Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

MARK SCHNELL

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MACHIAVELLI AND ASSOCIATES EMPRIZE INC.

et

JOHN MICKA

les intimés

- et -

CANADIAN ASSOCIATION FOR FREE EXPRESSION INC.

la partie intéressée

MOTIFS DE LA DÉCISION

D.T. 11/02
2002/08/20

Membre instructeur : J. Grant Sinclair

[TRADUCTION]

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. FAITS MENANT À LA PLAINTE DE MARK SCHNELL

III. CRÉATION DU SITE WEB

IV. UNE PERSONNE OU UN GROUPE DE PERSONNES AGISSANT D’UN COMMUN ACCORD?

A.  Conclusion

V. LA STRUCTURE DU SITE WEB

VI. LES PAGES WEB DISCRIMINATOIRES SELON LA COMMISSION

VII. POURQUOI LE SITE WEB

A.  La preuve de John Micka

VIII. LES DOCUMENTS SUR LE SITE WEB SONT‑ILS SUSCEPTIBLES D’EXPOSER À LA HAINE OU AU MÉPRIS DES PERSONNES APPARTENANT À UN GROUPE IDENTIFIABLE SUR LA BASE DE MOTIFS DE DISTINCTION ILLICITE?

A.  La preuve de M. Barry Adam

B.  La preuve de Jennifer Horgos

C.  Conclusion

IX. LES RENSEIGNEMENTS SUR LE SITE WEB SONT‑ILS COMMUNIQUÉS PAR TÉLÉPHONE DE FAÇON RÉPÉTÉE, EN ENTIER OU EN PARTIE, EN RECOURANT AUX SERVICES D’UNE ENTREPRISE DE TÉLÉ- COMMUNICATIONS RELEVANT DE LA COMPÉTENCE DU PARLEMENT

A.  La preuve de Jim Nylander

B.  Conclusion

X. LA CONSTITUTIONNALITÉ DU PARAGRAPHE 13(1) DE LA LOI

A.  La preuve de Bernard Klatt

B.  Paragraphe 13(1) de la Loi et alinéa 2b) de la Charte

C.  Conclusion

XI. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Le plaignant, Mark Schnell, est un homosexuel âgé de 34 ans qui habite à Vancouver, en Colombie-Britannique. Le 29 avril 1999, M. Schnell a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne contre Machiavelli and Associates Emprize Inc. (Machiavelli). Il alléguait que Machiavelli a exercé à son endroit une discrimination fondée sur son orientation sexuelle en communiquant des messages sur un site Web, à www.citizensresearchinst.com (site Web), qui sont susceptibles d’exposer les homosexuels à la haine ou au mépris, en violation de l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[2] Le 2 mars 2000, M. Schnell a déposé une deuxième plainte contre John Micka, alléguant que M. Micka a exercé à son endroit une discrimination fondée sur son orientation sexuelle en communiquant des messages sur le site Web qui sont susceptibles d’exposer les homosexuels à la haine ou au mépris, en violation de l’article 13 de la Loi. M. Schnell a déposé une plainte contre M. Micka après qu’il a appris que M. Micka avait créé et gardait à jour le site Web et était responsable du contenu des messages. M. Schnell a déposé ses plaintes parce que, à son avis, le site Web contient de nombreuses déclarations établissant un rapport entre l’homosexualité et la pédophilie, la bestialité et d’autres comportements répugnants.

[3] Suite aux plaintes de M. Schnell, la Commission a modifié les plaintes afin d’ajouter une allégation de représailles en vertu de l’article 14.1 de la Loi. Après que M. Schnell eut déposé ses plaintes, on a parlé de lui sur le site Web et on l’a décrit comme étant un gai. Il alléguait qu’il s’agissait de représailles contre lui pour avoir déposé les plaintes.

[4] Au début de l’audience, la Commission a retiré la plainte de représailles en vertu de l’article 14.1 de façon que le Tribunal a seulement tenu compte de la présumée violation du paragraphe 13(1) de la Loi et de sa constitutionnalité.

[5] Le 19 mars 2001, la Canadian Association for Free Expression Inc. a présenté une demande au Tribunal à titre de partie intéressée. Selon sa demande, la CAFE est un organisme éducatif constitué en personne morale, sans but lucratif, engagé à promouvoir et à maximiser les garanties de liberté d’expression et de réunion en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Tribunal a accordé à la CAFE le statut de partie intéressée, mais a limité sa participation au sujet de la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi.

II. FAITS MENANT À LA PLAINTE DE MARK SCHNELL

[6] M. Schnell a d’abord été informé de l’existence du site Web le 22 ou 23 juin 1998, lorsqu’un ami lui a parlé du site Web et lui a donné l’adresse. Il a accédé au site Web en utilisant un modem commuté. Selon M. Schnell, à ce moment‑là, le site Web comprenait une page principale et cinq autres pages.

[7] La page principale identifiait le site Web comme étant celui de Instrument de recherche pour les citoyens et  contenait des liens à d’autres pages. La page principale avait aussi un compteur, qui enregistrait le nombre de personnes ayant visité le site Web. M. Schnell considérait que les commentaires de certains de ces liens étaient méprisants pour les gais et les lesbiennes, qu’ils établissaient un rapport entre l’homosexualité et la pédophilie, ainsi que la bestialité, et qu’ils décrivaient les homosexuels comme des personnes ayant l’intention d’attirer des enfants et d’en abuser.

[8] M. Schnell a d’abord été choqué puis révolté que quelqu’un puisse faire ce qu’il considère être des commentaires inexacts sur les gais et les lesbiennes. Cela le préoccupait parce que, tout au long de sa vie, il a fait l’objet de préjugés et de commentaires désobligeants et il a souvent été victime d’homophobie.

[9] M. Schnell a fait une recherche du nom de domaine citizensresearchinst.com le 27 juin 1998. Les résultats ont démontré que le site a été enregistré le 11 décembre 1997 par Machiavelli & Associates Emprize Inc., au 2906 Argo Place, à Burnaby, en Colombie-Britannique. Ken Fast était nommé comme personne-ressource pour la facturation et l’administration.

[10] M. Schnell a aussi témoigné que, entre le 29 avril 1999 et mars 2000, il a visité le site Web au moins 150 fois et a continué de surveiller le site Web toutes les deux semaines. Bien qu’il considère que certaines parties du site Web sont discriminatoires, il explique qu’il voulait vérifier s’il y avait eu d’autres ajouts au site Web.

III. CRÉATION DU SITE WEB

[11] Machiavelli, le déposant du nom de domaine citizensresearchinst.com, a été constitué en personne morale le 3 mai 1994 en vertu de la Compagny Act de la Colombie-Britannique. Le registre des membres montre que Joanne Barbara Vestvik est la seule actionnaire de Machiavelli, détenant dix actions. Elle est la seule directrice ainsi que la présidente et secrétaire de l’entreprise. L’adresse de Mme Vestvik, selon le registre, est le 2906 Argo Place, à Burnaby, en Colombie-Britannique.

[12] M. Micka a témoigné que Mme Vestvik est son associée. Le 2906 Argo Place, à Burnaby, est un condominium résidentiel où il habite de temps en temps. M. Micka a aussi un bureau à cette adresse.

[13] Selon M. Micka, il est le seul responsable du contenu du site Web. Il rédige les textes et les remet à Ken Fast qui, selon M. Micka, est le webmestre du site Web. M. Fast a conçu le site Web à la demande de M. Micka et avec son approbation, ce dernier ayant le dernier mot pour ce qui est de la conception et du contenu du site Web et des ajouts ou des suppressions qui y sont faits.

[14] Ken Fast, dont l’adresse est le 2374 Lobban Road, à Abbotsford, en Colombie-Britannique, est abonné à Rogers Cable. Selon M. Micka, M. Fast a utilisé ce service de communication par câble pour télécharger en direct le site Web sur Uniserve.

[15] Uniserve est un fournisseur de service Internet qui se trouve à Aldergrove, en Colombie‑Britannique. Il offre un accès commuté à Internet, des services de courrier électronique et des services d’hébergement de contenu aux entreprises et aux abonnés résidentiels. Uniserve est le fournisseur de service Internet qui héberge le site Web. Selon les factures présentées par M. Micka, Uniserve fait parvenir des factures à Machiavelli pour l’hébergement du site Web.

[16] M. Micka ne paie pas Ken Fast pour ses services de webmestre. Il paie des frais à Machiavelli pour ses services, c’est‑à-dire qu’il rembourse à Machiavelli les coûts imputés par Uniserve pour l’hébergement du site Web.

IV. UNE PERSONNE OU UN GROUPE DE PERSONNES AGISSANT D’UN COMMUN ACCORD?

[17] M. Micka a franchement admis qu’il est responsable du contenu du site Web. Selon la preuve, de nombreux acteurs jouent un rôle dans le scénario du site Web. Il s’agit entre autres de Machiavelli, de M. Micka, de M. Fast et de Mme Vestvik, qui sont tous responsables, chacun à sa façon, d’avoir placé le site Web sur Internet et de l’offrir à toute personne qui, d’une façon ou d’une autre, peut accéder au site Web. Machiavelli est le déposant du nom de domaine et a engagé Uniserve pour qu’il héberge le site Web. M. Micka est l’auteur du contenu du site Web. M. Fast est le webmestre du site Web. Il l’a conçu, l’a téléchargé sur le serveur de Uniserve et a apporté des modifications, toutes conformément aux directives de M. Micka. Mme Vestvik est la seule actionnaire, directrice et agente de Machiavelli. Elle est l’esprit directeur de Machiavelli et est responsable des mesures qui ont été prises au nom de l’entreprise.

A. Conclusion

[18] Le paragraphe 13(1) mentionne … une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord… À mon avis, cette phrase comporte l’idée de personnes agissant de façon interdépendante pour exécuter certains plans ou certaines mesures. Compte tenu des faits mentionnés ci‑dessus, je juge que M. Micka, Machiavelli, M. Fast et Mme Vestvik étaient un groupe de personnes agissant d’un commun accord.

[19] M. Fast et Mme Vestvik ne sont pas nommés comme intimés à la plainte. Depuis le début de l’audience, M. Micka a fait valoir que Machiavelli n’est pas bien nommé à titre d’intimé et que la plainte contre ce dernier devrait être rejetée. M. Micka prétend qu’il est le seul propriétaire du site Web et, à ce titre, il devrait être le seul intimé à la plainte.

[20] Je n’accepte pas cet argument. À mon avis, le paragraphe 13(1) n’exige pas de preuves de propriété pour qu’il y ait responsabilité. Il est seulement nécessaire de prouver que Machiavelli fait partie d’un groupe de personnes agissant d’un commun accord. Et la preuve démontre que c’est le cas.

[21] On ne peut non plus rejeter la plainte contre Machiavelli en vertu du paragraphe 13(3) de la Loi. Afin que Machiavelli soit exempté en vertu du paragraphe 13(3) comme l’a soutenu M. Micka, il doit être propriétaire ou exploitant des installations d’une entreprise de télécommunications. Machiavelli a eu l’occasion au cours de l’audience d’offrir la preuve qu’il était propriétaire ou exploitant d’une entreprise de télécommunications. Il ne l’a pas fait. Pour cette raison, je dois rejeter l’argument de M. Micka relativement au paragraphe 13(3) de la Loi.

V. LA STRUCTURE DU SITE WEB

[22] À l’audience, toutes les parties ont convenu que le contenu du site Web qui a été téléchargé et déposé à titre de pièce HR‑4 serait le fondement à partir duquel le site Web serait évalué aux fins du paragraphe 13(1). La page principale du site Web contient les renseignements suivants :

AVERTISSEMENT!

Ce site contient du matériel qui est considéré comme étant discrimatoire par les pédophiles homosexuels et la Commission canadienne des droits de la personne ainsi que le Tribunal canadien des droits de la personne.

[23] Les pages deux et trois ont certains liens à des pages du site Web sur divers sujets. Lorsqu’il l’a conçu, M. Micka voulait que le site Web se lise comme un journal. Les liens à ces pages donnent accès à différents articles dans le site Web.

[24] Le contenu des pages Web provient de diverses sources. Il s’agit entre autres d’articles réimprimés de divers journaux, de renseignements obtenus de dossiers de cours et d’autres documents publics, parfois reproduits sans commentaires et parfois avec des observations rédactionnelles de M. Micka.

[25] Le lien Consultez le livre des invités est l’un des liens que l’on trouve à la page deux. La première page du livre des invités mentionne :

Livre des invités

Nous vous remercions de lire nos pages. Défoulez-vous. Ajoutez vos commentaires à ce livre des invités que nous avons créé! Soyez fiers et ne craignez pas de dire ce que vous pensez, ce livre des invités n’a pas de règlements.

Si vous n’êtes pas pédophile

Veuillez écrire ce que vous pensez…

Le réseau global, partout, n’hésitez pas : thetruth@citizensresearchinst.com

[26] Le livre des invités contient une grande gamme de commentaires et d’opinions de nombreuses personnes qui ont visité le site Web, en général en ce qui a trait à la question de l’homosexualité, certains étant en faveur et d’autres contre. En fait, le livre des invités comporte 20 pages. Certains s’expriment fortement contre la pédophilie, en établissant un rapport avec l’homosexualité, et d’autres offrent des opinions tout aussi fortes, mentionnant que la pédophilie est aussi un phénomène hétérosexuel. Aucun des commentaires du livre des invités n’a été écrit par M. Micka.

[27] La page qui suit le livre des invités comporte les renseignements suivants :

Parlez de notre site à vos associés!

Votre adresse électronique

L’adresse électronique de vos amis

Votre message

| Envoyer le message ! |

[28] M. Micka a expliqué qu’il avait ajouté ces renseignements après le livre des invités parce qu’il voulait que d’autres personnes fassent pour lui de la publicité sur le site.

VI. LES PAGES WEB DISCRIMINATOIRES SELON LA COMMISSION

[29] La Commission ne croit pas que tout le contenu du site Web est contraire au paragraphe 13(1) de la Loi. Il s’agit plus précisément du contenu que l’on trouve aux pages 31, 32, 35, 36, 37 et 41 du site Web (pages discriminatoires). M. Schnell est d’accord avec cela. Ces pages représentent la pièce HR‑4.

[30] La page 31 est le lien de la page deux du site Web, La vérité sur l’acceptation de la pédophilie en Colombie-Britannique (ou les relations hommes/garçons). La page 31 contient une photo de Svend Robinson, le député de Burnaby, et de son partenaire de même sexe, Max Riveron, ainsi que le titre Menace budgétaire du député homosexuel. À la même page, on retrouve des commentaires de M. Micka :

Dans un monde parfait, les prestations de retraite du gouvernement pour les couples de même sexe pourraient être prises en compte / Dans un monde parfait, il n’y aurait pas de couples de même sexe

Citoyens, essayez de ne pas vomir lorsque vous lirez l’article.

Nous vous le présentons pour que vous soyez conscients que vous perdez le contrôle de votre destin.

Quand est‑ce que trop c’est trop? Les gais ont des intentions et c’est écœurant.

Lire l’article

[31] À la page 32, on trouve un article rédigé par Adrienne Tanner, reporter attachée au journal Vancouver Sun, qui a été repris. Encore une fois, il y a une photo de Svend Robinson et de son partenaire. L’article porte principalement sur des demandes de Svend Robinson de pension pour les couples de même sexe et sur son intention de poursuivre le gouvernement fédéral si la réforme des pensions est exclue du prochain budget.

[32] Sous la photo de M. Robinson et de M. Riveron, M. Micka a ajouté les mots suivants, Différence d’âge de 21 ans? Pédophilie?

[33] La page 35 est le lien de LIGHT LOAFERS (Pieds légers) de la page deux. Le contenu de la page 35, rédigé par M. Micka, se lit comme suit :

Bienvenue dans la belle province de la Colombie-Britannique

Havre des membres du NPD, des homosexuels et des pédophiles – la province la plus ouverte à un style de vie différent et Vancouver, la ville des pieds légers.

[34] Il y a ensuite des extraits d’articles obtenus d’un journal local :

En 1983, John Michael Lewis (un Américain qui était recherché pour agression sexuelle en Californie et en Utah relativement à de jeunes adolescents et qui s’est réfugié à Vancouver au milieu des années 70) a plaidé coupable à trois chefs de grossière indécence et à trois chefs de sodomie à Vancouver. Au cours de l’enquête, les policiers ont fouillé la maison de Lewis et ont saisi beaucoup de pornographie infantile, dont 3 000 photos de garçons.

On a demandé qu’il soit extradé afin qu’il réponde aux chefs d’accusation aux États-Unis. On a ordonné l’extradition de Lewis après sa condamnation de six mois. Lewis a interjeté appel de cette ordonnance et, après une audience secrète en 1985, l’ordonnance a été annulée. Un juge a ensuite ordonné que tout le matériel saisi soit remis à Lewis.

Lewis a promis à la Section d’appel de l’Immigration qu’il ferait face aux chefs d’accusation aux États-Unis et, selon le mérite de cette promesse, la Section d’appel de l’Immigration lui a permis de rester au Canada. Lewis n’a jamais respecté cette promesse et a lutté contre les tentatives du gouvernement des États-Unis de le ramener au pays.

Entre-temps, Lewis a renforcé sa position dans la société de Vancouver. Il a même été nommé à la Commission du centenaire de Vancouver. Malgré son dossier au Canada et malgré les accusations en instance aux États-Unis, Lewis a obtenu sa citoyenneté canadienne au cours d’une étrange audience à huis clos.

Lewis mène toujours son style de vie différent à Vancouver, le foyer des pédés

M. Micka pose ensuite la question suivante :

QUESTION – les homosexuels sont-ils tous des pédophiles ou les pédophiles sont-ils tous des homosexuels?

RÉPONSE – OUI

QUESTION – les pédophiles homosexuels sont-ils tous des enseignants?

RÉPONSE – NON! Certains sont des membres du clergé, des chefs scouts et des entraîneurs.

[35] Selon M. Micka, il ne voulait pas dire que tous les pédophiles sont des homosexuels ou que tous les homosexuels sont des pédophiles. Plutôt, ces questions et réponses visaient à attirer l’attention. Il s’agit d’hyperboles. Elles sont formulées de telle façon, dit‑il, que n’importe quel lecteur conclurait que l’auteur exagère.

[36] La page 35 se poursuit :

AVERTISSEMENT AUX CITOYENS

Les homosexuels ont des intentions!

Ils préparent le terrain pour légaliser la pédophilie

VOUS VOULEZ DES PREUVES?

INFORMEZ-VOUS

ENQUÊTEZ et APPRENEZ‑EN DAVANTAGE SUR LES PÉDOPHILES SUIVANTS ET LEURS JUGES

William Bennest et le juge de la Cour provinciale William Kitchen

Martin Gordon Monds et le juge de la Cour provinciale Jakob de Villiers

Ian Cocker et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique/Cour suprême du Canada

Donald Poslowsky et le juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique Selwyn Romilly

[37] M. Micka explique ces derniers commentaires en disant qu’il jugeait que les condamnations prononcées par les cours relativement aux personnes accusées en vertu du Code criminel pour des infractions sexuelles n’étaient pas suffisamment sévères. Toutefois, il ne demande pas aux personnes qui visitent son site Web d’accepter ses opinions. Il leur demande plutôt de vérifier et de décider elles‑mêmes.

[38] La page 36 du site Web, qui a aussi un lien à LIGHT LOAFERS, se lit comme suit :

Fait – En juin dernier, l’arbitre Anthony Hickling a ordonné que le Coquitlam Library Board réembauche un pédophile déclaré coupable parce que, au moment où le délinquant sexuel déclaré coupable a été embauché, on ne lui avait pas demandé s’il avait un dossier criminel. Croyez‑le ou non.

Fait – Le pédophile Robert Saunders, déclaré coupable d’avoir agressé un enfant de deux ans, a été placé dans un appartement au sous-sol d’une maison à Prince-George où vivait un autre enfant de deux ans. Il a fallu que la grand-mère de l’enfant fasse une déclaration publique avant que les agents de probation provinciaux ne le déménagent.

Fait – Paul Leroux, un ancien employé de la Commission canadienne des droits de la personne et de la Commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique, a été condamné en 1979 pour avoir agressé sexuellement un garçon à Inuvik. Non seulement a‑t‑il obtenu un pardon, mais il est retourné travailler à la fonction publique. En juin dernier, la police a accusé Leroux sous 32 chefs d’agression sexuelle.

Fait – Vernon Logan a obtenu une absolution inconditionnelle du juge de la Cour provinciale Brian Saunderson après avoir plaidé coupable à des chefs de possession de pornographie infantile. L’absolution de Logan a été maintenue par le juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique Kirsti Gill. Le juge Saunderson a même écrit à l’avocat de Logan et lui a offert des conseils sur la façon de présenter la défense.

Fait – L’avocat de la Couronne, Chris Webber, a suggéré qu’une condamnation avec sursis serait appropriée pour l’enseignant et directeur d’école William Bennest.

Fait – L’enseignant et directeur d’école disgracié William Bennest et Richard Dopson, un psychologue agréé qui est/était coprésident du Tribunal de la famille à Vancouver, ont contribué de façon déterminante à la venue des jeux gais à Vancouver en 1990.

Fait – En prononçant la peine, le juge Kitchen a décrit l’enseignant et directeur d’école Bennest comme étant un citoyen exemplaire dont le seul défaut était son intérêt sexuel pour les jeunes enfants. Le juge a ensuite comparé les transgressions de Bennest à la simple possession de marijuana.

Fait – À Vancouver, la police a accusé seulement 13 hommes pour avoir tenté d’obtenir des faveurs sexuelles d’un mineur entre 1988 et septembre 1997. Et seulement trois de ces accusations ont donné lieu à des condamnations. Par contraste, la Saskatchewan a porté 15 accusations et a obtenu une condamnation en 1994 seulement. De plus, en 1994, le Québec a porté 57 accusations et a obtenu 16 condamnations. De plus, 13 des 16 hommes déclarés coupables ont été mis en prison, certains pour une période allant jusqu’à deux ans, tandis que deux des hommes déclarés coupables à Vancouver n’ont pas du tout été incarcérés et le troisième a été incarcéré pendant seulement un mois.

OPINION – Il semble y avoir des enclaves juridiques dans la belle province de la Colombie-Britannique où le sexe avec des enfants est considéré comme un style de vie différent.

CONCLUSION – Malgré les maintes dénégations, la collectivité homosexuelle a des intentions. Elle veut ramener notre société au temps de la Grèce ancienne, où les hommes avaient des garçons-objets et où les moutons étaient nerveux.

[39] La page 37 du site Web est le lien de EVIL WEB (la toile malveillante) de la page deux, intitulé la vérité obtenue de l’instrument, recueilli et rédigé par M. Micka :

FÉLICITATIONS à l’HONORABLE JUGE TYSOE pour

avoir maintenu la décision du Burnaby School Board qui, après qu’il y ait eu suffisamment d’outrage public, a décidé de suspendre William Bennest sans traitement.

HONTE à la Fédération des enseignantes et des enseignants de la Colombie-Britannique pour avoir adopté une résolution visant à éliminer l’hétérosexisme dans les écoles publiques.

BRAVO au Conseil scolaire de Surrey pour avoir adopté une résolution exigeant que les administrateurs, les enseignants et les conseillers de l’école soient informés que l’utilisation ou la redistribution de ressources provenant de groupes de gais et de lesbiennes comme GALE ou de leurs listes de ressources connexes n’est pas approuvée dans l’arrondissement scolaire de Surrey.

DOUBLE HONTE à l’avocat de la Couronne Austin Cullen, qui en 1992 a infirmé la décision de poursuivre le Dr John Gossage pour des chefs d’agression sexuelle d’une jeune fille, même si la divulgation était excellente pour ce qui est de la preuve. La famille a protesté, les médias se sont mis de la partie, ainsi que l’avocat Paul Jaffe.

Par conséquent, le Ministry of Attorney General a nommé un procureur spécial pour étudier la question. Peter Leask, qui est par la suite devenu l’avocat de la défense de William Bennest, a obtenu la nomination.

À la suite de l’enquête par Peter Leask, aucune accusation n’a été portée.

Le médecin a demandé et obtenu une ordonnance ex parte (accordée alors qu’il n’y avait qu’une partie présente), interdisant la publication de son nom et faisant taire la famille de la victime. Il a fallu plus d’un an pour faire supprimer cette ordonnance et avant que l’on puisse nommer le Dr John Gossage. Une fois qu’il a été nommé, d’autres plaignants se sont manifestés, jusqu’à ce qu’il y ait plus de 40 plaintes différentes.

TRIPLE HONTE au Collège des médecins et chirurgiens qui a déclaré Gossage coupable en mars 1994 simplement de manquement au devoir de la profession relativement à l’agression de la mère d’une jeune fille. Sa licence a été suspendue pendant six mois et il a reçu une amende. C’est tout. Toutefois, le collège savait qu’il y avait eu des plaintes depuis au moins 1988 après en avoir été informé par écrit par un agent de la GRC à Williams Lake. Gossage exerce maintenant sa profession à Kamloops.

Vous rappelez-vous de l’ancien enseignant et directeur d’école Robert Noyes? Comment pourriez-vous l’oublier? Il a obtenu des permissions de sortir sans surveillance de sa cellule de prison de Montréal même s’il a été reconnu comme étant un délinquant sexuel dangereux.

[40] Cette page se termine avec les observations rédactionnelles de M. Micka :

AVERTISSEMENT les Gay and Lesbian Educators of British Columbia (GALE) vivent et pratiquent un style de vie répugnant où ils prévoient attirer nos enfants et en abuser.

QUESTION Dans quelle mesure permettrez-vous que votre société suive l’ornière de la débauche et se désintègre? Et que ferez-vous pour redresser cette situation?

RÉPONSE Vous seuls, la majorité silencieuse, déciderez éventuellement si vous prenez vos responsabilités et des mesures avant que nous ne perdions entièrement notre dignité.

M. Micka a témoigné qu’il s’agit de son opinion et qu’il l’a communiquée pour attirer l’attention. En rédigeant ce texte, il a demandé à des personnes de visiter le site Web de GALE et de se renseigner pour savoir si les enseignants homosexuels avaient des intentions.

[41] À la page 41 du site Web on lit :

Nous avons eu des réactions écrasantes à nos questions et réponses.

QUESTION – les homosexuels sont-ils tous des pédophiles ou les pédophiles sont‑ils tous des homosexuels?

RÉPONSE – OUI

QUESTION – les pédophiles homosexuels sont‑ils tous des enseignants?

RÉPONSE – NON! certains sont des membres du clergé, des chefs scouts et des entraîneurs.

NOUS VOUS REMERCIONS DE VOTRE INTÉRÊT ET DE VOS PRÉOCCUPATIONS

La question aurait dû être la plupart des homosexuels sont‑ils des pédophiles ou la plupart des pédophiles sont‑ils des homosexuels?

De toute évidence il y a des pédophiles hétérosexuels, comme l’évêque Hubert O’Conner, dont les activités sordides et le comportement répugnant sont bien documentés.

Pour des raisons que nous ne comprenons pas vraiment, les médias conventionnels considèrent les hommes comme Hubert O’Conner comme des délinquants sexuels, même s’ils pratiquent la pédophilie.

IL EST AUSSI AUDIEUX QUE LA PÉDOPHILIE SOIT PRATIQUÉE PAR DES HÉTÉROSEXUELS QUE PAR DES HOMOSEXUELS

QUESTION – les homosexuels sont‑ils tous des pédophiles ou les pédophiles sont‑ils tous des homosexuels?

RÉPONSE – NON! certains pédophiles sont des hétérosexuels et ils devraient être forcés de passer le reste de leur vie avec des homosexuels.

QUESTION – Robert Noyes est‑il

1) un délinquant sexuel dangereux? 2) un pédophile? 3) un homosexuel pédophile? 4) un hétérosexuel pédophile?

RÉPONSE – Est‑ce vraiment important? Il profite présentement gratuitement d’un logement et de repas et traîne dans les rues grâce à des permissions de sortir sans escorte.

La vérité est que tous les pédophiles ou bourreaux d’enfants devraient être noyés dans leur propre merde.

[42] Les autres pages du site Web ont des contenus divers, certains parlant d’homosexualité et d’autres non. Ces pages qui ne parlent pas d’homosexualité comprennent entre autres des observations rédactionnelles sur le fonctionnement de la Commission, sur la liberté d’expression et sur la Charte. Il y a un résumé du rapport d’enquête de la Commission et la réponse de M. Micka, ainsi que des réponses aux questions posées par écrit à M. Micka par un reporter de Vancouver quant à son opinion relativement aux plaintes. Il y a aussi des extraits, de 24 phrases très brèves, dont deux ou trois portent sur le style de vie des homosexuels, tirés d’un livre sur Vancouver rédigé par un animateur radio local et intitulé, You Know When You Are In Vancouver.

VII. POURQUOI LE SITE WEB

A. La preuve de John Micka

[43] M. Micka a expliqué l’origine du site Web comme suit. Il y a quelques années, M. Micka a appris qu’une résidente de Vancouver, Terry Simpson, avait soulevé une objection contre le pouvoir de l’Agence de protection de l’enfance provinciale de retirer les enfants de leur maison et de les confier à la garde de l’agence. Elle a créé le Citizens Research Institute et l’a utilisé comme véhicule pour parler contre ce qu’elle considère être le pouvoir excessif de l’agence. M. Micka appuyait ses opinions et a offert de fournir un site Web qu’elle pourrait utiliser sans frais. Mme Simpson a refusé son offre.

[44] M. Micka a été encouragé par un reportage de la télévision locale relativement à un directeur d’école primaire à Burnaby, William Bennest, qui a été reconnu coupable de posséder des images pornographiques de jeunes garçons, tous âgés de moins de 10 ans. Il a seulement reçu une condamnation avec sursis. Un représentant de la Fédération des enseignantes et des enseignants de la Colombie-Britannique a mentionné que M. Bennest travaillait comme enseignant depuis 25 ans, mais que la Fédération ne savait pas qu’il était ce genre de personne.

[45] Selon M. Micka, il est allé à l’école secondaire avec Billy Bennest et tout le monde savait ce qu’il était. Il est tout de même devenu directeur d’une école primaire. M. Micka a tout de suite décidé de créer un site antipédophile parce que, selon ses propres paroles, j’en avais par‑dessus la tête que ces pédophiles s’en tirent à bon compte. C’est presque comme si j’avais une cause.

[46] Selon M. Micka, il a créé le site Web pour informer le public de la facilité avec laquelle les pédophiles semblent s’en sortir, sur le fait qu’ils semblent avoir un refuge sûr dans le système judiciaire. M. Micka est contre la pédophilie et le site Web devait communiquer des messages antipédophilie.

[47] M. Micka a convenu que le site Web mentionne de façon répétitive les pédophiles homosexuels, mais qu’il n’y a que deux mentions de cas d’agression sexuelle relativement à des jeunes filles. M. Micka a expliqué que ce nombre disproportionné de mentions d’homosexuels était attribuable au fait que les renseignements disponibles indiquent que les pédophiles sont majoritairement homosexuels. Il s’agit d’hommes qui maltraitent des garçons.

VIII. LES DOCUMENTS SUR LE SITE WEB SONT‑ILS SUSCEPTIBLES D’EXPOSER À LA HAINE OU AU MÉPRIS DES PERSONNES APPARTENANT À UN GROUPE IDENTIFIABLE SUR LA BASE DE MOTIFS DE DISTINCTION ILLICITE?

A. La preuve de M. Barry Adam

[48] M. Barry Adam est un professeur au Département de sociologie et d’anthropologie à l’Université de Windsor, en Ontario, depuis 25 ans. M. Adam a obtenu son baccalauréat (avec distinction) en 1972 de l’Université Simon Fraser en sociologie et en sciences politiques et sa maîtrise ainsi que son doctorat en sociologie de l’Université de Toronto en 1973 et en 1977 respectivement. Il est présentement professeur hors rang, qui est un grade honoraire distingué supérieur à celui de professeur titulaire.

[49] M. Adam enseigne principalement des sujets relatifs à la théorie sociale. Il est chaire du programme d’études supérieures en sociologie et du programme de troisième cycle en justice sociale. Les principaux sujets de ces programmes sont les études sur la sexualité, les gais et les lesbiennes et les mouvements sociaux. Les mouvements sociaux visent à déterminer comment et pourquoi les gens forment des groupes, et les conditions socio-historiques qui font que les gens forment des groupes, le genre de tactiques qu’ils emploient et la raison pour laquelle ils disparaissent. Le cours d’études sur la sexualité, les gais et les lesbiennes est un cours multidisciplinaire qui porte sur une grande gamme de recherches en sciences sociales relativement aux gais et aux lesbiennes, touchant aux études anthropologiques, historiques, psychologiques et sociologiques.

[50] Dans ses cours, M. Adam examine les mécanismes qui font que les groupes dans la société deviennent subordonnés et la façon dont les personnes dans chacun de ces groupes font face à cette subordination. Dans ce contexte, il a tenu compte des collectivités de gais et de lesbiennes à titre de principal exemple. La théorie sociale qui s’applique à d’autres groupes cibles s’applique également aux gais et aux lesbiennes.

[51] M. Adam a un curriculum vitae extrêmement long et impressionnant. Afin d’établir sa compétence à titre d’expert, je ne mentionnerai que quelques exemples qui témoignent de sa capacité de donner une preuve d’expert dans cette affaire. Il a publié de nombreux livres et articles, lesquels sont tous énumérés dans son curriculum vitae et ne seront pas mentionnés ici. Parmi ces livres, on retrouve The Survival of Domination, qui a été publié en 1977. Il s’agit d’une analyse comparative sur le compte rendu de recherches touchant deux personnes afro-américaines et gais et lesbiennes, et la façon dont elles font face à la discrimination dans la vie de tous les jours. En 1987, il a publié The Rise of the Gay and Lesbian Movement, qui a été choisi comme livre exceptionnel sur le sujet de l’intolérance par le Gustavus Myers Centre for the Study of Human Rights. Ce livre donne un aperçu général du développement des mouvements des gais et des lesbiennes en Europe, en Amérique du Nord et dans les pays du Tiers-Monde. M. Adam est le rédacteur adjoint de The Global Emergence of Gay and Lesbian Politics, publié en 1999. Il s’agit d’un recueil de nombreux articles sur les mouvements des gais et des lesbiennes dans 16 pays du monde.

[52] En plus d’avoir publié des livres, M. Adam a rédigé de nombreux articles révisés en profondeur dans des revues spécialisées. Il s’agit entre autres de Theorizing Homophobia (1998), un aperçu et une comparaison des théories relatives aux sources de l’homophobie. L’article tient compte des théories provenant de diverses disciplines, la sociologie, l’anthropologie, l’histoire et la littérature, et des forces et faiblesses de chacune de ces théories. L’article The construction of a sociological homosexual in Canadian textbooks (1996) porte sur la façon dont les gais et les lesbiennes sont décrits dans les manuels d’introduction utilisés dans les cours de sociologie. En particulier, il porte sur les différents sujets où on peut les trouver et où ils sont absents. L’article Structural foundations of the gay World (1985) porte sur les conditions socio-historiques dans les sociétés de l’Ouest qui ont mené à la création des collectivités des gais et des lesbiennes.

[53] M. Adam a aussi rédigé des chapitres dans des livres publiés, dont Queer Theory, dans The Fontana Dictionary of Modern Thought, qui porte principalement sur la masculinité et l’hétérosexualité et sur les façons dont la masculinité se présente par rapport à l’homosexualité. Winning rights and freedoms in Canada (1993) dans The Third Pink Book est un aperçu des conditions sociales et juridiques pour les gais et les lesbiennes au Canada dans un livre étudiant le statut des gais et des lesbiennes partout dans le monde. Dans Social inequality in Canada de Profiles of Canada (1992), M. Adam analyse les théories de l’inégalité sociale dans la société canadienne.

[54] M. Adam est membre de nombreuses associations professionnelles. Il a présenté de nombreux exposés devant ces associations dans son domaine de spécialisation. Il fait partie du comité de rédaction et du conseil consultatif de divers journaux professionnels et est un pair évaluateur pour de nombreux journaux révisés en profondeur dont la Revue de la Société canadienne des études lesbiennes et gaies, le Journal of Homosexuality et la Revue canadienne de sociologie et d’anthropologie.

[55] M. Adam a obtenu de nombreuses subventions de recherche, entre autres de Santé Canada, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du ministère de la Santé de l’Ontario. Il est un arbitre pour l’évaluation des demandes de subventions de recherche pour le CRSH.

[56] M. Adam a témoigné à titre d’expert devant les cours et les tribunaux des droits de la personne sur des questions de discrimination en vertu de la législation en matière des droits de la personne et de la Charte.

[57] J’ai étudié en détail le curriculum vitae de M. Adam et les éléments de preuve qu’il a donnés pendant l’audience, au moment de son témoignage et du contre-interrogatoire, pour ce qui est de ses compétences. J’ai conclu que M. Adam a les compétences pour donner son opinion d’expert relativement à la discrimination contre les homosexuels dans la société canadienne ainsi qu’à la nature et au rôle des messages qui établissent un rapport entre l’homosexualité et la pédophilie et la prédation sexuelle.

[58] M. Adam a décrit les mécanismes sociaux qui incitent à la haine. Pour commencer, il a parlé de deux exemples historiques grandement reconnus d’incitation à la haine, la période d’antisémitisme européen avant la Deuxième Guerre mondiale et la période Jim Crow de l’histoire américaine, c’est‑à-dire, la période entre la guerre de Sécession et du Mouvement pour la défense des droits civiques des années 50 aux État-Unis. En citant ces deux exemples classiques, M. Adam a suggéré qu’il est possible de remarquer la tendance où l’incitation à la haine se produit et cela peut s’appliquer aux gais et aux lesbiennes.

[59] M. Adam a d’abord suggéré que les humains ont tendance à se considérer comme des anges à l’une des extrémités du spectrum et comme des animaux à l’autre extrémité. Les caractéristiques des anges comprennent la raison, la compassion, la moralité tandis que les caractéristiques animales sont associées aux instincts humains de base, comme l’agression, la sexualité et le manque de contrôle. Les mécanismes sociaux qui mènent à l’incitation et à la violence contre un groupe cible sont associés à la disparition des caractéristiques angéliques et à la représentation de ces instincts animaux de base chez le groupe cible.

[60] Selon M. Adam, parmi les méthodes classiques visant à générer la haine contre un groupe cible, on retrouve le langage de la prédation sexuelle. Dans son témoignage, M. Adam a parlé des ouvrages de grands historiens démontrant la déshumanisation des Juifs en leur attribuant des caractéristiques animales, les décrivant comme des prédateurs sexuels ayant des passions sexuelles irrésistibles hors de leur contrôle qui représentent une menace pour une grande partie de la population. L’antisémitisme médiéval représentait le Juif comme ayant des pouvoirs sexuels monstrueux qui le transformaient en ogre. La déshumanisation des Juifs en leur attribuant des caractéristiques animales était un facteur important dans l’incitation de la haine et de la violence contre eux.

[61] Le racisme a aussi fait l’objet d’accusations semblables de prédation sexuelle. On prétendait que les Afro-américains n’étaient pas intelligents, qu’ils n’avaient pas de compassion ou de moralité et qu’ils possédaient des caractéristiques animales et représentaient une menace sexuelle. Ainsi le lynchage des Afro-américains était justifié sur le fondement qu’ils étaient des bêtes sauvages et qu’ils avaient des passions sexuelles incontrôlables et des caractéristiques criminelles. Cette perception est restée dans le système de justice criminel américain et les Afro-américains ont été plus souvent accusés d’infractions sexuelles et déclarés coupables. C’est aussi une raison qui a été soulevée pour empêcher l’obtention des droits civils des Afro-américains.

[62] M. Adam a aussi mentionné dans son témoignage que les gais et les lesbiennes ont pareillement été les cibles d’accusations de prédation sexuelle par des incitateurs à la haine. Il a donné comme exemple la période de McCarthy aux États-Unis où bien des gais et des lesbiennes ont été renvoyés de leur emploi dans la fonction publique fédérale parce qu’on s’imaginait des orgies homosexuelles et des décors somptueux où ces gens vénéraient les lieux de plaisirs et les bas-fonds de démonstrations sexuelles immorales.

[63] Selon M. Adam, un mécanisme social semblable existe aussi relativement à la dénigration des gais et des lesbiennes. Il y a une tendance à les déshumaniser en faisant disparaître les caractéristiques qui sont associées aux facultés supérieures et en déterminant que les homosexuels ont des instincts animaux de base. Le fait d’être gai ou lesbienne est entièrement associé au sexe. Il ne s’agit pas d’avoir des relations ou des sentiments émotifs pour une personne de même sexe.

[64] M. Adam a étudié les messages sur le site Web et a parlé particulièrement des pages discriminatoires. Compte tenu des exemples historiques donnés, il est d’avis que ces messages présentent certaines des marques distinctives classiques d’incitation à la haine. Dans ces documents, il y a le rapport concret et persistant entre les relations de même sexe et la pédophilie et l’accusation répétée de prédation sexuelle incontrôlée chez les gais. Il a aussi poussé son analyse et a parlé des mentions de bestialité sur le site Web. La bestialité, le sexe avec des animaux, fait partie de la même stratégie visant à attribuer à une population cible des caractéristiques animales et regroupe les deux idées en un seul concept.

[65] Selon M. Adam, cette association aux caractéristiques animales a eu des conséquences graves parce qu’elle a justifié le fait de traiter une section de la population, les gais et les lesbiennes, comme s’ils avaient des caractéristiques animales, de les traiter comme on traiterait des animaux et, par conséquent, comme s’ils ne méritaient pas d’avoir de droits civiques et de participer pleinement dans une société démocratique.

[66] Ce mécanisme rend encore plus vulnérable un groupe cible et peut avoir de nombreuses conséquences, comme la vulnérabilité à la violence. Des enquêtes menées auprès de la population et des collectivités minoritaires, dont les gais et les lesbiennes, démontrent qu’il y a des taux plus élevés de violence dans les collectivités minoritaires.

[67] Cet effet devient plus évident dans les écoles où il y a de nombreux exemples de harcèlement d’étudiants qui sont considérés comme étant faibles, ou de garçons qui sont considérés comme n’étant pas tout à fait mâles ou comme étant efféminés. Les étudiants qui sont perçus comme étant gais, mais qui ne le sont peut-être pas, sont souvent victimes de harcèlement dans les écoles.

[68] Les statistiques de suicide chez les jeunes démontrent un taux plus élevé de suicide parmi ceux qui sont gais ou qui sont considérés comme étant gais. Les jeunes qui ont déclaré avoir été harcelés continuellement à l’école risquent davantage de tenter de se suicider et de tenter de le faire plus d’une fois.

[69] M. Adam a aussi témoigné relativement à l’effet que ces types de messages ont sur la population des gais et des lesbiennes. À son avis, l’incidence a été différente au cours de l’histoire. Il y a des périodes de tolérance relative, des périodes de discrimination systémique et parfois des périodes de campagnes de suppression actives. Les effets sont déterminés du point de vue psychologique relativement aux statistiques de suicide touchant les lesbiennes et les gais.

[70] Le fait de donner à un groupe cible des caractéristiques animales, comme des personnes qui ont besoin davantage de contrôle social, a donné lieu à différentes pratiques policières, à un refus d’accès aux services publics et à des possibilités plus limitées et différentes d’une certaine qualité de vie et à une participation dans la société en général. Dans les moments de discrimination systémique, cela a représenté des conséquences défavorables sur l’emploi et le logement pour les gais et les lesbiennes; pour ce qui est des lois, elles ont criminalisé les activités homosexuelles.

[71] M. Adam n’a pas déclaré que les deux exemples classiques d’incitation à la haine étaient exhaustifs. Un autre exemple de ce mécanisme social est le cas des Chinois au Canada au tournant du siècle. Vers 1906, à Vancouver, il y avait des émeutes contre les Chinois. Des feuillets et des journaux étaient distribués et montraient des images de Chinois séduisant et violant des femmes blanches. Encore une fois, on note l’association d’un groupe minoritaire avec la prédation sexuelle.

[72] M. Adam n’a pas non plus confirmé que chaque campagne de persécution qui a existé comportait des accusations de prédation sexuelle. Il y a des cas de persécution contre certains groupes qui ne comprennent pas la prédation sexuelle. Il y a toutefois, comme l’a mentionné M. Adam, une gamme de mécanismes qui sont utilisés pour inciter la haine contre un groupe. L’un de ces éléments est l’accusation de prédation sexuelle.

[73] On a demandé à M. Adam si, dans le cas où une personne était exposée à des documents de pédophilie homosexuelle, cela pouvait donner lieu à de fortes réactions qui contribueraient à diriger la haine vers la collectivité homosexuelle. Sa réponse a été que si une personne était exposée à des documents sur la pédophilie hétérosexuelle, cela produirait aussi de fortes réactions de haine envers tous les hétérosexuels. Mais ce n’est pas le cas. Son message était que, plutôt que d’avoir recours à des stéréotypes pour les homosexuels, une meilleure solution serait la communication bien équilibrée sur la vie des gais et des lesbiennes afin que les gens puissent comprendre que la pédophilie est aussi exceptionnelle chez eux qu’elle ne l’est chez les hétérosexuels.

B. La preuve de Jennifer Horgos

[74] Jennifer Horgos a été convoquée comme témoin par la Commission. Mme Horgos est la coordonnatrice de programme des services à la jeunesse au Centre communautaire aidant et appuyant les lesbiennes, les gais, les transgenderistes, les bisexuels et leurs alliés. Elle a un baccalauréat en études féminines, en histoire et en pédagogie et possède une maîtrise en développement des programmes. Lorsqu’elle a fait sa maîtrise, elle s’est spécialisée en éducation sur la sexualité.

[75] Le Centre a été constitué en personne morale en décembre 1984 et avait comme énoncé de mission d’offrir un soutien aux lesbiennes, aux gais, aux bisexuels, aux transgenderistes et de s’opposer aux effets de l’homophobie ou de la transphobie en ayant recours à l’éducation et à la sensibilisation. Le Centre offre un endroit sécuritaire où les gens peuvent appeler ou se rendre en personne pour rencontrer des pairs et pour obtenir des renseignements. Le Centre collabore aussi avec d’autres agences de la collectivité et offre des ateliers d’information sur les questions touchant les gais et les lesbiennes ainsi que l’homophobie. Il obtient son financement de diverses sources du gouvernement et de campagnes de financement. Le programme des services à la jeunesse touche le groupe d’âge de 13 à 25 ans et Mme Horgos est chargée de superviser et de promouvoir le programme et le réseau auprès d’autres agences communautaires.

[76] Certaines des questions que doit régler Mme Horgos portent sur l’intimidation à l’école, le harcèlement de jeunes parce qu’on croit qu’ils sont gais ou lesbiennes ou parce qu’ils se sont déclarés gais ou lesbiennes. Souvent, ils peuvent être harcelés quotidiennement et les employés du centre leur offrent un soutien, par exemple, ils les informent de leurs droits, leur affirment qu’ils ont le droit d’être en sécurité à l’école et que les enseignants et d’autres membres du personnel sont chargés de veiller à ce que l’école soit un endroit sécuritaire pour eux. Le Centre offre aussi des renseignements à d’autres étudiants qui ne sont pas gais ou lesbiennes, mais qui sont préoccupés par la discrimination et veulent en savoir davantage sur ce qu’ils peuvent faire en tant que personnes.

[77] Souvent, les jeunes se rendent au Centre parce qu’ils n’ont pas d’autre endroit où aller pour obtenir des renseignements précis et objectif sur l’orientation sexuelle ou l’identité sexuelle. Ils sont l’objet de nombreux stéréotypes défavorables, par exemple que tous les gais et les lesbiennes maltraitent les enfants. Ils craignent qu’ils ne seront jamais acceptés par qui que ce soit, qu’ils passeront le reste de leur vie seuls.

[78] Lorsque Mme Horgos a étudié le site Web, elle était furieuse de constater que quelqu’un puisse présumer qu’une personne ferait du mal à des enfants en raison de son orientation sexuelle. Elle était contrariée et frustrée parce que, selon son expérience, ce genre de message renforce les sentiments défavorables qu’ont les jeunes homosexuels d’eux-mêmes et a une incidence sur leur santé mentale. Le principal service que doit offrir le Centre consiste à donner des conseils aux jeunes qui ne se sentent pas capables de vivre avec ce genre de messages défavorables. Un grand nombre de ses clients ont mentionné qu’ils avaient parfois le goût de se suicider ou qu’ils avaient tenté de le faire. Bon nombre d’entre eux avaient des problèmes d’abus de drogues et d’alcool.

[79] Mme Horgos a fait l’objet d’un contre-interrogatoire exhaustif sur la question de l’homophobie et de la haine. Selon ses connaissances et son expérience, elle a conclu qu’une personne peut être homophobe et ne pas nécessairement haïr les homosexuels. Mais le fait est que les personnes qui prétendent être homophobes et qui commettent des actes motivés par la haine contre les gais ou les lesbiennes utilisent comme excuse leur peur des homosexuels.

[80] Mme Horgos a travaillé avec des jeunes dans des ateliers d’école qui se déclaraient hétérosexuels et qui disaient des choses comme nous avons battu ce garçon parce que nous pensions qu’il était gai et qu’il allait nous faire des avances. Nous avions vraiment peur qu’il tourne son attention vers nous. Ils utilisent cette excuse pour avoir commis un acte de violence. Selon elle, la peur homophobe devient de la haine lorsqu’elle menace la sécurité physique ou émotive d’un gai ou d’une lesbienne. Il s’agit par exemple des jeunes qui n’ont pas été agressés physiquement, mais qui ne se sentent pas à l’aise ou en sécurité de retourner à l’école parce qu’ils se font constamment tourmenter en raison de leur orientation sexuelle.

[81] Mme Horgos a témoigné qu’elle a étudié le site Web, mais qu’elle n’a pas ressenti de haine. Il n’y a rien sur le site Web qui la convainque d’haïr quelqu’un. Elle craint plutôt que d’autres personnes qui liront les articles ou messages sur le site Web puissent faire du mal à un gai ou à une lesbienne. Par exemple, Mme Horgos a parlé des commentaires à la page 31 du site Web Dans un monde parfait, les prestations de retraite du gouvernement pour les couples de même sexe pourraient être prises en compte/Dans un monde parfait, il n’y aurait pas de couples de même sexe. Cette affirmation la préoccupe. Elle se demande jusqu’où irait une personne qui a écrit ces commentaires ou qui les a lu pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de couples de même sexe.

[82] Mme Horgos a convenu que si elle avait accédé au site Web et lu le message à la première page AVERTISSEMENT : ce site contient des renseignements qui sont considérés comme étant discriminatoires par les pédophiles homosexuels et la Commission canadienne des droits de la personne ainsi que le Tribunal canadien des droits de la personne, elle n’aurait pas continué de lire. Cela est attribuable au fait qu’elle connaît ce genre de messages et qu’elle savait ce qui pouvait suivre. Toutefois, elle craint que d’autres personnes qui consultent ce site Web puissent blesser des gens qui sont gais ou lesbiennes, en raison des déclarations contenues dans ce site Web.

[83] On a demandé à Mme Horgos, au cours du contre-interrogatoire, de donner un exemple de message qui est susceptible d’exposer une personne, n’importe quelle personne, à la haine ou au mépris. Elle a donné en exemple les messages sur le site Web qui font un rapport entre l’homosexualité et la pédophilie. Cela peut aussi avoir une incidence ou des effets sur les personnes qui ne sont peut-être pas gais ou lesbiennes, mais qui croient les stéréotypes sur les homosexuels et pourraient faire du mal à des gais ou à des lesbiennes en raison de cette mésinformation.

[84] En plus de la possibilité que quelqu’un puisse causer des blessures, selon Mme Horgos, il se pourrait que des gais ou des lesbiennes qui lisent des documents défavorables sur l’homosexualité se sentent coupables, qu’ils aient une mauvaise opinion d’eux-mêmes, qu’ils perdent leur estime de soi. Cela peut donner lieu à un comportement d’autodestruction, comme l’utilisation de drogues et d’alcool, à des relations avec une personne qui les exploite, à la dépression et au suicide. Ce ne sont que certaines des incidences qu’elle a vues chez les jeunes avec lesquels elle travaille et qui sont exposés à des messages défavorables ou odieux.

C. Conclusion

[85] La signification des mots hatred (haine), contempt (méprise) et expose (exposer) ont été pris en compte dans les décisions du Tribunal canadien des droits de la personne, de la Cour fédérale du Canada et de la Cour suprême du Canada.

[86] Dans une première affaire relative au paragraphe 13(1) de la Loi, Taylor et le Western Guard Party c. la Commission canadienne des droits de la personne et le Procureur général du Canada[1], le Tribunal canadien des droits de la personne a utilisé le Oxford Dictionary comme source, définissant le mot hatred (haine) comme suit :

active dislike, detestation, enmity, ill will, malevolence (aversion active, détestation, inimitié, malice, malveillance).

et contempt (mépris) comme :

the condition of being condemned or despised; dishonour or disgrace. (Le fait d’être méprisé ou dédaigné; déshonneur, disgrâce).

Le terme expose (exposer) est beaucoup plus passif que le terme incite (inciter) et démontre que la personne qui transmet le message n’a pas l’intention de susciter une réaction violente chez la personne qui le reçoit. Plutôt, le terme exposer signifie laisser une personne sans protection; soumettre au ridicule, à la censure ou au danger, créer des conditions propices à la haine ou au mépris, laissant le groupe identifiable exposé à la rancune ou à l’hostilité ou le rendant susceptible d’être haï.

[87] Le Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Nealy c. Johnston[2], lorsqu’il a dû traiter une plainte en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi, a accepté ces définitions et s’est penché sur le sens des termes haine et mépris. Selon le Tribunal, la haine connote des sentiments comportant une malice extrême envers une autre personne ou un autre groupe de personnes. Quand on dit qu’on hait quelqu’un, c’est que l’on ne trouve aucune qualité qui rachète ses défauts. Le terme contemp (mépris) suggère que l’on regarde quelqu’un de haut ou qu’on le traite comme s’il était inférieur. Cela reflète la définition du dictionnaire de despise (dédaigner), dishonour (déshonneur) ou disgrace (disgrâce). Toutefois, la haine n’est pas directement liée au mépris. La haine dans certains cas peut être le résultat de l’envie de qualités supérieures comme l’intelligence, la richesse et le pouvoir, ce que le mépris ne peut être par définition.

[88] Le Tribunal dans l’affaire Nealy a aussi mentionné que l’utilisation du terme likely (susceptible) dans le paragraphe 13(1) signifie qu’il n’est pas nécessaire de prouver que l’effet sera que les personnes qui entendent le message dirigeront leur haine ou leur mépris contre d’autres. Il n’est pas non plus nécessaire de prouver que, en fait, une personne a ainsi été victime.

[89] L’affaire Taylor a fait l’objet d’un appel auprès de la Cour suprême du Canada[3], la question principale étant la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi relativement à l’alinéa 2b) de la Charte. La Cour suprême, lorsqu’elle a conclu que le paragraphe 13(1) n’allait pas à l’encontre de la Charte, a approuvé les définitions des termes haine et mépris utilisés dans les affaires Taylor et Nealy.

La Cour a conclu que le paragraphe 13(1) fait référence à des émotions extrêmement fortes et profondes de détestation, de calomnie et de diffamation.

[90] On a poursuivi l’étude des pages discriminatoires, les pages 31 et 32 étant le lien de la page 2, La vérité sur la pédophilie en Colombie-Britannique (ou les relations hommes/garçons). Il n’y a rien dans ces deux pages qui porte sur la pédophilie. La page 31 comporte une photo de Svend Robinson, député, et de son partenaire de même sexe, ainsi que des renseignements sur la demande de M. Robinson de prestations de retraite pour les couples de même sexe. Les observations rédactionnelles de M. Micka sont à l’effet que Dans un monde parfait, il n’y aurait pas de couples de même sexe.; Citoyens, essayez de ne pas vomir lorsque vous lirez l’histoire; Les gais ont des intentions et elles sont écœurantes.

[91] La page 32 contient aussi une photo de Svend Robinson et de son partenaire ainsi qu’un article de journal donnant des détails sur son opinion par rapport aux prestations de retraite pour les couples de même sexe. Sous la photo, on retrouve un commentaire indiquant la différence d’âge de 21 ans entre Robinson et son partenaire et la question suivante : pédophilie?

[92] La page 35 parle de La belle province de la Colombie-Britannique, havre des membres du NPD, des homosexuels et des pédophiles – la province la plus ouverte à un style de vie différent. Elle porte sur le cas de John Lewis, un Américain recherché pour agression sexuelle relativement à de jeunes garçons aux États-Unis qui s’est réfugié à Vancouver.

[93] Les observations rédactionnelles de M. Micka sont les suivantes : Lewis maintient son style de vie différent à Vancouver, refuge des pédés, établissant un rapport entre les styles de vie différents et l’homosexualité et caractérisant les homosexuels de pédés.

[94] Il pose ensuite deux questions : Les homosexuels sont‑ils tous des pédophiles ou les pédophiles sont‑ils tous des homosexuels? Réponse – oui. Question : Les pédophiles homosexuels sont‑ils tous des enseignants? Réponse – non! Certains sont des membres du clergé, des chefs scouts et des entraîneurs. Alerte aux citoyens, les homosexuels ont des intentions. Ils préparent le terrain à la légalisation de la pédophilie. Bien que M. Micka ait décrit ces questions et réponses comme des hyperboles et qu’il ait suggéré que personne ne les prendrait au sérieux, je ne suis pas du même avis. Ces questions et réponses établissent un lien clair entre les homosexuels et la pédophilie. Cela est renforcé par le commentaire voulant que les homosexuels cherchent à obtenir la légalisation de la pédophilie.

[95] La page 36 du site Web donne de nombreux exemples de personnes accusées et déclarées coupables de pornographie juvénile ou de pédophilie. L’énumération de ces cas n’est pas en elle-même problématique. Toutefois, ce sont les observations rédactionnelles suivantes qui dérangent : il semble y avoir des enclaves juridiques dans la belle province de la Colombie-Britannique où le sexe avec les enfants est considéré comme étant un style de vie différent. Conclusion – malgré les constantes dénégations, la collectivité homosexuelle a des intentions. Elle veut ramener notre société au temps de la Grèce ancienne où les hommes avaient des garçons-objets et les moutons étaient nerveux.

[96] Ces commentaires répètent la notion que le style de vie homosexuel comprend des relations sexuelles avec les enfants et établissent encore une fois un lien direct entre ce style de vie et la collectivité homosexuelle. Et il va encore plus loin, associant l’homosexualité à la bestialité.

[97] La page 37 parle de quatre histoires : la Cour a maintenu la suspension par le Conseil scolaire de Burnaby du directeur d’école William Bennest pour possession de pornographie juvénile; le fait qu’on n’ait pas poursuivi le Dr John Gossage pour agression sexuelle relativement à une jeune fille; la résolution du Conseil scolaire de Surrey empêchant la distribution par GALE de sa liste de ressources dans les écoles du Conseil. Et, le fait que l’ancien enseignant et directeur d’école Robert Noyes a obtenu des permissions de sortir sans escorte d’une prison de Montréal. Ces histoires sont suivies de ces commentaires : Avertissement, les gay and lesbian educators of British Columbia (GALE) vivent et pratiquent un style de vie dégoûtant où ils souhaitent attirer nos enfants et en abuser. Question : Jusqu’où, sur ce chemin de débauche, permettrez-vous votre société de se rendre et de se désintégrer?

[98] Ces articles parlent de cas de pédophilie hétérosexuelle et homosexuelle. Toutefois, les avertissements visent seulement les enseignants gais et les enseignantes lesbiennes en Colombie-Britannique, les associant à la débauche et au mauvais traitement des enfants.

[99] Les renseignements contenus à la page 41 du site Web répètent les questions et réponses de la page 35 et soulignent que la pédophilie est tout à fait répugnante, qu’elle soit pratiquée par les hétérosexuels ou les homosexuels. On pose ensuite la question suivante : Les homosexuels sont‑ils tous des pédophiles ou les pédophiles sont‑ils tous des homosexuels? Réponse : non! Certains pédophiles sont hétérosexuels et devraient être forcés à passer le reste de leur vie avec des homosexuels. En suggérant que les pédophiles hétérosexuels devraient passer le restant de leur vie avec des homosexuels suggère encore que tous les homosexuels sont des pédophiles.

[100] Compte tenu de cet examen, je conclus que les pages discriminatoires visent la collectivité homosexuelle. Le site Web n’est pas tant antipédophile qu’il n’est anti-homosexuel. Il reste tout de même à déterminer si le contenu des pages discriminatoires est susceptible d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de motifs de distinction illicite.

[101] Les pages discriminatoires contiennent les mécanismes classiques décrits par M. Adam qui étaient autrefois utilisés pour générer la haine contre un groupe cible. Le style de vie homosexuel est constamment associé à la prédation sexuelle. Les messages attribuent aux homosexuels une agression et une passion sexuelles incontrôlables. Les homosexuels ne sont pas comme les gens normaux. Le fait d’être homosexuel est tout simplement une question de sexe. Il ne s’agit pas d’avoir des relations ou des émotions pour une personne de même sexe.

[102] Mais je vais au‑delà du témoignage de M. Adam relativement aux définitions de la haine et du mépris, telles qu’acceptées par divers tribunaux des droits de la personne et par la Cour suprême du Canada. Si la question consiste à déterminer si un groupe identifiable, la collectivité homosexuelle, est susceptible d’être exposé à la malice extrême ou à la détestation; si on considère que ce groupe n’a aucune qualité qui rachète ses défauts et si on les regarde de haut en raison de ces renseignements, alors, à mon avis, les pages discriminatoires confirment cette question.

[103] Un résumé des commentaires sur les pages discriminatoires montre clairement que cela est le cas. Dans un monde parfait, il n’y aurait pas de couples de même sexe. Essayez de ne pas vomir lorsque vous lirez l’histoire. Les pédés ont des intentions et elles sont écœurantes. Alerte aux citoyens, les homosexuels ont des intentions! Ils préparent le terrain à la légalisation de la pédophilie. Avertissement : les gay and lesbian educators of British Columbia (GALE) vivent et pratiquent un style de vie dégoûtant où ils ont l’intention d’attirer nos enfants et d’en abuser. La collectivité homosexuelle a des intentions. Elle veut ramener notre société au temps de la Grèce ancienne où les hommes avaient des garçons-objets et les moutons étaient nerveux.

[104] Ces commentaires représentent de la malice extrême, de la détestation, de l’inimitié et du mépris envers les homosexuels. Ces commentaires n’admettent pas qu’il y a des qualités qui rachètent les défauts des gais et des lesbiennes. À mon avis, les renseignements contenus dans les pages discriminatoires sont susceptibles d’exposer à la haine et au mépris les gais et les lesbiennes.

IX. LES RENSEIGNEMENTS SUR LE SITE WEB SONT‑ILS COMMUNIQUÉS PAR TÉLÉPHONE DE FAÇON RÉPÉTÉE, EN ENTIER OU EN PARTIE, EN RECOURANT AUX SERVICES D’UNE ENTREPRISE DE TÉLÉCOMMUNICATIONS RELEVANT DE LA COMPÉTENCE DU PARLEMENT.

A. La preuve de Jim Nylander

[105] La Commission a convoqué Jim Nylander comme témoin. M. Nylander détient un baccalauréat en sciences informatiques et est un professionnel certifié de la sécurité des systèmes d’information. M. Nylander est à l’emploi de Telus Communications en sa qualité de spécialiste de la sécurité informatique depuis plus de 19 ans. Ses responsabilités chez Telus consistent à mener des enquêtes ou à y participer relativement à l’accès à Internet, souvent à la suite de mandats des services policiers.

[106] Telus est une entreprise de télécommunications qui relève de la compétence du Parlement et qui est régie en vertu de la Loi sur les télécommunications. Il offre tous les aspects des télécommunications, dont les appels locaux, les interurbains, le service téléphonique sans fils et les services Internet, et fait partie du réseau national des télécommunications au Canada qui appartient à diverses sociétés publiques et privées. Selon M. Nylander, Internet est un réseau mondial interrelié d’ordinateurs et de réseaux de communication régi par certains protocoles convenus qui comprennent le World Wide Web et le courrier électronique.

[107] M. Nylander a préparé trois schémas conceptuels de connexion Internet qu’il a utilisés pour décrire la façon dont un ordinateur se branche à Internet. En particulier, il a expliqué deux processus, l’accès commuté et l’accès LNPA.

[108] Les schémas de M. Nylander montrent un ordinateur et un téléphone dans une résidence. Dans le cas de l’accès commuté, le schéma montre un ordinateur et un téléphone branchés à l’aide d’un coupleur à la même ligne téléphonique extérieure.

[109] Le chemin du réseau téléphonique suivi par le téléphone et l’ordinateur est le même. Lorsque vous parlez au téléphone, votre voix est changée en impulsions électriques qui sont transmises par les fils téléphoniques. Lorsque l’ordinateur est branché au modem, il convertit les impulsions numériques créées par l’ordinateur en impulsions analogues, comme dans le cas de la voix, et les transmet par les fils téléphoniques.

[110] Qu’il s’agisse d’une voix ou de données, elles voyagent par les lignes téléphoniques jusqu’au répartiteur principal situé au central de l’entreprise de télécommunications. Elles partent du répartiteur principal et se rendent à l’équipement de ligne. C’est l’équipement de ligne qui donne la tonalité sur le réseau téléphonique. Les impulsions de voix et de données se rendent ensuite à un commutateur vocal qui sépare la voix des données.

[111] Les données sont ensuite acheminées dans les lignes téléphoniques jusqu’à ce qu’elles arrivent à une série de modems chez le fournisseur de service Internet. Lorsque le numéro de téléphone sonne, le modem chez le fournisseur de service Internet répond et communique avec le modem de l’ordinateur à la résidence où tout a commencé. La connexion à Internet se fait chez le fournisseur de service Internet.

[112] M. Nylander a aussi décrit le fonctionnement de l’accès LNPA (ligne numérique à paire asymétrique). Un accès LNPA utilise aussi le même réseau téléphonique qu’un accès commuté, mais il permet d’utiliser le téléphone et l’ordinateur en même temps.

[113] L’accès LNPA suit les mêmes câbles et le même chemin qu’un accès commuté jusqu’au répartiteur principal. À ce stade, plutôt que de suivre le chemin de la voix et des données jusqu’au commutateur vocal, il se rend à un coupleur, qui trie la partie des données de l’appel et les achemine par le réseau de données aux modems qui se trouvent chez le fournisseur de service Internet. Comme dans le cas d’un accès commuté, c’est à ce moment que la connexion à Internet se fait.

[114] Selon le témoignage de M. Micka, M. Fast n’a pas utilisé un accès commuté ou un accès LNPA pour télécharger le site Web sur le serveur Uniserve. Plutôt, M. Fast, un abonné de Rogers Cable, a accédé à Uniserve en utilisant une connexion par câble. M. Micka a affirmé qu’une connexion par câble n’utilise pas le réseau téléphonique et il n’a donc pas communiqué par téléphone.

[115] M. Nylander n’a pas fourni de schéma pour montrer comment un ordinateur utilisant un modem câble se branche à Internet. Toutefois, selon son témoignage, à un certain point, lorsqu’on utilise la connexion par câble pour télécharger le site Web sur Uniserve, il y aurait une connexion au réseau téléphonique pour accéder à Internet.

[116] D’autres preuves données par M. Nylander et des preuves données par Sasha Wilson appuient cette conclusion. M. Nylander a effectué ce qu’il appelle une recherche www.dns411.com. Il s’agit d’un site Web qui offre des renseignements sur les adresses Internet. Il a obtenu l’adresse numérique du site Web, soit 204.244.185.129. Cela se convertit pour devenir l’adresse alphabétique, www.citizensresearchinst.com. Selon le protocole Internet, l’adresse numérique comprend toujours quatre séries de chiffres. Certains blocs de chiffres sont attribués à certains pays et à certaines entreprises dans ces pays. Des sous-blocs sont ensuite attribués à divers fournisseurs de service Internet.

[117] M. Nylander a aussi fait une recherche WHO IS (qui est), qui confirme les renseignements de recherche obtenus par M. Schnell, à savoir que Machiavelli était le déposant du site Web et que Ken Fast était la personne-ressource pour la facturation et l’administration. La recherche a aussi démontré que le bloc numérique du protocole Internet, 204.244.0.0 – 204.244.255.255 a été attribué à Wes Tel Communications (maintenant RSL.Com), qui a sous-attribué le bloc d’adresse numérique, 204.244.185.0 – 204.244.185.255 à Uniserve. Ce sous-bloc d’adresse numérique comprend 204.244.185.129, l’adresse numérique du site Web.

[118] Sasha Wilson, le directeur général de Uniserve, a témoigné que Uniserve est un fournisseur de service Internet par ligne commutée et que Uniserve offre un accès à Internet par accès commuté. Il le fait par le moyen des lignes téléphoniques qu’il loue de RSL.com (anciennement WesTel) et de Telus. RSL.Com est un revendeur et détient un permis en vertu de la Loi sur les télécommunications.

[119] Selon le témoignage, le téléchargement du site Web à Uniserve, qui est un fournisseur de service Internet par accès commuté, comprend l’utilisation de lignes téléphoniques. Afin d’accéder au site Web par Internet, il faudrait aussi utiliser le réseau téléphonique. Ainsi, à mon avis, si les intimés communiquent des documents ou font communiquer des documents, ils le font, du moins en partie, par téléphone et par le moyen d’installations d’une entreprise de télécommunications régie à l’échelle fédérale, soit Telus et RSL.Com.

[120] M. Micka ne s’en est pas tenu à cela. Il a fait valoir que, simplement en téléchargeant le site Web sur le serveur de Uniserve, il n’a pas communiqué ou fait communiqué… toute question… Il a insisté sur le fait que, pour qu’il y ait une communication, il ne doit pas seulement y avoir une existence passive du site Web sur le serveur Uniserve. L’accès n’est pas la communication. Rien n’est communiqué à moins que quelqu’un n’ait accès au site Web ou jusqu’à ce que quelqu’un l’ait. Cela peut seulement se produire si quelqu’un les informe du site Web ou leur donne l’adresse du site Web, et ce ne serait pas M. Micka.

[121] Je ne suis pas convaincu par les observations de M. Micka. Une question se pose immédiatement, pourquoi a‑t‑il créé le site Web? La réponse, comme l’a dit M. Micka, est qu’il souhaitait faire une déclaration. Après avoir lu que William Bennest avait obtenu un traitement clément, il voulait sensibiliser le public sur la facilité avec laquelle les pédophiles semblent s’en sortir, en particulier en Colombie-Britannnique. En fait, M. Micka a raconté dans son témoignage qu’il était quelque peu déçu qu’un récent article de journal sur les plaintes de droit de la personne de M. Schnell n’avait pas fait de référence spécifique à l’adresse du site Web. Il voulait que le journal publie l’adresse du site Web afin que les membres du public puissent s’informer eux-mêmes à 100 % plutôt que d’obtenir ce qu’il considérait être une version déformée de la Commission des droits de la personne.

[122] Toutefois, même si cela était son objectif, M. Micka a témoigné et observé qu’il n’avait pas communiqué parce qu’il ne faisait pas de publicité sur l’adresse du site Web ou n’avait pas invité qui que ce soit à le visiter, mis à part quelques amis. Il n’a pas pris de mesures concrètes, à l’exception du téléchargement du site Web sur le serveur Uniserve. M. Micka s’est efforcé, pendant le contre-interrogatoire de M. Nylander, de montrer qu’il n’était pas possible de communiquer les pages d’un site Web. Pour le démontrer, M. Micka a demandé à M. Nylander d’accéder au site Web et d’envoyer la page principale du site Web en utilisant le navigateur de l’ordinateur. M. Nylander a convenu qu’il ne pouvait pas le faire. M. Micka, utilisant cette preuve, a donc observé qu’il n’était pas possible de communiquer ou faire communiquer le contenu d’un site Web en utilisant un navigateur.

[123] Toutefois les éléments de preuve dans cette affaire montrent que le fonctionnement d’un site Web ne dépend pas de la publication ou de la connaissance de l’adresse du site Web. Cela est démontré dans le livre des invités qui invite les gens à donner leurs commentaires et à informer leurs associés du site Web. Il y a 19 pages de commentaires dans le livre des invités de personnes d’un peu partout dans le monde qui ont répondu à cette invitation. De toute évidence ces commentateurs ont accédé au site Web sans qu’il n’y ait eu de publicité ou sans avoir été incités par M. Micka.

[124] Il a aussi été clairement démontré dans le témoignage de M. Nylander et celui de Bernard Klatt, un témoin convoqué au nom de la CAFE, que l’accès à un site Web ne dépend pas de la connaissance de l’adresse Web. M. Klatt travaille avec des réseaux informatiques et des installations Internet depuis presque le tout début de sa carrière. Il a une entreprise de revente à valeur ajoutée d’ordinateurs, se spécialise dans les réseaux et les services Internet et a exploité une entreprise de fournisseur de service Internet de 1995 à 1998.

[125] M. Klatt a témoigné qu’il y a beaucoup de moteurs de recherche sur Internet. L’un des plus connu est Google, un moteur de recherche Internet qui accumule automatiquement et découvre le contenu de sites Web et l’entrepose dans son système de serveur pour qu’il soit récupéré par les gens qui font des recherches. En fait, M. Klatt, à l’aide du moteur de recherche Google, a pu trouver le site Web et y accéder.

[126] M. Nylander a donné un témoignage semblable. Il a témoigné qu’il y avait plusieurs façons de trouver un site Web ou d’y accéder. Il existe des processus automatisés, qu’on appelle robots, qui font des recherches de sites Web et de liens sur Internet. Ces robots de recherche trouvent des pages Web, les analyses, trouvent des noms ou des liens sur les pages Web et enregistrent ces renseignements sur un moteur de recherche. Cela se fait à l’extérieur du site Web et la personne qui a créé le site Web n’aurait pas connaissance de ces recherches ou n’aurait pas de contrôle sur elles. On peut aussi trouver un site Web et y accéder à partir de liens d’un site Web à un autre, qui est catalogué dans un moteur de recherche.

[127] En plus du fait que M. Micka voulait communiquer ses idées et ses opinions et l’a fait, constatez les réponses dans le livre des invités, je me fonde aussi sur la décision de la Cour suprême dans Taylor et des décisions des Tribunaux des droits de la personne dans Taylor, Nealy et Khaki c. Canadian Liberty Net[4]. Toutes ces affaires portent sur un service de messagerie téléphonique où tout membre du public pouvait composer un numéro de téléphone et écouter des messages préenregistrés. Les messages téléphoniques préenregistrés étaient passifs comme le site Web, dans la mesure où la participation active par une personne était nécessaire pour accéder aux messages téléphoniques préenregistrés et les écouter. Je ne vois pas comment le téléchargement d’un site Web sur le serveur de Uniserve n’est pas autant une forme de communication que des messages téléphoniques préenregistrés. Tout comme les tribunaux et la Cour suprême ont jugé que les messages téléphoniques préenregistrés étaient des communications dans Taylor, Nealy et Khaki, je considère aussi que le fait de mettre le site Web sur le serveur de Uniserve, le rendant ainsi accessible par Internet, constitue une communication.

[128] Cette conclusion respecte les principes d’interprétation énoncés bien des fois par la Cour suprême que la Loi canadienne sur les droits de la personne doit faire l’objet d’une interprétation large et libérale pour éviter de faire obstacle aux droits de la personne protégés par la Loi. Les droits protégés doivent être interprétés de façon large, les défenses et les exceptions doivent être appliquées de façon restreinte. Le fait d’accepter les observations de M. Micka qui portent sur le récipiendaire des messages plutôt que sur l’expéditeur contribuerait à éliminer les objectifs de la Loi.

[129] Pour terminer, le terme de façon répétée est utilisé dans le paragraphe 13(1). Cela suggère que le paragraphe 13(1) vise, non pas les communications privées avec des amis, mais plutôt une série de messages qui représentent un plan public de grande échelle pour la diffusion de certaines idées ou opinions, conçues pour convertir des membres du public. À mon avis, le site Web répond à cette description.

B. Conclusion

[130] J’ai donc conclu, pour tous les motifs mentionnés ci‑dessus, que les intimés Machiavelli et John Micka ont, avec d’autres personnes, agis d’un commun accord pour communiquer par téléphone de façon répétée, en entier ou en partie, en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunications relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de motifs de distinction illicite, en violation du paragraphe 13(1) de la Loi.

X. LA CONSTITUTIONNALITÉ DU PARAGRAPHE 13(1) DE LA LOI

A. La preuve de Bernard Klatt

[131] Bernard Klatt a été le seul témoin convoqué par la CAFE. M. Klatt habite à Oliver, en Colombie-Britannique, et est un consultant en réseaux informatiques et un ancien fournisseur de service Internet. M. Klatt a été convoqué comme témoin pour raconter ses expériences sur la façon dont il a été reconnu comme un semeur de haine et un partisan de propagande haineuse sur le site Web. Par conséquent, il a été rejeté par sa communauté et a connu des problèmes financiers.

[132] M. Klatt était le propriétaire du Fairview Technology Center, qui a déjà été un fournisseur de service Internet. Parmi les sites Web que Fairview hébergeait, on trouvait des sites Web qui ont été bannis ou supprimés dans des pays étrangers ou qui étaient considérés comme étant controversés. M. Klatt a dit qu’il croyait en la liberté d’expression et n’a pas étudié le contenu de ces sites Web. Il ne croyait pas que Fairview devait agir à titre de censeur du contenu du site Web du client. La seule condition imposée par Fairview était que le site Web devait être reconnu comme étant légitime au Canada.

[133] M. Klatt a commencé à avoir des problèmes au début de l’été de 1996 lorqu’il a reçu un appel téléphonique et peu de temps après une lettre de Sol Litman du Centre Simon Wiesenthal à Toronto. M. Litman a informé M. Klatt que certains des sites Web que Fairview hébergeait contenaient des renseignements que M. Litman considérait comme de la propagande haineuse appuyant les opinions des tenants de la suprématie blanche, des antisémites, des négateurs de l’holocauste et des gens qui sont contre l’immigration des minorités visibles. M. Litman a demandé à Fairview d’arrêter d’héberger ces sites Web. M. Klatt a refusé parce que selon lui il ne pouvait agir sur le fondement de l’opinion d’une autre personne.

[134] La situation s’est intensifiée. Bon nombre d’organisations locales ont annulé leur abonnement aux services du fournisseur Internet Fairview. On lui a demandé de retirer des liens sur le site Web Fairview à d’autres organisations locales. Il a dû abandonner son adhésion au Club Rotary local. Il a été forcé de déménager son équipement Internet des lieux d’une entreprise locale dans un court délai et a eu de la difficulté à s’installer ailleurs. BCTel, l’entreprise de télécommunications du service Internet de Fairview a subi des pressions afin de mettre fin au contrat avec Fairview.

[135] Cette affaire a été reprise par divers journaux et a fait l’objet d’une couverture médiatique, ce qui suggère que les renseignements sur les sites Web reflétaient les croyances de M. Klatt. La ville d’Oliver a été décrite comme la capitale de la haine au Canada et le maire d’Oliver a demandé à M. Klatt de cesser d’héberger ces sites Web.

[136] Le Procureur général de la Colombie-Britannique a enquêté sur M. Klatt et sur les activités de Fairview pour déterminer s’il y avait violation possible de l’article 319 du Code criminel. L’enquête criminelle a été suspendue parce qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour appuyer l’accusation en vertu de cet article. M. Klatt a vendu son entreprise Internet à un concurrent local en 1998. Il a témoigné qu’il n’avait jamais regagné son statut dans la collectivité et qu’il a continué d’être traité comme un étranger.

[137] J’ai expliqué en détail cette preuve en raison de l’observation de la CAFE que le simple fait d’accuser quelqu’un de propagande haineuse, que cela soit valide ou non, peut avoir un effet paralysant et des conséquences désastreuses sur le présumé promoteur, même si aucune plainte n’a été déposée en vertu d’une loi sur les droits de la personne ou si aucune accusation n’a été portée en vertu de la loi criminelle.

[138] J’ai toutefois de la difficulté à comprendre la pertinence de cette preuve pour ce qui est de la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi. M. Klatt n’a pas fait l’objet d’une plainte en vertu du paragraphe 13(1) ni n’a été accusé en vertu de l’article 319 du Code criminel. La source de ses problèmes semble être les différents acteurs, qui, selon son récit, ont élevé une objection contre le contenu de certains sites Web qu’hébergeait Fairview et qui ont fait que d’autres personnes ont pris les mesures qu’elles ont prises. Il n’y a toutefois pas de preuve qu’il y ait un lien entre le paragraphe 13(1) et les problèmes de M. Klatt. Par conséquent, je ne peux tenir compte de son témoignage pour ce qui est de la constitutionnalité du paragraphe 13(1).

B. Paragraphe 13(1) de la Loi et alinéa 2b) de la Charte

[139] Selon la CAFE, le paragraphe 13(1) de la Loi viole la garantie de liberté d’expression dont il est question à l’alinéa 2b) de la Charte. La Commission ne conteste pas cette opinion, mais a observé que le paragraphe 13(1) est une limite raisonnable de liberté d’expression qui peut être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte.

[140] La Commission a tenté de le faire en s’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Taylor et sur d’autres décisions de la Cour suprême, de cours inférieures et de tribunaux. À l’exception de Taylor, aucun des précédents mentionnés ne portent sur la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi. Ces affaires portent sur la constitutionnalité de l’article 319 du Code criminel, ou de la loi provinciale relative à la propagande haineuse ou de la loi qui interdit certains types de publicité et ainsi de suite.

[141] Mon travail, toutefois, ne consiste pas à réexaminer tout la question du paragraphe 13(1) de la Loi et de l’article 1 de la Charte. Il est beaucoup plus restreint. Je suis limité par la décision majoritaire de la Cour suprême dans l’affaire Taylor, qui a décidé que le paragraphe 13(1) de la Loi n’a pas de faiblesses du point de vue constitutionnel. Par conséquent, à moins que la CAFE ne puisse établir la différence des circonstances de cette affaire par rapport à celles dans Taylor, je ne peux mettre en question ces résultats.

[142] Puisque la Commission a reconnu que le paragraphe 13(1) est en violation de l’alinéa 2b) de la Charte, l’attention se porte sur l’analyse de l’article 1. Je commence en faisant le résumé des motifs de la majorité de la Cour suprême pour l’application du critère Oakes en vertu de l’article 1 de la Charte.

[143] Le critère Oakes a deux aspects, la légitimité de l’objectif de la loi et la proportionnalité de la loi. Afin de respecter le critère Oakes, l’objectif législatif de la loi doit porter sur les préoccupations qui son urgentes et substantielles dans une société libre et démocratique.

[144] Selon la Cour suprême, l’objectif législatif qui sous-tend le paragraphe 13(1) de la Loi peut être déterminé à l’article 2 de la Loi, la section sur son objectif. L’article 2 vise la promotion de l’égalité des chances indépendamment des considérations fondées sur des pratiques discriminatoires. Le Parlement a interdit ces activités énoncées au paragraphe 13(1) parce que la diffusion de propagande haineuse a comme résultat l’érosion de la tolérance et de l’ouverture d’esprit nécessaires pour atteindre l’égalité dans une société multiculturelle. Cela étant le cas, la Cour a conclu que l’objectif qui sous-tend le paragraphe 13(1) est suffisamment urgent et substantiel qu’il faut établir des limites sur la liberté d’expression dont il est question à l’alinéa 2b) de la Charte.

[145] La Cour suprême s’est ensuite tournée vers la question de la proportionnalité, se penchant d’abord sur la question du lien rationnel, c’est‑à‑dire, déterminer s’il y a un lien rationnel entre la violation de l’expression et l’objectif législatif. À cet effet, la Cour a conclu que le paragraphe 13(1), conjointement avec les dispositions réparatrices de la Loi, existent pour limiter les activités qui sont grandement en conflit avec l’objectif de promotion de l’égalité et de la tolérance. Compte tenu des conséquences néfastes de la propagande haineuse et de l’objectif du paragraphe 13(1), on ne peut douter qu’il y a un lien rationnel pour faire progresser l’objectif du Parlement.

[146] La Cour suprême a ensuite étudié l’aspect suivant de la proportionnalité, l’atteinte minimale, c’est‑à-dire, afin de respecter le critère énoncé dans l’arrêt Oakes, il faut démontrer que la loi contestée a une atteinte minimale sur le droit en question dans la Charte. Lorsqu’elle a traité cette question, la Cour a dû répondre à trois observations. D’abord, le fait que les mots haine et mépris sont vagues et imprécis et ne définissent pas l’étendue de la limite de la liberté d’expression. Deuxièmement, le paragraphe 13(1) n’exige pas d’intention. Troisièmement, il n’y a pas d’exemption pour les énoncés véridiques au paragraphe 13(1).

[147] La Cour suprême a rejeté les trois arguments. Pour ce qui est de l’argument concernant le manque de précision, la Cour a souligné que les droits de la personne sont une loi fondamentale et qu’ils devraient être pleinement reconnus par une interprétation juste, large et libérale. Selon la Cour, le contenu des termes haine et mépris est révélé par l’objectif du Parlement de promulguer la loi, de protéger l’égalité et la dignité de toutes les personnes en réduisant l’incidence d’expressions pouvant blesser. De plus, et compte tenu des définitions données à ces mots dans Taylor et Nealy et de l’objectif de la Loi, la Cour était d’avis qu’il y aurait très peu de risques que ces mots soient appliqués de façon subjective ou excessive.

[148] En ce qui concerne l’exigence qu’il devrait y avoir une intention de discriminer au paragraphe 13(1), la Cour suprême a mentionné des tendances jurisprudentielles uniformes qui ont établi que l’intention de discriminer n’est pas une condition préalable en vertu de la législation en matière de droits de la personne, qui est conçue pour abolir la discrimination ou remédier à la situation lorsqu’il y a eu discrimination. La Cour reconnaît toutefois que des personnes peuvent ne pas être au courant des conséquences de leurs communications ou peuvent ne pas les avoir prévues. Toutefois, elles peuvent être accusées en vertu du paragraphe 13(1) et faire l’objet d’une condamnation.

[149] En réponse, la Cour suprême a mis l’accent sur la nature conciliatoire du processus de protection des droits de la personne et sur l’absence de sanctions pénales ou punitives. Une telle législation suscite diverses étapes qui tentent de faciliter la réforme de la situation discriminatoire sans avoir recours à des pénalités sévères ou à l’incarcération.

[150] La plainte doit d’abord faire l’objet d’une enquête par la Commission afin que le présumé transgresseur puisse présenter des observations. Le processus invite aussi cette personne à cesser la pratique discriminatoire. Si cela n’arrive pas, un Tribunal des droits de la personne doit déterminer qu’il y a eu violation du paragraphe 13(1). La décision de la Commission de renvoyer l’affaire et la décision du Tribunal peuvent toutes deux faire l’objet d’une révision judiciaire. Si l’on détermine qu’il y a eu pratique discriminatoire, un Tribunal peut seulement ordonner que la personne mette fin à la pratique discriminatoire. Un contrevenant peut seulement être pénalisé après que l’ordonnance a été présentée à la Cour fédérale et qu’il a eu l’occasion de se présenter à une audience à comparution justificative et qu’au cours d’une audience par voie judiciaire on a déterminé qu’il a désobéi à l’ordonnance d’interdiction. La sanction maximale qui a été déterminée dans l’affaire Taylor est une amende de 5 000 $ ou un an d’emprisonnement.

[151] C’est la combinaison du processus et du recours qui fait que l’incidence de l’exigence d’intention est moins grave. L’application du paragraphe 13(1) mettra fin à la discrimination, plutôt que de stigmatiser ou de punir les personnes responsables de la discrimination. Dans ce cadre, lorsque l’accent est mis sur les effets et la nature conciliatoire du processus des droits de la personne, la Cour suprême a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’avoir d’exigence d’intention pour appuyer le paragraphe 13(1).

[152] La Cour suprême n’était pas non plus disposée à accepter l’argument que le paragraphe 13(1) ne respectait pas le critère de l’atteinte minimale parce qu’il vise à annuler des déclarations qui peuvent être véridiques ou perçues comme étant véridiques. La Cour n’a pu trouver de motifs pour expliquer les raisons pour lesquelles des déclarations conformes aux faits, qui sont utilisés pour aucune autre raison que de promouvoir la haine contre un groupe minoritaire, devraient être protégées en vertu de l’alinéa 2b) de la Charte. Le paragraphe 13(1) fait progresser un objectif important du gouvernement et empiète sur l’expression qui n’a que des liens fragiles aux valeurs qui sous-tendent la garantie de liberté d’expression.

C. Conclusion

[153] À mon avis, il y a deux circonstances dans cette affaire qu’on ne trouvait pas dans l’affaire Taylor. Cette affaire comprend l’utilisation d’Internet, non pas de messages téléphoniques préenregistrés. De plus, la Loi a été modifiée depuis l’affaire Taylor pour offrir un recours dans les cas de violation du paragraphe 13(1) en plus d’une ordonnance d’interdiction. Le Tribunal peut maintenant ordonner une indemnité spéciale pour la victime de discrimination jusqu’à un maximum de 20 000 $. Le Tribunal peut aussi imposer une sanction ne dépassant pas 10 000 $.

[154] La CAFE a observé que le fait d’inclure Internet dans le paragraphe 13(1) empêchait grandement les personnes qui ont des ressources limitées de communiquer de façon efficace leurs idées et opinions. Un argument semblable a été fait dans Taylor, que le téléphone représente un moyen peu coûteux pour les personnes ou les organisations qui ont des ressources limitées de communiquer leurs idées et leurs renseignements à une grande partie du public. Le paragraphe 13(1) pourrait les empêcher d’embrasser leurs idées.

[155] La Cour suprême a donné suite à cet argument en disant que le téléphone est parfaitement adapté pour la diffusion efficace de croyances préjudiciables. Le paragraphe 13(1) est exprimé de façon à diminuer l’utilisation du téléphone pour communiquer des messages d’intolérance et d’inégalité. Les messages doivent faire partie d’un effort public, et non simplement d’un discours privé, pour la diffusion de propagande haineuse. Plus important encore, les messages doivent être jugés par un Tribunal comme étant le genre de messages qui risquent d’exposer des personnes à la haine ou au mépris. Il serait donc fautif de conclure que le paragraphe 13(1) supprime des messages qui ne font pas la promotion des préjudices causés par la propagande haineuse.

[156] Si le téléphone est parfaitement adapté pour communiquer des idées préjudiciables, Internet est encore mieux placé. Il s’agit d’un moyen de communication très public, peu coûteux, très accessible et qui peut transmettre bien des messages de façon simultanée et instantanée à un public universel. Les motifs de la Cour s’appliquent encore davantage à Internet.

[157] La CAFE s’est aussi fiée à la référence par la Cour suprême au raisonnement dans les décisions de l’affaire Nealy où le Tribunal a fait ressortir que la combinaison du moyen de communication téléphonique et de l’information est particulièrement insidieuse en raison de la nature vraisemblablement personnelle et privée du contact et du fait qu’il n’est pas possible de questionner les opinions présentées ou d’offrir une opinion contraire. La CAFE croit que les sites Web sur Internet offrent cette possibilité et a mentionné le livre des invités sur le site web à titre de preuve. La preuve n’est pas suffisante pour me convaincre que le livre des invités peut être généralisé pour comprendre tous les sites Web. De plus, il n’y a pas de garantie que tous les commentaires ou toutes les opinions présentés dans un livre des invités ou sur une ligne de bavardage ou tout autre moyen, seront présentés sur le site Web qui est sous le contrôle du webmestre.

[158] Pour ce qui est des implications des recours supplémentaires, tel que mentionné plus tôt dans cette décision, la Cour suprême a été influencée par la nature conciliatoire de la Loi et parce que le seul recours était une ordonnance d’interdiction. Les modifications à la Loi permettent maintenant une compensation financière et l’imposition d’une pénalité. À cet effet, la Loi s’est éloignée quelque peu de l’aspect conciliatoire et a présenté un aspect très limité mais punitif au processus qui n’existait pas au moment de la décision dans l’affaire Taylor.

[159] Toutefois, à mon avis, ces modifications ne rendent pas le paragraphe 13(1) inconstitutionnel. L’ordonnance d’interdiction demeure le moyen le plus efficace et le mieux adapté pour atteindre l’objectif de cette disposition législative. Le recours compensatoire spécial comprend une exigence d’intention. Il peut seulement être ordonné si le Tribunal en vient à la conclusion que l’auteur de l’acte discriminatoire a agi de façon délibéré ou inconsidéré, c’est‑à-dire sans tenir compte des conséquences de ses gestes. De même, avant qu’un tribunal ne puisse imposer une sanction, il doit tenir compte de l’intention de la personne qui a adopté la pratique discriminatoire, de toute pratique discriminatoire précédente et de la capacité de la personne à payer. Le Tribunal doit tenir compte de la nature, des circonstances, de la portée et de la sévérité de la pratique discriminatoire. Bien que la Loi ait perdu une petite partie de son caractère conciliatoire, à mon avis l’effet a été amélioré grâce aux exigences de prouver l’intention aux alinéas 54(1)b) et c) et à d’autres facteurs dont doit tenir compte le Tribunal.

[160] J’ai donc conclu que ces deux facteurs ne sont pas suffisants pour distinguer cette affaire de l’affaire Taylor et que le paragraphe 13(1) de la Loi constitue une limite suffisamment justifiable et raisonnable sur la liberté d’expression en vertu de l’article 1 de la Charte.

XI. ORDONNANCE

[161] La Commission a demandé que le Tribunal rende une ordonnance d’interdiction en vertu de l’alinéa 54(1)a) de la Loi. M. Schnell est d’accord avec cette décision. Il a aussi demandé qu’on lui verse une compensation spéciale de 20 000,00 $ en vertu de l’alinéa 54(1)b) de la Loi de la part de chacun des intimés et que chacun paie aussi une sanction de 10 000,00 $ en vertu de l’alinéa 54(1)c) de la Loi.

[162] Le Tribunal peut seulement accorder une compensation spéciale en vertu de l’alinéa 54(1)b) de la Loi lorsque la victime est spécialement identifiée dans la communication qui représente la pratique discriminatoire. Dans cette affaire, la communication se trouve dans les pages discriminatoires. Il n’y a aucune mention spécifique de M. Schnell dans ces pages. Par conséquent, je ne peux lui accorder de compensation spéciale.

[163] Pour ce qui est de la demande d’une sanction, à mon avis, l’alinéa 54(1)c) de la Loi ne vise pas à indemniser la victime, mais représente plutôt l’expression de l’opprobre de la société envers le comportement du discriminateur. Étant donné le mandat de la Commission en vertu de la Loi de représenter l’intérêt du public, il est beaucoup plus approprié qu’elle demande une telle ordonnance. Elle a choisi de ne pas le faire. J’hésite aussi à imposer une sanction où il y a peu de preuves, ou pas du tout, relativement aux facteurs dont doit tenir compte le Tribunal en vertu de l’alinéa 54(1)c) de la Loi.

[164] J’ordonne que les intimés John Micka, Machiavelli & Associates Emprize Inc., Joanne Vestvik et Ken Fast, les deux derniers, à mon avis, ayant agi d’un commun accord avec John Micka et Machiavelli, renoncent et mettent fin à la pratique discriminatoire de communiquer ou de faire communiquer par téléphone de façon répétée, en entier ou en partie, en recourant aux services d’une entreprise de télécommunications relevant de la compétence du Parlement des questions comme celles que l’on trouve dans les pages discriminatoires de la pièce HR‑4 et que l’on trouve sur le site Web, www.citizensresearchinst.com, et en particulier, ces questions et messages qui associent l’homosexualité et la collectivité homosexuelle à la pédophilie, à la bestialité et à la prédation sexuelle des enfants, ou qui établissent un rapport entre ces derniers, et accusent les gais et les lesbiennes d’avoir des intentions d’attirer des enfants et d’en abuser sexuellement ainsi que d’avoir des intentions de légaliser la pédophilie.


J. Grant Sinclair

OTTAWA (Ontario)
20 août 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER DU TRIBUNAL :

T594/5200 et T595/5300

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Mark Schnell c. Machiavelli and Associates Emprize Inc. et John Micka

LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver, Colombie-Britannique
18, 19, 20 et 21 juin 2001
30 et 31 juillet 2001
1er, 2, 14, 15, 16 et 17 août 2001
17 et 18 septembre 2001

DÉCISION DU TRIBUNAL EN DATE DU : 20 août 2002

COMPARUTIONS :
Mark Schnell Pour lui-même
Angela Westmacott
Joan Young
Pour la Commission canadienne des droits de la personne
John Micka Pour Machiavelli and Associates
Branislav Klco Emprize Inc. et John Micka
Paul Fromm Pour la Canadian Association for Free Expression Inc.

[1] (1979), D.T. 1/79

[2] (1989), 10 C.H.R.R. D/6450.

[3] [1990] 3 R.C.S. 892

[4] (1993) 22 C.H.R.R. D/347

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