Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

JAMES PETER HUGHES

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

ÉLECTIONS CANADA

l'intimée

- et -

CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES

la partie intéressée

DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Matthew D. Garfield 2010 CHRT 4
2010/02/12

I. INTRODUCTION

II. LA PLAINTE

III. Les questions préliminaires

IV. LES QUESTIONS EN LITIGE

V. LA DÉCISION

VI. LISTE DES TÉMOINS

VII. LES FAITS

VIII. EC : SA STRUCTURE, SON RÔLE ET SON TRAVAIL EN MATIÈRE D'ACCESSIBILITÉ

IX. L'IMPORTANCE DES ÉLECTIONS

X. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

XI. LE statut unique des lois portant sur les droits de la personne

XII. Les principes légaux portant sur la responsabilité

XIII. Les principes légaux portant sur le redressement

XIV. Analyse

XV. LES MESURES DE REDRESSEMENT

XVI. Ordonnance

I. INTRODUCTION

[1] Voici les motifs de décision au sujet de la plainte de James Peter Hughes présentée contre Élections Canada (EC). M. Hughes soutient qu'on l'a privé d'un lieu de scrutin accessible, en contravention des alinéas 5a) et 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, telle que modifiée (la LCDP), et qu'on a fait preuve de distinction défavorable envers lui en raison de sa déficience lorsqu'il est allé voter à l'église St. Basil dans la circonscription Toronto Centre, au centreville de Toronto, à deux reprises sur une période de sept mois (pour l'élection partielle fédérale du 17 mars 2008 et pour l'élection fédérale générale du 14 octobre 2008). Sa plainte porte aussi sur le fait qu'EC n'a pas effectué une enquête appropriée et n'a pas pris de mesures après qu'il ait présenté des plaintes verbales et écrites.

II. LA PLAINTE

[2] M. Hughes a déposé sa plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 5 juin 2008. Comme la plainte a été présentée quatre mois avant l'élection générale du 14 octobre, le formulaire de plainte ne portait que sur l'incident qui a eu lieu lors de l'élection partielle du 17 mars. La Commission a fait enquête et a renvoyé le fond de la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) le 29 décembre 2008. Entre temps, le deuxième incident, celui de l'élection générale du 14 octobre, avait eu lieu. Ce deuxième incident et la façon dont EC a traité les deux incidents constituent le sujet dont le Tribunal est saisi. Ni l'une ni l'autre partie n'a remis cela en cause.1

III. Les questions préliminaires

Non participation de la Commission

[3] Très tôt après avoir renvoyé la plainte, la Commission a mentionné qu'elle participerait à l'audience. Une semaine avant l'audience sur le fond, elle a indiqué qu'elle n'y participerait plus ; cependant, elle garde le statut de partie. L'avocat de la Commission a mentionné par écrit que la Commission participerait à l'application de toute mesure de redressement systémique, y compris le contrôle d'EC, si de telles mesures étaient accordées par le Tribunal.

Requête pour agir en qualité de partie intéressée

[4] Avant l'audience, le Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD) a présenté une requête visant à être ajouté à titre d'intervenant ou de partie intéressée. Le plaignant a appuyé la requête de CCD et EC a accepté, en présentant certaines conditions. Le Tribunal a accueilli la requête. CCD a obtenu la permission de présenter des arguments oraux et écrits. L'intitulé a été modifié en conséquence. La participation du CCD à l'audience a été utile. Le CCD est un organisme multidisciplinaire pancanadien à but non lucratif qui couvre une vaste gamme de déficiences. Il a participé à de nombreuses causes en matière de droits de la personne qui ont fait jurisprudence, y compris des causes qui se sont rendues en Cour suprême du Canada.

IV. LES QUESTIONS EN LITIGE

[5] Au début de l'audience, l'avocat d'EC a déclaré que son client était prêt à admettre certaines choses au sujet de sa responsabilité. Les autres parties ont déclaré que d'autres faits, qu'EC n'a pas admis, engagent aussi sa responsabilité et sont d'une nature aggravante et pertinente quant aux mesures de redressement personnelles et systémiques qui ont été demandées. J'examinerai dans les présents motifs la portée de la responsabilité d'EC et les mesures de redressement qui sont appropriées.

V. LA DÉCISION

[6] Le bien-fondé de la plainte a été prouvé.

VI. LISTE DES TÉMOINS

Les personnes suivantes ont témoigné :

  1. M. James Peter Hughes - le plaignant;
  2. Professeure Catherine Frazee - experte en droits des personnes handicapées et en accessibilité;
  3. M. Michel Roussel - directeur principal, Gestion et préparation des données électorales, EC;
  4. M. Robert Topping - architecte et expert en accessibilité, design universel et aménagement à accès facile.

VII. LES FAITS

[7] Les parties ont déposé un exposé conjoint limité des faits. Comme je l'ai mentionné plus tôt, au début de l'audience, EC a reconnu certains faits qui, combinés, comme EC le reconnaît, engagent sa responsabilité en application de alinéa 5b) de la LCDP. La reconnaissance de la responsabilité comprenait l'admission de certains faits au sujet du chemin pour se rendre à l'entrée no 2 et de l'entrée no 2 ellemême. EC a accepté de ne plus utiliser l'église St. Basil comme lieu de scrutin. Il existe de nombreux lieux tout près qui sont mieux adaptés et qui sont entièrement accessibles. Il y a eu quelques désaccords au sujet de certains faits. J'expose cidessous mes conclusions de fait, y compris au sujet des faits qui se trouvent dans l'exposé conjoint des faits et ceux que EC a reconnus.

[8] M. James Peter Hughes et son épouse ont habité de nombreuses années aux États Unis. Ils sont revenus au Canada à leur retraite. M. Hughes souffre du syndrome postpoliomyélite et il utilise une chaise roulante ou une marchette. Ils habitent dans un condo au centreville de Toronto, à quelques rues de l'église St. Basil, le lieu de scrutin qui a été utilisé lors des deux événements électoraux dont il est question en l'espèce. M. Hughes a témoigné que l'élection partielle de mars 2008 était sa première expérience depuis de vote dans une élection canadienne depuis les années 1970 quand il habitait au Québec. Il s'agissait d'un événement important pour lui. Malheureusement, l'expérience électorale qu'il a vécue était loin de ce qu'il attendait.

Le vote lors de l'élection partielle du 17 mars

[9] Le 17 mars 2008, M. Hughes s'est rendu, à l'aide de sa marchette, à l'église St. Basil pour voter. L'église se trouve dans un beau vieil immeuble au centreville de Toronto. Elle possède trois entrées : l'entrée no 1 (l'entrée principale, du côté sud), l'entrée no 2 (l'entrée arrière, du côté nord) et l'entrée no 3 (sur le côté, du côté ouest). J'expliquerai plus en détail ces trois entrées plus loin dans mes motifs.

[10] De la rue, le plaignant a suivi un long chemin sinueux qui grimpait une colline jusqu'à l'entrée no 1. À la porte d'entrée se trouvait [traduction] une rampe pour handicapés parfaitement acceptable , selon le plaignant. Il a déclaré qu'il a trouvé des affiches d'EC [traduction] jaunes et sibyllines , qui pointaient vers l'entrée no 3 plutôt que vers l'entrée no 1. L'entrée no 1 était verrouillée. La présence de ces affiches indique qu'EC (ou du moins le responsable qui a installé les affiches) était au courant que l'entrée no 1 était verrouillée et ne pouvait donc pas être utilisée comme entrée accessible pour les électeurs déficients et non déficients. M. Hughes a contourné l'immeuble pour se rendre à l'entrée no 3. Lorsqu'il a ouvert la porte, il a été surpris d'y trouver un escalier descendant. Ce n'était clairement pas une entrée accessible.

[11] M. Hughes a été incapable de descendre les marches sans aide. Il a crié pour que quelqu'un vienne l'aider et une personne est venue le rejoindre. Cette personne était un responsable d'EC et lui a dit qu'il pouvait soit descendre l'escalier ou se rendre de l'autre côté de l'immeuble (à l'entrée no 2). Il a décidé d'affronter un obstacle connu plutôt que de risquer de faire face à des obstacles inconnus. Le responsable a descendu sa marchette et M. Hughes a ensuite descendu les marches [traduction] sur les fesses . Le plaignant a témoigné avoir été très humilié. Il avait aussi peur de tomber. Ils ont ensuite déplié la marchette et il s'est rendu aux bureaux de scrutin de l'élection dans le hall du soussol.

[12] Son expérience quant à l'inaccessibilité ne s'est pas terminée là. Lorsqu'il est arrivé dans le hall, il a été incapable de voter dans l'isoloir parce que les tables étaient placées trop près les unes des autres, bloquant ainsi le chemin. Les responsables d'EC ont dû réarranger les tables. Une personne utilisant une marchette ou une chaise roulante n'avait aucun chemin direct pour se rendre à l'isoloir.

[13] Alors qu'il se trouvait dans le hall du soussol de l'église, M. Hughes a raconté à un responsable masculin d'EC son [traduction] expérience électorale difficile . Il ne se souvient pas du nom du responsable. M. Hughes a affirmé que la personne lui a répondu que le manque d'accessibilité était dû à des questions financières et que [traduction] lors d'une élection partielle fédérale, il n'y a pas suffisamment de fonds pour assurer que le bureau de scrutin sera accessible . M. Hughes était horrifié . EC a affirmé que si cela a bel et bien eu lieu, le responsable avait tort et n'était pas en position de faire de tels commentaires. Rien n'a été fait au sujet de sa plainte verbale. J'accepte le témoignage de M. Hughes à ce sujet.

[14] M. Hughes a finalement pu voter ce jourlà. Cependant, son départ a été tout aussi difficile. Plutôt que de remonter à l'entrée no 3, bourrée d'obstacles, les responsables d'EC ont offert d'aider cet électeur déficient à quitter par la porte arrière, l'entrée no 2, qui se trouvait à côté du stationnement. M. Hughes a dû grimper à pied une [traduction] rampe étroite et abrupte . Il lui était [traduction] à peine possible d'utiliser sa marchette. Les deux portes qui menaient au stationnement étaient fermées. Il n'y avait aucun mécanisme d'ouverture automatique des portes. M. Topping, qui a effectué une inspection des lieux au nom d'EC et qui a présenté un témoignage d'expert à l'audience, a reconnu qu'il s'agissait de lourdes portes d'acier. Une seule des deux portes pouvait être ouverte. M. Hughes a donc dû replier sa marchette pour sortir. À l'extérieur des portes, il a été confronté à de la neige sur le sol, qui n'avait pas été enlevée correctement. Il a déclaré que la largeur du chemin qui avait été déneigé semblait tenir compte de personnes ambulatoires seulement. Le chemin était à peine assez large pour les roues de sa marchette et certainement pas assez large pour une personne en chaise roulante. Il y avait une rampe inclinée vers le bas. Il a décrit cette rampe comme étant abrupte et glissante. J'accepte le témoignage de M. Hughes selon lequel il n'aurait pas pu sortir par l'entrée no 2 sans aide.

[15] M. Hughes a décrit l'entrée à l'arrière de l'église comme une [traduction] entrée de chargement ou d'urgence . À son avis, c'était humiliant et sans considération. Il a mentionné que l'utilisation de cette entrée n'affirme pas la nature humaine d'une personne, mais donne plutôt l'impression qu'elle devrait être traitée comme de la marchandise. J'accepte qu'il s'est senti ainsi. Les avocats ont débattu à savoir s'il s'agissait d'une entrée ségrégée, qui rappelait le sud des ÉtatsUnis dans le temps de la ségrégation raciale. Je n'ai tiré aucune conclusion à ce sujet. Il est évident que l'entrée arrière n'était pas idéale, ou même acceptable, dans les circonstances. Aucune des trois entrées de l'église n'était accessible pour M. Hughes. L'entrée no 1 était fermée, l'entrée no 2 était pleine d'obstacles (physiques et symboliques) et l'entrée no 3 était inaccessible en raison des escaliers.

Les plaintes de M. Hughes et l'enquête d'EC

[16] En plus de la plainte verbale qu'il a formulée le jour de l'élection, M. Hughes a envoyé une plainte écrite à EC le 20 mars 2008.2 Il a préparé cette plainte avec l'aide de son avocat. Elle a été envoyée à l'attention du directeur des élections à Élections Canada à Ottawa. Pour une raison inexpliquée, la lettre a été remise au mauvais responsable à EC. Cette erreur a été relevée lorsque l'avocat du plaignant a reçu une réponse le 26 mars de l'avocat général du commissaire aux élections fédérales. L'avocat général a accusé réception de la lettre, mais a expliqué que le sujet de la plainte ne relevait pas de la compétence du commissaire, qui est responsable du respect et de l'application de la Loi électorale du Canada, L.C., 2000, ch. 9, telle que modifiée (la LCE). L'avocat général a transféré la lettre à la Direction des services juridiques d'EC. M. Hughes a témoigné qu'il était d'avis que la lettre qu'on lui a envoyée rejetait sa plainte. EC n'a pas été en mesure d'expliquer la raison pour laquelle la lettre de M. Hughes a été envoyée au mauvais bureau de son administration nationale à Ottawa. La lettre avait été adressée à la bonne personne.

[17] M. Hughes a déclaré qu'EC n'a pas répondu à ses plaintes verbales et écrites (sauf pour la lettre de l'avocat général du commissaire mentionnée dans le paragraphe précédent) jusqu'à ce que la Commission reçoive, le 6 août 2008, une lettre d'EC. Le 5 juin 2008, M. Hughes avait déposé une plainte en vertu de la LCDP à la Commission. La lettre du 6 août constituait la réponse d'EC à la plainte présentée en vertu de la LCDP. M. Roussel a déclaré qu'il avait demandé à des responsables d'enquêter au sujet de la plainte de M. Hughes, mais il ne leur a pas parlé directement à ce sujet et n'a pas parlé personnellement au directeur du scrutin (DS) de la circonscription de Toronto Centre ni à d'autres responsables d'EC qui étaient présents au bureau de vote de l'église St. Basil.

Le vote à l'élection générale du 14 octobre

[18] Le 14 octobre 2008, les Canadiens ont été conviés aux urnes dans le cadre d'une élection générale fédérale. M. Hughes a reçu une carte d'information de l'électeur, indiquant que son lieu de scrutin se trouvait une fois de plus à l'église St. Basil. La carte portait même le symbole universel d'accessibilité. M. Hughes espérait que les choses se dérouleraient différemment cette foisci et qu'EC avait tenu compte de sa plainte.

[19] À sa déception, le plaignant soutient qu'il a vécu le même manque d'accessibilité lors du vote du 14 octobre, à l'exception de la neige sur le sol. Lorsqu'il s'est rendu à l'église St. Basil, la porte de devant (l'entrée no 1), qui avait une rampe accessible, était une fois de plus verrouillée. Cette foisci, il s'est rendu à l'entrée no 2, où il a découvert que l'une des portes était tenue entrouverte par une roche brisée. Le plaignant a témoigné qu'il ne pouvait pas ouvrir la lourde porte d'acier seul. Avec de l'aide, il est entrée par la porte no 2, a voté et a quitté l'église de la même façon. M. Hughes soutient qu'il a été très bouleversé du fait que, malgré ses plaintes verbales et écrites à EC sept mois plus tôt et sa plainte de juin 2008 présentée à la Commission, EC n'avait pas réglé le problème en fournissant des installations à accès facile où il pourrait exercer son important droit démocratique de vote. Il croyait qu'au mieux, EC était incompétent, ou qu'au pire, il avait agi de façon volontaire ou malintentionnée.

Après l'élection générale du 14 octobre

[20] Après l'élection, la Commission a renvoyé le sujet de la plainte au Tribunal, le 29 décembre 2008. En mars 2009, EC a demandé à l'architecte et expert en accessibilité Robert Topping d'effectuer une inspection sur les lieux de l'église St. Basil et de faire un rapport sur certains problèmes d'accessibilité. Le rapport de M. Topping a été présenté en preuve et ce dernier a aussi témoigné à l'audience en octobre 2009. Il a souligné certains des problèmes à l'église St. Basil du point de vue de la facilité d'accès. En raison de la plainte de M. Hughes, du rapport de M. Topping, de l'inclinaison abrupte et de l'existence d'autres lieux plus appropriés dans la région, avant l'audience, M. Roussel, dans son affidavit, a précisé qu'EC n'utiliserait plus l'église St. Basil comme lieu de scrutin, malgré certains de ses [traduction] avantages importants (p. ex., le stationnement, l'utilisation communautaire et l'utilisation précédente lors d'une élection). En date de l'audience, M. Roussel ne savait pas si un autre lieu avait été choisi.

VII. EC : SA STRUCTURE, SON RÔLE ET SON TRAVAIL EN MATIÈRE D'ACCESSIBILITÉ

[21] La déclaration de témoin de Michel Roussel et son témoignage de vive voix ont décrit en détail la structure, le rôle et le travail d'EC en matière d'accessibilité. Au sommet d'EC se trouve le directeur général des élections du Canada (DGE), qui est un agent du Parlement. Sous le niveau du DGE se trouvent des cadres supérieurs, dont fait partie M. Roussel. Le bureau national d'EC à Ottawa est responsable, entre autres, des politiques générales et de la formation des responsables des élections ainsi que de la supervision des événements électoraux fédéraux (élections générales, élections partielles et référendums). Il existe aussi un commissaire aux élections fédérales indépendant qui est responsable du respect de la LCE et qui recommande, si nécessaire, la poursuite judiciaire dans les cas de contravention à la LCE.

[22] Le Canada a 308 circonscriptions électorales municipales, aussi connues sous le nom de divisions électorales ou circonscriptions, dont la taille physique et la population varient. La plus grande circonscription est celle du Nunavut (20 % de la masse terrestre du Canada). Par comparaison, la Ville de Toronto comprend 22 circonscriptions. Chaque circonscription a un DS, nommé par le DGE. Le DS est responsable de la préparation et du déroulement d'une activité électorale dans sa circonscription et en supervise l'exécution. Sous le DS se trouve un directeur adjoint du scrutin. Ces deux responsables sont des agents permanents et continuent leur travail entre les élections. De nombreux employés temporaires à temps partiel et à temps plein se rapportent à eux - le scrutateur, le superviseur de centres de scrutin, les greffiers du scrutin, etc.

[23] Chaque circonscription a des lieux de scrutin et dans chaque lieu de scrutin se trouvent des bureaux de scrutin. La circonscription de Toronto Centre a 75 lieux de scrutin (St. Basil en fait partie) et 271 bureaux de scrutin. Dans tout le pays, lors de l'élection générale de 2008, il y a eu plus de 20 000 lieux de scrutin, 63 000 bureaux de scrutin et plus de 200 000 responsables temporaires. Cela présente un défi formidable au niveau de l'organisation et de la logistique pour EC, puisqu'une grande partie du travail ne peut être faite, selon la Loi, que lorsque le décret est émis et que l'élection est déclenchée. Cela comprend l'embauche de la plupart de ces 200 000 employés et la signature des baux pour les lieux de scrutin. Je reconnais qu'une grande partie du travail est effectuée aussi avant et après l'élection. Je tiens compte des restrictions en matière de logistique et de temps auxquelles EC est confrontée. Les DS et les autres employés sont extrêmement occupés pendant la période d'élection de 36 jours.

Exigences d'accessibilité

[24] Le Parlement a prévu des exigences en matière d'accessibilité des élections dans de nombreux articles de la LCE, y compris au paragraphe 121(1), qui prévoit que [l]e bureau de scrutin doit fournir un accès de plainpied . Le terme accès de plainpied n'est pas défini dans la Loi. Dans le guide du SCS d'EC, ce terme est défini comme un accès plat . Des directives, non prévues par la Loi, indiquent que la référence pour la pente d'une rampe est de 1:12 (une augmentation de 1 po pour chaque 12 po de longueur). Je reconnais que l'accès de plainpied est une souscatégorie de l'accès facile. Bien que le manque d'accès de plainpied soit un obstacle majeur, ce n'est en aucun cas le seul obstacle auquel les personnes à mobilité réduite font face.

[25] De plus, la LCE n'empêche pas EC de fournir des accommodements plus importants que le simple accès de plainpied et EC s'est prévalue de cette possibilité, comme le démontrent ses politiques, ses directives, ses manuels, son matériel de formation et son site Web, qui prévoient des accommodements à accès facile qui dépassent l'accès de plainpied pour les personnes à mobilité réduite et pour les personnes souffrant de déficiences qui ne sont pas liées à la mobilité. La Politique d'EC en matière de libre accès prévoit : Les bureaux de scrutin et les autres bureaux dont les directeurs du scrutin doivent assurer l'aménagement et l'entretien en vue d'un scrutin doivent être faciles d'accès à tous égards. [souligné dans l'original]. Dans son module sur l'accessibilité de la formation des DS, sur l'une des diapositives PowerPoint, EC explique que l'un des buts de la formation est de préparer les DS afin qu'ils soient en mesure d' assurer un libre accès au processus électoral . Le feuillet de renseignements sur l'accessibilité d'EC pour l'église St. Basil énumère de nombreux critères, y compris des questions d'accessibilité autres que l'accès de plainpied , telles que les affiches et le chauffage adéquats. M. Roussel a aussi témoigné qu'EC tient compte de nombreux autres facteurs, en plus de l'accès de plainpied ou de l'accès plat des lieux, lorsqu'il détermine le caractère adéquat des bureaux de scrutin, conformément au paragraphe 121(1) de la LCE, y compris des facteurs qui, selon moi, portent sur l'accès facile.

[26] Le Parlement a aussi prévu une exception dans la LEC à l'exigence d'accès de plainpied, au paragraphe 121(2). Ce paragraphe établit la procédure par laquelle un DS peut obtenir une exemption à l'exigence, à condition d'obtenir l'approbation préalable du DGE, s'il est incapable de trouver des lieux à accès de plainpied. M. Roussel a témoigné que la demande d'une telle exemption se fait en dernier recours et est rare. Toutes les exemptions de ce genre sont déclarées dans le rapport sur l'élection présentée par le DGE au Parlement. EC paie plutôt pour l'installation de rampes temporaires, et, par le passé, de rampes permanentes, pour régler les problèmes d'obstacles. Lors de l'élection générale de 2008, 122 rampes ont été installées au Canada, dont le coût total était de 127 000 $.

Sélection des lieux de scrutin

[27] Le DS a la responsabilité de sélectionner les nombreux lieux de scrutin dans la circonscription. Comme M. Roussel en a témoigné, les DS effectuent des évaluations sur place au meilleur de leurs capacités. Il existe un registre, ou une base de données électronique, de plus de 27 000 lieux au Canada. La dernière inspection sur place de l'église St. Basil semble avoir été faite le 20 mai 2002. Le document indique que l'église satisfaisait aux exigences d'accès de plainpied de l'article 121 de la LEC. M. Roussel a aussi soutenu que les DS ne sont pas des architectes ni des évaluateurs en construction et qu'ils n'ont pas les outils nécessaires pour vérifier les mesures exactes au sujet de certains critères, tels que la pente d'une rampe. Le témoin expert et architecte Robert Topping a témoigné qu'un profane aurait certainement besoin d'équipement spécialisé et de formation pour pouvoir évaluer l'accessibilité.

[28] M. Roussel a aussi témoigné que les DS se fondent sur les renseignements existants dans la base de données pour préparer avant l'élection leur plan au sujet des lieux de scrutin qui seront utilisés. Il soutient qu'en raison des restrictions de temps qui existent lorsqu'une élection est déclenchée, les DS n'ont pas le temps d'effectuer une visite sur place de chaque lieu. C'est sans doute pourquoi les DS sont formés pour [traduction] sélectionner des lieux de scrutins appropriés longtemps avant le déclenchement de l'élection . Dans le manuel du DS, à la page 12, un tableau divise les fonctions du DS en colonnes Avant, Pendant, et Après les scrutins . Dans la colonne Avant , pour la tâche portant sur les lieux de scrutin, il est écrit, entre autres : Visiter les bureaux de scrutin potentiels et Évaluer l'accessibilité des emplacements éventuels .

[29] Dans la majorité des cas, les DS confirment la disponibilité du lieu avec les locateurs par téléphone lorsque le décret est émis. Les DS devraient peutêtre confirmer avec les locateurs, à ce momentlà, les caractéristiques en matière d'accessibilité des lieux de scrutin ainsi que leur fonctionnement lors d'un événement électoral (p. ex. le fait que les entrées accessibles seront déverrouillées).

Accessibilité : Ce qu'EC a fait en général

[30] Comme le témoin expert Robert Topping l'a expliqué, de nombreux développements technologiques et changements d'attitude au sujet de l'accès facile et de l'accessibilité ont eu lieu depuis les années 1980. EC a déployé de nombreux efforts pour garantir un accès facile aux élections fédérales. Le Tribunal a précisément reconnu ce fait dans la décision Association canadienne des paraplégiques c. Élections Canada et al., [1992] D.C.D.P. no 2 (ACP) : c'est-à-dire [...] des mesures positives importantes adoptées par Élections Canada après l'élection de 1984 [...] , à la page 27 et [c]ompte tenu des mesures qu'Élections Canada a adoptées depuis 1984 pour améliorer l'accessibilité des bureaux de scrutin [...] à la page 28. Cette affaire portait sur neuf plaintes de personnes déficientes qui n'avaient pas pu voter en raison de lieux de scrutin remplis d'obstacles ou avaient voté avec difficulté lors de l'élection fédérale de 1984 au Manitoba. Ces plaintes ont motivé EC à agir, avant que le Tribunal rende sa décision en 1992. EC a créé en 1988, avec l'aide de Barrier-free Design Consultants, le livret Lieux accessibles : Comment rendre le vote plus accessible du manuel DS.

[31] EC a aussi établi un répertoire national, ou base de données, de plus de 27 000 lieux accessibles qui ont tous fait l'objet d'une évaluation des lieux. EC a créé une grille d'évaluation de l'accessibilité pour chaque lieu de scrutin qui doit être inscrit au Répertoire des installations électorales. Dans le Manuel du DS : Guide pour la tenue des scrutins fédéraux, il est précisé à la page 81 que les DS doivent déterminer les domaines qui posent problème de manière à prendre À L'AVANCE les mesures correctives appropriées . De plus, EC a commencé à partager ses données recueillies sur les lieux de scrutin avec des groupes internes et externes afin que les renseignements puissent être complets et exacts.

[32] Il existe aussi un Manuel pour les superviseurs de centre de scrutin. Dans les fonctions à effectuer avant le jour du scrutin, à la page 12, le manuel précise que les SCS devraient examine[r] la configuration des locaux et signale[r] tout problème . Je suggère qu'EC mentionne précisément les questions d'accessibilité dans cette partie du manuel pour souligner leur importance. EC utilise aussi ce libellé dans le Manuel pour les agents réviseurs et le Manuel pour les greffiers du scrutin. EC a même un Manuel pour le préposé à la formation qui comprend une section sur des trucs ou des leçons pour aider un électeur ayant une déficience .

[33] Je ne saurais passer sous silence l'excellent site Web d'EC. Il comprend beaucoup de renseignements utiles, y compris de nombreux rapports et documents. On y trouve beaucoup de renseignements au sujet de l'accessibilité, y compris une section intitulée L'accessibilité au système électoral . Je recommande que, pour faciliter la recherche, EC ajoute un lien sur sa page principale du site Web sous Renseignements pour vous intitulé [traduction]Électeurs déficients , sous les liens actuels pour les Électeurs , Jeunes électeurs et Électeurs autochtones .

[34] Comme je l'ai mentionné plus tôt, EC apporte aussi des modifications permanentes ou temporaires aux lieux de scrutin pour fournir un accès de plainpied (p. ex. des rampes). M. Roussel a témoigné qu'EC ne refuse jamais de telles demandes des DS.

[35] EC fournit aussi une formation pour ses responsables, des DS à l'armée de 200 000 employés temporaires qui travaillent le jour de l'élection. Il forme aussi les formateurs. Une partie de la formation porte sur des questions d'accessibilité.

[36] EC offre aux personnes déficientes différents moyens de voter. En plus des exigences en matière d'accès de plainpied aux lieux de scrutin, de lieux de scrutin pour le vote par anticipation, des bureaux des DS et des bureaux de révision, EC fournit différents moyens de voter. Par exemple, un certificat de transfert peut être émis pour voter à un bureau de scrutin accessible qui se trouve à proximité si le bureau de scrutin local n'est pas accessible. De plus, des dispositions ont été prises pour que des responsables d'EC se présentent à la maison d'un électeur déficient pour lui permettre de voter. Des bulletins de vote spéciaux, y compris les bulletins de vote par la poste, peuvent aussi être utilisés.

Ce qu'EC a fait depuis que M. Hughes a déposé sa plainte en vertu de la LCDP?

[37] M. Roussel soutient qu'EC a tiré beaucoup de leçons de l'expérience de vote négative de M. Hughes lors de l'élection partielle et de l'élection générale de 2008 et qu'EC s'est amélioré. Par exemple, EC a changé ses affiches jaunes pour agrandir les lettres et y a ajouté le symbole universel d'accessibilité. L'avocat du plaignant soutient que cela aurait dû être fait plus tôt, comme il a été mentionné dans la décision ACP de 1992.

[38] L'avocat d'EC souligne aussi que son client a reconnu sa responsabilité au début de l'audience. Cependant, l'avocat du plaignant réplique que, compte tenu des faits en l'espèce, ces admissions sont venues trop tard. Peu importe le délai, les admissions ont permis d'économiser du temps à l'audience et ont facilité l'atmosphère de coopération entre les parties lors de l'audience.

[39] Par le témoignage de M. Roussel et par les observations de son avocat, EC a accepté plusieurs demandes de redressement du demandeur, en tout ou en partie. Ces redressements seront précisés dans la section sur le redressement des présents motifs de décision.

IX. L'IMPORTANCE DES ÉLECTIONS

[40] Le droit de vote est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, à l'article 3. Il s'agit d'un droit, et j'ajouterais même, d'une responsabilité ou d'un devoir des citoyens du pays. L'État a le devoir légal d'assurer que tous les obstacles, autant que possible, soient enlevés pour que les citoyens puissent voter. Cela est d'autant plus important pour les personnes déficientes. La professeure Frazee a précisé avec éloquence les obstacles auxquels les personnes déficientes font face dans notre société, du point de vue de la structure et de l'attitude, y compris les subtilités des désavantages de la déficience. Elle précise le contexte en fonction de ce qui affecterait une personne déficiente qui tente de voter, notamment, les répercussions sur les électeurs déficients qui se rendent à des installations [traduction] séparées mais égales pour exercer leur droit ou à des installations dont seule la porte arrière leur est accessible. Il ne devrait exister aucune hiérarchie de la citoyenneté en ce qui a trait au vote au Canada, aucun électeur de seconde classe. Le témoignage d'expert de la professeure Frazee et le témoignage de M. Hughes ont démontré les répercussions dommageables sur les personnes déficientes qui quittent le lieu de scrutin en croyant que leur présence était, au mieux, imprévue et, au pire, importune.

[41] Je note aussi la preuve tirée du rapport de 2006 de Statistique Canada qui fait état du nombre de personnes atteintes de diverses déficiences au Canada : 4,4 millions de Canadiens ont une limitation d'activités, ce qui signifie un taux de déficience de 14,3 %. Encore plus criante est l'augmentation de la démographie des Canadiens qui atteignent le statut de [traduction] personne du troisième âge et l'augmentation connexe des personnes déficientes au Canada, y compris des personnes à mobilité réduite.

X. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[42] La plainte de M. Hughes porte sur la violation des alinéas 5a) et 5b) de la LCDP :

5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

  1. d'en priver un individu;
  2. de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

XI. LE statut unique des lois portant sur les droits de la personne

[43] Pas plus tard qu'en 2005, la Cour suprême du Canada a déclaré dans l'arrêt Canada (Chambre des communes) c. Vaid3, au paragraphe 81 : [...] la Loi canadienne sur les droits de la personne est un texte quasi constitutionnel, qui commande que toute exception à son application soit énoncée clairement.

[44] Dans Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail4, la Cour suprême a expliqué au paragraphe 115 :

Dans l'arrêt Winnipeg School Division5, le juge McIntyre a confirmé que, en cas de conflit entre une loi sur les droits de la personne et une autre loi particulière, la loi sur les droits de la personne, en tant qu'énoncé collectif d'une politique générale, doit prévaloir à moins qu'une exception ne soit créée. Il s'ensuit naturellement que, lorsqu'une disposition législative est susceptible de plus d'une interprétation, elle doit être interprétée conformément aux principes en matière de droits de la personne. L'Office est donc tenu d'appliquer les principes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, lorsqu'il définit et relève des obstacles abusifs dans le contexte du transport.

XII. Les principes légaux portant sur la responsabilité

[45] Dans le cadre de plaintes déposées en vertu de la LCDP, il incombe d'abord au plaignant ou à la Commission d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'intimé : Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28. Une fois cela établi, c'est à l'intimé qu'il incombe d'établir une justification ou une explication de l'acte discriminatoire. La réponse de l'intimé ne devrait pas être prise en compte dans la décision à savoir si le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination : Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 22.

[46] Les cours et les tribunaux ont conclu que la discrimination peut être, mais n'est pas toujours, intentionnelle.6 Il faut aussi tenir compte des répercussions négatives ou de l'effet d'un acte neutre à première vue et de politiques neutres à première vue sur un individu ou un groupe d'individus en ce qui a trait aux motifs de discrimination illicite.

[47] La jurisprudence reconnaît la difficulté de prouver des allégations de discrimination avec des preuves directes. La discrimination est souvent pratiquée de façon très subtile et cachée. La discrimination ouverte est rare : Basi c. Chemins de fer nationaux du Canada (no 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (T.C.D.P.), au paragraphe 5038. En fait, le Tribunal a la tâche de tenir compte de toutes les circonstances pour déterminer s'il existe, comme il l'a été décrit dans l'affaire Basi, de subtiles odeurs de discrimination .

[48] La norme de preuve dans les affaires de discrimination est la norme civile habituelle, à savoir la prépondérance des probabilités. Selon cette norme, on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible : Premakumar c. Air Canada (No 2) (2002), 42 C.H.R.R. D/63 (T.C.D.P.), au paragraphe 81.

XIII. Les principes légaux portant sur le redressement

[49] La partie générale portant sur le redressement de la LCDP se trouve à l'article 53. Les paragraphes 53(1) à 53(4) précisent les indemnités et les ordonnances discrétionnaires que le Tribunal peut rendre contre un intimé lorsqu'il est conclu que la plainte est fondée. On y trouve l'ordonnance de mettre fin à l'acte discriminatoire, l'indemnisation jusqu'à concurrence de 20 000 $ pour la victime qui a souffert un préjudice moral, l'indemnité spéciale jusqu'à concurrence de 20 000 $ pour les pertes encourues en raison d'un acte délibéré ou inconsidéré de la part de l'intimé, ainsi que l'indemnité pour les dépenses entraînées par l'acte, sauf pour les frais juridiques et les dépenses encourues lors de la procédure du Tribunal.7 Le Tribunal peut aussi ordonner la prise de mesures de redressement pour corriger l'acte discriminatoire ou pour empêcher que le même acte ou des actes semblables soient posés à l'avenir.

[50] La Cour suprême du Canada a donné aux tribunaux des droits de la personne une certaine latitude dans la prise d'ordonnances de redressement.8 Cela correspond aux objectifs et aux buts des lois interdisant la discrimination. Bien entendu, les ordonnances de redressement doivent être liées9 au litige ou au sujet de la plainte qui a été jugée fondée : le cadre de la plainte ou le sujet réel .10 Le redressement doit être égal à l'acte discriminatoire. Les ordonnances doivent aussi être raisonnables11 et le pouvoir discrétionnaire en matière de redressement doit être exercé en fonction de la preuve présentée.12

[51] Les ordonnances de redressement peuvent aussi comprendre la participation de la Commission canadienne des droits de la personne ou d'autres parties en ce qui a trait à la consultation ou à la nomination d'un contrôleur pour l'application de l'ordonnance.13 La participation d'autres acteurs démontre que les cours et les tribunaux ont un rôle juridictionnel et que le processus officiel se traduit mal dans les aspects techniques ou spécifiques de l'application d'une ordonnance, qui affecte souvent le fonctionnement au jour le jour d'un gouvernement intimé ou d'une entreprise intimée.

XIV. Analyse

Alinéas 5a) et 5b) de la LCDP

[52] Le plaignant et le CCD soutiennent que les deux alinéas de l'article 5 ont été violés en l'espèce. EC soutient que l'affaire porte sur l'alinéa 5b) et que le Tribunal n'a pas à traiter de l'alinéa 5a). Je conclus qu'il y a eu contravention aux deux alinéas en cause.

[53] Premièrement, je suis convaincu qu'EC fournit un service et une installation destinés au public au sens de l'article 5. Il ne s'agit pas simplement de l'espace physique dans lequel on vote. EC fournit un service public - qui est primordial - par lequel il fournit le moyen au public d'exercer son droit de vote. Le service comprend le fait de fournir des renseignements publics, des lieux de scrutin et des bureaux de scrutin à accès facile, une interaction polie de ses responsables avec les électeurs et la facilitation du vote accessible pour tous, y compris pour les électeurs déficients.

[54] Ce qui précède applique le raisonnement de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Watkin c. Canada (Procureur général)14, qui est l'affaire la plus récente portant sur les services au sens de l'article 5 de la LCDP. Cette affaire portait sur une plainte présentée contre Santé Canada et dans laquelle on soutenait qu'il y avait eu discrimination dans la réglementation des produits à base d'herbes médicinales en raison de l'origine ethnique. La Cour a conclu que les actes d'exécution de Santé Canada ne constituaient pas un service au sens de l'article 5. La Cour a déclaré que tous les actes gouvernementaux ne sont pas nécessairement des services au sens de la LCDP. Au paragraphe 28, la Cour a déclaré : Les pouvoirs publics peuvent fournir des services pour s'acquitter des fonctions que la loi leur confie. Elle a ensuite énuméré plusieurs exemples de services fournis par les ministères et les organismes gouvernementaux. La tenue des élections par EC pourrait facilement se trouver dans cette liste. Au paragraphe 31, la Cour ajoute : [...] je suis d'accord pour dire que, comme les mesures du gouvernement sont généralement prises au profit du public, l'exigence prévue à l'article 5, suivant laquelle elles doivent être destinées au public est habituellement satisfaite dans les affaires mettant en cause une discrimination attribuable à des mesures prises par le gouvernement [...]

[55] En l'espèce, diverses conclusions de responsabilité relèvent de l'un ou l'autre, ou des deux alinéas susmentionnés. Le fait que M. Hughes a été en mesure de voter ne protège pas EC de l'alinéa 5a) : priver un individu [d'un bien, d'un service ou d'une installation destinés au public] , c'estàdire le fait qu'il a dû descendre les escaliers [traduction] sur les fesses et qu'il a eu besoin d'aide pour entrer et sortir de l'immeuble.

Responsabilité d'EC

[56] Comme je l'ai mentionné plus tôt, EC n'a reconnu au début de l'audience que sa responsabilité en vertu de l'alinéa 5b) de la LCDP. Le plaignant et CCD soutiennent qu'EC est aussi responsable en vertu de l'alinéa 5a). EC soutient que sa responsabilité est fondée sur l'effet combiné de divers points :

  1. le long sentier incliné menant à l'entrée no 2;
  2. les affiches insuffisantes menant à l'entrée no 2;
  3. l'inclinaison pour se rendre à l'entrée no 2 était de 1:8,8 (ou de 11,4 %), qui est beaucoup plus abrupte que la norme de 1:12 (ou 8,25 %) établie dans le livret sur les lieux accessibles de EC;
  4. les portes de l'entrée no 2 étaient lourdes et s'ouvraient difficilement;
  5. une seule porte à l'entrée no 2 pouvait s'ouvrir de l'extérieur;
  6. comme il n'y avait qu'une seule porte ouverte, l'entrée no 2 était trop étroite pour qu'une chaise roulante puisse passer;
  7. il s'agit d'un lieu de scrutin au centreville de Toronto. De meilleurs lieux existent.

    Pendant ses observations orales, l'avocat d'EC a mentionné quelques faits de plus au sujet de la responsabilité :

  8. la porte de l'entrée no 2 était bloquée le jour de l'élection partielle;
  9. la neige n'avait pas été enlevée sur la pente;
  10. la rampe à l'intérieur de l'église était inadéquate;
  11. il y avait une marche à descendre et aucune main courante lors des deux élections;
  12. l'espace entre les tables des isoloirs était inadéquat lors des deux élections;
  13. EC accepte la description de M. Hughes de l'humiliation qu'il a ressentie et son témoignage en général, mais n'accepte pas ce qu'il a qualifié de [traduction] ségrégation .

L'avocat du plaignant et CCD soulignent qu'aucune des admissions cidessus, dans les points 1 à 12, n'a été faite dans l'exposé conjoint des faits ou avant le début de l'audience.

[57] Je suis d'accord avec M. Hughes que la lettre du 6 août ne répondait pas à sa plainte. Pour l'essentiel, cette lettre expliquait que :

  1. l'église St. Basil offrait un accès de plain-pied tel que requis par le paragraphe 121(1) de la LCE. Comme nous le savons maintenant, ce n'était pas le cas, puisque l'entrée no 1 était verrouillée;
  2. EC a mené une enquête [traduction] approfondie au sujet de la plainte de M. Hughes, notamment en questionnant les responsables de l'élection et en effectuant une inspection des lieux de scrutin. La lettre du 6 août contient de nombreuses erreurs de fait, ce qui a entraîné des conclusions erronées;
  3. [traduction] [l'église St. Basil] a trois portes d'entrée qui étaient déverrouillées lors des heures de vote, dont deux offrent un accès de plain-pied. . Une fois de plus, seule l'entrée no 1 offre un accès facile, et elle était verrouillée;
  4. M. Hughes n'a pas vu les affiches. EC n'a pas téléphoné au DS ou à un autre responsable d'EC qui était présent à l'église St. Basil ce jourlà pour qu'il témoigne, et n'a pas inclus de preuve dans le rapport d'enquête. J'ai le témoignage de M. Hughes au sujet des affiches et je l'accepte;
  5. tous les efforts ont été déployés pour que les rampes soient déneigées lors des jours de vote par anticipation et de vote pour l'élection partielle. J'accepte le témoignage contraire de M. Hughes, selon lequel les efforts étaient insuffisants;
  6. [traduction] d'autres électeurs déficients ont utilisé ces accès de plain-pied [les entrées] sans difficulté [...] ;
  7. l'église St. Basil a été utilisée lors des élections générales de 2004 et de 2006 et EC n'a aucune trace de toute autre plainte en matière d'accessibilité au sujet du lieu de scrutin. Bien entendu, il n'est pas nécessairement possible de savoir si une plainte en matière d'accessibilité a déjà été déposée, puisque M. Roussel a témoigné qu'EC n'a pas de système pour l'enregistrement de telles plaintes;
  8. aucun des responsables interrogés ne se souvenait du commentaire du responsable à qui M. Hughes a parlé, commentaire portant sur le manque de fonds pour l'accessibilité lors d'élections partielles. En effet, il n'y a eu aucune mention de la plainte verbale de M. Hughes ce jourlà. Comme je l'ai déjà mentionné, j'accepte la version de M. Hughes de cette situation.

[58] M. Hughes a mentionné qu'il avait été très bouleversé par la lettre du 6 août d'EC. Il a déclaré que la réponse d'EC, ou, en général, l'absence de réponse, l'avait bouleversé autant que ses expériences de vote frustrantes. Il a soutenu que la lettre du 6 août était méprisante et laissait entendre qu'il était incompétent ou incapable de lire des affiches : [traduction] La lettre était un déni total de mon expérience . Je reconnais que le ton de la lettre est quelque peu méprisant. Par contre, de façon plus importante, une grande partie des énoncés de faits qui s'y trouvent sont clairement fautifs : en particulier, le fait que l'entrée no 1 (la seule des trois entrées qui était accessible) aurait été ouverte le jour de l'élection partielle. Je trouve difficile d'accepter qu'après avoir questionné ces responsables qui étaient présents à l'église St. Basil et après avoir enquêté sur la question, EC croyait que l'entrée no 1 avait pu être utilisée le jour de l'élection partielle. Cela donne à penser que, malgré les affiches qui pointaient à l'opposé de l'entrée no 1, personne n'avait avisé l'enquêteur d'EC que l'entrée no 1 avait été verrouillée ce jourlà. La preuve ne me permet pas de déterminer si EC, lors de son enquête, a communiqué avec les responsables de l'église pour vérifier quelles entrées étaient déverrouillées ce jourlà. À tout le moins, l'enquête d'EC était viciée.

[59] Je conclus que les aspects suivants engagent la responsabilité d'EC en l'espèce :

    1. EC n'a pas offert au plaignant un accès facile au vote, tant pour l'élection partielle que pour l'élection générale de 2008, parce qu'aucune entrée n'était accessible pour une personne atteinte de la déficience de M. Hughes;

    2. EC a privé le plaignant d'un service et a fait preuve de distinction défavorable contre lui dans l'enquête inférieure aux normes qu'il a effectuée au sujet des plaintes verbales et écrites du plaignant. EC n'a même pas pris en note sa plainte verbale relative à l'élection du 17 mars. La réponse d'EC à sa plainte écrite et à sa plainte présentée en vertu de la LCDP était tardive et inexacte, et son ton était méprisant. Il est décevant que dans sa lettre du 6 août à la Commission, traitant de la plainte présentée en vertu de la LCDP (cinq mois après les plaintes du plaignant à EC), EC ait fait autant d'erreurs factuelles. La plus scandaleuse de ces erreurs était le fait qu'EC a affirmé que les trois entrées [traduction] étaient déverrouillées pendant les heures de vote . Malgré le fait qu'EC a déclaré dans sa lettre du 6 août qu'au cours de son examen de la plainte, [traduction] les responsables de l'élection ont été interrogés et une inspection des lieux de scrutin a été effectuée , personne à l'administration centrale d'EC à Ottawa n'a réalisé que la seule entrée accessible (la porte principale no 1) était verrouillée le jour de l'élection, jusqu'en novembre 2008, auquel moment l'enquête s'est terminée, selon le témoignage de M. Roussel. Cependant, la lettre du 6 août indique que l'enquête d'EC était alors terminée. Si EC avait effectué une enquête sérieuse plus tôt, ce fait aurait certainement été remarqué et rectifié à temps pour l'élection générale d'octobre 2008, soit par la communication à l'église St. Basil pour vérifier que la porte soit déverrouillée le jour de l'élection ou par la location d'un autre immeuble (accessible). J'accepte le témoignage de M. Hughes selon lequel le fait qu'EC a mal traité ses plaintes verbales et écrites ainsi que sa plainte à la Commission, y compris le ton et le contenu de la lettre du 6 août, l'ont bouleversé autant, sinon plus, que les deux situations de vote elles-mêmes.

[60] Compte tenu de la preuve qui a été présentée, je suis convaincu que le plaignant a établi une preuve prima facie et que l'intimé n'a présenté aucune explication, défense ou exemption raisonnable en ce qui a trait aux faits additionnels qui ont entraîné une responsabilité qu'EC n'a pas reconnue. L'intimé a déclaré que [traduction] des erreurs ont été commises et qu'il avait tiré des leçons de ces incidents.

XV. LES MESURES DE REDRESSEMENT

[61] Comme j'ai conclu à la responsabilité d'EC, je me pencherai maintenant sur la question des mesures de redressement, question qui a occupé une grande partie de l'audience.

Indemnité et intérêts

[62] Le plaignant a demandé 10 000 $ en vertu de l'alinéa 53(2)e) de la LCDP à titre d'indemnité pour le préjudice moral dont il a souffert, plus intérêts. L'avocat du demandeur a cité la décision que j'ai rendue alors que j'était président de la Commission d'enquête de l'Ontario sur les droits de la personne, dans une affaire portant sur le déni du droit à l'égalité de traitement et sur les services à des personnes déficientes qui tentaient d'aller au cinéma. Dans cette affaire, Turnbull, précitée, j'ai accordé une indemnité pour les pertes entraînées par la violation des droits des plaignants, indemnités qui ont varié de 8 000 $ à 10 000 $. L'avocat du plaignant soutient que le droit de vote est aussi important, sinon plus, que celui d'aller au cinéma. De plus, M. Hughes a dû subir cet affront deux fois. L'avocat d'EC suggère qu'il serait plus approprié d'accorder entre 2 500 $ et 5 000 $. J'accorde à M. Hughes 10 000 $ en vertu de l'alinéa 53(2)e). Les points suivants sont pertinents :

  1. le droit de vote est l'un des droits les plus sacrés du citoyen, et cela comprend le droit de voter dans un contexte accessible;
  2. la contravention aux droits de M. Hughes a eu lieu lors de deux élections distinctes sur une période de sept mois;
  3. EC a aussi contrevenu au droit de M. Hughes à une enquête sérieuse et prompte ainsi qu'au traitement de ses plaintes verbales et écrites.

[63] J'accorde aussi des intérêts pour le montant susmentionné, conformément au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal et au paragraphe 53(4) de la LCDP.

Mesures de redressement systémiques

[64] L'avocat du plaignant et CCD m'encouragent à ordonner des mesures de redressement systémiques importantes. Ils sont d'avis que de nombreuses erreurs ont été commises par plus d'un individu, que les erreurs visaient le système complet et qu'il ne s'agissait pas d'une simple erreur isolée.

[65] EC n'est pas d'avis qu'il y a un problème systémique en l'espèce et, par conséquent, soutient qu'aucune ordonnance du genre ne devrait être rendue. Compte tenu des excuses qu'EC a présentées à M. Hughes lors de l'audience, dans le témoignage de M. Roussel, ainsi que de sa promesse de ne plus utiliser l'église St. Basil, une telle ordonnance, d'après EC, n'est pas nécessaire.

[66] L'avocat d'EC a aussi mentionné une série de courriels entre avocats, dans laquelle l'avocat de la Commission a mentionné qu'il ne croyait pas que [traduction] le dossier donne lieu à des mesures de redressement systémiques . Il a aussi écrit que, peu importe, la Commission serait prête à contrôler toute mesure de redressement systémique ordonnée par le Tribunal : [traduction] La Commission participera toujours à des mesures de redressement systémiques, en particulier si le Tribunal nous demande d'y participer . J'apprécie la volonté de la Commission de contrôler toute mesure de redressement que je pourrait ordonner.

[67] Je tiens à ajouter qu'EC, dans le témoignage de M. Roussel et dans les conclusions finales de son avocat, a consenti, en tout ou en partie, à de nombreuses ordonnances systémiques [traduction] de pratiques futures que le plaignant et CCD ont demandées.15 Je reconnais la franchise et l'approche coopérative dont EC a fait preuve au sujet de la question du redressement.

[68] Les conclusions que j'ai tirées indiquent clairement un problème systémique. L'échange suivant a eu lieu lors des conclusions finales, entre l'avocat d'EC et moimême :

[traduction]

AVOCAT : Mais il ne s'agit pas d'un cas où quelque chose est arrivé à cause du système. Il s'agit d'un cas où quelque chose est arrivé en raison de personnes qui n'ont pas fait tout à fait les bonnes choses dans le système.

TRIBUNAL : Mais cela fait partie du système aussi. Le système est fait de personnes.

AVOCAT : C'est vrai... Nous voyions ça, au fond, comme un cas d'erreur humaine.

Dans le cas d'EC, le système est une large pyramide , de l'échelon du haut (le DGE et la gestion à Ottawa) jusqu'à l'échelon du bas, soit les 200 000 responsables actifs le jour de l'élection. Il n'y a aucune divisibilité à EC : l'entité gouvernementale est responsable des actions de tous ses responsables et employés, qu'ils soient à temps plein ou à temps partiel, permanents ou temporaires, qui agissent en cours d'emploi.16 La déclaration d'EC selon laquelle l'église St. Basil ne sera plus utilisée comme lieu de scrutin n'est pas une mesure de redressement suffisante pour remédier à l'acte discriminatoire dont je suis saisi ou n'empêchera pas que cet acte se reproduise, suivant l'alinéa 53(2)a) de la LCDP.

[69] Je tiens compte de l'importance du fait que les cours et les tribunaux doivent être sensibles à leur rôle d'arbitre judiciaire et quasi judiciaire, respectivement. En particulier, du fait qu'il faut s'abstenir d'usurper les fonctions des autres branches du gouvernement : Doucet-Boudreau c. NouvelleÉcosse (Ministre de l'Éducation), [2003] 3 S.C.R. 3, au paragraphe 6. La Cour suprême du Canada a aussi noté que : [l]e rôle des tribunaux varie en fonction du droit en cause et du contexte de chaque affaire .17 Mon ordonnance vise à prévenir des actes discriminatoires semblables dans l'avenir, tout en respectant le mandat que le Parlement du Canada a donné à l'intimé.

[70] J'ai mentionné qu'en préparant ces mesures de réparation systémiques, je tenterais d'atteindre un équilibre juste - ni exagéré ni insuffisant . Il s'agit d'un art et non d'une science. L'avocat d'EC m'a demandé de ne pas [traduction] utiliser la méthode forte des mesures de redressement au premier tour . Le plaignant et CCD ont soutenu qu'il s'agissait plutôt du troisième tour - l'affaire ACP en 1992, qui comporte de nombreuses similitudes frappantes avec la plainte de M. Hughes, et les deux événements dans le cas de M. Hughes. Je suis d'accord. Cependant, EC a fait de nombreux progrès en matière de vote accessible avant (c'est-à-dire l'élection générale de 1988) et après la décision ACP de 1992. Néanmoins, il est décevant qu'à l'époque où les droits en matière de déficience et d'accessibilité sont si vivement défendus, alors que nous entrons dans la deuxième décennie du 21e siècle, M. Hughes ait à vivre l'humiliation et la honte de ces deux expériences de vote, sur une période de sept mois, suivis par une enquête tardive, des conclusions inexactes et le mauvais traitement de ses plaintes verbales et écrites. Il convient particulièrement de noter que, suite aux plaintes verbales et écrites de M. Hughes au sujet de l'incident lors de l'élection partielle, EC n'a pas amélioré l'accessibilité du lieu de scrutin pour l'élection générale qui a eu lieu sept mois plus tard. Donc, malgré le fait qu'EC a pris de nombreuses bonnes mesures au sujet de l'accessibilité, les défauts mentionnés en l'espèce donnent à penser qu'il reste du chemin à faire, ce qui justifie une ordonnance pour des pratiques futures .

[71] Pour atteindre un équilibre approprié lors de la détermination de la portée de la présente ordonnance, il faut se demander : quel était l'acte discriminatoire, quelle en était la gravité, quelle en était la source et comment peutil être réparé? Comme je l'ai mentionné précédemment, le problème n'est pas tellement les normes ou les politiques en matière d'accessibilité, ou la formation d'EC à ce sujet. Elles peuvent sûrement être améliorées, mises à jour, etc. EC a indiqué sa volonté d'effectuer ces améliorations et de demander la participation des autres parties, et c'est tout à son honneur. Le problème est plutôt dans la nature des politiques et des directives, et dans le fait que la formation n'a pas été suivie ou appliquée par les responsables d'EC. Il y a aussi un problème marqué dans le mécanisme interne d'EC en ce qui a trait au traitement des plaintes portant sur des obstacles à l'accès des personnes déficientes lors d'un vote.

[72] Je conclus aussi qu'il y a un manque de communication des renseignements entre le [traduction] personnel sur le terrain - les responsables au lieu de scrutin de l'église St. Basil - et le DS de Toronto Centre, entre le DS et l'administration centrale d'EC à Ottawa et entre diverses parties de l'administration centrale (le bureau du commissaire, la Direction des services juridiques d'EC, etc.). L'exemple le plus criant est la conclusion inexacte d'EC, après un examen approfondi de la question, que toutes les entrées étaient déverrouillées et que deux des trois entrées étaient accessibles. De plus, la Direction des services juridiques d'EC a seulement conclu en novembre 2008 que l'entrée no 1 avait été verrouillée, huit mois après que M. Hughes ait soulevé le problème et un mois après une nouvelle élection inaccessible à l'église St. Basil, lors de l'élection générale. Plus tôt, j'ai conclu que, compte tenu des affiches jaunes d'EC qui pointaient à l'opposé de l'entrée no 1, l'un des responsables d'EC savait évidemment que l'entrée no 1 était verrouillée. Cependant, cette information ne s'est pas rendue au DS ou à l'administration centrale à Ottawa. Malheureusement, contrairement à l'audience ACP en 1990, ni le DS ni un autre responsable présent au lieu de scrutin en question n'a témoigné devant moi.

[73] Le plaignant, avec l'aide de CCD, a présenté une liste de cinq pages des redressements qu'il demande. L'avocat d'EC y a répondu verbalement et par écrit. M. Roussel a aussi témoigné au sujet des diverses mesures de redressement qu'EC serait prêt à accepter ou à considérer, y compris la coopération et la consultation avec les autres parties. Je suis impressionné par le nombre de mesures de redressement qu'EC a accepté en tout ou en partie. Bien entendu, EC n'a pas accepté et s'est fortement opposé à certaines des mesures. Il y a un certain chevauchement entre les mesures de redressement demandées par le plaignant et CCD et celles acceptées par EC.

[74] Mon ordonnance quant aux mesures de redressement systémiques ou de pratiques futures , rendue après un examen attentif des observations de toutes les parties est présentée ci-dessous. L'application de la présente ordonnance dépendra de la collaboration et de la coopération de toutes les parties et, en particulier, d'EC puisqu'il s'agit de l'organisme intimé envers qui l'ordonnance est dirigée. Compte tenu de l'attitude positive d'EC à l'audience et de l'interaction non contradictoire et coopérative entre les parties à l'audience, je suis convaincu que l'ordonnance sera efficace. Bien entendu, je resterai à la disposition des parties si elles souhaitent discuter et je rendrai des directives ou d'autres ordonnances au besoin, traitant de l'application de l'ordonnance en l'espèce.

Contrôle, consultation, etc.

[75] Le plaignant et CCD m'ont demandé de nommer un contrôleur qui traitera de l'application de mon ordonnance, de façon semblable à mon rôle à titre de contrôleur dans l'affaire Lepofsky, précitée (note en bas de page 13) du Tribunal des droits de la personne de l'Ontario. Ils citent aussi la décision McKinnon, précitée à la note en bas de page 13), dans laquelle la Commission des droits de la personne de l'Ontario a ordonné la création d'un Comité de contrôle et la nomination d'une tierce partie pour élaborer et contrôler les programmes de formation. Ils ont aussi demandé à ce que la Commission et CCD participent à divers aspects de l'ordonnance, participation qui s'étend au plaignant aussi. EC soutient qu'il n'est pas nécessaire de nommer un contrôleur, que la Commission pourrait prendre un rôle semblable à celui d'un contrôleur et qu'EC et la Commission feraient rapport au Tribunal.

[76] J'ai examiné avec attention les observations des parties à ce sujet. Je me trouve aussi dans une position unique puisque je suis le contrôleur dans l'affaire Lepofsky depuis 2005. Je suis d'avis qu'un contrôleur externe n'est pas nécessaire en l'espèce. Il ne s'agit pas ici d'une affaire comme Lepofsky ou McKinnon. En particulier, je note les mesures positives qu'EC a prises pendant l'audience, y compris l'admission de sa responsabilité, son consentement à de nombreuses mesures de redressement proposées, en tout ou en partie, son accord quant à la participation de la Commission après l'audience et à la consultation avec CCD ou d'autres groupes portant sur la déficience, ainsi qu'avec le plaignant, et la coopération entre toutes les parties au cours de l'audience. Si des événements futurs me démontrent que je me suis trompé, je me réserve le droit de nommer un contrôleur externe.

[77] Plutôt que de nommer une tierce partie comme contrôleur, j'accepte l'offre de la Commission de contrôler l'application de mon ordonnance. Cet exercice devrait en être un de collaboration. EC consultera les autres parties (c'est-à-dire la Commission, le plaignant et le CCD) au sujet de divers aspects de mon ordonnance, y compris son application. EC paiera les dépenses raisonnables de CCD et du plaignant pour leur participation dans la phase d'application, mais ne paiera pas les frais juridiques de la présente procédure : voir Mowat, précité, note en bas de page 7.

[78] S'il y a un désaccord entre EC et une autre des parties lors de la phase d'application, cette partie pourra me présenter une requête. Bien entendu, la collaboration et la coopération sont essentielles pour que l'application fonctionne. Je m'attends à ce qu'une partie demande l'aide de la Commission ou d'un médiateur du Tribunal avant de me présenter une requête.

Davantage de consultation avec les électeurs déficients

[79] Je crois qu'une plus grande consultation de la part d'EC avec les électeurs déficients et les groupes de personnes déficientes, comme le CCD, permettra de prévenir de tels actes discriminatoires à l'avenir. Des personnes et groupes de ce genre pourraient grandement aider EC dans presque tous les domaines visés par mon ordonnance en matière de mesures de redressement : par exemple le choix des lieux et des bureaux de scrutin, les normes d'accessibilité, l'affichage, les manuels de formation et les programmes. Ce qui précède se distingue, et ne contredit pas, la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le devoir d'accommodement ne comprend pas de devoir juridique de consultation.18

[80] M. Roussel a témoigné au sujet des divers groupes qu'EC a consultés au sujet des lieux de scrutin, tels que les députés, les aînés autochtones, les leaders étudiants, etc. Pourquoi ne pas aussi consulter des personnes déficientes et des groupes de personnes déficientes? M. Roussel était très ouvert aux diverses suggestions au sujet d'une plus grande participation et consultation des personnes déficientes et des groupes de personnes déficientes par EC. Il a aussi témoigné au sujet des nombreux sondages, études et bilans effectués par EC après chaque élection générale. Par exemple, EC effectue un Sondage auprès des aînés et des jeunes autochtones . Pourquoi ne pas aussi effectuer un Sondage auprès des personnes déficientes et des groupes de personnes déficientes ? EC examinera la suggestion précédente, en discutera avec les autres parties, en particulier avec le CCD, et formulera un plan de consultation dans les six mois à venir.

Ordonnance de mettre fin à l'acte discriminatoire

[81] EC cessera de situer des bureaux de scrutin dans des lieux qui n'offrent pas un accès facile, dans toutes les circonscriptions du Canada, en application de l'article 5 de la LCDP. Cette ordonnance est assujettie à la norme de la justification de bonne foi et du devoir d'accommodement jusqu'à contrainte excessive au sens de l'alinéa 15(1)g) et du paragraphe 15(2) de la LCDP, respectivement, lorsqu'une preuve prima facie de discrimination a été établie.

[82] Rien dans mes motifs ou mon ordonnance ne vise à gouverner l'exercice du pouvoir discrétionnaire du DGE prévu au paragraphe 121(2) de la LCE permettant l'exemption d'un lieu de scrutin de l'exigence d'accès de plainpied. En l'espèce, aucune exemption au sens du paragraphe 121(2) n'a été accordée par le DGE pour l'église St. Basil. Comme je l'ai mentionné plus tôt dans mes motifs, EC fournit déjà un meilleur accommodement dans le domaine de l'accessibilité que l'accès de plainpied (c'est-à-dire un accès plat, sans escaliers). Je ne me préoccupe pas de ce que la LCE exige en matière d'accommodements pour la déficience et d'accessibilité, mais plutôt de ce que la LCDP exige. EC reconnaît que la LCDP s'applique à elle. Cependant, dans sa déclaration d'ouverture, l'avocat d'EC a mentionné la séparation des pouvoirs. Sans contester la compétence du Tribunal en l'espèce, il a mentionné que [traduction] certaines choses devraient être laissées au Parlement et à ses organismes .

Répertoire des installations électorales

[83] Le plaignant et CCD me demandent d'ordonner à EC d'examiner ce répertoire de plus de 27 000 lieux de scrutin au Canada, de le mettre à jour et d'en faire rapport. EC soutient qu'une telle vérification dans tout le pays de chacun des lieux de scrutin serait extrêmement difficile du point de vue logistique. L'avocat d'EC mentionne correctement que le plaignant n'a pas prouvé l'existence d'une erreur dans le répertoire électronique, sauf en ce qui a trait à l'église St. Basil. Il soutient que l'erreur n'était pas due aux renseignements au sujet de l'église St. Basil dans le répertoire ni à la structure physique de l'église. Plutôt, l'erreur était due au fait que l'entrée no 1 était verrouillée lors des deux élections.

[84] Je conviens que le fait de vérifier 27 000 lieux de scrutin est une tâche énorme. Cependant, M. Roussel a témoigné qu'EC avait pour habitude de visiter chaque lieu (actuel et éventuel), avant les élections récentes des gouvernements minoritaires. La dernière vérification nationale a été effectuée en 2002. Les directives et les manuels exigent que les DS examinent les lieux avant qu'une élection soit déclenchée et en assurent la location après le déclenchement de l'élection. Le répertoire national est un outil ou un moyen d'atteindre l'objectif de l'accès facile au vote pour les Canadiens. Je n'ordonnerai pas à EC d'effectuer une telle vérification ni de présenter un rapport public à ce sujet. L'acte discriminatoire dont est accusée EC n'était pas causé par les données inscrites pour l'église St. Basil dans le répertoire des installations électorales. Cependant, je note qu'EC accepte, dans les six mois à venir, de [traduction] mettre en place une procédure pour la vérification de l'accessibilité des installations le jour d'une élection . EC effectuera cette vérification et consultera les autres parties à ce sujet.

Normes d'accessibilité

[85] En ce qui a trait à la question des normes d'accessibilité, il ne s'agissait pas d'une source de responsabilité pour EC en l'espèce. Il n'y avait pas suffisamment de liens avec l'acte discriminatoire. Bien entendu, les normes changent et évoluent, en termes de philosophies, d'attitudes et de technologies. Par conséquent, je recommande, mais je n'ordonne pas, à EC d'examiner les normes d'accessibilité qu'il utilise et de consulter les autres parties à ce sujet. Ces normes sont comprises, mais ne se limitent pas, à la page 2, paragraphe 4, de la liste révisée des mesures de redressement demandées par le plaignant.

Politiques et directives

[86] Les politiques et les directives d'EC au sujet de l'accessibilité peuvent être améliorées et mises à jour, mais elles n'étaient pas un facteur important dans mes conclusions de responsabilité. Cependant, EC accepte, dans les 12 mois à venir, de [traduction] réviser le livret sur les lieux accessibles, la grille d'évaluation de l'accessibilité et les sections portant sur l'accessibilité dans les manuels des directeurs de scrutin et des catégories susmentionnées de responsables des élections [SCS, agents réviseurs, greffiers du scrutin, préposés à l'information et directeurs du scrutin] . J'ordonne à EC de le faire et de consulter les autres parties à ce sujet.

Bail normalisé pour les lieux de scrutin

[87] Le plaignant et CCD me demandent d'ordonner à EC de réviser son bail normalisé pour les lieux de scrutin afin que celuici comprenne l'exigence que les lieux loués aient un accès facile. Si le bail de l'église St. Basil avait compris une telle condition, cela aurait pu entraîner une discussion au sujet de l'entrée no 1 et prévenir le fait qu'elle était verrouillée le jour de l'élection partielle et de l'élection générale. Une telle disposition augmente la conscience du locateur et du locataire au sujet des questions d'accessibilité et pourrait raisonnablement prévenir un acte semblable dans l'avenir. J'ordonne à EC d'effectuer cette révision dans les six mois à venir et de consulter les autres parties à ce sujet.

Affichage dans les lieux de scrutin et les bureaux de scrutin

[88] J'accepte le témoignage de M. Hughes au sujet de l'insuffisance de l'affichage lors de l'élection partielle et de l'élection générale. EC a aussi admis l'insuffisance des affiches menant à l'entrée no 2. L'affichage est particulièrement important puisque la majorité des électeurs connaîtront moins bien la disposition de leur lieu de scrutin que celle de leur maison ou de leur lieu de travail. EC accepte la demande du plaignant que le Tribunal ordonne l'affichage suffisant et approprié lors des élections, affichage qui doit comprendre le symbole universel d'accessibilité afin que les électeurs déficients puissent facilement trouver le chemin le plus rapide et le plus approprié à toutes les entrées accessibles d'un lieu de scrutin. J'ordonne à EC de le faire et de consulter les autres parties à ce sujet.

Formation

[89] Le matériel et les protocoles de formation peuvent toujours être améliorés. En l'espèce, le problème portait plus sur les responsables qui n'ont pas suivi les instructions, plutôt que sur la formation même. Par exemple, M. Roussel a témoigné que le superviseur du Centre de scrutin avait le devoir de vérifier si les bureaux de scrutin fonctionnaient correctement le jour de l'élection, y compris de vérifier si l'entrée no 1 (la seule entrée accessible) était ouverte. Cependant, le nonrespect par les responsables des instructions qui leur sont données lors de la formation est aussi un facteur de la façon dont ils sont formés. Une meilleure formation, y compris son application, pourrait prévenir de tels commentaires comme celui que le responsable d'EC a fait à M. Hughes au sujet du manque de financement suffisant pour rendre les installations accessibles lors des élections partielles, ainsi que du manque d'espace suffisant entre les tables des bureaux de scrutin.

[90] Une formation au sujet des plaintes en matière d'accessibilité et du traitement approprié de ces plaintes par les responsables des lieux de scrutin et l'administration centrale devrait aussi être offerte. J'ai été surpris par le témoignage de M. Roussel au sujet du manque de formation portant sur les questions d'accessibilité pour une grande partie des fonctionnaires à l'administration centrale d'EC, qui traitent, de près ou de loin, des questions de déficience et d'accessibilité.

[91] Le plaignant et CCD demandent une ordonnance visant l'examen et la mise à jour du matériel de formation et des programmes de formation pour tous les gestionnaires, les employés et les responsables, qu'ils soient à temps plein ou à temps partiel, permanents ou temporaires, qui ont à traiter des questions d'accessibilité. Cela comprend le DGE qui se trouve au sommet de la pyramide d'EC, jusqu'aux 200 000 responsables employés le jour de l'élection. Ils demandent aussi que le matériel de formation comprenne les présents motifs de décision (ou un résumé) et que la décision fasse partie d'une étude de cas lors de séances de formation. Je note qu'EC tient une séance interactive constituée d'études de cas lors de la formation des DS. EC accepte, dans les 12 mois à venir, d'examiner son matériel et ses programmes de formation pour les DS et les responsables subordonnés, mais s'inquiète de l'extension de cette formation au DGE. EC est aussi préoccupée par les complexités logistiques de la formation de 200 000 responsables temporaires qui travaillent le jour de l'élection.

[92] Le matériel et les programmes de formation, ou les séances de formation, devraient être examinés, révisés et mis à jour en ce qui a trait aux questions d'accessibilité. La formation devrait être offerte à chaque responsable ou employé qui traite de questions de déficience ou d'accessibilité, y compris le DGE et les cadres supérieurs, les responsables de l'accessibilité à l'administration centrale, les DS et les autres responsables dans les circonscriptions (c'est-à-dire l'armée de 200 000 responsables qui travaillent le jour de l'élection). Je note que dans l'affaire Lepofsky, précitée, le Tribunal a ordonné la formation de tous les responsables appropriés et employés, y compris les commissaires et les cadres supérieurs de la Toronto Transit Commission. La formation peut être ajustée en fonction de la personne, selon ses responsabilités à EC. J'accepte aussi la demande que le matériel de formation comprenne mes motifs de décision ou un résumé et qu'une étude de cas soit préparée à partir de ma décision.

Processus de plaintes en matière d'accessibilité

[93] Le mauvais traitement des plaintes écrites et verbales de M. Hughes, y compris l'enquête d'EC, a engagé la responsabilité d'EC, et je suis préoccupé par la situation. EC accepte, dans les six mois à venir, de [traduction] mettre en place une procédure pour la réception, l'enregistrement et le traitement de plaintes verbales et écrites au sujet du manque d'accessibilité.

[94] Je conviens qu'un processus de plaintes public doit être établi par EC pour des questions d'accessibilité. Ce processus devrait aussi faire l'objet d'une publicité appropriée (p. ex. dans les lieux de scrutin, sur le site Web d'EC et sur la carte d'information de l'électeur). Il devrait comprendre le suivi des plaintes et leur règlement. Le nombre de plaintes reçues au sujet des questions d'accessibilité devraient faire l'objet d'un rapport public, possiblement dans le rapport suivant l'élection du DGE. Bien entendu, les employés d'EC doivent être formés à ce sujet.

[95] Il est important d'effectuer des rapports au sujet des plaintes de manque d'accessibilité dans les lieux de scrutin et dans les bureaux de scrutin. EC accepte [traduction] de faire de tels rapports pendant une période de trois cycles complets d'élection générale, si cette exigence peut être mise en uvre d'une façon qui convient à ses restrictions opérationnelles . Les plaintes en matière d'accessibilité feront partie du rapport du DGE au Parlement après l'élection. J'ordonne à EC d'effectuer un tel rapport, conformément aux conditions établies dans la lettre de l'avocat au Tribunal du 23 octobre 2009.

Exemptions en vertu du paragraphe 121(2) de la LCE

[96] Le plaignant me demande d'ordonner que de telles exemptions soient examinées avec des consultants de groupes locaux de personnes déficientes et, s'il est conclu que l'exemption est valide, qu'elle soit publiquement annoncée et qu'elle comprenne les options de rechange pour les électeurs déficients. Présentement, le DGE énumère dans son rapport au Parlement après l'élection le nombre d'exemptions accordées en vertu du paragraphe 121(2) lors de la campagne électorale. Ni le plaignant, ni CCD ne contestent la validité du paragraphe 121(2). Je ne crois pas que l'acte discriminatoire d'EC en l'espèce découlait d'une exemption au sens du paragraphe 121(2) et, par conséquent, je ne rends aucune ordonnance de pratiques futures à ce sujet.

Suspension de trois mois si une élection est déclenchée

[97] J'accepte la demande d'EC que les échéances et les activités découlant des mesures de redressement précédentes soient suspendues pour une période de trois mois si une élection générale devait être déclenchée. Il s'agit d'une demande raisonnable compte tenu de la preuve qui m'a été présentée au sujet de l'horaire chargé des employés de l'administration générale d'EC et des responsables des circonscriptions lorsqu'une élection est déclenchée. Bien entendu, cette ordonnance n'affecte pas l'octroi de l'indemnité, l'intérêt et l'ordonnance de mettre fin à l'acte discriminatoire.

Rapports au Tribunal

[98] EC me présentera des rapports à un intervalle d'au plus trois mois au sujet du progrès de l'application de mon ordonnance. J'encourage la Commission, mais je ne l'oblige pas, à me présenter un rapport périodique au sujet de toute question portant sur son contrôle de l'application de mon ordonnance.19

Le Tribunal restera saisi de l'affaire

[99] Les parties acceptent que le Tribunal reste saisi de l'affaire. Je resterai saisi de l'affaire jusqu'à ce que mon ordonnance soit complètement appliquée, y compris les ordonnances ou les directives supplémentaires que je pourrais rendre, au besoin. Cependant, EC, dans la lettre de son avocat au Tribunal du 23 octobre 2009, a accepté l'application par phase d'un système de rapports complet sur un cycle de trois élections générales. Cela pourrait se terminer en 2020. Je ne crois pas qu'il serait sage de rester saisi de l'affaire pour une si longue période. Par conséquent, je resterai saisi de l'affaire jusqu'à la dernière date du rapport qui sera présenté après la prochaine élection générale et de l'application des autres parties de la présente ordonnance, y compris toute application de toute autre ordonnance que je pourrais rendre, au besoin.

XVI. Ordonnance

[100] Comme j'ai conclu qu'EC a fait preuve d'acte discriminatoire au sens de l'article 5 de la LCDP, la plainte de James Peter Hughes est fondée et je rends l'ordonnance suivante :

Indemnité et intérêts

1. EC paiera à M. Hughes 10 000 $ pour le préjudice moral dont il a souffert en raison de l'acte discriminatoire, au sens de l'alinéa 53(2)e) de la LCDP, plus intérêts, conformément à la règle 9(12) des Règles de procédure du Tribunal et au paragraphe 53(4) de la LCDP.

Contrôle, consultation, etc.

2. Comme la Commission l'a offert, elle contrôlera l'application de la présente ordonnance et l'application de toute ordonnance subséquente. EC consultera les autres parties (c'est-à-dire la Commission, le plaignant et CCD) au sujet de divers aspects de mon ordonnance, y compris son application. EC paiera les dépenses raisonnables de CCD et du plaignant pour leur participation à la phase d'application, mais ne paiera pas les frais juridiques relatifs à la présente procédure.

Meilleure consultation des électeurs déficients

3. Dans les six mois à venir, EC formulera un plan visant une meilleure consultation des électeurs déficients et des groupes de personnes déficientes, en consultant les autres parties.

Ordonnance de mettre fin à l'acte discriminatoire

4. EC arrêtera de placer des bureaux de scrutin dans des lieux qui n'offrent pas un accès facile, dans toutes les circonscriptions du Canada, suivant l'article 5 de la LCDP. Cette ordonnance est assujettie à la norme de la justification de bonne foi et au devoir d'accommodement jusqu'à contrainte excessive au sens de l'alinéa 15(1)g) et du paragraphe 15(2) de la LCDP, respectivement, lorsqu'une preuve prima facie de discrimination a été établie.

Vérification de l'accessibilité des installations

5. Dans les six mois à venir, EC mettra en place une procédure de vérification de l'accessibilité des installations le jour d'une élection et consultera les autres parties à ce sujet.

Politiques et directives

6. Dans les 12 mois à venir, EC examinera le livret sur les lieux accessibles, la grille d'évaluation de l'accessibilité et les sections sur l'accessibilité des manuels des directeurs de scrutins et des autres catégories de responsables des élections (c'est-à-dire les DAS, SCS, DS, greffiers du scrutin, préposés à l'information et directeurs du scrutin). EC consultera les autres parties à ce sujet.

Bail normalisé pour les lieux de scrutin

7. Dans les six mois à venir, EC révisera son bail normalisé pour les lieux de scrutin afin d'ajouter l'exigence selon laquelle les lieux loués doivent fournir un accès de plain-pied et un accès facile. EC consultera les autres parties à ce sujet.

Affichage aux lieux et aux bureaux de scrutin

8. EC fournira un affichage suffisant et approprié aux élections, qui comprendra le symbole universel d'accessibilité, afin que les électeurs déficients puissent facilement trouver la route la plus courte et la plus appropriée pour se rendre aux entrées accessibles des lieux de scrutin. EC consultera les autres parties à ce sujet.

Formation

9. Dans les 12 mois à venir, EC examinera, révisera et mettra à jour son matériel et ses programmes de formation portant sur des questions d'accessibilité pour les DS et les responsables subordonnés. La formation devrait être offerte à tous les responsables ou les employés qui traitent des questions d'accessibilité et de déficience, y compris le DGE et les cadres supérieurs, les responsables de l'accessibilité à l'administration centrale, les DS et les autres employés dans les circonscriptions. La formation pourra être adaptée à la personne, en fonction de ses responsabilités au sein d'EC. Les responsables d'EC seront aussi formés au sujet du nouveau processus de plaintes public. Le matériel de formation comprendra aussi les présents motifs de décision, ou un résumé, et une étude de cas préparée à partir de la décision pour les fins de la formation. EC consultera les autres parties à ce sujet.

Processus de plaintes en matière d'accessibilité

10 Dans les six mois à venir, EC mettra en place une procédure pour la réception, l'enregistrement et le traitement de plaintes verbales et écrites au sujet du manque d'accessibilité. Ce processus devrait aussi être publicisé de façon appropriée (p. ex. dans les lieux de scrutin, sur le site Web d'EC et sur la carte d'information de l'électeur). Le processus devrait comprendre le suivi des plaintes et leur règlement. Le nombre de plaintes reçues au sujet de questions d'accessibilité devra faire l'objet d'un rapport public. EC s'acquittera de cette exigence en matière de rapport pour une période de trois cycles complets d'élections générales, dans le rapport suivant l'élection du DGE au Parlement et conformément aux conditions établies dans la lettre de l'avocat d'EC au Tribunal du 23 octobre 2009. EC consultera les autres parties à ce sujet.

Suspension de trois mois si une élection est déclenchée

11. Les échéances et les activités pour les mesures de redressement susmentionnées seront suspendues pour une période de trois mois si une élection générale devait être déclenchée, sauf en ce qui a trait à l'indemnité et les intérêts, ainsi qu'à l'ordonnance de mettre fin à l'acte discriminatoire.

Rapport d'EC au Tribunal

12. EC fera rapport au Tribunal à des intervalles d'au plus trois mois au sujet du progrès de l'application de la présente ordonnance.

Le Tribunal restera saisi de l'affaire

13. Le Tribunal restera saisi de l'affaire jusqu'à la dernière date du rapport sur les plaintes en matière d'accessibilité d'EC après la prochaine élection générale et de l'application des autres parties de la présente ordonnance, y compris toute ordonnance supplémentaire, au besoin.

Signé par

Matthew D. Garfield

OTTAWA (Ontario)
le 12 février 2010

1Il n'y a eu aucune requête officielle en modification de la plainte.

2Dans les présents motifs de décision, la plainte de M. Hughes est celle qui a été présentée à la Commission, et non pas les plaintes verbales et écrites envoyées à EC en mars 2008.

3[2005] 1 R.C.S. 667.

4[2007] 1 R.C.S. 650.

5Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150.

6 Cela se reflète au paragraphe 53(3) de la LCDP, qui permet au Tribunal d'accorder une indemnité spéciale à un plaignant lorsqu'il conclut que l'intimé a agi de façon délibérée.

7Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309.

8Voir C.N.R. c. Canada (Commission des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, dans le cadre d'une ordonnance du Tribunal enjoignant un employeur à instaurer un programme d'équité en matière d'emploi dans une affaire de discrimination systémique.

9Ibid., à la page 1145, où il est précisé que l'ordonnance doit être logiquement conçue en fonction de l'acte discriminatoire.

10Entrop c. Imperial Oil Limited (2000), 50 O.R. (3d) 18, aux paragraphes 46 et 57.

11Turnbull c. Famous Players Inc., [2001] O.H.R.B.I.D. no 20, au paragraphe 235.

12Commission canadienne des droits de la personne c. Dumont, 2002 CFPI 1280, au paragraphe 14.

13Voir Lepofsky c. Toronto Transit Commission, 2005 HRTO 21 et 2007 HRTO 23 pour la nomination d'un contrôleur. Voir aussi McKinnon c. Ontario (Ministry of Correctional Services), [2002] O.H.R.B.I.D. no 22 pour la nomination d'un comité de contrôle visant à contrôler le respect des ordonnances dans un centre de détention et la nomination d'une tierce partie pour élaborer, superviser et contrôler des programmes de formation.

142008 CAF 170. Voir aussi Dreaver c. Pankiw, 2009 TCDP 8; audition de la demande de contrôle judiciaire le 24 novembre 2009.

15Dans les conclusions finales, l'avocat d'EC a déposé un document écrit intitulé [ TRADUCTION ] Mesures de redressement acceptées par Élections Canada (EC) .

16Article 65 de la LCDP.

17Cet arrêt portait sur des mesures de redressement prises en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés pour la réalisation des droits d'éducation en langues minoritaires en Nouvelle¯Écosse.

18Commission de la capitale nationale c. Brown, 2008 CF 733, au paragraphe 148; infirmée pour d'autres motifs, 2009 CAF 273.

19Le paragraphe 53(2) de la LCDP permet au Tribunal de rendre une ordonnance contre un intimé seulement.

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1373/10308
INTITULÉ DE LA CAUSE : James Peter Hughes c. Élections Canada
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE : Les 5 au 9 octobre 2009
Toronto (Ontario)
Dernières soumissions écrites déposées le 23 octobre 2009
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 12 février 2010
ONT COMPARU :
Kate A. Hughes
Janet Borowy
Pour le plaignant
(Aucune représentation) Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Andrew Lokan
Maya Bhusari
Pour l'intimée
Ivana Petricone
Kerri Joffe
Amy Spady
Pour la partie intéressée
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