Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Entre :

Richard Warman

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Marc Lemire

l'intimé

- et –

Procureur général du Canada
Canadian Association for Free Expression
Canadian Free Speech League
Congrès juif canadien
Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies
Ligue des droits de la personne de B’nai Brith

les parties intéressées

Décision

Membre : Athanasios D. Hadjis
Date : Le 5 juin 2008
Référence : 2008 TCDP 20

[1] La présente décision porte sur (i) la demande de l'intimé que le délai pour le dépôt d'observations écrites au sujet des observations finales soit prorogé et que l'audition des observations finales soit reportée à septembre 2008 et (ii) la demande de la partie intéressée Canadian Association for Free Expression (C.A.F.E.) que les observations finales soient reportées afin d'appeler au moins sept témoins de plus à comparaître tout en se [Traduction] réservant le droit d'ajouter d’autres témoins.

[2] La présente plainte a été présentée à la Commission le 24 novembre 2003. La Commission a renvoyé la plainte au Tribunal le 24 août 2005. Le 25 novembre 2005, l'intimé a déposé un avis de question constitutionnelle dans lequel il indiquait son intention de [Traduction] contester l'application constitutionnelle, la validité et l'effet de l'article 13 et des paragraphes 54(1) et 54(1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'intimé a proposé que la question soit débattue dans une requête préliminaire. Le 6 décembre 2005, l'intimé a déposé au Tribunal son avis de requête au sujet de la question constitutionnelle en plus de ses observations écrites et de son cahier de jurisprudence et de doctrine. Le 19 décembre 2005, le Tribunal a avisé les parties que la requête serait examinée à l'audience en même temps que les faits de l'affaire.

[3] Le 3 février 2006, le procureur général du Canada a exercé son droit, prévu à l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de participer, de produire des éléments de preuve à l'audience et de présenter des observations au sujet de la question constitutionnelle. Entre-temps, un certain nombre de groupes ont demandé au Tribunal de leur accorder le statut de partie intéressée, y compris la C.A.F.E. Le 2 février 2006, le Tribunal a autorisé la participation des groupes (Warman c. Lemire, 2006 TCDP 8), mais seulement en ce qui a trait à la question constitutionnelle. Leurs arguments ne pouvait pas chevaucher ni répéter la preuve, le contre-interrogatoire ou les observations du plaignant, de la Commission, de l'intimé ou du procureur général du Canada.

[4] Le Tribunal a imparti des délais aux parties intéressées et au procureur général du Canada pour le dépôt de leurs exposés des précisions, de leurs rapports d'experts et des documents connexes, comme le prévoient les Règles de procédure du Tribunal. Pendant une conférence de gestion d'instance, qui a eu lieu le 19 mai 2006, toutes les parties ont présenté leurs prévisions quant à la durée de leurs témoignages et les dates auxquelles elles étaient disponibles. Les dates d'audience ont été fixées, pour un total de quatre semaines, sur une période débutant le 29 janvier 2007 et se terminant le 2 mars 2007.

[5] Le 30 mars 2006, l'intimé a écrit à la Commission pour lui demander que les documents portant sur les activités de la Commission au sujet des [Traduction] messages haineux sur Internet, au-delà du cadre de la présente plainte, soient divulgués au motif qu'ils sont possiblement pertinents quant à la question constitutionnelle. Dans une lettre ultérieure datée du 28 avril 2006, l'avocat de l'intimé a soutenu qu'il est [Traduction] évidemment hautement important à la présente contestation que soit examiné le fonctionnement de l'article 13 dans le contexte de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des pouvoirs et mandat généraux de la Commission canadienne des droits de la personne.

[6] La Commission a soulevé des doutes quant à la pertinence de ces documents en soutenant que la question de la constitutionalité de l'article 13 en est [Traduction] une de droit et que ce qui était demandé dépassait [Traduction] de loin la portée de la présente plainte, ce qui constitue une recherche à l'aveuglette. Le procureur général du Canada a souscrit à cet argument et a ajouté que la Cour fédérale est le [Traduction] tribunal où il convient de soulever une question constitutionnelle ou toute autre contestation judiciaire visant [Traduction] l'exercice [que fait la Commission] du pouvoir discrétionnaire d'examiner la plainte ou devant lequel il faut traiter toute allégation [Traduction] de préjugé institutionnel ou systémique de la part de la Commission envers les personnes qui défendent certains points de vue.

[7] Les parties ont donc lié contestation à propos de la question de divulgation et, après le dépôt des observations officielles, le Tribunal a rendu une décision le 16 août 2006 (Warman c. Lemire, 2006 TCDP 32) dans laquelle il autorisait en partie la divulgation que l'intimé demandait. Le Tribunal a noté dans sa décision (aux paragraphes 31 à 33) que l'intimé a soutenu qu'il demandait cette divulgation parce qu'il avait l'intention de faire valoir que les [Traduction] effets préjudiciables de l'article 13 de la Loi pourraient être si graves que la mesure ne serait pas justifiée par les objectifs qu’elle est destinée à servir, selon le critère de la proportionnalité énoncé dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. L'intimé a assuré le Tribunal qu'il ne demandait pas un examen du caractère licite des activités de la Commission, mais plutôt un examen visant à déterminer si les [Traduction] effets préjudiciables que la Loi a sur la liberté d'expression surpassent les effets bénéfiques (paragraphe 37).

[8] Le Tribunal a conclu que toutes les parties avaient soulevé des points intéressants qui pouvaient être correctement présentés devant le Tribunal qui statue sur le bien-fondé de la contestation constitutionnelle et de la plainte dans l'ensemble (Warman c. Lemire, 2006 TCDP 32).

[9] Au cours des mois suivants, un débat a eu lieu entre la Commission et l'intimé quant à savoir si la divulgation des documents portant sur les activités de la Commission était complète. En réponse à une requête que l'intimé avait déposée à ce sujet, la Commission a présenté des affidavits à l'appui préparés par deux de ses employés, Dean Steacy et Harvey Goldberg. Le 16 janvier 2007, l'intimé a informé le Tribunal de son intention de contre-interroger MM. Steacy et Goldberg au sujet de ces affidavits. Il a aussi demandé que la procédure, qui devait débuter deux semaines plus tard, soit ajournée.

[10] Le 26 janvier 2007, le Tribunal a avisé les parties que toutes les questions en instance au sujet de la divulgation et de l'ajournement seraient tranchées au début de l'audience du 29 janvier 2007, à Toronto. À cette première journée d'audience, l'intimé a demandé que des assignations à témoigner soient présentées à MM. Steacy et Goldberg ainsi qu'à Mme Hannya Rizk, une autre employée de la Commission. L'intimé a modifié sa liste de témoins pour y ajouter ces personnes. Le Tribunal a accepté d'envoyer les assignations à témoigner. Comme l'audience allait commencer, le Tribunal a accepté la suggestion de l'intimé que ces trois témoins témoignent à Ottawa, où ils habitent, pendant une audience d'un jour qui serait tenue après les quatre semaines d'audience déjà prévues.

[11] Plusieurs semaines plus tard, alors que l'audience avançait, les parties ont mentionné au Tribunal qu'il serait préférable de prévoir des dates d'audience distinctes pour les observations finales, après la fin des témoignages, afin de permettre aux parties de mieux se préparer et de mieux organiser leurs observations. Trois jours (du 9 au 11 mai 2007) ont donc été réservés pour la présentation des observations finales.

[12] Les quatre semaines d'audience prévues, à Toronto et à Mississauga, se sont terminées le 1er mars 2007. Les parties ont déclaré qu'il n'y aurait pas d'autre témoignage outre que ceux des trois personnes qui devaient témoigner à Ottawa (M. Steacy, M. Goldberg et Mme Rizk). Au départ, une seule journée avait été réservée pour ces témoignages, mais comme Mme Rizk ne pouvait pas se présenter à cette date, les trois jours qui avaient été réservés en mai pour la présentation des observations finales ont été repris pour la présentation des trois derniers témoignages. Mme Rizk a témoigné le 9 mai 2007 et M. Steacy a témoigné le 10 mai 2007. L'audience du 11 mai a été annulée parce que l'avocat de la Commission était malade. Par conséquent, M. Goldberg a témoigné sur une période de trois jours, du 25 au 27 juin 2007, soit les trois nouvelles dates qui avaient été réservées à la présentation des observations finales après que les dates du 9 au 11 mai ont été reprises pour les témoignages. Ainsi, l’audition des trois témoins a donc nécessité cinq jours plutôt que la journée supplémentaire prévue.

[13] Suite à des engagements pris pendant le témoignage de M. Goldberg, la Commission a divulgué, en juillet 2007, un ensemble de documents qui comptait, semble-t-il, 300 pages au total.

[14] Au cours des témoignages de M. Steacy et de Mme Rizk, la Commission a soulevé un certain nombre d'objections en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve du Canada. Comme la Cour fédérale a compétence exclusive pour rendre une décision au sujet de telles objections, les questions au sujet desquelles la Commission a soulevé des objections sont demeurées sans réponse.

[15] Le 17 mai 2007, l'intimé a présenté une demande à la Cour fédérale pour qu'elle rende une décision au sujet des objections présentées en vertu de l'article 37 et, le 5 juillet 2007, il a demandé l'ajournement sine die de la procédure du Tribunal, jusqu'au prononcé de la décision de la Cour fédérale. Le 17 août 2007, le Tribunal a accepté la demande d'ajournement de l'intimé (Warman c. Lemire, 2007 TCDP 37). Le Tribunal a noté que, si l'une des parties avait mentionné qu'elle avait d'autres preuves à présenter, sauf celles liées à l'objection soulevée en vertu de l'article 37, il aurait poursuivi l'audience en attendant la décision de la Cour fédérale, mais ce n'était pas le cas.

[16] Le 15 janvier 2008, la Cour fédérale a conclu qu'elle ne pouvait pas examiner [Traduction] en bonne et due forme la demande concernant l'article 37 parce que la Commission avait divulgué, quelques semaines plus tôt, les renseignements au sujet desquels elle avait invoqué l'article 37.

[17] Par conséquent, le Tribunal a conclu que l'intimé pouvait rappeler Mme Rizk et M. Steacy à témoigner et leur demander de répondre aux questions au sujet desquelles la Commission avait soulevé des objections, ainsi qu’à toute autre question de suivi directement reliées à ces réponses. Mme Rizk et M. Steacy ont donc tous les deux témoigné le 25 mars 2008.

[18] Le 31 mars 2008, l'intimé a demandé au Tribunal d'ordonner à la Commission de divulguer des documents et des renseignements supplémentaires. La Commission a répondu le 10 avril 2008 qu'elle ne s'opposait pas à l'ordonnance que l'intimé demandait. Cependant, elle a noté que les dossiers visés par la demande [Traduction] seraient peu, ou pas, pertinents.

[19] La Commission a envoyé une partie des documents à l'intimé et aux autres parties le 25 avril 2008 et leur a envoyé le reste des dix pages supplémentaires le 1er mai 2008. La Commission avait expurgé certains renseignements de ces documents, y compris le nom et les coordonnées de certaines personnes. Le 5 mai 2008, l'intimé a contesté ces expurgations et a demandé une divulgation complète des documents originaux. Le Tribunal tranchera cette question dans une décision distincte. L'intimé a aussi demandé le report des observations finales, dont les dates avaient été reportées aux 11, 12 et 13 juin 2008, afin de lui permettre d'obtenir les documents originaux et de présenter une demande pour ajouter ces documents comme éléments de preuve dans l'affaire.

[20] Le 12 mai 2008, le Tribunal a accepté de reporter les dates. Il a demandé aux parties de lui faire part de leur disponibilité dans les semaines du 7 et du 14 juillet 2008, pour qu'elles présentent leurs observations finales. Le Tribunal a aussi permis à l'intimé de déposer en preuve tous les documents récemment divulgués en les présentant au Greffe du Tribunal dans une reliure.

[21] L'intimé n'était apparemment pas satisfait de la prorogation du délai. Le 13 mai 2008, l'intimé a de nouveau écrit au Tribunal pour lui demander une nouvelle prorogation du délai pour la présentation des observations écrites en août 2008 et le report de l'audition des observations finales en septembre 2008. Son avocate a mentionné que l'affaire comportait [Traduction] des milliers de pages d'éléments de preuve et de transcriptions et qu'elle aurait de la difficulté à respecter le délai. Elle a ajouté qu'elle travaillait seule alors que certaines des autres parties avaient l'avantage d'avoir plus d'un avocat qui s'occupait de l'affaire.

[22] La partie intéressée C.A.F.E. a présenté ses propres demandes, en parallèle avec les demandes de prorogation de l'intimé. Le 5 mai 2008, la partie intéressée C.A.F.E. a avisé le Tribunal qu'elle appuyait la demande de l'intimé pour la [Traduction] suspension des délais au moins jusqu'à l'automne et elle a demandé la réouverture de l'audience pour de nouveaux témoignages qui découlaient [traduction] du contenu des divulgations de dernière minute ou qui pourraient être révélés par les versions non expurgées des divulgations que l'intimé demandait.

[23] Le 13 mai 2008, la partie intéressée C.A.F.E. a déposé sa propre requête officielle pour [Traduction] reporter les dates des observations finales et appeler d'autres témoins. La partie intéressée C.A.F.E. a aussi déposé une requête en présentation [Traduction] d'une allégation de crainte de partialité d'un membre du Tribunal en l'espèce. Cette requête sera tranchée dans une décision distincte.

[24] Dans sa requête, la partie intéressée C.A.F.E. déclare qu'elle propose d'appeler au moins sept témoins, y compris M. Steacy et M. Goldberg. Elle se [Traduction] réserve aussi le droit d'ajouter d'autres témoins. Elle soutient que sa requête est motivée par [Traduction] la divulgation très tardive et incomplète de la Commission. La partie intéressée C.A.F.E. soutient aussi que M. Steacy a fait preuve d'une [Traduction] obstruction ridicule parce que sa vision est mauvaise et qu'il n'a pas demandé à son assistant de l'accompagner lorsqu'il a témoigné le 25 mars 2008, obligeant donc l'avocat à lui lire des documents. Il faut se demander, cependant, comment la présence de l'assistant, lisant les documents à M. Steacy, aurait accéléré le déroulement de l'audience.

[25] La divulgation censément tardive et incomplète est composée des documents présentés en juillet 2007, après le témoignage de M. Goldberg, et des documents que la Commission a déposés en avril et en mai 2008, après réception de la lettre de l'intimé du 31 mars 2008.

Analyse

[26] Comme je l'ai déjà mentionné, la présente plainte a été renvoyée au Tribunal il y a près de trois ans. Le paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que l’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. Les tribunaux des droits de la personne, ainsi que d'autres tribunaux, ont le devoir de garantir le règlement diligent des plaintes, devoir que la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a souligné dans l'affaire Nova Scotia Construction Safety Association c. Nova Scotia Human Rights Commission, 2006 NSCA 63, aux paragraphes 76 et 77 :

[Traduction]

[76] Compte tenu du principe bien connu selon lequel un des principaux objectifs de la législation en matière de droits de la personne est d'offrir un redressement, le processus d'instruction et d'exposition d'actes de discrimination doit être expéditif afin d'être efficace. Sans quoi, les effets bénéfiques d'un examen public, soient les révélations et le redressement approprié par rapport aux violations prouvées, seront perdus. Le règlement efficace et rapide des plaintes est dans l’intérêt des plaignants et des personnes dont le comportement est contesté. Il en va ainsi de l’intérêt public. Les personnes et les entreprises doivent pouvoir continuer leur vie. Contrairement au bon vin, une procédure prolongée en matière de droits de la personne ne s’améliore pas avec l’âge.

[77] À ce sujet, les observations du juge LeBel, inscrites dans des motifs dissidents dans l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, sont particulièrement pertinentes :

140 Ce n’est pas d’hier que les délais inutiles dans les procédures judiciaires et les procédures administratives sont qualifiés de contraires à une société libre et équitable. Il s’agit jusqu’à un certain point d’un fléau qui touche presque tous les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs. C’est un problème qu’il faut régler pour assurer le maintien d’un système de justice efficace et digne de la confiance des Canadiens et des Canadiennes. [...]

[27] Récemment, dans une affaire portant sur le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal, Postes Canada c. A.F.P.C., 2008 CF 223, aux paragraphes 264 et 265, la Cour fédérale a formulé des observations semblables. Elle a noté qu’une audience sans discipline ni échéanciers retarde la justice et constitue un déni de justice. La Cour a ensuite récité la règle bien connue justice différée est justice refusée et a ajouté qu’une audience équitable n’est pas un processus permanent. Une audience équitable en est une où une partie sait ce qu’on lui reproche et a l’occasion d’y répondre dans un délai raisonnable, auquel moment le Tribunal a l’obligation de trancher l’affaire.

[28] Ces observations énoncées par les cours sont reflétées dans la Note de pratique no 1 du Tribunal canadien des droits de la personne, Tenue des audiences et diffusion des décisions en temps opportun, qui se trouve sur le site Web du Tribunal : http://www.chrt‑tcdp.gc.ca/about/tribunalrules_f.asp. La Note de pratique se termine en rappelant à tous les participants aux instructions du TCDP leur obligation de contribuer à la conclusion en temps opportun du processus d’audience et de délibération, et l’engagement du Tribunal à respecter la directive du Parlement dans le paragraphe 48.9(1) de la Loi.

[29] En l’espèce, il existe une autre raison impérieuse d’agir rapidement. Comme l’intimé l’a mentionné dans ses observations, la Cour fédérale est présentement saisie d’un contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal, dont la procédure est suspendue depuis le 2 avril 2007 en attendant le règlement de l’affaire en l’espèce (Kulbashian c. Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CF 354). La Cour a expliqué que le résultat de la présente audience et de toute demande de contrôle judiciaire ultérieure lui servira de guide pour trancher l’affaire Kulbashian. Je sais aussi qu’au moins une autre affaire portant sur l’article 13 est présentement en instance devant le Tribunal et la portion de l’audience portant sur une question constitutionnelle semblable a aussi été ajournée en attendant le règlement de l’affaire en l’espèce. Par conséquent, plus le temps passe avant le règlement de l’affaire en l’espèce, plus longtemps ces affaires – et possiblement d’autres à venir – resteront en instance.

[30] Les parties en l’espèce, y compris les parties intéressées, ont confirmé au Tribunal qu’elles n’avaient pas l’intention d’appeler d’autres témoins après les témoignages des trois employés de la Commission, qui se seraient terminés le 27 juin 2007 après le témoignage de M. Goldberg, si ce n’était les objections fondées sur l’article 37 et la demande consécutive présentée à la Cour fédérale à ce sujet.

[31] La partie intéressée C.A.F.E. soutient que les témoins devraient être rappelés et que de nouveaux témoins devraient comparaître en raison de la divulgation [Traduction] tardive de documents à la suite du témoignage de M. Goldberg. Cependant, la C.A.F.E. a ces documents en sa possession depuis juillet 2007. Avant les dernières semaines, aucune demande n’avait été présentée pour de nouveaux témoignages à ce sujet. Le Tribunal a reçu une demande de l’intimé pour que ces documents soient inscrits immédiatement au dossier, sans que des témoins ne soient appelés, et le Tribunal a accepté cette demande. La communication de ces documents de la Commission en juillet 2007 ne justifie donc pas le rappel de témoins et l’appel de nouveaux témoins à cette étape.

[32] En ce qui a trait aux documents déposés en avril et en mai 2008, le Tribunal a accepté qu’ils soient inscrits comme éléments de preuve. De façon plus importante, j’ai examiné tous ces documents et les documents parlent d’eux-mêmes, tout simplement. Une partie de ces documents est constituée de courriels envoyés par M. Steacy sous un faux nom, qui sont semblables à ceux au sujet desquels il a témoigné. Les autres documents restants, qui constituent la majeure partie des documents en question, démontrent que la Commission coopère avec plusieurs groupes collectifs et avec les services policiers pour des questions portant sur l’article 13. Ce sont essentiellement les faits que l’intimé allègue dans son exposé modifié des précisions du 18 décembre 2006, au paragraphe 75, à l’appui de ses arguments sur la question constitutionnelle :

[Traduction]

La Commission elle-même déclare que le processus de plainte n’est qu’une partie de ce qu’elle appelle le combat plus général contre les activités inspirées par la haine au Canada. Elle travaille avec des FAI, des ONG, les policiers et des ministères gouvernementaux de façon extrajudiciaire pour bloquer les points de vue qui, à son avis, propagent la haine. La loi lui donne le pouvoir d’entreprendre cette destruction de la liberté d’expression derrière des portes closes, dans des réunions privées et avec des groupes et organismes qu’elle favorise. La Commission travaille en étroite collaboration avec les unités spécialisées en matière de crimes motivés par la haine des services de police d’Edmonton (Alberta) et de London (Ontario), entre autres, afin de saisir des ordinateurs et des preuves dans le cadre de descentes de police dans les résidences des personnes contre qui M. Warman a déposé des plaintes. Ces preuves sont ensuite utilisées lors d’audiences devant le Tribunal. L’article 13 sert de disposition criminelle de fait, en permettant l’utilisation du pouvoir policier en matière de fouilles et de saisies afin d’obtenir des preuves. La plupart de ces personnes ne sont pas, par la suite, accusées en vertu du Code criminel.

De plus, de nombreux éléments prouvant la coopération entre la Commission et les services de police, ainsi qu’avec la collectivité, avaient déjà été présentés lors d’audiences précédentes. Je ne vois pas pourquoi cette preuve doit être réexaminée. Comme la Cour suprême l’a noté dans l’arrêt R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, au paragraphe 27, un juge de première instance n’a pas à examiner des preuves répétitives qui ne font pas avancer le travail de la Cour.

[33] Par conséquent, il reste donc à déterminer si, d’un côté, l’activité contestée de la Commission prouve que les [Traduction] effets préjudiciables de l’article 13 envers la liberté d’expression sont si graves qu’ils dépassent les effets bénéfiques, comme l’intimé et certaines des parties intéressées l’affirment, ou si, de l’autre côté, la preuve d’une telle activité n’a aucun effet sur l’analyse de la proportionnalité qui doit être effectuée en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, comme la Commission, le procureur général, le plaignant et les autres parties intéressées le font valoir. Cette question sera traitée dans les observations finales, comme je l’ai répété pendant l’affaire, chaque fois que j’ai conclu, malgré les objections soutenues de la Commission et du procureur général, que ce type de preuve pouvait être accepté.

[34] La requête de la partie intéressée C.A.F.E. en rappel des témoins et en appel de témoins supplémentaires est donc rejetée.

[35] En ce qui a trait à la requête de l’intimé en prorogation du délai, en plus de celui qui a déjà été accordé plus tôt ce mois-ci, le Tribunal tient évidemment compte de l’importante quantité de lettres, de requêtes, d’éléments de preuve et d’autres documents qui ont été échangés en l’espèce, particulièrement au cours des dernières semaines. Le Tribunal est aussi conscient que les dates d’audience en juillet qu’il a suggérées aux parties en réponse à la requête en prorogation ont été choisies sans que les parties n’aient été consultées au sujet de leurs disponibilités personnelles, pour trois jours consécutifs, au cours des semaines de juillet pendant lesquelles le Tribunal peut siéger. Ce qui compte le plus pour le Tribunal à cette étape est de garantir que les parties et leurs avocats sont entièrement prêts à présenter au Tribunal tous leurs arguments au sujet de toutes les questions importantes de fait et de droit en l’espèce. Compte tenu des circonstances, mais tout en respectant l’exigence d’un processus expéditif mais juste, je ne vois pas de mal à accorder une prorogation de quelques semaines supplémentaires, de façon à garantir que toutes les parties seront tout à fait prêtes et disponibles pour la présentation des observations finales.

[36] Par conséquent, les échéanciers des observations écrites peuvent aussi être reportés. Le procureur général a mentionné qu’il s’oppose au fait que les autres parties auront plus de temps pour préparer leurs observations finales. Il soutient qu’il y aurait injustice puisqu’elles ont eu la chance de lire ses observations finales, qu’il a déposées le 9 mai 2008, comme l’échéancier le prévoyait. En toute déférence, je ne vois pas de préjudice. L’objet de l’exercice est de présenter des documents au Tribunal pour qu’il puisse mieux comprendre les positions des parties, particulièrement parce qu’ils sont présentés pendant les plaidoiries. Si le procureur général croit qu’il est important qu’il complète ses observations en réponse aux dépôts ultérieurs des observations des autres parties, il pourra le faire conformément à l’échéancier suivant :

Le plaignant et la Commission canadienne des droits de la personne présenteront leurs observations sur le bien-fondé au plus tard le 6 août 2008;

Le plaignant, la Commission canadienne des droits de la personne et l’intimé présenteront leurs observations sur la question constitutionnelle au plus tard le 6 août 2008;

L’intimé présentera ses observations sur le bien-fondé au plus tard le 22 août 2008;

En ce qui a trait à la question constitutionnelle, les observations en réponse des parties principales (ce qui comprend bien entendu le procureur général du Canada, ce qui fait suite au commentaire que j’ai fait plus haut) et les observations principales des parties intéressées devront être présentées au plus tard le 22 août 2008.

[37] Les parties doivent communiquer au greffe du Tribunal leurs dates de disponibilité dans la semaine du 8 ou du 15 septembre 2008, pour la tenue d’une audience dans le secteur ouest de la région du grand Toronto.

Signée par

Athania
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 5 juin 2008

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1073/5405

Intitulé de la cause : Richard Warman c. Marc Lemire

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 5 juin 2008

Comparutions :

Richard Warman, pour lui même

Margot Blight, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Barbara Kulaszka, pour l’intimé

Simon Fothergill, pour le Procureur général du Canada

Paul Fromm, pour Canadian Association for Free Expression

Douglas Christie, pour Canadian Free Speech League

Joel Richler, pour le Congrès juif canadien

Steven Skurka, pour Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies

Marvin Kurz Pour la Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith

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