76]           M. Turner a déclaré que, chaque fois que la Section du secteur maritime manquait d’effectifs, ou que l’on attendait l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de passagers à bord d’un navire, des agents du CTD aidaient à exécuter les inspections primaires et secondaires.

[77]           Me Yazbeck a montré à M. Turner la pièce C‑1, onglet 7, une lettre datée du 27 février 1998 confirmant qu’il avait passé avec succès le test d’inspecteur des douanes. Selon M. Turner, les résultats de cet examen étaient toujours valables à la fin de son dernier emploi saisonnier.

[78]           Me Yazbeck a montré à M. Turner la pièce C‑1, onglet 8, un document de l’ADRC. Il s’agissait d’un examen du rendement de M. Turner pour la période de décembre 1998 à octobre 1999. Ce dernier a déclaré que l’auteur de cet examen était le surintendant intérimaire Todd Perry, du CDT. M. Turner s’est souvenu que M. Perry était un excellent formateur. Le formulaire d’examen énumère un certain nombre de [traduction] « Buts et objectifs », et le surintendant doit préciser s’ils ont été atteints ou non. Les buts et objectifs pertinents avaient été [traduction] « atteints », y compris l’objectif suivant : [traduction] « Vous connaîtrez les lois et les règlements qui s’appliquent aux fonctions qu’exécute un inspecteur des douanes, ainsi que les activités du CDT. » Dans la section des commentaires, le surintendant Perry avait inscrit : [traduction] « Vous avez fourni un service d’excellente qualité de manière polie et professionnelle. […] Vous avez bien travaillé avec le reste des membres de l’équipe du CDT. […] Levan, je n’ai aucune critique à formuler au sujet de votre travail. Vous avez accepté de bon gré les conseils que je vous ai donnés. […] Je vous remercie de votre aide pour les activités de formation et pour les conseils que vous avez dispensés aux nouveaux employés que le CDT a accueillis. » Transcription : volume I, section II, page 64, lignes 12 à 15, pages 66 et 67, ligne 25 à ligne 12.

[79]           Des commentaires semblables ont été faits dans l’évaluation de M. Turner concernant la saison de l’été 2000, à la pièce C‑1, onglet 9 : [traduction] « Le travail et la collaboration ont été, dans votre cas, des points très solides. Vous m’avez beaucoup aidé à former de nouveaux employés. Vous êtes toujours à la recherche de moyens d’améliorer le service et vous en faites part au reste de l’équipe. »

[80]           M. Perry a signalé que l’apparence de M. Turner était toujours professionnelle et qu’elle respectait les directives de l’Agence. Quand on lui a demandé d’expliquer de quelle façon il aidait à former les nouveaux employés, M. Turner a répondu qu’il leur enseignait comment utiliser les services informatiques et qu’il concevait des scénarios fictifs simulant les contacts avec un aéronef arrivant. Cette arrivée simulée donnait à ses collègues de travail une occasion de parfaire leurs compétences en informatique et d’améliorer leurs aptitudes en tant qu’interrogateurs.

La troisième saison en tant qu’inspecteur des douanes, d’avril 2001 à octobre 2002

[81]           Le troisième emploi saisonnier d’une durée déterminée que M. Turner a exercé était censé prendre fin à l’automne 2001; mais l’attaque terroriste du 11 septembre de cette année‑là a donné lieu à une prolongation de son contrat et à son retour à la Section du secteur maritime au cours de l’été de 2002. Il a expliqué qu’étant donné qu’il travaillait depuis l’été précédent, on l’avait inscrit automatiquement dans un répertoire de candidats en vue d’être admissible à un rappel.

[82]           Me Yazbeck a produit la pièce C‑1, onglet 12, une évaluation d’inspecteur des douanes, faite au milieu de l’été de 2002, établie par le surintendant Trevor Baird de la Section du secteur maritime et portant la signature de M. Turner. À la première page de ce document, il est indiqué que M. Turner se présente de manière professionnelle, même quand les circonstances sont difficiles. M. Turner s’est souvenu que ces [traduction] « circonstances difficiles » se rapportaient à un incident impliquant un voyageur américain agité, qui était arrivé à bord du Coho et dont il avait pu s’occuper comme il faut. Il a déclaré qu’il s’était servi de cet incident pour illustrer l’une de ses compétences dans le cadre d’un concours affiché.

[83]           On a demandé à M. Turner si les fonctions qu’il avait exercées en 2001 et 2002 au CDT ainsi qu’à la Section du secteur maritime étaient différentes de ses fonctions antérieures, et il a répondu que la différence était qu’il avait plus d’expérience et de formation :

[traduction
R. Il n’y avait pas beaucoup de différences, sauf qu’en étant là plus longtemps, j’avais plus d’expérience et je me chargeais d’un plus grand nombre de tâches, des dédouanements, des navires à partir du comptoir avant de la Salle des comptoirs, des vérifications dans (inaudible) le système du CIPC et le SIED, j’avais maintenant plus d’expérience après avoir suivi ma formation, pour effectuer des contrôles auprès du CIPC, des contrôles de casier judiciaire. J’étais maintenant capable de le faire.

Ce qui arrivait donc dans ce cas c’est que, lorsque j’étais au [CDT], des navires arrivaient et, si un agent de la ligne d’inspection secondaire avait besoin de renseignements supplémentaires sur quelqu’un ou voulait que l’on fasse un contrôle de casier judiciaire, il pouvait téléphoner au [CDT] et il n’y avait qu’un très petit nombre d’entre nous qui avions accès au système. Et j’étais donc assez chanceux d’être en mesure d’avoir accès au système. Et je pouvais faire des vérifications concernant des personnes pour le compte du personnel qui se trouvait aux quais.

Q. Et vous indiquez également ici que vous fouilliez et que vous arrêtiez des personnes. Avez-vous, pouvez-vous nous en donner quelques exemples?

R. Certainement. Nous – je donnais un coup de main chaque fois qu’il y avait, chaque fois que je me trouvais à la Section du secteur maritime; j’étais en mesure de donner un coup de main si quelqu’un avait besoin d’aide pour fouiller des personnes peu coopératives […] C’est donc dire que j’ai – aidé bien sûr à faire ce travail, ainsi qu’à arrêter des personnes lorsqu’il était nécessaire de le faire.

Je me souviens d’avoir aidé un jour Terry Klassen […] à arrêter une personne, à la fouiller et à la mettre sous garde. J’ai aussi donné un coup de main pour l’utilisation de l’appareil de détection approuvé, un appareil que l’on utilise, que même la police utilise maintenant dans la rue, pour vérifier si une personne est en état d’ébriété ou non. Et j’étais en mesure de le faire par moi-même quand je travaillais à la Section du secteur maritime. J’ai pu faire passer le test de détection approuvé à une personne qui avait débarqué du Coho et qui, selon moi, était en état d’ébriété. Et j’ai soumis cette personne à l’interrogatoire primaire et je l’ai renvoyée vers la ligne d’inspection secondaire – où j’ai soumis la personne à un interrogatoire primaire. Cette personne a été orientée vers la ligne d’inspection secondaire et, pendant que je fouillais le véhicule, j’ai constaté que là, dans le véhicule, il y avait une odeur d’alcool et j’ai remarqué que, dans l’un des gobelets, il y avait un résidu d’alcool.

J’ai donc pensé qu’il valait mieux soumettre cette personne à un contrôle. Je l’ai donc fait et je me suis rendu compte que cette personne n’était pas en état d’ébriété. Elle a soufflé, mais le résultat n’a été qu’un avertissement. Je l’ai donc essentiellement mise en garde et je lui ai fait savoir que, vous savez, ce n’était pas une chose intelligente à faire, il y avait des enfants dans l’automobile. […] [À] cause des indices que j’avais relevés dans le véhicule, j’avais pu faire passer un test de détection approuvé.

Transcription : volume I, section II, page 85, lignes 16 à 25, page 86, lignes 1 à 25, page 87, lignes 1 à 24.

[84]           Dans le même volet de son témoignage, M. Turner a expliqué qu’il avait suivi un cours portant sur le recours à la force à l’Administration centrale de l’ADRC, un cours qu’il a décrit comme une activité de formation d’une semaine sur le menottage, les techniques de défense à mains nues, ainsi que l’utilisation du bâton et du vaporisateur de poivre, et qu’il s’agissait là d’une condition préalable à l’obtention d’un emploi. M. Turner a également suivi un cours sur les pouvoirs des agents, qui portait sur l’arrestation de personnes et leurs droits, ainsi qu’un cours sur le maniement des armes à feu, offert la fin de semaine sur un champ de tir et où il avait appris comment manier différentes armes à feu, tirer avec ces dernières et charger et décharger des munitions en toute sécurité.

[85]           À la fin de ce volet du témoignage, l’avocat a demandé à M. Turner si son objectif était de devenir un employé à temps plein de l’Agence et s’il s’agissait là d’une chose que ses gestionnaires savaient.

[traduction
R. Oh oui, assurément, oui. Pour ma toute première entrevue, c’est-à-dire en 1998, on m’a informé que ces postes pour lesquels nous postulions – étaient des postes permanents, à temps plein. Et, une fois que j’ai été embauché, on m’a informé qu’il ne s’agirait plus de postes à temps plein, mais juste de postes à durée déterminée.

Transcription : volume I, section II, page 102, lignes 4 à 10.

[86]           M. Turner a témoigné qu’après avoir terminé son troisième contrat d’emploi saisonnier, en octobre 2002, on l’a informé qu’il y avait, au Service fiscal, des emplois disponibles; ce service avait besoin d’aide dans le secteur du service à la clientèle pour prendre des renseignements et répondre à des appels au sujet de questions de nature fiscale, en prévision de la prochaine saison des impôts : Transcription, page 347, lignes 21 à 25; page 348, lignes 6 à 7. M. Turner a occupé ce poste de décembre à avril 2002.

[87]           Les espoirs qu’avait M. Turner de faire une carrière permanente dans le secteur des services frontaliers ont pris fin au cours de son dernier contrat saisonnier à titre d’inspecteur des douanes, du 1er mai au 28 octobre 2003.

[88]           Au cours de cette période, il a présenté sa candidature pour deux autres occasions d’emploi à titre d’inspecteur des douanes, mais on l’a considéré comme non qualifié.

Les concours

d)                 Le concours Victoria 7003

[89]           Le processus de sélection de l’ARC portant le numéro 2003-2092-PAC-3961-7003 (le concours Victoria 7003) est l’un des deux processus de dotation qui font l’objet de la présente instruction de la plainte de M. Turner. Les postes annoncés dans l’avis du 11 octobre 2003 concernant le concours Victoria 7003 étaient des postes permanents, d’une durée déterminée ou de dotation anticipée à titre d’inspecteur des douanes, à Victoria / Sidney (C.-B.) (y compris le port de Bedwell), et il fallait que les demandes soient présentées au plus tard le 30 octobre 2003 (voir la pièce R‑2, onglet 41).

[90]           M. Turner a posé sa candidature pour le concours Victoria 7003; il a passé avec succès les étapes « préalables » du processus et a été interviewé le 18 décembre 2003 par le président du jury de sélection, Trevor Baird, surintendant, Section du secteur maritime de Victoria, ainsi que par les membres du jury de sélection Kathryn Pringle, surintendante, Centre de déclaration téléphonique de Victoria, et Janet Sabo, surintendante, Sidney (voir la pièce C‑2, onglet 43 ainsi que la pièce R‑2, onglets 42 à 48 et 51). Le 5 mars 2004, M. Baird a envoyé à M. Turner une lettre l’informant qu’il avait échoué au concours, car on n’avait pas trouvé qu’il satisfaisait à [traduction] « tous les critères d’évaluation qu’exige[ait] le poste » (pièce R‑2, onglet 50).

[91]           Le concours Victoria 7003 est l’un des trois processus de dotation concernant des postes d’inspecteur des douanes à Victoria pour lequel M. Turner a posé sa candidature et, après une entrevue, a été jugé non qualifié pour être inspecteur des douanes. Les autres étaient : 1) le processus de sélection 2001-CCRA-PAC-3961-7009 (le concours Victoria 7009), dans le cadre duquel M. Turner a été interviewé le 2 avril 2002 (voir la pièce R‑3, onglets 67 et 69), et 2) le processus de sélection 2002-1060-PAC-3961-7012 (le concours Victoria 7012), dans le cadre duquel M. Turner a été interviewé le 13 février 2003 (voir la pièce R‑3, onglets 62 à 64).

[92]           Bien que les circonstances entourant les concours Victoria 7009 (2001) et Victoria 7012 (2002) ne soient pas en litige dans la présente instruction, celles qui s’appliquent au concours Victoria 7012 ont peut-être une certaine pertinence pour ce qui est d’évaluer la crédibilité du surintendant Paul Tarnawski. Ce dernier présidait le comité d’entrevues dans le cadre des concours Vancouver 1002 et Victoria 7012. Nous analyserons ces circonstances plus loin dans la présente décision.

e)                  Le concours Vancouver 1002

[93]           L’avis relatif au concours Vancouver 1002 a été affiché le 9 juin 2003; il s’agissait d’une possibilité d’emploi décrite en ces termes : [traduction] « ce poste […] PM‑02, inspecteur des douanes, district de l’Aéroport international de Vancouver, district Metro Vancouver, district Pacific Highway […] ».

[94]           L’annonce contenait une restriction à l’admissibilité : [traduction] « Les candidats qui ont été interviewés pour ce poste depuis le 1er janvier 2002 ne sont pas admissibles au concours. »

[95]           Le 26 avril 2004, M. Turner a été interviewé par un jury de trois membres – Ron Tarnawski, Mark Northcote et Karen Morin – pour le poste d’inspecteur des douanes annoncé dans l’avis de possibilité d’emploi du 9 juin 2003.

[96]           M. Turner a déclaré qu’avant de présenter sa candidature pour le concours Vancouver 1002, il avait examiné la portée de la restriction à l’admissibilité figurant dans l’avis de possibilité d’emploi et avait conclu que cette mesure avait pour but d’exclure les personnes qui, depuis le 1er janvier 2002, avaient été interviewées à Vancouver pour le poste d’inspecteur des douanes PM‑02. Comme il n’avait pas été interviewé auparavant à Vancouver pour le poste PM‑02 et il souhaitait accéder à un poste d’inspecteur des douanes permanent, il a posé sa candidature et a reçu à remplir un portefeuille des compétences (pièce C‑1, onglet 23). Après avoir présenté un relevé détaillé écrit de ses compétences, M. Turner a été invité à une entrevue, qui a eu lieu le 26 avril 2004. Il a déclaré qu’il s’agissait d’une brève entrevue, présidée par le surintendant Ron Tarnawski; les autres membres du jury étaient M. Northcote et Mme Morin. M. Turner a dit de la pièce « onglet 64 » (volume 3) qu’il s’agissait de notes des membres du jury M. Northcote et Mme Morin sur le processus d’entrevue, disant qu’il avait obtenu une note de passage de 70 et [traduction] « atteint » le niveau de compétence requis. Ces notes étaient biffées et une inscription disait : [traduction] « non qualifié pour l’entrevue, visé par la restriction sur l’affiche ». Transcription : volume I, section II, page 125, lignes 7 à 11.

[97]           L’avocat de l’ASFC a admis que, n’eût été la restriction à l’admissibilité, M. Turner aurait été inscrit dans un répertoire de candidats potentiels qualifiés.

[traduction
Me Stark : […] Loin de moi l’idée de mettre des mots dans la bouche de mes témoins, mais, pour ce qui est de la position générale de l’intimée, l’intention de la restriction à l’admissibilité n’était pas d’empêcher des candidats qui avaient eu de bons résultats, par exemple, à Victoria ou ailleurs, de présenter leur candidature à Vancouver.

L’intention était d’exclure les personnes qui avaient été jugées auparavant non qualifiées dans – dans les concours concernant le poste d’inspecteur des douanes. Et, dans ce cas particulier, comme il avait été conclu que M. Turner n’avait pas réussi à Victoria, il enfreignait cette restriction à l’admissibilité.

Et cela s’explique tout simplement par le fait que, si quelqu’un avait été évalué au cours des deux années précédentes, ce – ce n’est pas – là encore, je m’exprime en termes très simples, mais essentiellement cela ne vaut pas la peine de soumettre quelqu’un à tout le processus de concours quand cette personne a déjà été – a déjà posé sa candidature et n’a pas répondu aux critères. Le sentiment, la conviction, c’est qu’il est préférable que ces personnes acquièrent davantage d’expérience afin de pouvoir se présenter de nouveau et, après un certain temps pendant lequel elles ont pu parfaire leurs compétences, les améliorer, acquérir plus d’expérience, alors elles peuvent être réévaluées plus tard. […]

Il n’y a pas d’autre raison pour laquelle il a été exclu; il s’agit de la restriction à l’admissibilité. Il y a quelques autres facteurs contextuels aussi, qui ne concernent pas la raison pour laquelle il a été jugé non qualifié, mais il s’agit de certains faits dont le jury de sélection était au courant.

[Non souligné dans l’original.]

Me Yazbeck : Très bien. Donc, juste pour que ce soit clair, il a été exclu uniquement à cause de la restriction à l’admissibilité, mais vous dites qu’il y avait d’autres faits dont le jury était au courant et qui auraient pu avoir une incidence sur la manière dont il a été traité.

Me Stark : Exact.

Me Yazbeck : Très bien. Je crois que je sais de quoi il s’agit. C’est parfait.

Transcription : volume I, section II, page 121, lignes 20 à 25; page 122, lignes 1 à 15; page 123, lignes 1 à 13.

[98]           L’avocat du plaignant a produit la pièce « onglet 66 », des notes que M. Tarnawski avait prises au cours de l’entrevue et qui indiquent : [traduction] « […] nous avons constaté que Levan avait été interviewé moins d’un an plus tôt et, à cause de la restriction que comportent nos processus, Levan n’avait pas le droit de poser sa candidature pour ce concours ».

[99]           L’avocat a demandé à M. Turner s’il avait été question de la restriction à l’admissibilité au cours de l’entrevue.

[traduction

R. Non. Il n’en a pas été question. Voulez-vous dire le fait que je serais exclu?

Q. Non […] la question de votre participation – la restriction […]?

R. Oh, oui, ils me l’ont mentionnée en disant que, vous savez, en me demandant si j’avais été interviewé plus tôt pour ce poste.

Le président : Est-il vrai que vous aviez été interviewé moins d’un an plus tôt?

R. Oui, parce que j’avais passé une entrevue pour le concours de Victoria, mais pas pour – quand ils disent ce poste, à l’exception du concours de Victoria, et c’était là la raison de l’avis.

Transcription : volume I, section II, page 127, lignes 2 à 18.

[100]       M. Turner a déclaré que, quand il était entré dans la salle d’entrevue, il avait reconnu M. Tarnawski, le président du jury qu’il l’avait interviewé à Victoria au printemps de 2003, et il avait dit à M. Tarnawski qu’ils s’étaient déjà vus auparavant.

[traduction

Q. […] et il a dit oui, je me souviens de la voix et de la présence.

R. Oui, et c’est la façon dont il l’a dit : « Oui, je me souviens de la voix et de la présence ».

Q. Très bien. Vous avez mentionné que vous étiez le seul agent noir à Victoria. Est-ce là votre témoignage également?

R. Oui.

Q. De quelle façon la question de votre entrevue antérieure est-elle venue sur le tapis? Par exemple, quelle a été la nature de l’échange?

R. Eh bien, quand je me suis assis pour l’entrevue on m’a demandé si j’avais déjà été interviewé, et Ron Tarnawski a mis la main sur la table : « pour ce poste ». Et j’ai dit que non, et il a ensuite dit : okay, et nous avons poursuivi l’entrevue. (Transcription : volume I, section II, page128, lignes 22 à 25; page 129, lignes 1 à 12.)

[101]       M. Turner a déclaré qu’une semaine après l’entrevue, il avait reçu un appel téléphonique de Mme Karin Morin, membre du jury, qui lui avait expliqué que le jury s’était penché sur l’affaire et avait constaté qu’on l’avait déjà interviewé à Victoria et que, de ce fait, le processus prendrait fin.

[traduction
R. Et c’est environ 15 minutes plus tard, je crois, que j’ai reçu un appel de Ron Tarnawski, le président du jury, qui m’a dit : permettez-moi d’expliquer exactement ce que je voulais dire; c’est uniquement parce que vous avez échoué au concours de Victoria, où l’on vous a exclu parce que vous aviez échoué. Et nous avons ensuite parlé du fait que cela n’avait aucun sens parce que si vous avez échoué ce n’est pas ce que – ce n’est pas ce qui est indiqué sur l’avis. […]

[…] Mais, d’après ce que j’ai pu comprendre, c’était, si vous étiez à Victoria et si vous réussissiez, d’après ce qu’il voulait que je croie, alors vous pouviez […] poser votre candidature et être qualifié de nouveau pour Vancouver, mais, selon moi, cela n’avait aucun sens. […] et j’ai dit : « eh bien, cela n’a aucun sens, parce qu’il y a des gens qui se présentent et qui ont déjà réussi, dans ce cas pourquoi leur feriez-vous subir de nouveau un test à Vancouver? » Et il a dit : « eh bien, jury différent, questions différentes ».

Transcription : volume I, section II, page 132, lignes 1 à 9 et 13 à 18.

[102]       À la suite de cette conversation, M. Turner a reçu une lettre, la pièce « onglet 68 », datée du 1er juin 2004, de la part de M. Tarnawski et de M. Northcott, disant : [traduction] « […] si vous avez passé une entrevue pour le poste susmentionné depuis le 1er janvier 2002, vous n’avez pas le droit de vous présenter à ce concours ».

[traduction
Q. Et, juste pour que les choses soient claires, le « poste susmentionné » est le poste de Metro Vancouver. Aviez-vous été interviewé pour ce poste auparavant?

R. Non […]

Le président : Puis-je juste clarifier quelque chose ici? Vous avez dit que M. Tarnawski avait déclaré lors de la conversation téléphonique que, parce que vous aviez échoué au concours de Victoria, vous n’aviez pas le droit de présenter votre candidature pour le poste de Vancouver.

R. C’est exact.

Le président : Et cela s’est passé en avril 2004?

R. De 2004.

Le président : Et vous avez reçu cette lettre […] le 1er juin 2004.

R. Oui.

Le président : Et si l’on examine le premier paragraphe, comment l’avez-vous compris?

R. J’ai compris que, si j’avais été interviewé pour le concours susmentionné, où il est dit, où l’on mentionne expressément Metro Vancouver, Pacific Highway et l’Aéroport international de Vancouver, que je n’étais pas admissible à ce concours. Et je n’avais pas passé d’entrevue pour ce poste‑là et c’est la raison pour laquelle je me posais des questions. Même si cela est indiqué, que c’est ce que c’est, c’est quand même la même chose que sur l’avis. Je n’avais pas passé d’entrevue pour ce poste-là.

Le président : Et ensuite, vous avez écrit une lettre à –

R. Oui, effectivement, parce que je voulais être sûr de recevoir quelque chose par écrit. On dit ici que, si j’ai besoin de renseignements, je devais présenter une demande par écrit. J’ai donc envoyé une lettre –

Me Yazbeck : Il s’agit de l’onglet 69.

R. L’onglet 69, merci. Je remerciais les membres du jury de m’avoir donné la possibilité de poser ma candidature et je voulais, je leur ai dit que j’avais reçu ma lettre d’exclusion et que je voulais qu’ils mettent par écrit ce dont il avait été question lors de la conversation téléphonique que j’avais eue avec eux. Et je voulais qu’ils vérifient, et j’ai dit que je ne m’étais pas inscrit pour les endroits indiqués dans le concours. […]

Le président : Je devine que leur réponse a été, j’imagine que le poste était celui d’inspecteur des douanes et que le lieu importait peu? Est-ce là l’explication qu’ils vous dont donnée?

R. Ils ont dit, oui, c’est le poste. Mais pas d’après ce qui est indiqué sur l’avis. Ce dernier, d’après ce qu’on m’a amené à croire, l’avis porte sur ce qu’il y est dit, qu’il s’agissait d’un poste à Metro Vancouver. Et le poste, même si c’est un poste d’inspecteur des douanes, est tout à fait différent dans un aéroport de grande taille qu’ici, dans un port maritime. Il ne me viendrait même pas à l’idée que (inaudible) on dit qu’il s’agit du même poste exactement.

Transcription : volume I, section II, page 135, lignes 20 à 25; page 136,
lignes 1 à 2 et 12 à 25; page 137, lignes 1 à 25; page 140, lignes 1 à 23.

[103]       Le président a posé d’autres questions à M. Turner afin de vérifier si ce dernier croyait que l’avis concernait la catégorie générale des inspecteurs des douanes ou les inspecteurs des douanes à Vancouver. M. Turner a réitéré sa conviction que la possibilité d’emploi concernait le poste d’inspecteur des douanes à Metro Vancouver.

[traduction]

Le président : Et ensuite, si je passe à l’onglet 75, dans la réponse de l’Agence à votre plainte auprès de la Commission des droits de la personne, à la page 566, on dit : « Lors de votre entrevue du 26 avril 2004, on vous a informé de la restriction indiquée sur l’avis : les candidats qui ont été interviewés pour ce poste depuis le 1er janvier 2002 ne sont pas admissibles au concours. Quand on lui a demandé à l’entrevue s’il avait déjà présenté sa candidature pour le poste depuis le 1er janvier 2002, M. Turner a répondu que non. »

R. C’est exact.

Le président : À l’entrevue, vous a-t-on demandé si vous aviez présenté votre candidature pour le poste depuis le 1er janvier 2002?

R. Oui, on me l’a demandé.

Le président : Que vous a-t-on demandé exactement?

R. On m’a dit : avez-vous jamais présenté votre candidature, et Ron Tarnawski a dit : pour « ce poste », et il avait une copie du poste, de l’avis, sur son bureau; il a dit : pour « ce poste ». Quand on fait cela, je présume qu’il s’agit, vous savez, qu’il est question du poste de Vancouver. Jamais je n’avais présenté ma candidature pour Vancouver auparavant – ou plutôt, excusez-moi, jamais je n’avais été interviewé auparavant pour Vancouver. […]

Le président : Et comment avez-vous compris la question?

R. C’était qu’il faisait simplement référence au poste à l’Aéroport international de Vancouver de Metro Vancouver. Parce qu’avant cela, les postes étaient toujours distincts.

Transcription : volume I, section II, page 155, lignes 4 à 25;
page 156, lignes 1 et 8 à 12.

[104]       L’avocat du plaignant a aussi posé à M. Turner d’autres questions sur le sujet :

[traduction
Q. M. Turner, passons maintenant à l’onglet 80. […] Il s’agit d’une autre lettre à (sic) [de] l’Agence à la Commission, qui décrit le poste. Cette lettre date de février 2007. Et j’aimerais vous amener à la page 624, c’est-à-dire la seconde page de la lettre. Le second paragraphe, le paragraphe complet, qui commence par : « Il a aussi été conclu que M. Turner ne disait parfois pas la vérité. Par exemple, lorsqu’il a posé sa candidature pour le poste et a déclaré qu’il n’avait pas déjà été candidat lors d’un concours récent, on a conclu qu’il ne disait pas la vérité. » Je m’arrête ici. Avant d’avoir vu cette lettre, étiez-vous au courant que l’Agence avait conclu que ce que vous aviez déclaré au sujet de la présentation de votre candidature pour le poste n’était pas véridique?

R. Non, pas du tout. Cela ne m’était pas venu à l’esprit avant que j’obtienne ceci au moyen de ma (inaudible) demande.

Q. Et l’Agence vous a-t-elle jamais donné la possibilité d’expliquer, de répondre à l’allégation selon laquelle vous ne disiez pas la vérité (sic)?

R. Non.

Q. Et, dans le même paragraphe, on dit que vous avez enjolivé votre curriculum vitæ au sujet de vos fonctions d’agent de police, que là encore ce n’était pas vrai. Tout d’abord, avez-vous jamais indiqué dans votre curriculum vitæ, ou ailleurs, que vous étiez agent de police?

R. Non, pas du tout.

Q. Très bien, qu’avez-vous dit que vous étiez?

R. J’ai dit que j’étais un agent de police auxiliaire, avec plus de 2 000 heures d’expérience bénévole.

Transcription : volume I, section II, page 164, lignes 16 à 25;
page 165, lignes 1 à 19.

Le contre-interrogatoire de Levan Turner

[105]       En contre-interrogeant M. Turner, l’avocat de l’intimée avait pour tâche de trouver une explication logique pour la décision, prise par un comité d’examen de la direction dans le cadre du concours Victoria 7003, selon laquelle M. Turner n’avait pas les compétences et les aptitudes requises pour être réembauché comme inspecteur des douanes, une fonction qu’il avait exercée pendant les quatre années précédentes. Cette conclusion, à savoir que M. Turner n’avait pas pu démontrer ses compétences, a été tirée après une entrevue de deux heures au cours de laquelle les membres du jury menant l’entrevue ont fait abstraction du fait qu’ils savaient personnellement que M. Turner avait été évalué chaque année et avait obtenu des examens du rendement positifs pendant les quatre années où il avait travaillé comme inspecteur des douanes dans le cadre d’un contrat saisonnier.

[106]       Le contre-interrogatoire de l’avocat de l’intimée avait pour but d’essayer de montrer que les gestionnaires de l’intimée, du fait de leurs examens positifs concernant M. Turner en tant qu’inspecteur des douanes, n’auraient pas pu exercer à l’endroit de M. Turner des actes contemporains de discrimination ou de traitement différent, tant avant que pendant le processus d’entrevue.

[107]       À son point culminant, le contre-interrogatoire de l’intimée n’est pas parvenu à atténuer l’allégation de discrimination du fait de la race, de l’âge et de la déficience à l’endroit de M. Turner. Transcription : volume 2, section 3, pages 137 à 145.

[108]       Au sujet des [traduction] « Objectifs » et des [traduction] « Attentes en matière de rendement » :

[traduction
Q. Le premier est de « fournir un service de qualité à nos clients internes et externes » et voici l’évaluation que l’on a faite de vous, M. Turner : « Levan continue de fournir, année après année, un service de qualité au public voyageur ainsi qu’à ses pairs. Un exemple de cela est la formation en cours d’emploi de nouveaux employés. Levan fait preuve de courtoisie et de savoir auprès du public voyageur afin que celui-ci sache quels sont ses droits et ses obligations. »

Maintenant, M. Turner, vous avez dit, et le fondement de votre plainte, est qu’il y avait quelque chose qui clochait. Votre employeur avait quelque chose à vous reprocher, est-ce exact, sur le plan du poids –

R. Oui.

Q. – de l’âge? –

R. Exact.

Q – de la race?

R. Oui.

Q. Ce n’est certainement pas ce qui ressort de vos examens du rendement, n’est‑ce pas?

R. Non.

Q. De façon systématique, dans tous ces examens du rendement, ils vous ont évalué favorablement?

R. Oui. C’est pourquoi j’ai été stupéfait de recevoir en fin de compte ce courriel de Terry.

Q. Donc, s’il y avait une intention calculée de vous traiter de façon inéquitable, vous vous attendiez à tout le contraire? Vous vous attendriez à ce que ces – ces – la différence de traitement, la discrimination, qu’elle commence à apparaître sous la forme d’évaluations négatives dans vos examens du rendement, n’est-ce pas?

Me Yazbeck : Non, je vais formuler une objection. Je ne – mon collègue demande au témoin de présumer ce que les gestionnaires de l’Agence ont pu faire pour se livrer à cette tentative calculée.

Le président : Je crois qu’il s’agit d’une question valable, Me Stark.

M. Turner : Désolé, pourriez-vous la répéter?

[…]

Q. Ne pensez-vous pas que, s’il y avait une intention calculée, ils auraient commencé par faire des remarques défavorables sur vous à propos de votre rendement?

R. Non, et la raison pour cela est que, vu qu’il s’agit d’un organisme gouvernemental, je ne pense pas qu’on voudrait inscrire quelque chose comme cela, surtout par rapport à la race, l’âge ou le poids, dans un document écrit quelconque. Ce serait suicidaire.

Q. Absolument, mais, pour ce qui est de l’évaluation globale de vos aptitudes et de vos compétences, elle n’est pas neutre, n’est-ce pas?

R. Non.

Q. Elle est très nettement favorable.

R. Correct.

Q. S’il y avait eu une intention calculée de leur part de faire preuve de discrimination à votre endroit, ils auraient pu faire des commentaires neutres –

R. Et ensuite, j’aurais pu contester.

Q. Mais ils ne l’ont pas fait, n’est-ce pas? Ils vous ont donné des références très élogieuses dans presque toutes les catégories?

R. Oui, c’est ce qu’ils ont fait.

Q. Très bien.

R. Oui.

Q. Les seules préoccupations que – les deux préoccupations, celles que je vous ai mentionnées au sujet du fait de – la manière dont vous portez les questions à l’attention de la direction et comment vous demandez de le faire de manière constructive, et il y a ensuite les problèmes avec Terry Klassen dont nous allons parler dans une seconde? Il s’agit là des seules préoccupations portées à votre attention.

R. Eh bien, l’autre ne l’a pas été, pas que je m’en souvienne, mais oui.

Q. Très bien.

Le président : Mais M. Klassen n’a pas été porté à votre attention?

R. Eh bien, pas à ce stade-ci. Il devait en parler après mon examen du rendement. Oui, nous avons eu cette discussion.

Q. Bien. Très bien, et, si nous passons au second objectif sur cette première page, page 2‑33 du recueil des documents, l’objectif est – le but est : « prendre des décisions appropriées qui cadrent avec les priorités des douanes dans un milieu en constante évolution », et l’évaluation qui a été faite est : « Levan continue d’apprendre et d’appliquer ses connaissances. Il est donc en mesure de fournir aux clients un meilleur service et de meilleures options. Il est capable de fonctionner seul dans le secteur commercial BBO et Clipper. Il lui est arrivé de jouer un rôle de chef de file lorsque le surintendant n’était pas sur les lieux ».

Là encore, il s’agit là d’une évaluation très favorable, n’est-ce pas – une évaluation de votre travail?

R. Oui.

Q. Ce n’est pas neutre?

R. Non.

Q. Il s’agit d’un message clair que la direction, pour ce qui est de votre rendement, est satisfaite de la façon dont vous faites votre travail?

R. Oui, avec – Terry l’est en tout cas, oui.

Q. Très bien.

R. Parce que, ne l’oubliez pas, ce n’est signé que par une seule personne.

Q. Maintenant, vous avez mentionné que ce n’est signé que par une seule personne. Je ne vais pas contester cela. Je veux juste que vous confirmiez et reconnaissiez qu’au-delà de ces objectifs, on y voit les noms ou le nom d’un gestionnaire, et il y a trois personnes ici. Il y a M. Gibbons.

R. Exact.

Q. T. Klassen et R. Pinninger.

R. Oui.

Q. Ils étaient, en fait, votre équipe de direction, celle qui vous supervisait?

R. Eh bien, Terry était surintendant intérimaire, et les deux autres étaient – je crois que Mara était surintendante intérimaire et que Rick était surintendant, alors, oui. J’ignore s’ils ont réellement lu cela ou s’ils l’ont signé – ou quoi que ce soit d’autre, je ne peux donc pas le certifier.

Q. Très bien.

R. Vous aller devoir le leur demander.

Q. Très bien, et sous ce troisième objectif, on peut lire : « Communique efficacement avec les clients et les membres de l’équipe », et votre évaluation est la suivante : « Après avoir observé Levan, ce dernier a montré qu’il est capable d’être clair et concis avec les voyageurs et les membres de l’équipe. Les communications avec les surintendants, par l’intermédiaire du Rapport éclair, ont été minimes ».

R. Exact.

Q. Et je considère que « les communications avec les surintendants par l’intermédiaire du Rapport éclair ont été minimes », il s’agit là d’un commentaire favorable, plutôt que défavorable ––

R. Oui.

Q. Très bien, là encore, il s’agit là d’un commentaire favorable, d’une évaluation positive, sur ce plan?

R. Oui.

Q. L’objectif suivant est le numéro 4, de l’autre côté de la page. Il indique : « Travaille en collaboration avec les membres de l’équipe et d’autres équipes », et ensuite, la réponse et elle se rapporte à vous : « Après avoir observé Levan, j’ai constaté qu’il donnait souvent un coup de main pour les navires de croisière, ainsi que pour l’établissement des tableaux de service quotidiens. Levan s’est montré disposé à jouer un rôle de chef de file quand on lui en faisait la demande et il a fourni des conseils aux nouveaux employés. »

R. Oui, cela montre que je travaillais pas mal fort, oui.

Q. Et est-ce là une représentation juste de votre travail?

R. Oui.

Q. Pas une représentation injuste? Elle représente le rendement dont vous faisiez preuve?

R. Oui. On y dit que j’étais un bon employé et que je travaillais fort, et j’étais vraiment occupé.

Q. Maintenant, en dernier lieu, sur cette page et dans ce document, on dit : « 5; assure l’application équitable, responsable et efficace de nos programmes » et, ensuite, votre évaluation est : Levan a une bonne connaissance de l’application des mesures douanières ainsi que du processus de P.O. C’est ce que dénotent les mentions suivantes : saisies 8-1-1, – trait d’union – 6002 – 6063 et 2 mandats OP et « avertissement DDA »?

R. C’est exact.

Q. Il s’agit là d’une bonne évaluation, n’est-ce pas?

R. Oui – effectivement. Cela montre que j’étais un bon inspecteur des douanes.

Q. Très bien, maintenant, de l’autre côté de la page, c’est là – il s’agit essentiellement de la page de signature.

R. Oui.

Q. Il y a quelques derniers – et on donne comme évaluation que vous répondez aux objectifs d’évaluation généraux?

R. C’est exact.

Q. Très bien, il y a une autre catégorie au-dessus qui, je le suppose, elle excède, mais on a certainement jugé que vous répondiez aux critères appropriés?

R. C’est exact.

Q. Et, ensuite, le gestionnaire a écrit quelques commentaires ici. Il dit : « À l’appui de l’évaluation générale, rédigez un bref énoncé », et il a répondu ceci, il a essentiellement dit : « admissible à être réembauché »?

R. Exact.

Q. Donc, à en juger par cet examen du rendement, et il s’agissait en fait du dernier, je suppose, que vous étiez – cet examen a été fait pendant que vous travailliez à l’ASFC?

R. Oui.

Q. S’agit-il d’un examen très favorable?

R. Oui.

Q. Et, il est clairement indiqué ici que vous êtes admissible à être réembauché?

R. C’est exact.

Q. Il s’agit d’une indication claire, au moins, que la direction veut vous ravoir la saison suivante?

R. Eh bien, c’est une indication claire que je peux être réembauché à cause de mes qualifications.

Q. Très bien.

R. Cela ne dit pas que la direction veut me ravoir.

Q. Très bien.

R. Ça dit juste que je peux être réembauché. Il y a une différence.

La preuve prima facie – le seuil en matière de preuve

[109]       Je conclus que le témoignage que M. Turner a fait en contre-interrogatoire a étayé son témoignage direct et digne de foi; que son témoignage à lui seul, selon la prépondérance des probabilités, établit l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, tel qu’il est allégué, à l’encontre de l’intimée.

[110]       Par ailleurs, le témoignage de M. Turner se renforce lorsqu’on le considère dans le contexte du long témoignage qu’a fait M. Chris Hughes au sujet des pratiques et des procédures de l’intimée en matière d’emploi.

E.                 Le témoin Terry Berent Klassen

[111]       M. Klassen a déclaré qu’il exerçait les fonctions d’agent des services frontaliers et qu’il était au service de l’ASFC depuis 18 ans. Il avait passé les huit dernières années à Victoria, où il avait appris à connaître M. Turner en tant que collègue de travail, surtout au cours de l’été 2003 quand, à titre de surintendant intérimaire au sein de la Section du secteur maritime, il le supervisait.

[112]       Quand l’avocat de l’intimée a demandé qu’on explique le processus suivi pour évaluer le rendement d’un employé, M. Klassen a décrit les buts et les objectifs qui sont exposés aux employés au début de l’été et que [traduction] « […] à la fin de l’été, nous les rencontrions de nouveau et jetions un coup d’œil aux buts et aux objectifs, et nous leur faisions savoir ce que nous pensions; soit ils les atteignaient, soit ils ne les atteignaient pas ». Transcription : 19 janvier 2009 : page 15, lignes 15 à 18.

[113]       M. Klassen a identifié la pièce « onglet 77 » (dans le volume 3 – Recueil des pièces de l’intimée), un document daté du 26 septembre 2003, comme étant le rapport sur le rendement de M. Turner qu’il avait passé en revue avec ce dernier ce soir-là.

 

[traduction] 
Me Stark : Avez-vous eu une longue discussion avec M. Turner au sujet de son rendement cette année-là?

R. L’évaluation du rendement que nous avons ici devant nous aurait probablement duré, je ne sais pas, 10 à 15 minutes peut-être, après quoi Levan et moi y aurions apposé notre signature, je lui en aurais donné une copie, et ensuite nous aurions parlé un peu plus […] quant à la façon dont Levan était perçu, comment les surintendants de l’ASFC à Victoria considéraient son éthique du travail.

Transcription : 21 janvier 2009 : page 24, lignes 3 à 8 et 14 à 16.

[114]       Lors du témoignage de M. Klassen sur l’éthique du travail de M. Turner, le président est intervenu, a dit à M. Klassen qu’il était encore très vague et a enjoint l’avocat de l’amener sur la bonne voie. L’avocat de l’intimée a ensuite produit la pièce « onglet 80 », que M. Klassen a identifiée comme étant un courriel envoyé à lui-même et portant sur la discussion qu’il avait eue avec M. Turner après avoir passé en revue et signé l’évaluation. Le texte de ce courriel est en partie le suivant :

[traduction
[…] Je suis alors entré dans le vif du sujet et j’ai commencé à parler de la façon dont il est perçu, c’est-à-dire qu’il se soustrait parfois aux tâches plus difficiles, ou qu’il connaît la bonne procédure (une tâche difficile) à exécuter, mais demande « conseil » au surintendant dans l’espoir que ce dernier se serve de son pouvoir discrétionnaire et choisisse la voie la plus facile. Je lui ai aussi fait remarquer que d’autres inspecteurs s’étaient plaints du fait qu’il laissait les décaissements à d’autres au lieu de s’en occuper lui-même durant son quart. Ces éléments lui ont été soumis de manière très bienveillante, et Levan a réagi avec stupeur, mais pas de manière défensive. Il a passé son temps à dire que cela va à l’encontre de son éthique de travail ou de sa nature, ainsi que de la façon dont il voit le monde. Il a demandé pourquoi on ne lui en avait pas parlé auparavant et j’ai répondu que je l’ignorais et que ce n’était donc pas inclus dans son évaluation parce qu’on ne le lui avait pas dit et qu’il ne pouvait pas y répondre ou prendre des mesures correctives. Il a estimé que, si les surintendants lui avaient fait part à ce moment de leurs préoccupations, il aurait pu expliquer ses gestes de façon à ne pas être perçu comme une personne que les tâches difficiles rebutent.

J’ai ensuite expliqué que cette perception existait depuis quelques étés et qu’il s’agissait là d’un aspect qu’il devrait améliorer l’année suivante en exécutant ces tâches difficiles et en étant conscient de ses décisions, de façon à éviter d’opter pour la voie facile. Je lui ai rappelé que ce n’était pas ainsi qu’on le percevait tout le temps, mais que je le considérais plutôt comme un excellent communicateur qui travaillait bien avec le public et qui continuait d’approfondir ses connaissances. […]

[115]       Quand on l’a interrogé sur le courriel, M. Klassen a déclaré ce qui suit :

[traduction
M. Klassen : L’information que l’on trouve ici ne se reflète pas dans son évaluation parce que Levan n’avait pas été mis au courant de ces points. Il est donc injuste de fonder son évaluation sur ces perceptions ou ces observations, parce qu’on n’en avait pas discuté avec lui à ce stade, jusqu’à ce moment. C’est la raison pour laquelle vous ne voyez aucune de ces observations, préoccupations ou perceptions dans l’évaluation du rendement de 2003, de l’été 2003.

J’ai donc eu cette conversation avec Levan en prévision de son retour chez nous en 2004, car j’avais recommandé qu’il soit réembauché. Ensuite, le surintendant qui serait le sien l’année suivante pourrait avoir – pourrait voir que cette conversation avait eu lieu avec Levan et, comment dire, il aurait pu travailler avec lui afin de s’assurer que ces objectifs, ces points d’apprentissage, étaient atteints l’année suivante.

L’avocat de l’intimée : Très bien. Maintenant, qui – est-ce que quelqu’un, peut‑être l’un des autres surintendants, vous a demandé d’avoir cette conversation avec M. Turner?

M. Klassen : Je crains de ne pas m’en souvenir. Ce serait – je pense que c’était une initiative de ma part, mais je crains qu’il ne s’agisse que d’une supposition.

Transcription : page 26, lignes 5 à 25, page 27, lignes 1 à 3.

[116]       Le président est intervenu de nouveau et a demandé à M. Klassen si son courriel avait trait à la discussion qu’il avait eue avec M. Turner après l’examen du rendement.

[traduction
R. J’ai soulevé ces questions, oui, à partir de ce courriel – désolé, j’ai soulevé – j’ai parlé avec Levan de ces problèmes différents, des perceptions que l’on avait au sujet de lui; j’ai ensuite résumé le tout et j’en ai fait part au chef dans ce courriel.

Transcription : page 1764, lignes 2 à 6.

[117]       Le président a persisté et a demandé pourquoi le courriel, la pièce « onglet 80 », n’avait pas été envoyé à M. Turner. La réponse de M. Klassen paraît valable; cependant, en contre‑interrogatoire, elle s’est révélée être une exagération irresponsable et non une réponse factuelle.

[traduction
Le président : Vous avez écrit ceci, selon ceci, vous l’avez rédigé le 3 octobre et il a été envoyé à Diane Cavalaars et aux autres surintendants le lendemain.

R. Oui, c’est – je crois que j’avais probablement le courriel sous forme d’ébauche depuis un certain temps et que – je m’excuse, je ne me souviens pas si j’ai commencé à le rédiger aussitôt après m’être entretenu avec Levan ou s’il s’est écoulé quelques jours avant que je commence à le faire.

Le président : Donc, le courriel qui expose les détails, nous l’avons déjà vu auparavant, je crois, et sans le passer en revue en détail, il s’agit là des préoccupations que d’autres avaient exprimées, et le courriel reflétait aussi quelques-unes de vos propres préoccupations?

R. C’est exact, avec certaines des préoccupations des autres surintendants et certaines de mes préoccupations. […]

Le président : Pourquoi ne pas lui avoir transmis ce courriel et l’avoir porté à sa connaissance […]

R. […] Je crains de ne pas savoir pourquoi il n’en a pas reçu une copie, pourquoi je ne lui ai pas transmis une copie du courriel à ce moment-là.

Transcription : page 29, ligne 25, page 29, lignes 1 à 25, page 33, lignes 22 à 25, page 34, lignes 8 à 10.

[118]       À un moment donné, l’avocat de l’intimée a tenté d’obtenir de M. Klassen qu’il clarifie son témoignage au sujet de l’origine des perceptions concernant M. Turner.

[traduction
Me Stark : Très bien. Vous dites là aussi que c’est la façon dont il est perçu. S’agit-il de la perception d’autres personnes, ou de la vôtre?

M. Klassen : La perception de la façon dont il était perçu était – aurait été celle d’autres surintendants, ainsi que de certains de ses collègues de travail.

Le président : […] où est-ce que cela est dit, la façon dont il est perçu?

Me Stark : Nulle part. Je lui pose de façon générale une question sur le sujet. Ce n’est pas dans son courriel, même si je fais référence, en un sens je suppose, à la première ligne, qui dit qu’il était entré dans le vif du sujet et qu’il avait commencé à parler de la façon dont il était perçu?

[119]       M. Klassen a qualifié de table ronde la réunion des surintendants tenue à la fin de l’été, mais il n’a nommé comme participants que lui-même, Rick Penneger et Mara Gibbons; c’était Rick Penneger qui [traduction] « […] [avait] fait des commentaires liés à certaines de ces perceptions selon lesquelles il cherchait une solution facile, […] qu’il n’aidait peut‑être pas autant que certaines des autres agents ». Transcription : 21 janvier 2009 : page 36, lignes 19 à 25; page 37, lignes 1 à 6 et 24 à 25; page 38, lignes 1 à 6.

[120]       En contre-interrogatoire, M. Klassen a admis que le seul incident dans lequel M. Turner avait censément opté pour une voie facile n’était pas un incident lié à des mesures d’application de la loi. Il s’agissait plutôt d’une situation de nature procédurale, concernant des documents à remplir, une tâche qui aurait pu prendre jusqu’à une heure à accomplir. M. Klassen a convenu avec Me Champ, l’avocat du plaignant, qu’il était vraisemblable que M. Turner avait à l’esprit les intérêts du voyageur. M. Klassen a convenu que M. Turner avait proactivement mis au point un moyen permettant aux agents d’expérience de prendre part à des cercles d’apprentissage avec de nouveaux agents, un exemple positif de l’éthique du travail de M. Turner. Néanmoins, il a obstinément persisté à dire que ce seul incident impliquant un voyageur tardif était un raccourci, et que cela cadrait avec la perception que les surintendants avaient de M. Turner.

[121]       Malgré le caractère parfois hésitant et vague du témoignage de M. Klassen, il établit hors de tout doute que les surintendants de Victoria avaient tendance à présumer, sans preuve, que M. Turner évitait d’accomplir la totalité de ses fonctions – des présomptions qu’ils intellectualisaient comme des « perceptions » négatives – sachant fort bien que le fait de percevoir M. Turner comme un fainéant était diamétralement opposé à leurs propres évaluations élogieuses, mises par écrit dans des examens du rendement, dans chacune des cinq années où il avait travaillé comme inspecteur des douanes nommé pour une durée déterminée.

[122]       Le fait que M. Klassen ait envoyé son courriel au surintendant en chef et à d’autres surintendants le 4 octobre 2003, une semaine seulement avant la publication d’un avis, daté du 11 octobre 2003, annonçant la tenue du concours Victoria 7003, met en doute l’impartialité des membres du jury qui ont interviewé M. Turner, ainsi que celle de leur conclusion selon laquelle il ne possédait pas les qualités requises pour continuer à travailler comme inspecteur des douanes.

F.                 Le témoin Trevor Baird

[123]       Au moment de son témoignage, M. Baird travaillait pour l’ASFC et l’agence qui l’avait précédée, l’ADRC, depuis quinze ans et il exerçait les fonctions de chef des opérations au port de Prince Rupert. M. Baird avait passé auparavant quelque temps au sein du secteur des opérations de l’ASFC dans le Lower Mainland, y compris au sein de l’Équipe d’intervention mobile, qui s’occupait de l’application de la loi, ainsi qu’à Victoria, de 1999 à 2004, et il avait accédé au poste de surintendant en 2002.

[124]       Affectations de travail des inspecteurs des douanes au point d’entrée de Victoria.

[traduction
Le président : Lorsque vous êtes surintendant dans le secteur maritime, vous êtes chargé d’un quart particulier; est-ce juste l’agent qui décide où il va aller? Et, si vous travaillez au CDT et s’il n’y a pas grand-chose à faire, eh bien, je me dis : je vais aller faire un tour au secteur maritime, ou je vais aller faire un tour à la ligne d’inspection secondaire, dans les traversiers, ou alors je vais simplement rester assis ici et ne rien faire, ou je vais juste aller me promener un peu. Les choses sont-elles aussi souples que cela?

R. […] La façon dont c’est structuré, c’est que nous nous sommes scindés – Victoria est scindée en des unités de travail précises. […] Le Centre de déclaration téléphonique a donc un surintendant qui est chargé de gérer cet élément-là de l’opération.

La Section du secteur maritime, qui est chargée de toutes les opérations de traitement extérieures, ce qui englobe les navires de croisière, les traversiers, les aéronefs, les bateaux de plaisance, les hydravions, etc., compte parfois jusqu’à trois surintendants qui en sont responsables parce que ce secteur fonctionne sept jours sur sept et comporte un quart de jour et un quart de soir.

La salle des comptoirs, notre comptoir de services, comporte habituellement deux membres du personnel qui y travaillent et ceux-ci relèvent du surintendant du secteur commercial. Il y a donc trois unités de travail distinctes.

Pour ce qui est des activités maritimes, il y a tous les jours un tableau de service, et l’on attribue au personnel des tâches précises à accomplir durant la journée. Et, s’il y a un certain nombre de traversiers qui arrivent, par exemple le Clipper, qui accoste plusieurs fois par jour; le Coho qui accoste, je crois, deux fois par jour – ou au moins une fois par jour – c’était le cas à l’époque – le tableau de service indiquera quels employés seront affectés aux traversiers et quelle fonction précise ils auront à effectuer, que ce soit au niveau primaire ou au niveau secondaire.

Maintenant, vous savez, le tableau de service peut faire l’objet de modification, mais il vous donne un aperçu de ce que vous ferez cette journée-là.

Par contre, le CDT est un endroit très statique. Si vous travaillez au CDT vous savez que vous allez être là toute la journée, sauf si votre tâche consiste à sortir et à faire d’autres choses.

Les surintendants en fin de compte, ce dont ils sont responsables, et mon exemple est très simpliste, c’est d’essayer de gérer les ressources dont ils disposent de manière à faire face à toutes les pressions qui peuvent s’exercer au cours d’une journée. Et, s’ils se heurtent à des problèmes au cours de la journée, s’il survient une arrivée imprévue, ou s’il y a peut-être une saisie en cours qui requiert une certaine attention, ils puiseront dans les ressources disponibles afin de – de faire en sorte que les choses avancent. Il est donc possible qu’un surintendant du secteur maritime téléphone au CDT et dise : envoyez-moi quelques ressources, nous en avons besoin.

C’est donc un milieu très souple et je soupçonne que, parfois, on a vraiment le sentiment qu’il y a un manque de contrôle, mais les surintendants sont aux prises avec un nombre élevé de facteurs qui causent des interruptions au cours de leur journée, et ils essaient réellement de faire face à tout cela.

Transcription : 21 janvier 2009; page 93, lignes 20 à 25; page 94, lignes 1 à 25;
page 95, lignes 1 à 25; page 96, lignes 1à 6.

[125]       M. Baird a été le superviseur de M. Turner au sein de la Section du secteur maritime entre les mois de mai et de septembre de l’année 2002. Quand on lui a demandé ce qu’il pensait de M. Turner en tant qu’inspecteur des douanes, M. Baird a fait la description détournée qui suit :

[traduction
Et je crois que mon impression première date de l’époque où je supervisais Levan et, vous savez, là encore, il y a des choses qu’à titre d’employé j’appréciais au sujet de Levan et qu’il fait bien, mais je ne dirais pas de lui qu’il avait atteint son plein potentiel dans toutes les fonctions que l’on attend d’un inspecteur des douanes. Et, lorsqu’on parle d’une partie du travail, c’est-à-dire le service à la clientèle ou les rapports avec les mandataires ou les courtiers ou, vous savez, le travail au Centre de déclaration téléphonique ou ces sortes de – ces parties du travail qui sont davantage axées sur le service à la clientèle, je crois, vous savez, que Levan a les compétences qu’il faut pour le faire et je pense qu’il est très à l’aise lorsqu’il le fait et qu’il fait, sur ce plan, un excellent travail.

Pour ce qui est des éléments du travail qui sont plus proactifs sur le plan de l’application de la loi, ainsi que du fait d’essayer de repérer les cas d’inobservation chez les voyageurs, de procéder à un examen secondaire, de s’occuper des mesures d’application de la loi, comme les saisies, ce n’était pas, selon moi, l’une des forces de Levan.

Transcription : 21 janvier 2009; page 97, lignes 19 à 25; page 98, lignes 1 à 13.

[126]       M. Baird a identifié la pièce R‑3, onglet 75 (recoupement : C‑1, onglet 12) comme étant l’examen du rendement qu’il avait fait de M. Turner au milieu de l’été, un examen qui comprenait les commentaires suivants à propos de la compétence organisationnelle.

[traduction]

Je vous ai toujours trouvé très poli et courtois dans vos rapports avec le public et vos collègues de travail. Vous vous présentez toujours de manière professionnelle, même dans des circonstances difficiles. Vous avez une bonne connaissance des règlements des Douanes et êtes en mesure d’exécuter les fonctions financières et commerciales au terminal des traversiers.

Transcription : 21 janvier 2009; page 100, lignes 8 à 15.

[127]       L’examen contenait l’addenda suivant : [traduction] « Les questions et les préoccupations relatives au travail devraient être présentées d’une manière constructive de façon à pouvoir trouver une solution positive. » Transcription : 21 janvier 2009; page 101, lignes 8 à 11.

[128]       Ce commentaire concernait les moments où, en dehors des heures de travail, on avait remarqué que M. Turner et d’autres employés entretenaient des discussions à bâtons rompus au cours desquelles ils se plaignaient de choses qui se passaient au travail. M. Baird a déclaré que, même si les plaintes étaient légitimes, il fallait que ces problèmes soient réglés de manière constructive.

[129]       Dans cet examen du rendement effectué au milieu de l’été (pièce C‑1, onglet 12), après l’addenda, M. Baird a ajouté ce qui suit :

[traduction
Vous avez la capacité évidente de communiquer efficacement avec les clients et vos collègues de travail. Vous êtes capable de rédiger des rapports détaillés et bien écrits ainsi que de remplir avec exactitude les formulaires des Douanes. Vous êtes capable de poser efficacement des questions, d’écouter les réponses et de réagir en conséquence. Vous avez ce qu’il faut pour devenir un interrogateur très efficace.

Depuis que nous avons discuté du besoin de présenter les problèmes de manière constructive, j’ai constaté que vous avez immédiatement entrepris de rectifier ce problème. Je suis conscient des efforts que vous avez faits et je vous encourage à continuer d’aborder de façon constructive les problèmes non résolus. [Non souligné dans l’original.]

Je vous encourage aussi à acquérir plus d’expérience dans le domaine de l’application de la loi en effectuant des examens secondaires.

Transcription : 21 janvier 2009; page 106, ligne 25; page 107, lignes 1 à 8; page 108, lignes 13 à 19; page 109, lignes 22 à 25.

[130]       Dans son contre-interrogatoire, l’avocat du plaignant, Me Champ, a mis l’accent sur les préoccupations qu’avait M. Baird quant au manque d’expérience de M. Turner concernant l’exécution d’examens secondaires.

[traduction
R. À la ligne d’inspection secondaire, il faut entre autres faire des interrogatoires. Il faut aussi inspecter des véhicules, examiner des bagages, faire affaire avec des personnes qui sont en détention ou sous garde, effectuer des fouilles personnelles ou – les fouilles personnelles sont un terme technique – des fouilles à nu. Ce que je veux donc dire c’est qu’il a une excellente connaissance de nos procédures au niveau primaire et au niveau secondaire, mais je ne parle pas expressément des interrogatoires.

Q. Un interrogatoire serait-il un examen?

R. Cela ferait partie d’un examen.

Q. Parce que le dernier est : « Vous faites également preuve d’un bon jugement dans le cadre des activités relatives aux examens secondaires et aux mesures d’application de la loi ». Je présume que cela comprendrait les interrogatoires?

R. Effectivement.

Q. Donc, je suppose dans l’ensemble, ce que j’essaie de dire, M. Baird, c’est qu’à mi-terme, vous avez remarqué que M. Turner, selon vous, ne participait pas à beaucoup d’examens secondaires; est-ce exact?

R. C’est exact.

Q. Donc, en d’autres mots, votre opinion, une fois que vous avez réellement commencé – une fois que vous lui avez fait remarquer que vous vouliez qu’il en fasse davantage, il a pris les mesures qui convenaient. En fait, vous étiez très satisfait de ce qu’il avait fait.

R. Exact. Entre le moment où l’évaluation à mi-terme a eu lieu au mois d’août – jusqu’à la dernière évaluation, effectuée en octobre.

[…]

Q. Et, à la fin de l’année, vous dites : « Vous avez pris part à de nombreux examens secondaires »; est-ce exact?

Q. Oui.

Q. […] et dans un grand nombre de ces examens secondaires, je présume que M. Turner aurait fait preuve d’initiative, ou qu’il n’essayait pas de se défiler, qu’il intervenait et donnait un coup de main?

R. C’est exact.

Q. Parce que, plus tôt, vous aviez laissé entendre qu’à en juger par ce que vous aviez observé, il semblait ne pas vraiment s’impliquer?

R. Oui, c’est le cas.

Q. Et je crois comprendre qu’il en a aussi été question à la fin de ce contrat?

R. Oui, effectivement.

Transcription : 22 janvier 2009; page 38, lignes 20 à 25; page 39, lignes 1 à 25;
page 40, lignes 1 à 24.

[131]       Quand on lui a parlé du concours Victoria 7003, M. Baird a identifié la pièce R‑1, onglet 47 (recoupement : C‑2, onglet 43) comme étant une feuille maîtresse concernant l’entrevue qu’il avait fait passer à M. Turner à Victoria, en compagnie de Mme Pringle et de Mme Zabos. M. Baird a déclaré que les inscriptions apparaissant sur cette feuille avaient trait aux compétences « Communication interactive efficace » et « Travail d’équipe et collaboration »; que, dans ces compétences, M. Turner obtenait des notes insuffisantes de 60 et de 40.

[132]       M. Baird a identifié des commentaires écrits par l’une des membres du jury, Catherine Pringle, que cette dernière avait faits après qu’il eut été décidé que M. Turner n’était pas qualifié. Mme Pringle a précisé que M. Turner n’avait pas été clair et concis au sujet de sa relation avec le Service de police de Toronto, ce qui les avait amenés à présumer qu’il avait exercé les fonctions d’agent auprès de ce service, plutôt que celles d’auxiliaire. La présomption du comité d’examen découlait du fait que ses membres n’avaient pas examiné le curriculum vitæ de M. Turner, qui indiquait qu’il avait été agent auxiliaire. Néanmoins, M. Baird et Mme Pringle ont jugé que M. Turner n’avait pas été clair dans ce qu’il avait dit; ipso facto, il avait enjolivé son récit et n’avait pas dit la vérité.

[133]       En répondant aux questions de l’avocat de l’intimée, M. Baird a plutôt généralisé ses réponses. Par exemple, cela s’est produit lorsque l’avocat de l’intimée a demandé à M. Baird d’indiquer à quel endroit, dans la réponse écrite de M. Turner au portefeuille des compétences, ce dernier avait fait des commentaires défavorables à l’égard d’autres personnes.

[traduction
Q. […] Revenons une fois de plus à l’onglet 47, à l’évaluation, nous sommes à […] ensuite, sous « commentaires » il y a une autre note : « Documents écrits. Dépeint les autres de manière défavorable ». […] à quel endroit, dans les documents de M. Turner, ce dernier dépeint-il les autres négativement?

Dans un certain nombre des compétences, il y avait des endroits qui semblaient dépeindre d’autres personnes sous un jour négatif ou critique quant à leur participation dans les exemples. La manière de traiter les situations difficiles en était certainement un exemple. Le travail d’équipe et la collaboration, nous avons également signalé dans nos notes certains des commentaires qui, à notre avis, étaient négatifs ou désobligeants – pas désobligeants, mais critiques quant à la participation; il s’agit là d’un exemple, et un autre exemple est la prise de décisions. [Non souligné dans l’original.]

Transcription : 21 janvier 2009; page 173, lignes 21 à 25; page 174, lignes 1 à 5.

[134]       L’avocat de l’intimée a demandé à M. Baird de donner un exemple précis se trouvant dans les documents écrits de M. Turner, et M. Baird a choisi « Traitement des situations difficiles ».

[traduction
R. Dans cet exemple il est question d’un voyageur agité. Notre chien détecteur, le maître-chien et le chien tentent de vérifier le véhicule. Le surintendant y participe, cette fois-là il s’agissait de Nina Patel. Et, essentiellement, le voyageur est agité et très agressif. Dans l’exemple, il semble que l’individu va retourner aux États-Unis, à ce stade-là, il n’est pas admissible.

Et, dans l’exemple, Levan donne l’exemple d’une fois où il a pris part à un certain moment à l’examen secondaire et a, selon lui, calmé le voyageur et lui a expliqué ce qui se passait, ce qui a essentiellement permis de régler la situation. Et, dans cet exemple, dans les documents écrits, il y a certaines choses que je voudrais souligner – et j’étais revenu pour les souligner – qui atténuent la participation d’autres personnes. Et il s’agit là d’un point qui est ressorti à l’entrevue quand on a voulu l’approfondir, approfondir ces détails précis qu’il avait tendance à exagérer, ou à enjoliver son rôle aux dépens des autres personnes en cause.

Si vous me donnez quelques instants, je vais simplement passer en revue le document écrit en question. Par exemple : « Nina est restée derrière moi et a tenu d’autres agents à distance pendant que je parlais à l’individu. Quand elle a pu voir que j’avais réussi à le calmer, elle s’est approchée et a pris part à la conversation. À partir de ce moment-là, j’ai été le seul agent à qui cette personne voulait parler. »

Dans ce scénario, Nina Patel agissait comme surintendante intérimaire. Et, vous savez, une agente qui avait beaucoup d’expérience pour ce qui était de faire face à des voyageurs hostiles et agressifs dans des situations très tendues. Et – selon ma propre expérience, elle n’aurait pas pris du recul et elle n’aurait pas tenu d’autres agents à distance pour que quelqu’un d’autre puisse intervenir et régler la situation. Donc, même si c’était subtil, on ne peut pas dire : je suis arrivé et j’ai donné un coup de main, je suis intervenu et j’ai essayé de calmer la personne. Mais, dans la phrase, il dit : je suis arrivé et j’ai pris les choses en main et elle a pris du recul et a tenu les autres à distance pendant que je réglais la situation. Et cela – même si, en soi, ce n’est pas important, c’est un indice que nous avons noté.

Transcription : 21 janvier 2009; page 174, lignes 18 à 25; page 175, lignes 1 à 23;
page 176, lignes 1 à 12.

[135]       Avec une prolixité non retenue et confuse, M. Baird a poursuivi sa réponse – elle s’est étendue sur cinq autres pages de transcription – disant de M. Turner qu’il ne s’exprimait pas clairement et qu’il avait tendance à enjoliver les choses. En agissant ainsi, il a fait preuve d’une partialité subjective. Je conclus qu’il était inacceptable de la part de M. Baird de réévaluer la réponse écrite de M. Turner au portefeuille des compétences, qui devait avoir été examiné et évalué par l’un des surintendants de M. Baird et auquel on avait donné des notes de passage.

[136]       M. Baird a déclaré que le récit que M. Turner avait fait de l’incident avec un voyageur difficile était contraire à ce qu’il savait lui-même quant à l’aptitude de Mme Patel à faire face à des voyageurs hostiles et agressifs dans des situations très tendues; il avait donc considéré que le récit que M. Turner avait fait de l’incident était un enjolivement et il l’avait rejeté.

[137]       Environ deux semaines après que le comité d’examen eut décidé que M. Turner n’était plus qualifié pour être inspecteur des douanes, M. Baird est entré en contact avec Mme Patel pour obtenir sa version de l’incident.

[138]       M. Baird a déclaré qu’il avait eu une conversation téléphonique avec Mme Patel le 22 janvier 2004 et, se fondant sur ses notes, il avait fait part à cette dernière du récit que M. Turner avait fait de son échange avec le voyageur difficile; il lui avait demandé si ce récit avait été décrit de manière exacte. M. Baird s’est reporté aux notes qu’il avait prises au sujet de sa discussion avec Mme Patel :

[traduction
Elle a reconnu que Levan avait bel et bien eu affaire à ce voyageur et que, comment dire, il s’était bien débrouillé avec lui. Elle a fait remarquer qu’il était, comment dire, jovial comme à l’accoutumée, mais elle a ensuite exprimé son désaccord au sujet de la manière dont il avait décrit son intervention dans l’exemple, et elle a signalé que, disons, il s’arrange pour que les autres aient l’air pire que lui afin de se mettre en valeur. Elle soutient qu’elle est restée maître de la situation. Elle a ajouté qu’à son avis, selon ses propres paroles, le récit était « tout à fait enjolivé ». Elle a aussi déclaré, et cela concordait en fait aussi avec le reste, qu’elle n’avait pas l’impression que son intervention était – qu’elle n’avait pas joué un rôle dans les échanges avec ce voyageur. Elle a aussi noté qu’elle pensait que Levan, selon son point de vue à lui, il pouvait penser que c’était lui qui était intervenu dans l’exemple.

Transcription : 22 janvier 2009; page 22; lignes 7 à 24.

[139]       En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Baird pourquoi il avait jugé nécessaire de communiquer avec Mme Patel alors que Mme Pringle et lui avaient déjà exclu M. Turner du processus de sélection.

[traduction
Le président : Alors, pourquoi l’avez-vous appelée?

M. Baird : Eh bien, parce que, en fait, je voulais savoir si l’exemple – parce que, dans l’exemple, tel qu’il a été dépeint et décrit à l’entrevue, cela m’apparaissait si incohérent que je voulais faire un suivi.

Me Champ : À ce stade, M. Baird, quelle différence cela faisait-il pour vous? […]

R. Eh bien, pour répondre brièvement, cela ne faisait aucune différence, mis à part le fait que je voulais y donner suite.

Q. À part le fait de vouloir prouver que M. Turner était un menteur?

R. Non, je voulais valider si l’exemple, tel qu’il était présenté, était exact ou non.

Q. Vous vouliez valider son exactitude. Vous vouliez prouver que M. Turner était un menteur, n’est-ce pas?

Le président : Je pense, Me Champ, que « menteur » c’est un peu fort.

Q. Nous sommes un mois plus tard. Le processus est maintenant bien avancé. M. Turner est déjà exclu du concours. Pourquoi avez-vous jugé nécessaire de valider l’exactitude des renseignements à ce stade?

R. Parce que, à la suite de l’entrevue, j’avais des questions et je voulais y trouver une réponse, mais, vous avez bien raison, il n’était pas nécessaire que je le fasse.

Q. Et quel était votre but, qu’alliez-vous en faire?

R. Aucun but.

[…]

Q. […] Vous avez pris beaucoup d’initiative pour retrouver Mme Patel au Québec afin d’obtenir ses souvenirs des faits, je me demande tout simplement pourquoi?

R. […] À l’époque où ces faits ont été présentés à l’entrevue, j’avais des questions et j’ai conclu que sa description cadrait si peu avec ce que je savais sur le lieu de travail, c’était, mes observations, je voulais valider cet exemple, ce qui, à titre de membre du jury, est une option qui est à ma disposition.

Transcription : 22 janvier 2009; page 93, lignes 18 à 25; page 94, lignes 1 à 22;
page 96, lignes 2 à 13.

[140]       À un moment donné au cours du contre-interrogatoire de M. Baird, le président et l’avocat du plaignant ont entrepris une discussion sur l’objet des questions posées à M. Baird.

[traduction
L’avocat du plaignant : Tout d’abord, il (M. Turner) est invité par sa surintendante (Mme Patel). Et sa surintendante se heurte à un voyageur difficile. Donc, Mme Patel est là, sur place, face à ce voyageur difficile. Elle a invité ou elle demande à M. Turner de donner un coup de main, d’entrer dans la discussion, de parler à cette personne. Ensuite, il a affaire au maître-chien […]

Le président : Venons-en au fait, Me Champ. Il me semble que je puis poser cette question – si vous vous préoccupiez seulement de la façon dont M. Turner s’était exprimé et avait dépeint ses collègues, mais vous êtes allé plus loin que cela, n’est-ce pas? Vous dites : en jugeant cet exemple particulier et en le notant, je vais faire des déductions au sujet de ce que je sais de ces deux collègues et je ne crois pas que ceux-ci agiraient de cette façon. Et, ensuite, je mets en doute la véracité de l’exemple, ce qui est une chose différente du simple fait de noter la façon dont il a été communiqué. Vous avez donc fait des déductions au sujet de connaissances externes qui allaient au‑delà de l’exemple que M. Turner avait donné. Est-ce exact?

M. Baird : C’est exact, mais nous n’avons pas noté la compétence « Traitement des situations difficiles ». Pour ce qui était du travail d’équipe et de la collaboration, nous nous occupions – la question de – ce qui m’a incité – ce qui m’a incité à communiquer avec Nina Patel […]

Le président : Non, avant cela, parce que vous avez dit qu’avant que vous communiquiez avec – je comprends ce qui vous a incité à le faire, parce que c’est elle qui pouvait valider. Et dans votre témoignage principal – principal en particulier, vous avez déclaré que vous ne pensiez pas que Nina Patel ou Ken Moore agiraient de cette façon, parce que vous aviez travaillé avec eux pendant de nombreuses années.

R. C’est exact.

Le président : Vous avez donc tenu compte de renseignements externes qui n’étaient pas dans – dans l’exemple de M. Turner, et vous les avez utilisés en partie, ou [inaudible] comme motif pour exclure la candidature de M. Turner. Il s’agit là d’une partie des raisons pour lesquelles vous ne l’avez pas jugé qualifié. Tandis que vous dites : je n’ai examiné que ce qu’il y avait dans le portefeuille, j’ai examiné la façon dont les renseignements étaient communiqués, je lui ai posé quelques questions à l’entrevue et je n’ai pas aimé la façon dont il communiquait, ou dont il décrivait la situation, parce qu’il semble qu’il se donnait le beau rôle et que toutes les autres personnes en cause avaient le mauvais rôle. Il ne s’agit pas là d’un bon travail d’équipe ni d’une bonne collaboration. Exact? Il n’était pas nécessaire de vous fonder sur les connaissances que vous aviez de ces deux autres personnes, ni sur la façon dont vous pensiez qu’elles auraient réagi, parce qu’il s’agit là d’une considération externe. Ce n’était pas dans la documentation.

R. C’est exact, Monsieur?

[…]

Le président : M. Baird, si vous aviez téléphoné à Mme Patel et si celle-ci avait dit qu’il (Turner) avait tout à fait raison dans ce qu’il avait dit, auriez-vous dans ce cas changé votre note?

R. Non.

Transcription : 22 janvier 2009; page 89, lignes 15 à 22; page 90, lignes 1 à 25; page 91, lignes 1 à 25; page 92, lignes 1 à 25; page 93, lignes 14 à 25; page 94, lignes 1 à 23; page 96, lignes 21 à 23.

[141]       Je conclus que les réponses de M. Baird qui précèdent au sujet de la communication qu’il a eue avec Mme Patel après l’entrevue sont peu plausibles. Même s’il était au courant des compétences croissantes de M. Turner en tant qu’inspecteur des douanes, il était répréhensible de la part de M. Baird de prétendre qu’il avait un choix, qu’il a exercé après que le jury de sélection eut pris sa décision, soit celle de recourir aux présumées connaissances personnelles qu’il avait au sujet de Mme Patel, de M. Moore et du lieu de travail.

[142]       Dans son témoignage direct, M. Baird a résumé ce qu’il avait pensé de la réponse écrite de M. Turner au portefeuille des compétences :

[traduction
Pour ce qui est du portefeuille écrit, nous avons remarqué que, pas le portefeuille tout entier, mais sûrement une partie importante du portefeuille qu’il avait présenté, nous avons parlé du traitement des situations difficiles; nous avons parlé de l’adaptabilité, nous avons parlé du travail d’équipe et de la collaboration et c’était dans la présentation de ses exemples qu’il exagérait ou enjolivait son intervention et qu’il décrivait sous un jour défavorable ou critique le rôle joué par d’autres personnes. Donc, essentiellement, il se faisait bien paraître aux dépens des autres personnes en cause, et il s’agit là d’un aspect qui est revenu tout au long de l’entrevue et que le jury a relevé. Et, là encore, d’après mes notes plus précisément, on le relève dans tous les exemples qu’il a donnés à l’entrevue.

Transcription : 22 janvier 2009; page 16, lignes 5 à 19.

La pertinence des examens du rendement positifs de M. Turner

[143]       En contre-interrogatoire, l’avocat du plaignant a mis en doute la décision du jury selon laquelle M. Turner ne remplissait pas les conditions requises pour être inspecteur des douanes, une décision qui va à l’encontre du dossier professionnel favorable de cinq ans de M. Turner, qui comportait des examens du rendement positifs que M. Baird avait effectués en 2003.

[traduction
R. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’était tout à fait incohérent; cependant, il y avait une certaine incohérence en ce sens qu’il avait contribué au fil des ans à l’équipe, mais, là encore, nous notions l’exemple présenté.

Q. Et cela faisait abstraction de toutes les autres considérations?

R. Oui. Nous devons noter ce qu’on nous présente à l’entrevue.

Transcription : 22 janvier 2009; page 28, lignes 19 à 25; page 29, lignes 1 à 2.

[144]       L’avocat du plaignant a rappelé à M. Baird que les normes d’évaluation figurant dans l’avis affiché au sujet de la possibilité d’emploi à Victoria informaient les candidats qu’ils pouvaient être évalués au moyen de tests uniformisés, d’examens écrits, d’entrevues, de vérifications des références ainsi que de rapports sur le rendement au travail.

[traduction
Q. […] il était expressément mentionné dans l’avis que les candidats savaient que l’on pouvait prendre en considération leurs évaluations du rendement?

R. Il s’agissait d’un outil d’évaluation que nous pouvions utiliser.

Q. Mais vous avez décidé de ne pas le faire. Pourquoi pas?

R. Nous n’avons demandé à aucun candidat de fournir un rapport de la direction sur le rendement de l’employé.

Q. Pourquoi pas?

R. Eh bien, parce que ce n’était pas tous les employés ou tous les candidats dont le rendement aurait été évalué, et nous avions suffisamment d’outils d’évaluation parmi les autres qui étaient inscrits, ce qui fait que nous n’avons même pas songé à utiliser ce dernier outil.

Q. Parce qu’en fait, il y a des gens qui ont été embauchés et qui n’avaient aucune expérience aux Douanes, dans le cadre de ce processus; est-ce exact?

R. Je crois que oui.

Transcription : 22 janvier 2009; page 58, lignes 4 à 20.

Q. Pensez-vous qu’il aurait été raisonnable que M. Turner s’attende à ce que vous teniez compte de ses évaluations du rendement?

R. Non.

Transcription : 22 janvier 2009; page 57, lignes 6 à 9.

[145]       Me Champ a présenté à M. Baird la pièce R‑2, onglet 52, qui énumérait les personnes jugées qualifiées dans le cadre du concours de Victoria. Me Champ a nommé cinq personnes; deux d’entre elles n’avaient jamais travaillé auparavant aux Douanes, et deux n’y avaient travaillé qu’un seul été.

[traduction
Q. Juste en général, M. Baird, vous vous souvenez toutefois qu’il y a quelques personnes qui avaient réussi au concours et qui n’avaient peut-être qu’un seul été d’expérience, sinon aucun dans ce répertoire?

R. J’étais bien sûr conscient que, parmi les candidats ayant présenté leur candidature, certains avaient des antécédents de travail diversifiés et certains n’avaient pas travaillé pour les Douanes ou ne l’avaient fait que pendant peu de temps.

Q. Et pourtant – vous étiez convaincu que ces personnes étaient plus qualifiées que M. Turner, qui avait cinq années […] d’expérience en tant qu’inspecteur des douanes.

R. Dans le cadre de l’évaluation des compétences que nous demandions, oui.

[…]

Q. Et, dans le cas de M. Turner, vous étiez bien sûr que ce dernier n’avait aucune des qualifications requises?

R. J’étais absolument sûr qu’il n’avait pas atteint la norme de qualification que nous recherchions, d’après les documents qu’il avait présentés et les outils d’évaluation que nous utilisions.

[…]

Q., Mais, en fin de compte, nous avons ici une personne qui avait travaillé comme inspecteur des douanes pendant cinq ans, une personne que vous aviez supervisée pendant une saison, aviez-vous – aviez-vous des doutes quelconques sur la validité ultime du processus?

R. Non.

Transcription : 22 janvier 2009; page 103, lignes 1 à 14; page 104, lignes 3 à 19.

[146]       Lorsqu’on le considère dans le contexte de sa supervision personnelle ainsi que de ses évaluations élogieuses du travail de M. Turner en tant qu’inspecteur des douanes, le simple « non » de M. Baird n’est pas digne de foi.

Le courriel de M. Klassen

[147]       M. Baird a déclaré qu’il n’était pas rare que les surintendants se réunissent et discutent de diverses questions touchant le lieu de travail, y compris de divers employés. Mais, quand on lui a demandé s’il se souvenait de discussions tenues concernant M. Turner lors des tables rondes des surintendants et s’il se rappelait si M. Penneger, M. Klassen ou Mme Kavalaars avaient formulé des avis défavorables au sujet de M. Turner, M. Baird a répondu dans chaque cas : [traduction] « Je ne m’en souviens pas. »

[148]       L’avocat du plaignant a présenté à M. Baird le courriel de M. Klassen (pièce R‑3, onglet 80). Après l’avoir lu, M. Baird a nié l’avoir reçu et a ensuite dit qu’il n’était pas inusité de recevoir un tel message d’un autre surintendant; il a admis avoir vu auparavant des courriels semblables. M. Baird a également confirmé que [traduction] « […] il y a bien des points soulevés qui concordent avec les observations que j’ai faites ». Transcription : 22 janvier 2009; page 45, ligne 1; page 46, lignes 1 et 2.

[149]       Quand l’avocat du plaignant a demandé si le courriel de M. Klassen avait suscité quelques doutes au sujet de M. Turner, M. Baird a répondu de manière illogique, jetant le discrédit sur son témoignage : [traduction] « Je ne sais même pas, Monsieur, si j’ai lu ce courriel. J’en reçois des centaines et des centaines et je ne les lis pas tous. » Transcription : 22 janvier 2009; page 47, lignes 21 à 23.

[150]       M. Baird a aggravé son discrédit quand il a déclaré :

[…] Si j’étais affecté au Portcullis, il y a probablement de grandes chances que je ne l’aie pas lu parce que cela ne me concernait pas du tout. Si je travaillais au secteur maritime cet été-là – et là encore, désolé pour ma confusion –, mais si j’étais, vous savez, il est fort possible que j’aie lu le courriel, je ne l’ai peut-être pas fait, mais je reçois un nombre très élevé de courriels et il est certain que je ne les lis pas tous en détail. Je ne peux donc pas dire, avec une conviction quelconque, que j’ai lu ce courriel. J’ignore si je l’ai fait.

[…]

Me Champ : Eh bien, monsieur, ce courriel est daté du 4 octobre 2003 et le concours pour lequel vous présidiez le jury de sélection a été annoncé environ une semaine après cela […] à la fin d’octobre 2003, il fallait que toutes les demandes aient été présentées, ce qui signifie que vous les aviez toutes reçues. Vous les avez toutes lues à un certain moment en novembre et, ensuite, vous avez commencé à tenir les entrevues en décembre 2003. Est-ce à peu près exact?

M. Baird : Je le crois, oui.

Me Champ : Je me demande simplement […] lorsque vous avez passé en revue la demande de M. Turner peut-être moins d’un mois plus tard, un mois plus tard, si vous avez songé que, dans votre boîte de courriels, il y en avait un qui disait : « Objet : Discussion avec Levan après l’évaluation »?

M. Baird : Non, je ne me rappelle même pas avoir vu ce courriel. Donc ma réponse est non, uniquement dans la mesure où je ne me souviens pas de l’avoir vu.

[Non souligné dans l’original.]

Transcription : 22 janvier 2009; page 48, lignes 1 à 12; page 49, lignes 11 à 25; page 50, lignes 1 à 2.

[151]       L’avocat du plaignant a ensuite demandé à M. Baird s’il se souvenait du second courriel que M. Klassen avait envoyé aux surintendants au sujet des congés de maladie (pièce R‑3, onglet 81) et M. Baird a répondu que non.

[traduction
Me Champ : Avez-vous passé en revue ces documents afin d’être prêt pour aujourd’hui?

M. Baird : Non, je ne l’ai pas fait.

Me Champ : Ces deux courriels? Vous ne l’avez pas fait? Y a-t-il une chance quelconque que ces courriels aient eu une influence sur la façon dont vous avez traité cette évaluation du jury de sélection dans le cas de M. Turner?

M. Baird : Je ne le crois pas.

Me Champ : Et pourquoi dites-vous cela?

M. Baird : Parce que je ne me souviens pas d’avoir vu les courriels.

Transcription : 22 janvier 2009; page 53, lignes 1 à 12.

[152]       Je conclus que l’affirmation de M. Baird selon laquelle il n’a jamais lu les courriels de M. Klassen était évasive et indigne de foi. Je conclus qu’il a été négligent en ne passant pas en revue les courriels de M. Klassen quand il les a reçus ou, ce qui est plus probable, qu’il les a passés en revue et, constatant à quel point cet aveu serait dommageable, il a préféré tenir des propos évasifs; ce faisant, ses gestes suscitent une question importante à propos du bien-fondé du processus que le jury de sélection a suivi relativement à la demande de candidature de M. Turner à titre d’employé de l’ASFC.

M. Baird, sur la véracité de M. Turner

[traduction
Me Champ : Juste une minute, M. le président, et j’aurai terminé – il y a un autre point que je voudrais souligner.

Q. Juste au sujet du travail d’agent auxiliaire dans l’évaluation relative à l’entrevue du jury de sélection, vous avez dit qu’à votre avis M. Turner vous induisait en erreur et qu’il avait laissé entendre qu’il avait été agent de police à Toronto?

R. C’est exact.

Q. Est-ce possible que c’était juste la façon dont vous l’aviez interprété, ce qu’il avait dit?

R. C’est possible. Mais, en fin de compte, c’était – c’était lui qui décrivait son expérience. Et celle-ci aurait pu être exposée de façon plus claire. Et, vous avez raison, c’était peut-être ma façon à moi d’interpréter ce qu’il disait, mais c’était mon interprétation.

Q. C’était indiqué clairement dans son curriculum vitæ qu’il avait exercé les fonctions d’agent de police auxiliaire. Croyez-vous qu’il avait l’intention de vous induire en erreur? […] Je vous pose simplement la question, vous paraissiez avoir tendance, au moment de noter M. Turner, que chaque fois que vous aviez des doutes au sujet d’une chose qu’il disait, vous sautiez à la conclusion qu’il était de mauvaise foi; cette affirmation est-elle juste?

R. Non.

Q. Non? Ou que vous avez simplement douté à maintes reprises de la véracité de ce qu’il disait?

R. Parfois.

Le président : Quelle était votre réponse, M. Baird?

R. Parfois, monsieur.

Transcription : 22 janvier 2009; page 105, lignes 20 à 25,
page 106, lignes 1 à 13 et 22 à 25; page 107, lignes 1 à 7.

G.                Le témoin Nina Patel

[153]       En novembre 2008, à l’époque où le Tribunal instruisait la plainte de M. Turner, Mme Patel était une employée fédérale depuis treize ans. Elle avait tout d’abord travaillé pour Revenu Canada, ensuite pour l’ADRC et, après 2003, pour l’ASFC. Elle avait passé deux étés à Victoria, de mai à septembre en 1995 ainsi qu’en 1996 en tant qu’agente de douanes étudiante; elle avait ensuite fait la transition vers un emploi d’une durée déterminée à Stewart (C.-B.), de 1996 à 1999 – période au cours de laquelle elle avait obtenu le statut d’employée nommée pour une période indéterminée – pour ensuite revenir à Victoria jusqu’en 2002, après quoi elle avait obtenu un contrat d’enseignement à Rigaud (Québec) pendant un an et quatre mois, période au cours de laquelle elle avait formé de futurs inspecteurs des douanes; par la suite, elle était retournée à Victoria en tant que surintendante intérimaire et, à la suite d’un concours, avait accédé au poste de surintendante. [traduction] « Et je suis actuellement chef des opérations intérimaire pour les bureaux de Huntingdon, d’Aldergrove et de l’aéroport d’Abbotsford dans le Lower Mainland, dans la vallée. »

[154]       Mme Patel a identifié une réponse écrite de M. Turner à un portefeuille des compétences (la compétence particulière étant le « traitement des situations difficiles ») et a reconnu que ce document révélait que M. Turner l’avait nommée comme une personne susceptible de valider un incident particulier qu’il avait évoqué pour faire état de sa compétence en tant qu’inspecteur des douanes.

[155]       Mme Patel a convenu que le document décrivait un incident survenu à Victoria, et qu’il comportait quelques notes datées du 22 janvier 2004, vraisemblablement écrites par le surintendant Trevor Baird; elle a déclaré aussi qu’elle ne se souvenait pas si Baird lui avait lu les notes au téléphone ou s’il les lui avait montrées pour qu’elle puisse les lire. [traduction] « Je ne me souviens pas des détails de ce que je lui ai dit. Je me souviens toutefois que je n’ai pas validé la compétence parce que j’en ignorais les détails. » Transcription : volume 2, section 5, page 228, lignes 13 à 16, page 232, lignes 2 à 5.

[156]       L’avocat de l’intimée a ensuite déclaré ce qui suit :

[traduction
[…] « passons en revue les notes que Trevor Baird a prises à l’égard de votre conversation et vous pourrez peut-être me dire si cela vous aide à vous en souvenir. » Par la suite, Mme Patel a nuancé ses réponses en disant : « Je le pense », « Je ne me souviens pas si c’est exactement cela que j’ai dit […] », « Je ne me rappelle pas », ainsi que d’autres réponses semblables dénotant qu’il lui était impossible d’avoir des souvenirs précis.

Q. Très bien. Et il y a ensuite une autre ligne : selon son point de vue, il peut penser ceci ou cela – je n’en suis pas sûr. Là encore, cela concorde-t-il avec les souvenirs que vous avez des renseignements que vous avez fournis au surintendant Baird?

R. Exact. Parce que quand vous rédigez des compétences et qu’ensuite vous les rédigez selon votre propre point de vue et ensuite, quand j’ai dit que c’était parfaitement enjolivé ou cela, vous savez, ce n’est pas mon genre. Cependant, du point de vue de M. Turner, celui-ci a peut-être jugé que c’était le cas.

Transcription : volume 2, section 5, page 232, lignes 6 à 10, page 234, lignes 21 à 25; page 235, lignes 1 à 2.

[157]       Le témoignage suivant de Mme Patel nous éclaire sur le récit que M. Turner a fait de son intervention lors de l’incident :

[traduction
Q. […] Cet homme hurlait des insultes racistes à l’intention d’autres agents. Quel était – connaissiez-vous cet individu?

R. Cela – je ne me souviens pas exactement de la raison pour laquelle nous le connaissions. Mais je sais qu’il avait déjà passé la douane. Je ne connais pas les circonstances de la situation.

Q. Maintenant, dans la phrase qui suit, il y en a une, elle dit : je sais que ce n’est que Nina qui essaie de lui parler et de le calmer. Mais il ne l’appréciait pas du tout. Que diriez-vous en réponse à cela?

R. […] Je ne m’en souviens pas du tout. À mon avis, dans cette situation, je suis entrée en contact avec cette personne et j’ai réussi à communiquer avec lui. Alors, ce n’est pas du tout cela que je vois.

Q. […] la phrase suivante dit : Nina s’est ensuite approchée de moi et m’a demandé de parler à l’individu. Avez-vous demandé à M. Turner d’intervenir?

R. Je ne m’en souviens pas précisément. Mais ce ne serait pas inusité de ma part d’avoir demandé à M. Turner de le faire.

[…]

Q. Et pourquoi cela? Pourquoi n’aurait-il pas été inusité que vous lui demandiez de le faire?

R. Eh bien, parce que A, si ce qui se passait à ce moment-là pendant que M. Turner s’approchait et que j’avais besoin d’aide, j’aurais sûrement demandé à quelqu’un de me donner un coup de main. Et M. Turner a et a toujours eu une attitude apaisante et il est capable de s’adresser aux gens. J’ai donc probablement – je ne me souviens pas des détails de la situation. Mais je ne vois pas pourquoi je ne le lui aurais pas demandé.

Q. Très bien. Et il y a ensuite la ligne suivante : Nina est restée derrière moi et a tenu les autres agents à distance pendant que je parlais à la personne. Est-ce là une chose que vous auriez faite?

R. Je ne me souviens pas. Je ne me souviens pas exactement.

Je ne me vois pas me dissocier entièrement de la situation. Ce n’est pas mon genre et ce n’est pas quelque chose que je ferais.

Transcription : volume 2, section 5, page 236, lignes 21 à 25, page 237, lignes 1 à 19, page 238, lignes 7 à 25.

Le contre-interrogatoire de Mme Patel

[158]       En contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Patel de commenter les notes que M. Turner avait prises au sujet de l’incident.

[traduction
Q. Maintenant, vous rappelez-vous ne pas avoir validé l’incident?

R. C’est exact.

[…]

Q. Maintenant, dans les notes ici – il est indiqué ici que vous dites que Levan s’était bien comporté face à cette personne?

R. Mm-hmm.

Q. Et Levan a écrit que vous étiez extrêmement satisfaite de la façon dont il s’était comporté; cette affirmation est-elle juste?

R. Ça aussi c’est quelque chose qui fait partie de mon caractère. Si Levan est intervenu, le fait de le remercier à la fin pour son intervention, quelle qu’elle ait été.

[…]

Q. Lorsque vous avez fait référence au commentaire (de M. Baird) à propos du fait de faire paraître les autres moins bien que soi-même, c’est […]

R. Mm-hmm.

Q. Donc, était-ce de cette façon que vous interprétiez ce que M. Baird vous a dit? Quels que soient les renseignements qu’il vous a fournis, les avez-vous interprétées de cette façon, est-ce exact?

R. Exact, au sujet de l’incident.

Q. Cependant, vous ne savez pas que M. Turner essayait de mieux se faire paraître, n’est-ce pas?

R. Je ne sais pas.

Q. Quelle était votre relation avec lui à ce moment-là, sur le plan des rapports, des relations de travail?

R. Pour cet été-là, M. Turner était un agent et j’étais une surintendante intérimaire.

Q. Exerciez-vous donc une forme quelconque de supervision sur lui?

R. Oui.

Q. Est-ce qu’un aspect quelconque de son rendement lors de cet incident – avez‑vous fait un commentaire négatif sur un aspect quelconque de ce qu’il avait fait à ce moment-là?

R. Non.

[…]

Q. […] vous souvenez-vous de façon indépendante si, en fait, vous ne vous êtes pas tenue derrière M. Turner?

R. Non.

Q. Donc, le souvenir qu’a M. Turner ici est peut-être exact, n’est-ce pas?

R. C’est exact.

Q. […] M. Baird dit que vous avez déclaré que c’était tout à fait exagéré?

R. Mm-hmm.

Q. Et vous avez dit il y a quelques instants que c’était dans votre nature d’avoir dit cela à ce moment-là, est-ce exact?

R. C’est exact.

Q. Et pouvez-vous dire avec une certitude quelconque que vous avez employé ces mots lors de la conversation avec M. Baird?

R. Non.

Q. Mais vous n’avez en ce moment aucun souvenir indépendant de ce à quoi vous faisiez référence quand vous avez déclaré cela?

R. Non.

Q. Et pouvez-vous dire avec une certitude quelconque que vous avez employé ces mots-là lors de la conversation avec M. Baird?

R. Non.

[159]       À l’issue du contre-interrogatoire, Mme Patel a admis que M. Turner avait participé à l’échange avec le voyageur; [traduction] « [t]outefois, sa version de ce qui s’était passé était, selon moi, exagérée, pour mieux se faire paraître dans la situation. »

[traduction
Q. Et aujourd’hui, vous dites que cela vous a dépeint sous un mauvais jour, exact, c’est ce que vous pensiez?

R. À mon avis, oui.

Q. Avez-vous parlé avec M. Turner de ce qu’il avait écrit dans […]

R. Non.

Q. Cela ne vous dérangeait pas assez pour aller lui parler?

R. Non.

Q. Selon vous, M. Turner a-t-il déjà induit des gens en erreur?

R. Pas à ma connaissance.

Q. Ou ne dit-il pas la vérité?

R. Non.

Q. Est-il franc et amical?

R. Oui.

Q. A-t-il une personnalité ouverte?

R. Mm-hmm.

Les conclusions découlant du témoignage de Mme Patel

[160]       Je conclus que Mme Patel a été un témoin crédible; que son témoignage n’étaye pas l’avis de M. Baird selon lequel M. Turner ne disait pas la vérité lorsqu’il a décrit l’incident impliquant un voyageur agité.

[161]       Le fait que M. Baird ait immédiatement décidé que M. Turner avait enjolivé son intervention lors de l’incident au point où il s’agissait d’un compte rendu délibérément faux le discrédite. Le fait que M. Baird ait communiqué par la suite avec Mme Patel en vue de corroborer son opinion selon laquelle M. Turner n’avait pas dit la vérité est une preuve importante à partir de laquelle il est possible d’inférer que M. Baird avait déterminé à l’avance, de façon préjudiciable, qu’on ne considérerait pas que M. Turner avait les compétences requises pour être un agent des services frontaliers. Les souvenirs de Mme Patel contredisent l’idée défavorable qu’avait M. Baird de M. Turner car, à cause de l’attitude apaisante de M. Turner en tant qu’inspecteur des douanes, elle lui avait demandé d’intercéder auprès du voyageur.

[162]       La présomption de M. Baird selon laquelle M. Turner avait menti lors de l’entrevue en disant qu’il avait exercé les fonctions d’agent de police auprès du Service de police de Toronto illustre également son parti pris à l’endroit de M. Turner. La vérité est que M. Turner avait inclus un curriculum vitæ dans son portefeuille écrit, et que ce curriculum indiquait clairement qu’il avait exercé les fonctions d’agent de police auxiliaire auprès du Service de police de Toronto.

H.                Le témoin Shalina Sharma

L’origine de la restriction à l’admissibilité dans le concours Vancouver 1002

[163]       Mme Shalina Sharma, gestionnaire intérimaire des ressources auprès de l’ASFC, a déclaré qu’elle supervisait sept conseillers en ressources qui aidaient les gestionnaires recruteurs dans le cadre du processus de sélection, et que ses fonctions consistaient aussi à fournir une aide et des conseils lors d’une enquête menée sur une plainte.

[164]       Mme Sharma a entrepris sa carrière en 1994 à Revenu Canada. Le 12 décembre 2003, lorsque le gouvernement fédéral a créé l’ASFC, Mme Sharma aidait les gestionnaires recruteurs des douanes qui étaient en poste dans le district de Pacific Highway, à l’Aéroport international de Vancouver (l’AIV) ainsi que dans le district du secteur maritime de Metro Vancouver, de même que dans des divisions spéciales chargées du renseignement, de l’observation de la loi, des activités commerciales ainsi que des enquêtes. [traduction] « C’était mes clients et, pour eux, je leur donnais un coup de main pour les comités de sélection ainsi que pour les activités de formation dont les membres de ces comités avaient besoin; je leur fournissais aussi des conseils généraux en matière de dotation. » Transcription : volume 2, section 4, Page 101, lignes 17 à 20.

[165]       Dans son témoignage direct ainsi qu’en réponse à des questions posées en contre‑interrogatoire, Mme Sharma a déclaré qu’elle avait rédigé le texte de la restriction à l’admissibilité concernant le concours Vancouver 1002 en sa qualité de conseillère en renouvellement du personnel auprès de Ron Tarnawski et de Mark Northcott, deux membres de la Section du recrutement.

[traduction
Me Yazbeck : […] Maintenant, vous avez déclaré que, je crois que vous avez employé le mot « erreur », que, même si cela ne fait pas référence aux candidats qui n’avaient pas été jugés qualifiés – jugés non qualifiés, il s’agissait d’une erreur parce que c’était bien là l’intention visée.

R. L’intention était oui, de ne pas interviewer de nouveau les candidats qui, tout récemment, avaient été jugés non qualifiés.

Q. Vous convenez donc avec moi que cela est des plus ambigus?

R. C’est ambigu, oui.

Q. Et, si un employé estimait que cela voulait dire qu’il devait présenter sa candidature pour ce poste même s’il l’avait fait, disons, à Victoria, est-ce là une affirmation raisonnable, une interprétation raisonnable?

[…]

R. Je ne le crois pas. Le poste, il s’agit d’un poste type. Ce poste, le même poste existe à Vancouver comme à Victoria. Il s’agit d’un poste d’agent des services frontaliers ou, désolé, à l’époque, d’un poste d’inspecteur des douanes, il y avait une description de tâches nationale […]

Q. […] Si un employé lisait cela et venait à la conclusion que cela ne concernait que Vancouver, vous dites qu’il ne s’agit pas là d’une interprétation raisonnable.

R. C’est mon avis. […]

Q. Et donc, Mme Sharma, si l’on montrait cet avis à un employé et si la personne qui le montrait à l’employé le pointait du doigt et disait : avez-vous présenté votre candidature pour ce poste auparavant, trouveriez-vous raisonnable que l’employé pense qu’il s’agissait uniquement du poste de Vancouver dont la personne parlait?

R. Là encore, je ne pense pas que ce serait le cas.

Q. […] Maintenant, qui exactement a demandé que cette ligne soit incluse dans cet avis?

R. Quand j’ai rencontré les membres de la Section de recrutement, ils ont mentionné qu’ils avaient l’impression de revoir systématiquement les mêmes candidats, et est-il nécessaire d’évaluer quelqu’un que l’on a jugé non qualifié il y a deux mois de cela à peine, mais dans le cadre d’un autre processus. Parce qu’à cette époque, nous menions plusieurs processus de front de façon à combler la pénurie d’inspecteurs des douanes. Nous avons donc décidé que non, ceux qui avaient été jugés non qualifiés peu de temps plus tôt, et cela voulait dire depuis le 1er janvier 2002, ne seraient pas pris en considération pour ce processus, car il ne se serait pas écoulé assez de temps pour qu’ils puissent améliorer leurs compétences [...] J’ai eu l’impression que cela pouvait être fait.

Q. Et avez-vous écrit cette phrase?

R. Oui.

Q. L’ont-ils approuvée?

R. Oui, ils l’on fait.

Transcription : volume 2, section 5, page 140, lignes 19 à 25; page 141,
lignes 1 à 9 et 24 à 25; page 142, lignes 1 à 4 et 16 à 25; page 143, ligne 8; page 144, lignes 7 à 20; page 145, lignes 7 à 10.

Les concours de dotation sont soumis à leurs propres règles

[166]       Le président a posé à Mme Sharma une série de questions sur la manière dont fonctionnent les répertoires de dotation. Ses réponses sont pertinentes à l’égard de la question de savoir si, par inférence, « le poste » d’inspecteur des douanes se limite aux besoins en dotation de Vancouver, ce qui limite donc la portée de la restriction à l’admissibilité aux personnes qui ont été interviewées depuis le 1er janvier 2002 pour le poste d’inspecteur des douanes au sein du district de Metro Vancouver.

[traduction
Le président : Avant que vous poursuiviez, si quelqu’un s’était qualifié pour ce poste dans un concours à Victoria (et) si cette personne était inscrite dans le répertoire. Vancouver aurait-elle pu puiser dans ce répertoire?

R. Cela dépend de ce que disait l’avis. Si le processus de Victoria prévoyait que la dotation aurait lieu à Victoria et dans le Lower Mainland, alors Vancouver aurait pu puiser dans ce répertoire. Mais s’il ne s’appliquait qu’à des secteurs particuliers, non, alors Vancouver – et Vancouver n’était pas l’un de ces secteurs particuliers, Vancouver ne pouvait pas puiser dans ce répertoire.

Le président : Vous parlez donc du répertoire antérieur qui établissait le secteur à partir duquel il était possible de poser sa candidature; est-ce là ce que vous dites?

R. C’est exact.

Le président : Si vous avez quelqu’un qui est qualifié pour un poste PM‑02 et si cette personne occupe un poste à Victoria, elle est maintenant qualifiée. Est-ce que Vancouver pourrait simplement dire, le gestionnaire recruteur à Vancouver pourrait dire : « J’ai besoin de trois PM‑02, y a-t-il quelqu’un qui s’est récemment qualifié à Victoria? » et simplement les choisir s’ils sont disposés à y aller?

R. Non. […]

Le président : Donc les répertoires sont distincts.

R. Les répertoires sont distincts pour les endroits pour lesquels ils sont établis.

Le président : Et, dans le cas de Vancouver, cela aurait-il inclus le secteur de Victoria?

R. Dans ce processus de Vancouver, dites-vous : est-ce que nous aurions pu répondre aux besoins en dotation pour le – à Victoria? C’est PM‑02, inspecteur des douanes, Vancouver.

Le président : S’il y avait quelqu’un – oh, je vois; donc chaque répertoire est déterminé par l’avis et le secteur –

R. C’est indiqué sur l’avis.

Le président : Donc ce répertoire s’applique uniquement à ce secteur.

R. C’est exact.

Transcription : volume 2, section 5, page 164, lignes 10 à 25; page 165,
lignes 1 à 21.

Les éléments de compétence qu’un comité d’entrevue devrait prendre en considération

[traduction
Q. […] (onglet 28 du volume 1). Il s’agit d’un énoncé des exigences en matière de dotation qui s’applique au poste de Vancouver, le poste d’inspecteur des douanes à Vancouver. Et j’essaie simplement de convertir cette approche fondée sur des valeurs en un exemple concret et précis. Je constate au bas de la page qu’il y a des normes d’évaluation. Et cela indique très clairement que l’Agence pourrait utiliser un ou plusieurs des outils suivants.

R. Oui.

Q. Le jury de sélection aurait-il le pouvoir discrétionnaire de décider quels outils utiliser?

R. Oui.

[…]

Q. Examen écrit, entrevue, contrôle des références, tous se passent d’explications. Je considère, cela dit, qu’on peut les utiliser. Y a-t-il d’autres facteurs ou d’autres renseignements que l’on pourrait également utiliser, comme le rendement d’un employé ayant déjà occupé le poste?

R. Habituellement non. C’est – surtout dans le cas d’un processus externe, nous ne tenions pas compte du rendement d’un employé parce que cela ne serait pas juste pour les personnes ayant posé leur candidature qui n’étaient pas des employées.

Q. Et, d’après vous, vous dites – n’arrive-t-il jamais que l’on tienne compte du rendement d’un employé?

R. Non. Habituellement, dans un processus externe, cet aspect n’est pas pris en compte. Dans un processus interne, il est possible qu’on le fasse. Tous les candidats sont sur un pied d’égalité, mais c’est – je n’ai jamais pris part à un processus où l’on tenait compte de l’évaluation du rendement.

[…]

Le président : Donc, ils présentent ce questionnaire, qui fait partie du portefeuille des compétences. Maintenant, quand Me Yazbeck dit : aurait-on pu aussi décider, le jury de sélection applicable à cet avis – aurait-il pu décider de prendre en compte quelque chose d’autre que, par exemple, le – quand il a fait état du rendement de la personne au travail?

R. Non. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas là d’une chose qu’ils lui conseilleraient de faire, uniquement parce qu’il s’agissait d’un processus externe. Et on ne peut pas tenir compte du rendement d’un individu – d’un seul individu et non – tous ceux qui ont posé leur candidature dans ce cas-ci étaient des employés, alors nous ne pouvions pas – nous ne pouvions pas faire cela. Nous ne pouvions pas nous servir des évaluations du rendement. Ce que nous pouvions faire, c’était vérifier les références, en nous basant sur ce que les candidats disaient à l’entrevue ainsi que dans les compétences écrites. Mais on n’utilise généralement pas les évaluations du rendement dans le cas d’un processus externe pour évaluer un candidat.

[…]

Q. Quand quelqu’un (donne) des références, faites-vous une vérification de ces références, on pose souvent des questions au sujet du rendement d’un employé au sein du poste, est-ce exact?

R. Oui.

Q. Il s’agit donc là d’une autre façon d’examiner le rendement, est-ce exact?

R. Certainement.

Q. C’est donc dire que le rendement est pertinent dans ces genres de processus, n’est-ce pas?

R. Oui. Mais, là encore, cet aspect est évalué au moyen d’une vérification des références.

Q. Il n’y a rien – vous dites que vous n’avez pas – rien n’empêche le jury de sélection d’utiliser une évaluation du rendement, est-ce exact?

R. Là encore, il s’agit d’un système basé sur des valeurs; dans la mesure où le jury de sélection peut justifier pourquoi il le ferait.

[…]

Q. Et, si j’ai bien compris, l’une des valeurs du Programme de dotation de l’ADRC était de s’assurer que n’importe quel processus de sélection qu’il utilisait évaluait de manière juste et exacte les qualifications des employés. Est‑ce là une affirmation juste?

R. Oui.

[…]

Q. Quand vous dites « critères stricts », à quoi faites-vous référence – les huit compétences?

R. Chacune de ces compétences est assortie de critères […] Et c’est en fonction de ces critères que le jury de sélection évalue le candidat. Maintenant, ce que – si un gestionnaire donne à un candidat – désolée, un employé – une évaluation du rendement ou dit : « vous faites du bon travail », eh bien, c’est parfait, mais il y a un autre gestionnaire qui siège au jury de sélection.

Q. Donc, si le gestionnaire siège au jury de sélection, ce gestionnaire aurait une certaine idée du rendement de l’employé, est-ce exact?

R. Oui, effectivement.

Q. Et cela pourrait donc l’amener à se demander pourquoi l’employé a des difficultés à l’entrevue?

R. C’est possible.

Q. Et cela pourrait être – cela pourrait être un facteur pertinent à prendre en considération au moment d’évaluer les qualifications du candidat?

R. Non.

Q. Non, ce ne serait pas pertinent?

R. Je ne crois pas parce que, là encore, il y a des critères stricts à respecter. Si – le processus de sélection, je veux dire, n’est pas parfait, mais nous devons nous en servir. Les critères sont là, sous les qualifications. Si le candidat ne respecte pas ces critères, le jury de sélection ne peut arriver qu’à un seul résultat – une personne non qualifiée. Cela arrive. Cela arrive souvent – tout le temps. Cela m’est arrivé dans le passé.

Q. Mais vous venez tout juste de dire que, si le gestionnaire de l’employé siège au jury de sélection, il peut avoir une certaine idée du rendement réel de l’employé, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Et si le gestionnaire savait que l’employé avait eu un bon rendement – et qu’ensuite à l’entrevue, l’employé ne semble pas démontrer la compétence d’une manière jugée satisfaisante par le jury de sélection, dites-vous que vous ne mettriez jamais en doute la conclusion du jury de sélection, à savoir que la personne n’est pas qualifiée?

R. Non, ce n’est pas ce que je dis.

Q. Cela jetterait donc un doute sur l’évaluation du jury de sélection?

R. Oui.

Q. Très bien. Et, de façon générale, Mme Sharma, lorsqu’un homme – nous avons vu une preuve d’évaluation; et lorsqu’un gestionnaire entreprend d’évaluer un employé, il examine l’ensemble du rendement de cet employé, est-ce exact?

R. Je le suppose. C’est-à-dire que je ne peux pas le dire pour tous les gestionnaires, mais c’est sûr qu’on le fait.

Q. Mais si c’était vous, examineriez-vous l’ensemble du – et si c’était – vous examineriez l’ensemble du rendement?

R. Oui.

Q. Parce que vous – et s’il y avait des problèmes précis, vous en parleriez à l’employé?

R. J’en aurais parlé à l’employé au moment où le problème se posait.

[…]

Q. Maintenant, hier vous avez parlé de ce qui se passe quand le jury de sélection – désolé, quand un candidat pourrait échouer et le jury de sélection pourrait arrêter. Et vous y avez fait allusion, ce matin aussi, je crois, en réponse à une question de M. Sinclair. Hier, vous avez dit que le jury de sélection doit indiquer très clairement qu’il ne peut faire rien de plus pour faire passer la personne. En d’autres mots, l’erreur de l’employé doit être flagrante, je pense que c’est le mot que vous avez employé. Est-ce que vous vous en souvenez?

R. Oui.

Q. Je déduis donc de votre témoignage que, quand vous avez dit « des plus clairs », que le jury de sélection est obligé d’être sûr que le candidat n’est pas qualifié?

R. C’est bien cela.

Q. Et, s’il ne le fait pas, le processus comporte dans ce cas une lacune, est-ce exact?

R. Oui.

L’analyse du témoignage de Mme Sharma

[167]       Le témoignage de Mme Sharma situe le contexte dans lequel évaluer la façon dont M. Tarnawski et M. Baird, à titre de présidents de leur comité d’examen respectif, ont interviewé de vive voix M. Turner.

[168]       Le témoignage de Mme Sharma m’amène à conclure que le processus de dotation, qui a exclu M. Turner parce qu’il n’avait pas les compétences requises pour être inspecteur des douanes – manquait totalement de rigueur. Il était basé sur un instrument grandiloquent, le portefeuille des compétences (un nom impropre), une réponse écrite du candidat qui, si ce dernier obtenait la note de passage, débouchait sur une entrevue. Le processus d’entrevue était mené au petit bonheur et subjectif; il déterminait pompeusement si un candidat était compétent pour devenir inspecteur des douanes. Le fait est que, par définition, « compétent » veut dire suffisamment qualifié ou apte; devenir qualifié ou apte oblige à apprendre en cours d’emploi et à établir un degré de compétence.

[169]       Il convient de noter que c’est un commentaire du directeur de la section de l’Aéroport international de Vancouver de l’ASFC, M. Flagel, qui a révélé l’inefficacité du processus de dotation, un commentaire que l’avocat de l’intimée a attribué à M. Flagel lors du contre‑interrogatoire de M. Hughes :

[traduction
À cause du nombre croissant des plaintes de voyageurs, dont un grand nombre concernait les gestes et le comportement d’inspecteurs des douanes relativement nouveaux, il estimait qu’il était nécessaire, au moment de l’évaluation des candidats, de traiter de certains critères qui n’étaient pas inclus dans l’énoncé des exigences. Comme il l’a fait remarquer, il estimait que la manière de traiter les situations difficiles devait être l’une des qualifications.

I.                   Le témoin Ronald Paul Tarnawski

[170]       Au moment de son témoignage dans le cadre de l’instruction du Tribunal le 22 janvier 2009, M. Tarnawski exerçait les fonctions de surintendant du secteur du passage des camions du district de Pacific Highway, dans la région du Pacifique (Lower Mainland) de l’ASFC. La carrière de M. Tarnawski dans le domaine des services frontaliers a commencé en 1990, et il a été affecté à divers points d’entrée, dont Peace Arch, Pacific Highway et Huntingdon (C.-B.).

[171]       En 2000, M. Tarnawski a été muté à l’AIV, où lui et le surintendant Mark Northcott ont mis sur pied et dirigé une section régionale de recrutement au cours des six années suivantes. Il a expliqué que chaque district de la région du Pacifique était chargé de ses propres activités de recrutement, ce qui avait donné lieu à des processus d’embauche incohérents et, malheureusement, à une certaine concurrence entre les divers districts, comme l’avait illustré, à une reprise, un district qui avait attendu qu’un autre district crée un répertoire de candidats pour ensuite faire du maraudage et mettre la main sur des candidats qualifiés. Ce degré de dysfonctionnement a amené les directeurs des activités de l’ASFC dans le Lower Mainland à regrouper les Opérations maritimes, les Opérations routières et les Opérations de l’AIV de façon à ce qu’elles relèvent d’une section de recrutement régionale.

[172]       M. Tarnawski a expliqué que, parallèlement, l’ADRC faisait également face à d’énormes changements sur le plan des exigences professionnelles.

[traduction
[…] Douanes et Revenu, à l’époque, subissaient aussi de très gros changements sur le plan des exigences professionnelles, des choses qu’on nous autorisait maintenant à faire, car nous nous transformions nettement plus en un organisme du type application de la loi. Et les directeurs se souciaient également de ce que nous faisions sur le plan du recrutement pour attirer les bons candidats, ou du fait que nous fassions en sorte que les activités de recrutement favorisent la carrière [inaudible] et des facteurs comme ceux-là, et, ensuite, de ce que nous faisions pour évaluer ces candidats afin de nous assurer qu’ils étaient réellement capables d’accomplir les tâches […] Nous avons examiné ce que d’autres organismes d’application de la loi faisaient; nous avons étudié leurs techniques de recrutement.

Q. Et ensuite que faisiez-vous pour évaluer ces candidats, pour vérifier s’ils pouvaient réellement accomplir les tâches?

R. Cela faisait partie intégrante de la création des sections de recrutement. Nous avons étudié ce que faisaient d’autres organismes d’application de la loi. Nous avons examiné leurs techniques de recrutement, le genre de matériel publicitaire dont ils disposaient, et nous avons ainsi commencé à prendre part à des salons de recrutement. Nous avons créé des bannières, des toiles de fond et de la documentation; ils s’appliquaient exclusivement à la région du Pacifique.

[…]

Et, là encore, en nous inspirant de ce que faisaient nos partenaires sur le plan de l’application de la loi, nous avons conçu en fin de compte un processus permettant aux candidats de poser leur candidature en ligne. […]

Transcription : 22 janvier 2009; page 122, lignes 14 à 25; page 123, lignes 1 à 8; page 124, lignes 12 à 15.

[173]       M. Tarnawski et M. Northcott ont conçu en fin de compte un processus d’entrevue uniformisé qui comprenait les étapes suivantes : la présentation de demandes en ligne, la sélection des demandes par des personnes ayant une expérience dans le domaine, l’envoi aux candidats ayant franchi l’étape de la sélection d’un « portefeuille » de sept compétences à remplir par écrit et à renvoyer, et, pour finir, une entrevue des candidats ayant obtenu la note de passage à l’égard de leurs compétences.

[174]       En décrivant le processus de dotation que M. Northcott et lui avaient établi, M. Tarnawski a déclaré que tout ce qu’ils cherchaient dans le portefeuille que les candidats rédigeaient était un niveau de connaissances de base qui permettrait aux membres du jury de sélection de parler avec eux au moment de l’entrevue. M. Tarnawski a décrit la première de deux entrevues, qui portait sur les communications interactives efficaces; elle durait de 30 à 40 minutes et le taux d’échec était de 50 %.

[175]       M. Tarnawski a dit de M. Turner qu’il était un candidat qu’il avait interviewé dans le cadre de deux processus de dotation : la possibilité d’emploi à Vancouver ainsi que le concours Victoria 7012, tenu plus tôt.

[176]       Pour ce qui est du concours Victoria 7012, M. Tarnawski a déclaré que Victoria organisait ses propres processus et avait besoin qu’on lui fasse une démonstration de la manière d’utiliser le guide d’entrevue et le guide de notation dont on se servait à Vancouver. M. Tarnawski a identifié la pièce R‑3, onglet 62, comme étant la feuille maîtresse, ou le guide de notation, dont on s’était servi lors d’une entrevue de M. Turner, réalisée à Victoria le 13 février 2003, dans le cadre du concours Victoria 7012.

[177]       M. Tarnawski a identifié la pièce R‑3, onglet 63, comme étant ses notes concernant l’entrevue qu’il avait menée avec M. Turner. Les autres membres du groupe étaient le surintendant Mark Northcott et les surintendants de Victoria et de l’île de Vancouver, Kathy Pringle et Rob Farrell, respectivement. Selon les souvenirs qu’avait M. Tarnawski de l’entrevue, Mme Pringle et M. Farrell étaient des observateurs qui n’avaient pas pris part à l’évaluation proprement dite de M. Turner.

[178]       M. Tarnawski a identifié la pièce R‑3, onglet 63, comme étant ses notes concernant l’entrevue, et on lui a demandé si ces dernières lui rafraîchissaient la mémoire au sujet de cette occasion.

[traduction
Eh bien, je me souviens d’avoir été présent – je me souviens d’avoir interviewé M. Turner. Je me souviens d’avoir pris des notes. Est-ce que je me rappelle les détails complexes de cette entrevue? Non, je ne m’en souviens pas.

[…]

Ce que mes notes me disent, c’est qu’après quelques questions portant sur le traitement des situations difficiles et après quelques commentaires dans ses questions d’entrevue au sujet de la prise de décisions, j’ai inscrit ceci : « Il n’obtient pas tous les renseignements requis avant de prendre une décision. Pêche par excès de prudence en faveur de l’importateur ou du voyageur. Même si le candidat fait de nombreuses présomptions à propos de la personne à qui il a affaire et de la manière de la traiter – ou dont il devrait la traiter. Compare comment faire affaire avec les voyageurs américains en raison de la situation raciale. Dit : J’évalue les gens et je prends des décisions pendant qu’ils s’avancent vers moi ou en examinant quel genre de véhicule ils conduisent. »

J’ai inscrit ici : « Doutes au sujet de la connaissance générale qu’a l’agent du TSD ». Cela signifie : traitement des situations difficiles.

Donc, ce qui ressort essentiellement de mes notes, c’est qu’il fait des présomptions et qu’il s’en sert pour prendre des décisions, et cela, ce n’est pas une bonne chose, en ce sens que cela peut faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. Vous savez, parfois, c’est sûr que vos présomptions peuvent être bonnes, mais bien souvent cela peut se solder par une plainte au comptoir avant si quelqu’un a le sentiment de ne pas avoir été traité comme il faut ou peut-être d’avoir été traité de manière inappropriée, ou vice versa. Il se peut que vous ne repériez pas une menace ou un risque alors que cette menace ou ce risque est là, directement devant vous.

[Non souligné dans l’original.]

Transcription : 29 janvier 2009; page 131, lignes 20 à 23; page 134, lignes 1 à 25; page 135, lignes 1 à 6.

[179]       L’entrevue que M. Turner a passée à Victoria le 13 février 2003 est troublante, et ce, pour deux raisons.

[180]       Premièrement, M. Tarnawski s’est servi de M. Turner, sans autorisation, comme outil pédagogique, en vue de faire une démonstration de ses capacités d’entrevue devant Mme Pringle et M. Farrel. Cela a clairement perturbé M. Turner.

[traduction
Me Yazbeck : M. Turner, vous venez tout juste de dire qu’on ne vous a pas rappelé à l’été 2004. Votre plainte – et nous parlions du concours de Victoria et du concours de Vancouver. Est-ce que vos préoccupations au sujet de ces derniers sont les mêmes?

R. Oui, mes préoccupations sont les mêmes. Je pense qu’avec tous les membres supplémentaires qui assistaient au processus, les quatre que j’ai eus pour – en 2002 et les trois que j’ai eus à la fin de 2003 et les trois membres de comité que j’ai eus lors du processus de Vancouver. J’ai certes été intimidé.

Je crois que celui auquel Janet Sabo a participé, elle est l’épouse de Trevor Baird, et je crois qu’elle avait été invitée juste pour voir Trevor Baird mettre mal à l’aise un homme noir âgé et corpulent à l’étape de l’entrevue.

Transcription : volume 2, section 3; page 25, lignes 6 à 25.

[181]       Deuxièmement, M. Tarnawski a conclu de manière spécieuse que M. Turner, en décrivant de quelle façon il accueillait les voyageurs à l’examen primaire, faisait des présomptions plutôt que de prendre des décisions raisonnées. Que l’explication de M. Turner : [traduction] « [j]’évalue les gens et je prends des décisions pendant qu’ils avancent vers moi ou en examinant quel genre de véhicule ils conduisent » était un processus décisionnel qui reposait sur des présomptions. Il m’apparaît clairement que la manière dont M. Turner évaluait les gens pendant qu’ils s’approchaient de la guérite d’inspection primaire était un processus d’estimation, une première étape permettant de décider quelles questions il fallait poser au voyageur. De plus, le témoignage général de M. Turner a révélé qu’une fois qu’il avait fait son évaluation initiale, et suivant la nature des réponses données à ses questions, alors, et alors seulement, il prenait-il, à titre d’inspecteur des douanes, la décision d’autoriser la personne à entrer au pays ou d’exiger qu’elle subisse un examen secondaire.

[182]       Me Stark est revenu sur le concours de Vancouver et a fait identifier par M. Tarnawski un avis de processus sélection relatif au concours de Vancouver portant le numéro 2003 1727 PACK 39611002 (concours Vancouver 1002). M. Tarnawski a déclaré qu’il s’agissait d’un [traduction] « […] avis de possibilité de carrière concernant des postes qui seraient affichés pour l’AIV, le district de Metro Vancouver ou le district de Pacific Highway dans le cadre d’un concours mené par le surintendant Mark Northcott et moi-même. » Transcription : 29 janvier 2009; page 135, ligne 25, page 136, lignes 1 à 4.

[183]       La restriction à l’admissibilité indiquait que [traduction] « Les candidats qui ont été interviewés pour ce poste depuis le 1er janvier 2002 ne sont pas admissibles au concours. »

Le contre-interrogatoire de M. Tarnawski

[184]       Dans le cadre d’un contre-interrogatoire rigoureux, M. Tarnawski a reconnu avoir appliqué une restriction à l’admissibilité qui était viciée pour exclure tout candidat qui, au cours de la période de deux ans postérieure au 1er janvier 2002, avait été jugé non qualifié dans le cadre du concours Vancouver 1002, un processus de dotation qui visait à embaucher des inspecteurs des douanes.

[traduction
Me Champ : Tout d’abord, soyons clairs, l’avis, lui-même indique : si vous avez été interviewé auparavant.

R. C’est exact.

Q. Il ne dit rien au sujet du fait d’avoir réussi ou non?

R. C’est exact.

Q. Donc, nous pouvons présumer que les personnes qui ont lu ceci n’auraient pas compris qu’il y avait une restriction quelconque à la qualification […]

R. Très bien. Je ne vais pas – je ne présume absolument rien. Vous pouvez le présumer. Je ne présume pas cela, parce que ce n’était pas l’intention visée. Je suis sûr que cela peut avoir causé quelques problèmes, et je pense l’avoir déjà dit très tôt cet après-midi.

Q. C’est exact.

R. Parce que je sais que le libellé était inexact et je savais que nous – il y avait probablement des lacunes lorsque nous l’avons vu sur l’avis. Mais je ne vais pas tirer une conclusion hâtive et dire que des gens avaient présumé quoi que ce soit.

Transcription : 22 janvier 2009; page 174, lignes 8 à 25; page 175, ligne 1.

[traduction
Q. Tant qu’à parler de cet avis, vous verrez ici, on peut lire le numéro du processus de sélection et le numéro de l’avis, vient ensuite la mention « inspecteur des douanes PM‑02, Vancouver et district de l’Aéroport international, district de Metro Vancouver et district de Pacific Highway ». Il s’agit donc de trois districts différents, n’est-ce pas?

R. C’est exact.

Q. Donc, lorsque vous avez créé ce répertoire, ces trois districts pouvaient puiser dans le répertoire?

R. C’est exact.

Q. Et cela – n’est-ce pas là une interprétation juste de ce poste? Ce poste veut dire inspecteur des douanes à ces trois endroits.

R. Je ne vais pas vous dire ce qu’il faut croire ou non. Ce que cela vous dit, c’est que ces postes s’appliquent à cet avis. C’est ça que cela vous dit.

Transcription : 22 janvier 2009; page 178, lignes 20 à 25; page; page 179,
lignes 1 à 15.

[traduction
Le président : Donc, si j’ai déjà été interviewé en vue d’un poste d’inspecteur des douanes – et on n’est pas limité à ces endroits –

R. Exact.

Le président : Vous auriez donc dit, si j’avais été interviewé, tout candidat qui a été interviewé en vue du poste d’inspecteur des douanes depuis le 1er janvier 2002 ne sera pas admissible à ce concours?

R. C’est ce que dit l’avis.

Le président : Aucun candidat ayant été interviewé ne sera admissible?

R. C’est ce que dit l’avis, oui monsieur.

Le président : Vous ne l’avez pas appliqué de cette façon, n’est-ce pas?

R. Non, ce n’est pas ainsi que nous l’avons appliqué. Maintenant, je ne peux pas vous dire combien de gens de Victoria nous avons interviewés, mais, si nous avons trouvé des gens – si des gens ont été considérés comme qualifiés au cours du processus antérieur, nous n’appliquions pas cette restriction. Comme je le dis, le libellé cause des cauchemars, je crois.

Le président : Eh bien, il aurait causé des cauchemars aux candidats aussi, n’est‑ce pas?

R. Oui.

Transcription : 22 janvier 2009; page 177, lignes 5 à 25; page 178, lignes 1 à 3.

[185]       Me Champ a montré la pièce R‑2, onglet 33, à M. Tarnawski, une lettre datée du 1er juin 2004, signée par M. Tarnawski et envoyée à M. Turner, disant qu’il n’était pas admissible à la possibilité d’emploi à Vancouver. M. Tarnawski a déclaré qu’il [traduction] « […] se pouvait fort bien que la lettre ait été créée expressément pour Levan Turner. » Transcription : 22 janvier 2009; page 204, lignes 9 à 11.

[186]       Me Champ a laissé entendre que M. Turner avait été le premier candidat éliminé par la restriction à l’admissibilité, et M. Tarnawski a convenu que c’était [traduction] « […] tout à fait possible », et il a convenu aussi qu’il était [traduction] « fort possible » que M. Turner ait été le seul candidat éliminé.

[traduction

Q. Qu’avait M. Turner de si marquant pour que M. Northcott et vous l’éliminiez?

R. Que voulez-vous dire par « marquant »?

Q. Pourquoi était-il le seul? Sur sept – six ou sept, huit – six ou sept cents candidats pour le concours de Vancouver, pourquoi est-il le seul à avoir été éliminé pour ce motif?

R. Eh bien, je crois qu’il s’agissait du premier processus dans le cadre duquel nous appliquions la restriction; d’accord?

Q. Très bien.

R. Et il y a eu manifestement une reconnaissance quelconque.

Q. Très bien. Donc, vous l’avez reconnu lui, mais personne d’autre?

R. Je dirais que oui.

Transcription : 22 janvier 2009; page 205, lignes 6 à 7 et lignes 5 à 18.

[187]       Dans le témoignage qu’il a fait en contre-interrogatoire, M. Tarnawski a [traduction] « tout à fait » convenu qu’un candidat qui n’avait pas réussi au concours Victoria 7003 aurait pu réussir au concours Vancouver 1002, même si les portefeuilles des compétences étaient les mêmes. Il a pourtant aussi reconnu que l’exclusion pour cause d’admissibilité de M. Turner du concours de Vancouver, au beau milieu du processus d’entrevue, était, comme le président l’a dit, [traduction] « […] une sorte de gâchis ».

[188]       Pour ce qui est de la pièce R‑2, onglet 33, la lettre type datée du 1er juin 2004 qui a été envoyée à M. Turner pour l’aviser qu’il avait été exclu à cause de la restriction à l’admissibilité, M. Tarnawski a convenu qu’on n’avait envoyé cette lettre à aucun autre candidat; qu’il était [traduction] « tout à fait possible » que, sur les six ou sept cents candidats, il était [traduction] « fort possible » que M. Turner ait été le seul exclu.

[189]       La pièce R‑3, onglet 91, une liste maîtresse de candidats au concours Vancouver 1002, a été présentée à M. Tarnawski et, dans un contre-interrogatoire passablement long, il a été établi que la grande majorité des candidats n’avaient aucune expérience en tant qu’inspecteurs des douanes. De plus, il a été établi que plusieurs candidats ayant un minimum de qualifications avaient été considérés comme qualifiés et inscrits dans le répertoire de dotation, alors que M. Turner, un inspecteur des douanes chevronné, un candidat qui avait obtenu la note de passage lors du processus d’entrevue, avait fait l’objet d’une exclusion illogique. Il est donc nécessaire d’examiner les circonstances entourant l’exclusion afin de déterminer si l’exclusion technique de M. Turner était un prétexte utilisé pour le priver de la possibilité de continuer à travailler pour l’intimée. Était-ce un prétexte pour dissimuler le fait qu’un homme noir d'âge mûr ayant une déficience perçue – l’obésité – ne correspondait pas à l’image d’un agent des services frontaliers chargé d’appliquer la loi? Si oui, cela a fait subir à M. Turner une différence de traitement en tant qu’ancien employé de l’intimée et il s’agissait là d’un acte discriminatoire au sens de la LCDP.

[190]       Me Champ a conclu son contre-interrogatoire en mettant en doute l’explication de M. Tarnawski selon laquelle c’étaient la voix et la présence de M. Turner qui lui avaient permis de se souvenir de leur contact antérieur à l’entrevue relative au concours Victoria 7012.

[traduction
Q. Donc M. Tarnawski, vous comprenez maintenant pourquoi M. Turner se sent un peu lésé, car, manifestement, il est le seul à avoir été exclu de ce concours à cause de cette restriction?

R. D’accord.

Q. Et, d’après ce qu’il semble, il a été identifié à tout le moins parce que tous les deux – parce que vous avez reconnu sa voix et sa présence en raison d’une rencontre précédente?

R. Oui. À vous entendre, je comprends qu’il a peut-être été vu sous un mauvais jour. Si je puis peut-être suggérer quelque chose ici : Levan entre dans la pièce, c’est un gars positif, ça va?

Q. Oui.

R. Et Levan souriait, d’accord? Et Levan aimait faire des choses qui le faisaient remarquer, et vous saviez que Levan était là. Et Levan avait inscrit son nom sur des cartes et les avait déposées devant eux à l’entrevue, parce qu’il voit tout le temps le côté positif des choses. Levan semblait toujours être positif. Maintenant, si vous dites que j’ai dit m’être souvenu de lui à cause de sa présence et si vous essayez de sous-entendre quelque chose qui pourrait être déplacé, ce n’est pas dans ma nature, Monsieur, ça va? Si j’ai dit cela, ce serait à cause des aspects positifs que j’ai notés chez Levan, et non à cause de quelque chose de déplacé. Je ne suis pas sûr de ce que vous essayez de – de ce que vous voulez que l’on en déduise.

Q. M. Tarnawski, disons les choses simplement : sans aucune mauvaise intention de votre part, loin de là ––

R. Très bien.

Q. –– est-il possible que ce soit juste parce que M. Turner est un homme corpulent et un homme noir que vous vous êtes souvenu de lui, que vous l’avez tout simplement reconnu plus que d’autres?

R. Eh bien, je n’ai pas interviewé, je ne pense pas, un tas de gens qui correspondaient aux mêmes caractéristiques physiques que celles de M. Levan Turner. Mais j’ai interviewé bien des gens qui étaient très optimistes, tout comme M. Turner, ça va? Donc, M. Turner, vous savez, chaque fois que nous nous rencontrons, nous avons une conversation parce qu’il est du genre positif, et qu’il est facile de lui parler. Et c’est de cela que je me souvenais au sujet de M. Turner. Et il était facile de se souvenir d’une personne sur les quatre ou six qui se trouvaient dans la pièce ce jour-là. Je n’avais pas à me souvenir des 500 ou des 600 que j’allais devoir voir dans le Lower Mainland et interviewer.

Transcription : 22 janvier 2009; page 244, lignes 3 à 25; page 245, lignes 1 à 25.

L’analyse de la dernière question posée à M. Tarnawski en contre-interrogatoire

[191]       La question posée à M. Tarnawski (–est-il possible que ce soit juste parce que M. Turner est un homme corpulent et un homme noir que vous vous êtes souvenu de lui, que vous l’avez tout simplement reconnu plus que d’autres?) est une question à laquelle M. Tarnawski aurait pu répondre « oui » ou « non »; au lieu de cela, il est devenu réticent, ce qui, en soi, m’amène à me demander s’il était craintif et avait beaucoup de difficulté à dire : « Oui, je me souviens de M. Turner parce que c’est un homme noir et corpulent qui a une personnalité positive ». La réticence de M. Tarnawski est enveloppée dans les circonstances concomitantes selon lesquelles : 1) le concours Vancouver 1002 était assorti d’une restriction, dont M. Tarnawski était l’un des auteurs, qui excluait les personnes qui avaient été interviewées dans le cadre de n’importe quel avis d’emploi antérieur au cours des deux années précédentes; 2) la restriction à l’admissibilité était viciée par une ambiguïté dont M. Tarnawski s’était rendu compte aussitôt après l’annonce du concours; 3) même s’il était au courant de l’ambiguïté que présentait la restriction, M. Tarnawski ne l’a appliquée qu’à la candidature de M. Turner aussitôt après que ses collègues du comité d’examen et lui ont jugé que M. Turner était qualifié pour être inscrit dans un répertoire d’éventuels inspecteurs des douanes; 4) l’exclusion a effectivement mis un terme aux aspirations qu’avait M. Turner de devenir agent des services frontaliers.

V.                Analyse

A.                Préface aux motifs de décision

[192]       Dans ses remarques préliminaires, l’avocat du plaignant a demandé ce qui suit :

[traduction
Pourquoi? Pourquoi est-ce arrivé? Pourquoi un employé, qui avait un bon rendement, qui n’avait pas de lacunes sur le plan du rendement, pourquoi cet employé n’est-il tout à coup plus qualifié? Le plaignant, Monsieur, est Levan Turner. Il s’agit d’un homme noir d’âge mûr, et il est d’avis que ces facteurs, de même que sa taille, sont les raisons pour lesquelles on lui a refusé cet emploi. […] une preuve prima facie de discrimination sera présentée, laquelle n’a pas été réfutée. […] il n’y a aucune explication autre que la race ou l’âge de l’employé, ou sa déficience perçue, c’est-à-dire son poids.

[193]       Dans son argumentation écrite, l’avocat du plaignant a déclaré ce qui suit :

[traduction
En droit, la question est de savoir s’il est perçu par d’autres comme ayant une forme de déficience, et si, de ce fait, il est traité de manière discriminatoire. Les gens qui font de l’embonpoint sont souvent confrontés à l’opinion stéréotypée selon laquelle l’obésité est synonyme de paresse.

L’avis de M. Turner sur la raison pour laquelle on l’a empêché de continuer à travailler

[194]       Lors de l’instruction, le président, M. Sinclair, a demandé à M. Turner quelles conclusions il avait tirées en apprenant que d’autres employés saisonniers avaient été rappelés au travail à l’été 2004, mais pas lui; et l’avocat du plaignant a posé à M. Turner une question semblable au sujet des processus de dotation de Victoria et de Vancouver qui sont en litige ici. M. Turner a déclaré ce qui suit :

[traduction
R. Il s’agissait pour la plupart d’étudiants et – il s’agissait en grande partie du personnel qui était là l’année précédente.

Le président : Donc, quand vous avez entendu cela, vous avez conclu […] vous étiez en colère et vous avez conclu quoi?

R. J’étais très en colère et extrêmement contrarié. À cause de tout le travail que j’y avais investi et de toutes les années que j’y avais consacrées, je veux dire, mes qualifications étaient, pour moi, elles étaient parfaites. Et ils avaient – pour avoir travaillé pour le gouvernement, je sais maintenant qu’il y a de nombreux recours ou d’autres voies qu’il est possible d’utiliser pour embaucher quelqu’un.

Il faut donc croire qu’ils ne voulaient vraiment pas me ravoir et je me suis dit, ça doit être à cause de ma race et, vous savez, je ne parais pas aussi bien dans un uniforme qu’ils le voudraient, et je suis trop âgé. Ils se sont probablement dit que je serais un fardeau pour le système.

Transcription : volume 2, section 3; page 24, lignes 1 à 21.

Les décisions : les concours Vancouver 1002 et Victoria 7003

[195]       Selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que les comités d’examen respectifs, tant dans le cadre du concours Vancouver 1002 que dans celui du concours Victoria 7003, ont privé M. Turner d’impartialité décisionnelle. Je conclus que ces deux processus ont été menés sans légitimité et incorrectement à l’égard des demandes que M. Turner a présentées en vue de devenir un employé de l’ASFC, une agence de services policiers et frontaliers dont la culture s’orientait vers l’application de la loi, et travaillant en synergie avec d’autres organismes canadiens d’application de la loi. La principale question à laquelle doit répondre le Tribunal dans le cas présent consiste à savoir si la partialité décisionnelle et sa corollaire, le traitement défavorable que M. Turner a subi – qui découle de l’inférence selon laquelle un homme noir, obèse et d’âge mûr ne correspond pas à l’image ou n’entre pas dans le moule d’un service de police frontalier – sont liées à une discrimination fondée sur un motif illicite au sens de la LCDP. J’analyserai cette question plus en détail, plus loin dans la présente décision.

La crédibilité des témoins

[196]       Dans l’arrêt R. c. R.E.M., 2008 CSC 51 (R.E.M.), la juge en chef McLachlin a fait remarquer, au paragraphe 49, que les conclusions de fait concernant la crédibilité peuvent mettre en cause des facteurs qui sont difficiles à expliquer :

Bien qu’il soit utile que le juge tente d’exposer clairement les motifs qui l’ont amené à croire un témoin plutôt qu’un autre, en général ou sur un point en particulier, il demeure que cet exercice n’est pas nécessairement purement intellectuel et peut impliquer des facteurs difficiles à énoncer. De plus, pour expliquer en détail pourquoi un témoignage a été écarté, il se peut que le juge doive tenir des propos peu flatteurs sur le témoin. Or, le juge voudra peut‑être épargner à l’accusé, qui a témoigné pour nier le crime, la honte de subir des commentaires négatifs sur son comportement, en plus de celle de voir son témoignage écarté et d’être déclaré coupable. Bref, l’appréciation de la crédibilité est un exercice difficile et délicat qui ne se prête pas toujours à une énonciation complète et précise.

[197]       Dans l’arrêt F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 (McDougall), au paragraphe 76, lequel a été rendu en même temps que l’arrêt R.E.M., l’observation suivante a été formulée :

En fin de compte, ajouter foi à un témoignage et non à un autre est affaire de jugement.

[198]       Dans la décision Van Berkel v. MPI Security Ltd (1997) 28 C.H.R.R. D/504 (B.C.H.R.C.), le membre instructeur Kenneth Attafuah, se reportant à l’arrêt McDougall, a déclaré ce qui suit :

[traduction
Conformément à ces principes juridiques, la cohérence du témoignage de chacun des témoins a été examinée en regard de la prépondérance de la preuve compte tenu des circonstances actuelles entourant l’emploi de la plaignante avec [de l’entreprise intimée]. J’ai également examiné la preuve sous l’angle de la plausibilité dans les circonstances et évalué les motifs des témoins. En outre, j’ai porté attention à leur sens de l’observation et à leur mémoire, ainsi qu’à leur attitude et à leur comportement sous serment, de même qu’à la manière dont ils ont témoigné. Enfin, j’ai examiné si leur témoignage manquait de cohésion interne ou s’il y avait des incohérences et des contradictions importantes.

a)      Le témoin du plaignant Christopher Hughes

[199]       M. Hughes a parlé des efforts infructueux qu’il a faits pour retrouver son emploi auprès de l’intimée lors du concours Vancouver 1002, affiché le 9 juin 2003, et du concours Victoria 7003, affiché le 11 octobre 2003. Comme premier témoin dans la présente instruction, M. Hughes a témoigné de manière précise sur le traitement de ses demandes dans le cadre de ces deux concours; il a aussi témoigné au sujet de questions qui, selon lui, constituaient de la manipulation de concours de la part de la direction.

[200]       En 1995, M. Hughes était au service de Revenu Canada à Victoria (C.-B.) à titre d’agent de recouvrement. Tout d’abord employé nommé pour une période déterminée, il a acquis le statut d’employé nommé pour une période indéterminée en 1996. En mars 2001, il a posé sa candidature, laquelle a été retenue, et, en 2002, il a été embauché à titre d’inspecteur des douanes saisonnier (de mai à octobre), ce qui lui a permis de continuer à travailler l’hiver à titre d’agent de services aux entreprises auprès de Revenu Canada. M. Hughes a commencé à souffrir d’une dépression et il a été licencié le 30 septembre 2004. M. Hughes a déclaré ouvertement qu’il avait contesté son employeur, tout d’abord comme dénonciateur, ensuite par le dépôt d’un grief concernant des processus d’embauche, puis au moyen d’une plainte à la Commission de la fonction publique qui a donné lieu à un rapport d’enquête faisant état d’irrégularités de la part de l’employeur et, enfin, de plaintes de discrimination au titre de la LCDP.

[201]       Conformément aux principes juridiques précités, j’ai pris en considération le témoignage de M. Hughes en mettant particulièrement l’accent sur sa vraisemblance et sa cohérence. Enfin, je suis convaincu que le témoignage direct de M. Hughes est demeuré intact en contre‑interrogatoire.

[202]       Le témoignage de M. Hughes montrait qu’il avait une connaissance détaillée des processus de dotation de l’intimée, une connaissance qu’il avait acquise au cours de ses propres démêlés avec la direction de son employeur. En particulier, il avait fait preuve de diligence en mettant au jour une grande quantité de documents qui lui avaient procuré des renseignements sur d’autres personnes qui avaient présenté leur candidature avec succès en vue d’un emploi auprès de l’intimée.

[203]       Je conclus que M. Hughes a été un témoin digne de foi. Son témoignage peut situer un contexte dans lequel examiner le témoignage du plaignant ainsi que celui des témoins de l’intimée.

b)     Le plaignant Levan Turner

[204]       J’ai porté une attention particulière au témoignage qu’a fait M. Turner au cours de son long contre-interrogatoire. Ce témoignage est demeuré nettement compatible avec le témoignage principal qu’il avait fait sur les questions principales qui étaient en litige dans la présente affaire, et il a confirmé les compétences qu’il avait acquises au cours de ses cinq années d’emploi saisonnier au service de l’intimée. Je conclus que M. Turner a été un témoin digne de foi.

c)                  Le témoin de l’intimée Shalina Sharma

[205]       Mme Sharma a témoigné de manière plausible au sujet des processus de dotation de l’ASFC, ainsi que des changements que ces processus ont subis au fil des ans, particulièrement des difficultés causées par la création inopinée de l’ASFC à la fin 2003. Dans son témoignage principal, Mme Sharma s’est exprimée de manière manifestement partiale au sujet de la question principale qu’était la clause ambiguë de restriction à l’admissibilité qu’elle avait rédigée pour le processus de dotation du concours Vancouver 1002. Cependant, dans le cadre d’un vigoureux contre-interrogatoire, Mme Sharma a admis que l’on aurait pu considérer que la restriction viciée, qui figurait sur l’avis de possibilité d’emploi, ne s’appliquait qu’aux personnes qui avaient posé leur candidature en vue d’un emploi d’inspecteur des douanes PM‑02 afin de travailler à l’endroit précisé dans l’avis, soit le district de l’AIV, le district de Metro Vancouver ainsi que le district de Pacific Highway.

d)                 Le témoin de l’intimée Ron Tarnawski

[206]       Pour ce qui est de la question principale que constitue la restriction à l’admissibilité lors du processus de dotation de Vancouver et de la manière dont il a interviewé le plaignant, le témoignage principal de M. Tarnawski en apparence vraisemblable est devenu incohérent et argumentatif lorsqu’il a été soumis à un rigoureux contre-interrogatoire, notamment au sujet de son application intraitable et incompréhensible de la restriction à l’admissibilité sur une vaste échelle. Le résultat était inévitable, M. Turner a dit « non » en réponse à une question préliminaire posée à l’entrevue (soit celle de savoir s’il avait posé antérieurement sa candidature en vue de devenir inspecteur des douanes à Vancouver), en ne faisant aucunement mention d’une demande antérieure présentée dans la région de Victoria. Il s’agissait d’une impasse, créée par la décision de M. Tarnawski d’appliquer sans vergogne une restriction ambiguë qu’il avait conçue conjointement et qu’il avait appliquée uniquement à M. Turner, jetant ainsi sur lui l’ombre du mensonge.

e)                  Le témoin de l’intimée Terry Klassen

[207]       Même s’il s’est exprimé de façon souvent vague et incohérente, M. Klassen, un surintendant intérimaire, a relaté de manière véridique une rencontre avec le plaignant ainsi que les discussions qu’ils avaient eues au sujet d’un examen du rendement annuel qu’il avait fait pour le plaignant. Je suis convaincu que M. Klassen a relaté avec franchise une autre conversation qu’il avait eue avec le plaignant à la suite de leur discussion concernant l’examen du rendement, une discussion dans laquelle M. Klassen avait révélé au plaignant que les surintendants de Victoria avaient à son sujet des perceptions négatives : il était paresseux et avait tendance à se soustraire aux tâches plus complexes difficiles qu’un inspecteur des douanes est censé accomplir. J’admets aussi qu’après ces discussions, M. Klassen ait rédigé deux courriels à lui-même, dans lesquels il a consigné les discussions qu’il avait eues avec le plaignant, courriels qu’il a transmis par la suite à tous les autres surintendants, dont Trevor Baird et Catherine Pringle.

f)                   Le témoin de l’intimée Trevor Baird

[208]       Le témoignage de M. Baird a été paradoxal, et verbeux plutôt que direct. Trop souvent, quand on lui posait une question simple, M. Baird y répondait par des arguments plutôt que par une réponse objective et impartiale.

[209]       Je conclus que M. Baird n’a pas été un témoin digne de foi au sujet des questions principales que le plaignant a soulevées.

[210]       En particulier, en refusant d’inclure dans le processus d’entrevue le fait qu’il avait évalué de façon favorable le rendement de M. Turner en tant qu’inspecteur des douanes, et en tentant par la suite de faire en sorte que Mme Patel admette que le récit fait par M. Turner au sujet du traitement d’un voyageur difficile ait été exagéré et mensonger, M. Baird s’est montré sans scrupule. Ce qui soulève la question suivante : le processus d’entrevue était-il un prétexte, déterminé à l’avance par une perception discriminatoire stéréotypée du plaignant, à savoir qu’il était paresseux et ne disait pas la vérité parce qu’il était un homme d’âge mûr, noir et cliniquement obèse et qu’il était donc inacceptable qu’on l’embauche comme agent des services frontaliers?

g)                  Le témoin de l’intimée Nina Patel

[211]       Les souvenirs qu’avait Mme Patel de l’incident au cours duquel M. Turner l’avait aidée à s’occuper d’un voyageur contrarié et difficile étaient atténués par l’écoulement du temps, et cela est compréhensible. Elle a néanmoins été digne de foi, même si elle s’est retrouvée coincée entre l’appel téléphonique que M. Baird lui avait fait inopinément, dans lequel celui-ci avait fait pression sur elle pour qu’elle évalue négativement la version des faits de M. Turner, et la propre opinion qu’elle avait de M. Turner en tant qu’inspecteur des douanes, une opinion qu’elle s’était formée au cours d’un été durant lequel ce dernier avait travaillé sous sa supervision. À l’issue du contre-interrogatoire, Mme Patel a admis qu’elle avait demandé à M. Turner de s’occuper du voyageur, mais, à son avis, il avait enjolivé le récit qu’il avait fait au comité d’examen afin de mieux se faire paraître. Mme Patel a ensuite déclaré qu’à sa connaissance, M. Turner n’avait jamais induit de gens en erreur ou ne s’était jamais exprimé de manière mensongère, et qu’il était franc, amical et ouvert.

B.                 L’analyse du concours Victoria 7003

[212]       L’entrevue de M. Turner en vue de la possibilité d’emploi à Victoria a été menée par M. Baird, à titre de président du comité d’examen, d’une manière qui a empêché que l’on se prononce sur ses compétences en tant qu’inspecteur des douanes, une décision qui lui aurait permis de continuer à chercher du travail auprès de l’intimée. Dans un contre-interrogatoire rigoureux, M. Baird a révélé que l’entrevue était devenue extrêmement déraisonnable – il s’agissait en fait d’une absurdité – à cause du refus du comité de prendre en compte le dossier d’emploi favorable de M. Turner à titre d’inspecteur des douanes, un dossier que M. Baird avait lui-même rédigé en partie. Si l’on considère cela à la lumière de toutes les circonstances connexes, j’en déduis que M. Baird avait décidé au départ que M. Turner – un homme noir d’âge mûr, perçu comme souffrant d’obésité – ne correspondait pas aux attentes qu’avait M. Baird à l’égard d’un agent des services frontaliers apte à exécuter les nouvelles fonctions prescrites d’application de la loi de l’ASFC dans le cadre des services fournis aux voyageurs passant par les points d’entrée du Canada.

[213]       L’argument de Me Champ, l’avocat de M. Turner, à savoir que les surintendants de Victoria avaient le sentiment que M. Turner était paresseux et malhonnête, d’après leur évaluation stéréotypée de ce dernier, celle d’un Noir d’âge mûr et obèse, m’a convaincu. Selon la prépondérance des probabilités, les deux courriels que M. Klassen a transmis à tous les surintendants, dont M. Baird et Catherine Pringle, établissent cette attitude raciste des surintendants de Victoria. Aucun autre candidat n’a fait l’objet d’un courriel semblable.

[214]       Les courriels de M. Klassen ont été transmis aux surintendants les 4 et 12 octobre 2003. Le concours de Victoria était ouvert du 11 au 30 octobre 2003. M. Turner a été interviewé le 18 décembre 2003 par le président du comité Trevor Baird, ainsi que par les deux autres membres, Catherine Pringle et Cathy Zabo.

[215]       Confronté en contre-interrogatoire au sujet des courriels de M. Klassen, M. Baird a nié être au courant de ces derniers, disant qu’il était trop occupé pour avoir jeté un coup d’œil dans sa boîte de messages à l’époque où ils avaient été envoyés à lui et aux autres surintendants. L’invraisemblance de son explication a balayé les derniers vestiges de sa crédibilité.

[216]       Environ dix jours après la décision du comité d’entrevue, M. Baird a téléphoné à Mme Patel afin qu’elle corrobore son opinion selon laquelle M. Turner avait relaté de manière mensongère les mesures qu’ils avaient tous deux prises lors de l’incident avec un voyageur difficile. Au vu du témoignage de Mme Patel, je suis convaincu que celle-ci a demandé à M. Turner de parler au voyageur agité, sachant, par expérience, qu’il serait en mesure d’amener l’homme à se calmer, ce qu’il avait fait. Cette mesure extraordinaire de la part de M. Baird, président du comité d’examen, une mesure qui a été prise après l’entrevue, est une circonstance aggravante qui souligne ma conclusion selon laquelle la décision de dire que M. Turner n’était pas qualifié pour être inspecteur des douanes était un prétexte pour s’assurer qu’un homme noir d’âge mûr, obèse et paresseux, dont M. Turner était le stéréotype, ne serait pas embauché par l’ASFC, une agence nouvellement créée et axée sur l’application de la loi.

[217]       Je conclus que la décision qu’a prise le comité d’examen de juger les compétences en se fondant uniquement sur la réponse donnée par M. Turner au moment de l’entrevue a fait en sorte que le processus d’entrevue a été arbitraire et discriminatoire et a constitué un prétexte.

[218]       Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le processus d’entrevue a été un prétexte, qu’il a exposé M. Turner à de la discrimination du fait d’une déficience perçue, l’obésité, ainsi que du fait de sa race et de son âge, de sorte que M. Turner a été soumis à une différence de traitement en tant qu’ancien employé de l’intimée, nommé pour une période déterminée.

C.                L’analyse du concours Vancouver 1002

[219]       L’avis relatif au concours de Vancouver indiquait : [traduction] « Les candidats qui ont été interviewés pour ce poste depuis le 1er janvier 2002 ne sont pas admissibles au concours ». L’avis définissait aussi « ce poste » de la manière suivante : [traduction] « inspecteur des douanes PM‑02, district de l’Aéroport international de Vancouver, district de Metro Vancouver, district de Pacific Highway, anglais ».

[220]       Je conclus que la restriction à l’admissibilité était viciée par une ambiguïté latente. Elle a deux sens – un large et un l’autre étroit. Dans son sens large, la restriction s’appliquerait aux candidats qui avaient été interviewés n’importe où en Colombie‑Britannique et au Yukon depuis le 1er janvier 2002 ou, d’ailleurs, n’importe où au Canada pour le poste d’inspecteur des douanes PM‑02. Dans son sens étroit ou littéral, la restriction s’appliquerait aux candidats qui avaient été interviewés à Vancouver depuis le 1er janvier 2002, pour le poste d’inspecteur des douanes PM‑02, district de l’Aéroport international de Vancouver, district de Metro Vancouver et district de Pacific Highway.

[221]       À un moment donné, le président a soumis cette ambiguïté simple et évidente à M. Tarnawski, en laissant entendre qu’on aurait pu considérer que la restriction à l’admissibilité ne s’appliquait qu’aux personnes ayant déjà été interviewées pour le poste d’inspecteur des douanes dans la région de Metro Vancouver. M. Tarnawski a reconnu que le libellé était ambigu :

[traduction
M. Tarnawski : […] le libellé cause des cauchemars, je crois.

Le président : Eh bien, il aurait causé des cauchemars aux candidats aussi, n’est‑ce pas?

M. Tarnawski : Oui.

[Non souligné dans l’original.]

Transcription : Page 2126, lignes 21 à 24.

[222]       Je conclus que la restriction à l’admissibilité, que Mme Sharma a conçue à la demande de M. Tarnawski et de son collègue de la Section du recrutement, M. Northcote, n’a pas été vérifiée par ces derniers, de manière ni individuelle ni collective, afin de garantir qu’elle avait un sens clair et unique aux yeux des personnes qui étaient à la recherche d’un emploi auprès de l’ASFC.

[223]       Ce n’est qu’après l’affichage public de l’avis de possibilité d’emploi à Vancouver que M. Tarnawski s’est rendu compte que la restriction était ambiguë. Le bon sens aurait dû le mettre en garde contre les risques qu’il y avait d’appliquer la restriction aux candidats répondant à l’annonce – cela n’a pas été le cas. Au lieu de cela, il a poursuivi le processus de dotation, décidant de demander à chaque candidat s’il avait déjà été interviewé pour le poste en question au cours de la période visée par la restriction, en se disant que cette personne présumerait que cela voulait dire n’importe où en Colombie-Britannique.

[224]       À mon avis, la règle d’interprétation contractuelle selon laquelle un terme ambigu doit être interprété à l’encontre de la partie qui en est l’auteur devrait s’appliquer aux processus de dotation préalables à un emploi qu’exécute l’intimée, l’ASFC. De ce fait, selon la règle du contra proferentem, il aurait fallu que l’intimée interprète la restriction à l’admissibilité dans l’intérêt des personnes répondant à l’avis, dont faisait partie M. Turner. Si M. Tarnawski l’avait fait, cela n’aurait pas perturbé le processus de dotation concernant la possibilité d’emploi à Vancouver.

[225]       Lors de l’entrevue relative au concours de Vancouver, M. Tarnawski a demandé à M. Turner s’il avait été interviewé après le 1er janvier 2002 pour [traduction] « ce poste », c’est-à-dire le poste des Douanes décrit dans l’avis annonçant la possibilité d’emploi à Vancouver. M. Turner a répondu que non, s’appuyant sur son interprétation de la restriction à l’admissibilité, et il n’a pas fait état de l’entrevue qu’il avait passée antérieurement dans le cadre d’un processus de dotation à Victoria.

[226]       M. Turner a déclaré qu’il avait examiné avec soin la restriction à l’admissibilité et avait considéré qu’elle ne s’appliquait qu’aux candidats ayant déjà posé leur candidature à titre d’inspecteur des douanes dans le district de Metro Vancouver de l’ASFC. Quand M. Tarnawski a demandé : [traduction] « Avez-vous jamais posé votre candidature pour ce poste? », M. Turner a répondu que non.

[227]       Quelques jours après l’entrevue (et s’appuyant sur le fait qu’il avait reconnu M. Turner parce qu’il avait pris part à l’entrevue relative au concours Victoria 7012), M. Tarnawski a vérifié la date de l’entrevue du concours de Victoria, en a aussitôt exclu M. Turner et a ensuite aggravé la situation en présumant que M. Turner avait menti en omettant de faire état de l’entrevue passée antérieurement à Victoria.

[228]       Plus tôt dans la présente décision, j’ai traité de l’entrevue passée le 13 février 2003 dans le cadre du concours Victoria 7012 et j’ai jugé que M. Tarnawski avait conclu trop rapidement que M. Turner avait été coupable de faire des présomptions, quand ce dernier avait décrit au cours de l’entrevue de quelle façon il faisait affaire avec les voyageurs. J’ai conclu que M. Tarnawski, en évaluant M. Turner ainsi, a fait montre de sa propre propension à faire des présomptions, et je conclus que cette propension a été un facteur lors de l’entrevue réalisée à Vancouver. Confronté à l’interprétation restrictive de M. Turner, M. Tarnawski a inconsidérément appliqué de manière large le libellé ambigu de la restriction à l’admissibilité et a estimé que la réponse négative de M. Turner était mensongère, et aussi qu’il s’agissait d’une tentative pour induire en erreur le jury de Vancouver.

[229]       Lors de l’instruction, l’avocat de l’intimée a reconnu que, si l’on n’avait pas appliqué la restriction à l’admissibilité, on aurait conclu que M. Turner était qualifié, qu’il avait montré, lors de sa première entrevue, qu’il était suffisamment compétent pour être inscrit dans un répertoire de dotation, ce qui impliquait la possibilité de recevoir une offre d’emploi de l’ASFC. L’avocat a néanmoins soutenu que l’interprétation de M. Tarnawski, de même que l’application du libellé ambigu de la restriction à l’admissibilité ambiguë, avaient mis fin au processus de manière appropriée.

[230]       Je signale qu’il a été clairement établi lors du contre-interrogatoire de M. Tarnawski qu’aucun autre candidat au concours de Vancouver n’a été soumis au traitement dont M. Turner a été victime : il était le seul candidat à avoir été exclu à cause de la restriction à l’admissibilité, même si l’application uniforme de cette disposition aurait également exclu d’autres candidats; par ailleurs, il était le seul candidat à avoir reçu après l’entrevue une lettre indiquant qu’il avait été exclu.

[231]       Compte tenu du fait que c’était M. Tarnawski qui avait reconnu M. Turner, ce qui l’avait amené à vérifier la date de l’entrevue antérieure de ce dernier et à appliquer à lui seul une interprétation large de la restriction à l’admissibilité, le fait de ne pas avoir vérifié l’admissibilité des autres candidats en se basant sur cette même interprétation discrédite M. Tarnawski. Cela équivaut à un manquement grave à l’obligation qu’avait le comité d’agir de manière impartiale envers M. Turner.

[232]       Pour procéder à une entrevue devant un jury de sélection en vue de déterminer la compétence d’un candidat qui souhaite obtenir un emploi auprès de l’ASFC, il est nécessaire que les membres des comités d’examen de la direction changent de mode, qu’ils délaissent toute partialité sur le plan de la gestion et qu’ils adoptent une position d’impartialité sur le plan décisionnel.

[233]       Au lieu de cela, M. Tarnawski, à titre de président du comité d’examen concernant le concours Vancouver 1002, a fait preuve d’intransigeance et d’un comportement vexatoire en décidant d’exclure M. Turner parce que, aux yeux de ce dernier, la restriction à l’admissibilité ne s’appliquait qu’aux candidats qui avaient été interviewés à Vancouver pour le poste d’inspecteur des douanes dans la région de Vancouver de l’ASFC. Je conclus que M. Tarnawski aurait pu – et dû – interpréter la restriction à l’admissibilité de manière étroite, sans que cela crée de problèmes pour le concours Vancouver 1002.

[234]       Il est incontestable que M. Turner a été soumis à une différence de traitement ayant des conséquences défavorables dans le cadre du processus de Vancouver. Le Tribunal doit évaluer si ce traitement défavorable est assimilable à un acte discriminatoire fondé sur des motifs illicites.

D.                L’application du droit pertinent

La décision Shakes

a)                  L’application de la décision Shakes au concours Vancouver 1002

[235]       Ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, les décisions Shakes et Israeli établissent un critère à trois volets pour ce qui est d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination :

1)      le plaignant était qualifié pour occuper l’emploi en question;

2)      le plaignant n’a pas été embauché;

3)      une personne qui n’était pas mieux qualifiée que le plaignant, mais qui ne présentait pas les caractéristiques sur lesquelles ce dernier avait fondé sa plainte relative aux droits de la personne, a obtenu le poste.

[236]       L’avocat de l’intimée a reconnu que, n’eût été la restriction à l’admissibilité, M. Turner se serait qualifié pour le répertoire de dotation dans le cadre du processus de Vancouver; ce fait, de pair avec les rapports du rendement positifs de M. Turner, établit que celui-ci était qualifié pour travailler comme inspecteur des douanes. Cela satisfait au premier critère du volet énoncé dans la décision Shakes.

[237]       M. Turner satisfait également au deuxième élément puisqu’il n’a pas été embauché.

[238]       Le troisième élément du critère énoncé dans la décision Shakes revêt un aspect unique dans le cas du concours Vancouver 1002, parce que la raison pour laquelle l’employeur a décidé de ne pas inscrire M. Turner dans le répertoire des candidats compétents était fondée sur son inadmissibilité, plutôt que sur son manque de compétences.

[239]       Les témoignages de MM. Hughes, Turner, Tarnawski et Baird me convainquent que l’on a clairement établi que d’autres candidats n’ayant pas les caractéristiques sur lesquelles M. Turner a fondé sa plainte, soit l’âge, la race ainsi qu’une déficience perçue due à l’obésité, auraient dû être exclus si cette restriction à l’admissibilité avait été appliquée de manière uniforme, et qu’ils ne l’ont pas été. À mon avis, cela satisfait au troisième élément du critère énoncé dans la décision Shakes.

[240]       Par ailleurs, en me fondant sur le témoignage de M. Tarnawski, je conclus que la grande majorité des candidats au concours Vancouver 1002, contrairement à M. Turner, n’avaient aucune expérience de travail antérieure auprès de l’ADRC ou de l’agence qui lui a succédé, l’ASFC. Cela renforce ma conclusion quant au troisième élément du critère énoncé dans la décision Shakes.

b)                 L’application de la décision Shakes au concours Victoria 7003

[241]       Le témoignage de M. Turner, étayé par celui de M. Hughes et, dans une large mesure, par ce que M. Baird a déclaré lors d’un contre-interrogatoire rigoureux, établit l’existence des trois éléments requis dont il est question dans la décision Shakes. Le plaignant était : 1) qualifié pour occuper l’emploi d’inspecteur des douanes/agent des services frontaliers; 2) n’a pas été embauché; 3) d’autres candidats, n’ayant pas les qualifications du plaignant et ne présentant pas les caractéristiques sur lesquelles ce dernier a fondé sa plainte, ont obtenu par la suite un emploi auprès de l’intimée.

c)                  L’application de la décision Basi aux concours Vancouver 1002 et Victoria 7003

[242]       L’intimée a fait valoir que les décisions des comités d’entrevue respectifs constituaient un exercice approprié du pouvoir discrétionnaire de la direction; que, dans le cas du concours de Vancouver, M. Turner, même s’il était qualifié, n’était pas admissible à cause de la restriction publiée dans l’avis d’emploi; que, dans le cas du concours de Victoria, M. Turner, même s’il était par ailleurs compétent en tant qu’inspecteur des douanes, n’était pas parvenu à démontrer sa compétence en tant qu’inspecteur des douanes au cours du bref processus d’entrevue. L’argument de l’intimée est mal fondé et trompeur.

[243]       Compte tenu de la totalité des circonstances entourant les deux concours, et que, dans les deux cas, des prétextes ont été utilisés, je suis convaincu que le caractère subtil de la discrimination a imprégné les deux processus de dotation, et que ni l’un ni l’autre de ces derniers n’était aussi innocent qu’on le prétendait. Comme il s’agit ici d’une affaire de preuves circonstancielles, cela m’amène à me demander s’il y a lieu de tirer une inférence de discrimination. Je conclus qu’il ressort du témoignage du plaignant et de celui de M. Hughes qu’une telle inférence est nettement plus probable que l’inférence possible d’une conduite circonspecte de la part des employés de l’intimée : MM. Tarnawski et Baird.

d)                 L’application de la décision Radek aux concours de Vancouver et de Victoria

[244]       La décision Radek prévient les tribunaux administratifs d’être conscients de l’effet de la discrimination composée, afin d’éviter de se fonder sur un mode singulier d’analyse. À cet égard, je suis conscient que la plainte de discrimination de M. Turner repose sur plusieurs motifs de discrimination et que l’article 3.1 de la LCDP prévoit expressément que les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite, ce qui soulève la probabilité qu’un motif principal de discrimination puisse, de manière synergique, recouper d’autres motifs de discrimination moins évidents et être aggravé par ceux-ci.

[245]       Je conclus que la plainte de M. Turner comporte des motifs de discrimination interdépendants, qu’il y a effectivement eu une discrimination composée et qu’il s’agit là d’un facteur dans ma décision selon laquelle l’intimée a commis des actes discriminatoires à l’encontre de M. Turner.

E.                 La réponse de l’employeur à la preuve prima facie

Le concours Vancouver 1002

[246]       L’intimée a-t-elle donné une explication adéquate – c’est-à-dire plus probable – pour ce qui est de la différence de traitement que le plaignant a subie dans le cadre du concours Vancouver 1002? Je suis d’avis qu’elle n’a pas donné d’explication raisonnable.

[247]       Par ailleurs, l’intimée n’a pas expliqué de manière raisonnable l’interprétation large du libellé ambigu de la restriction à l’admissibilité, ni donné la raison pour laquelle cette dernière n’a pas été appliquée à un candidat autre que M. Turner. En fait, au vu du dossier dont dispose le Tribunal, il semble que cette différence de traitement n’ait pas été expliquée du tout.

[248]       Le fait d’avoir reconnu M. Turner et déclenché ainsi une recherche sur son admissibilité contraste vivement avec l’aveu de M. Tarnawski selon lequel aucun autre candidat n’a été exclu, son excuse étant que cela aurait causé trop de travail, d’où sa décision de demander à chaque candidat s’il avait été interviewé lors d’un concours antérieur et d’accepter qu’une réponse négative suffisait pour que l’entrevue se poursuive.

[249]       Cependant, il me faut aller au-delà de l’explication de M. Tarnawski, relativement à la décision du comité d’examen selon laquelle M. Turner avait enfreint la restriction à l’admissibilité, et examiner la probabilité que des attitudes stéréotypées aient eu une incidence sur la candidature de M. Turner au concours Vancouver 1002. À cet égard, les probabilités entourant cette affaire m’amènent inexorablement à conclure que M. Tarnawski a considéré, de manière stéréotypée et négative, que M. Turner était un Noir d’âge mûr et obèse, probablement paresseux et menteur, et qu’il serait donc inacceptable en tant qu’éventuel employé de l’ASFC, une agence nouvellement établie et axée sur l’application de la loi.

[250]       Je conclus que le fait que M. Tarnawski a imposé la restriction à l’admissibilité à M. Turner était un prétexte, et qu’il s’agissait d’un moyen arbitraire et expéditif de mettre un terme à la candidature de M. Turner dans le cadre du processus de dotation, privant ainsi ce dernier d’une possibilité de devenir un employé nommé pour une période indéterminée à l’ASFC.

Le concours Victoria 7003

[251]       L’intimée a-t-elle répondu à la preuve prima facie de discrimination par une explication adéquate – c’est-à-dire plus probable – pour la différence de traitement que le plaignant a subie dans le cadre du concours Victoria 7003? Je suis d’avis que l’intimée n’a pas donné d’explication raisonnable.

[252]       Il est difficile de comprendre pourquoi M. Baird, le président du comité d’examen, un surintendant qui avait travaillé avec M. Turner et rédigé des rapports du rendement positifs sur son travail à titre d’inspecteur des douanes, exclut de manière dogmatique de l’évaluation de M. Turner, faite par le comité, que ce dernier avait travaillé avec compétence comme inspecteur des douanes au cours des années antérieures. Ce processus tout à fait inconsidéré a été aggravé par la tentative amorale de M. Baird, peu après l’entrevue, pour obtenir de la surintendante Nina Patel qu’elle atteste que M. Turner avait menti dans sa façon de décrire au comité comment il avait réagi face à un voyageur agité, une intervention qu’il avait faite à la requête de Mme Patel.

[253]       Ce comportement inacceptable et inconsidéré n’explique pas de manière raisonnable l’évaluation du comité selon laquelle M. Turner n’avait pas les compétences requises pour être inspecteur des douanes; il s’agit plutôt d’un motif pour tirer l’inférence de fait selon laquelle M. Baird considérait M. Turner, de manière stéréotypée et négative, comme un Noir d’âge mûr, obèse et paresseux, et avait décidé de le priver de la possibilité de continuer à travailler pour l’ASFC en tant qu’agent des services frontaliers en uniforme.

[254]       Compte tenu des conclusions antérieures que j’ai tirées au sujet du concours Vancouver 1002 et du concours Victoria 7003, dans le contexte des circonstances connexes dont M. Turner a fait état, et conformément à la jurisprudence applicable, je conclus que l’intimée a fait preuve de discrimination à l’encontre de M. Turner, en violation des articles 7 et 10 de la LCDP, du fait de l’âge, de la race et de la déficience perçue – l’obésité – de M. Turner, et qu’il a soumis M. Turner à une différence de traitement à titre d’employé.

[255]       En terminant, je suis guidé par la décision Sinclair, dans laquelle l’arbitre s’est fondé sur l’arrêt Spence, une décision de la Cour suprême du Canada, et a cité, en partie, le passage suivant :

[traduction] Une couche importante de la société professe ouvertement des vues racistes. Une couche plus large encore est inconsciemment influencée par des stéréotypes raciaux négatifs. De surcroît, nos institutions, y compris la justice pénale, reflètent ces stéréotypes négatifs qu’elles perpétuent. Ces éléments se conjuguent pour propager le fléau du racisme dans la société entière. Les Noirs sont parmi les principales victimes de ce fléau.

VI.             Les conclusions

[256]       Le témoignage de M. Turner a établi l’existence d’une preuve prima facie que les surintendants Ron Tarnawski et Trevor Baird de l’ASFC lui ont séparément fait subir des actes discriminatoires en matière d’emploi, des actes fondés sur l’âge, la couleur et une déficience perçue – l’obésité.

[257]       En me fondant sur les motifs exposés dans l’ensemble de la présente décision, et en tenant compte de toutes les circonstances connexes, je suis arrivé aux conclusions de fait suivantes : M. Tarnawski et M. Baird n’ont pas été des témoins dignes de foi; leurs caractéristiques étaient semblables : ils étaient souvent réticents et se sont exprimés à maintes reprises avec une certaine prolixité afin d’éviter d’avoir à donner des réponses directes et impartiales. Tous deux ont échoué en contre-interrogatoire. Chaque fois que leur témoignage différait de celui de M. Turner, j’ai souscrit au témoignage de ce dernier.

[258]       Ni M. Tarnawski ni M. Baird n’ont expliqué de manière raisonnable que la discrimination alléguée n’avait pas eu lieu ou que la conduite était en quelque sorte non discriminatoire.

[259]       Je conclus que les entrevues que M. Tarnawski (concours Vancouver 1002) et M. Baird (concours Victoria 7003) ont fait passer à M. Turner étaient viciées et inconsidérées, qu’elles se sont déroulées d’une manière qui a privé M. Turner de la possibilité de poser sa candidature en vue d’un emploi d’une durée indéterminée au sein de l’ASFC et que, dans chaque cas, la décision a été arbitraire et a servi de prétexte, qu’elle était fondée sur des préjugés et qu’elle constituait un acte discriminatoire au sens des articles 7 et 10 de la LCDP.

[260]       L’article 7 de la LCDP prévoit ce qui suit :

Constitue un acte discriminatoire, s’il et fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a)   de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b)   de le défavoriser en cours d’emploi.

[261]       L’article 10 de la LCDP est libellé ainsi :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a)   de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b)   de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

VII.          La décision

[262]       Je conclus que le plaignant a justifié son allégation selon laquelle, du fait de son âge, de sa race et d’une déficience perçue, soit l’obésité, il a été victime d’actes discriminatoires au sens des articles 7 et 10 de la LCDP à cause du refus de l’ASFC de continuer de l’employer, ainsi que de l’utilisation discriminatoire des méthodes de dotation appliquées dans le cadre des concours Vancouver 1002 et Victoria 7003 comme prétexte, avec le résultat que le plaignant s’est vu priver d’une possibilité d’emploi.

[263]       L’alinéa 53(2)e) de la LCDP dispose qu’il est possible d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ le plaignant qui a souffert d’un préjudice moral en tant que victime d’un acte discriminatoire. Après une audience ultérieure sur la réparation à accorder, j’ordonnerai à l’intimée de payer au plaignant la juste somme qui l’indemnisera du préjudice moral qu’il a subi après s’être vu priver d’une possibilité d’emploi.

[264]       Le paragraphe 53(3) de la LCDP dispose que le Tribunal peut ordonner à l’intimé de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $ s’il est conclu que l’acte discriminatoire en question était délibéré ou inconsidéré. Je conclus que les gestionnaires de l’intimée Ron Tarnawski et Trevor Baird ont agi de manière délibérée en privant le plaignant d’une possibilité d’emploi. En temps utile, après l’audience relative à la réparation à accorder, je rendrai une ordonnance qui indemnisera le plaignant du caractère délibéré de leur geste.

[265]       L’alinéa 53(2)c) de la LCDP prévoit qu’une victime peut être indemnisée de la totalité ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte commis. Je conclus que le plaignant a effectivement perdu le salaire qu’il aurait gagné à titre d’agent des services frontaliers. Le montant de la perte sera déterminé après l’audience relative à la réparation à accorder. La perte sera déterminée en calculant le total des gains que le plaignant aurait acquis à titre d’agent des services frontaliers et en déduisant de cette somme le salaire que le plaignant a été en mesure de tirer d’un autre emploi atténuant. Le revenu que le plaignant a gagné dans le cadre de ses efforts pour atténuer sa perte de salaire en tant qu’agent des services frontaliers doit être étayé par des détails et des déclarations de revenus personnelles.

[266]       Aux termes du paragraphe 53(4) de la LCDP, des intérêts peuvent être payés sur toutes les indemnités accordées dans le cadre de la présente décision. Il s’agit d’intérêts simples calculés sur une base annuelle, à un taux équivalant au taux d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle). Les intérêts seront calculés à compter de la date de la plainte pour ce qui est de l’indemnité pour perte de salaire, pour préjudice moral et pour dommages-intérêts spéciaux.

[267]       Lors de l’audience relative à la réparation à ordonner, j’examinerai si le Tribunal est compétent pour ordonner à l’intimée d’offrir un emploi au plaignant.

[268]       Le Tribunal se déclare compétent pour régler toutes les questions qui découleront de la présente décision, et ce, pendant l’année suivant la date à laquelle elle est rendue.

Signée par

Wallace G. Craig

Membre instructeur

Ottawa (Ontario)

Le 7 mars 2014

 


TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

PARTIES INSCRITES AU DOSSIER

Dossier du Tribunal :                                    T1248/6007

Intitulé de la cause :                                      Levan Turner c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision du Tribunal :                 Le 7 mars 2014

Dates et lieux de l’audience :                        Du 17 au 21 novembre 2008
Du 19 au 22 janvier 2009
Les 19 et 20 novembre 2013
Victoria (Colombie- Britannique)

Le 17 mars 2009 (par vidéoconférence)
Ottawa et Vancouver

Comparutions :

David Yazbeck / Paul Champ                         Pour le plaignant

Personne n’a comparu                                     Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Graham Stark                                                  Pour l’intimée

 

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